𝘜𝘯𝘦 𝘉𝘳𝘶̂𝘭𝘢𝘯𝘵𝘦 𝘐𝘯𝘲𝘶𝘪𝘦́𝘵𝘶𝘥𝘦

Bruno Colmant, Renaissance du Livre, 2023, 178 pages.

Fiche de lecture – Raphaël Goblet

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𝐁𝐫𝐮𝐧𝐨 𝐂𝐨𝐥𝐦𝐚𝐧𝐭 n’est pas le premier venu : intellectuel de haut vol, doté d’une culture impressionnante, il est l’auteur de plus de 80 ouvrages et une myriade d’articles, économiques principalement. Pour son pedigree, trop long à développer ici, je vous renvoie vers votre moteur de recherche favori, sachez tout de même qu’il est économiste, fiscaliste, chargé de cours dans plusieurs universités, qu’il a travaillé pour plusieurs banques et a même présidé la bourse de Bruxelles (en plein crash de 2008).

J’avoue que pendant longtemps, je ne me suis guère intéressé à sa pensée (bien que je l’aie souvent entendu, vu, lu rapidement dans divers médias), jusqu’à ce je l’entende dans le très bon podcast « Septante minutes avec » (https://www.youtube.com/watch?v=GxjqPhHOmG4), puis chez Vincent Kanté dans l’excellent Limit il y a 5 mois (https://www.youtube.com/watch?v=l3GehCd6XC4).Il n’y va pas avec le dos de la cuillère, et m’a totalement bluffé en avouant tout de go « Je me suis trompé : le néolibéralisme, que j’ai défendu pendant longtemps, est une illusion, une tromperie » (je paraphrase).Waouh !

Lui qui a défendu, jusqu’au cœur des institutions bancaires et financières, des principes qui me semblaient contraires à l’environnement et à l’humain, le voilà qui fait volte-face, avec une sincérité et un aplomb désarçonnant. J’ai toujours eu tendance à accorder un plus grand crédit à ceux qui critiquaient des systèmes dont ils faisaient (ou avaient fait) partie (dont l’excellentissime Bernard Lietaer par exemple, pour rester dans le thème), qu’à ceux qui y jetaient un regarde extérieur…

Et donc j’ai décidé de me pencher sur son dernier bouquin (le premier que je lis de lui), « Une Brûlante Inquiétude ». Je n’ai pas été déçu ! Le bouquin commence même par des propos assez violents, qui sonnent comme un mea culpa assumé et sincère (p.21-22): « 𝐽𝑒 𝑐𝑟𝑎𝑖𝑛𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑛𝑒 𝑠𝑜𝑦𝑜𝑛𝑠, 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑒 𝑒𝑛 1937, 𝑎̀ 𝑙’𝑎𝑢𝑏𝑒 𝑑𝑒 𝑔𝑖𝑔𝑎𝑛𝑡𝑒𝑠𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑏𝑎𝑠𝑐𝑢𝑙𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑠 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑒́𝑡𝑎𝑢𝑥, 𝑛𝑜𝑡𝑎𝑚𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑐𝑙𝑖𝑚𝑎𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑒𝑛𝑣𝑖𝑟𝑜𝑛𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑎𝑢𝑥. […] 𝐿𝑒 𝑛𝑒́𝑜𝑙𝑖𝑏𝑒́𝑟𝑎𝑙𝑖𝑠𝑚𝑒 𝑎𝑛𝑔𝑙𝑜-𝑠𝑎𝑥𝑜𝑛 𝑑𝑒 𝑅𝑜𝑛𝑎𝑙𝑑 𝑅𝑒𝑎𝑔𝑎𝑛 𝑒́𝑡𝑎𝑖𝑡 𝑢𝑛𝑒 𝑝𝑟𝑜𝑠𝑡𝑖𝑡𝑢𝑒́𝑒, 𝑢𝑛 𝑡𝑟𝑖𝑠𝑡𝑒 𝑚𝑒𝑛𝑠𝑜𝑛𝑔𝑒 𝑒𝑡 𝑢𝑛𝑒 𝑖𝑙𝑙𝑢𝑠𝑖𝑜𝑛 𝑚𝑎𝑛𝑖𝑝𝑢𝑙𝑒́𝑒. […] 𝐸𝑡 𝑙𝑜𝑟𝑠𝑞𝑢𝑒 𝑗𝑒 𝑟𝑒𝑙𝑖𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑝𝑜𝑠𝑡𝑢𝑙𝑎𝑡𝑠 𝑑𝑢 𝑛𝑒́𝑜𝑙𝑖𝑏𝑒́𝑟𝑎𝑙𝑖𝑠𝑚𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑎𝑛𝑛𝑒́𝑒𝑠 1980, 𝑝𝑟𝑜𝑚𝑢 𝑝𝑎𝑟 𝑢𝑛𝑒 𝑡𝑒𝑐ℎ𝑛𝑜𝑐𝑟𝑎𝑡𝑖𝑒 𝑠𝑝𝑒́𝑐𝑢𝑙𝑎𝑡𝑖𝑣𝑒, 𝑎𝑢𝑥𝑞𝑢𝑒𝑙𝑠 𝑗’𝑎𝑖 𝑝𝑜𝑢𝑟𝑡𝑎𝑛𝑡 𝑐𝑟𝑢, 𝑗𝑒 𝑚𝑒 𝑑𝑖𝑠 𝑎𝑢𝑗𝑜𝑢𝑟𝑑’ℎ𝑢𝑖 : 𝑞𝑢𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑣𝑢𝑙𝑔𝑎𝑟𝑖𝑡𝑒́ 𝑖𝑛𝑡𝑒𝑙𝑙𝑒𝑐𝑡𝑢𝑒𝑙𝑙𝑒 ! 𝑄𝑢𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑝𝑎𝑢𝑣𝑟𝑒𝑡𝑒́ 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑒𝑛𝑠𝑒́𝑒 ! […]. 𝐶’𝑒́𝑡𝑎𝑖𝑡 𝑢𝑛𝑒 𝑖𝑚𝑝𝑜𝑠𝑡𝑢𝑟𝑒. »

Paf ! Le ton est donné, avec ce regard en arrière sans concession. Il y oppose tout de suite une proposition pour l’avenir : l’Europe, seule piste crédible à ses yeux, et le retour de l’État, comme devant mieux répartir les revenus vers les plus démunis, mais aussi restaurer sa puissance et soustraire les aspects sociaux et environnementaux aux lois du marché. Il explique que c’est cela qui l’a poussé à écrire ce bouquin, en rupture avec les idées qu’il a pu défendre il y a 20 ans.

𝗟𝗲 𝗿𝗲𝘁𝗼𝘂𝗿 𝗱𝗲 𝗹’𝗲́𝘁𝗮𝘁 𝘀𝘁𝗿𝗮𝘁𝗲̀𝗴𝗲.

Bruno Colmant explique ensuite comment il est arrivé à la conclusion qu’il fallait un « retour de l’état stratège » : dans un contexte de mondialisation et d’interdépendance croissantes des pays, basée sur une économie de marché néolibérale, il apparaît de plus en plus certain que nous courons à la catastrophe dans les 5 années qui viennent. Pour tenter d’éviter le pire – ou en tout cas de l’amortir, l’état devrait se soustraire aux intérêts et lobbies privés, qui détruisent les structures collectives, qui « font obstacle à la logique d’un marché pur et sans friction » : « 𝐶’𝑒𝑠𝑡 𝑢𝑛 𝑒́𝑡𝑎𝑡 𝑑𝑜𝑛𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑟𝑒𝑝𝑟𝑒́𝑠𝑒𝑛𝑡𝑎𝑛𝑡𝑠 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑑𝑖𝑠𝑡𝑎𝑛𝑡𝑠 𝑑𝑒 𝑡𝑜𝑢𝑡 𝑐𝑜𝑛𝑓𝑙𝑖𝑡 𝑑’𝑖𝑛𝑡𝑒́𝑟𝑒̂𝑡 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑡𝑜𝑢𝑡𝑒 𝑐𝑜𝑟𝑟𝑢𝑝𝑡𝑖𝑜𝑛, 𝑟𝑒𝑠𝑝𝑒𝑐𝑡𝑢𝑒𝑢𝑥, ℎ𝑢𝑚𝑏𝑙𝑒𝑠, 𝑚𝑜𝑑𝑒𝑠𝑡𝑒𝑠, 𝑒𝑡 𝑎̀ 𝑙’𝑒́𝑐𝑜𝑢𝑡𝑒, 𝑒𝑚𝑝𝑟𝑒𝑖𝑛𝑡𝑠 𝑑𝑒 𝑚𝑜𝑟𝑎𝑙𝑖𝑡𝑒́ 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑐𝑖𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑙𝑖𝑚𝑖𝑡𝑒𝑠, 𝑐’𝑒𝑠𝑡-𝑎̀-𝑑𝑖𝑟𝑒 𝑡𝑟𝑒̀𝑠 𝑙𝑜𝑖𝑛 𝑑𝑒𝑠 𝑒𝑛𝑓𝑖𝑒́𝑣𝑟𝑒́𝑠 𝑎𝑝𝑝𝑟𝑒𝑛𝑡𝑖𝑠 𝑠𝑜𝑟𝑐𝑖𝑒𝑟𝑠 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑚𝑒́𝑔𝑎𝑙𝑜𝑚𝑎𝑛𝑖𝑎𝑞𝑢𝑒 » (p.28).

Il va plus loin : c’est un état au service d’un projet démocratique, soucieux de faire participer les citoyens, capable d’anticipation, d’actions transversales de long terme, capable de coordonner et de planifier avec le secteur privé, protecteur, qui assure un juste partage, qui assure une veille économique, et j’en passe… ça ressemble, en effet, à ce que tout citoyen pourrait attendre d’un état, mais donc nous sommes manifestement bien loin par les temps qui courent.

Cet état « idéalisé » se serait perdu, fourvoyé, alors qu’il plongeait il y a quarante ans dans un contexte d’économie de marché anglo-saxonne, allant de paire avec un changement structurel des relations entre capital et travail : la sur-importance donnée au capital, devenu plus mobile que le travail, a provoqué d’énormes disparités économiques, sociales, climatiques et environnementales, contre lesquelles « 𝑙𝑒𝑠 𝑝𝑒𝑢𝑝𝑙𝑒𝑠 𝑠’𝑖𝑛𝑠𝑢𝑟𝑔𝑒𝑛𝑡 𝑒𝑛 𝑒́𝑏𝑟𝑎𝑛𝑙𝑎𝑛𝑡 𝑝𝑎𝑟𝑓𝑜𝑖𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑒́𝑡𝑎𝑡𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑛𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑜𝑛𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑝𝑟𝑜𝑡𝑒́𝑔𝑒́𝑠 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑟𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑓𝑜𝑟𝑐𝑒𝑠 𝑑𝑢 𝑚𝑎𝑟𝑐ℎ𝑒́ ».

Mais attention, Bruno Colmant se revendique malgré tout capitaliste, mais il ajoute que le capitalisme fonctionne quand « 𝑙𝑒 𝑚𝑎𝑟𝑐ℎ𝑒́ 𝑒𝑡 𝑙𝑎 𝑟𝑒̀𝑔𝑙𝑒 𝑑𝑒 𝑑𝑟𝑜𝑖𝑡 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑙’𝑎𝑣𝑒𝑟𝑠 𝑒𝑡 𝑙𝑒 𝑟𝑒𝑣𝑒𝑟𝑠 𝑑’𝑢𝑛𝑒 𝑚𝑒̂𝑚𝑒 𝑝𝑖𝑒̀𝑐𝑒. […] 𝑆𝑖 𝑙’𝑒𝑓𝑓𝑖𝑐𝑎𝑐𝑖𝑡𝑒́ 𝑒́𝑐𝑜𝑛𝑜𝑚𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑑𝑢 𝑐𝑎𝑝𝑖𝑡𝑎𝑙𝑖𝑠𝑚𝑒 𝑛’𝑒𝑠𝑡 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑎̀ 𝑝𝑟𝑜𝑢𝑣𝑒𝑟, 𝑙𝑎 𝑟𝑒́𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑎𝑙𝑒 𝑑𝑒 𝑠𝑒𝑠 𝑏𝑖𝑒𝑛𝑓𝑎𝑖𝑡𝑠 𝑒𝑥𝑖𝑔𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑜𝑢𝑣𝑜𝑖𝑟𝑠 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑎𝑑𝑒́𝑞𝑢𝑎𝑡𝑠 » (p.33). Une sorte de capitalisme social ? Voilà une question à lui poser… Pour lui, donc, le capitalisme exige une régulation étatique, ce que refuse le néo-libéralisme, et ce qu’il justifie longuement dans les pages qui suivent (je ne vais quand même pas spoiler la totalité du bouquin).

𝐋𝐚 𝐜𝐫𝐢𝐬𝐞 𝐝𝐞 𝟐𝟎𝟎𝟖.

2008, tout le monde s’en souvient, et l’année de cette fameuse crise des Subprimes (il retrace brièvement les événements, mais si vous voulez quelque chose de plus exhaustif, je vous invite à lire « Illusion Financière » de Gaël Giraud, donc j’ai écrit une longue note de lecture ici : https://etatdurgence.ch/blog/livres/illusion-financiere/). A ce moment, Bruno Colmant est président de la Bourse de Bruxelles et siège au comité de direction de la Bourse de New York… Il consacre d’ailleurs un livre à cet événement (que je n’ai pas lu) : « 2008, l’année du Krash », chez De Boek & Larcier.

Il semble qu’un déclic soit apparu à l’occasion de cette crise : « 𝑃𝑎𝑠𝑠𝑎𝑔𝑒𝑟𝑠 𝑐𝑙𝑎𝑛𝑑𝑒𝑠𝑡𝑖𝑛𝑠 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑣𝑎𝑔𝑢𝑒 𝑛𝑒́𝑜𝑙𝑖𝑏𝑒́𝑟𝑎𝑙𝑒 𝑑𝑒𝑝𝑢𝑖𝑠 𝑞𝑢𝑎𝑟𝑎𝑛𝑡𝑒 𝑎𝑛𝑠, 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑟𝑒́𝑎𝑙𝑖𝑠𝑜𝑛𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑐𝑒 𝑐𝑎𝑝𝑖𝑡𝑎𝑙𝑖𝑠𝑚𝑒 𝑎𝑛𝑔𝑙𝑜-𝑠𝑎𝑥𝑜𝑛 𝑛’𝑒𝑠𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑎𝑡𝑖𝑏𝑙𝑒 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑙𝑒𝑠 𝑒𝑛𝑔𝑎𝑔𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑠 𝑝𝑟𝑜𝑚𝑖𝑠 𝑝𝑎𝑟 𝑛𝑜𝑠 𝑒́𝑡𝑎𝑡𝑠 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑎𝑢𝑥 » (p.41). Dans les pages suivantes, il explique de quoi est faite cette incompatibilité entre néolibéralisme et état social, pour en venir à la conclusion tout cela nous a amené au bord de bouleversements incontrôlés, qui risquent bien de nous tuer, sauf à revenir à la raison : les limites planétaires nous indiquent que nos désirs sont inatteignables…

Il poursuit sur une critique de l’Euro, pas dans sa légitimité, mais bien dans le cadre de sa mise en œuvre : c’eût été une très belle idée, mais « 𝑚𝑎𝑙ℎ𝑒𝑢𝑟𝑒𝑢𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡, 𝑙’𝐸𝑢𝑟𝑜 𝑛𝑒 𝑠’𝑒𝑠𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑎𝑐𝑐𝑜𝑚𝑝𝑎𝑔𝑛𝑒́ 𝑑’𝑢𝑛𝑒 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑖𝑛𝑑𝑢𝑠𝑡𝑟𝑖𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑒𝑢𝑟𝑜𝑝𝑒́𝑒𝑛𝑛𝑒 𝑐𝑜ℎ𝑒́𝑟𝑒𝑛𝑡𝑒, 𝑎𝑢 𝑚𝑜𝑡𝑖𝑓 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑠𝑢𝑝𝑒́𝑟𝑖𝑜𝑟𝑖𝑡𝑒́ 𝑑𝑒́𝑐𝑖𝑠𝑖𝑜𝑛𝑛𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑚𝑎𝑟𝑐ℎ𝑒́𝑠. 𝐶𝑜𝑚𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑢𝑛𝑒 𝑡𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑚𝑦𝑜𝑝𝑖𝑒 𝑎-𝑡-𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑝𝑢 𝑎𝑐𝑐𝑎𝑏𝑙𝑒𝑟 𝑙𝑒𝑠 𝑑𝑖𝑝𝑙𝑜𝑚𝑎𝑡𝑒𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑜𝑛𝑡 𝑛𝑒́𝑔𝑜𝑐𝑖𝑒́ 𝑙𝑎 𝑚𝑜𝑛𝑛𝑎𝑖𝑒 𝑢𝑛𝑖𝑞𝑢𝑒 ? » (p.57).

L’état fut donc « 𝑑𝑒́𝑝𝑜𝑢𝑖𝑙𝑙𝑒́ 𝑑𝑒 𝑠𝑒𝑠 𝑝𝑟𝑒́𝑟𝑜𝑔𝑎𝑡𝑖𝑣𝑒𝑠 𝑑’𝑖𝑛𝑣𝑒𝑠𝑡𝑖𝑠𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑔𝑢𝑖𝑑𝑎𝑔𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑒́𝑐𝑜𝑛𝑜𝑚𝑖𝑒𝑠 » (p.58), mais en plus il a été contraint à des équilibres budgétaires, ce qui a provoqué selon lui un « laminage » des investissements publics, tout cela parce qu’il existe deux sortes de déficits publics (expansionniste et récessif, je vous laisse lire le bouquin pour les détails, Giraud en parle également dans Illusion Financière), qui ont été confondus bien à tort par la pensée néolibérale, et la BCE d’en prendre pour son grade dans la foulée !

