C’est tout ce que nous avons

De jeunes militantes pour le climat parlent de l’état de la politique dans le monde

Cette année, les élections concernent la moitié de la population mondiale. Des militants s’expriment sur les chances d’un réel changement.

Damian Carrington & Damien Gayle

Traduction deepl Josette – article original du 2 juin 2024 sur The Guardian

Cette année, des élections ont lieu dans le monde entier, couvrant près de la moitié de la population mondiale. Il est également probable que cette année soit, une fois de plus, la plus chaude jamais enregistrée, alors que la crise climatique s’intensifie.
Le Guardian a demandé à de jeunes militantes pour le climat du monde entier ce qu’ils attendaient des élections et si la politique est efficace dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Adélaïde Charlier, 23 ans, Belgique
Dates des élections : 3 juin au 9 juin

« Nous avons peur, parce que nous avons travaillé très dur ces cinq dernières années en tant que mouvement pour [attirer l’attention sur] l’urgence climatique », déclare Adélaïde Charlier. Lors des élections européennes, on s’attend à ce que le Parlement penche fortement vers les partis de droite qui s’opposent à l’action climatique.

Selon elle, les politiques vertes de l’UE, dont certaines ont déjà été bloquées ou affaiblies, sont un bouc émissaire pour le changement social plus large qu’elle considère comme nécessaire pour vaincre la crise climatique, mais auquel s’opposent les groupes conservateurs. « Nous remettons en question la norme et je pense donc qu’il s’agit d’une réaction à notre vision, plutôt qu’à ce que [les politiques] signifient réellement dans notre vie quotidienne. »

L’UE est souvent citée comme un leader mondial en matière d’action climatique. « Je crois vraiment qu’il y a des politiciens [de l’UE] qui veulent se battre pour être ambitieux. Mais la réalité est que nous n’atteignons pas notre objectif d’émissions pour 2030 et que nous avons toujours des entreprises, telles que TotalEnergies, qui créent d’énormes projets de combustibles fossiles à travers le monde. »

L’inertie politique est considérée comme le principal obstacle à l’action climatique et doit être surmontée, affirme Adélaïde Charlier, diplômée en sciences politiques et sociales, qui travaille actuellement au Collège d’Europe à Bruges. « Tout au long de mes activités militantes, j’ai constaté que la politique ne permettait pas de faire face à l’urgence climatique. Mais la définition de la politique est de s’organiser en tant que société et je continue à croire que le renforcement de la démocratie est le meilleur moyen pour nous de résoudre ce problème ensemble ».

Selon elle, l’arrêt du réchauffement de la planète n’est pas un défi technologique. « Le changement climatique doit être résolu par un changement systémique – nous devons tout changer. Pouvons-nous le faire au niveau politique ? Il le faut, tout simplement.

« Nous essayons de jouer le rôle de citoyens engagés et, en ce moment, nous essayons vraiment de mobiliser les jeunes pour qu’ils aillent voter, tout en sachant que ce n’est pas suffisant. Nous irons voter et nous espérons que tout ira pour le mieux. Mais pour le reste, nous nous battrons. Le mouvement pour le climat a commencé avec le droit de protester et nous continuerons à l’utiliser, parce que c’est dans notre ADN.»

Adriana Calderón, 21 ans, Mexique
Date des élections : 2 juin

Lors des élections mexicaines, le matériel de campagne des candidats est à lui seul un indicateur du sérieux avec lequel ils considèrent l’environnement, explique Adriana Calderón, une jeune militante pour le climat âgée de 21 ans.

Le pays en est jonché, accroché aux lampadaires, aux ponts et aux fils téléphoniques. Une ONG estime qu’à la fin du cycle électoral, 25 000 tonnes de « déchets électoraux » auront été jetés dans la seule ville de Mexico. Tous ces déchets sont en plastique. « Nous pouvons savoir à partir de là comment les choses vont se passer », a déclaré Adriana Calderón au Guardian.

Les quelque 100 millions d’électeurs mexicains se rendront aux urnes le 2 juin, à l’occasion d’élections de masse mettant en jeu des milliers de sièges. Les sièges des gouvernements locaux, régionaux et de l’Etat, ainsi que le congrès national, sont tous à pourvoir, de même que la présidence elle-même.

Claudia Sheinbaum, successeur désigné d’Andrés Manuel López Obrador, est en tête de liste pour remplacer ce dernier. Une grande partie de sa popularité s’est construite sur des projets sociaux financés par l’exploitation du pétrole et du gaz. Les écologistes s’attendent à ce que Mme Sheinbaum, ironiquement une ancienne scientifique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), fasse de même.

« Elle va essayer de rester sur la même voie que son parti actuel, c’est-à-dire continuer à s’appuyer sur Pemex [la compagnie pétrolière publique mexicaine] », explique Adriana Calderón. « Ils veulent également explorer avec elle l’expansion du lithium par le biais de Pemex, car le lithium a été nationalisé au Mexique l’année dernière.

Au moment où le Guardian s’entretient avec Adriana Calderón, depuis sa maison de Morelos, juste au sud de Mexico, elle étouffe dans la troisième vague de chaleur de l’année dans la région. Une grande partie du pays est en proie à des pénuries d’eau. L’année dernière, la côte ouest, destination de vacances très prisée, a été frappée par l’ouragan Otis, la première tempête de catégorie 5 à frapper le pays.

D’autres candidats, tels que Xóchitl Gálvez, arrivé en deuxième position, ont parlé plus longuement de l’environnement, évoquant l’augmentation des investissements privés dans la transition énergétique et le renversement de l’exploitation du pétrole et du gaz par l’État.

Un troisième candidat, Jorge Álvarez Máynez, a fait davantage de promesses en matière d’environnement, mais il semble peu probable qu’il l’emporte.

