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2023

Par quels mécanismes les habitants des pays riches jouent-ils double jeu sans parfois le savoir ? En matière de changement climatique tout le monde a compris que la planète était en train de se fâcher gravement, que des souffrances étaient distribuées très irrégulièrement devant nous, et qu’il fallait prendre cela tout à fait au sérieux. Mais se comporter écologiquement, manger bio plus cher, et prêter son argent à des entreprises vertes qui ne rapportent pas grand-chose, tout le monde a compris qu’il valait mieux faire semblant que de le faire vraiment.
Bertrand Méheust est un chercheur original, atypique, par les thèmes qu’il a abordés et par la manière dont ils les a abordés. Les lectrices et lecteurs qui ne le connaissent pas s’en rendront aisément compte avec cet entretien. Il est par ailleurs un des premiers auteurs à avoir théorisé l’effondrement probable de la civilisation industrielle. Ces deux raisons suffisent fonder l’intérêt de cet entretien de découverte d’un auteur. D. B.
Les discours littéraires apocalyptiques ignorent la violence de la situation actuelle. Ils sont souvent conformes aux idéologies du capitalisme telles que la modernisation écologique et l’économie néolibérale. Ils alimentent des approches déterministes mettant l’accent sur l’adaptation des individus et non sur la modification des systèmes. De même, les narrations catastrophiques dépolitisent des questions qui sont, par essence, politiques. Ils s’abstiennent d’identifier le véritable responsable pour évoquer des pistes ambigües et non identifiables comme le consumérisme, le matérialisme, les modes de vie, etc.
L’essor de la construction de laboratoires de niveau de sécurité biologique 4 ne semble pas encore s’être accompagné d’un renforcement de la surveillance de la gestion des risques biologiques. En outre, la plupart des laboratoires BSL4 en projet se trouveront dans des pays dont les résultats en matière de gouvernance et de stabilité sont relativement faibles....
LPE : Alice Desbiolles, vous êtes médecin spécialisée en santé publique et vous avez récemment publié deux ouvrages : L’Eco-anxiété. Vivre sereinement dans un monde abîmé, chez Fayard (2020), et plus récemment encore, Réparer la santé. Démocratie, éthique et prévention, aux éditions Rue de l’échiquier (2023). Le second part de la COVID et de ses ravages pour s’étendre aux questions plus générales de santé publique ; nous allons plutôt ici mettre l’accent sur le premier de ces deux livres. Le titre du premier est on ne peut plus explicite. Pouvez-vous succinctement vous présenter ?
La notion de limites qui apparaît dans le titre originel du Rapport Meadows, n’est rien d’autre que celles qu’utilisent les sciences économiques depuis le 19è siècle. Il s’agit d’une limite externe, d’une limitation ou d’une contrainte. La théorie économique fera même du calcul de la limite sa méthode privilégiée de résolution des problèmes économiques. Le Rapport n’interroge pas du tout l’économie, qui implicitement est l’économie capitaliste comme forme naturelle de la société ; il ne réfléchit pas non plus la notion de limite, qui est prise simplement comme une contrainte externe ;
Parler de science est, aujourd’hui, périlleux. On la voit à la fois farouchement attaquée et fermement défendue. Ses énoncés sont mis en doute, relativisés, décrédibilisés par les uns et sa méthode et ses résultats sont ardemment défendus par les autres. Qui donc a raison ? Faut-il trancher entre les sceptiques radicaux qui refusent d’admettre les conclusions des études scientifiques ou bien faire ce que toute raison humaine devrait faire : adhérer aux propositions de la science comme à ce qui, seul, échappe au doute ? Ou bien y a-t-il là une fausse alternative ?

2022

Comment s’engager malgré tout, en dépit des échecs successifs, des désillusions qui s’accumulent et des espoirs qui s’envolent ? Tant l’œuvre que la vie du philosophe Günther Anders offrent des éléments pour fonder l’action écologiste autrement que dans l’espoir « d’une vie meilleure », « des jours heureux » et « du monde d’après ». Au lieu de s’exposer à l’anxiété, la dépression et au nihilisme, il propose politiquement de retrouver de la morale dans l’existence, chose que la modernité évince constamment par ses artifices, sa complexité, son conformisme et son productivisme. C’est certainement dans le devoir et la responsabilité que se trouvent les ressources pour engager l’action politique avec joie et humanité, quoi qu’il advienne.
Le vert est-il une couleur apparentée au brun ? Certains ont pu le défendre et il demeure, en arrière-plan de tout débat ou de tout polémique touchant la protection de l’environnement, la vague idée ou, parfois, le soupçon tenace que la sensibilité écologique ait pu être partagée par les pires ennemis du genre humain, voire qu’il puisse y avoir une affinité élective entre haine des hommes et amour de la nature. Les nazis, des écologistes ?
Le philosophe Renaud Hétier, dans L’humanité contre l’Anthropocène – Résister aux effondrements (Puf, 2021) montre que si les effondrements du vivant (entraînant une fragilisation civilisationnelle) ont pour cause la généralisation du capitalisme, ils ont aussi des racines anthropologiques qui ont partie liée avec une problématisation éducative.