Luttes paysannes

Rencontre entre monde paysan et autres acteurs de la société civile

Nadia Ruchard & Serge Lenaerts

Ma compagne et moi avons une petite boutique bio depuis 2002. Nous y proposons des vêtements, de l’alimentation et de l’artisanat local ou du sud. Le 25 janvier dernier, nous avons participé à une rencontre entre des acteurs du monde paysan et d’autres acteurs de la société civile. Nous avons envoyé aux personnes de nos réseaux, aux client·es de notre magasin, un résumé de cette rencontre. Nous avons contacté quelques magasins bio que nous connaissons pour leur demander de relayer l’information auprès de leur client·es également. Trois d’entre eux l’ont déjà fait. Le résumé que nous avons envoyé se trouve ci-dessous.

Nous avons déjà eu des retours très positifs.

Ce résumé ne reprend pas que des sujets abordés lors de la soirée. Nous avons repris des éléments qui sont communs à l’ensemble des mouvements de luttes paysannes, et également des témoignages de paysans.

Nous allons encore essayer de contacter d’autres magasins bio et d’autres coopératives. Déplaçons la fenêtre d’Overton!

Voici le résumé que nous avons envoyé, avec des éléments supplémentaires pour que celui-ci puisse s’adresser à un public plus large que celui des clients de magasin bio:

« Bonjour à toutes et à tous,

  1. Le monde paysan se mobilise! Le 25 janvier dernier, nous avons participé à une rencontre entre des acteurs du monde paysan (paysans, fédérations, associations…) et d’autres acteurs de la société civile: mouvements écologistes de désobéissance civile, acteurs du commerce alternatif, élus, citoyens et non-citoyens engagés, membres de coopératives alimentaires, associations de lutte contre la précarité alimentaire, collectifs d’interpellation pour la sécurité alimentaire.
  2. Nous vous avons rédigé un résumé de cette rencontre. Nous avons essayé de reprendre tous les points importants pour bien comprendre les enjeux de la mobilisation paysanne actuelle. Nous pensons qu’il est important de vous partager les informations et les demandes auprès de la société civile, issus de cette rencontre.

Les revendications:

  • Stop aux accords de libre-échange et au traité UE-MERCOSUR
  • Des prix justes pour les productions agricoles et pour tous les agriculteur·trice·s
  • Stop aux incohérences des politiques européennes

Les faits:

Ce sont principalement les petites et moyennes fermes qui sont victimes de la globalisation et de l’ultra-libéralisme. Ceci entraîne l’arrivée en Europe d’aliments qui peuvent être vendus moins chers que ceux produits par ces fermes car ils n’ont pas été produits avec des normes aussi strictes qu’en Europe. De plus, elles subissent la pression de la grande distribution qui leur impose un prix d’achat qui ne leur permet plus de couvrir l’augmentation des frais de production suite aux différentes « crises ».

Ces « crises » ont également eu pour impact la diminution de la part consacrée à l’alimentation dans le budget des familles. Puisque à récolte égale, les paysans ont de moins en moins de revenus, ceux-ci doivent produire de plus en plus pour garder le même revenu. Cela est très difficile sans l’utilisation de pesticides et sans mécanisation. D’où, même s’il y a une volonté de la part des paysans de passer en agro-écologie, dans la réalité cela est quasi impossible.

Certains paysans qui pratiquent la culture bio commencent à avoir de plus en plus de difficultés de ne pas vendre une partie de leur production à la grande distribution pour avoir suffisamment de revenus. Certains d’entre-eux ont déjà dû vendre une grande partie de leur récolte à la grande distribution pour pouvoir continuer leur activité.

Une autre revendication des paysans est la diminution de la charge administrative. Celle-ci augmente constamment et prend beaucoup trop de temps par rapport à celui qui devrait être consacré à leur activité. Ce problème atteint quasi tous les métiers. Celui-ci est dû en grande partie à la numérisation, à l’utilisation de technologies de plus en plus complexes et à une volonté d’hyper contrôle de la part des Etats.

Les paysans dénoncent également une injustice dans le système d’attribution des subsides de la PAC qui favorise les grandes exploitations au détriment des plus petites.

Enfin, c’est surtout un manque de sens et de reconnaissance qui conduit parfois jusqu’au suicide. Les paysans les plus mécanisés qui utilisent des hautes technologies, expriment une perte de sens dans ce qu’ils font. Ils constatent qu’ils deviennent de plus en plus un simple rouage au sein d’une méga machine industrielle et qu’ils perdent même petit à petit le contact avec la terre.

Les demandes auprès de la société civile:

Ces acteurs du monde paysans demandent à la société civile de soutenir les petites et moyennes fermes. Et ce peu importe si elles utilisent ou non l’agroécologie comme moyens de production. Celles-ci sont toutes menacées par les méga-fermes-usines de l’agro-industrie transnationale.

Différents moyens de soutien ont été évoqués. En tant que « mangeur·euse·s » d’aliments issus du travail de la terre et en tant qu’utilisateur·trice·s d’objets faits à partir de matières naturelles, qu’ils proviennent du Nord ou du Sud, nous avons le pouvoir d’aider les paysans à se convertir à l’agroécologie.

D’une part, en augmentant de façon conséquente notre part du budget familial consacré à l’alimentation locale, de saison et issus de l’agroécologie (les personnes précarisées devraient recevoir des aides leur permettant d’acheter spécifiquement des aliments issus de l’agroécologie). Ceci permettrait aux paysans d’avoir un revenu qui leur permettrait de vivre de leur production, en produisant des aliments goûtus, bons pour la santé et qui respectent la vie.

Et d’autre part, en prenant une part active dans des actions de légitime défense civile de masse, comme par exemple le démantèlement d’entreprises « illégales » ou des occupations de terres en relais sur une longue durée. Ces entreprises en question peuvent être considérées comme « illégales » dans le sens où celles-ci ont une puissance financière telle qu’elles peuvent se permettre d’être au-dessus des lois. Le corollaire est que ces entreprises s’autorisent elles-mêmes à ne pas respecter les droits humains, ni la vie dans son ensemble.

Celles-ci s’accaparent également des terres cultivables à des prix qu’aucun jeune paysan ne pourrait proposer pour un rachat de terres. Dans le pire des cas, cette puissance financière permet à ces entreprises de convertir par la corruption des terres cultivables fertiles ou des territoires sauvages en terrains destinées à la bétonisation.

Soutenons donc les paysans et les petits producteurs, autant que nous le pouvons, par des achats conscients: locaux, sains, au prix juste et qui respectent la vie!

En tant que cliente, client, coopératrice, coopérateur, responsable de magasin ou de coopérative, mais aussi par le simple fait que nous devons toutes et tous manger et que nous dépendons toutes et tous en partie ou totalement du travail des paysans, défendons-les, mobilisons-nous, engageons-nous, indignons-nous, défendons-nous, démantelons, désarmons et résistons aux méga-fermes-usines de l’agro-industrie transnationale.

Soyons solidaires et œuvrons ensemble pour une société plus juste et pour un monde où nos enfants et descendants seront heureux de vivre !

N’hésitez-pas à partager ! »



Le passage à des systèmes alimentaires durables pourrait rapporter 10 000 milliards de dollars par an

Selon les chercheurs, la production actuelle détruit plus de valeur qu’elle n’en crée en raison des coûts médicaux et environnementaux.

Jonathan Watts

Deepltraduction Josette – The Guardian

Une transition vers un système alimentaire mondial plus durable pourrait générer jusqu’à 10 000 milliards de dollars de bénéfices par an, améliorer la santé humaine et atténuer la crise climatique, selon l’étude économique la plus complète de ce type.

L’étude révèle que les systèmes alimentaires actuels détruisent plus de valeur qu’ils n’en créent en raison des coûts environnementaux et médicaux cachés, ce qui revient à emprunter sur l’avenir pour engranger des bénéfices aujourd’hui.

Les systèmes alimentaires sont à l’origine d’un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ce qui laisse présager un réchauffement de 2,7 °C d’ici la fin du siècle. Cela crée un cercle vicieux, car la hausse des températures entraîne des conditions météorologiques plus extrêmes et des dégâts plus importants sur les récoltes.

L’insécurité alimentaire pèse également sur les systèmes médicaux. L’étude prévoit qu’en cas de statu quo, 640 millions de personnes souffriront d’insuffisance pondérale d’ici à 2050, tandis que l’obésité augmentera de 70 %.

Selon l’équipe internationale à l’origine de l’étude, réorienter le système alimentaire serait un défi politique, mais apporterait d’énormes avantages économiques et sociaux. Cette étude se veut l’équivalent alimentaire du rapport Stern, l’examen des coûts du changement climatique réalisé en 2006.

Johan Rockström (*), de l’Institut de recherche sur l’impact du climat de Potsdam et l’un des auteurs de l’étude, a déclaré : « Le système alimentaire mondial tient l’avenir de l’humanité sur Terre entre ses mains ».

L’étude propose de réorienter les subventions et les incitations fiscales au détriment des grandes monocultures destructrices qui reposent sur les engrais, les pesticides et le défrichement des forêts. Les incitations financières devraient plutôt être orientées vers les petits exploitants qui pourraient transformer leurs fermes en puits de carbone et laisser plus d’espace à la faune et à la flore.

Un changement de régime alimentaire est un autre élément clé, de même que l’investissement dans des technologies permettant d’améliorer l’efficacité et de réduire les émissions.

Selon le rapport, la diminution de l’insécurité alimentaire permettrait d’éradiquer la sous-nutrition d’ici à 2050, de réduire de 174 millions le nombre de décès prématurés et de permettre à 400 millions de travailleurs agricoles de gagner un revenu suffisant. La transition proposée permettrait de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et de réduire de moitié les écoulements d’azote provenant de l’agriculture.

Dans l’ensemble, ils estiment que les coûts de la transformation se situe entre 0,2 % et 0,4 % du PIB mondial par an.

Lors de leurs premières recherches, Rockström et ses collègues ont constaté que l’alimentation était le plus grand secteur de l’économie à enfreindre les limites planétaires. Outre son impact sur le climat, l’alimentation est l’un des principaux moteurs du changement d’affectation des sols et du déclin de la biodiversité, et elle est responsable de 70 % de l’épuisement des ressources en eau douce.