Concernant les événements récents en Europe (la guerre en Ukraine), je ne suis pas étonné de lire qu’il considère cela comme un facteur aggravant (et non comme une cause). Il la considère d’ailleurs comme « 𝑢𝑛𝑒 𝑙𝑒𝑛𝑡𝑒 𝑔𝑢𝑒𝑟𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑑𝑒́𝑠𝑒𝑠𝑝𝑜𝑖𝑟 𝑑’𝑢𝑛 𝑚𝑜𝑛𝑑𝑒 𝑞𝑢𝑖 𝑠’𝑒́𝑝𝑢𝑖𝑠𝑒 » (p.62).

Le constat du contexte pour les années qui viennent est sans appel, et parfaitement clairvoyant, je trouve : nous nous dirigeons vers des pénuries d’énergie, une hausse des prix alimentaires, une baisse de pouvoir d’achat, une rancœur sociale croissante, une baisse de compétitivité des entreprises, des faillites, du chômage. L’état devra, obligatoirement, creuser un déficit budgétaire, et la BCE n’aura pas grand pouvoir d’action. Car, souligne-t-il bien à propos, « 𝑙𝑎 𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠𝑠𝑎𝑛𝑐𝑒 𝑟𝑒𝑞𝑢𝑖𝑒𝑟𝑡, 𝑎̀ 𝑐𝑜𝑢𝑟𝑡 𝑡𝑒𝑟𝑚𝑒, 𝑑𝑒 𝑙’𝑒́𝑛𝑒𝑟𝑔𝑖𝑒 […] 𝑎𝑙𝑜𝑟𝑠 𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑓𝑎𝑢𝑡, 𝑒𝑛 𝑚𝑒̂𝑚𝑒 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠, 𝑖𝑚𝑝𝑒́𝑟𝑎𝑡𝑖𝑣𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑟𝑒𝑠𝑡𝑎𝑢𝑟𝑒𝑟 𝑑𝑒𝑠 𝑒́𝑞𝑢𝑖𝑙𝑖𝑏𝑟𝑒𝑠 𝑐𝑙𝑖𝑚𝑎𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑒𝑛𝑣𝑖𝑟𝑜𝑛𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑎𝑢𝑥 » (p.65).

Alors, que faire ? Partir à la reconquête de la démocratie ? Oui, mais elle est menacée par la croissance des inégalités (on le voit d’ailleurs un peu partout, les extrêmes montent en grade ). Pour lui, « 𝑙𝑒 𝑑𝑒́𝑐𝑜𝑢𝑟𝑎𝑔𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑐𝑖𝑣𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑒𝑠𝑡 𝑖𝑛𝑐𝑜𝑛𝑡𝑒𝑠𝑡𝑎𝑏𝑙𝑒 » (p.67). Et d’ajouter « 𝑂𝑟, 𝑙’𝑒́𝑡𝑎𝑡 𝑠𝑡𝑟𝑎𝑡𝑒̀𝑔𝑒 𝑛𝑒 𝑝𝑒𝑢𝑡 𝑟𝑒́𝑠𝑢𝑙𝑡𝑒𝑟 𝑞𝑢𝑒 𝑑’𝑢𝑛 𝑙𝑜𝑛𝑔 𝑝𝑟𝑜𝑐𝑒𝑠𝑠𝑢𝑠 𝑒́𝑙𝑒𝑐𝑡𝑜𝑟𝑎𝑙 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑢𝑙𝑡𝑎𝑡𝑖𝑓, 𝑐𝑎𝑟 𝑖𝑙 𝑓𝑎𝑢𝑡 𝑐𝑜𝑛𝑐𝑖𝑙𝑖𝑒𝑟 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑎𝑔𝑒 𝑒𝑡 𝑗𝑢𝑠𝑡𝑖𝑐𝑒 » (p.68). Comment lui donner tort, mais comment y croire encore… n’a-t-on pas déjà passé la frontière (au moment où j’écris le gouvernement français vient de passer son 11ème 49.3 concernant la réforme des retraites).

𝐓𝐨𝐮𝐬 𝐚𝐭𝐨𝐦𝐢𝐬𝐞́𝐬 ?

Le néolibéralisme anglo-saxon est pointé directement du doigt par l’auteur : « 𝐿𝑒 𝑚𝑜𝑑𝑒̀𝑙𝑒 𝑛𝑒́𝑜𝑙𝑖𝑏𝑒́𝑟𝑎𝑙 𝑒𝑛𝑡𝑟𝑒𝑡𝑖𝑒𝑛𝑡 𝑙’𝑖𝑛𝑡𝑟𝑎𝑛𝑞𝑢𝑖𝑙𝑙𝑖𝑡𝑒́ 𝑚𝑜𝑟𝑎𝑙𝑒 𝑒𝑡 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑒́𝑡𝑎𝑙𝑒 𝑞𝑢𝑒 𝑠𝑒𝑢𝑙𝑒 𝑙𝑎 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑜𝑚𝑚𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑝𝑒𝑢𝑡 𝑎𝑝𝑎𝑖𝑠𝑒𝑟 » (p.69). En effet, il sous-tend que chacun d’entre nous devienne un microcapitaliste, mu par son seul intérêt et sa prospérité individuelle, et donc que la « 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑐𝑖𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑑𝑖𝑠𝑝𝑎𝑟𝑎𝑖̂𝑡 𝑎𝑢 𝑝𝑟𝑜𝑓𝑖𝑡 𝑑’𝑢𝑛 𝑠𝑒𝑢𝑙 𝑑𝑒́𝑠𝑖𝑟 𝑑𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑜𝑚𝑚𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑖𝑛𝑠𝑎𝑡𝑖𝑎𝑏𝑙𝑒 ». Nous serions donc dans une forme d’atomisation des individus, destinés à être une valeur mobilière se fondant dans la logique de marché. Dans ce contexte, « 𝑙’𝑒́𝑡𝑎𝑡 𝑑𝑜𝑖𝑡 𝑟𝑒𝑠𝑡𝑒𝑟 𝑢𝑛 𝑟𝑒𝑝𝑒̀𝑟𝑒, 𝑎𝑣𝑎𝑛𝑡 𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑛𝑒 𝑠𝑜𝑖𝑡 𝑖𝑛𝑠𝑡𝑟𝑢𝑚𝑒𝑛𝑡𝑎𝑙𝑖𝑠𝑒́ 𝑑𝑒 𝑚𝑎𝑛𝑖𝑒̀𝑟𝑒 𝑝𝑜𝑝𝑢𝑙𝑖𝑠𝑡𝑒 » (p.71). Ma question étant, encore une fois : n’est-il pas déjà trop tard ?

𝐔𝐧 𝐚𝐮𝐭𝐫𝐞 𝐫𝐞́𝐜𝐢𝐭 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐩𝐚𝐲𝐞𝐫 𝐧𝐨𝐭𝐫𝐞 𝐝𝐞𝐭𝐭𝐞 𝐞́𝐜𝐨𝐥𝐨𝐠𝐢𝐪𝐮𝐞 ?

De nos jours, la notion de récit est devenue centrale dans beaucoup de discours touchant à la transition, les bascules, les effondrements. Bruno Colmant semble également – même s’il n’appelle pas cela comme ça – en être partisan : pour lui, il faut absolument reformuler un projet de société : nous sommes actuellement dans « 𝑙’𝑒́𝑡𝑎𝑡 𝑠𝑝𝑒𝑐𝑡𝑎𝑐𝑙𝑒, 𝑒𝑡 𝑐𝑒𝑙𝑎 𝑑𝑜𝑖𝑡 𝑐𝑒𝑠𝑠𝑒𝑟 » (p.73), d’autant qu’une lourde contrainte nous tombe dessus : la dette écologique. « 𝑁𝑜𝑢𝑠 𝑎𝑣𝑜𝑛𝑠 𝑖𝑛𝑣𝑒𝑟𝑠𝑒́ 𝑙𝑒 𝑠𝑒𝑛𝑠 𝑑𝑢 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠 𝑒𝑡 𝑙𝑒 𝑓𝑢𝑡𝑢𝑟 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑝𝑟𝑒́𝑠𝑒𝑛𝑡𝑒𝑟𝑎 𝑙𝑒 𝑝𝑟𝑖𝑥 𝑑𝑒 𝑠𝑜𝑛 𝑒𝑚𝑝𝑟𝑢𝑛𝑡. 𝑀𝑜𝑛 𝑖𝑛𝑡𝑢𝑖𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑠𝑡 𝑞𝑢𝑒 𝑛𝑜𝑠 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑒́𝑡𝑒́𝑠 𝑠’𝑖𝑛𝑠𝑐𝑟𝑖𝑣𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑢𝑛𝑒 𝑎𝑚𝑏𝑖𝑣𝑎𝑙𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑠𝑐ℎ𝑖𝑧𝑜𝑝ℎ𝑟𝑒́𝑛𝑖𝑞𝑢𝑒. 𝐸𝑙𝑙𝑒𝑠 𝑎𝑐𝑐𝑒́𝑙𝑒̀𝑟𝑒𝑛𝑡 𝑙𝑒𝑢𝑟𝑠 𝑒𝑚𝑝𝑟𝑢𝑛𝑡𝑠 𝑎𝑢 𝑓𝑢𝑡𝑢𝑟 𝑡𝑜𝑢𝑡 𝑒𝑛 𝑟𝑒𝑠𝑠𝑒𝑛𝑡𝑎𝑛𝑡 𝑎𝑢 𝑓𝑜𝑛𝑑 𝑑’𝑒𝑙𝑙𝑒𝑠-𝑚𝑒̂𝑚𝑒𝑠 𝑙’𝑖𝑚𝑚𝑖𝑛𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑒𝑢𝑟 𝑓𝑖𝑛𝑖𝑡𝑢𝑑𝑒 » (p.73).

Autant dire que le « récit » dominant notre société, le néolibéralisme, a fait son temps, bien malhonnêtement, nous plongeant dans le désarroi face à un défi, une catastrophe imminente : « 𝐋𝐞 𝐜𝐚𝐭𝐚𝐜𝐥𝐲𝐬𝐦𝐞 𝐞𝐧𝐯𝐢𝐫𝐨𝐧𝐧𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭𝐚𝐥 ». Son constat est limpide :« 𝐿’𝑒́𝑐𝑜𝑠𝑝ℎ𝑒̀𝑟𝑒 𝑒𝑠𝑡 𝑑𝑒́𝑠𝑡𝑎𝑏𝑖𝑙𝑖𝑠𝑒́𝑒 𝑝𝑎𝑟 𝑛𝑜𝑠 𝑚𝑜𝑑𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑝𝑟𝑜𝑑𝑢𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛, 𝑑𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑜𝑚𝑚𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑔𝑎𝑠𝑝𝑖𝑙𝑙𝑎𝑔𝑒. 𝐶𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑡𝑎𝑡 𝑒𝑠𝑡 𝑡𝑒𝑟𝑟𝑖𝑓𝑖𝑎𝑛𝑡, 𝑐𝑎𝑟 𝑙’ℎ𝑎𝑏𝑖𝑡𝑎𝑏𝑖𝑙𝑖𝑡𝑒́ 𝑑𝑒 𝑝𝑙𝑎𝑛𝑒̀𝑡𝑒 𝑒𝑠𝑡 𝑒𝑛 𝑗𝑒𝑢. 𝐿𝑎 𝑑𝑒𝑡𝑡𝑒 𝑐𝑙𝑖𝑚𝑎𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑒𝑡 𝑒𝑛𝑣𝑖𝑟𝑜𝑛𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑎𝑙𝑒 𝑑𝑒𝑣𝑖𝑒𝑛𝑡 𝑒𝑥𝑖𝑔𝑖𝑏𝑙𝑒 𝑒𝑡 𝑢𝑛 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑡𝑒 𝑎̀ 𝑟𝑒𝑏𝑜𝑢𝑟𝑠 𝑙𝑒́𝑡ℎ𝑎𝑙 𝑒𝑠𝑡 𝑑𝑜𝑛𝑐 𝑒𝑛𝑔𝑎𝑔𝑒́. 𝐿𝑒 𝑐ℎ𝑎𝑛𝑔𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑐𝑙𝑖𝑚𝑎𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑎𝑛𝑡ℎ𝑟𝑜𝑝𝑖𝑞𝑢𝑒, 𝑐’𝑒𝑠𝑡-𝑎̀-𝑑𝑖𝑟𝑒 𝑐𝑟𝑒́𝑒́ 𝑝𝑎𝑟 𝑙𝑒𝑠 ℎ𝑢𝑚𝑎𝑖𝑛𝑠, 𝑝𝑜𝑢𝑟𝑟𝑎𝑖𝑡 𝑒𝑛𝑡𝑟𝑎𝑖̂𝑛𝑒𝑟 𝑢𝑛 𝑒𝑓𝑓𝑜𝑛𝑑𝑟𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑒́𝑡𝑒́ ℎ𝑢𝑚𝑎𝑖𝑛𝑒 » (p.75).

Mais pourquoi diable tous les économiques n’ont pas encore compris ça !!! Il liste une série de défis qui nous attendent , d’échéances bien connues, pour expliciter l’évidence même : « 𝑖𝑙 𝑒𝑠𝑡 𝑑𝑜𝑛𝑐 𝑠𝑖𝑚𝑝𝑙𝑒 𝑑𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑐𝑙𝑢𝑟𝑒 𝑞𝑢’𝑢𝑛𝑒 𝑒́𝑐𝑜𝑛𝑜𝑚𝑖𝑒 𝑞𝑢𝑖 𝑑𝑖𝑚𝑖𝑛𝑢𝑒 𝑙’𝑒𝑚𝑝𝑟𝑒𝑖𝑛𝑡𝑒 𝑒́𝑐𝑜𝑙𝑜𝑔𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑑𝑒 𝑠𝑒𝑠 𝑚𝑒𝑚𝑏𝑟𝑒𝑠 𝑎𝑢𝑔𝑚𝑒𝑛𝑡𝑒 𝑙𝑒 𝑐𝑎𝑝𝑖𝑡𝑎𝑙 𝑒́𝑐𝑜𝑙𝑜𝑔𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑔𝑒́𝑛𝑒́𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑓𝑢𝑡𝑢𝑟𝑒𝑠 » (p.78), et cela est inatteignable sans une reprise en main étatique ! Certes il aurait pu, comme nombre de ses pairs, parier sur la technologie, mais clairvoyant, il affirme que miser sur ce seul aspect relève de la pensée magique (ouf !).

Il associe l’échec écologique passé et actuel à notre rapport aux valeurs artificielles plutôt qu’à la valeur immatérielle et incalculable de notre environnement :« 𝑁𝑜𝑢𝑠 𝑠𝑜𝑚𝑚𝑒𝑠 𝑟𝑖𝑐ℎ𝑒𝑠 𝑑’𝑢𝑛 𝑠𝑦𝑚𝑏𝑜𝑙𝑒, 𝑚𝑎𝑖𝑠 𝑝𝑎𝑢𝑣𝑟𝑒𝑠 𝑑‘𝑢𝑛𝑒 𝑡𝑒𝑟𝑟𝑒. […] 𝑒́𝑟𝑒𝑖𝑛𝑡𝑒𝑟 𝑢𝑛𝑒 𝑛𝑎𝑡𝑢𝑟𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑟𝑒 𝑢𝑛𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑣𝑒𝑛𝑡𝑖𝑜𝑛, 𝑙𝑎 𝑚𝑜𝑛𝑛𝑎𝑖𝑒, 𝑑𝑜𝑛𝑡 𝑙𝑎 𝑟𝑒́𝑚𝑢𝑛𝑒́𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑠𝑡 𝑢𝑛 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑑𝑒𝑣𝑟𝑎𝑖𝑡 𝑒̂𝑡𝑟𝑒 𝑔𝑟𝑎𝑡𝑢𝑖𝑡, 𝑒𝑡 𝑑𝑜𝑛𝑐 𝑢𝑛 𝑒́𝑐ℎ𝑒𝑐 𝑎𝑏𝑦𝑠𝑠𝑎𝑙 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑒𝑛𝑠𝑒́𝑒 𝑣𝑜𝑖𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑐𝑖𝑣𝑖𝑙𝑖𝑠𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 » (p.84).

Il lance un avertissement clair au monde politique, identique à celui que j’ai souvent entendu expliquer aux élus par Arthur Keller: « 𝐷𝑒𝑠 𝑝𝑜𝑝𝑢𝑙𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑝𝑜𝑢𝑟𝑟𝑎𝑖𝑒𝑛𝑡 𝑠𝑒 𝑟𝑒𝑡𝑜𝑢𝑟𝑛𝑒𝑟 𝑣𝑖𝑜𝑙𝑒𝑚𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑟𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝐸𝑡𝑎𝑡𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑛’𝑎𝑢𝑟𝑜𝑛𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑒́𝑡𝑒́ 𝑠𝑢𝑓𝑓𝑖𝑠𝑎𝑚𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑣𝑖𝑠𝑖𝑜𝑛𝑛𝑎𝑖𝑟𝑒𝑠 ». Et un nouvel aveu survient : il n’est plus possible, comme il l’a cru trop longtemps, de dissocier économie et écologie (séparation pourtant bien ancrée dans les théories économiques au moins depuis Jean-Baptiste Say), et il n’est pas non plus possible de laisser les marchés se réguler et gérer ce « cataclysme environnemental », car ils ne sont guère outillés pour cela, et ne sont d’ailleurs pas construits dans ce but.

