Les systèmes éducatifs et leur sculpture de l’a-venir : Métamorphose ou Barbarie(s) ?

Laurent Lievens, sociologue, psychomotricien, ingénieur, chargé de cours Helha-CESA, UCLouvain (ESPO) et contributeur pour la Fondation Edgar Morin. Voir http://lievenslaurent.pbworks.com.

Article publié précédemment dans Centre avec

Notre thèse est simple et peut se résumer de la sorte : le modèle de développement que connaît notre société a engendré et répandu des manières d’habiter le monde qui tuent massivement le vivant et rendent la planète peu à peu inhabitable pour les humains. Sciant la branche sur laquelle nous sommes assis, cette mécanique barbare conduit nécessairement aux effondrements – actuels et futurs, écologiques, sociaux, économiques – qui s’amplifieront tant qu’une métamorphose radicale ne sera pas engagée. Pour permettre, soutenir et nourrir cette dernière, la mutation – et non pas une simple réforme – de l’ensemble des systèmes éducatifs est indispensable. Nous en proposerons ici une première trame.

Admettre ce que la science sait

Partons d’un fait central : l’écocide (du grec oîkos, « maison » et du latin caedere, « tuer »), c’est-à-dire la destruction de notre maison terrestre commune. Depuis seulement quelques décennies – tendanciellement quelques siècles, tout au plus –, une partie croissante des terriens est en train de rendre inhabitable la planète à laquelle elle appartient, par ses pratiques, ses outils, ses techniques, ses aspirations. Ce constat factuel s’appuie sur l’activité humaine la plus puissante permettant de comprendre le réel au départ d’observations, analyses et expériences : la recherche scientifique.

Et celle-ci converge sur les grandes tendances. Sur 9 limites planétaires étudiées[1], 6 sont déjà dépassées : le climat, la biodiversité, les cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, l’occupation des sols, l’utilisation mondiale de l’eau, la présence d’entités nouvelles (dont les plastiques) dans la biosphère. En 50 ans, les populations de vertébrés (poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles) ont diminué de presque 70 % sur la planète, essentiellement à cause des activités humaines. Nos forêts brûlent, nous passons de canicules et sécheresses en inondations, nos sols et nos eaux se stérilisent, les ressources alimentaires sont menacées, la fréquence des zoonoses explose, les écosystèmes s’effondrent. En 2017, 25 ans après un premier appel, quinze mille scientifiques de 184 pays publiaient un second manifeste alertant sur la trajectoire de collision de notre modèle sociétal avec le vivant si le business-as-usual était maintenu. L’ONU annonce entre 200 et 250 millions de réfugiés climatiques dans le monde d’ici moins de 30 ans[2]. Nous avons vécu la plus grande pandémie mondiale depuis celle de 1918, dont les causes sont intimement liées à l’écocide planétaire. Et nous pourrions noircir des pages ad nauseam en listant les constats et alertes scientifiques qui mettent en garde contre la Grande Accélération[3], et la destruction des conditions d’habitabilité de la planète.

crédit : Priscilla Gyamfi – Unsplash

L’écocide en cours est donc un fait documenté et validé, qui concernera à brève échéance tous les lieux et toutes les populations : par son ampleur, par sa complexité (chaque crise rétroagissant sur les autres de manière souvent imprévisible), par les inerties des systèmes terrestres et par l’extrême fragilité des sociétés humaines face à ces risques systémiques. Pour bien se représenter l’ordre de grandeur des bouleversements qui nous arrivent, songeons simplement à la difficulté sidérante lorsqu’il s’agit d’accueillir un nombre pour le moment dérisoire de réfugiés, ou encore au chaos engendré par la récente pandémie.

Si notamment des géologues s’orientent vers l’emploi du terme d’anthropocène – afin de signifier la force de ces processus à l’échelle du temps long – nous adopterons ici le terme de capitalocène. Celui-ci désigne en effet une des racines de cette mutilation, et évite surtout l’injustice d’envisager l’humanité comme un bloc monolithique. Le choix de ce terme ouvre également une porte de sortie : l’humain – anthropos – ne serait pas ontologiquement et irrévocablement coupable, mais bien un certain type de rapport au monde, situé historiquement, principalement initié en Occident et se diffusant, par la force autant que par la séduction, au reste du monde.

Ce modèle néolibéral – la version actuelle et toujours plus corrosive du capitalisme – donne lieu à une démesure extractiviste, productiviste et consumériste, un illimitisme forcené ainsi qu’une foi béate dans le techno-solutionnisme et le marché, censés résoudre tous les maux. Au cœur de ce modèle de société – cette Mégamachine[4] thermo-industrielle –, on retrouve notamment une pensée hors-sol, un réductionnisme maladif, une obsession du quantitatif et de la marchandisation du monde. C’est en quelque sorte l’application à toute la planète de la logique féroce du boutiquier et de son fétichisme de la marchandise.

Validé à différentes reprises par la suite, le rapport Meadows indiquait, il y a plus de 50 ans déjà, l’impossibilité du maintien de ce système, qui relève d’une dystopie – ni soutenable, ni souhaitable – vis-à-vis de laquelle nous avons à construire d’urgence des voies de sortie collectives, par d’autres récits du désirable, d’autres pratiques pour habiter le monde.

Si la tâche est titanesque, il n’y a pourtant aucune fatalité à la poursuite d’un modèle de société et de développement périmé. Et les progrès évidents qu’a permis ce modèle ne peuvent – par simple raisonnement logique – justifier sa poursuite dès lors qu’il détruit – avec une violence extrême – les conditions mêmes de l’existence.

Mettre à jour nos imaginaires

Voilà pour l’état des lieux. Alors qu’il semble démesuré par son échelle (tant mondiale que locale) et ses implications (changer ou périr), nous y voyons le point de départ essentiel à toute réflexion sérieuse, à toute proposition ajustée, à toute action intelligente. L’écocide nous plaçant de facto dans un tout autre cadre civilisationnel, qu’on le veuille ou pas, qu’on campe dans le déni ou pas. Mais le propre de la folie n’est-il pas de nier le réel ?

Allons plus loin : l’approche systémique[5] – essentielle en écologie scientifique par son intégration des liens d’interdépendance – nous enseigne l’importance du cadre dans lequel toute action prend place. Un geste ou une action prendront sens en fonction de la compréhension du « décor » dans, par et avec lequel ils interagiront. Par exemple, le même acte de pousser quelqu’un n’aura pas du tout la même signification si je suis sur un terrain de rugby, dans une compétition de boxe, dans la rue, sur un plateau de théâtre, dans un immeuble en feu.

Dès lors, la conscience affûtée de la situation d’écocide engendrée par la Mégamachine et de la nécessaire métamorphose pour tenter d’en sortir doit absolument devenir centrale : aucune politique publique, aucun traité international, aucune proposition économique, aucune réforme éducative ne peuvent dès à présent s’envisager hors de cet impératif catégorique kantien, sous peine de désuétude immédiate. Car, dotées d’une compréhension trop limitée (par inconscience, déni, obscurantisme, parcellisation des savoirs, pensée en silo, localisme, etc.), nos actions sont souvent – et malgré de bonnes intentions – mutilantes,pour reprendre l’analyse du philosophe et sociologue Edgar Morin.