Le rapport a été rédigé par la Commission sur l’économie du système alimentaire, formée par l’Institut de Potsdam, la Coalition pour l’alimentation et l’utilisation des terres et l’EAT, une coalition holistique du système alimentaire composée du Centre de résilience de Stockholm, du Wellcome Trust et de la Fondation Strawberry. Les partenaires universitaires comprennent l’Université d’Oxford et la London School of Economics.

Elle a estimé les coûts cachés de l’alimentation, notamment le changement climatique, la santé humaine, la nutrition et les ressources naturelles, à 15 000 milliards de dollars, et a créé un nouveau modèle pour prévoir l’évolution de ces coûts cachés dans le temps, en fonction de la capacité de l’humanité à changer. Leurs calculs sont conformes à un rapport publié l’année dernière par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, qui estimait les coûts agroalimentaires non comptabilisés à plus de 10 000 milliards de dollars à l’échelle mondiale en 2020.

Steven Lord, de l’Institut du changement environnemental de l’Université d’Oxford, a déclaré dans un communiqué : « Cette analyse chiffre pour la première fois l’opportunité économique régionale et mondiale que représente la transformation des systèmes alimentaires. Même si elle n’est pas facile, cette transformation est abordable à l’échelle mondiale et les coûts qui s’accumuleront à l’avenir si l’on ne fait rien représentent un risque économique considérable ».


De nombreuses autres études ont démontré les avantages pour la santé et le climat d’un passage à une alimentation à base de végétaux. Un rapport publié l’année dernière par l’Observatoire du climat note que l’industrie brésilienne du bœuf – et la déforestation qui en découle – a aujourd’hui une empreinte carbone plus importante que l’ensemble des voitures, usines, climatiseurs, gadgets électriques et autres sources d’émissions au Japon.

La nouvelle étude n’est pas prescriptive en ce qui concerne le végétarisme, mais M. Rockström a déclaré que la demande de bœuf et de la plupart des autres viandes diminuerait si les coûts cachés liés à la santé et à l’environnement étaient inclus dans le prix.

Nicholas Stern, président de l’Institut de recherche Grantham sur le changement climatique et l’environnement de la London School of Economics, s’est félicité de cette étude : « L’économie du système alimentaire actuel est malheureusement un échec irrémédiable. Ses « coûts cachés » nuisent à notre santé et dégradent notre planète, tout en aggravant les inégalités mondiales. Il sera essentiel de modifier nos modes de production et de consommation alimentaires pour lutter contre le changement climatique, protéger la biodiversité et construire un avenir meilleur. Il est temps d’opérer un changement radical. »

Le principal défi de la transition alimentaire proposée est l’augmentation du coût des denrées alimentaires. Selon M. Rockström, il faudra faire preuve de dextérité politique et soutenir les couches défavorisées de la société, faute de quoi des manifestations pourraient avoir lieu, à l’instar de celles des gilets jaunes qui se sont déroulées en France à la suite de l’augmentation du prix de l’essence.

Christiana Figueres, ancienne secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, a souligné le caractère prospectif du rapport : « Cette recherche prouve qu’une réalité différente est possible et nous montre ce qu’il faudrait faire pour que le système alimentaire devienne un puits de carbone net d’ici à 2040. Cette opportunité devrait attirer l’attention de tout responsable politique désireux d’assurer un avenir plus sain à la planète et à ses habitants ».


J’en ai marre de recevoir des leçons

par Philippe DEFEYT, économiste et ancien parlementaire fédéral
31 janvier 2024

Réagissant à la présence de viandes de toutes origines dans les grandes surfaces, un ministre régional wallon vient de déclarer ceci, : « On m’a rapporté les faits et cela montre qu’il y a encore du boulot. Cela me renforce dans le fait qu’il faut un contrôle effectif de l’entrée de produits sur notre marché. Il faut une démarche qui permette de privilégier les produits européens mais il faut aussi que les commerces fassent le choix de la proximité. Je comprends l’éleveur qui habite à un jet de pierre de lieux de distribution et qui voit que la viande a traversé la moitié de la planète pour arriver jusqu’ici. C’est un non-sens d’un point de vue économique et environnemental. » C’est cette analyse qui l’amènerait à refuser (à vérifier le moment venu) le projet de Traité Mercosur.

Fort bien, qui s’opposerait à cela…, surtout pour le moment. Mais cette attitude, tout d’un coup fort répandue dans le monde politique, ne peut exonérer la quasi-totalité des parlementaires, fédéraux et européens, de leur responsabilité historique en votant des textes essentiels qui ont crée les conditions du désastre agricole et alimentaire.

On peut, par exemple, rappeler qui a voté pour (CDH et MR) et contre (ECOLO et PS) la dernière réforme de la PAC adoptée par le Parlement européen en novembre 2021. Mais il faut remonter plus loin pour trouver les racines profondes des difficultés et absurdités d’aujourd’hui.

La législature 1991-1995 du Parlement fédéral a eu à voter sur des textes majeurs, constitutifs du contexte et des règles dans lequel s’opèrent les échanges économiques aujourd’hui : le Traité de Maastricht, l’Accord instituant l’Organisation mondiale du Commerce et l’Accord sur les marchés publics. Dans les trois cas, seule la famille écologiste a voté contre, avec une argumentation transversale : ces trois textes ne permettaient pas de jouer à « armes égales » et de trouver un bon équilibre entre le social, l’économique et la vie sur terre.

Sur les textes concernant l’agriculture et le commerce de produits agricoles, il est intéressant de relire les travaux parlementaires. Extrayons ceci du rapport de la commission des relations extérieures du 20 décembre 1994.

  1. Refus de la majorité d’auditionner le ministre de l’agriculture sur le dossier agricole en général, les hormones BST et le Codex alimentaire et son application à des législations existantes ou en devenir, audition demandée par un parlementaire écologiste.
  2. Une écologiste flamande disait ceci : « Fondamentalement, rien ne change, au contraire : les denrées alimentaires continueront d’être commercialisées sur le marché international à des prix de dumping, avec toutes les conséquences qui en découleront. Des fonds publics continueront donc d’être employés pour subventionner l’achat de denrées alimentaires, mais d’une manière indirecte, en soutenant le revenu des agriculteurs. Il est faux de penser que cette baisse des prix profitera au consommateur européen : la distance entre le consommateur et le producteur est devenue telle que cette baisse n’aura aucune influence sur le prix demandé en magasin. »
  3. La même parlementaire, s’exprimant au nom du groupe commun ECOLO-Agalev (aujourd’hui Groen) proposait sa vision d’un accord alternatif
  • « Intégration régionale au lieu de l’intégration totale. Les denrées alimentaires sont d’une importance tellement capitale que les régions qui constituent une unité sur le plan géographique, économique, politique ou culturel devraient pouvoir assurer leur propre production de denrées alimentaires. Cela signifie qu’il doit être possible de protéger les marchés de denrées alimentaires. (…)
  • Le commerce mondial doit être régi par des règles et des conventions internationales fondées sur des critères écologiques et sociaux. Cet aspect est d’une importance incontestable en ce qui concerne les produits agricoles. Cela signifie que l’importation de produits ne serait possible que si des prix normaux étaient versés aux producteurs et si les denrées étaient produites dans des conditions acceptables. (…) »

« Les accords du GATT représentent un recul dans la recherche d’une société plus juste. » concluait-elle.

N’ayant reçu aucune réponse rassurante, impossible à donner d’ailleurs, le groupe ECOLO-Agalev a voté contre ces textes. Dans les partis politiques traditionnels, seul Daniel Ducarme (PRL) s’est, courageusement (il m’a fait part des pressions subies), abstenu sur les questions agricoles, pour des arguments proches de ceux des écologistes.

Je n’ai jamais regretté mes votes. J’en ai donc marre d’entendre les critiques, implicites ou explicites, sur les écologistes et leur intransigeance, leur dogmatisme, leur manque de connaissance des réalités, etc., etc. Je n’ai plus de responsabilités politiques et ne suis pas attaqué personnellement, mais je vis très mal ces leçons données par ceux qui essaient aujourd’hui de réparer un système qu’ils ont consciemment contribué à mettre en place.

Pas d’ambiguïté cependant : ces prises de positions n’ont jamais visé à fermer les frontières. L’économiste que je suis voit des vertus à des échanges internationaux à condition qu’ils reposent sur des règles économiquement et socialement équitables et protègent notre bien commun qu’est la planète.



Qui mangera quoi demain ? Qui le produira ?

Raphaël Goblet

Eco-Conseiller chez Les Joyeux Résistants ; Administrateur de L’Ardoise, Monnaie Locale ; Animateur & Conférencier ; Organisateur d’événements ; Auteur, compositeur, interprète.

Voici un petit compte-rendu complet de nos deux journées de travail avec L’Atelier Paysan ces 8&9 décembre derniers à Neufchâteau: Qui Mangera Quoi Demain, Qui le Produira ? Je vous ai concocté un petit concentré de ce que nous y avons (ré)appris, les processus en jeu, la méthode employée et les résultats obtenus ! Ce fut jouissif, mais le meilleur reste à venir !

Retour sur deux journées de travaux et de rencontres entre producteurs, consommateurs, acteurs sociaux, les 8 et 9 décembre 2023 à Neufchâteau[1].

Après un premier succès en 2022 avec la venue du systémicien Arthur Keller pour deux jours de réflexion autour de la résilience alimentaire territoriale[2], le collectif organisateur s’est élargi pour proposer deux journées de travail concret sur l’alimentation avec L’Atelier Paysan [3] comme intervenant principal.