Selon l’auteur, « 𝐼𝑙 𝑠𝑒𝑟𝑎𝑖𝑡 𝑝𝑒𝑢𝑡-𝑒̂𝑡𝑟𝑒 𝑢𝑡𝑖𝑙𝑒 𝑑’𝑖𝑛𝑣𝑒𝑛𝑡𝑒𝑟 𝑢𝑛 𝑛𝑜𝑢𝑣𝑒𝑎𝑢 𝑠𝑦𝑠𝑡𝑒̀𝑚𝑒 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑡𝑎𝑏𝑙𝑒 𝑞𝑢𝑖 𝑖𝑛𝑡𝑒̀𝑔𝑟𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑡𝑟𝑜𝑖𝑠 𝑓𝑎𝑐𝑡𝑒𝑢𝑟𝑠 𝑑𝑒 𝑝𝑟𝑜𝑑𝑢𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛, 𝑎̀ 𝑠𝑎𝑣𝑜𝑖𝑟 𝑙𝑒 𝑐𝑎𝑝𝑖𝑡𝑎𝑙, 𝑙𝑒 𝑡𝑟𝑎𝑣𝑎𝑖𝑙, 𝑒𝑡 𝑙𝑎 𝑛𝑎𝑡𝑢𝑟𝑒 » (p.92). Diantre, comment n’y avons-nous pas pensé avant ? C’est une critique formulée, répétée, martelée par de très nombreux penseurs, écologistes, quelques rares économistes depuis au moins 50 années. Bon, on dit qu’il n’est jamais trop tard, mais pour le coup, j’ai la nette impression que si. Dommage…

D’après moi, il subsiste malgré tout une incohérence chez l’auteur, que j’aurai sans doute l’occasion d’éclaircir lors d’une rencontre : il écrit un raisonnement qui me laisse dubitatif (p.94): 1. Le capitalisme est le seul système économique expansionniste de l’histoire : s’il ne se développe pas, il s’effondre. 2. La lutte contre le changement climatique n’est pas compatible avec une croissance infinie. Je ne comprend dès lors pas comment l’auteur peut se définir comme profondément capitaliste, tout en étant aussi clairvoyant sur les catastrophes qui nous tombent dessus… D’ailleurs, Bruno Colmant parle d’un retour aux communs nécessaire, sous l’égide d’un état stratège bien sûr !

Pour plus de détails sur la question, j’en parle dans ma note de lecture de Gaël Giraud déjà cité plus haut (Illusion Financières), mais également dans ma note de « La tragédie des communs » de Garett Hardin, disponible ici : https://etatdurgence.ch/blog/livres/la-tragedie-des-communs/.

Il parle tout de même de « ligoter l’économie de marché aux contraintes climatiques et environnementales » : bon, à part préparer et pratiquer une décroissance, je ne vois pas comment on va y arriver, et ce n’est pas précisément un concept capitaliste orthodoxe.

D’ailleurs, il y vient :« 𝐹𝑎𝑢𝑡-𝑖𝑙 𝑎𝑙𝑜𝑟𝑠 𝑝𝑙𝑎𝑖𝑑𝑒𝑟 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑙𝑎 𝑑𝑒́𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠𝑠𝑎𝑛𝑐𝑒 ? 𝐿𝑜𝑛𝑔𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠, 𝑗’𝑎𝑖 𝑐𝑜𝑚𝑏𝑎𝑡𝑡𝑢 𝑐𝑒𝑡𝑡𝑒 𝑖𝑑𝑒́𝑒. 𝐴𝑢𝑗𝑜𝑢𝑟𝑑’ℎ𝑢𝑖, 𝑗𝑒 𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠 𝑞𝑢’𝑢𝑛 𝑑𝑒́𝑏𝑎𝑡 𝑐𝑖𝑡𝑜𝑦𝑒𝑛 𝑒𝑠𝑡 𝑛𝑒́𝑐𝑒𝑠𝑠𝑎𝑖𝑟𝑒, 𝑐𝑎𝑟 𝑖𝑙 𝑝𝑒𝑢𝑡 𝑝𝑒𝑢𝑡-𝑒̂𝑡𝑟𝑒 𝑠𝑎𝑢𝑣𝑒𝑟 𝑛𝑜𝑠 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑒́𝑡𝑒́𝑠 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠𝑠𝑎𝑛𝑐𝑒 » (p.100).

Bingo ! Je vous laisse découvrir les 3 voies qu’il identifie pour une décroissance, car ce n’est pas le sujet du livre, sachez qu’il cite tout de même Timothée Parrique de manière plutôt élogieuse. Il n’est cependant pas très optimiste quant à la réalité politique : « 𝑀𝑎𝑖𝑠 𝑗𝑒 𝑐𝑟𝑎𝑖𝑛𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑙’𝑎𝑚𝑏𝑖𝑔𝑢𝑖̈𝑡𝑒́, 𝑣𝑜𝑖𝑟𝑒 𝑙’ℎ𝑦𝑝𝑜𝑐𝑟𝑖𝑠𝑖𝑒, 𝑑𝑒𝑠 𝑡𝑟𝑖𝑏𝑢𝑛𝑠 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑐𝑜𝑛𝑑𝑢𝑖𝑠𝑒 𝑎̀ 𝑝𝑟𝑜𝑚𝑜𝑢𝑣𝑜𝑖𝑟 𝑙𝑎 𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠𝑠𝑎𝑛𝑐𝑒 𝑣𝑒𝑟𝑡𝑒, 𝑠𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑎 𝑑𝑒́𝑓𝑖𝑛𝑖𝑟, 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑒 𝑝𝑟𝑒́𝑡𝑒𝑥𝑡𝑒 𝑎̀ 𝑙’𝑒́𝑣𝑖𝑡𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑑’𝑢𝑛𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑓𝑟𝑜𝑛𝑡𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑎̀ 𝑢𝑛 𝑑𝑒́𝑏𝑎𝑡 𝑐𝑖𝑡𝑜𝑦𝑒𝑛 » (p.101).

Je trouve que c’est tout à fait ça : le monde politique, à quelques exceptions près bien entendu, a trop d’intérêts dans le système actuel que pour fournir l’effort nécessaire à le remettre en question. Il n’est pas outillé pour cela, et ne désire sans doute pas s’outiller (c’est mon avis personnel, pas celui de l’auteur).

𝐈𝐥 𝐲 𝐚 𝐜𝐚𝐩𝐢𝐭𝐚𝐥𝐢𝐬𝐦𝐞 𝐞𝐭 𝐜𝐚𝐩𝐢𝐭𝐚𝐥𝐢𝐬𝐦𝐞 ?

Selon Bruno Colmant, il n’y a pas un capitalisme unique et monolithique, mais bien des capitalismes, en dehors de ses influences anglo-saxonnes et néolibérales :

• Le capitalisme Rhénan, d’abord, provenant d’Allemagne de l’Ouest : il s’agit de promouvoir un concept d’économie sociale de marché. Puisant dans l’ordolibéralisme, la mission économique de l’état serait de maintenir un cadre normatif permettant la concurrence libre, non faussée entre les entreprises. Ce concept découle aussi de l’école économique de Fribourg, pour laquelle l’état doit créer un cadre institutionnel propice à l’économie et maintenir un niveau sain de concurrence.

• Le modèle scandinave, qui postule la promotion d’un état providence qui soutiendrait le libre-échange.Nous serions donc passés, dans les années 80/90 d’un capitalisme Rhénan à un capitalisme anglo-saxon, et donc d’un capitalisme de partage à un modèle d’accumulation et spéculatif, fondé sur 4 axiomes (il donne la référence de Pierre-Yves Gomez) : l’existence d’une économie de marché, une transparence des marchés, l’alignement des intérêts entre les facteurs de production (travail et capital), et l’efficience des marchés… autant dire que ça ne peut pas fonctionner, les postulats n’étant qu’une expérience de pensée, rien de plus (mon avis personnel encore une fois).

Plus grave encore, cela implique que l’état doive se retirer puisque le secteur privé peut mieux apprécier les choses…

Aujourd’hui, la frontière entre l’état et le marché est devenue plutôt flou : des entreprises sont plus puissantes que les états, et l’état n’est plus qu’une technostructure imbriquée dans le marché, destinée à faciliter l’optimisation de celui-ci.Bruno Colmant en revient donc à l’idée de proposer un autre récit pour les états : un nouveau projet de société partagé, solidaire, dans un cadre moral bienveillant et respectueux des contraintes environnementales. Pour ma part, ok je signe des deux mains, mais il va y avoir un sacré nombre de défis avant d’y parvenir !

𝐅𝐫𝐚𝐜𝐭𝐮𝐫𝐞𝐬.

« 𝐽𝑒 𝑐𝑟𝑎𝑖𝑛𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑒́𝑙𝑖𝑡𝑒𝑠 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑒́𝑐𝑜𝑛𝑜𝑚𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑒𝑚𝑝𝑜𝑟𝑎𝑖𝑛𝑒𝑠 𝑎𝑖𝑒𝑛𝑡, 𝑝𝑎𝑟 𝑐𝑦𝑛𝑖𝑠𝑚𝑒 𝑜𝑢 𝑖𝑛𝑑𝑖𝑓𝑓𝑒́𝑟𝑒𝑛𝑐𝑒, 𝑝𝑒𝑟𝑑𝑢 𝑙’𝑒́𝑐𝑜𝑢𝑡𝑒, 𝑙𝑎 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑟𝑒́ℎ𝑒𝑛𝑠𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑡 𝑙’𝑖𝑛𝑡𝑒𝑟𝑎𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑠𝑢𝑓𝑓𝑖𝑠𝑎𝑛𝑡𝑒 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑢𝑛𝑒 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑜𝑝𝑢𝑙𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛, 𝑝𝑟𝑒́𝑐𝑎𝑟𝑖𝑠𝑒́𝑒 𝑒𝑡 𝑚𝑎𝑟𝑔𝑖𝑛𝑎𝑙𝑖𝑠𝑒́𝑒 𝑠𝑜𝑢𝑠 𝑑𝑖𝑓𝑓𝑒́𝑟𝑒𝑛𝑡𝑠 𝑎𝑛𝑔𝑙𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑑𝑜𝑛𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑟𝑒́𝑎𝑙𝑖𝑡𝑒́𝑠 𝑑𝑒𝑣𝑖𝑒𝑛𝑛𝑒𝑛𝑡 𝑖𝑛𝑎𝑢𝑑𝑖𝑏𝑙𝑒𝑠 » (p.111). Voilà qui résonne pas mal actuellement, au vu de ce que l’on voit dans les différents gouvernements européens et les contestations populaires régulières qui y sont associées…

Pour lui, « 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑎𝑛𝑠 𝑒𝑛𝑡𝑖𝑒𝑟𝑠 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑜𝑝𝑢𝑙𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑣𝑖𝑣𝑒𝑛𝑡 𝑢𝑛 𝑑𝑒́𝑐𝑟𝑜𝑐ℎ𝑎𝑔𝑒 […], 𝑙𝑒𝑠 𝑟𝑒́𝑠𝑒𝑎𝑢𝑥 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑎𝑢𝑥 𝑒𝑛𝑓𝑙𝑒𝑛𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑝𝑢𝑙𝑠𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑛𝑎𝑟𝑐𝑖𝑠𝑠𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑝𝑒𝑟𝑠𝑜𝑛𝑛𝑒𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑑𝑒𝑣𝑖𝑒𝑛𝑛𝑒𝑛𝑡 𝑚𝑎𝑙ℎ𝑒𝑢𝑟𝑒𝑢𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑣𝑖𝑐𝑡𝑖𝑚𝑒𝑠 𝑑’𝑢𝑛𝑒 𝑒́𝑐𝑜𝑛𝑜𝑚𝑖𝑒 𝑖𝑟𝑟𝑎𝑑𝑖𝑎𝑛𝑡𝑒, 𝑚𝑎𝑖𝑠 𝑖𝑛𝑎𝑐𝑐𝑒𝑠𝑠𝑖𝑏𝑙𝑒 » (p.111). Or il parle de déni de cette réalité : « 𝑢𝑛 𝑑𝑒́𝑛𝑖 𝑑𝑒 𝑡𝑜𝑢𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑑𝑒́𝑓𝑖𝑠, 𝑞𝑢𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑞𝑢𝑒 𝑠𝑜𝑖𝑡 𝑙𝑒𝑢𝑟 𝑛𝑎𝑡𝑢𝑟𝑒, 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑒 𝑠𝑖 𝑙𝑒𝑠 𝑔𝑜𝑢𝑣𝑒𝑟𝑛𝑎𝑛𝑡𝑠 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑙𝑎𝑖𝑠𝑠𝑎𝑖𝑒𝑛𝑡 𝑔𝑙𝑖𝑠𝑠𝑒𝑟, 𝑡𝑒𝑙𝑠 𝑑𝑒𝑠 𝑠𝑜𝑚𝑛𝑎𝑚𝑏𝑢𝑙𝑒𝑠, 𝑣𝑒𝑟𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑔𝑟𝑎𝑛𝑑𝑠 𝑝𝑒́𝑟𝑖𝑙𝑠 : 𝑒𝑛𝑣𝑖𝑟𝑜𝑛𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑎𝑙, 𝑒́𝑐𝑜𝑛𝑜𝑚𝑖𝑞𝑢𝑒, 𝑓𝑖𝑛𝑎𝑛𝑐𝑖𝑒𝑟, 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑎𝑙, 𝑚𝑒́𝑑𝑖𝑐𝑎𝑙, 𝑒𝑡𝑐 » (p.112). « 𝑇𝑜𝑢𝑡𝑒 𝑢𝑛𝑒 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑜𝑝𝑢𝑙𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑛’𝑒𝑠𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑐𝑎𝑝𝑎𝑏𝑙𝑒 𝑑𝑒 𝑗𝑜𝑢𝑖𝑟 𝑑’𝑢𝑛𝑒 𝑣𝑖𝑒 𝑑𝑒́𝑐𝑒𝑛𝑡𝑒 ℎ𝑜𝑟𝑠 𝑑𝑢 𝑠𝑢𝑟𝑒𝑛𝑑𝑒𝑡𝑡𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡, 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑟𝑒́𝑐𝑎𝑟𝑖𝑡𝑒́ 𝑜𝑢 𝑚𝑒̂𝑚𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑎𝑢𝑣𝑟𝑒𝑡𝑒́ 𝑠𝑡𝑟𝑢𝑐𝑡𝑢𝑟𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑒𝑡 𝑒𝑚𝑝𝑟𝑖𝑠𝑜𝑛𝑛𝑎𝑛𝑡𝑒 », dit-il p.114.Et cela car nos sociétés, et l’état, ne parvient plus à effectuer correctement le partage des gains de productivité. On le voit d’ailleurs dans nombre d’études récentes : les fruits de la croissance ne profitent plus à grand monde à part les déjà très riches… et ça a été particulièrement le cas pendant et après les confinements où la fortune des plus riches a littéralement explosé !

Bruno Colmant nous offre un joli historique des différents faits politiques et économiques qui se sont succédé (démantèlement des accords de Bretton Woods, le consensus de Washington, le traité de Maastricht et autres) pour conclure d’une jolie manière son chapitre : « 𝐿𝑒 𝑝𝑜𝑢𝑣𝑜𝑖𝑟 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑎 𝑠𝑢𝑏𝑡𝑖𝑙𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑝𝑒𝑟𝑑𝑢 𝑠𝑜𝑛 𝑎𝑡𝑡𝑟𝑖𝑏𝑢𝑡 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑠𝑒 𝑡𝑟𝑎𝑛𝑠𝑓𝑜𝑟𝑚𝑒𝑟 𝑒𝑛 𝑡𝑒𝑐ℎ𝑛𝑜𝑠𝑡𝑟𝑢𝑐𝑡𝑢𝑟𝑒, 𝑞𝑢𝑒 𝑙’𝑜𝑛 𝑑𝑒𝑣𝑟𝑎𝑖𝑡 𝑚𝑒̂𝑚𝑒 𝑞𝑢𝑎𝑙𝑖𝑓𝑖𝑒𝑟 𝑑’𝑒́𝑐𝑜𝑠𝑦𝑠𝑡𝑒̀𝑚𝑒 𝑜𝑝𝑎𝑞𝑢𝑒, 𝑖𝑚𝑏𝑟𝑖𝑞𝑢𝑒́𝑒 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑒 𝑚𝑎𝑟𝑐ℎ𝑒́ 𝑒𝑡 𝑑𝑒𝑠𝑡𝑖𝑛𝑒́𝑒 𝑎̀ 𝑒𝑛 𝑓𝑎𝑐𝑖𝑙𝑖𝑡𝑒𝑟 𝑙𝑎 𝑚𝑢𝑡𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑡 𝑙’𝑜𝑝𝑡𝑖𝑚𝑖𝑠𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑡𝑎𝑛𝑡𝑒𝑠. 𝐿𝑒𝑑𝑖𝑡 𝑚𝑎𝑟𝑐ℎ𝑒́ 𝑑𝑖𝑔𝑒̀𝑟𝑒 𝑑’𝑎𝑢𝑡𝑎𝑛𝑡 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑙𝑎 𝑠𝑝ℎ𝑒̀𝑟𝑒 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑞𝑢𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑝𝑟𝑖𝑛𝑐𝑖𝑝𝑎𝑢𝑥 𝑎𝑡𝑡𝑟𝑖𝑏𝑢𝑡𝑠 𝑑𝑒 𝑙’𝑒́𝑡𝑎𝑡, 𝑎̀ 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑒𝑛𝑐𝑒𝑟 𝑝𝑎𝑟 𝑙𝑎 𝑚𝑜𝑛𝑛𝑎𝑖𝑒, 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑑𝑒́𝑠𝑜𝑟𝑚𝑎𝑖𝑠 𝑠𝑢𝑏𝑜𝑟𝑑𝑜𝑛𝑛𝑒́𝑠 𝑎̀ 𝑢𝑛 𝑜𝑟𝑑𝑟𝑒 𝑚𝑎𝑟𝑐ℎ𝑎𝑛𝑑 𝑠𝑢𝑝𝑒́𝑟𝑖𝑒𝑢𝑟. » (p.120).