Les électeurs écologistes mexicains se trouvent donc coincés entre le marteau et l’enclume. Adriana Calderón déclare : « Je suis toujours en train de débattre avec mes amis à ce sujet et avec mes collègues de la sphère climatique, parce que, vous savez, c’est soit retourner à l’ancien parti qui a de très mauvaises intentions pour le pays, soit rester avec le gouvernement actuel qui n’aide pas du tout le climat. »

Lauren MacDonald, 23 ans, Royaume-Uni
Date des élections : 4 juillet

« Nous avons désespérément besoin d’un changement de gouvernement qui soit réellement prêt à prendre des mesures urgentes pour lutter contre la crise climatique », déclare Lauren MacDonald, militante au sein de l’organisation Uplift. « Actuellement, nous avons un gouvernement [conservateur] qui s’acharne à développer la production de pétrole et de gaz en mer du Nord, malgré les effets absolument catastrophiques que la combustion de ce pétrole aurait sur notre planète. »

Selon elle, les ministres n’ont pas suffisamment encouragé l’isolation des maisons et les énergies renouvelables qui permettraient de réduire à la fois les factures d’énergie et les émissions de carbone : « Au lieu de cela, ils aggravent la situation en accordant des milliards de livres sterling d’allègements fiscaux aux compagnies pétrolières. »

Selon Lauren MacDonald, il est essentiel de veiller à ce que les travailleurs qui travaillent actuellement dans l’industrie des combustibles fossiles puissent passer à des emplois dans le secteur des énergies propres, ce que l’on appelle une transition juste, comme on l’observe en Allemagne et en Espagne. Elle est originaire d’Écosse, le centre de l’industrie pétrolière et gazière du Royaume-Uni.

« Ces travailleurs et ces syndicats ont raison de poser les grandes questions », dit-elle. « Je pense que les gens sont prêts pour une transition qui place les travailleurs et les communautés avant les géants de l’énergie motivés par le profit. »

Le parti d’opposition, le parti travailliste, dispose d’une avance considérable dans les sondages d’opinion à l’approche des élections générales et s’est engagé à mettre un terme aux nouvelles explorations pétrolières et gazières. « Le parti travailliste tient un beau discours, mais nous serons très attentifs à la manière dont il le mettra en œuvre », déclare Lauren MacDonald. « Le mouvement pour le climat aura encore un rôle énorme à jouer. »

Pour elle, il n’y a pas d’autre solution que l’action politique pour enrayer le réchauffement climatique. « Le système politique britannique n’est pas vraiment une source d’inspiration, mais les gouvernements doivent s’attaquer à la crise climatique, car nous ne pouvons pas faire confiance aux compagnies pétrolières et gazières. Qui d’autre s’en chargera ? »

Mais, ajoute-t-elle, « quoi qu’il arrive lors des élections, le problème du climat ne sera pas résolu du jour au lendemain. Il faudra que toutes les facettes de la société fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre en œuvre le changement ».

Alexia Leclercq, 24 ans, États-Unis
Date de l’élection : 5 novembre

« Pour être tout à fait honnête, je ne sais pas quoi faire pendant les élections », déclare Alexia Leclercq, une militante écologiste.

« D’une part, nous savons que l’administration Biden a eu des politiques environnementales nettement meilleures, avec des conséquences concrètes sur nos communautés », dit-elle. « Par exemple, sous l’administration Trump, les reculs politiques ont eu un impact énorme sur les communautés de première ligne qui tentent de lutter contre les industries pétrochimiques qui causent de nombreux problèmes de santé graves, en particulier dans le Sud.

« Mais je pense que d’un autre côté, avec le génocide en cours en Palestine, beaucoup de gens qui font partie du mouvement pour le climat ne se sentent pas moralement d’accord pour voter pour Biden. C’est un véritable défi. »

Alexia Leclercq affirme qu’aucun activiste climatique ne souhaite un autre mandat pour Trump, qui a retiré les États-Unis de l’accord mondial de l’ONU sur le climat, mais elle affirme que le mandat de M. Biden a eu des défauts : « Biden a fait campagne sur la fin de la location de terres fédérales pour le forage pétrolier, mais son bilan est d’avoir accordé plus de permis que Trump. »

Selon elle, l’élection présidentielle est vraiment importante pour son État d’origine, le Texas, qui est à la fois le cœur de l’industrie pétrolière et gazière américaine, gravement touché par l’aggravation des vagues de chaleur et des inondations, mais aussi un État majeur en matière d’énergies renouvelables.

« Les impacts environnementaux sont graves, en particulier pour les communautés de couleur, mais le gouvernement de l’État ne sera pas progressiste dans un avenir prévisible – l’industrie pétrochimique a une telle emprise sur notre État », explique-t-elle. « Les politiques fédérales en matière d’environnement sont donc extrêmement importantes – c’est pratiquement la seule chose dont nous disposons. »

Selon Alexia Leclercq, le lobbying et les dons des entreprises dominent le système politique américain : « Nous avons une soi-disant démocratie, mais la plus grande influence sur notre gouvernement est l’industrie. Des gens gagnent des milliards de dollars grâce au statu quo et ont l’intention de continuer à le faire.

« Nous faisons de notre mieux pour renforcer le pouvoir des gens et faire pression, et je pense que c’est tout ce que nous pouvons faire pour l’instant », dit-elle. Mais elle perçoit quelques signes d’espoir : « Partout où je vais, je constate que les gens se préoccupent de plus en plus du climat, y compris les propriétaires d’exploitations agricoles qui votent pour les Républicains, des gens dont on ne pense pas a priori qu’ils se préoccupent du climat. Ils constatent l’impact de la crise climatique sur leurs moyens de subsistance dans leur ranch. »

Disha Ravi, 25 ans, Inde
Dates des élections : 19 avril au 1er juin

Avec 970 millions d’électeurs et une saison électorale qui s’étend sur plusieurs mois, l’Inde aime à présenter ses élections comme le plus grand exercice de démocratie au monde. Mais cette année, un autre facteur est venu compliquer la donne. La chaleur étouffante.