Imaginons-nous le 15 avril 1912 sur le Titanic, nous avons déjà heurté l’iceberg, et nous continuerions de disserter sur la couleur des lambris du salon, la manière de mieux éclairer les couloirs, le choix d’une graisse plus économique pour la salle des machines, la date de la prochaine promotion, ou encore le menu du petit déjeuner. Si toutes ces questions sont intéressantes, voire nécessaires, les envisager sans d’abord et constamment tenir compte de la brèche dans la coque du navire indiquerait notre degré d’aveuglement ou de stupidité. Nous serions ridicules, désajustés, inconséquents et donc en quelque sorte criminels au regard de la gravité de la situation.

Voies de garage, non merci !

Nous sommes ainsi de toute évidence à un kairos : le temps du moment opportun, ce moment où, plongés dans une crise existentielle, une voie de sortie s’avère nécessaire. Deux écueils nous guettent cependant.

Le premier est de chercher sans fin à préciser les détails de cet écocide, à en mesurer toutes les dimensions, à attendre un ultime rapport du GIEC[6] ou de l’IPBES[7] – dont les prédictions sont chaque fois corrigées à la hausse[8] – avant d’opérer des changements. Le danger serait de raffiner notre tableau de bord d’indicateurs, en délaissant les leviers d’action réels. Car, si le travail de précision reste intéressant, l’écocide est déjà largement documenté et devrait nous donner – depuis un certain temps déjà – l’impulsion et le cadre pour tenter sérieusement autre chose. Nous avons amplement de quoi nous inciter à stopper le business-as-usual. Il s’agit maintenant d’enrayer la poursuite de la Mégamachine, d’employer toute notre attention et notre intelligence à quitter cette trajectoire. Ergoter sur les quelques incertitudes s’avère surtout une stratégie de statu-quo[9].

Pour reprendre l’exemple du Titanic, notre tactique actuelle s’apparente pour une partie d’entre nous – les autres n’ayant pas encore imaginé ou perçu l’état du réel – à compter sans cesse les passagers, à mesurer les réserves de charbon, à enquêter sur la taille de la voie d’eau, à calculer à la seconde près le moment où l’ensemble des cales seront inondées. À ce rythme-là, les canots ne sont pas mis à l’eau, les passagers restent dans l’ignorance et ne sont pas accompagnés, les secours extérieurs ne sont pas appelés, etc. Mais, comme dans le cas de cette catastrophe, la croyance en l’insubmersibilité du bateau constitue déjà un obstacle majeur.

Dans le contexte de l’écocide, les échelles de temps et les inerties (climatiques notamment) sont d’une ampleur telle que nous n’avons ni le luxe – ni même le besoin – d’attendre une certitude totale et détaillée avant d’agir avec détermination. Dans le film Don’t Look up, c’est la fameuse réplique du « on patiente et on avise » de la présidente après l’annonce par les scientifiques des conséquences de l’impact de la comète. Face au consensus scientifique déjà présent, cette stratégie de l’inaction (qui relève en réalité de la mauvaise foi) n’est plus acceptable.

Quitter le déni et admettre ce que la science sait nous inciterait par exemple à décréter une sorte d’état d’urgence écologique[10], à consacrer la majeure partie de nos ressources à la métamorphose, à soutenir et susciter toutes les expérimentations d’autres manières d’habiter le monde, à refonder totalement notre système d’éducation pour quitter la poursuite du business-as-usual.

Un deuxième risque – tragique également – est d’envisager la situation de manière parcellaire : il y aurait un problème climatique, un problème lié à l’eau potable, un problème de biodiversité, un souci de mobilité, un souci de logement, un problème alimentaire, etc. Le danger est alors de tenter d’apporter des solutions sectorielles – et essentiellement techniques – à chacun de ces problèmes. Le danger est d’opérer des changements à la marge, des changements dans le cadre actuel de la Mégamachine.

Une politique radicale de métamorphose

C’est face à ce deuxième risque qu’il faut être précis sur la notion de métamorphose. Nous savons qu’un système peut changer de deux manières. Soit via un changement de type 1 (chgmt1), soit via un changement de type 2 (chgmt2).

Le premier corrige un problème en modifiant des éléments à l’intérieur du cadre existant : par exemple, lorsqu’il fait froid, j’allume mon chauffage. Le deuxième modifie le cadre lui-même : il fait froid, et donc je déménage vers une région plus tempérée.

La transformation naturelle d’une chenille en papillon nous offre un exemple de ce changement de type 2 : un papillon n’est pas une chenille améliorée, qui aurait subi un ajustement. Il s’agit d’autre chose, d’une autre structure, d’un autre fonctionnement. On a changé de système. Et l’on n’obtiendra jamais un papillon en tentant d’améliorer ou d’ajuster une chenille.

Pour un chgmt2, une rupture est indispensable. Une métamorphose implique ce type de changement : quitter le cadre actuel et en bâtir collectivement un autre, tenant compte du réel et susceptible de permettre – pour reprendre le philosophe Paul Ricoeur – une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes.

L’enjeu n’est ainsi pas de rendre durable, soutenable, éthique, numérique, certifié, notre modèle sociétal actuel, mais d’en sortir de toute urgence. Le changement est un changement de nature (faire tout autre chose, tout autrement) et non un changement de degré (faire un peu mieux, ou différemment, la même chose).

Ce que la théorie systémique indique également est que, face à l’évolution du contexte, un système insoutenable essaie tous les chgmt1 avant d’être contraint d’opérer un chgmt2. Tout système cherchera à éviter la métamorphose, à maintenir son homéostasie, à persévérer en l’état, quitte – dans le cas de la Mégamachine – à rendre la planète inhabitable, à détruire le vivant, à criminaliser les mouvements de contestation et d’exploration d’autres possibles – comme l’illustre l’actualité. La résistance au changement sera donc nécessairement au rendez-vous, il faut s’y préparer.

Dans nos pays, le cœur de cette métamorphose consisterait à réduire notre prédation sur le monde et le vivant. Il s’agit de s’organiser à l’échelle collective et politique pour diminuer drastiquement et de manière équitable les flux énergétiques et matériels, afin de revenir en deçà des limites planétaires. Une réelle politique de décroissance[11] donc, susceptible de décoloniser nos imaginaires et de remettre à la niche la sphère économico-financière. De gré ou de force, nous n’y couperons pas.

Faire mieux avec beaucoup moins[12], sans se laisser séduire par les chimères de la Mégamachine. Celle-ci brandit en effet une série de chgmt1 : croissance verte, découplage, développement durable, technologisme, colibrisme, colonisation d’autres planètes, etc. Si certains relèvent du simple greenwashing[13], d’autres s’avèrent utiles pour autant qu’ils s’inscrivent explicitement dans une visée de métamorphose. Car poursuivre l’actuel en le verdissant un peu nous maintient dans la même direction écocidaire. C’est un tout autre horizon qui est requis.

L’effet levier des systèmes éducatifs

Que le lecteur ne s’y trompe pas, tout ce qui vient d’être posé n’est pas un long détour un peu écolo ou catastrophiste vis-à-vis du sujet de ce dossier, mais bien la fondation même de toute politique éducative sérieuse pour la suite.