S’en suit un court chapitre, sensiblement basé sur les mêmes constats, sur l’affaissement du sentiment européen, qu’il déplore. Là où l’Europe aurait pu être un beau projet de cohésion économique, fiscale, industrielle, monétaire, sociale, elle a été récupérée elle aussi par la sphère néolibérale, la coupant plus encore de l’adhésion des populations. Il fustige ensuite la manière dont l’Euro a été développé, pensé, dépouillant les états de pouvoir de contrôler leurs prix : cette monnaie a été bâtie sur le postulat que les facteurs de production allaient s’ajuster à l’introduction d’un nouvel étalon monétaire. Bien que, selon lui, un retour en arrière serait catastrophique et impensable, il n’y va pas par quatre chemins :« 𝐿𝑒𝑠 𝑟𝑒𝑠𝑝𝑜𝑛𝑠𝑎𝑏𝑙𝑒𝑠 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑜𝑛𝑡 𝑚𝑎𝑙 𝑐𝑟𝑒́𝑒́ 𝑙’𝐸𝑢𝑟𝑜 𝑝𝑜𝑟𝑡𝑒𝑛𝑡 𝑢𝑛𝑒 𝑟𝑒𝑠𝑝𝑜𝑛𝑠𝑎𝑏𝑖𝑙𝑖𝑡𝑒́ 𝑑𝑒𝑣𝑎𝑛𝑡 𝑙’ℎ𝑖𝑠𝑡𝑜𝑖𝑟𝑒 » (p.135).

Il voit une issue favorable tout de même à la condition d’un aboutissement d’une véritable union budgétaire assortie d’une union bancaire (qu’on appelle visiblement le « Saut Fédéral »), et donc un revirement idéologique fondé sur la solidarité (avis personnel : c’est pas demain la veille).

𝐆𝐨𝐮𝐯𝐞𝐫𝐧𝐞𝐫, 𝐜’𝐞𝐬𝐭 𝐩𝐫𝐞́𝐯𝐨𝐢𝐫.

Le monde politique s’en prend, soyons clair, plein la gueule. Pas gratuitement, mais basé sur des constats de dysfonctionnements graves et structurels. Pour Bruno Colmant, nous avons besoin d’ « 𝑒́𝑙𝑒𝑣𝑒𝑟 𝑑𝑒 𝑞𝑢𝑒𝑙𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑎𝑛𝑛𝑒́𝑒𝑠 𝑙’ℎ𝑜𝑟𝑖𝑧𝑜𝑛 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑑𝑒́𝑐𝑖𝑠𝑖𝑜𝑛 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 » et de l’ouvrir à « 𝑙’𝑎𝑝𝑝𝑜𝑟𝑡 𝑎𝑐𝑎𝑑𝑒́𝑚𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑒𝑡 𝑠𝑐𝑖𝑒𝑛𝑡𝑖𝑓𝑖𝑞𝑢𝑒 ». En fait il s’agit surtout de « 𝑟𝑒𝑠𝑡𝑎𝑢𝑟𝑒𝑟 𝑙𝑒 𝑐𝑢𝑙𝑡𝑒 𝑑𝑒 𝑙’𝑖𝑛𝑡𝑒́𝑟𝑒̂𝑡 𝑐𝑜𝑙𝑙𝑒𝑐𝑡𝑖𝑓 » (p.139).

Il n’existe selon lui pas de chemin bien défini, mais d’avoir comme principe directeur de « 𝑠𝑢𝑏𝑜𝑟𝑑𝑜𝑛𝑛𝑒𝑟 𝑡𝑜𝑢𝑡𝑒 𝑎𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑎̀ 𝑙’𝑖𝑛𝑡𝑒𝑙𝑙𝑖𝑔𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑑𝑢 𝑑𝑖𝑎𝑙𝑜𝑔𝑢𝑒 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑣𝑖𝑠𝑖𝑜𝑛 » (p.139 toujours).

Mon avis perso : autant dire qu’il faut alors enlever des téléphones de nos élus non seulement le controversé TikTok mais l’ensemble des réseaux sociaux de toute urgence (vous vous souvenez, la politique spectacle qui doit cesser vite, voir plus haut). Il donne quelques exemples d’états stratèges, montrant qu’ils sont devenus moins vulnérables (sans être immunisés) aux forces du marché.

Mais il va plus loin que ça :« 𝑅𝑒́𝑡𝑟𝑜𝑠𝑝𝑒𝑐𝑡𝑖𝑣𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡, 𝑖𝑙 𝑛’𝑦 𝑎 𝑞𝑢’𝑢𝑛𝑒 𝑚𝑒́𝑑𝑖𝑜𝑐𝑟𝑒 𝑐𝑜𝑟𝑟𝑒́𝑙𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑛𝑡𝑟𝑒 𝑙’𝑎𝑐𝑐𝑒́𝑙𝑒́𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒́𝑐𝑜𝑛𝑜𝑚𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑑’𝑢𝑛 𝑝𝑎𝑦𝑠 𝑒𝑡 𝑙’𝑎𝑑𝑜𝑝𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑’𝑢𝑛 𝑚𝑜𝑑𝑒̀𝑙𝑒 𝑛𝑒́𝑜𝑙𝑖𝑏𝑒́𝑟𝑎𝑙. 𝐶’𝑒𝑠𝑡 𝑙’𝑢𝑛𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑚𝑢𝑙𝑡𝑖𝑝𝑙𝑒𝑠 𝑟𝑎𝑖𝑠𝑜𝑛𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑚𝑒 𝑝𝑜𝑢𝑠𝑠𝑒𝑛𝑡 𝑎̀ 𝑢𝑛 𝑠𝑐𝑒𝑝𝑡𝑖𝑐𝑖𝑠𝑚𝑒 𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠𝑠𝑎𝑛𝑡 𝑞𝑢𝑎𝑛𝑡 𝑎̀ 𝑙𝑎 𝑟𝑒́𝑢𝑠𝑠𝑖𝑡𝑒 𝑑𝑢 𝑛𝑒́𝑜𝑙𝑖𝑏𝑒́𝑟𝑎𝑙𝑖𝑠𝑚𝑒 𝑎𝑛𝑔𝑙𝑜-𝑠𝑎𝑥𝑜𝑛 » (p.142).

𝐀𝐥𝐨𝐫𝐬, 𝐨𝐧 𝐟𝐚𝐢𝐭 𝐪𝐮𝐨𝐢 ? 𝐐𝐮𝐞𝐥𝐥𝐞𝐬 𝐩𝐫𝐨𝐩𝐨𝐬𝐢𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬 𝐜𝐨𝐧𝐜𝐫𝐞̀𝐭𝐞𝐬 ?

J’ai toujours été embarrassé par les bouquins qui fustigent ceci, cela, puis laissent le lecteur hébété, sans aucune piste. C’est juste pas constructif, ça rajoute de l’angoisse à l’angoisse, laissant entendre qu’il n’y a rien à proposer, ou au pire que c’est au lecteur – souvent bien désarmé – de trouver des solutions. Bruno Colmant formule des propositions, des pistes de réflexions. Certes, quelques-unes sont plus une expérience de pensée, un arc-en-ciel rempli de licornes rieuses (et il en faut : la formulation de nouveaux récits passe aussi par là), mais néanmoins il se plie à l’exercice !

Je vous livre, pêle-mêle, les éléments évoqués : chacun jugera de la pertinence ou de la faisabilité de ses propositions. Remarquez qu’il n’assène jamais d’alternative comme étant une solution magique : il propose au débat, et c’est le genre de chose que j’aime…

j’ai déjà lu des bouquins où les auteurs prétendent savoir ce qu’il faut faire, et c’est catastrophique : souvent technosolutionniste, ou totalement hors-sol. Je ne vous donne même pas les noms.

Mais Bruno Colmant n’est pas de ceux-là, il est cohérent avec son discours et soumet ses idées au débat public. J’ai trouvé pas mal de propositions assez révolutionnaires de la part d’un économiste influent, ayant pignon sur rue ! Et pour ça, je lui dis MERCI !

• L’état ne peut plus abandonner sans contrôle ses attributs régaliens (normes, monnaie, …) au profit d’une économie de marché.• Nous devons entrer dans une ère de démocratie participative, voire mieux : délibérative !

• L’éthique doit revenir au centre des intérêts. Elle a été réduite à la sphère privée (avec les dérives sur les réseaux sociaux qu’on connaît).

• DU LOURD, p.145 : « 𝑗𝑒 𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑙𝑎 𝑡𝑟𝑎𝑛𝑠𝑖𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑛𝑣𝑖𝑟𝑜𝑛𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑎𝑙𝑒 𝑣𝑎 𝑝𝑎𝑠𝑠𝑒𝑟 𝑝𝑎𝑟 𝑢𝑛 𝑟𝑒𝑛𝑜𝑛𝑐𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑎̀ 𝑢𝑛𝑒 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒 𝑑𝑢 𝑟𝑒𝑛𝑑𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑢 𝑐𝑎𝑝𝑖𝑡𝑎𝑙, 𝑒𝑡 𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑓𝑎𝑢𝑑𝑟𝑎, 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑢𝑛 𝑝𝑟𝑒𝑚𝑖𝑒𝑟 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠, 𝑞𝑢𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑒𝑛𝑡𝑟𝑒𝑝𝑟𝑖𝑠𝑒𝑠 𝑠𝑜𝑖𝑒𝑛𝑡 𝑑’𝑎𝑢𝑡𝑜𝑟𝑖𝑡𝑒́ 𝑑𝑒́𝑝𝑜𝑠𝑠𝑒́𝑑𝑒́𝑒𝑠 𝑑’𝑢𝑛𝑒 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑒𝑢𝑟𝑠 𝑝𝑟𝑜𝑓𝑖𝑡𝑠 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑓𝑖𝑛𝑎𝑛𝑐𝑒𝑟 𝑙𝑒𝑠 𝑎𝑑𝑎𝑝𝑡𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑒́𝑡𝑎𝑙𝑒𝑠 ».

• Il faut partager les gains de productivité entre les 3 facteurs de production : capital, travail, nature.

• Internaliser de manière autoritaire les externalités négatives (pollutions, destructions, épuisement du capital de départ) dans les coûts de production des biens et des services (ce qui pose d’après moi des problèmes d’équité d’accès et de « pouvoir d’achat », car les prix vont monter, c’est évident).

• Faire émerger les communs (enfin ! il cite Giraud !).

• Considérer le protectionnisme au niveau Européen.• Avancer dans la souveraineté énergétique (bon, la commission en cours chez nos amis français montre bien que ça n’a pas été le cas depuis longtemps, et qu’on n’est pas prêt d’y revenir 😛).

Note importante sur l’énergie : à l’instar de Vincent Mignerot et bien d’autres, Bruno Colmant semble convaincu d’une chose qui me semble essentielle : « 𝐽𝑒 𝑛𝑒 𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠 𝑝𝑎𝑠 𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑠𝑜𝑖𝑡 𝑟𝑎𝑖𝑠𝑜𝑛𝑛𝑎𝑏𝑙𝑒 𝑑’𝑒𝑛𝑣𝑖𝑠𝑎𝑔𝑒𝑟 100% 𝑑’𝑒́𝑛𝑒𝑟𝑔𝑖𝑒𝑠 𝑟𝑒𝑛𝑜𝑢𝑣𝑒𝑙𝑎𝑏𝑙𝑒𝑠 𝑎𝑣𝑎𝑛𝑡 𝑑𝑒𝑢𝑥 𝑔𝑒́𝑛𝑒́𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛𝑠. 𝐸𝑛 𝑙’𝑒́𝑡𝑎𝑡 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑠𝑖𝑡𝑢𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛, 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑒𝑚𝑝𝑜𝑟𝑎𝑖𝑛𝑒, 𝑙’𝑖𝑛𝑣𝑒𝑠𝑡𝑖𝑠𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑑𝑒𝑠 𝑒́𝑛𝑒𝑟𝑔𝑖𝑒𝑠 𝑟𝑒𝑛𝑜𝑢𝑣𝑒𝑙𝑎𝑏𝑙𝑒𝑠 𝑖𝑛𝑡𝑒𝑟𝑚𝑖𝑡𝑡𝑒𝑛𝑡𝑒𝑠 𝑐𝑜𝑛𝑑𝑢𝑖𝑡 𝑎̀ 𝑢𝑛 𝑟𝑒𝑐𝑜𝑢𝑟𝑠 𝑎𝑐𝑐𝑟𝑢 𝑎̀ 𝑑𝑒𝑠 𝑒́𝑛𝑒𝑟𝑔𝑖𝑒𝑠 𝑓𝑜𝑠𝑠𝑖𝑙𝑒𝑠 𝑙𝑜𝑟𝑠𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑛’𝑦 𝑎 𝑝𝑎𝑠 𝑠𝑢𝑓𝑓𝑖𝑠𝑎𝑚𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑒 𝑣𝑒𝑛𝑡 𝑜𝑢 𝑑𝑒 𝑆𝑜𝑙𝑒𝑖𝑙. 𝐸𝑡 𝑡𝑜𝑢𝑡𝑒𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑒́𝑡𝑢𝑑𝑒𝑠 𝑖𝑛𝑑𝑖𝑞𝑢𝑒𝑛𝑡 𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑒𝑠𝑡 𝑎𝑐𝑡𝑢𝑒𝑙𝑙𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑖𝑚𝑝𝑜𝑠𝑠𝑖𝑏𝑙𝑒 𝑑𝑒 𝑟𝑒𝑛𝑐𝑜𝑛𝑡𝑟𝑒𝑟 𝑙𝑒𝑠 𝑏𝑒𝑠𝑜𝑖𝑛𝑠 𝑑’𝑒́𝑛𝑒𝑟𝑔𝑖𝑒 𝑢𝑛𝑖𝑞𝑢𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑝𝑎𝑟 𝑑𝑒𝑠 𝑠𝑜𝑢𝑟𝑐𝑒𝑠 𝑟𝑒𝑛𝑜𝑢𝑣𝑒𝑙𝑎𝑏𝑙𝑒𝑠 » (p.148-149).

• Il faut un état qui ne soit plus capturé par la particratie, dissociée de toute écoute de la population.

• Sortir de la logique des intérêts comparatifs (Ricardo) : redévelopper des compétences domestiques.

• Dompter l’économie numérique (la rendre maitrisable) : au lieu d’essayer de taxer les géants du web, exiger des compensations industrielles en terme d’emploi et de financement des infrastructures qu’elles utilisent (routes, réseau électrique, services postaux, …)

• Un redéploiement de l’enseignement, y compris en formation continue.• Ressusciter un appétit d’entreprendre dans le cadre d’une méritocratie solidaire.

• Revaloriser les salaires les plus bas, surtout dans les services à la personne et le non marchand.• Imaginer un impôt dont la justice et l’équité entrainent le consentement : égalité, certitude, commodité, économie (Adam Smith). Conditionner l’impôt à l’empreinte climatique et environnementale.

• Démarchandiser les services publics essentiels.

• Evoluer vers un capitalisme de coordination proche du modèle Rhénan (voir plus haut).

D’autres possibilités lui posent encore questions :

• Taxer le capital et les plus-values

• Etudier les possibilités et bénéfices d’une allocation universelle.

Quoi qu’il en soit de tout cela, il y a un préalable : « 𝑖𝑙 𝑓𝑎𝑢𝑡 𝑟𝑒𝑠𝑡𝑎𝑢𝑟𝑒𝑟 𝑛𝑜𝑠 𝑑𝑒́𝑚𝑜𝑐𝑟𝑎𝑡𝑖𝑒𝑠 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑒 𝑠𝑒𝑛𝑠 𝑑’𝑢𝑛𝑒 𝑒́𝑐𝑜𝑢𝑡𝑒 𝑐𝑜𝑙𝑙𝑒𝑐𝑡𝑖𝑣𝑒 𝑞𝑢𝑖 𝑝𝑒𝑟𝑚𝑒𝑡𝑡𝑒 𝑑𝑒 𝑓𝑜𝑟𝑚𝑢𝑙𝑒𝑟 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑟𝑜𝑗𝑒𝑡𝑠 𝑑𝑒 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑒́𝑡𝑒́. 𝐿𝑒 𝑑𝑒́𝑓𝑖𝑐𝑖𝑡 𝑑𝑒 𝑑𝑒́𝑚𝑜𝑐𝑟𝑎𝑡𝑖𝑒, 𝑝𝑟𝑒́𝑎𝑙𝑎𝑏𝑙𝑒 𝑎̀ 𝑙’𝑖𝑛𝑠𝑡𝑎𝑢𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑’𝑢𝑛 𝑒́𝑡𝑎𝑡 𝑠𝑡𝑟𝑎𝑡𝑒̀𝑔𝑒, 𝑝𝑜𝑟𝑡𝑒 𝑒𝑛 𝑙𝑢𝑖 𝑢𝑛 𝑎𝑣𝑒𝑟𝑡𝑖𝑠𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 » (p.171).

𝐂𝐨𝐧𝐜𝐥𝐮𝐬𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐞 𝐁𝐫𝐮𝐧𝐨 𝐂𝐨𝐥𝐦𝐚𝐧𝐭.