Des hommes politiques se sont effondrés sur scène. Des présentateurs de journaux télévisés se sont évanouis en direct. Face à la baisse du taux de participation dans tout le pays, les responsables politiques ont demandé aux autorités d’ouvrir les bureaux de vote à 6 heures du matin afin que les électeurs puissent éviter les températures qui atteignent, dans certaines régions, 47°C.

« Malgré tout cela, je ne pense pas que le changement climatique soit un sujet sur lequel les partis politiques en lice se soient mobilisés », déclare Disha Ravi, une militante de 25 ans de l’association Fridays For Future, originaire de Bangalore.

Cette année, les manifestes de la plupart des partis mentionnent au moins le changement climatique. « Il s’agit donc d’un changement considérable », déclare Disha Ravi. « Mais on n’en parle pas. Ce n’est pas encore un sujet de vote ».

Le parti au pouvoir, le BJP, du premier ministre Narendra Modi, était le favori et semble, selon les sondages de sortie des urnes, avoir remporté une majorité écrasante. Il a « fait beaucoup de promesses », explique Disha Ravi, notamment celle de parvenir à des émissions nettes zéro d’ici 2070 et d’un programme renforcé de purification de l’air.

Mais leur bilan est moins positif. De nouvelles mines de charbon, des projets de déforestation et des plans d’infrastructure destructeurs pour l’environnement ont alimenté le boom que l’Inde a connu sous leur règne et dont les bénéfices ont profité en grande majorité aux plus riches. Et malgré les grands discours sur l’environnement, leur manifeste ne contient que peu de mesures concrètes.

« Il n’y a aucune mention du charbon dans l’ensemble du texte », déclare Disha Ravi. Selon l’AIE, l’Inde dépend du charbon pour 45 % de son électricité.

D’autres partis, dont le Congrès, anciennement parti au pouvoir en Inde, ont pris des engagements plus audacieux. « Ils ont également, et c’est le plus important, abordé le problème des glissements de terrain et de la fonte des glaces dans l’Himalaya », explique Disha Ravi. « Le Congrès et le CPI ont tous deux mentionné que les normes environnementales dérégulées, en particulier les droits forestiers qui ont été dérégulés par le BJP, allaient être annulés. Mais avec une chance infime de victoire, de tels engagements ne valent rien.

La grande idée du BJP, quant à elle, est l’initiative LiFe. L-I-F-E, qui signifie « Lifestyle for environment » (style de vie pour l’environnement), est un plan qui vise à mettre en avant la responsabilité personnelle des Indiens en matière de climat, explique Disha Ravi. « Je pense qu’il s’agit de faire porter le fardeau aux personnes dont les émissions par habitant sont si importantes, si incroyablement marginales. »

Si les sondages de sortie des urnes sont corrects, Modi aura gagné avec une large marge, ce qui désespère Disha Ravi.

« Je ne pense pas que nous puissions supporter une autre année de vie comme celle-ci. »



‘Personne ne veut avoir raison sur ce sujet’

les scientifiques du climat sont horrifiés et exaspérés par les prévisions mondiales.

Par 7 experts du Climat

Source : The Guardian – Traduction Deepl

Alors que l’hémisphère nord brûle, les experts ressentent une profonde tristesse – et du ressentiment – en redoutant ce qui attend l’été australien.

Le Guardian Australia a demandé à sept éminents climatologues de décrire ce qu’ils ressentent alors qu’une grande partie de l’hémisphère nord est engloutie par des vagues de chaleur torrides et qu’un certain nombre de records climatiques terrestres et océaniques mondiaux sont battus.


Je suis stupéfaite par la férocité de la situation

Ce qui se passe actuellement dans le monde entier est tout à fait conforme aux prévisions des scientifiques. Personne ne veut avoir raison. Mais pour être honnête, je suis stupéfait par la férocité des impacts que nous subissons actuellement. Je redoute vraiment la dévastation que cet El Niño va entraîner. Alors que la situation se détériore, je me demande comment je peux être le plus utile dans un moment comme celui-ci. Dois-je continuer à essayer de poursuivre ma carrière de chercheur ou consacrer encore plus de temps à avertir le public ? La pression et l’anxiété liées à la gestion d’une crise de plus en plus grave pèsent lourdement sur nombre d’entre nous.

Joëlle Gergis, maître de conférences en sciences du climat à la Fenner School of Environment and Society, chercheur associé à l’ARC Centre of Excellence for Climate Extremes de l’Australian National University.


Même un réchauffement de 1,2 °C n’est pas sûr

Dès le milieu des années 1990, nous savions que des monstres se cachaient sous les projections de nos modèles climatiques : des vagues de chaleur monstrueuses, des précipitations et des inondations extrêmes catastrophiques, des incendies de forêt à l’échelle subcontinentale, un effondrement rapide de la calotte glaciaire faisant monter le niveau de la mer de plusieurs mètres en l’espace d’un siècle. Nous savions – tout comme nous connaissons la gravité – que la Grande Barrière de Corail d’Australie pourrait être l’une des premières victimes d’un réchauffement planétaire incontrôlé.

Mais alors que des vagues de chaleur monstrueuses et mortelles s’abattent aujourd’hui sur de grandes parties de l’Asie, de l’Europe et de l’Amérique du Nord, avec des températures que nous n’avons jamais connues, nous constatons que même un réchauffement de 1,2 °C n’est pas sans danger.

L’industrie des combustibles fossiles est à l’origine de tout cela. Les dirigeants politiques, qui refusent de contrôler cette industrie et qui encouragent des politiques telles que la compensation et l’expansion massive du gaz, lui permettent tout simplement de continuer à exister.