Étant inclus dans le système sociétal – lui-même inclus dans le système Terre – le système éducatif, comme toute institution et organisation, devra se métamorphoser. Mais par un effet de levier conséquent, il joue un rôle capital de formation par et pour cette métamorphose : en dotant les apprenants des clés de compréhension et d’action vis-à-vis du réel, en les outillant d’une pensée complexe et systémique, en leur fournissant un équilibre entre raison critique, raison instrumentale et sagesse, et en les armant intellectuellement afin de déconstruire les idéologies de la Mégamachine.

Se placer dans un cadre ajusté avec le réel impliquera d’intégrer – c’est-à-dire incorporer, digérer, métaboliser, avec la tête mais également avec le cœur et le corps – la situation d’écocide et ses effondrements, pour ensuite se doter d’une destination ajustée : la métamorphose.

C’est – d’abord ! – habités de cette lucidité et de cette clarté qu’il sera – ensuite – possible d’implémenter une stratégie de mise en œuvre concrète. D’expérience, nous savons qu’aucun espoir n’est durable s’il s’appuie sur un déni des faits ; la jeunesse actuelle s’y trompe d’ailleurs de moins en moins. La lucidité sera donc la première brique de toute réalisation, laquelle sera obligatoirement plurielle, située, contextualisée en fonction des situations de terrain, des contextes locaux, des enjeux territoriaux, des ressources disponibles. Elle sera nécessairement incrémentielle : le sommet de la montagne étant identifié, c’est pas à pas que nous l’atteindrons ensuite. Mais tant que l’on se fourvoiera sur l’emplacement du sommet – en entretenant de faux espoirs –, aucun de nos pas ne pourra nous y mener.

Comment implémenter cela dans le domaine de l’apprentissage ? Nous proposons[14] quatre axes transversaux pour structurer la totalité des lieux de transmission. Nous intitulons ces axes : terrestre, homo, sapiens, et faber. Tous les systèmes éducatifs contribueront à former ainsi des (a) terrestres (qui habitent la Terre autrement qu’en prédateurs, avec égards et conscience de leur interdépendance avec le vivant), du genre (b) homo (des humains faisant communautés politiques et poétiques, capables de relier leurs singularités culturelles), de l’espèce (c) sapiens (capables d’une pensée rationnelle et complexe, capables de relier les savoirs et de mobiliser de la sagesse), dotés de capacités de (d) faber (pouvoir se doter et utiliser des outils spécifiques, conviviaux au sens qu’en donne Ivan Illich, agir en situation, œuvrer et exercer ses métiers).

En tant qu’apprenant, par des contenus adaptés aux finalités de ma formation, je bénéficierai chaque année d’apports pour chacun de ces quatre axes, que je sois en 2ᵉ année de primaire, en rhéto, en ébénisterie, en graduat de comptabilité, en master de géographie, en certificat de puériculture, en bachelier de médecine.

Si l’écologue se pose la question « quelle planète laiss(er)ons-nous à nos enfants ? », le pédagogue[15] – celui qui accompagne l’autre sur le chemin de l’émancipation vis-à-vis des ignorances, incompétences, illusions, etc. – est pour sa part nécessairement habité par la question « quels enfants laiss(er)ons-nous à la planète ? ».

Nous pensons que ces deux questions structurantes sont désormais à relier dès lors que nous voudrions tenter une sortie de la barbarie présente et de ses amplifications futures. Dit autrement : tout pédagogue est appelé à se faire écologue – et vice-versa – afin de penser et (ré)inventer collectivement des espaces, structures, institutions, méthodes, connaissances et pratiques permettant d’habiter le monde sans le mutiler. Métamorphose ou barbarie(s) : l’enjeu est de taille, mais ré-ouvre la possibilité d’une vie bonne sur et avec notre planète.

NOTES :

  • [1] Lan Wang-Erlandsson, Arne Tobian, Ruud J. van der Ent et al., « A planetary boundary for green water », Nature Reviews Earth & Environment, n°3, 2022, pp. 380-392.
  • [2] « Climat : 250 millions de nouveaux déplacés d’ici à 2050, selon le HCR », 2008 (https://news.un.org).
  • [3] Will Steffen et al., « The trajectory of the Anthropocene : The Great Acceleration », The Anthropocene Review, 2(1), 2005, pp. 81-98.
  • [4] François Scheidler, La Fin de la mégamachine. Sur les traces d’une civilisation en voie d’effondrement, Seuil, 2020.
  • [5] Jean-Jacques Wittezaele, Teresa Garcia-Rivera, A la recherche de l’école de Palo Alto, Seuil, 2006.
  • [6] Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est un organisme intergouvernemental chargé d’évaluer l’ampleur, les causes et les conséquences du changement climatique en cours (ndlr).
  • [7] La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services – IPBES) est un groupe international d’experts sur la biodiversité (ndlr).
  • [8] Simon Willcock, Gregory S. Cooper, John Addy et al., « Earlier collapse of Anthropocene ecosystems driven by multiple faster and noisier drivers », Nature Sustainability, 2023 (https://doi.org/10.1038/s41893-023-01157-x).
  • [9] Une étude de l’Université de Cambridge – intitulée Discourses of climate delay – a mis en évidence 12 excuses récurrentes brandies par les partisans du statu quo afin de retarder toute action sérieuse. Voir William F. Lamb et al., « Discourses of climate delay », Global Sustainability, vol. 3, e17, 2020.
  • [10] Cédric Chevalier, Thibault De La Motte, Déclarons l’état d’urgence écologique, Éditions Luc Pire, 2020.
  • [11] Laurent Lievens, Décroissance et néodécroissance. L’engagement militant pour sortir de l’économisme écocidaire, Presses universitaires de Louvain, 2022.
  • [12] Nous renvoyons notamment à toute la littérature issue du courant de la décroissance, l’un de seuls réellement sérieux face à ces questions. Voir notamment Serge Latouche, Paul Ariès, Timothee Parrique, Ivan Illich, Bernard Charbonneau, André Gorz, Jacques Ellul, Alain Gras, etc.
  • [13] En 2022, je démissionnais de mon poste d’enseignant à la Louvain School of Management pour alerter l’opinion publique. Cet acte de lanceur d’alerte s’est traduit dans deux lettres ouvertes (disponibles ici : https://blogs.mediapart.fr/laurent-lievens).
  • [14] Cela fera l’objet d’un ouvrage collectif prochain, qui abordera notamment le système d’enseignement supérieur au travers du cas emblématique de la science économique et de la gestion.[15] Philippe Godard, Pédagogie pour des temps difficiles – Cultiver des liens qui nous libèrent, Écosociété, 2021.