Y’a pas photo, pas besoin de paraphraser, je vous mets quelques phrases :

• « 𝑁𝑜𝑠 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠 𝑟𝑒́𝑣𝑒̀𝑙𝑒𝑛𝑡 𝑙𝑎 𝑓𝑖𝑛 𝑑’𝑢𝑛 𝑚𝑜𝑑𝑒̀𝑙𝑒 » (p.173).

• « 𝑁𝑜𝑢𝑠 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑝𝑟𝑒́𝑐𝑖𝑝𝑖𝑡𝑜𝑛𝑠, 𝑐𝑎𝑟 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑛𝑒 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑟𝑒𝑛𝑜𝑛𝑠 𝑝𝑎𝑠 𝑙𝑎 𝑠𝑦𝑠𝑡𝑒́𝑚𝑎𝑡𝑖𝑐𝑖𝑡𝑒́ 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑟𝑜𝑏𝑙𝑒̀𝑚𝑒𝑠 » (p.174), au sens « systémique ».

• « 𝐿𝑒 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑒𝑠𝑡 𝑑𝑜𝑛𝑐 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑡𝑒́ 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑟𝑒́𝑒𝑛𝑔𝑎𝑔𝑒𝑟 𝑙𝑒𝑠 𝑐𝑖𝑡𝑜𝑦𝑒𝑛𝑠 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑢𝑛 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑟𝑎𝑡 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑎𝑙 𝑒𝑡 𝑒𝑛𝑣𝑖𝑟𝑜𝑛𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑎𝑙 𝑠𝑜𝑙𝑖𝑑𝑎𝑖𝑟𝑒, 𝑐𝑎𝑟 𝑐𝑒 𝑞𝑢𝑖 𝑒𝑠𝑡 𝑒𝑛 𝑗𝑒𝑢, 𝑐’𝑒𝑠𝑡 𝑙𝑎 𝑝𝑎𝑖𝑥 𝑒𝑡 𝑙𝑎 𝑏𝑖𝑒𝑛𝑣𝑒𝑖𝑙𝑙𝑎𝑛𝑐𝑒 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑎𝑙𝑒𝑠, 𝑒𝑡 𝑏𝑖𝑒𝑛 𝑠𝑢̂𝑟 𝑛𝑜𝑠 𝑑𝑒𝑠𝑐𝑒𝑛𝑑𝑎𝑛𝑡𝑠 » (p.175).

• « 𝑁𝑜𝑠 𝑔𝑜𝑢𝑣𝑒𝑟𝑛𝑎𝑛𝑡𝑠 𝑑𝑜𝑖𝑣𝑒𝑛𝑡 𝑒́𝑐𝑜𝑢𝑡𝑒𝑟 𝑙𝑒𝑠 𝑝𝑙𝑎𝑖𝑛𝑡𝑒𝑠 𝑝𝑜𝑝𝑢𝑙𝑎𝑖𝑟𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑎𝑔𝑖𝑟 𝑑𝑒 𝑚𝑎𝑛𝑖𝑒̀𝑟𝑒 𝑎𝑝𝑎𝑖𝑠𝑎𝑛𝑡𝑒 𝑝𝑙𝑢𝑡𝑜̂𝑡 𝑞𝑢𝑒 𝑑𝑒 𝑠’𝑒́𝑡𝑜𝑢𝑟𝑑𝑖𝑟 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑑𝑒𝑠 𝑡𝑜𝑢𝑟𝑏𝑖𝑙𝑙𝑜𝑛𝑠 𝑚𝑒́𝑑𝑖𝑎𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑛𝑎𝑟𝑐𝑖𝑠𝑠𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑐𝑎𝑐𝑜𝑝ℎ𝑜𝑛𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 » (p.175).

• Il nous faut « 𝑟𝑒́𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑟 𝑎𝑢𝑡𝑟𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑙𝑒 𝑝𝑜𝑢𝑣𝑜𝑖𝑟, 𝑙𝑒𝑠 𝑟𝑒𝑠𝑠𝑜𝑢𝑟𝑐𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑟𝑒𝑓𝑜𝑛𝑑𝑒𝑟 𝑙𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑟𝑎𝑡 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑎𝑙, 𝑟𝑒𝑛𝑓𝑜𝑟𝑐𝑒𝑟 𝑙𝑎 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑐𝑖𝑝𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑒𝑠 𝑗𝑒𝑢𝑛𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑝𝑟𝑒𝑛𝑑𝑟𝑒 𝑒𝑛 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑡𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑔𝑒́𝑛𝑒́𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑓𝑢𝑡𝑢𝑟𝑒𝑠 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑑𝑒́𝑐𝑖𝑠𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠, 𝑒𝑡 𝑓𝑜𝑢𝑟𝑛𝑖𝑟 𝑑’𝑎𝑣𝑎𝑛𝑡𝑎𝑔𝑒 𝑑’𝑖𝑛𝑣𝑒𝑠𝑡𝑖𝑠𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑠 𝑝𝑢𝑏𝑙𝑖𝑐𝑠 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑚𝑖𝑒𝑢𝑥 𝑔𝑒́𝑟𝑒𝑟 𝑙𝑒𝑠 𝑐ℎ𝑜𝑐𝑠 𝑒𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑐𝑟𝑖𝑠𝑒𝑠 𝑚𝑜𝑛𝑑𝑖𝑎𝑙𝑒𝑠 » (p.176).• Remettre au centre de tout « 𝑙𝑒 𝑐𝑢𝑙𝑡𝑒 𝑑𝑒 𝑙’𝑖𝑛𝑡𝑒́𝑟𝑒̂𝑡 𝑔𝑒́𝑛𝑒́𝑟𝑎𝑙 » (p.176).

• « 𝐼𝑙 𝑓𝑎𝑢𝑡 𝑞𝑢’𝑎𝑢 𝑟𝑖𝑠𝑞𝑢𝑒 𝑑𝑒 𝑙’𝑖𝑚𝑝𝑜𝑝𝑢𝑙𝑎𝑟𝑖𝑡𝑒́, 𝑙𝑒𝑠 𝑑𝑖𝑟𝑖𝑔𝑒𝑎𝑛𝑡𝑠 𝑑𝑒́𝑚𝑜𝑐𝑟𝑎𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑒́𝑙𝑢𝑠 𝑟𝑒𝑙𝑒̀𝑣𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑒 𝑝𝑙𝑢𝑠𝑖𝑒𝑢𝑟𝑠 𝑎𝑛𝑛𝑒́𝑒𝑠 𝑙𝑒𝑢𝑟 𝑣𝑖𝑠𝑖𝑜𝑛 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 » (p.177).

• « 𝐼𝑙 𝑓𝑎𝑢𝑡 𝑎𝑢𝑠𝑠𝑖 𝑞𝑢𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑡𝑒𝑛𝑒𝑢𝑟𝑠 𝑑𝑒 𝑙𝑒́𝑔𝑖𝑡𝑖𝑚𝑖𝑡𝑒́𝑠 𝑐𝑖𝑡𝑜𝑦𝑒𝑛𝑛𝑒𝑠 […] 𝑝𝑜𝑟𝑡𝑒𝑛𝑡 𝑙𝑎 𝑣𝑜𝑖𝑥 𝑑𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑡𝑟𝑢𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛𝑠 ℎ𝑢𝑚𝑎𝑛𝑖𝑠𝑡𝑒𝑠. 𝐿𝑒𝑢𝑟 𝑠𝑖𝑙𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑠𝑒𝑟𝑎𝑖𝑡 𝑐𝑜𝑢𝑝𝑎𝑏𝑙𝑒 𝑒𝑡 𝑙𝑒 𝑝𝑖𝑒̀𝑔𝑒 𝑑𝑒 𝑙’ℎ𝑖𝑠𝑡𝑜𝑖𝑟𝑒, 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑒 𝑒𝑛 1937 » (p.177).

Pour terminer, et souligner le sens de la formule de l’auteur, je vous laisse avec quelques-uns de ses derniers mots, que je partage, et qui rejoint la plupart des conclusions de mes notes de lectures (p.178) :

« 𝐶’𝑒𝑠𝑡 𝑙𝑎 𝑓𝑖𝑛 𝑑’𝑢𝑛 𝑚𝑜𝑑𝑒̀𝑙𝑒. 𝐶’𝑒𝑠𝑡 𝑢𝑛 𝑐ℎ𝑜𝑐 𝑑𝑒 𝑐𝑖𝑣𝑖𝑙𝑖𝑠𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛. 𝑈𝑛𝑒 𝑏𝑟𝑖𝑠𝑢𝑟𝑒. 𝑁𝑜𝑡𝑟𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑓𝑜𝑟𝑡 𝑒́𝑡𝑎𝑖𝑡 𝑒𝑛 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒 𝑖𝑛𝑑𝑢. 𝑁𝑜𝑠 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑐𝑒𝑢𝑥 𝑑’𝑢𝑛 𝑏𝑜𝑢𝑙𝑒𝑣𝑒𝑟𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑠𝑡𝑟𝑢𝑐𝑡𝑢𝑟𝑒𝑙. […] 𝐿𝑒 𝑛𝑒́𝑜𝑙𝑖𝑏𝑒́𝑟𝑎𝑙𝑖𝑠𝑚𝑒 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑎 𝑎𝑛𝑒𝑠𝑡ℎ𝑒́𝑠𝑖𝑒́𝑠 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑒 𝑚𝑒𝑛𝑠𝑜𝑛𝑔𝑒 𝑑𝑢 𝑝𝑟𝑜𝑔𝑟𝑒̀𝑠 […] 𝐽𝑒 𝑛𝑒 𝑣𝑎𝑖𝑠 𝑝𝑎𝑠 𝑟𝑒𝑠𝑡𝑒𝑟 𝑎𝑠𝑠𝑖𝑠. 𝑁𝑜𝑢𝑠 𝑛’𝑎𝑙𝑙𝑜𝑛𝑠 𝑝𝑎𝑠 𝑟𝑒𝑠𝑡𝑒𝑟 𝑎𝑠𝑠𝑖𝑠 ».


𝗣𝗼𝘂𝗿 𝗮𝗹𝗹𝗲𝗿 𝗽𝗹𝘂𝘀 𝗹𝗼𝗶𝗻, 𝗾𝘂𝗲𝗹𝗾𝘂𝗲𝘀 𝗰𝗼𝗻𝘀𝗲𝗶𝗹𝘀 𝗹𝗲𝗰𝘁𝘂𝗿𝗲 :

– « Au cœur de la Monnaie, Systèmes monétaires, inconscient collectif, archétypes et tabous », Bernard Lietaer, 2011, éditions Yves Michel.- « Halte à la toute-puissance des banques », Bernard Lietaer, 2012, éditions Odile Jacob.

– « La Tragédie des Communs », Garrett Hardin, 2018, PUF (ma note de lecture ici : https://etatdurgence.ch/…/chro…/la-tragedie-des-communs/).

– « Illusion Financière, des subprimes à la transition écologique », Gaël Giraud, 2012, éditions de l’atelier (ma note de lecture ici : https://etatdurgence.ch/blog/livres/illusion-financiere/).

– « Les conséquences du capitalisme, du mécontentement à la résistance », Noam Chomsky & Marv Waterstone, 2021, Luxediteur, collection Futur Proche (ma note de lecture ici : https://etatdurgence.ch/…/les-consequences-du-capitalisme/).

– « Les 5 stades de l’Effondrement, manuel du survivant », Dimitry Orlov, 2013, Culture & Racines (ma note de lecture ici : https://etatdurgence.ch/…/les-5-stades-de-leffondrement/).


Recherche alternatives politiques au suicide collectif

Paul Blume

S’il était encore besoin de citer les raisons de s’inquiéter de l’avenir des sociétés humaines, la liste serait énorme.

En résumé : des pollutions de toutes tailles, de produits variés, à doses macro-industrielles qui mettent en péril la vie elle-même. Une pseudo-transition énergétique qui s’accompagne d’une croissance inespérée pour les investisseurs de projets d’exploitations de ressources fossiles. Et un greenwashing à hauteur inimaginée qui portent les politiques dits « verts » à soutenir la croissance économique à sauce libérale voir libertarienne. Entre autres.

Force est de constater que ce chemin vers l’anéantissement de notre existence est soutenu par une majorité de citoyennes et citoyens. Les explications multiples et diverses de cette réalité ne font que cacher une réalité dérangeante : une évidente propension à opter pour un suicide dans la joie consumériste plutôt qu’une sobriété salvatrice.

Pour celles et ceux qui s’inquiètent des réalités systémiques et de leurs impacts de plus en plus visibles, il est souvent douloureux d’essayer d’en partager les récits.

Traités de pessimistes au mieux, raillés pour ne pas faire une confiance absolue dans la technologie et dans la capacité intrinsèque de l’humanité à trouver des « solutions », un mur de plus en plus épais semble les séparer des gens dits normaux.

Sauf qu’au delà du respect que l’on peut porter à celles et ceux qui souhaitent quitter la vie collectivement, quelles qu’en soient les raisons ou les biais cognitifs, il est plus que temps que le choix de donner une chance au vivant en général et à la résilience humaine en particulier redevienne LE sujet principal.

Il est également temps que les femmes et les hommes en souffrance de solastalgie, éco-anxiété ou autres formes de dépressions liées aux constats du réel prennent en compte que ce sont leurs pensées qui sont porteuses d’avenir. Les suicidaires sont dans l’autre camp. Et, pour l’instant, ils sont victorieux.

Les moments heureux partagés dans toute une séries de projets dits de « transition » portant sur l’alimentation, l’énergie, l’entraide, etc … permettent d’expérimenter un potentiel alternatif réel.

Une résistance quotidienne à l’apocalypse selon Saint-Profit se met doucement en place.

Reste à trouver des relais politiques. Ou, à tout le moins, de tenter de définir un comportement collectif alternatif à la relance de l’économie de croissance par le soutien aux fossiles et aux technologies réputées indispensables pour ladite croissance.

Ce qui s’est révélé de manière évidente ces dernières années, c’est la disparition progressive et continue du caractère alternatif de l’écologie politique représentée.

Le prochain rendez-vous électoral européen sera-t-il l’occasion de voir enfin apparaître des relais politiques potentiels à la sauvegarde de la vie ?

Si ce n’est pas le cas, faute de temps par exemple, espérons qu’une expression salvatrice se mette enfin en place. L’important étant moins les résultats électoraux que l’idée même d’afficher une pensée non-suicidaire.


Pouvoir d’achat et pouvoir de nuisance

Paul Blume

Entre l’exigence de diminuer la pression de l’économie sur le vivant et les difficultés de plus en plus apparentes à garder une croissance, fut-elle « verte », le débat sur la question sociale ne peut plus être abordé de la même façon qu’au siècle passé.

Classiquement, les revendications des organisations mutuellistes, syndicales et plus largement de défense des droits sociaux reposent sur une exigence de protection des plus démunis et l’accès à plus d’égalité dans la répartition des fruits de la croissance, à plus de performance collective en termes d’accès au logement, l’alimentation, la santé, la culture, etc…

Cette histoire des luttes pour une justice sociale intègre peu d’éléments « externes » telles les conditions écologiques et environnementales ou les relations de l’humanité au vivant.

Mais le vivant se rappelle à nous. Détériorer son environnement à la vitesse de l’industrialisation moderne se paie cher. Quel que soit le modèle social en usage.

La question climatique illustre bien les contradictions de cette guerre que nous menons contre la nature.

Chaque point de croissance s’accompagne d’émissions de gaz à effet de serre supplémentaires et nous rapproche de conditions de vie insoutenables pour nous, humains, mais également pour l’ensemble du vivant.

Dans le concret, les riches émettent proportionnellement beaucoup plus que les plus démunis.

L’exigence de justice sociale n’en est donc que plus exacerbée.

De là à ne pas prendre en compte les risques systémiques qui menacent la vie elle-même, il y a une marge à ne pas franchir. Sous peine d’alimenter les feux d’une croissance mortifère.

Il est temps d’interroger le sacro-saint pouvoir d’achat. Acheter, c’est aussi participer à la mécanique consumériste qui tue.

Le pouvoir d’achat est aussi un pouvoir de nuisance.

Ce constat ne remet pas en cause l’exigence d’équité. Mais bien les moyens utilisés pour y parvenir.

Il n’est plus possible de vivre dans le paradigme du ruissellement. « Toutes et tous plus riches chaque jour » n’est plus envisageable.

Si l’on veut être équitable dans une période de déplétion, il est impératif d’établir des objectifs clairs.

Que veut-on ? Permettre à plus de ménages d’accéder aux vacances en avion ou s’attaquer enfin au sans-abrisme ?

Mettre la priorité sur l’amélioration des conditions de vie des moins nantis implique dorénavant de toucher directement à la répartition des résultats … de la décroissance. Voulue ou subie.

Ce débat reste un impensé des organisations sociales et c’est catastrophique.

Après des décennies de refus par celles-ci d’envisager des socles minimaux universels d’accès à une existence décente, nous affrontons en mauvaise posture les contraintes à la baisse sur la consommation globale.

Les multiples contradictions révélées par la crise actuelle de l’énergie mettent en exergue ces « impossibles » que la majorité des citoyens semblent ne pas vouloir prendre en compte.

L’exigence d’un maintien des prix des énergies fossiles en-dessous d’un certain seuil se comprend facilement au regard des contraintes subies par les ménages et les entreprises.

Cela n’empêche que prendre en compte le caractère inéluctable d’une sobriété croissante est indispensable.

A peine les prix se tassent-ils que certaines agglomérations envisagent de rallumer l’éclairage de nuit.

Le phénomène est le même que celui des résistances à la réduction de la vitesse au volant.