Bill Hare, physicien et climatologue, directeur général de Climate Analytics.


Quel autre choix avons-nous ?

Voilà à quoi ressemble le changement climatique aujourd’hui. Et voilà à quoi ressemblera le changement climatique à l’avenir, même s’il continuera probablement à s’aggraver.

Je ne sais pas de combien d’avertissements supplémentaires le monde a besoin. C’est comme si l’humanité avait reçu un diagnostic médical en phase terminale, qu’elle savait qu’il existait un remède, mais qu’elle avait consciemment décidé de ne pas se sauver.

Mais ceux d’entre nous qui comprennent et qui se sentent concernés doivent continuer à essayer – après tout, quel autre choix avons-nous ?

Lesley Hughes, membre du conseil d’administration de la Climate Change Authority et professeur émérite à l’université Macquarie.


L’histoire les jugera très sévèrement

Je me souviens encore de la lecture du rapport de la conférence de Villach de 1985, qui alertait la communauté scientifique sur le lien possible entre la production de gaz à effet de serre et le changement climatique. En 1988, j’ai dirigé la Commission australienne pour l’avenir et j’ai travaillé avec Graeme Pearman, du CSIRO, sur Greenhouse ’88, un programme visant à attirer l’attention du public sur les résultats scientifiques.

Aujourd’hui, tous les changements prévus sont en train de se produire, et je réfléchis donc à l’ampleur des dommages environnementaux et des souffrances humaines inutiles qui résulteront du travail des hommes politiques, des chefs d’entreprise et des personnalités publiques qui ont empêché toute action concertée. L’histoire les jugera très sévèrement.

Ian Lowe, professeur émérite à l’école des sciences de l’université Griffith


Seul le temps nous le dira

Même si nous disons depuis des décennies que c’est ce à quoi il faut s’attendre, il est toujours très inquiétant de voir ces extrêmes climatiques se manifester avec une telle férocité et une telle portée mondiale. Cet été, ce sera le tour de l’Australie, cela ne fait aucun doute.

La lenteur de l’action politique me frustre profondément – il est déconcertant de voir que de nouveaux projets d’extraction de combustibles fossiles obtiennent toujours le feu vert ici en Australie. Cette frustration s’accompagne d’un profond ressentiment à l’égard de ceux qui ont fait pression en faveur de la poursuite de l’utilisation des combustibles fossiles en dépit de la physique climatique clairement connue depuis près d’un demi-siècle.

Ces dernières semaines, je me suis demandé si cette année allait enfin être celle où tous les doutes concernant la crise du changement climatique seraient balayés par une série d’extrêmes climatiques coûteux. Cela pourrait être l’un des avantages d’une année 2023 aussi exceptionnelle. Seul l’avenir nous le dira.

Matthew England, professeur de science, Australian Centre for Excellence in Antarctic Science (ACEAS), Université de Nouvelle-Galles du Sud.


Ce que nous vivons aujourd’hui n’est qu’un début

J’ai passé les quatre dernières semaines dans un institut de recherche allemand, en pleine canicule. Je me suis rendue à Berlin, ma ville natale, le week-end pour voir mon père âgé et malade, en essayant de le rafraîchir dans son appartement en ville et de le convaincre que boire de l’eau pouvait être une bonne idée (pas toujours avec succès). Je me suis également vanté auprès de mes collègues et amis qui se plaignaient de la chaleur : « Ce n’est rien, essayez de vivre une vague de chaleur en Australie ! L’Australie est un pays idéal pour se vanter. Il y a toujours des exemples plus grands, plus extrêmes et plus venimeux sous nos latitudes.

Ai-je été surpris par cette canicule ? Bien sûr que non. J’ai plutôt ressenti une légère curiosité scientifique à voir se concrétiser ce que nous prévoyons depuis des années. J’ai également ressenti de la tristesse. Nous savons que ce que nous vivons actuellement n’est que le début de conditions bien pires à venir. Quelles seront les conséquences pour nos écosystèmes, la disponibilité de l’eau, la santé humaine, les infrastructures et les chaînes d’approvisionnement ? Nous connaissons la réponse. Mais je vois aussi des signes de changement. Plus d’une fois, j’ai failli être renversé par un vélo ; je n’étais pas habitué aux pistes cyclables très fréquentées en Allemagne. J’ai également passé de nombreuses heures dans des trains et j’ai constaté un réel changement dans le paysage qui défilait. J’ai traversé de grands parcs solaires et éoliens et j’ai écouté les conversations des autres voyageurs, qui tournaient le plus souvent autour du changement climatique. Au cours de l’une d’entre elles, quelqu’un a mentionné que tous ces pays ensoleillés, comme l’Australie, sont probablement alimentés à 100 % par des énergies renouvelables à l’heure actuelle. J’ai souri en silence ; il y a encore des choses dont nous ne pouvons pas (encore) nous vanter en Australie.

Katrin Meissner, directrice du centre de recherche sur le changement climatique de l’université de Nouvelle-Galles du Sud


Cela devrait nous préoccuper

Il est affligeant de constater l’ampleur des dégâts causés par la vague actuelle d’événements extrêmes dans de nombreuses régions du globe. Malheureusement, il ne s’agit pas d’un phénomène isolé, mais d’une tendance à long terme alimentée par les émissions de gaz à effet de serre de l’homme. Ils ne sont donc pas inattendus.

Fait inquiétant, il est clair que les événements extrêmes à venir battront à nouveau des records et causeront des dégâts encore plus importants. Cela s’explique notamment par le fait que, dans de nombreux cas, les dommages ne sont pas linéaires : ils augmentent de plus en plus rapidement à chaque fois que le changement climatique s’accentue. Cela devrait nous préoccuper. Nous devrions rationnellement prendre du recul et évaluer ce qui est dans notre intérêt économique, social et environnemental. Le GIEC l’a fait et l’évaluation est claire : il est dans notre intérêt de réduire les émissions de gaz à effet de serre rapidement, substantiellement et durablement.