Pour le démantèlement immédiat du complexe fossile

Carte blanche parue dans Le Soir

Par Paul Blume, Observatoire de l’Anthropocène; Cédric Chevalier, essayiste, Observatoire de l’Anthropocène; Kim Le Quang, Rise for Climate Belgium; Laurent Lievens, docteur en sociologie et chargé de cours, Observatoire de l’Anthropocène

Le philosophe Frédéric Lordon, grand disciple du philosophe Baruch Spinoza, a poursuivi sa réflexion sur les affects qui règlent les relations humaines, la société, la politique et le fonctionnement de l’Etat. En politique, chacun, chaque camp, chaque parti, cherche à affecter le reste du corps politique afin de le mobiliser, de le mettre en mouvement, dans une direction souhaitée, préférée. Les mots prononcés par les « leaders d’opinion », politiciens, les intellectuels, les activistes, les citoyens, les artistes, dans leurs discours, débats, œuvres d’art nous affectent plus ou moins intensément et nous mettent en mouvement. Les idées, en ce sens, gouvernent le monde, si elles sont capables d’affecter les corps, les puissances d’agir individuelles, dont le corps politique, la puissance de la multitude ou puissance publique, est l’émergence et se traduit dans l’institution de l’Etat mais aussi dans toute organisation composée de membres. Depuis plusieurs décennies, l’écologie scientifique, philosophique et politique a cherché à affecter le corps politique dans son champ d’intervention. Les scientifiques ont usé du langage de la science, prudent, modéré, circonspect, conservateur tandis que les philosophes usaient du langage de la philosophie, rigoureux, aride, conceptuel, tandis que les politiciens usaient du langage de la politique, ambigu, consensuel, cherchant à diviser ou rassembler, cherchant à dévoiler ou à cacher, tandis que les activistes et les artistes usaient du langage de l’activisme et de l’art, cherchant à choquer, à secouer, à bousculer pour provoquer un réveil, une conscience de l’urgence et une mobilisation citoyenne et politique à la hauteur de cette urgence. Ces discours se renforcent ou se déforcent mutuellement, s’affrontent, se composent et se décomposent. C’est ce qui fait l’histoire. Lentement, des lignes bougent, y compris dans les rédactions journalistiques. Mais la réaction, toujours en embuscade, cherche à contrecarrer ce mouvement naissant, cherche à conserver l’inertie du corps politique orientée dans une trajectoire insoutenable. Une lutte de visions du monde, de mots, de partis, de mouvements, est à l’œuvre et va déterminer le sort de millions, de milliards de vies, le détermine déjà. Certains accusent d’autres d’illusion et vice versa. Mais le monde ne connaîtra qu’une seule trajectoire. Sera-t-elle celle de l’effondrement ou celle de la métamorphose ?

Parmi les mots qu’il importe d’introduire dans le débat public, figure ceux de démantèlement immédiat du complexe fossile. Les mots sont forts : démantèlement, immédiat, complexe, fossile.

Qu’est-ce le complexe fossile ? Au sens large, c’est l’économie mondiale, dont le fonctionnement repose encore massivement sur les combustibles fossiles qui nous tuent littéralement, par la pollution de l’air, la catastrophe climatique, la destruction des écosystèmes, l’extractivisme, le consumérisme, et bien d’autres maux. Font partie du complexe fossile : le complexe automobile, le complexe agro-alimentaire, le complexe aérien (tourisme et marchandise), le complexe de la construction (immobilier et routier), le complexe naval (tourisme et marchandise), le complexe plastique, le complexe énergétique et bien sûr, le complexe pétrochimique lui-même, qui les fournit tous en combustibles fossiles. Au sens plus étroit, c’est l’industrie pétrochimique.

Pourquoi le mot complexe ? Il signifie « tissé ensemble » et décrit une manière de penser systémique, non mutilée, où on refuse d’analyser seulement certains morceaux de la réalité, en oubliant d’autres. Ainsi, il n’est pas adéquat de s’attaquer à l’industrie pétrochimique sans s’attaquer à notre usage collectif des combustibles fossiles puisque nous faisons partie du même système. Notre société, l’économie mondialisée est intimement tissée avec le complexe fossile. Impossible de conserver notre société sans les combustibles fossiles, nous n’avons le choix que de changer de société ou détruire l’habitabilité planétaire. Les scientifiques sont clairs : nous devons sortir de toute urgence du fossile.

Que signifie démantèlement ? Cela signifie qu’il faut non seulement refuser tout nouvel inverstissement dans l’infrastructure fossile (cela comprend les routes, les usines de moteurs thermiques, les terminaux gaziers, les centrales au gaz, et les pipelines mais aussi les usines de fabrication de plastiques et les élevages et productions céréalières dépendantes du pétrole et de ses dérivés), mais qu’il faut également fermer et déconstruire l’infrastructure fossile existante, puisqu’elle continue à consommer des combustibles fossiles et donc à émettre de mortels gaz à effet de serre. Une simple analogie : il ne s’agit pas d’ajouter une pompe à chaleur à côté de la chaudière au mazout en priant pour que ça marche, il faut déconnecter, retirer et démanteler la chaudière au mazout (dont les matières et pièces peuvent servir à fabriquer de nouvelles pompes à chaleur). Le démantèlement ne peut être instantané, il faudra des milliards d’heures de travail dans le monde pour démanteler l’infrastructure fossile et construire l’infrastructure économique soutenable. C’est un processus gigantesque qui ne peut pas prendre moins que plusieurs décennies. Jusqu’à présent, nous avons surtout ajouté des éléments soutenables sans retirer les éléments insoutenables. Il ne faut donc pas s’étonner que la situation climatique et écologique empire. Comme s’étonner qu’un alcoolique qui boit un peu d’eau en plus de son whiskey verrait sa santé continuer à se détériorer.

Que signifie immédiat ? Cela signifie que le démantèlement doit commencer aujourd’hui, immédiatement, bien qu’il s’agisse d’un processus de longue haleine, et qu’il doit se dérouler le plus rapidement possible, ce qui nécessite une mobilisation générale des citoyens et le passage des gouvernements et administrations en mode urgence, en mode « économie de guerre ». Chaque jour d’émissions de gaz à effet de serre se traduit par des morts supplémentaires. Tout retard est éthiquement injustifiable. Nous n’avons le choix que de démanteler le complexe fossile dès maintenant, sans attendre, pour minimiser le nombre total de victimes présentes et futures. Cela signifie concrètement que non seulement, on doit mettre fin aux chantiers de construction de nouvelle infrastructure fossile comme les centrales au gaz mais qu’on doit également démanteler une partie de l’industrie pétrochimique anversoise, une bonne partie des aéroports de Zaventem, Liège et Charleroi, ainsi qu’une bonne partie de notre industrie fossile, tout en reconvertissant les sites industriels, les bâtiments, les équipements, les machines, et les travailleurs à des activités économiques, des industries et des emplois soutenables, en suivant une logique de transition juste, où personne n’est laissé de côté. Tant que nous ne voyons aucun démantèlement en cours, nous ne sommes pas en transition et continuons à détruire l’habitabilité planétaire. Nous devons apprendre à retirer et pas seulement à ajouter.