Une recherche permanente d’accroissement du « confort » que seules les contraintes économiques parviennent à ralentir.

Et pourtant nous ressentons déjà les conséquences sur nos vies du réchauffement climatique. Sans évoquer la biodiversité, la perte de capacité de production des sols, les conséquences sanitaires des pollutions multiples, etc …

Toutes ces considérations n’indiquent pas comment faire. Singulièrement dans le cadre des revendications salariales qui animent cette fin d’année.

Il est pourtant plus qu’urgent de réfléchir aux conséquences extra-économiques de nos comportements et revendications.

Nous sommes en état de guerre contre nos propres intérêts vitaux. Et le consumérisme est une arme d’autodestruction redoutable.

Il ne s’agit pas d’un conflit entre fin du mois et fin du monde. Mais d’un débat indispensable pour nos valeurs de solidarité et d’entraide à un moment de l’histoire ou la vie devient chaque jour plus difficile.

Revendiquer une croissance du pouvoir d’achat sans penser comment diminuer le pouvoir global de nuisance est contre productif.

Que faire alors ? Surtout, ne pas éluder la question.

veille : pouvoir achat

Merci les V’s

Vincent Mignerot & Vinz Kanté

L’énergie du déni

C’est le vendredi 25 novembre 2022, dans le cadre très accueillant de la Tricoterie à Saint-Gilles (Bruxelles), que Vinz Kanté et Vincent Mignerot ont dialogué sur le rôle de l’énergie dans nos sociétés et les conséquences de la déplétion de celle-ci pour notre futur collectif.

La soirée, interaction avec le public comprise, a été filmée et sera diffusée sur le média LIMIT.

Merci au public bienveillant et participant d’avoir contribué à rendre cette soirée chaleureuse malgré la gravité des thématiques abordées.

Pour retrouver ou découvrir :


Face à l’Écocide planétaire, mettre fin au business-as-usual

Appel à la métamorphose urgente des sciences de gestion.

Lettre ouverte à la communauté universitaire
7 septembre 2022

Laurent Lievens

« Toute métamorphose paraît impossible avant qu’elle survienne. »1
Edgar Morin, 2008.

Suite aux nombreuses réactions à sa lettre, l’auteur vous dit Merci.

Aux ancien·ne·s, actuel·le·s et futur·e·s membres de la communauté universitaire, étudiant·e·s, collègues chercheur·e·s, professeur·e·s et membres du personnel administratif et technique, j’ai présenté tout récemment ma démission pour l’ensemble des cours en relation avec la Faculté des sciences de gestion de l’UCLouvain, la Louvain School of Management (LSM). Par cette lettre ouverte à la communauté universitaire, je souhaite faire usage public de la raison critique2, et lancer un appel urgent à l’action.

Durant ces vingt dernières années, j’ai servi loyalement, avec motivation et confiance, mon almamater, l’Université catholique de Louvain. Très tôt, j’ai fait partie des personnes inquiètes de la catastrophe écologique et humaine en gestation, avec la volonté de m’engager au service de la société. Après cinq années d’études aux Facultés universitaires catholiques de Mons (aujourd’hui l’UCLouvain FUCaM Mons), j’ai obtenu mon diplôme d’Ingénieur de gestion en 2007. J’ai également obtenu un Master en sciences et gestion de l’environnement auprès de l’Université libre de Bruxelles en 2009 ainsi qu’un Bachelier paramédical en psychomotricité relationnelle au Centre d’Enseignement Supérieur pour Adultes en 2020. Ces trois diplômes ont chacun été réussis avec grande distinction.

En 2015, j’ai présenté une thèse de doctorat3 en sciences politiques et sociales portant sur la pensée et le mouvement de la décroissance, qui a recueilli l’enthousiasme de l’ensemble du jury.
J’ai ensuite enseigné à l’UCLouvain comme chargé de cours invité dès 2015, donnant notamment les cours d’éthique de la communication, d’épistémologie, de compétences relationnelles, de compétences managériales, de responsabilité sociétale des entreprises. J’ai vécu de l’intérieur l’évolution de la Louvain School of Management et le développement de son organisation, de
son enseignement et de sa recherche. En ce mois de septembre 2022, ma thèse est parue sous la forme d’un livre intitulé « Décroissance et néodécroissance. L’engagement militant pour sortir de l’économisme écocidaire »4. Je suis également engagé au sein de la société à de multiples niveaux. Ma prise avec le réel – la terre, la matière, le vivant, le corps, l’autre – est aussi assurée
par mes activités extra-académique comme la menuiserie, le secourisme, la supervision d’équipes de soins, l’accompagnement thérapeutique, etc. Ainsi, nul ne peut me soupçonner de ne pas disposer de la légitimité nécessaire pour exprimer mon opinion critique sur l’état actuel de la LSM dans une perspective sociétale hic et nunc

Dans mon rôle d’étudiant, de chercheur et d’enseignant, j’ai cru jusqu’à aujourd’hui en la capacité de changement de la LSM face à la gigantesque accélération de l’évolution du monde. J’ai tenté, dans la mesure de mes modestes moyens, d’insuffler de l’intérieur une prise de conscience des mégaphénomènes scientifiquement avérés de l’Anthropocène 5, de la Grande Accélération6 et de l’Écocide. Par leur simple existence, ces mégaphénomènes imposent de facto de métamorphoser de toute urgence l’enseignement et la recherche, notamment dans les sciences de gestion.
Pourquoi ? Parce que ces mégaphénomènes constituent une menace existentielle pour l’humanité et une très large part du vivant. Parce qu’ils ébranlent les fondations épistémologiques de la connaissance, de la science et de l’université. Parce qu’ils démontrent que les sciences (économiques et) de gestion reposent sur des paradigmes épistémologiques obsolètes. Nous avons changé d’ère géologique et la condition humaine s’en trouve définitivement modifiée. Notre métaphysique et notre éthique doivent être actualisées d’urgence dans une biosphère qui se rebelle 7. L’action collective des êtres humains dans les organisations fait face à une incertitude radicale et à la nécessité d’un engagement éthique de portée existentielle. J’ai – avec d’autres – la conviction que le maintien du paradigme dominant en sciences de gestion équivaut donc aujourd’hui à une forme criminelle de dogmatisme et d’obscurantisme, contraire à l’esprit des Lumières.

Depuis 20 ans, j’ai vu dans l’institution universitaire un lieu de transmission et d’exploration de la raison critique – le pourquoi ? éthique de la philosophie –, de la capacité à élaborer une pensée complexe, de la mise en lien des savoirs dans la continuité du projet d’émancipation des Lumières. Je déplore aujourd’hui que ce projet d’émancipation ne soit plus au cœur de l’institution de la LSM, et que cette dernière passe radicalement à côté de l’urgence d’un changement de paradigme, dont l’ensemble de la société et du vivant ont pourtant besoin.
Désormais, je fais le constat inquiétant que la raison instrumentale – le comment ? technique de la science sans conscience – a pris une tournure de plus en plus totalitaire au sein de l’enseignement des sciences de gestion : les méthodes quantitatives, la finance de marché, le droit d’entreprise, la comptabilité, la gestion des « ressources » humaines, la logistique, l’informatique, la fiscalité, la micro et la macro-économie, le marketing tels qu’enseignés aujourd’hui sont des instruments qui servent des fins désormais illégitimes.

Le cadre capitaliste de notre civilisation – et sa version néolibérale actuelle – ainsi qu’une pensée hors sol, un réductionnisme maladif, une obsession du quantitatif et un déni des limites8, donnent lieu à un illimitisme forcené, une démesure extractiviste, productiviste et consumériste, une croissance délétère ainsi qu’une foi béate dans la technoscience salvatrice9. C’est à ce cadre-
là que contribuent les sciences de gestion, en étant parmi les instruments les plus efficaces de son expansion. Cette véritable mégamachine10 conduit obligatoirement une très large partie du vivant – dont l’humanité – aux effondrements. Il y a plus de 50 ans (!), le rapport Meadows 11 signifiait déjà l’impossibilité du maintien de ce système et depuis lors les consensus et alertes
scientifiques n’ont cessés d’abonder dans ce sens 12. Ce n’est pas une métaphore, nos forêts sont en train de brûler, nous passons de canicules et sécheresses en inondations, nos sols et nos eaux se stérilisent, les ressources alimentaires sont menacées, la fréquence des zoonoses explose, les écosystèmes s’effondrent… et nous regardons ailleurs. Sur 9 limites planétaires étudiées, 6 sont déjà dépassées13 : le climat, la biodiversité, les cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, l’occupation des sols, l’utilisation mondiale de l’eau, la présence d’entités nouvelles (dont les plastiques) dans la biosphère. En 50 ans les populations de vertébrés (poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles) ont diminués de presque 70 % sur la planète14, essentiellement à cause des activités humaines. En 2017, 25 ans après un premier appel, quinze mille (!) scientifiques de 184 pays publiaient un second manifeste15 alertant de la trajectoire de collision de notre modèle sociétal avec le vivant si le business-as-usual était maintenu. L’ONU annonce entre 200 et 250 millions de réfugié·e·s climatiques dans le monde d’ici moins de 30 ans16. Nous avons vécu la plus grande pandémie mondiale depuis celle de 1918, dont les causes sont intimement liées à l’Écocide planétaire, au
point que nous sommes entrés dans l’ère des pandémies17. Nous assistons à la plus grande guerre sur le continent européen depuis la Seconde guerre mondiale, et la plus grande crise énergétique depuis le 1er choc pétrolier en 1973. Voilà les faits scientifiques, validés par la communauté scientifique internationale, selon la méthode scientifique. Les sciences économiques et de gestion ne peuvent continuer à les ignorer.

Mais les chiffres s’accumulent ad nauseam, l’ensemble de nos voyants passe au rouge et malgré les discours grandioses, les réactions sont anémiques. Du déni collectif s’accumulant depuis un demi-siècle ! Aujourd’hui, l’inertie nous tue en masse. D’éminents juristes de réputation internationale tentent de formuler un nouveau crime contre l’humanité, celui d’Écocide18, dont la gravité éthique pourrait être comparable à celle du crime de génocide. Face à la démesure de cette situation, la question de la résistance ou de la collaboration de chaque individu et de chaque organisation au business-as-usual est éthiquement inévitable. De plus en plus de citoyen·e·s, notamment parmi les plus diplômé·e·s, refusent désormais de travailler pour des organisations qu’ils et elles considèrent comme collaboratrices de l’Écocide en cours.

C’est donc d’abord et avant tout pour son inaction structurelle19 face à l’Écocide que je me dissocie aujourd’hui de la Louvain School of Management et démissionne de tous les cours reliés à cette Faculté. Si ma foi en le projet d’émancipation des Lumières porté par l’Université reste intact, et si je ne souhaite pas démissionner de l’UCLouvain à ce stade, je souhaite, par ma démission et cette lettre ouverte, manifester mon intention de ne plus collaborer à la trajectoire de déni et d’inaction de la LSM et lancer un appel à l’action. Mes motivations étant exposées, l’exercice public de la raison critique m’impose de me justifier par une argumentation faite de « réflexions soigneusement pesées et bien intentionnées sur ce qu’il y aurait d’erroné dans ce corps doctrinaire »20 .

Ainsi, la confiance que je portais à la LSM s’est lentement érodée vu son déni et son inaction, mais elle s’est franchement rompue suite à une réforme des programmes de cours qui sera implémentée dès cette rentrée 2022. Si cette réforme ne suffit pas à justifier à elle seule mon action, c’est clairement la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Ainsi, pour les trois années de bachelier totalisant 180 crédits ECTS, ceux attribués à la « formation pluridisciplinaire en sciences humaines » passent de 26 à 19 pour les étudiant·e·s en sciences de gestion et à 14 pour les étudiant·e·s en Ingéniorat de gestion. Une baisse quantitative conséquente, mais également qualitative : de cette coupe en règle, il ne restera à partir de cette rentrée plus aucun cours de philosophie, de sociologie, de sociologie des organisations, de psychologie, d’histoire économique et sociale, etc., pour ces étudiant·e·s. Mes interpellations écrites aux autorités – restées sans réelle réponse – et la consternation de plusieurs collègues (de la LSM et d’autres
Facultés) n’auront pas suscité la moindre remise en question de cette réforme.

Pourtant celle-ci n’est pas seulement un anachronisme complet vis-à-vis du monde réel – que nous avons décrit ci-dessus –, mais vient dramatiquement et en totale inconscience accentuer la trajectoire actuelle des programmes en sciences de gestion, sabotant les quelques cours encore susceptibles d’apporter un esprit critique vis-à-vis de l’idéologie managériale écocidaire. Nous touchons ici de très près ce que le sociologue et philosophe Edgar Morin nomme la haute crétinisation universitaire produisant, selon ses termes, un obscurantisme accru et une pensée mutilante.

C’est en effet l’organisation d’une destruction pure et simple d’une large part des fondements humanistes et critiques qui subsistaient encore péniblement au sein de ces formations. À la place, nos étudiant·e·s bénéficieront de cours directement axés sur la pratique gestionnaire (psychologie économique, éthique et RSE, informatique de gestion, etc.) et pour lesquels rien
n’indique la moindre contribution à une remise en question du paradigme gestionnaire dominant. La raison instrumentale devient ainsi peu à peu totalitaire, ayant réussi son autodafé contre la raison critique.

En cette rentrée 2022, j’ai donc de très sérieuses craintes face à l’avenir, en me souvenant être ici dans une Faculté de sciences de gestion, qui prétend former les futur·e·s cadres – les gestionnaires – de nos organisations : petites, moyennes et grandes entreprises, associations, collectivités territoriales, administrations, Régions et Communautés, État même puisque des ingénieurs de gestion occupent des fonctions ministérielles. Ce sont notamment celles et ceux qui demain dirigeront des équipes, orienteront des choix industriels, créeront des entreprises, mettront en œuvre les politiques publiques, planifieront l’innovation sociale et technique, assureront l’assemblage des ressources nécessaires à l’action collective, orienteront la vision des associations, seront confronté·e·s aux décisions stratégiques et opérationnelles de la gestion de toute organisation.

Combien d’étudiant·e·s subiront le formatage d’une raison instrumentale écocidaire, dénuée de toute raison critique ? Au vu de l’appareillage idéologique dont la LSM les dotera – totalement hors-sol et ignare des fonctionnements systémiques et complexes du vivant – je crains pour l’avenir de ces diplômé·e·s et redoute leur désemparement face aux risques sociétaux déjà bien
présents et à venir.

L’enjeu de la formation et de la recherche en sciences de gestion, vu le rôle décisionnaire au plus haut niveau que joue nombre de ses diplômés, et l’influence de nombre de ses académiques, est tout, sauf anecdotique face à l’Écocide.

Comme de plus en plus d’entre nous, en particulier parmi les jeunes étudiant·e·s et chercheur·e·s, je souffre d’écoanxiété. Jusqu’à quel niveau de dégradation du vivant (sociétés humaines y compris) faudra-t-il s’enfoncer pour s’émanciper d’une idéologie illimitiste toxique et quitter la trajectoire actuelle ? Encore combien de rapports, articles, appels, colloques, congrès, analyses,
avant de dépasser le déni, l’inertie et délaisser greenwashing et petits pas19 ? Encore combien de compromissions vis-à-vis des acteurs du business-as-usual, qui ont parfois pignon sur rue au sein de la LSM, avant de s’engager dans d’autres chemins et avec d’autres acteurs ?

Ce cursus universitaire ne m’apparaît à l’évidence plus comme une force progressiste, mais comme un lieu conservateur de reproduction de l’existant, pourtant mortifère, un lieu dévitalisé d’ajustement et de raffinement de la Mégamachine. En tant que scientifique et intellectuel, j’ai à cœur de prendre au sérieux ce que la communauté scientifique indique – même si je mesure que cette démarche n’est apparemment plus centrale chez les conceptrices et concepteurs de la réforme des programmes au sein de la LSM. La connaissance actuellement sérieuse – nourrie par les sciences de la Terre et du vivant, la physique et la thermodynamique,
l’approche systémique, etc. – indique que notre modèle sociétal détruit les conditions d’habitabilité de la planète. C’est donc à un changement radical – à la racine – que nous sommes confronté·e·s (la métamorphose telle que définie par Edgar Morin, et le fait de redevenir des Terrestres selon le philosophe Bruno Latour), et la politique des petits pas consistant à saupoudrer les formations de quelques vagues notions de développement durable, d’éthique appliquée ou de transition, en supprimant les cours qui incarnent la raison critique (philosophie, sociologie, histoire, etc.) n’a pas l’envergure requise pour cela. Elle sert au mieux à attirer le futur
employé idéal de l’industrie insoutenable et retarde une mutation complète des programmes de formation et de la recherche.

Cette réforme LSM s’apparente néanmoins à un symptôme d’aggravation plus qu’à la cause profonde de la maladie : les sciences économiques et de gestion – dans leurs fondements métaphysiques, épistémiques, éthiques, théoriques et pragmatiques – nécessitent d’urgence une profonde métamorphose pour quitter la trajectoire écocidaire et permettre de gouverner les organisations humaines avec intelligence dans l’Anthropocène. Face à l’échec manifeste de la LSM à s’autoréformer avec l’urgence et le sérieux requis, je prépare un ouvrage collectif de déconstruction-reconstruction afin de nourrir cette métamorphose. J’appelle dès lors toute personne désireuse d’y contribuer, qu’elle soit étudiante, chercheuse, professeure ou citoyenne, à s’associer à cet effort.