Auteur de « Reprendre la Terre aux Machines, manifeste pour une autonomie paysanne et alimentaire » (Seuil)[4], l’Atelier Paysan se définit comme « une coopérative d’intérêt collectif à majorité paysanne, qui œuvre à la généralisation d’une agroécologie paysanne, pour un changement de modèle agricole et alimentaire radical et nécessaire ». Un programme plutôt ambitieux ! D’autant que mobiliser suffisamment de personnes (producteurs, citoyens, collectifs, associations, travailleurs sociaux, …) pendant deux journées n’est pas une sinécure ! Mais les 11 membres du collectif et les 6 citoyen.ne.s du groupe organisateur ont plus d’un tour dans leur sac, et après 8 mois de travail, ce sont plus de 80 personnes issues d’horizons, d’âges, de régions très diversifiées (un quart de producteurs, un quart de représentants d’associations et collectifs, et une moitié de citoyen.ne.s soucieux de l’avenir de leur alimentation) qui ont participé à ce défi avec la promesse qu’il ne s’agisse pas d’une énième rencontre intéressante, certes, mais stérile.

Photo : Le collectif organisateur & les animateurs de l’Atelier Paysan

L’engagement ? Nous ne nous quitterons pas sans avoir compris la nature profonde des enjeux et pris rendez-vous pour mettre en œuvre et réaliser des projets concrets qui répondent à ces défis fondamentaux. Un pari audacieux, certes, mais qui sera couronné de succès !

Retour sur un processus de réflexion et de création collective.

Comprendre avant de se lancer

La première journée était dédiée à l’exploration des enjeux de la production de nourriture et les questions d’alimentation, sous la verve habile d’Hugo Persillet et Arina Susa, de l’Atelier Paysan. Des exposés percutants, touchants, et surtout donnant de sacrés coups de pieds dans la fourmilière de nos idées reçues.

Il s’agissait de commencer par comprendre que les producteurs, éleveurs, agriculteurs, maraîchers, peu importe leur manière de travailler et leur filière, sont piégés de la même façon par un système agro-industriel qui tend à les dépouiller du sens (et du produit) de leur travail.

En aval, ils sont pieds et poings liés par une industrie de collecte, de transformation et de distribution qui les relèguent à de simples « producteurs de minerai » dont ils n’ont pas à se poser la question de la destination : de nourriciers du monde, ils ne sont plus qu’un fournisseur de matières premières parmi d’autres.

En amont, ils sont liés (souvent par les mêmes groupes industriels qu’en aval) pour la quasi-totalité de leurs ressources et intrants : des semences aux engrais en passant par la grande famille des -cides, les producteurs sont devenus des exécutants de tâches prédéfinies par les besoins de l’agro-industrie, perdant par la même occasion toute souveraineté économique, maîtrise de leurs pratiques et de leur éthique : pressés comme des citrons entre  ces deux flux opiniâtres et sans pitié, très peu d’entre eux peuvent encore dire qu’ils vivent de leur travail sans affronter des fins de mois pour le moins très compliquées. Pour les conglomérats en amont et en aval, par contre, pas de souci à se faire : les dividendes pleuvent plus fort chaque année.

Le but de ce système agro-industriel ? Faire baisser un maximum les prix des denrées alimentaires, afin de libérer une part croissante du budget des ménages pour les allouer à d’autres postes. Il est « amusant » de noter que la courbe de l’augmentation des loyers suit de manière exactement inverse la courbe de la baisse du prix de la nourriture, par exemple[5]. Le constat du prix anormalement bas de la nourriture agro-industrielle est d’ailleurs une vraie question : une nourriture respectueuse du sol, du vivant en général, et des êtres humains en particulier ne peut rivaliser au niveau de son coût avec les denrées issues du système « conventionnel » : dès lors il faudra peut-être reparler du vrai prix de la nourriture, qui ne pourra s’assumer qu’en réaugmentant la part financière que les ménages allouent à ce poste, au détriment d’autres choses… et en instaurant idéalement une réelle sécurité sociale alimentaire (nous y reviendrons plus loin).

Certes, le prix du ticket de caisse de l’alimentation produite par l’agro-industrie n’inclut pas ses « externalités négatives » (et il n’est pas près de le faire), dont les dépenses en matière de santé publique : une nourriture de moins bonne qualité, tant gustative que nutritionnelle ne permet plus aux populations d’être correctement nourries (apparition de maladies liées aux carences alimentaires, par exemple). Passons sur le trop gras, trop sucré, trop salé généralisé (diabète, obésité, …), ajoutons les résidus de pesticides ingérés, les eaux polluées aux nitrates et phosphates, et pensons aux producteurs eux-mêmes qui sont en toute première ligne face aux produits phytos qui leur détruisent la santé. Il est évident qu’aucun d’entre eux ne se lève le matin tout réjoui d’aller épandre de la chimie de synthèse sur ses terres : ils sont tout simplement pris au piège, avec peu d’espoir d’en sortir la tête haute, quand ils ne sont pas éreintés au point de ne même plus se poser de questions, avec la série de dénis (climatiques & idéologiques principalement) qui peuvent aller avec.

Photo : Des exposés en grand groupe impactants et mobilisants par Hugo Persillet

Ajoutons les aides de la PAC, qui ne figurent pas non plus sur la facture au consommateur, mais qu’il paye pourtant de manière indirecte via ses impôts. Il n’inclut pas non plus la casse sociale générée par ce système, ni le mal-être flagrant des producteurs.

Enfin, on peut ajouter la facture énergétique (le plus souvent de l’énergie fossile : pétrole pour la plupart des machines, gaz pour les engrais, …) et environnementale qui ne devrait même plus faire débat : nous le savons, l’agriculture, comme tous les autres pans de nos sociétés, doit se remettre en question si nous désirons éviter d’hypothéquer les conditions mêmes de survie des espèces actuelles, humains inclus.

Ne pas opposer, mais rassembler autour d’une cible commune.

Une chose est très claire, il est contre-productif de fustiger les producteurs, de viser personnellement les femmes et les hommes qui travaillent la terre, pilotent des machines ou gèrent des exploitations. Au contraire, identifier un « ennemi commun », définir une cause commune à toutes et tous peut permettre de rassembler, plutôt que diviser : c’est déjà un défi en soi ! Mais un défi salvateur.

En attendant, reconnaissons-le, toute une série d’initiatives, de manières de faire, de techniques moins gourmandes en intrants, moins polluantes, plus respectueuses du vivant, du sol, de l’eau, des humains et non-humains voient le jour, en réponse à une prise de conscience profonde de nombreux producteurs et consommateurs. En circuit court bien sûr, avec souvent un impératif de transformation et vente directe pour assurer la rentabilité minimale nécessaire à la pérennisation de l’activité.

Cessons d’être inoffensifs…

« Croire, ou faire croire, qu’une multitude d’initiatives, aussi disruptives ou subversives soient-elles, vont pouvoir faire pencher la balance vers une autre agriculture globale relève de la fable. »

Ces alternatives sont motivantes, innovantes, prometteuses, mais bien qu’on nous laisse à penser que ces modes de production deviennent petit à petit la norme, ou se développement massivement, ils restent totalement inoffensifs pour le système agro-industriel, quand ils ne le renforcent pas carrément : la bio, le labellisé du terroir, le « producteur local » font un complément d’offre parfait pour la clientèle aisée du supermarché. Depuis les années 80, par exemple on parle d’une progression du bio de 300%[6], mais dans le même temps, une progression dans des proportions comparables est constatée sur les ventes de pesticides et engrais artificiels[7], qui jouent eux à une tout autre échelle !

Croire, ou faire croire, qu’une multitude d’initiatives, aussi disruptives ou subversives soient-elles, vont pouvoir faire pencher la balance vers une autre agriculture globale relève de la fable : cela n’arrivera pas. Groupes d’achats communs, jardins partagés, réseaux d’achats paysans, épiceries locales sont autant de projets jubilatoires qui vont dans le bon sens, mais ils n’ont aucune chance de renverser un système globalisé, robuste, où trop d’acteurs ont trop d’intérêts. Du moins si on en reste là.

Les 3 piliers de la transformation sociale.

Car nous avons besoin d’une profonde et réelle transformation socio-économique, sur la quasi-totalité des aspects de notre vivre ensemble.

Nous devons travailler collectivement deux autres angles d’attaque que nous avons tendance à oublier, tant l’urgence peut nous presser à développer des solutions pratiques : toutes les transformations sociales qui ont abouti dans l’histoire comportaient trois piliers, complémentaires et indispensables. Le premier étant la construction d’alternatives crédibles, opérables, efficaces, prêtes à prendre le relais. C’est ce que nous avons fait presque exclusivement pendant les dernières décennies : nous ne devons certainement pas laisser tomber cette démarche, et continuer à la développer encore et encore !

Le second pilier consiste à travailler les rapports de force : le déséquilibre est tel que la puissance et la force de frappe est très nettement en faveur du système agro-industriel. Nous regrouper (fédérations, syndicats, collectifs, …), pratiquer un lobbyisme assumé, repolitiser le sujet, ne pas hésiter à aller au front, de toutes les manières possibles, saboter, empêcher, confisquer, « ZAD partout », … tout est bon pour rééquilibrer la balance au maximum.

Nous aurons beau avoir les meilleures idées concernant les manières de produire de quoi manger, scientifiquement et empiriquement démontrées, si nous ne sommes pas capables de rivaliser massivement avec le système agro-industriel, celui-ci ne changera pas pour nos beaux yeux ou pour préserver l’environnement et le vivant (si non, cela aurait déjà eu lieu !).

« Si nous ne sommes pas capables de rivaliser massivement avec le système agro-industriel, celui-ci ne changera pas pour nos beaux yeux ou pour préserver l’environnement et le vivant. »

Vient enfin l’éducation populaire et permanente : il nous faut aménager des espaces sûrs, dédiés, où l’on peut se retrouver, réfléchir, apprendre, développer une pensée critique sur les circonstances et les processus, identifier les acteurs (tant nos alliés que les autres). Sans permettre les conditions de la construction d’un savoir autogénéré par les premiers concernés (à priori : toute personne soucieuse de produire et manger mieux), nous ne pourrons ni développer des alternatives suffisamment solides ni des rapports de force à notre avantage.

Complémentarité plutôt que rivalité !