En conclusion, voici 6 revendications à retenir pour un démantèlement immédiat du complexe fossile et la transition juste vers l’économie soutenable :

  1. Pas de nouveaux combustibles fossiles : pas de nouveaux financements publics ou privés, pas de nouveaux accords, licences, permis ou extensions. La mise à disposition d’un financement climatique suffisant et consensuel pour concrétiser cet engagement partout.
  2. Une élimination rapide, juste et équitable des infrastructures existantes, conformément à la résolution de plafonnement de température à 1,5 °C, et un plan mondial, notamment un traité de non-prolifération des combustibles fossiles, pour garantir que chaque pays prenne sa part de responsabilité.
  3. De nouveaux engagements de coopération internationale afin d’de déployer les soutiens financiers, sociaux et technologiques pour assurer l’accès aux énergies renouvelables, les plans de diversification économique, les plans de transition socialement juste, de sorte que chaque pays et chaque communauté puisse se passer rapidement des combustibles fossiles.
  4. Mettre fin à l’écoblanchiment et reconnaître que les compensations, la technologie de captage et de stockage du dioxyde de carbone (CSC) ou la géo-ingénierie sont des illusions.
  5. Tenir les pollueurs responsables de leurs dégâts et veiller à ce que les industries du charbon, du pétrole et du gaz paient des réparations pour les pertes et les préjudices causés au climat et aux populations, ainsi que pour la réhabilitation, l’assainissement et la transition au niveau local.
  6. Mettre fin au lobby réactionnaire des entreprises utilisant les combustibles fossiles : non aux entreprises qui rédigent les dispositions de l’action climatique, qui financent les négociations sur le climat ou qui compromettent la réponse mondiale apportée face au changement climatique.

La Croissante Verte a-t-elle lieu en Europe (et en Belgique) ?

Reprise d’un post sur LinkedIn de Martin Francois

Dans ce nouvel article, les auteurs montrent qu’il faudra, au rythme actuel, 220 ans pour réduire de 95% les émissions de CO2 des pays à hauts revenus s’ils continuent à poursuivre une stratégie de croissance verte, c’est-à-dire qu’ils poursuivent un double objectif de croissance économique et de réduction de leurs émissions de CO2.

Si l’on souhaite atteindre les objectifs de Paris (+1,5°), il faudrait que, en 2025, le découplage entre croissance économique et émissions de CO2-eq soit multiplié par un facteur 10 ! Ce qui est complètement farfelu, soyons honnêtes…

Si les pays à hauts revenus comme la Belgique souhaitent atteindre l’accord de Paris, il faut mettre en place (d’urgence !) des stratégies de réduction de la demande, en réorientant l’économie vers la sobriété et le bien-être humain, tout en accélérant le changement technologique et les gains d’efficacité.

pour lire l’article, cliquez sur l’image


‘Personne ne veut avoir raison sur ce sujet’

les scientifiques du climat sont horrifiés et exaspérés par les prévisions mondiales.

Par 7 experts du Climat

Source : The Guardian – Traduction Deepl

Alors que l’hémisphère nord brûle, les experts ressentent une profonde tristesse – et du ressentiment – en redoutant ce qui attend l’été australien.

Le Guardian Australia a demandé à sept éminents climatologues de décrire ce qu’ils ressentent alors qu’une grande partie de l’hémisphère nord est engloutie par des vagues de chaleur torrides et qu’un certain nombre de records climatiques terrestres et océaniques mondiaux sont battus.


Je suis stupéfaite par la férocité de la situation

Ce qui se passe actuellement dans le monde entier est tout à fait conforme aux prévisions des scientifiques. Personne ne veut avoir raison. Mais pour être honnête, je suis stupéfait par la férocité des impacts que nous subissons actuellement. Je redoute vraiment la dévastation que cet El Niño va entraîner. Alors que la situation se détériore, je me demande comment je peux être le plus utile dans un moment comme celui-ci. Dois-je continuer à essayer de poursuivre ma carrière de chercheur ou consacrer encore plus de temps à avertir le public ? La pression et l’anxiété liées à la gestion d’une crise de plus en plus grave pèsent lourdement sur nombre d’entre nous.

Joëlle Gergis, maître de conférences en sciences du climat à la Fenner School of Environment and Society, chercheur associé à l’ARC Centre of Excellence for Climate Extremes de l’Australian National University.


Même un réchauffement de 1,2 °C n’est pas sûr

Dès le milieu des années 1990, nous savions que des monstres se cachaient sous les projections de nos modèles climatiques : des vagues de chaleur monstrueuses, des précipitations et des inondations extrêmes catastrophiques, des incendies de forêt à l’échelle subcontinentale, un effondrement rapide de la calotte glaciaire faisant monter le niveau de la mer de plusieurs mètres en l’espace d’un siècle. Nous savions – tout comme nous connaissons la gravité – que la Grande Barrière de Corail d’Australie pourrait être l’une des premières victimes d’un réchauffement planétaire incontrôlé.

Mais alors que des vagues de chaleur monstrueuses et mortelles s’abattent aujourd’hui sur de grandes parties de l’Asie, de l’Europe et de l’Amérique du Nord, avec des températures que nous n’avons jamais connues, nous constatons que même un réchauffement de 1,2 °C n’est pas sans danger.

L’industrie des combustibles fossiles est à l’origine de tout cela. Les dirigeants politiques, qui refusent de contrôler cette industrie et qui encouragent des politiques telles que la compensation et l’expansion massive du gaz, lui permettent tout simplement de continuer à exister.

Bill Hare, physicien et climatologue, directeur général de Climate Analytics.


Quel autre choix avons-nous ?

Voilà à quoi ressemble le changement climatique aujourd’hui. Et voilà à quoi ressemblera le changement climatique à l’avenir, même s’il continuera probablement à s’aggraver.

Je ne sais pas de combien d’avertissements supplémentaires le monde a besoin. C’est comme si l’humanité avait reçu un diagnostic médical en phase terminale, qu’elle savait qu’il existait un remède, mais qu’elle avait consciemment décidé de ne pas se sauver.

Mais ceux d’entre nous qui comprennent et qui se sentent concernés doivent continuer à essayer – après tout, quel autre choix avons-nous ?

Lesley Hughes, membre du conseil d’administration de la Climate Change Authority et professeur émérite à l’université Macquarie.


L’histoire les jugera très sévèrement

Je me souviens encore de la lecture du rapport de la conférence de Villach de 1985, qui alertait la communauté scientifique sur le lien possible entre la production de gaz à effet de serre et le changement climatique. En 1988, j’ai dirigé la Commission australienne pour l’avenir et j’ai travaillé avec Graeme Pearman, du CSIRO, sur Greenhouse ’88, un programme visant à attirer l’attention du public sur les résultats scientifiques.

Aujourd’hui, tous les changements prévus sont en train de se produire, et je réfléchis donc à l’ampleur des dommages environnementaux et des souffrances humaines inutiles qui résulteront du travail des hommes politiques, des chefs d’entreprise et des personnalités publiques qui ont empêché toute action concertée. L’histoire les jugera très sévèrement.

Ian Lowe, professeur émérite à l’école des sciences de l’université Griffith


Seul le temps nous le dira

Même si nous disons depuis des décennies que c’est ce à quoi il faut s’attendre, il est toujours très inquiétant de voir ces extrêmes climatiques se manifester avec une telle férocité et une telle portée mondiale. Cet été, ce sera le tour de l’Australie, cela ne fait aucun doute.

La lenteur de l’action politique me frustre profondément – il est déconcertant de voir que de nouveaux projets d’extraction de combustibles fossiles obtiennent toujours le feu vert ici en Australie. Cette frustration s’accompagne d’un profond ressentiment à l’égard de ceux qui ont fait pression en faveur de la poursuite de l’utilisation des combustibles fossiles en dépit de la physique climatique clairement connue depuis près d’un demi-siècle.