Il est également dans notre intérêt de mettre en place de vastes programmes intégrés d’adaptation au climat pour faire face aux effets du changement climatique que nous ne pourrons pas éviter. Prendre des mesures pour réduire les émissions et s’adapter au changement climatique nous donnera de l’espoir. Voulons-nous vraiment l’alternative ?

Professeur Mark Howden, directeur de l’Institut pour les solutions en matière de climat, d’énergie et de catastrophes à l’Université nationale australienne.



Une intéressante aventure documentaire

Publiée sur Facebook, voici l’histoire de l’entrée en « documentation écologique » de Louis Schmidt.

Mise en contexte – Mon entrée dans l’écologie

Louis Schmidt

Juillet 2019. Je commence à peine ma première expérience professionnelle. Un soir, je tombe sur une vidéo d’un certain Jean-Marc Jancovici que je vois de plus en plus dans mon fil LinkedIn. C’est la première vidéo de son cours des Mines (le fameux, disponible ici). Je prends une claque. Sensibilisé à l’écologie sans m’y être intéressé de près, je comprends que je n’y comprends absolument rien. Que je n’ai pas forcément les bonnes clés de compréhension du problème.

Commence alors pour moi une odyssée passionnante à la découverte de l’écologie, sous toutes ses formes. J’y entre par le biais du climat et de l’énergie (Janco oblige…) mais je comprends rapidement que le problème – certes j’en avais entendu parlé, mais pas compris intimement – est bien plus large : biodiversité, pollutions, déchets, surpêche, plastique, finitude des ressources etc. J’en passe, et je ne parle même pas des problèmes sociaux et (géo)politiques qui vont avec, qui sont bien entendu clés pour comprendre et traiter ces enjeux.

Ce moment a marqué une vraie révolution intérieure, avec ses moments de doute, de remise en question, de colère. Des discussions houleuses avec ma famille, mes amis. Une perte de sens dans mon stage.

Qu’à cela ne tienne, le sujet me passionne et me motive tellement que je me mets à le travailler et à y réfléchir sur mon temps libre. Rapidement, j’essaye de travailler de manière structurée (merci la prépa): je prends des notes, j’enregistre ce que je lis au fur et à mesure (grâce aux fonctionnalités de LinkedIn et Facebook notamment). Alors je fais ça pendant 1 an et demis. Cela nous amène en janvier 2021.

Un petit saut dans le temps – Ma bibliothèque perso

Janvier 2021 donc. Je sors de 18 mois consécutifs de stage et j’entame 8 mois de pause, de « césure personnelle », d’année sabbatique, avant de reprendre les cours en septembre. C’est le moment où je me mets vraiment à structurer mon travail. Tous les articles que j’ai effectivement lus ou pas encore mais enregistrés comme potentiellement intéressants (l’immense majorité, malheureusement, tombe dans cette seconde catégorie…), je les rassemble, les classes, les catégorises à l’aide d’un classeur Airtable (sorte d’Excel plus ludique). Cela me prend du temps, mais je me dis que ça me servira pour la suite.

Et voilà que je me retrouve avec une bibliothèque d’environ 300 contenus (articles, vidéos, podcasts, rapports etc.) qui va me servir pour la suite, pour chercher des infos, me renseigner sur des sujets que je ne maîtrise pas encore (l’agriculture par exemple) ou creuser ceux que je maîtrise mieux (l’énergie, et oui, c’est par là que j’ai fait ma « conversion »).

Alors oui, ça fait beaucoup. Ca fait même un peu boulimique de l’information, je vous l’accorde. Mais l’idée n’est pas tant de tout lire (chose impossible pour n’importe qui de normalement constitué ou qui fait autre chose de sa vie que de lire), que d’avoir à disposition ces ressources, pour le jour où j’en aurai envie, le temps, le besoin.

En parallèle je lis des bouquins, suis des MOOCs, regarde toutes les vidéos du génial Reveilleur (allez-y c’est une perle de pédagogie)… Et comme je fais pas tout ça que pour moi, je mets à jour mon compte LinkedIn avec ce que j’ai fait pendant ces quelques mois.

La bibliothèque de la transition…

Au fil des mois, j’en parle avec des amis, qui me disent (certains) être intéressé par l’idée et m’en demandent l’accès. Avec plaisir ! Si je peux sensibiliser, tant mieux ! Alors je le fais.

Quelques temps plus tard, je reçois un message me demandant conseil pour se lancer (à fond) dans l’écologie. Alors j’explique rapidement ce que j’ai fait, les bouquins, la bibliothèque, les fiches… Et là, surprise : la personne me demande l’accès à la bibliothèque.

Au début je suis un peu récalcitrant. Ca m’a quand même demandé des heures et des heures de veille, de classification, d’assemblage, cette bibliothèque. Alors je trouvais ça un peu osé de me demander le fruit de mon travail, mon petit bébé, sans me connaître. Puis j’ai réfléchis 2 secondes – un poil plus mais pas beaucoup je vous jure car cela tombait sous le sens en fait – si je fais tout ça, c’est pour partager passion de l’écologie et pour sensibiliser (j’étais aussi devenu animateur de la fresque du climat en parallèle). Alors qu’à cela ne tienne, – oui, ça fait bien deux fois que j’utilise cette expression dans ce court article – je décide de partager ma bibliothèque via un post LinkedIn. Il a son petit succès : plus d’une centaine de personne la consultent.