Bien entendu, impossible pour chaque individu de se consacrer aux 3 piliers : nous avons tous nos propres appétences, préférences, connaissances, compétences, les journées ne sont pas près de faire plus de 24h et le quotidien a une fâcheuse tendance à se rappeler intempestivement à chacun d’entre nous. Non, l’idée n’est pas d’être sur tous les fronts à la fois, mais à minima de ne pas les opposer. On peut être séduit ou non par les activistes (les terribles écoterroristes diraient certains) et leurs actions coup de poing, ils participent néanmoins au changement de rapports de force. On peut penser que prendre le temps de s’asseoir autour d’une table et discuter soit improductif ou en tout cas pas assez rapide, nous ne rallierons pas durablement des forces vives si elles n’ont pas pu prendre le temps de se convaincre intimement de la nécessité de proposer des alternatives ou de s’opposer frontalement aux règles imposées par un système prétendument tout-puissant. On peut croire que l’association qui pratique l’agroécologie à très petite échelle serait tout de même bien plus utile en manif, il n’en reste pas moins qu’elle participe à la co-construction et la (re)découverte d’un savoir et d’un savoir-faire qui risquent d’être plus que bienvenus quand il faudra commencer à prendre le relais de l’agro-industrie pour nourrir une part croissante de la population.

C’est donc bien un triptyque qu’il nous faut déployer, forcément de manière collective. Nous devons créer des ponts entre les piliers, nous encourager et nous soutenir mutuellement plutôt que de se tirer dans les pattes en pensant avoir trouvé « LE » seul moyen d’action efficace. L’histoire nous a montré que quand les étoiles sont alignées et que vient le moment de tester concrètement le rapport de force (ce moment arrive rarement à l’initiative de la minorité qui veut le changement, mais survient souvent quand le système dominant commence à faillir ou quand il va trop loin), il faut être capable de proposer immédiatement des alternatives, qui soient crédibles et déjà éprouvées, portées par un réseau d’individus et de collectivités profondément encapacités à conduire, gérer, transposer et déployer ces alternatives. Sans un projet solide comme contre-proposition, la transformation sociale a toutes les chances d’échouer à l’issue des affrontements (on ne se met pas à réfléchir en pleine bataille), et peut même laisser le champ libre à des projets pires et moins démocratiques encore, mortifères et liberticides : l’histoire regorge d’exemples et les tournants politiques que prennent de nombreuses régions du monde actuellement résonnent comme des avertissements glaçants.

Voilà pour les premiers constats. Effrayants. Désarmants. Mais aussi puissamment remotivants : passé l’effroi, c’est l’envie (la nécessité ?) de se jeter dans l’arène qui prend le pas !

Photo : Réflexions et sentiments restitués en grand groupe

Produire, c’est une chose. Comment on se nourrit en est une autre…

Passé le temps nécessaire à digérer tout cela (ainsi qu’un excellent buffet communautaire à partager, préparé par les participants eux-mêmes), les premiers échanges en groupes débutent autour de trois thèmes liés à l’alimentation (qui est le pendant complémentaire de la production) : la violence alimentaire sous toutes ses formes (tant pour les producteurs que les consommateurs, et spécifiquement les mangeurs déjà précarisés), sur base d’un extrait vidéo d’une interview de Bénédicte Bonzi[8] ; un recensement des initiatives existantes pour contrer la précarité alimentaire (précarité qui, avec la pauvreté en générale, est un sous-produit inhérent au système agro-industriel lui-même : il s’agit d’un « dommage collatéral » au mieux, d’une intention consciente au pire) ; et un travail sur la notion de la SSA : la sécurité sociale alimentaire, qui part du constat qu’une part croissante de la population connaît des difficultés financières pour s’alimenter, et en tout cas n’a pas accès à un choix d’aliments réellement sains.

La Sécurité Sociale Alimentaire (SSA) comme arme de réappropriation massive.

Déjà en test dans plusieurs grandes villes de France, et pointant timidement le bout de son nez en Belgique, la SSA consiste à assurer à toutes et tous un minimum d’accès à une production alimentaire correcte tant du point de vue nutritionnel que de la préservation de notre planète. Pour résumer le principe dans ses grandes lignes : chaque personne sur un territoire donné se voit remettre une somme d’argent (monnaie marquée, chèque, bon, évalué à l’heure actuelle à un montant de 150€ par personne et par mois) à dépenser en achat de denrées alimentaires.

3 grands principes sous-tendent la SSA :

C’est un droit universel : chaque personne, du nouveau-né à la personne âgée, du travailleur au chômeur en passant par le migrant ou le SDF, reçoit inconditionnellement cette aide, chaque mois.

La SSA est basée sur une cotisation, idéalement gérée par une structure indépendante du pouvoir politique, afin d’en garantir la stabilité dans le temps. Le montant de la cotisation dépend évidemment des moyens de chacun, les plus aisés cotisant bien d’avantage afin de compenser les faibles cotisations (ou l’absence de celles-ci) des plus démunis. C’est donc un système redistributif, que nous connaissons déjà bien sous d’autres formes (et donc : ça fonctionne !) comme la sécurité sociale tout court, les mutuelles, les impôts, …

Dernier principe, où l’exercice démocratique est prépondérant : le conventionnement. Il convient de définir collectivement les denrées, point de vente, produits, modes de production, éligibles au système, qui seront donc conventionnés. L’idée n’est pas de prioriser ou favoriser à priori la ou les filières dans lesquelles la population pourra faire usage de son droit à la SSA, mais bien d’en débattre de manière informée (un peu comme l’expérience de la convention citoyenne pour le climat, malheureusement sabordée ensuite par le gouvernement Macron).

Il subsiste peu de doutes que les filières de productions locales et vertueuses pourraient bien être les premières bénéficiaires, mais à l’heure actuelle il n’y a généralement pas suffisamment de production que pour approvisionner pour 150€ par tête de pipe sur un territoire donné. Mais l’objectif de cette démarche est de générer une demande forte qui puisse tirer la production nettement vers le haut, mais de manière durable (contrairement à la période post-covid que nous avons connue). Les producteurs locaux, étant assurés d’un débouché rentable sur la durée, seront probablement plus enclins à développer des filières et adopter des pratiques correspondant aux critères du conventionnement de leur territoire.

Il s’agit d’un chantier d’envergure, qui nécessitera temps et énergie, mais qui pourrait réellement rééquilibrer le rapport de force et contribuer à l’éducation populaire et permanente !

Forts de toute cette matière, nos quelques 80 participants ont pu passer aux choses sérieuses le lendemain, après une soirée festive bien méritée…

Passer au concret. Pour du vrai.

L’engagement de l’Atelier Paysan et du collectif organisateur était donc clair : nous ne nous quitterions pas sans avoir démarré des projets concrets, et pris rendez-vous ferme, date, heure, lieu et ordre du jour à l’appui, pour faire avancer, dans la vraie vie, les projets en question.

« L’engagement était clair : nous ne nous quitterions pas sans avoir démarré des projets concrets. »

La méthode utilisée est relativement simple : il s’agit d’employer l’intelligence collective, en dirigeant le moins possible les échanges (mais en les cadrant de manière assez stricte), afin de parvenir à faire émerger des idées concrètes, réalisables avec les moyens disponibles. Cela peut paraître candide, mais c’est diablement efficace.

Photo : Réflexions thématiques en sous-groupes

Le grand groupe est divisé en 3, selon différents sujets relativement larges. Chacun est libre de se diriger dans le groupe qu’il désire et d’en changer quand il le souhaite. Les discussions se déroulent selon un canevas soigneusement minuté de 3×30 minutes : d’abord on énumère pêle-mêle les problèmes à résoudre, les freins à lever, les verrous à faire sauter. Ensuite on lance des idées d’initiatives concrètes dans un monde idéal (où l’on ne manque ni de temps, ni d’argent, ni de main d’œuvre). Attention, il ne s’agit pas de supprimer la faim dans le monde, la guerre, l’argent, ou tout autre intention louable mais chimérique : il doit s’agir de concret, avec une méthode si possible, des étapes et un but réaliste à atteindre ! Les idées fusent, certaines très terre-à-terre, d’autres plus farfelues, mais c’est le jeu : on rêve un peu, et ça fait du bien. La dernière phase réintroduit la réalité dans les utopies. Qu’est-ce qui, dans ces projets lancés, pourrait aboutir dans le monde réel, dans lequel nous avons peu de temps, pas assez d’argent et bien souvent moins de bras qu’il n’en faudrait, moyennant des étapes intermédiaires, une révision à la baisse de l’ambition, des créations de partenariats ?

A l’issue de ce processus, ce ne sont pas moins de 14 idées de projets qui sont affichées sur le mur de la grande salle. 14 potentialités réalisables qui agissent sur l’un des 3 piliers de la transformation sociale : les rapports de force, l’éducation populaire et permanente et le développement d’alternatives. C’est déjà une très belle satisfaction ! Mais nous ne sommes pas encore au bout du processus, il reste le principal à accomplir : définir, ici et maintenant, la manière dont on va s’y prendre, et se lancer.

Ce sera l’objet du travail de l’après-midi : chacun est invité à choisir un des 14 projets (pas forcément celui qu’il a proposé, mais celui qui l’enthousiasme le plus), et à se regrouper autour de cette proposition. Après un petit quart d’heure, 11 des 14 projets sont attribués (dans des groupes de 2 à 8 personnes). Cela signifie que 3 projets ne verront peut-être jamais le jour… et ce n’est rien : ce n’était pas le bon jour, pas les bonnes personnes pour les développer. Il n’en reste pas moins que pendant l’heure et demie qui va suivre, c’est la créativité de terrain qui va prendre le dessus : les groupes définissent leurs objectifs, la ou les manières de les atteindre, et mettent en place une série de jalons, dont le plus important : quand est-ce qu’on se revoit, où, et à quelle heure, avec quel ordre du jour !

Photo : Travail concret sur les propositions d’actions réalistes: quoi, comment, et quand !

C’est ainsi que sont nés ces 10 projets, au stade de phase de lancement :

1.      Demander/provoquer un débat constructif et respectueux sur les différents modèles d’agriculture à la foire agricole de Libramont.

2.      Création d’un podcast recueillant la manière donc les acteurs agricoles voient l’impact de la technologie sur leur vie et leur travail.