Étant donné l’exercice public de la raison critique que j’effectue par la présente, j’imagine mal continuer d’enseigner aux étudiant·e·s de cette Faculté en l’état actuel des choses. Afin de réaligner mes valeurs éthiques avec les faits réels, et préserver mon envie de transmettre les valeurs d’émancipation issues des Lumières, je fais le choix risqué de me démettre de mes fonctions pour me concentrer sur la métamorphose du système et ce, depuis l’extérieur.

Par ce choix que je pose et expose publiquement, je souhaite acter en tant que lanceur d’alerte : aucun diplôme n’a de sens sur une planète morte. Les Universités et l’ensemble des Facultés ont à mes yeux le devoir de se hisser à la hauteur du changement radical que requiert l’Écocide. Si une Faculté en particulier échoue à se réformer par la raison critique, les autres Facultés ont le devoir de faire revenir la brebis perdue au bercail. Si les sciences économiques et de gestion condensent le pire de la conservation de l’existant, les autres champs scientifiques ne sont pas exempts de toute critique. Là aussi, la raison instrumentale règne souvent en maître et a chassé une grande part de la raison critique. Par ailleurs, si la LSM échoue à se métamorphoser, c’est aussi le cas de l’immense majorité des écoles de gestion, et autres business schools, partout dans le monde. La responsabilité de la communauté universitaire dans le déni et l’inaction sociétale face à l’Écocide est donc pleine et entière. L’engagement public de toutes et tous est un devoir éthique. Il est urgent de se métamorphoser.

La destruction créatrice conceptualisée par le célèbre économiste Schumpeter semble notre dernier recours. Si le système échoue à s’autoréformer de l’intérieur – étant incapable de comprendre la nécessité de changer de système et non dans le système – alors gageons que des forces externes se chargeront de réaliser la métamorphose à laquelle les tenants de l’obscurantisme et du dogme se refusent. Déjà, de nombreux projets tels le campus de la transition et certaines formations entament cette bifurcation. Tôt ou tard, la LSM ne pourra y échapper. Les nouvelles générations d’étudiant·e·s et de chercheur·e·s sont en quête de sens. Si la LSM demeure un lieu de reproduction de l’existant, elle subira l’abandon de la communauté qui la fait exister. Et le plus tôt sera le mieux.

C’est donc moins aux éternel·le·s conservatrices et conservateurs de cet existant, qu’aux déviant·e·s – à la source de tous les progrès – que je m’adresse. La nouvelle génération d’universitaires va contribuer à changer le monde. En cette période de rentrée, j’appelle avec force les futur·e·s étudiant·e·s à faire un choix éclairé vis-à-vis des programmes de formation.
Au lieu de cours épars servant de vernis à la mode, exigez une connaissance réellement solide vis-à-vis des fonctionnements systémiques de la planète et du vivant dans toutes les formations.
Délaissez les cursus n’ayant pas un minimum d’auto-critique, d’épistémologie, de contextualisation historique et de réflexivité sur ses propres fondements paradigmatiques.
Fuyez les approches et institutions inféodées au business-as-usual et à ses représentants. Exigez de solides appuis vous permettant de penser de manière complexe, réflexive, (im)pertinente, rationnelle.

N’attendez pas la fin de votre formation – à l’image des étudiant·e·s de l’École polytechnique, d’AgroParisTech ou de l’École d’architecture de Versailles en juin dernier – pour découvrir avec une indignation légitime que ce cursus vous a doté d’une lecture du monde et d’outils en totale inadéquation avec le réel. Exercez une pression maximale, comme les étudiant·e·s rebelles de l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC), appuyé·e·s par de nombreux et nombreuses alumnis, pour exiger un virage écologique ambitieux21.

Révoltez-vous dès la rentrée !

La recherche de la vérité et de la réflexivité est à la racine de la mission historique de l’Université.
Je vous encourage à vous hisser sur les branches les plus élevées du savoir, en cherchant à déployer l’arborescence des nouvelles connaissances indispensables pour exercer le métier de citoyen dans une époque étouffée par l’obscurantisme et le dogmatisme stériles. C’est l’idéal que je veux défendre pour ne pas renier les fondements de tout ce que, avec beaucoup d’autres, l’Université m’a légué. Rabelais écrivit il y a bien longtemps que science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Depuis de trop nombreuses décennies, cette science sans conscience ruine l’habitabilité de l’unique planète connue pour abriter la vie.

Cher·e·s étudiant·e·s et futur·e·s étudiant·e·s, cher·e·s collègues membres de la communauté universitaire, je vous souhaite une belle rentrée académique, pleine d’audace critique. Il est encore temps de vous inscrire et d’œuvrer dans des Facultés qui ont un avenir et d’organiser la révolte dans celles qui sont tournées vers le passé. Je me révolte, donc nous sommes écrivait Albert Camus il y a plus de 70 ans22. Nous en sommes toujours là.

Laurent Lievens
Ingénieur de gestion, Sociologue, Psychomotricien
Chargé de cours invité (UCLouvain)
Chercheur in(ter)dépendant


1 Morin, E., (2008) La Méthode, Tome VI – Éthique, Opus Seuil, p. 2292.
2 Dans la filiation du philosophe Emmanuel Kant.
3 Lievens, L., (2015) La décroissance comme mouvement social ? Discussion théorique, perspective critique et analyse sociologique de l’action militante. PhD thesis at Institute of Analysis of Change in Contemporary and Historical Societies/Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication, Université Catholique de Louvain.
4 Lievens, L., (2022) Décroissance et néodécroissance. L’engagement militant pour sortir de l’économisme écocidaire, Presses universitaires de Louvain.
5 Crutzen, P.J., Stoermer, E.F., (2000) The “Anthropocene”, Global Change, NewsLetter, n° 41, p. 17-18. IGBP
6 Steffen, W. et al., (2005) The trajectory of the Anthropocene : The Great Acceleration, The Anthropocene Review, 2(1), pp. 81-98
7 Hamilton, C., (2017) Defiant Earth. The Fate of Humans in the Anthropocene, Wiley
8 Du fait de la résistance terrestre, biologique, matérielle, énergétique, humaine
9 Il suffit de voir la nouvelle doxa du tout numérique qui envahit même l’enseignement obligatoire, contre toute rationalité critique, alors qu’au-delà des conséquences sanitaires et cognitives, le numérique fait notamment exploser l’empreinte écologique, énergétique et matérielle.
10 Scheidler, F. (2020) La Fin de la mégamachine. Sur les traces d’une civilisation en voie d’effondrement, Seuil
11 Meadows, D., Meadows, D., Randers, J., and Behrens, W. (1972). The Limits to Growth : a Report for the Club of Rome’s Project on the Predicament of Mankind. Universe Book, New York
12 Meadows, D., Meadows, D., and Randers, J. (1992). Beyond the Limits : confronting global collapse. Envisioning a sustainable future. Chelsea Green Publishing, Vermont. [Voir également] Meadows, D., Meadows, D., and Randers, J. (2004). A synopsis. The Limits to growth : the 30 years update. Chelsea Green Publishing, Vermont
13 Steffen et al., (2015) Planetary boundaries: Guiding human development on a changing planet, Science. [Voir également] Wang-Erlandsson, L., Tobian, A., van der Ent, R.J. et al. (2022) A planetary boundary for green water. Nat Rev Earth Environ 3, 380–392.
14 Living Planet Report : Bending the curve of biodiversity loss, (2020), World Wide Fund for Nature
15 World Scientists’ Warning to Humanity: A Second Notice (2017), BioScience
16 Climat : 250 millions de nouveaux déplacés d’ici à 2050, selon le HCR, (2008), https://news.un.org
17 IPBES (2020) Workshop Report on Biodiversity and Pandemics of the Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. Daszak, P., das Neves, C., Amuasi, J., Hayman, D., Kuiken, T., Roche, B., Zambrana-Torrelio, C., Buss, P., Dundarova, H., Feferholtz, Y., Foldvari, G., Igbinosa, E., Junglen, S., Liu, Q., Suzan, G., Uhart, M., Wannous, C., Woolaston, K., Mosig Reidl, P., O’Brien, K., Pascual, U., Stoett, P., Li, H., Ngo, H. T., IPBES secretariat, Bonn, Germany
18 Voir notamment la Fondation Stop Ecocide, s’inspirant des travaux du juriste polonais Rafael Lemkin ayant inventé le terme « génocide » en 1944.
19 Il semble bien que les autorités de la LSM n’ont pas – malgré leurs constantes déclarations – de réelle conscience de ce que cela implique : sans remise en cause des fondements et des finalités des sciences de gestion, se doter d’un campus smart, vert, zéro déchet, avec des toilettes sèches et des machines à café équitables, des logements économes ou passifs, représente des ajustements marginaux.
20 Kant, E., (1784) Réponse à la question « Qu’est-ce que les Lumières ? »
21 https://www.novethic.fr/actualite/economie/isr-rse/sous-la-pression-des-etudiants-hec-prend-le-
necessaire-virage-ecologique-150850.html
22 Camus, A. (1951), L’Homme révolté, Gallimard


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« Papa, c’est quoi cette histoire de fin du monde ? »

Entre effondrement du vivant et effondrement possible de notre société… le mot plane comme une ombre au-dessus de notre époque.

Mais de quels effondrements s’agit-il ? Peut-on en parler aux enfants sans les angoisser ? Avec quels mots ? Et aussi, pourquoi certains boomers ont-ils tant de mal à comprendre ?

Mêlant arguments, expérience et affects, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle tissent une discussion à bâtons rompus entre générations avec pour horizon la préservation des liens.

Pablo Servigne et Gauthier Chapelle ont déjà coécrit L’Entraide, l’autre loi de la jungle (LLL, 2017 ; Babel 2019) et, avec Raphaël Stevens, Une autre fin du monde est possible (Seuil, 2018 ; Points, 2022). Pablo Servigne et Raphaël Stevens ont coécrit le best-seller Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015 ; Points, 2021).


Laurent Lievens

À l’heure où les constats scientifiques s’accumulent depuis un demi-siècle (!) pour attester de ce que d’aucuns nomment un écocide en cours, l’échec du développement durable est patent : il ne produit qu’un aménagement marginal du système. Cet ouvrage aborde la décroissance, un des courants les plus avancés sur la question de la mutation sociétale. Lire la suite

À l’heure où les constats scientifiques s’accumulent depuis un demi-siècle (!) pour attester de ce que d’aucuns nomment un écocide en cours, l’échec du développement durable est patent : ontologiquement arrimé au maintien de l’illimitisme et de la croissance économique, pétri d’une foi technoscientifique et néolibérale, il ne produit qu’un aménagement marginal du système, n’en déplaise aux pratiques foisonnantes de greenwashing. Cet ouvrage aborde la décroissance, l’un des courants de pensée, d’action et d’expérimentation les plus avancés sur les questions de la mutation sociétale. Théorisée dès les années 1970 dans le sillage d’une pensée écologiste naissante et d’une critique fondamentale du modèle économique dominant, cette approche réaffirme depuis les années 2000 l’urgence de sortir du modèle de développement ccidental. Cheminant notamment avec la pensée d’Edgar Morin et de l’École de Palo Alto, l’ouvrage questionne d’abord le sens et la portée de la décroissance initiale pour analyser ensuite les singularités du courant contemporain. Loin de ne signifier qu’une croissance négative, la néodécroissance est une matrice de projets de sociétés articulant les dimensions écologistes, sociétalistes et subjectivistes. Sa radicalité salutaire sur le plan de la pensée nous aide à décoloniser les imaginaires et à déjouer les fausses pistes secrétées par un système sociétal en bout de course. L’immersion au sein de milieux militants vient également nourrir le propos par le vécu et l’analyse des raisons de s’engager : lutter avec force contre la destruction du vivant, agir sur le monde, se réaliser comme sujet… et créer d’autres possibles, soutenables et souhaitables, poétiques et pragmatiques.


Chaque jour, nous transgressons les limites planétaires et détruisons nos conditions d’existence sur Terre. La pandémie, comme les catastrophes climatiques, sont autant de coups de semonce de la menace qui plane sur notre espèce. Pourtant, face au désespoir ambiant, nous avons le droit de rêver à un futur joyeux, et surtout les moyens de le concrétiser. Avec un nouveau plafond écologique et un vrai plancher social, nous pourrons apprendre à vivre sans tout détruire.

De nombreuses propositions sont déjà sur la table comme le Green New Deal, les Nouveaux Jours Heureux, le Pacte pour la Vie, etc. Mais toutes se heurtent aux limites actuelles de la politique, rarement convaincue par leur faisabilité. Ce plaidoyer défend une autre alternative, le Pacte social-écologique, qui place l’autonomie au centre, tout en réintégrant les limites de la Biosphère. Rassemblant Citoyens, État et Nature, il décrit comment mettre en place concrètement ce nouvel horizon, à tous les niveaux, afin de faire face aux multiples bouleversements de nos sociétés modernes. Mobilisons-nous, Citoyen, Citoyenne, pour participer à cette grande aventure, le plus important défi à relever pour l’humanité!


Cédric Chevalier est ingénieur de gestion et fonctionnaire de l’environnement détaché comme conseiller de gouvernement. Essayiste, il est l’auteur de nombreuses cartes blanches, analyses et d’un premier essai intitulé Déclarons l’État d’Urgence écologique, coécrit avec Thibault de La Motte, sorti début 2020 aux Éditions Luc Pire. Il a également contribué à l’ouvrage collectif À l’origine de la catastrophe, paru chez Les Liens qui Libèrent en 2020, sous la direction de Pablo Servigne et Raphaël Stevens.


Avant-Propos de Sarah Zamoun, activiste au sein de Rise for Climate

Préface d’Esmeralda de Belgique, journaliste, auteure et activiste pour l’environnement et les droits humains

Postface de Charlotte Luyck, philosophe, spécialiste de l’écophilosophie


Loin d’être le remède miracle aux crises auxquelles nous faisons face, la croissance économique en est la cause première. Derrière ce phénomène mystérieux qui déchaine les passions, il y a tout un système économique qu’il est urgent de transformer.Dans cet essai d’économie accessible à tous, Timothée Parrique vient déconstruire l’une des plus grandes mythologies contemporaines : la poursuite de la croissance. Nous n’avons pas besoin de produire plus pour atténuer le changement climatique, éradiquer la pauvreté, réduire les…

Sortie le 16/09/2022


La liste complète sur :

147e congrès CTHS Effondrements et ruptures

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… Cette thématique permet aussi de questionner la précarité des constructions politiques, économiques ou encore idéologiques dans le passé. Les phénomènes d’effondrement au niveau de collectivités plus réduites comme les bassins d’emploi, les terroirs et les villes ou encore l’effondrement de certains secteurs industriels avec la mise en regard des politiques d’accompagnement ou de relance plus ou moins efficaces peuvent aussi être interrogés. Face à la notion d’effondrement, la notion de rupture repose sur des exemples de clivage temporel dans l’histoire des sociétés humaines. La rupture marque l’avant et l’après d’un évènement, souvent de niveau critique et quelle que soit sa nature. Elle mobilise fréquemment le concept de révolution. La révolution française a provoqué l’effondrement des ordres d’Ancien Régime. L’affaiblissement actuel de certains états voit des recompositions brutales des entités nationales. Ces ruptures sont parfois déclenchées ou précipitées par des événements externes aux sociétés, tels que des catastrophes naturelles ou épidémiologiques. Ainsi, ce concept de rupture offre une bonne grille de lecture pour discuter des capacités de résilience et d’adaptation des sociétés humaines face aux risques d’effondrements. …

Climat, fin de partie ?

Cédric Chevalier

Reprise de l’article « Dire la vérité aux gens sur les risques existentiels qui pèsent sur l’humanité » paru sur le blog de Paul Jorion.

Nous voudrions vous relayer cet article paru dans PNAS, une prestigieuse revue scientifique américaine, ce 1er août 2022 : https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2108146119

Sa liste de coauteurs ne laissera pas indifférents ceux qui suivent l’actualité climatique :
Luke Kemp, Joanna Depledge, Kristie L. Ebi, Goodwin Gibbins, Timothy A. Kohler, Johan Rockström, Marten Scheffer, Hans Joachim Schellnhuber, Will Steffen, Timothy M. Lenton.

Présentation de l’article :

Une gestion prudente des risques exige la prise en compte de scénarios allant du moins bon au pire. Or, dans le cas du changement climatique, ces futurs potentiels sont mal connus. Le changement climatique anthropique pourrait-il entraîner l’effondrement de la société mondiale, voire l’extinction de l’humanité ? À l’heure actuelle, il s’agit d’un sujet dangereusement sous-exploré.

Pourtant, il existe de nombreuses raisons de penser que le changement climatique pourrait entraîner une catastrophe mondiale. L’analyse des mécanismes à l’origine de ces conséquences extrêmes pourrait contribuer à galvaniser l’action, à améliorer la résilience et à informer les politiques, y compris les réponses d’urgence.

Nous exposons les connaissances actuelles sur la probabilité d’un changement climatique extrême, expliquons pourquoi il est vital de comprendre les cas les plus défavorables, exposons les raisons de s’inquiéter des résultats catastrophiques, définissons les termes clés et proposons un programme de recherche.

Le programme proposé couvre quatre questions principales :

1) Quel est le potentiel du changement climatique à provoquer des événements d’extinction massive ?
2) Quels sont les mécanismes qui pourraient entraîner une mortalité et une morbidité massives chez l’homme ?
3) Quelles sont les vulnérabilités des sociétés humaines aux cascades de risques déclenchées par le climat, comme les conflits, l’instabilité politique et les risques financiers systémiques ?
4) Comment ces multiples éléments de preuve – ainsi que d’autres dangers mondiaux – peuvent-ils être utilement synthétisés dans une « évaluation intégrée des catastrophes » ?