Alors il y a quelques temps, j’ai décidé d’améliorer cette bibliothèque : autant d’un point de vue des contenus disponibles, que de la quantité disponible. Vous pouvez désormais y trouver les contenus référencés par thèmes, mais aussi par média : Articles, rapports, podcast, newsletters, livres, sources d’informations… Je vous laisse aller observer et j’espère que c’est réussi – ça m’a pris pas mal de temps je l’avoue…

Et je me suis dit qu’il serait bon d’en faire un outil collaboratif.

… un projet collaboratif

J’y ajoute même un guide d’utilisation (1re table) et je me dis : je suis certainement pas le seul à faire ce genre de choses, suivre l’actualité, regarder des rapports, des vidéos, chercher des podcasts… Alors pourquoi pas proposer aux autres de contribuer à cette bibliothèque ? Et bah allons-y !

Vous pouvez maintenant le faire (ici) via un questionnaire ; je me chargerai de trier les contributions si besoin et si un jour la charge devient trop grosse, je solliciterai peut-être votre aide !

Voilà, c’est tout pour moi, j’espère que cet article vous aura plus et que cette bibliothèque vous (nous) sera utile et n’hésitez pas à me contacter si vous avez la moindre question !


Pour accéder à la bibliothèque développée par Louis, cliquez ICI .
Pour retrouver Louis sur LinkedIn, cliquez ICI.


Rencontre avec Nadège Carlier

Déléguée ONU du Forum des jeunes pour la Belgique francophone à la COP 26 de Glasgow

Propos recueillis par Michel Torrekens


Bruxelloise de 25 ans, Nadège Carlier est doctorante en sciences politiques à l’UCLouvain. Elle a également été désignée comme déléguée ONU francophone du Forum des jeunes, organe officiel de représentation de la jeunesse en Fédération Wallonie-Bruxelles, à la COP 26 qui s’est tenue à Glasgow. Nous l’avons rencontrée pour qu’elle nous fasse part de son expérience.


En quoi consiste ce mandat de déléguée ONU francophone du Forum des jeunes ?

Nadège Carlier : « Ce mandat a commencé en mars 2020, alors que débutait la pandémie, et dure deux ans, une première année en tant que junior et une deuxième en tant que senior pour apprendre progressivement les rouages du mandat et pour que l’on soit bien préparée au final pour une représentation à l’international, car la COP est très compliquée, même après avoir discuté pendant un an avec des acteurs et actrices de la société civile. Dans ce cadre, je représentais la jeunesse francophone sur les questions climatiques. Mais la COP 26 a été la pointe la plus visible d’un iceberg, d’un engagement pour le climat qui s’est concrétisé principalement en Belgique depuis deux ans. Initialement, je devais participer à la COP en 2020, mais celle-ci a été reportée d’un an à cause de la pandémie. »

Êtes-vous nombreux à exercer ce mandat ?

Nadège Carlier : « J’ai une collègue flamande désignée par le Vlaams Jeugd Raad, l’équivalent flamand du Forum des jeunes. Nous étions donc deux à représenter les jeunes dans la délégation officielle. Nous étions les seules avec cette casquette officielle, à avoir des impératifs de mandats, mais il est évident qu’il y avait aussi des représentants et des représentantes de Youth for climate et d’autres organisations avec un rôle plus activiste, tout à fait nécessaire à mon humble avis. Il s’agit de porter notre cause sur plusieurs fronts, tant de façon institutionnelle que de façon militante. En outre, il y a plusieurs jeunesses et il n’y a pas nécessairement unanimité sur tous les sujets. La diversité des voix est importante, et ce sont parfois des équilibres délicats pour que chacun trouve sa place. »

En quoi consiste le Forum des jeunes ?

Nadège Carlier : « Le Forum des jeunes est l’organe d’avis officiel des jeunes en Fédération Wallonie-Bruxelles, anciennement nommé Conseil de la jeunesse. Celui-ci a été refondé complètement et est moins politisé qu’avant. Sa mission est d’informer, former et éduquer les jeunes sur une série de sujets, mais pas dans une dynamique top/down. Il s’agit en effet de projets pour les jeunes et par les jeunes, de créer une dynamique où les jeunes s’engagent, prennent position et s’organisent par eux-mêmes. Ils sont invités à amener leurs propres sujets et le Forum s’engage alors dans une mission de soutien. Le Forum est actif sur toute une série de sujets. Moi, je me suis engagée pour le climat, mais on y aborde aussi des thèmes comme le développement durable, l’environnement, le droit de vote, l’éducation, le confinement, l’égalité de genres, etc. Précisons que le public du Forum, ce sont les jeunes de 16 à 30 ans. »

Deviez-vous avoir une expertise particulière en climatologie, par exemple une formation de biologiste en sciences environnementales, pour être mandatée par le Forum des jeunes à la COP 26 ?

Nadège Carlier : « Je suis entrée au Forum des jeunes en postulant à ce mandat de déléguée ONU pour le climat. Je suis doctorante en sciences politiques et je considère que nous pouvons tous et toutes nous intéresser aux questions climatiques sans être ingénieur en biologie ou doctorante en sciences. Il y a assez d’informations dans des rapports comme ceux du GIEC pour se former et s’informer. Pour le climat, il y a même un enjeu capital à ne pas laisser seulement les ‘experts’ scientifiques en parler. Ce doit être un débat public sur nos modes de vie, de production et de consommation qui nous concerne tous et toutes. Il faut que ces matières soient traduites par et pour les citoyens, de façon critique, pour nourrir le débat politique. Je pense que les crises environnementales doivent être politisées. J’apprécie aussi d’avoir différentes facettes dans ma vie. Ma thèse ne porte pas sur les négociations climatiques à la COP ; elle concerne les projets transversaux et collaboratifs mis en place au niveau local. Et j’aime beaucoup voyager à différents niveaux politiques, celui de l’ONU comme celui de la commune. Typiquement avec les politiques environnementales et climatiques, il y a nécessité d’une approche plus transversale pour prendre des décisions en s’éloignant de logiques plus hiérarchiques ou par silos. J’étudie différentes communes en Europe, l’idée étant de voir ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, ce que ça change pour les fonctionnaires et si cela change les politiques… Quant à mon mémoire, il portait sur la gouvernance climatique belge, ce qui m’a bien servi dans mon mandat. Je m’étais intéressée au burden sharing de 2012 qui avait mis huit ans à être avalisé. »

Qu’entendez-vous par burden sharing ?