3.      Présentation d’outils de maraîchage « do it yourself » ou low techs à la petite foire de Semel avec la Fabriek Paysanne et d’autres acteurs.

4.      A l’occasion des élections qui se profilent en 2024, obliger l’ensemble des partis à se positionner et donner leur vision de l’agriculture de demain.

5.      Création d’une fondation sur l’autonomie paysanne, analyser la vision de l’autonomie que les paysans ont, définir les besoins et chercher des pistes pour y répondre collectivement.

6.      Création d’ateliers partagés pour que les paysans puissent construire leurs machines de maraîchage sans devoir investir dans des outils onéreux.

7.      Recensement et cartographie des outils, plans et lieux qui existent déjà pour que les paysans puissent construire leurs outils de travail du sol.

8.      Recensement et soutien des projets de distribution de produits locaux, identifier les zones blanches en province de Luxembourg, tenter de les combler.

9.      Projet de mutualisation des ressources des producteurs afin d’alléger leur responsabilité sociétale amenant vulnérabilité et sentiment de malaise.

10.    Groupe de réflexion concernant la sécurité sociale alimentaire, la documenter, recenser les initiatives, concocter un argumentaire et soumettre le principe aux candidats des élections 2024.

11.    Projet de cassure des barrières sociales : comment amener les publics moins favorisés à s’intéresser par eux-mêmes à l’alimentation issue de l’agriculture paysanne ?

Ne soyons pas naïfs, certains de ces projets seront menés à leur terme, mais d’autres n’aboutiront peut-être pas, ou pas comme imaginés. Cependant tout est réuni pour donner les meilleures chances à chacun d’entre eux.

Affaires à suivre…

Raphaël Goblet, pour le collectif organisateur.

Photo : Partages, échanges et gratitude tous ensemble avant de nous quitter, provisoirement, avant de nouvelles aventures !


Envie de participer au prochain événement ? Des suggestions, des propositions ? Contactez-nous :

Johanna Reynckens, Nature Attitude, 063 42 47 27 – 0477 729 149 – johanna.reynckens@natureattitude.be

Raphaël Goblet, Les Joyeux Résistants, 0497 27 64 70 – raphael.goblet@gmail.com

Nathalie Monfort, citoyenne, 0473 32 91 01 – contact@nathaliemonfort.be


[1] https://quimangeraquoi.jimdosite.com

[2] https://www.youtube.com/watch?v=iGbP3t7X6wg

[3] https://www.latelierpaysan.org/

[4] https://www.seuil.com/ouvrage/reprendre-la-terre-aux-machines-l-atelier-paysan/9782021478174

[5] https://www.observationsociete.fr/modes-de-vie/evolutionconsommation/

[6] https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2018/10/carnet_monde_2017.pdf

[7] https://www.novethic.fr/actualite/environnement/agriculture/isr-rse/atlas-des-pesticides-entre-addiction-et-monopole-tout-comprendre-en-infographie-151531.html et https://www.researchgate.net/figure/Evolution-de-la-production-et-de-la-demande-mondiale-et-francaise-en-engrais-azotes_fig1_332800086

[8] https://www.youtube.com/watch?v=_vHa_a8Mjak


Effet des changements d’utilisation des terres par habitant sur le défrichement des forêts holocènes et les émissions de CO2


Il est un paradoxe bien connu, celui de l’œuf et de la poule : « Qu’est-ce qui est apparu en premier : l’œuf ou la poule ? ». Mais en voici un autre, qui de facto porte en germe toutes les problématiques de notre monde : « Qui est à l’origine de la croissance de l’autre ? La démographie ou l’agriculture ? »

Qu’importe la réponse finalement….

L’important, c’est qu’en filigrane, il ne reste que cette réalité : les déforestations, la perte des plaines alluviales en tant qu’écosystèmes majeurs, l’augmentation débridée du co2, étaient déjà inscrits dans notre histoire bien avant l’ère industrielle.

Signaux faibles ? Pas vraiment.. Le ver était déjà dans le fruit…


2009-12 Effet des changements d’utilisation des terres par habitant sur le défrichement des forêts et les émissions de CO2 pendant l’Holocène, William F. Ruddimana, Department of Environmental Sciences, Clark Hall, University of Virginia, Charlottesville, USA ; Erle C. Ellis, Department of Geography and Environmental Systems, University of Maryland, Baltimore County, Baltimore, USA, Quaternary Science Reviews 28(27-28):3011-3015, DOI:10.1016/j.quascirev.2009.05.022 (Effect Of Per-Capita Land Use Changes On Holocene Forest Clearance And CO2 Emissions)

Traduction par JM Poggi -(deepl) – Article original https://obsant.eu/le-flux/?iti=11079

Résumé :

La pièce maîtresse de « l’hypothèse anthropique » pourrait se résumer en une phrase : le rôle de l’humanité dans les modifications des niveaux des gaz à effet de serre remonte à des milliers d’années, en conséquence de l’émergence de l’agriculture (Ruddiman, W.F., 2003 : The anthropogenic greenhouse era began thousands of years ago. Climatic Change 61, 261–293. Ruddiman, W.F., 2007 : The early anthropogenic hypothesis: challenges and responses. Reviews of Geophysics 45 2006RG000207R)

Une réaction courante à cette affirmation est que trop peu de personnes vivaient il y a des milliers d’années pour avoir eu un effet majeur sur l’utilisation des terres, et donc les concentrations de gaz à effet de serre.

Ce point de vue sous-tend l’idée que la surface de défrichement par individu a peu changé depuis des millénaires. Or de nombreuses études de terrain ont montré que l’utilisation des terres par habitant était plus importante à l’origine, et qu’elle a diminué à mesure que la densité de population augmentait, en lien avec l’intensification de l’agriculture.

Nous avons étudié ici l’impact de l’évolution de l’utilisation des terres par habitant au cours des derniers millénaires et en concluons qu’un défrichement plus important par les premiers agriculteurs a eu un impact disproportionné sur les émissions de CO2.

Développement :

Le postulat central de « l’hypothèse de l’anthropisation » (anthropocène) (Ruddiman, 2003, 2007) est que la déforestation effectuée par les humains a inversé une tendance naturellement décroissante des niveaux de CO2 il y a 7000 ans pour aboutir au contraire a une tendance à la hausse, tandis que la culture du riz et l’élevage ont eu le même effet sur la tendance du méthane depuis 5000 ans (Fig. 1a). […]

Plusieurs modélisations se sont basées sur des mesures de l’utilisation des terres à une époque récente afin d’établir un lien entre l’utilisation « moderne » des terres et les modes d’utilisation par les populations antérieures. Certaines études ont pré-supposé des liens linéaires entre la population et l’utilisation des terres (par exemple, Klein Goldewijk, 2001 ; Pongratz et al., 2008). Les estimations de l’utilisation passée des terres qui découlent de cette hypothèse suivent inévitablement les augmentations exponentielles de la population mondiale au cours des derniers siècles. Ainsi, les reconstitutions basées sur les statistiques d’utilisation des terres disponibles (par exemple, Ramankutty et Foley, 1999) tendent à sous-estimer les surfaces cultivées au cours des premières périodes historiques, alors même que des systèmes de propriété foncière informels et des pratiques agricoles « changeantes » ne pouvaient que biaiser les résultats vers le bas (Ho, 1959).

En revanche, comme résumé ci-dessous, plusieurs études basées sur des preuves de terrain soutiennent une vision bien différente de l’utilisation des terres.

Les études anthropologiques d’un éventail de cultures contemporaines qui pratiquent les premières formes de culture itinérante, comme la culture sur brûlis, donnent un aperçu des pratiques agricoles utilisées il y a des millénaires dans des régions naturellement forestières.

Les études sur l’archéologie de l’utilisation des terres, la paléoécologie, la paléobotanique et la sédimentologie fournissent des informations sur les contraintes qui ont affectés les changements passés dans les types et étendues des systèmes agricoles, les transitions graduelles de la végétation naturelle vers les cultures domestiques, et l’érosion accrue sur les versants dégagés par la déforestation et le labourage.

Les conclusions communes de ces études de terrain convergent : l’utilisation des terres par habitant au cours des 7000 dernières années n’est pas restée constante, mais a plutôt diminué, ramené par habitant, de façon importante.

Nous analysons ici les répercussions probables de cette tendance à la baisse du défrichement par habitant et en conséquence les émissions nettes de carbone dans l’atmosphère.

Il y a des décennies, Boserup (1965) a synthétisé les résultats provenant d’études de terrain et a posé comme hypothèse que l’utilisation des terres s’est intensifiée avec l’augmentation de la population (tableau 1).

Dans la phase la plus ancienne et la moins peuplée du développement de l’agriculture (la phase de jachère forestière), les agriculteurs mettaient le feu aux forêts et plantaient des graines dans un sol enrichi en cendres. Lorsque, après un certain nombre d’années, les nutriments du sol s’épuisaient, les gens se déplaçaient vers de nouvelles parcelles, ne retournant à la parcelle d’origine qu’après une vingtaine d’années ou plus. Les premiers agriculteurs restaient effectivement le plus souvent dans les mêmes habitations (Startin, 1978), mais alternaient entre différentes parcelles cultivées.

Ce type d’agriculture nécessitait peu de travail par personne, mais la rotation continue entre les parcelles utilisait une grande quantité de terre.

Au fil du temps, l’augmentation de la densité des populations conduisant à avoir moins de terres disponibles, les agriculteurs ont été contraints de raccourcir les périodes de jachère en réutilisant les parcelles plus souvent et en plantant plus densément.

Plus tard, ils ont élaboré de nouvelles techniques pour augmenter les rendements à l’hectare, comme l’amélioration des charrues, la traction animale, l’irrigation et l’usage des engrais.

En définitive, avec l’augmentation continue de la population, les agriculteurs ont été contraints de se limiter à la même parcelle de terre chaque année (culture annuelle) et ont finalement commencé à cultiver deux ou plusieurs cultures par an sur les mêmes champs.

Certaines régions ont développé des systèmes d’irrigation sophistiqués et étendus dans le cadre de schémas d’ingénierie hydraulique contrôlés de manière centralisée.