Il est temps pour la communauté scientifique de relever le défi d’une meilleure compréhension du changement climatique catastrophique.

Commentaires Cédric Chevalier

Il semble impératif de prendre conscience de la situation d’urgence écologique absolue, de la reconnaître publiquement et surtout de gouverner la société en conséquence. Cela nécessite d’inclure les risques existentiels parmi les scénarios pris en compte. Nous le martelons depuis notre carte blanche collective du 6 septembre 2018 et la pétition de 40.000 signatures qui a suivi, remise à la Chambre de la Belgique. Les scénarios « catastrophes » ne sont pas des « excentricités douteuses » auxquelles les décideurs et scientifiques sérieux ne devraient pas attacher d’importance mais, au contraire, le point de départ, la pierre de touche, à partir duquel on peut seulement paramétrer ses efforts politiques et scientifiques. Dans l’histoire de la Terre, il y a déjà eu des changements d’ampleur « catastrophique », et il peut encore s’en produire, au détriment de certaines espèces, dont la nôtre. Et il ne peut y avoir de politique que lorsque l’existence de la communauté humaine est préservée.

L’éventuelle faible probabilité (sous-estimée peut-être à tort) de certains de ces scénarios (probabilité qui augmente à mesure que dure l’inertie, étant donnée l’existence des effets de seuil), n’est jamais une excuse pour ne pas les traiter. A partir du moment où ces scénarios impliquent la perte d’un grand nombre de vies et d’autres éléments d’importance existentielle, même pour une probabilité infime, ils doivent être pris en compte. Quand le risque sur l’espèce humaine toute entière ne peut être écarté, on fait face à la catégorie la plus élevée des risques existentiels.

Cet article invite donc à se demander si une partie de la communauté scientifique, avec sa culture de prudence et de modération adoptée par crainte de perdre sa crédibilité, n’a pas produit une pensée, un langage, des travaux et une priorisation de la recherche qui nous ont rendu collectivement aveugles sur la réalité effective des risques existentiels.

« Pourquoi se concentrer sur un réchauffement inférieur et des analyses de risque simples ? L’une des raisons est le point de référence des objectifs internationaux : l’objectif de l’accord de Paris de limiter le réchauffement bien en dessous de 2 °C, avec une aspiration à 1,5 °C. Une autre raison est la culture de la science climatique qui consiste à « pécher par excès de prudence », à ne pas être alarmiste, ce qui peut être aggravé par les processus de consensus du GIEC. Les évaluations complexes des risques, bien que plus réalistes, sont également plus difficiles à réaliser.
Cette prudence est compréhensible, mais elle n’est pas adaptée aux risques et aux dommages potentiels posés par le changement climatique. Nous savons que l’augmentation de la température a des « queues de distribution de probabilités épaisses » : des résultats extrêmes à faible probabilité et à fort impact. Les dommages causés par le changement climatique seront probablement non linéaires et entraîneront une queue de distribution de probabilité encore plus épaisse. Les enjeux sont trop importants pour s’abstenir d’examiner des scénarios à fort impact et à faible probabilité. »

Préférant se situer, par ethos scientifique, en deçà du risque probable, alors que l’éthique intellectuelle préconisait de se situer au-delà du risque probable, au niveau du risque maximal. La modération est au cœur de l’ethos scientifique, mais l’éthique des risques existentiels exige une forme d’exagération vertueuse, comme méthode de gouvernement. Le scientifique doit rester modéré, mais l’intellectuel qui sommeille en lui doit sans aucun doute hurler l’urgence, sans attendre d’en avoir toutes les preuves. Et surtout, le politique doit gouverner en ayant le scénario du pire à l’esprit, en permanence.

C’était le message, malheureusement mal compris, du philosophe Hans Jonas dans son ouvrage majeur, « Le Principe Responsabilité », de considérer que la femme ou l’homme d’État devait gouverner selon une « heuristique de la peur », en considérant les plus grands risques existentiels. Avec pour maxime « d’agir de telle façon que nos actions soient compatibles avec la permanence d’une vie authentique sur la Terre ». Le philosophe Jean-Pierre Dupuy a complété cette réflexion par le « catastrophisme éclairé », nous invitant à considérer que « le pire est certain », à un iota près, ce qui justement permet d’agir collectivement pour l’éviter.

Ce Principe Responsabilité, contrairement aux critiques, n’a jamais été un principe irréaliste et paralysant, mais au contraire, un principe raisonnable et d’action. On peut même penser qu’il est le fondement de la relation de responsabilité qui existe entre un parent et un enfant, et entre un politicien et les citoyens.

On comprend que s’il avait été mis effectivement en œuvre, jamais l’humanité n’aurait libéré dans la biosphère autant de substances polluantes, en ce compris les gaz à effet de serre, à partir du moment où l’impact catastrophique potentiel fut jugé plausible. C’était il y a environ 50 ans déjà selon certaines archives déclassifiées de la présidence américaine de Jimmy Carter, notamment, où les mots « the Possibility of Catastrophic Climate Change » figurent.

C’est en partie ce qui autorise le philosophe Stephen Gardiner de parler d’une « perfect moral storm », et de corruption morale, lorsqu’on ne tire pas les conséquences de ce que l’on sait, car on ne veut pas le croire, en s’abritant derrière la « complexité du problème » :

« En conclusion, la présence du problème de la corruption morale révèle un autre sens dans lequel le changement climatique peut être une tempête morale parfaite. C’est que sa complexité peut s’avérer parfaitement commode pour nous, la génération actuelle, et en fait pour chaque génération qui nous succède. D’une part, elle fournit à chaque génération la justification qui lui permet de donner l’impression de prendre le problème au sérieux – en négociant des accords mondiaux timides et sans substance, par exemple, puis en les présentant comme de grandes réalisations – alors qu’en réalité, elle ne fait qu’exploiter sa position temporelle. Par ailleurs, tout cela peut se produire sans que la génération qui exploite n’ait à reconnaître que c’est elle qui le fait. En évitant un comportement trop ouvertement égoïste, une génération antérieure peut profiter de l’avenir en évitant de devoir l’admettre – que ce soit aux autres ou, ce qui est peut-être plus important, à elle-même. »

La critique adressée aux scientifiques du climat s’étend donc à l’entièreté des forces qui œuvrent pour défendre l’habitabilité de notre biosphère pour tous les êtres vivants. La modération et le refus d’évoquer publiquement les scénarios du pire dans le chef des activistes, des associations, des syndicats, des entreprises, des pouvoirs publics, des partis et des mandataires politiques est contraire au respect du Principe Responsabilité. A force de ne pas vouloir évoquer le pire, de ne pas vouloir « faire peur », il est impossible pour la population de comprendre l’enjeu existentiel, et on ne peut pas s’étonner ensuite que l’inertie demeure.

N’y a-t-il pas une forme de faillite morale, pour certains, à refuser de parler ouvertement, publiquement, de manière concrète, de la possibilité de ces scénarios catastrophiques ?

L’article fait cette analogie historique :

« Connaître les pires cas peut inciter à l’action, comme l’idée de « l’hiver nucléaire » en 1983 a galvanisé l’inquiétude du public et les efforts de désarmement nucléaire. L’exploration des risques graves et des scénarios de températures plus élevées pourrait cimenter un réengagement en faveur de la barrière de sécurité de 1,5 °C à 2 °C comme l’option « la moins rébarbative » ».


Cette vague de chaleur anéantit l’idée que de petits changements permettent de lutter contre les phénomènes météorologiques extrêmes.

George Monbiot

Article original : This heatwave has eviscerated the idea that small changes can tackle extreme weather

Traduction : JM avec deepl

Les chaleurs excessives vont devenir la norme, même au Royaume-Uni. Les systèmes doivent changer de toute urgence – et le silence doit être brisé.

Peut-on en parler maintenant ? Je veux dire le sujet que la plupart des médias et la majorité de la classe politique évitent depuis si longtemps. Vous savez, le seul sujet qui compte en définitive – la survie de la vie sur Terre. Tout le monde sait, même s’ils évitent soigneusement le sujet, qu’à côté de lui, tous les sujets qui remplissent les premières pages et obsèdent les experts sont des broutilles. Même les rédacteurs du Times qui publient encore des articles niant la science du climat le savent. Même les candidats à la direction du parti Tory, qui ignorent ou minimisent le problème, le savent. Jamais un silence n’a été aussi fort ou aussi assourdissant.

Ce n’est pas un silence passif. Face à une crise existentielle, c’est un silence actif, un engagement farouche vers la distraction et l’insignifiant. C’est un silence régulièrement alimenté par des futilités et des divertissements, des ragots et du spectacle. Parlez de tout, mais pas de ça. Mais tandis que ceux qui dominent les moyens de communication évitent frénétiquement le sujet, la planète parle, dans un rugissement qu’il devient impossible d’ignorer. Ces jours de colère atmosphérique, ces chocs thermiques et ces feux de forêt ignorent les cris de colère et font brutalement irruption dans nos bulles de silence.

Et nous n’avons encore rien vu. La chaleur dangereuse que l’Angleterre subit en ce moment est déjà en train de devenir normale dans le sud de l’Europe, et serait à comptabiliser parmi les jours les plus frais pendant les périodes de chaleur de certaines régions du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Asie du Sud, là où la chaleur devient une menace régulière pour la vie. Il ne faudra pas attendre longtemps, à moins que des mesures immédiates et complètes ne soient prises, pour que ces jours de chaleur deviennent la norme, même dans notre zone climatique autrefois tempérée.

La même chose vaut pour tous les méfaits que les humains s’infligent les uns aux autres : ce qui ne peut être discuté ne peut pas être affronté. Notre incapacité à empêcher un réchauffement planétaire catastrophique résulte avant tout de la conspiration du silence qui domine la vie publique, la même conspiration du silence qui, à un moment ou à un autre, a accompagné toutes sortes de violences et d’exploitations.

Nous ne méritons pas cela. La presse milliardaire et les politiciens qu’elle soutient se méritent peut-être l’un l’autre, mais aucun de nous ne mérite l’un ou l’autre groupe. Ils construisent entre eux un monde dans lequel nous n’avons pas choisi de vivre, dans lequel nous ne pourrons peut-être pas vivre. Sur cette question, comme sur tant d’autres, le peuple a tendance à avoir une longueur d’avance sur ceux qui prétendent le représenter. Mais ces politiciens et ces barons des médias déploient tous les stratagèmes et toutes les ruses imaginables pour empêcher les prises de mesures décisives.

Ils le font au nom de l’industrie des combustibles fossiles, de l’élevage, de la finance, des entreprises de construction, des constructeurs automobiles et des compagnies aériennes, mais aussi au nom de quelque chose de plus grand que tous ces intérêts : le maintien du pouvoir. Ceux qui détiennent le pouvoir aujourd’hui le font en étouffant les contestations, quelle que soit la forme qu’elles prennent. La demande de décarbonation de nos économies n’est pas seulement une menace pour les industries à forte intensité de carbone ; c’est une menace pour l’ordre mondial qui permet aux hommes puissants de nous dominer. Céder du terrain aux défenseurs du climat, c’est céder du pouvoir.

Au cours des dernières années, j’ai commencé à réaliser que les mouvements environnementaux traditionnels ont fait une terrible erreur. La stratégie de changement poursuivie par la plupart des groupes verts bien établis est totalement inadéquate. Bien qu’elle soit rarement exprimée ouvertement, elle régit leur action. Cela donne quelque chose comme ceci: il y a trop peu de temps et la tâche est trop vaste pour essayer de changer le système, les gens ne sont pas prêts à le faire, nous ne voulons pas effrayer nos membres ou provoquer un conflit avec le gouvernement… La seule approche réaliste est donc l’incrémentalisme, les petits pas. Nous ferons campagne, question par question, secteur par secteur, pour des améliorations progressives. Après des années de persévérance, les petites demandes s’ajouteront les unes aux autres pour donner naissance au monde que nous souhaitons.

Mais pendant qu’ils jouaient à la patience, le pouvoir jouait au poker. La vague de droite radicale a tout balayé devant elle, écrasant les structures administratives de l’état, détruisant les protections publiques, s’emparant des tribunaux, du système électoral et de l’infrastructure de gouvernement, supprimant le droit de protester et le droit de vivre. Alors que nous nous persuadions que nous n’avions pas le temps pour changer de système, ils nous ont prouvé exactement le contraire en changeant tout.

Le problème n’a jamais été que le changement de système est une exigence trop forte ou prend trop de temps. Le problème est que l’incrémentalisme est une demande trop faible. Pas seulement trop limitée pour conduire la transformation, pas seulement trop limitée pour arrêter le déferlement de changements radicaux venant de l’autre camp, mais aussi trop limitée pour briser la conspiration du silence. Seule une exigence de changement de système, confrontant directement le pouvoir qui nous conduit à la destruction planétaire, a le potentiel de répondre à l’ampleur du problème et d’inspirer et de mobiliser les millions de personnes nécessaires pour déclencher une action efficace.

Pendant tout ce temps, les écologistes ont raconté aux gens que nous étions confrontés à une crise existentielle sans précédent, tout en leur demandant de recycler leurs capsules de bouteilles et de changer leurs pailles. Les groupes verts ont traité leurs membres comme des idiots et je soupçonne que, quelque part au fond d’eux-mêmes, les membres le savent. Leur timidité, leur réticence à dire ce qu’ils veulent vraiment, leur conviction erronée que les gens ne sont pas prêts à entendre quelque chose de plus stimulant que ces conneries micro-consuméristes portent une part importante dans la responsabilité de l’échec global.

Il n’y a jamais eu de temps pour l’incrémentalisme. Loin d’être un raccourci vers le changement auquel nous aspirons, c’est un marais dans lequel s’enfoncent les ambitions. Le changement de système, comme l’a prouvé la droite, est, et a toujours été, le seul moyen rapide et efficace de transformation.

Certains d’entre nous savent ce qu’ils veulent : une sobriété privée, un domaine public amélioré, une économie du doughnut, une démocratie participative et une civilisation écologique. Aucune de ces demandes n’est plus importante que celles que la presse milliardaire a poursuivies et largement concrétisées : la révolution néolibérale qui a balayé la gouvernance efficace, la taxation efficace des riches, les restrictions efficaces du pouvoir des entreprises et des oligarques et, de plus en plus, la véritable démocratie .

Alors brisons notre propre silence. Cessons de nous mentir à nous-mêmes et aux autres en prétendant que les petites mesures apportent un changement majeur. Abandonnons frilosité et gestes symboliques. Cessons d’apporter des seaux d’eau quand seuls les camions de pompiers font l’affaire. Construisons notre campagne pour un changement systémique vers le seuil critique de 25% d’acceptation publique, au-delà duquel, selon une série d’études scientifiques, se produit le basculement social .

Je me sens plus lucide que jamais sur ce à quoi ressemble une action politique efficace. Mais une question majeure demeure. Puisque nous avons attendu si longtemps, pouvons-nous atteindre le point de basculement social avant d’atteindre le point de basculement environnemental ?

George Monbiot est chroniqueur au Guardian.

Pour d’autres références voir : https://obsant.eu/listing/?aut=George%20Monbiot


Le mercredi noir

Paul Blume

Ce mercredi 2 février 22 – comme souvent les dates symboles – ne surprend pas.

Il est annoncé depuis des mois. Reflet d’un consensus fortement majoritaire quant aux politiques européennes en matière d’énergie.

Le symbole reste pourtant très violent. Pour qui suit l’actualité mondiale de l’énergie et du climat, un saut vers l’inconnu vient d’être franchi.

Depuis les accords de Paris en 2015 sur le climat, des efforts monumentaux sont annoncés et rencontrés de manière fort partielle.

En Asie, la relance du charbon est présentée comme indispensable pour éviter un effondrement économique. La production de pétrole est loin de diminuer, malgré l’envolée des prix. Le gaz suscite des investissements continus et détermine en partie la géo-politique mondiale.

Et la part des énergies dites renouvelables reste, malgré sa croissance, anecdotique au niveau global.

Dans ce cadre déjà fort sombre pour les objectifs climatiques, l’Europe mise tout sur le gaz et le nucléaire pour éviter de répercuter les contraintes de rationnement de l’utilisation des énergies.

La « relance verte » est une réalité politique que nous allons probablement payer fort cher.

Et cela au moment où un consensus scientifique s’exprime sur les dépassements déjà actés de limites écologiques et du probable dépassement des plafonds de gaz à effet de serre dans les années qui viennent.

Au-delà de ce débat sur la non prise en compte des alertes répétées de différentes instances internationales (Giec, Nations-Unies, Nasa, PNUE, … références : ici ), c’est l’ensemble des mouvements citoyens sur le climat et l’environnement qui sont en deuil.

Que dire ? Que faire ? Comment mobiliser alors que l’ensemble des représentations politiques se comportent comme si l’urgence n’existait pas ?

Le processus européen annoncé aujourd’hui marque la fin d’une époque. Celle de l’espoir d’un sursaut face aux apocalypses climatiques annoncées.

Et maintenant ?

La raison va-t-elle reprendre ses droits ? Avons-nous encore du temps avant que le débat sur l’action anthropique ne se conclue par des formes violentes d’effondrements de nos capacités de vivre sur Terre ?

Il est de bon ton d’espérer. Espérons donc.

En attendant, ce mercredi 2 février 2022 est bien un jour de deuil. Le deuil d’espoirs sans doute vains.