Nadège Carlier : « En gros, c’est le partage de l’effort ou de la charge en matière climatique et environnementale. Au niveau européen, il y a des objectifs climatiques qui ont été fixés, comme 55% en moins d’émissions de gaz à effets de serre d’ici 2030. Ensuite, comme il y a des pays qui ont plus de moyens que d’autres ou qui sont plus loin que d’autres dans leurs politiques de transition, il y a des discussions pour se répartir les efforts. La Belgique a reçu un objectif de diminuer de 47% les émissions de gaz à effets de serre d’ici 2030. Comme la Belgique est un état fédéral, cet objectif doit ensuite être réparti entre les différentes régions. En plus de cela, il y a le système ETS, le système d’échanges quotas carbone au niveau européen, à savoir que la Belgique reçoit de l’argent dans ce cadre et que celui-ci doit à nouveau être réparti. Ce sont des questions qui coincent. Cela a été le point de départ d’un mélodrame à la COP26 car la Flandre refuse de s’engager à aller plus loin que moins 40%, ce qui oblige les autres régions à faire plus pour atteindre l’objectif fixé à la Belgique. Mon mémoire portait sur ces questions lors de la COP précédente et on voit que ces problèmes se sont à nouveau posés. »

Comment avez-vous été sélectionnée pour représenter le Forum de la jeunesse ?

Nadège Carlier : « La sélection est organisée par le Forum des jeunes et se fait en plusieurs étapes. D’abord, l’envoi d’un CV, d’une lettre de motivation et les réponses à une série de questions. Ensuite, un test écrit sur des connaissances factuelles, mais aussi la rédaction d’un discours par exemple ainsi que d’autres mises en situation. Et enfin, un entretien oral avec ma prédécesseure, une représentante de la société civile climatique et la permanente du Forum des jeunes qui s’occupe de ces mandats. Il faut savoir qu’il y a aussi une sélection pour des délégués biodiversité et développement durable qui se rendent à d’autres sommets organisés par l’ONU. »

Où se situe le Forum des jeunes parmi les diverses associations de jeunes qui se mobilisent pour le climat ?

Nadège Carlier : « Le Forum des jeunes fait partie de la délégation officielle en tant que Party overflow. Cela signifie que nous avions accès à presque toutes les salles de négociations, la réunion quotidienne de la délégation, etc. Ceci dit, ‘overflow’ signifie que nous sommes ‘excédents’ et que nous cédons la priorité aux badges ‘Party’ tout court. Par exemple, nous n’avions pas accès à la réunion de coordination de l’Union européenne ni à des négociations en plus petits comités. Des militantes comme Anuna De Wever ou Adelaïde Charlier avaient aussi un badge de Party overflow, et donc accès à pas mal de réunions. Il faut savoir que les relations entre société civile et délégation belge évoluent d’un sommet à l’autre, notamment en fonction des représentants politiques, certains étant plus ouverts à la société civile que d’autres. Lors de cette COP26, on peut dire que les ministres et la délégation faisaient preuve d’une belle ouverture envers la société civile. »

En quoi consiste le job d’une représentante ONU du Forum des jeunes à une COP ?

Nadège Carlier : « Il y a un double volet : d’une part, faire du plaidoyer politique auprès de la délégation belge – et de la délégation européenne dans une moindre mesure. On a ainsi pu rencontrer Franz Timmermans, le premier ministre Alexander De Croo, les ministres Zakia Khattabi, Alain Maron et Philippe Henry, ainsi que certains présidents de parti. Nous étions avec la Coalition Climat qui chapeaute diverses associations en Belgique, tant francophones que flamandes, pour organiser, par exemple, les marches comme celle du 10 octobre 2021. Cette coalition regroupe des syndicats, des ONG nord-sud, des associations environnementales, de développement et de coopération. D’autre part, il s’agissait d’expliquer aux jeunes en Belgique ce qui se passait à la COP via les réseaux sociaux en décryptant et en vulgarisant les informations. »

Par rapport à la raison d’être de la COP, quels sont les éléments positifs que vous auriez envie de mettre en avant ?

Nadège Carlier : « D’une manière générale, la COP, c’est bien, mais pas assez. Tout est toujours en demi-teinte. D’un point de vue positif, on a mentionné pour la première fois la diminution des énergies fossiles dans l’accord final. Ce qui m’a choquée, c’est que ce point fasse encore débat. Le point négatif, c’est que l’on mentionne une diminution sans inscrire une vraie sortie des énergies fossiles. Le deuxième élément positif que je retiens, c’est précisément la participation des jeunes en tant que génération la plus affectée, porteuse de changements et en général plus sensibilisée à ces questions que les autres générations. Pour la première fois, cela a été clairement mentionné dans les accords finaux. Un autre constat positif que je tire de la COP, c’est sa dimension médiatique, ce momentum médiatique et politique qui permet à toute une série de voix de se faire entendre, ce qui n’est pas forcément le cas d’habitude. Je pense aux représentants de peuples indigènes, des îles Pacifique comme les îles Salomon, qui ont pu témoigner et défendre leurs positions. Par contre, j’ai été impressionnée de constater comme petits et grands pays n’ont pas les mêmes moyens, les mêmes leviers d’actions. L’ONU finance un minimum pour chaque délégation, genre un ou deux délégués, et le reste est financé par chaque pays. C’est ainsi que la Belgique avait une grosse délégation, d’autant que Glasgow n’est pas trop loin. D’autres pays comme les États-Unis ont des dizaines de négociateurs et négociatrices. Par contre, des pays du sud ont trois, quatre représentants. Il y a aussi toute la partie avec les pavillons comme celui du Bénélux ou de diverses associations où sont organisées des conférences notamment. Mais tous les pavillons n’ont pas la même taille : il y a un côté un peu exposition universelle, les plus voyants étant ceux du Qatar et de la Russie. On y voit de manière très concrète les inégalités d’accès. C’est vrai aussi pour la société civile. Des jeunes Belges, il y en avait beaucoup par rapport à l’Équateur par exemple. Paradoxalement, les pays qui sont les plus affectés par la crise climatique ont moins accès au sommet qui lui est consacré. »

Autre constat qui vous ait marquée ?