Malgré les bénéfices offerts par différentes innovations, comme la généralisation des outils en fer, cette dernière phase de l’agriculture intensive a nécessité de grandes quantités de travail par personne pour augmenter la productivité : épandage de fumier et de compost, soin du bétail qui fournissait du fumier, élimination des mauvaises herbes et des insectes, réparation et entretien des terrasses et des canaux d’irrigation, etc.

Malgré quatre décennies de débat sur la relation de cause à effet sur long terme entre l’augmentation de la population et les innovations agricoles, les conclusions de Boserup, selon laquelle l’utilisation des terres par habitant a diminué parallèlement à la croissance de la population, ont reçu un écho positif et durable. Bien que la les analyses historiques des changements d’utilisation des terres fonction de la population puissent différer grandement d’un site à l’autre et même d’une région à l’autre (par exemple, Bogaard, 2002 ; Johnston, 2003), le modèle de Boserup qui sous-tend une diminution de l’utilisation des terres par habitant avec augmentation de la population demeure le paradigme dominant pour le changement d’utilisation des terres agricoles (Grigg, 1979 ; Netting, 1993 ; Turner et Shajaat, 1996).

Notre objectif ici est de quantifier ces séquences d’intensification sur la base d’observations (tableau 1) compilées à partir de Netting (1993, tableau 9.1 d’après Boserup, 1981) et d’autres (Turneret al., 1977 ; Seiler et Crutzen, 1980 ; Murdock et White, 2006).

Au cours du siècle dernier, la superficie cultivée par personne a varié entre 0,07 et 0,35 ha/personne (Ramankutty et al., 2002).

Ces faibles valeurs reflectent une utilisation très intensive des terres dans les pays fortement peuplés et intègrent aussi, implicitement, les déplacements continus de population des zones rurales vers les zones urbaines.

En comparaison, les valeurs par habitant pour les périodes les plus anciennes (milieu de l’Holocène) sont moins préciss. Des estimations peuvent être obtenues à partir d’études de systèmes agricoles contemporains qui utilisent encore des méthodes de culture itinérante, bien que ces cultures soient confrontées à des limitations foncières et à des forces du marché différentes des conditions dans lesquelles l’agriculture a commencé (Boserup, 1965 ; Turner et al., 1977).

Néanmoins, le défrichement de la forêt par individu dans les systèmes d’agriculture itinérante peut être évalué en tenant compte des estimations des terres cultivées par personne et par an, des cycles de culture typiques (le nombre d’années pendant lesquelles la terre est cultivée puis laissée en jachère), et des zones défrichées à d’autres fins que la culture (pâturages, bois, habitations et autres structures).

Compte tenu d’une superficie de terres cultivées annuellement par habitant de 0,2 à 0,4 ha (Seiler et Crutzen, 1980) et des durées de jachère de 7 à 25 ans typiques des systèmes d’agriculture itinérante contemporains qui utilisent des technologies très similaires à celles des premiers agriculteurs (usage de bâtons à fouir et houes en bois, sans outils métalliques ; Murdock et White, 2006 ; Turner et al., 1977), nous estimons que le défrichement rapporté au nombre d’habitant est de l’ordre de 2 à 6 ha par personne pour les premiers agriculteurs (tableau 1). Cette estimation concorde avec celle d’Olofson et Hickler (2008).

Cette estimation concorde également avec les 4 ha par personne calculés par Gregg (1988) sur la base des besoins en matière de culture, d’élevage, de bois et de peuplement d’un village européen de 30 personnes datant de la fin du Néolithique.

Gregg a supposé une configuration de jachère courte, avec une seule zone de jachère de la même taille que la zone cultivée, bien que d’autres estimations suggèrent que 5 à 10 parcelles auraient pu être en jachère dans une longue séquence de rotation (Boserup, 1965 ; Netting, 1993).

Des peuplements denses de jeunes arbres repoussent sur les zones laissées en jachère pendant une vingtaine d’années, mais leur biomasse et leur carbone ne s’approchent pas des niveaux typiques d’une forêt primaire (Ramankutty et al., 2007).

Si le bétail est amené à brouter les jeunes pousses, la récupération de la biomasse est d’autant plus réduite (Boserup, 1965).

Au début de la période holocène (il y a 7000-6000 ans), de nombreux individus n’étaient pas encore des agriculteurs. La prise en compte de ce fait réduirait les estimations de l’utilisation des terres par habitant pendant la première phase de jachère forestière.

D’autre part, les premiers peuples agricoles (et même pré-agricoles) usaient couramment du feu pour défricher de grandes zones afin d’attirer le gibier et de favoriser la croissance des baies et autres aliments naturels (Pyne, 2000 ; Williams, 2003 ; Bliege Bird et al., 20 08). Le défrichement par le feu n’était pas limitant.

En outre, il y a 5000 ans, les principales cultures étaient déjà cultivées dans les régions les plus peuplées du monde ; le blé et l’orge dans toute l’Europe (Zohary et Hopf, 1993) ; le millet et le riz dans une grande partie de la Chine (Ruddiman et al., 2008 ; Fuller et Qin, 2009), et le maïs (corn) en Méso-Amérique (Grigg, 1974 ; MacNeish, 1992).

En raison du succès de ces sources alimentaires primaires, les populations de ces régions ont augmenté rapidement et ont supplanté les peuples qui pratiquaient encore la chasse et la cueillette.

Après les premiers développements basés sur les jachères sur zones initialement forestières puis d’alternance entre différentes parcelles cultivées, Boserup a suggéré que des augmentations successives de la densité de population ont nécessité une culture en jachère avec des rotations plus courtes (« bush fallow »), puis une culture annuelle, et finalement des cultures multiples sur chaque parcelle (Tableau 1 ; Kates et al., 1993 ; Netting, 1993), bien que certaines régions puissent ne pas avoir suivi la séquence complète indiquée dans le Tableau 1.

Ainsi la riziculture humide dans le sud de la Chine était probablement relativement intensive même dans sa phase initiale il y a 6000-5000 ans. Il y a 2000 ans, les zones rizicoles les plus densément peuplées des deltas de la Chine méridionale et d’autres régions d’Asie avaient déjà atteint la phase de culture annuelle avec 1 ha de terres cultivées par personne.

Cependant, même dans ces régions, une augmentation de l’intensification (cultures multiples, fumure, désherbage) a fait chuter la surface cultivée par personne à seulement 0,1-0,2 ha vers 1800 (Chao, 1986 ; Ellis et Wang, 1997).

Parallèlement, les régions moins densément peuplées ont continué à pratiquer une culture itinérante et certaines ont peut-être adopté la culture annuelle beaucoup plus tard (quand elles l’ont fait).

En résumé, malgré des variations considérables d’une région à l’autre et d’une culture à l’autre, l’utilisation moyenne des terres par personne semble être passée de plusieurs hectares par personne pendant l’Holocène moyen à seulement quelques dixièmes d’hectares vers le début de l’ère industrielle, soit une baisse d’un ordre de grandeur complet.

Sur la base de ces éléments, la figure 2a présente des trajectoires de l’évolution de l’utilisation des terres par habitant au cours de l’Holocène.

Il y a 7000 ans, la plupart des agriculteurs utilisaient des jachères avec rotations longues, nous supposons une utilisation des terres par habitant de 4 ha (+/-2 ha). À l’autre extrême, juste avant l’ère industrielle, l’utilisation des terres par habitant est d’environ 0,4 ha (+/-0,2 ha) par personne, une valeur légèrement supérieure de celle du siècle dernier.

Naturellement, tenter de quantifier une tendance « moyenne mondiale » en matière d’utilisation des terres par habitant au cours de l’Holocène est évidemment une tâche compliquée qui devrait prendre en compte les populations, les cultures et les méthodes agricoles très différentes qui ont coexisté dans différentes régions au cours de chaque intervalle.

Pour tenter de refléter une partie de cette incertitude, nous montrons sur la figure 2a trois trajectoires possibles. La tendance « concave » suppose que les premières réductions d’utilisation des terres par habitant étaient plus importantes que les suivantes. La tendance « linéaire » suppose des taux constants de réduction de l’utilisation des terres au fil du temps. La tendance « convexe » suppose que les réductions d’utilisation des terres ont été plus importantes plus tard dans la chronologie.

Ceci dit, cette dernière tendance est cohérente avec l’ensemble des données qui montrent une intensification agricole accélérée au cours de l’ère « historique » (récente) (Boserup, 1965 ; Grubler, 1994).

La combinaison de la population mondiale (Fig. 1b) et des trois trajectoires possibles de l’utilisation moyenne des terres par habitant (Fig. 2a) conduit à trois estimations du défrichement mondial (Fig. 2b).

Compte tenu des incertitudes décrites ci-dessus, ces tendances ne sont pas censées être des estimations exhaustives de l’ampleur de la déforestation préindustrielle.

Elles visent plutôt à fournir une évaluation de la mesure dans laquelle l’intensification de l’utilisation des terres aurait pu modifier les estimations de l’utilisation des terres à l’échelle mondiale par rapport aux estimations basées sur les liens linéaires avec la population (ligne pointillée dans la Fig. 2b).

Dans tous les cas, les tendances au défrichement augmentent rapidement jusqu’à il y a 2000 ans (Fig. 2b).

Puis les tendances issues des cas linéaires et concaves restent relativement stables entre 2000 et 1000 ans, puis repartent à la hausse en réponse au fort accroissement de la population dans les siècles précédant l’ère industrielle.

La tendance basée sur la trajectoire convexe montre une tendance au défrichement contenue mais persistante depuis 2000-1500 ans.

Deux facteurs contribuent au ralentissement de l’utilisation estimée des terres depuis 2000 ans dans ces scénarios. La perte de dizaines de millions de personnes pendant les grandes pandémies et les périodes de troubles ont joué un rôle important. Au cours des épisodes les plus graves (200-600 après J.-C. et 1200-1700 après J.-C.), la mortalité « excédentaire » s’est élevée aux environs de 12 à 18% de la population mondiale (McEvedy et Jones, 1978 ; Denevan, 1992).