Ces dernières semaines, je me suis demandé si cette année allait enfin être celle où tous les doutes concernant la crise du changement climatique seraient balayés par une série d’extrêmes climatiques coûteux. Cela pourrait être l’un des avantages d’une année 2023 aussi exceptionnelle. Seul l’avenir nous le dira.

Matthew England, professeur de science, Australian Centre for Excellence in Antarctic Science (ACEAS), Université de Nouvelle-Galles du Sud.


Ce que nous vivons aujourd’hui n’est qu’un début

J’ai passé les quatre dernières semaines dans un institut de recherche allemand, en pleine canicule. Je me suis rendue à Berlin, ma ville natale, le week-end pour voir mon père âgé et malade, en essayant de le rafraîchir dans son appartement en ville et de le convaincre que boire de l’eau pouvait être une bonne idée (pas toujours avec succès). Je me suis également vanté auprès de mes collègues et amis qui se plaignaient de la chaleur : « Ce n’est rien, essayez de vivre une vague de chaleur en Australie ! L’Australie est un pays idéal pour se vanter. Il y a toujours des exemples plus grands, plus extrêmes et plus venimeux sous nos latitudes.

Ai-je été surpris par cette canicule ? Bien sûr que non. J’ai plutôt ressenti une légère curiosité scientifique à voir se concrétiser ce que nous prévoyons depuis des années. J’ai également ressenti de la tristesse. Nous savons que ce que nous vivons actuellement n’est que le début de conditions bien pires à venir. Quelles seront les conséquences pour nos écosystèmes, la disponibilité de l’eau, la santé humaine, les infrastructures et les chaînes d’approvisionnement ? Nous connaissons la réponse. Mais je vois aussi des signes de changement. Plus d’une fois, j’ai failli être renversé par un vélo ; je n’étais pas habitué aux pistes cyclables très fréquentées en Allemagne. J’ai également passé de nombreuses heures dans des trains et j’ai constaté un réel changement dans le paysage qui défilait. J’ai traversé de grands parcs solaires et éoliens et j’ai écouté les conversations des autres voyageurs, qui tournaient le plus souvent autour du changement climatique. Au cours de l’une d’entre elles, quelqu’un a mentionné que tous ces pays ensoleillés, comme l’Australie, sont probablement alimentés à 100 % par des énergies renouvelables à l’heure actuelle. J’ai souri en silence ; il y a encore des choses dont nous ne pouvons pas (encore) nous vanter en Australie.

Katrin Meissner, directrice du centre de recherche sur le changement climatique de l’université de Nouvelle-Galles du Sud


Cela devrait nous préoccuper

Il est affligeant de constater l’ampleur des dégâts causés par la vague actuelle d’événements extrêmes dans de nombreuses régions du globe. Malheureusement, il ne s’agit pas d’un phénomène isolé, mais d’une tendance à long terme alimentée par les émissions de gaz à effet de serre de l’homme. Ils ne sont donc pas inattendus.

Fait inquiétant, il est clair que les événements extrêmes à venir battront à nouveau des records et causeront des dégâts encore plus importants. Cela s’explique notamment par le fait que, dans de nombreux cas, les dommages ne sont pas linéaires : ils augmentent de plus en plus rapidement à chaque fois que le changement climatique s’accentue. Cela devrait nous préoccuper. Nous devrions rationnellement prendre du recul et évaluer ce qui est dans notre intérêt économique, social et environnemental. Le GIEC l’a fait et l’évaluation est claire : il est dans notre intérêt de réduire les émissions de gaz à effet de serre rapidement, substantiellement et durablement.

Il est également dans notre intérêt de mettre en place de vastes programmes intégrés d’adaptation au climat pour faire face aux effets du changement climatique que nous ne pourrons pas éviter. Prendre des mesures pour réduire les émissions et s’adapter au changement climatique nous donnera de l’espoir. Voulons-nous vraiment l’alternative ?

Professeur Mark Howden, directeur de l’Institut pour les solutions en matière de climat, d’énergie et de catastrophes à l’Université nationale australienne.



Nous sommes des imbéciles

le scientifique qui a tiré la sonnette d’alarme sur le climat dans les années 80 annonce le pire pour l’avenir.

Oliver Milman

Source : The Guardian – Traduction Deepl – Cri

James Hansen, qui a témoigné devant le Congrès sur le réchauffement de la planète en 1988, affirme que le monde s’approche d’une « nouvelle limite climatique ».

Selon James Hansen, le scientifique américain qui a alerté le monde sur l’effet de serre dans les années 1980, le monde s’achemine vers un climat surchauffé sans précédent depuis un million d’années, c’est-à-dire avant l’existence de l’homme, parce que « nous sommes de sacrés imbéciles » pour n’avoir pas réagi aux avertissements concernant la crise climatique.

M. Hansen, dont le témoignage devant le Sénat américain en 1988 est considéré comme la première révélation importante du réchauffement planétaire, a averti dans une déclaration avec deux autres scientifiques que le monde se dirigeait vers une « nouvelle limite climatique » avec des températures plus élevées que jamais au cours du dernier million d’années, entraînant des conséquences telles que des tempêtes plus fortes, des vagues de chaleur et des sécheresses.

La planète s’est déjà réchauffée d’environ 1,2°C depuis l’industrialisation de masse, ce qui fait que le risque d’avoir des températures estivales extrêmes comme celles que l’on observe actuellement dans de nombreuses régions de l’hémisphère nord est de 20 %, alors qu’il n’était que de 1 % il y a 50 ans, a déclaré M. Hansen.

« Il y a beaucoup plus à venir, à moins que nous ne réduisions les quantités de gaz à effet de serre », a déclaré M. Hansen, âgé de 82 ans, au Guardian. « Ces super-tempêtes sont un avant-goût des tempêtes que connaîtront mes petits-enfants. Nous nous dirigeons sciemment vers cette nouvelle réalité – nous savions qu’elle allait arriver ».

Hansen était un climatologue de la Nasa lorsqu’il a mis en garde les législateurs contre l’augmentation du réchauffement de la planète. Depuis, il a participé à des manifestations aux côtés d’activistes pour dénoncer l’absence de mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre au cours des décennies qui ont suivi.

Il a déclaré que les vagues de chaleur record qui ont frappé les États-Unis, l’Europe, la Chine et d’autres pays ces dernières semaines ont renforcé « le sentiment de déception que nous, scientifiques, n’ayons pas communiqué plus clairement et que nous n’ayons pas élu des dirigeants capables d’une réponse plus intelligente ».

« Cela signifie que nous sommes de sacrés imbéciles », a déclaré M. Hansen à propos de la lenteur de la réponse de l’humanité à la crise climatique. « Nous devons y goûter pour y croire ».

Cette année devrait être la plus chaude jamais enregistrée au niveau mondial, l’été étant déjà marqué par le mois de juin le plus chaud et, peut-être, la semaine la plus chaude jamais mesurée de manière fiable. À l’inverse, l’année 2023 pourrait être considérée comme une année moyenne, voire douce, alors que les températures continuent de grimper. « Les choses vont empirer avant de s’améliorer », a déclaré M. Hansen.