Nadège Carlier : « Je me suis rendu compte que la COP n’est pas une structure qui permettra de prendre des décisions radicales. On crée beaucoup trop d’attentes autour des COP. On entend souvent dire que c’est la COP de la dernière chance, mais une COP, c’est avant tout itératif et graduel dans le changement. Elle rassemble des états souverains qui ne vont pas s’imposer des contraintes excessives. Comme, en plus, les décisions se prennent par consensus, il ne faut pas s’attendre à des changements radicaux ou une révolution du système. Je crois par contre que ce serait pire si les COP n’existaient pas. Par contre, je ne crois pas que la crise climatique se résoudra par la technologie. Les innovations technologiques contribueront à des améliorations et j’encourage la recherche, mais le premier levier à mes yeux tient au changement de nos comportements de production et de consommation. J’ai été étonnée de constater à la COP combien le narratif autour de la technologie était encore très présent. Dès qu’on entrait dans le grand hall, on était accueilli par une voiture de course électrique ainsi qu’un avion électrique. Pour moi, on essaie de nous enfumer en nous suggérant que le secteur privé et la recherche vont nous apporter des sources d’énergie inépuisables. Pour moi, à long terme, cela ne suffira pas. »

Quelle solution voyez-vous dès lors ?

Nadège Carlier : « Je pense qu’il ne suffira pas d’un seul niveau de décision ou d’actions. Des changements radicaux peuvent avoir lieu au niveau local mais, à moins que ceux-ci ne se généralisent, se multiplient, des décisions doivent aussi être prises et activées à d’autres niveaux. Tous les moyens doivent être activés à tous les niveaux. Cela m’a frappée comme les choses bougent en Belgique parce qu’il y a la pression de la rue avec les marches pour le climat mais aussi celle de la COP, notamment à un niveau médiatique. La pression doit venir du bas et du haut. »

Et depuis votre retour de Glasgow, que s’est-il passé pour vous ?

Nadège Carlier : « On a créé un événement avec le Forum des jeunes pour décrypter cette COP et nous avons partagé sur les réseaux sociaux. Je poursuis le suivi des dossiers que j’avais entamés l’an dernier, notamment sur l’alimentation durable au niveau belge et européen, en particulier la PAC en Wallonie. L’alimentation durable est un levier de changement important car elle est au carrefour de tellement de réalités du quotidien des gens en termes de biodiversité, de climat, de santé publique, de justice sociale, d’économie… Aborder l’alimentation, c’est aborder des enjeux globaux. Sinon, j’arrive à la fin de mon mandat et ma successeuse va reprendre le flambeau. »


Le monde d’après

Pierre Larrouturou

Vidéo – 27 minutes

Il est l’une de ces personnalités qui luttent quotidiennement avec acharnement en faveur d’un avenir compatible avec les contraintes environnementales et climatiques.

Socialement très engagé, pointu quant à ses propositions économiques, n’hésitant pas à s’engager personnellement, Pierre Larrouturou fait – dans cet entretien – le tour des enjeux actuels.

Climat, Covid, système économique, Europe, énergies, ressources, avenir, … « Le monde d’après » se regarde une première fois globalement, avant d’y revenir thématique par thématique.

Merci à Frédéric Muhl pour cette vidéo passionnante.


Économique ou social, faut-il choisir ?

Témoignage : Céline Nieuwenhuys

La pandémie qui nous accompagne depuis le début de l’année 2020 a tragiquement bousculé bien des vies, secoué des pans entiers de l’organisation sociale, plombé l’économie.

Les familles endeuillées. Les malades, les médecins et le système de santé. Les allocataires sociaux et les plus précarisés. Le monde de la culture dans sa globalité. Les familles, les jeunes, étudiants ou non. Les indépendants et le petit commerce. L’enseignement, le sport. Les entreprises et les travailleurs… La liste semble pouvoir s’allonger sans fin.

Ce que l’on appelle la « crise sanitaire » est sans doute bien plus que cela. Toute la société en est impactée. N’est-ce qu’une crise, d’ailleurs ?

Céline Nieuwenhuys – secrétaire nationale de la fédération des services sociaux
nous permet d’entrevoir comment se vit la gestion de la covid au sein des sénacles où se confrontent politiques et experts.

Acceptant en quelques instants la tâche de représenter un secteur dont la culture, les pensées, les intérêts sont à l’antipode des lobbys économiques, elle sera confrontée à une expérience qu’elle nous partage dans un entretien fort, riche en informations.

La vidéo ci-dessous montre la dureté des confrontations d’intérêts, l’absolue méconnaissance du vécu des plus fragiles, certains mécanismes de la machine politique, la puissance du lobbying productiviste.

Et aussi : la complexité des débats ; l’importance d’être représenté par des personnes compétentes ; la richesse humaine de celles et ceux qui travaillent dans le secteur social.

Merci à Céline Nieuwenhuys pour ce témoignage publié sur https://zintv.org/outil/abecedaire/

Durée : 30 minutes.