Mais le principal facteur justifiant ces tendances est la diminution de l’utilisation des terres par habitant (Fig. 2a).

Pour les cas « concave » et « linéaire », cette diminution a été suffisante pour compenser l’augmentation de la population entre 2000 et 1000 ans, mais pas après, d’où un rattrapage. Pour le cas « convexe », la diminution exponentielle de l’utilisation des terres a permis de contrebalancer l’augmentation exponentielle de la population au cours des derniers siècles.

La culture à grande échelle des prairies et steppes n’a pas eu lieu avant le début des années 1800, ce pourquoi la plupart des terres qui ont été défrichées pour l’agriculture à l’époque préindustrielle étaient encore boisées avant cette période.

Ainsi, avant la combustion des combustibles fossiles de l’ère industrielle, le défrichement des forêts a été la principale source anthropique d’augmentation du CO2 (Houghton, 1999).

Bien que l’augmentation exponentielle de la population mondiale (Fig. 1b) ne soit pas en lien direct avec l’augmentation précoce du CO2 (Fig. 1a), la prise en compte pendant l’holocène de la tendance vers une utilisation des terres par habitant plus faible (Fig. 2a) permet de lier les estimations de l’utilisation des terres (Fig. 2b) à l’augmentation du CO2 (Fig. 1a).

Dans ce cadre, les augmentations des concentrations de CO2 atmosphérique sont à appréhender en lien avec le taux de défrichement par habitant plutôt qu’avec le défrichement total. Les changements d’utilisation des terres par millénaire calculés à partir des tendances de la Fig. 2b sont présentés à la Fig. 2c.

Comme pour la tendance constatée pour le CO2 (Fig. 1a), les trois taux de défrichement montrent des taux de croissance plus rapides avant 2000 ans, suivies d’une stabilisation puis d’une diminution relative.

Par ailleurs, comme les premières exploitations agricoles étaient concentrées dans des vallées alluviales aux sols humides et fertiles, les forêts défrichées dans ces zones étaient plus riches en carbone que celles situées sur les flancs de collines et les pentes de montagnes, qui ont été défrichées ultérieurement.

Ainsi la prise en compte des variations de la densité du carbone dans les calculs conduirait à encore augmenter les émissions de CO2 au début de l’Holocène.

Une modélisation consolidée des tendances d’émissions de CO2 pendant l’Holocène nécessiterait d’effectuer des estimations exhaustives des changements d’utilisation des terres aux niveaux régionaux, comme celles de effectuées par Kaplan et al. (2009) pour l’Europe.

Ces modélisations nécessiteraient également des évaluations précises des liens entre les densités de population préindustrielles et le défrichement (et la récupération), les facteurs régionaux tels que le climat, la qualité des sols et la topographie (plaines alluviales vs versants), les facteurs culturels tels que les préférences en matière d’élevage, et les facteurs historiques tels que les échanges de variétés de cultures et de technologies découlant des premières rencontres coloniales.

En outre, l’évaluation de l’estimation des émissions et des concentrations de CO2 dans l’atmosphère en conséquence des changements d’utilisation des terres doit tenir compte du long temps de résidence du CO2 dans l’atmosphère (Joos et al., 2004 ; Archer, 2008).

En résumé, les tentatives précédentes d’analyse à posteriori du défrichement préindustriel fondées sur l’hypothèse de liens linéaires ou quasi-linéaires avec les populations passées sont susceptibles de sous-estimer l’impact des déforestations précoces.

Les estimations des défrichements passés doivent intégrer à minima la diminution importante et continue de l’utilisation des terres par habitant avant l’ère préindustrielle.

Sur la base de nos résultats, les historiques de défrichement qui intègrent les processus d’intensification de l’utilisation des terres offrent des estimations du rôle du défrichement précoce, et des émissions de CO2 liés, et donc de la trajectoire observée du CO2 préindustriel dans l’atmosphère, pertinents.


Nous remercions Dorian Fuller et Navin Ramankutty pour leurs commentaires sur une version antérieure, Robert Smith pour les graphiques, et Stephanie Pulley pour son aide dans les recherches d’archives. Le programme Paléoclimat de la division des sciences atmosphériques de la National Science Foundation a financé ce travail.


Les systèmes alimentaires responsables d’un « tiers » des émissions d’origine humaine

Ayesha Tandon (*)

12 mars 2021 – traduit (deepl version gratuite) de Food systems responsible for ‘one third’ of human-caused emissions

Selon de nouvelles recherches, « les systèmes alimentaires » étaient responsables de 34% de toutes les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine en 2015.

L’étude, publiée dans Nature Food, présente EDGAR-FOOD – la première base de données à décomposer les émissions de chaque étape de la chaîne alimentaire pour chaque année de 1990 à 2015. La base de données détaille également les émissions par secteur, par gaz à effet de serre et par pays. 

Selon l’étude, 71 % des émissions alimentaires en 2015 provenaient de l’agriculture et des « activités associées à l’utilisation des terres et au changement d’affectation des terres » (UTCAT), le reste provenant de la vente au détail, du transport, de la consommation, de la production de carburant, de la gestion des déchets, des processus industriels et des emballages.

L’étude révèle que le CO2 représente environ la moitié des émissions liées à l’alimentation, tandis que le méthane (CH4) en constitue 35 % – principalement issus de la production de bétail, de l’agriculture et du traitement des déchets.

Selon l’étude, les émissions du secteur de la vente au détail sont en hausse et ont été multipliées par 3 ou 4 en Europe et aux États-Unis entre 1990 et 2015.

Les auteurs constatent également que les « kilomètres alimentaires » contribuent moins aux émissions alimentaires que les emballages. Les auteurs ajoutent que 96 % des émissions liées au transport des aliments proviennent du transport local ou régional par route et par rail, plutôt que du transport international.

« Une excellente base de données »

Si nourrir la population mondiale de près de 8 milliards d’habitants est une tâche fondamentale, cet aspect a un coût élevé pour le climat. La production alimentaire utilise la moitié des terres habitables de la Terre et un rapport de 2019 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a estimé qu’entre 21 et 37 % des émissions mondiales proviennent des systèmes alimentaires. 

(L’année dernière, Carbon Brief a produit une série d’articles d’une semaine, discutant des impacts climatiques de la viande et des produits laitiers, soulignant comment l’évolution des régimes alimentaires devrait affecter le climat, et demandant comment nous pouvons changer nos habitudes alimentaires pour minimiser notre empreinte carbone).

La nouvelle étude présente EDGAR-FOOD – la première base de données couvrant chaque étape de la chaîne alimentaire pour tous les pays, fournissant des données pour chaque année entre 1990 et 2015. La base de données estime les émissions de CO2, de CH4, d’oxyde nitreux (N2O) et de gaz fluorés pour chaque étape du système alimentaire, ainsi que par pays.

Le Dr John Lynch, de l’Université d’Oxford, qui étudie l’impact de l’alimentation sur le climat et n’a pas participé à l’étude, explique à Carbon Brief qu’il « a souvent été difficile d’obtenir une couverture détaillée de l’ensemble du système alimentaire » et que ce nouveau document est une « excellente ressource ».

Le Dr Sonja Vermeulen, directrice des programmes du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR), qui n’a pas non plus participé à l’étude, ajoute qu’il s’agit d’une « excellente base de données et d’un ensemble d’outils analytiques pour indiquer la voie à suivre pour l’alimentation ».

Mme Vermeulen rappelle qu’elle a publié « peut-être la première estimation des émissions totales des systèmes alimentaires » il y a une dizaine d’années, estimant que ces derniers étaient responsables d’un tiers des émissions. Il s’agit de la même estimation que celle de la nouvelle base de données, note-t-elle, mais elle ajoute que son chiffre était « basé sur des données et des calculs beaucoup plus grossiers » que la nouvelle évaluation et « il est formidable de voir que le chiffre est fondé sur des preuves et des détails beaucoup plus solides ».

Émissions alimentaires mondiales

L’étude révèle que la production alimentaire mondiale a augmenté de 40 % entre 1990 et 2015, et que les émissions annuelles du système alimentaire sont passées de 16 milliards de tonnes de CO2e (GtCO2e) à 18GtCO2e. 

Toutefois, elle ajoute que, sur une base individuelle, les émissions liées à l’alimentation par habitant ont diminué, passant d’une moyenne de 3 tonnes de CO2e en 1990 à 2,4tCO2e en 2015.

De plus, selon le document, la contribution des systèmes alimentaires au total des émissions d’origine humaine a en fait chuté de 44 % à 34 % pendant cette période. Cela est dû à l’augmentation globale des émissions provenant d’autres secteurs, précise le document. Selon M. Lynch, cette constatation souligne la nécessité de décarboniser : 

« En tant que fraction des émissions totales de gaz à effet de serre, les émissions alimentaires sont en fait en baisse, car nous augmentons les émissions encore plus rapidement dans d’autres secteurs – en grande partie en brûlant des combustibles fossiles pour obtenir plus d’énergie. Donc, même s’il est formidable que l’on s’intéresse de plus en plus aux impacts environnementaux du système alimentaire, cela souligne que la décarbonisation doit rester notre priorité climatique. »

En 2015, 27 % des émissions liées à l’alimentation provenaient des « pays industrialisés », indique le document, les 73 % restants provenant des « pays en développement » – au sein desquels les chercheurs incluent la Chine. Les six économies qui émettent le plus d’émissions liées au système alimentaire sont composées d’un mélange de pays « industrialisés » et « développés », selon le rapport :

Tableau indiquant les six économies dont les systèmes alimentaires produisent le plus d’émissions. Source : Crippa et al (2021).

L’étude note que la part des émissions d’un pays qui provient de son système alimentaire varie de 14 % à 92 %. Dans les pays industrialisés, environ 24 % des émissions totales des pays proviennent de leur système alimentaire – un chiffre qui est resté relativement stable entre 1990 et 2015, selon l’étude.