« Cela ne signifie pas que la chaleur extrême observée cette année à un endroit donné se reproduira et s’amplifiera chaque année. Les fluctuations météorologiques font bouger les choses. Mais la température moyenne mondiale va augmenter et les dés climatiques seront de plus en plus chargés, avec notamment davantage d’événements extrêmes. »

Dans un nouveau document de recherche, qui n’a pas encore fait l’objet d’un examen par les pairs, M. Hansen a affirmé que le réchauffement de la planète s’accélère, même si l’on tient compte des variations naturelles, telles que l’épisode climatique El Niño qui fait périodiquement monter les températures. Cette accélération est due à un déséquilibre « sans précédent » entre la quantité d’énergie solaire entrant dans la planète et l’énergie réfléchie par la Terre.

S’il ne fait aucun doute que les températures mondiales augmentent en raison de l’utilisation de combustibles fossiles, les scientifiques sont divisés sur la question de savoir si ce rythme s’accélère. « Nous ne voyons aucune preuve de ce que Jim affirme », a déclaré Michael Mann, climatologue à l’université de Pennsylvanie, qui a ajouté que le réchauffement du système climatique avait été « remarquablement stable ». D’autres ont déclaré que l’idée était plausible, bien qu’il faille davantage de données pour en être certain.

« Il est peut-être prématuré de dire que le réchauffement s’accélère, mais il est certain qu’il ne diminue pas. Nous avons encore le pied sur l’accélérateur », a déclaré Matthew Huber, expert en paléoclimatologie à l’université de Purdue.

Les scientifiques ont estimé, grâce à des reconstructions basées sur des preuves recueillies dans des carottes de glace, des cernes d’arbres et des dépôts de sédiments, que la poussée actuelle du réchauffement a déjà porté les températures mondiales à des niveaux jamais atteints sur Terre depuis environ 125 000 ans, avant la dernière période glaciaire.

« Il est fort possible que nous vivions déjà dans un climat qu’aucun être humain n’a connu auparavant et nous vivons certainement dans un climat qu’aucun être humain n’a connu avant la naissance de l’agriculture », a déclaré Bob Kopp, climatologue à l’université Rutgers.

Si les températures mondiales augmentent encore de 1°C ou plus, ce qui devrait se produire d’ici la fin du siècle à moins d’une réduction drastique des émissions, M. Huber a déclaré que M. Hansen avait « largement raison » de dire que le monde serait plongé dans une chaleur telle qu’il n’en a pas connu depuis 1 à 3 millions d’années, une période appelée Pliocène.

« Il s’agit d’un monde radicalement différent », a déclaré M. Huber à propos d’une époque où il faisait suffisamment chaud pour que des hêtres poussent près du pôle sud et où le niveau de la mer était environ 20 mètres plus élevé qu’aujourd’hui, ce qui noierait aujourd’hui la plupart des villes côtières.

Vidéo – voir article original

« Nous poussons les températures vers les niveaux du Pliocène, ce qui est en dehors du domaine de l’expérience humaine ; c’est un changement tellement massif que la plupart des choses sur Terre n’ont pas eu à y faire face », a déclaré M. Huber. « Il s’agit essentiellement d’une expérience sur les humains et les écosystèmes pour voir comment ils réagissent. Rien n’est adapté à cette situation.

Les précédents changements climatiques, provoqués par les gaz à effet de serre ou les modifications de l’orbite terrestre, se sont déroulés sur des milliers d’années. Mais alors que les vagues de chaleur frappent des populations habituées à des températures extrêmes, que les forêts brûlent et que la vie marine s’efforce de faire face à la montée en flèche de la chaleur des océans, la hausse actuelle se produit à un rythme jamais vu depuis l’extinction des dinosaures, il y a 65 millions d’années.

« Ce n’est pas seulement l’ampleur du changement, c’est aussi son rythme qui pose problème », a déclaré Ellen Thomas, une scientifique de l’université de Yale qui étudie le climat à l’échelle des temps géologiques. « Nous avons des autoroutes et des voies ferrées qui sont en place, notre infrastructure ne peut pas bouger. Presque tous mes collègues ont dit qu’avec le recul, nous avons sous-estimé les conséquences. Les choses évoluent plus vite que nous ne le pensions, ce qui n’est pas bon ».

Selon M. Huber, la chaleur torride de cet été a révélé au monde entier un message que M. Hansen a tenté de transmettre il y a 35 ans et que les scientifiques se sont efforcés de faire passer depuis. « Cela fait des décennies que les scientifiques nous regardent en face, mais aujourd’hui, le monde entier passe par le même processus, qui ressemble aux cinq étapes du deuil », a-t-il déclaré. « Il est douloureux de voir les gens traverser cette épreuve.

« Mais nous ne pouvons pas nous contenter d’abandonner parce que la situation est désastreuse », a ajouté M. Huber. Nous devons dire « Voici où nous devons investir, apporter des changements et innover » et ne pas baisser les bras. Nous ne pouvons pas faire une croix sur des milliards de personnes.



Et si nous étions à l’automne 1939, goguenards ?

Bruno Colmant

reprise, avec l’accord de l’auteur, d’un post LinkEdIn

Si l’été est le moment du recul et de la réflexion, je suis, en vérité, pétrifié. Nous sommes face à des défis environnementaux existentiels, dont les conséquences sociales, économiques, migratoires et militaires sont d’une envergure qui nous dépasse. Cette réalité se conjugue à une anxiété sociale, qui reflète la dualisation croissante de la société. Car, ne l’oublions pas, bon pays, mauvais pays développé, la part de la population qui est sous le seuil de pauvreté dépasse 25 %. Et c’est honteusement un problème de riches, puisque 10 % de la population mondiale vit dans l’extrême pauvreté.

Tous, nous constatons que la réflexion longue a cédé le pas à la réaction immédiate, puisque le ressenti instantané prime sur la somme des savoirs. Alors, nous cherchons tous des apaisements éphémères, des images, des « likes », des étourdissements, des vertiges frivoles, des postures, bref, des futilités.

Après tout, ces scientifiques et autres moralisateurs ont peut-être raison, mais si l’avenir est aussi sombre, autant vivre et consommer intensément.

Et puis, ces intellectuels accablés sont fatigants, non ?

Mais faisons attention.

Très attention.

Pendant que nous nous réjouissons, certains façonnent notre futur.

Et ils le maquillent.

Je ne parle pas des dingues de la Silicon Valley qui veulent créer une humanité 2.0 tout en sécurisant des abris antiatomiques en Nouvelle-Zélande.

Je parle de ceux qui nous dirigent.

Et nous sommes peut-être à l’automne 1939, lors de la drôle de guerre. La mobilisation avait été décidée. Les paysans et les instituteurs, tous goguenards, attendaient leur retour aux champs et écoles.

Mais de sourdes forces furieuses s’animaient lentement, sans qu’on veuille les voir.

Alors, voilà, nous sommes peut-être en 1939. Et moi, je dis : l’Europe, la Belgique votent l’an prochain.

Et il est peut-être temps de s’impliquer.

Pas par procuration.

En action.

Stéphane Hessel avait écrit : « indignez-vous ».