Toutefois, les chercheurs constatent que la part des émissions provenant de l’alimentation dans les pays en développement a diminué, passant d’environ 68 % en 1990 à 38 % en 2015. Cela est dû aux « très fortes augmentations des émissions non alimentaires », précisent les auteurs, ainsi qu’à une « réduction significative des émissions terrestres » – principalement grâce à une réduction de la déforestation.

L’étude ajoute que l’Asie est le principal contributeur aux émissions alimentaires mondiales lorsqu’elles sont mesurées par continent – produisant 35 % des émissions du système alimentaire mondial en 1990 et 49 % en 2015.

La carte ci-dessous montre les émissions du système alimentaire en proportion des émissions totales de chaque pays, pour 1990 (à gauche) et 2015 (à droite). Par exemple, le vert foncé indique les pays où les émissions liées à l’alimentation représentent plus de la moitié de leurs émissions totales.

légende carte : La part des émissions de gaz à effet de serre provenant des systèmes alimentaires en tant que fraction des émissions totales pour chaque pays en 1990 (à gauche) et en 2015 (à droite). Source : Crippa et al (2021).

Vermeulen était commissaire au sein de la commission EAT-Lancet sur les régimes alimentaires sains issus de systèmes alimentaires durables. Elle déclare à Carbon Brief qu’il est possible de bien manger et de prendre soin de la planète, mais que cela demandera des efforts :

« Il est théoriquement possible, même avec la croissance démographique, que chaque personne dans le monde ait une alimentation saine et culturellement appropriée sans transgresser les limites planétaires pour le carbone, la biodiversité, l’azote, le phosphore et l’eau. Mais cela demandera beaucoup d’efforts, tant sur le plan technique que politique.« 

La nouvelle étude souligne que nous avons besoin d’un « mélange de solutions techniques et politiques », ajoute-t-elle :

« Leur analyse renforce le fait qu’il n’y a pas de solution miracle unique – si nous nous concentrons uniquement sur une alimentation plus végétale, ou uniquement sur l’amélioration des pratiques agricoles, ou uniquement sur les secteurs de l’énergie et des transports, nous n’arriverons pas là où nous devons être – nous avons besoin des trois.« 

Les étapes de la production

Les auteurs répartissent également les émissions selon les différentes étapes du système alimentaire. Pour 2015, ils constatent que les premières étapes de la production alimentaire – celles qui amènent les denrées alimentaires à la « porte de la ferme », y compris la pêche, l’aquaculture, l’agriculture et les émissions liées aux intrants tels que les engrais – ont contribué à 39 % des émissions totales du système alimentaire.

L’UTCAT est le deuxième contributeur le plus important, avec un tiers des émissions totales du système alimentaire. Selon l’étude, cela est dû principalement aux pertes de carbone dues à la déforestation et à la dégradation des sols, notamment des tourbières.

Les auteurs notent que la plupart des émissions de l’UTCAT proviennent des pays en développement – en 2015, par exemple, l’agriculture et l’UTCAT représentaient 73 % des émissions alimentaires des pays en développement. Cependant, ils notent qu’entre 1990 et 2015, la part des émissions alimentaires provenant de la production agricole et de l’UTCAT a diminué de 13 % et de 26 % dans les pays en développement, respectivement.

Le transport, l’emballage, la vente au détail, la transformation, la consommation et l’élimination en fin de vie ont constitué les 29 % d’émissions restantes en 2015, indiquent les auteurs. Selon l’étude, cette valeur a augmenté depuis 1990 tant dans les pays industrialisés que dans les pays en développement.

La part mondiale des émissions alimentaires qui proviennent du secteur de l’énergie a augmenté de 31% sur la période 1990-2015, constate l’étude. Elle ajoute qu’en 2015, les secteurs « liés à l’énergie » – y compris l’industrie et les déchets – représentaient plus de la moitié des émissions alimentaires dans les pays industrialisés.

Les auteurs constatent également que les « kilomètres alimentaires » contribuent légèrement moins aux émissions alimentaires que les emballages. Les emballages ont contribué à environ 5,4 % des émissions alimentaires – principalement en raison de l’industrie des pâtes et papiers – tandis que le transport n’était responsable que de 4,8 %.

Comment les émissions alimentaires évoluent-elles ?

Les auteurs analysent également la contribution des différents gaz à effet de serre dans le système alimentaire. Par exemple, ils ont constaté que le CO2 représente environ la moitié des émissions du système alimentaire.

Le diagramme de Sankey ci-dessous montre la contribution des différentes activités et des différents types de gaz à effet de serre aux émissions globales du système alimentaire.

(diagramme) Émissions de gaz à effet de serre du système alimentaire en 2015

Les émissions totales de gaz à effet de serre en provenance du système alimentaire étaient de 18GtCO2e par an en 2015.

Diagramme de Sankey illustrant la répartition des émissions du système alimentaire mondial en 2015. Les données sont présentées – de gauche à droite – par gaz, secteur, étape, catégorie, puis à nouveau par gaz. Passez la souris sur les différentes sections pour voir les données en pourcentages. Données de Crippa et al (2021). Graphique réalisé par Carbon Brief à l’aide de Highcharts.

Les auteurs notent que le CH4 représente 35 % des émissions totales du système alimentaire. Cela est principalement dû à la production de bétail, à l’agriculture et au traitement des déchets. Toutefois, les auteurs notent également que le riz – l’une des principales cultures alimentaires – est une « source principale » d’émissions de méthane.

L’étude constate que, bien que les émissions de gaz fluorés (gaz-F) ne représentent que 2 % des émissions, leur utilisation a doublé entre 1990 et 2015. Les gaz fluorés sont principalement utilisés dans la réfrigération, expliquent les auteurs, et comme les pays en développement augmentent leur réfrigération industrielle et domestique, « l’importance de la réfrigération dans les émissions totales de gaz à effet de serre est susceptible d’augmenter ».

Les auteurs notent que la Chine est à l’origine de bon nombre des tendances du système alimentaire dans les pays en développement. Alors que les émissions liées à l’alimentation ont augmenté en moyenne de 14 % entre 1990 et 2015, celles de la Chine ont augmenté de 41 %. Néanmoins, la part des émissions liées à l’alimentation dans les émissions totales de la Chine est passée de 51 % en 1990 à 19 % en 2015, en raison de l’augmentation des émissions due à l’industrialisation du pays.

En outre, les émissions de la Chine liées à la gestion des déchets jouent un rôle important dans l’augmentation de 50 % enregistrée dans les pays en développement, indique l’étude. Dans le même temps, les émissions liées à la gestion des déchets – y compris la gestion des déchets solides et des eaux usées – ont diminué en moyenne dans les pays industrialisés.

L’étude note que les émissions liées à l’utilisation de l’énergie – électricité, chaleur et carburants – dans l’agriculture ont augmenté de 15 % entre 1990 et 2015 en raison de la mécanisation de la production, avec une augmentation de 50 % en Afrique, en Amérique latine et en Asie.

À l’inverse, l’introduction de « progrès agronomiques et de restrictions environnementales » dans les pays industrialisés a entraîné une diminution de 28 % des émissions de l’agriculture entre 1990 et 2015, ajoute l’étude.

Parallèlement, entre 1990 et 2015, la contribution de la vente au détail, de l’emballage, du transport et de la transformation aux émissions totales du système alimentaire a augmenté de 33 % à 300 % sur la période 1990-2015.

Le Dr Marco Springmann, chercheur au Nuffield Department of Population Health, qui n’a pas participé à l’étude, déclare qu’actuellement, « de nombreux inventaires d’émissions ne représentent pas de manière adéquate les émissions du système alimentaire » et affirme que cette base de données constitue « une amélioration bienvenue de la comptabilisation des émissions ». Il déclare à Carbon Brief :

« Bien que de nombreux résultats aient été rapportés dans d’autres études spécialisées, l’intégration d’une optique de système alimentaire dans une base de données d’émissions normalisée et mise à jour annuellement représente une avancée majeure d’une ressource publique qui profitera à la communauté scientifique, aux ONG, aux décideurs politiques et aux autres parties intéressées.« 

La recherche montre également que « les émissions du système alimentaire se retrouvent dans tous les secteurs d’émissions et incluent tous les principaux gaz à effet de serre », ajoute-t-il. Cependant, il note que « la différenciation des émissions par groupe d’aliments » n’est pas incluse dans la base de données, et déclare à Carbon Brief que ce serait une bonne prochaine étape pour la recherche :

« Une désagrégation plus poussée des catégories d’émissions d’EDGAR-FOOD dans les groupes alimentaires sous-jacents aurait élargi l’utilité de la base de données pour informer des politiques d’atténuation concrètes et bien ciblées pour le système alimentaire. Espérons que l’ajout de ce détail crucial figure sur la liste des choses à faire pour la prochaine mise à jour.« 


Fredo prend la température de l’Eau

Paul Blume

11 2020

La thématique de l’Eau est tellement vaste qu’aborder toutes ses facettes en un seul média est probablement illusoire.

D’où l’idée, pour mettre en exergue la place de l’or bleu dans nos vies, de capsules vidéos traitant d’aspects précis comme l’agriculture, à côté d’interviews traitant du sujet plus globalement.

C’est ce que Frédéric Muhl – vidéaste – fait en compilant des heures de prises de vues réalisées cette année 2020 caractérisée par un stress hydrique singulièrement élevé.

Bruno Denis, l’agriculteur conventionnel, et Dorothée, la maraîchère bio, nous montrent les conséquences concrètes des contraintes climatiques sur le cycle de l’Eau. Nicolas Stilmant, Bourgmestre de Fauvillers, aborde les nécessaires évolutions locales pour s’y adapter.

Quant à l’interview de Riccardo Petrella, elle nous permet de faire pratiquement un tour complet de la place de l’Eau dans nos sociétés industrialisées.

L’Observatoire vous propose de retrouver ces vidéos via un lien web unique :

Le lien : https://obsant.eu/oa_liste.php?oacle=fredooa

Gardez bien ce lien. Les prochaines productions de Fredo, sur l’Eau et pourquoi pas d’autres thématiques, y seront référencées.

Ou regardez-les ci-dessous.

Bonne vision, bonne écoute.

Infos :
Le site de Frédéric : https://www.fairmovies.org/
La chaîne YouTube