Et comme un de mes amis journalistes me disait ce matin : « indignez-vous et impliquez-vous ».

références Bruno Colmant


Les Francs-Maçons belges en appellent à la prise de mesures fortes et rapides pour le climat et la biodiversité !

Une opinion d’Alain Cornet, Grand-Maître du Grand Orient de Belgique, Daniel Menschaert, Grand-Maître de Fédération belge de l’ordre maçonnique mixte international du Droit-Humain, Léon Gengoux, Grand Maître de la Grande Loge de Belgique, Raymonda Verdyck, Grande-Maîtresse de la Grande Loge Féminine de Belgique et Jan Vanherck, Président de la Confédération de Loges Lithos

Contribution externe parue dans la Libre du 15 juillet 2023

Le mercredi 12 juillet, le Parlement européen a adopté un texte de “Règlement de restauration de la nature” visant à préserver un minimum d’environnement naturel existant et à en restaurer d’autres. La préservation de ces espaces naturels est indispensable pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique et donc pour garantir la survie de l’humanité. Nous pourrions nous en réjouir mais il est inquiétant de constater que la portée du texte, adopté par l’Assemblée, a été fortement affaiblie par de nombreux amendements lesquels affectent tant son efficacité que sa mise en œuvre.

La Franc-maçonnerie n’a pas pour objet, ni pour but d’exprimer une opinion collective, mais, lorsque le respect des valeurs humaines est en péril, lorsqu’une vie digne pour tous les humains risque de ne plus être assurée, lorsque la qualité de vie des générations futures est profondément obérée, le silence n’est plus de mise.

Agir ici et maintenant

Les Francs-Maçons travaillent à la réalisation d’un développement moral, intellectuel et spirituel le meilleur pour tous. Ils sont conscients que cela n’est possible que dans le cadre d’une humanité fraternellement organisée entre les êtres humains d’une part et entre ceux-ci et la nature dans son ensemble d’autre part. Agir ici et maintenant pour atteindre cet objectif est essentiel pour la vie future sur notre planète.

Dès lors, nous estimons qu’il est de notre devoir de nous adresser à tous ceux qui ont des décisions à prendre en la matière, aux niveaux des États et de l’Europe, afin qu’ils agissent sans délai et prennent les mesures indispensables pour assurer aux générations futures une vie décente et cela sans aucune distinction et quel que soit le lieu où celles-ci vivront.

Notre conscience d’êtres humains est heurtée

Notre conscience d’êtres humains est heurtée par toute tergiversation quant à la mise en œuvre de politiques de sauvegarde de la nature qui pourrait mettre en cause la survie de l’humanité. C’est pourquoi, à la suite du débat qui a eu lieu au Parlement européen, nous joignons notre voix à celles de tous ceux qui pensent que les enfants d’aujourd’hui et de demain sont notre véritable priorité. Ensemble, avec les citoyens du futur nous faisons partie de ce que le philosophe François Ost appelle une communauté temporelle. Nous estimons également que nous sommes tout aussi responsables à l’égard des autres espèces naturelles. Pas uniquement que notre propre survie en dépend. La science nous rappelle que nous partageons avec toute la matière de l’univers une histoire commune. Tout ce qui vit participe au mécanisme de régulation des écosystèmes.

Relever un défi existentiel pour l’humanité

Le monde scientifique s’accorde également pour affirmer qu’il faut prendre d’urgence des mesures drastiques pour enrayer le réchauffement climatique et aussi la destruction de la biodiversité. Seul un équilibre harmonieux entre l’Homme et son environnement pourra assurer la survie de l’humanité.

Nous restons persuadés qu’une large majorité des députés européens et de membres des gouvernements nationaux sont conscients que ces mesures sont indispensables, sauf à condamner des pans entiers de la société à tenter de survivre dans des environnements dévastés.

Le monde traverse de nombreuses crises – dont certaines sont précisément induites par la crise climatique – mais elles ne peuvent pas être un obstacle aux actions à mener pour relever le défi existentiel que l’humanité s’est lancée à elle-même.

Le Progrès ne doit plus être responsable d’une perte de sensibilité

Nous sommes conscients que les décisions sont difficiles à prendre, elles remettent inévitablement en question nos modes de vie, nos modes de production et de consommation, voire, des éléments importants de notre système économique. Les citoyens ne l’accepteront que s’ils constatent que leurs représentants leur proposent en même temps une alternative globale et positive, un projet de société reposant sur des principes de fraternité et d’égalité, où la nature serait considérée autrement que comme une ressource inépuisable. Une société où la définition du Progrès ne serait plus responsable d’une perte de sensibilité à l’égard des autres formes de vie car la crise écologique est également une crise de la sensibilité et une crise du sens des responsabilités individuelles et collectives. D’ailleurs, un tel projet de société pourrait être largement débattu dans la société elle-même, les citoyens devenant ainsi coresponsables des décisions à prendre. La démocratie n’en sortira que renforcée et grandie.


Un lac canadien choisi pour représenter le début de l’Anthropocène

Damian Carrington

Source : The GuardianTraduction Deepl – Josette

Le pic de plutonium dans les sédiments des lacs canadiens marque l’aube d’une nouvelle ère où l’humanité domine la planète.

Les scientifiques ont choisi le site qui représentera le début de l’ère de l’Anthropocène sur Terre. Il marquera la fin de 11 700 ans d’un environnement planétaire stable dans lequel l’ensemble de la civilisation humaine s’est développée et le début d’une nouvelle ère, dominée par les activités humaines.

Le site est un lac d’effondrement situé au Canada. Il abrite des sédiments annuels présentant des pics clairs dus à l’impact colossal de l’humanité sur la planète à partir de 1950, du plutonium provenant des essais de la bombe à hydrogène aux particules issues de la combustion des combustibles fossiles qui ont arrosé le globe.

Si le site est approuvé par les scientifiques qui supervisent l’échelle des temps géologiques, la déclaration officielle de l’Anthropocène comme nouvelle ère géologique interviendra en août 2024.

Les experts ont déclaré que cette décision revêtait une importance sociale et politique, ainsi qu’une grande valeur scientifique, car elle témoignerait de « l’ampleur et de la gravité des processus de transformation planétaire déclenchés par l’humanité industrialisée ».

La crise climatique est l’impact le plus marquant de l’Anthropocène, mais les pertes considérables d’espèces sauvages, la propagation d’espèces envahissantes et la pollution généralisée de la planète par les plastiques et les nitrates en sont également des caractéristiques essentielles.

Le groupe de travail sur l’Anthropocène (Anthropocene Working Group-AWG) a été créé en 2009 et a conclu en 2016 que les changements causés par l’homme sur la Terre étaient si importants qu’une nouvelle unité de temps géologique était justifiée. Le groupe de travail a ensuite évalué en détail une douzaine de sites à travers le monde comme candidats à ce que les géologues appellent un « pic d’or », c’est-à-dire l’endroit où les changements abrupts et globaux marquant le début de la nouvelle ère sont le mieux enregistrés dans les strates géologiques.

Les sites candidats comprenaient des coraux tropicaux aux États-Unis et en Australie, une tourbière montagneuse en Pologne, la calotte glaciaire de l’Antarctique et même les débris humains accumulés sous la ville de Vienne. Toutefois, après plusieurs tours de scrutin, c’est le lac Crawford, près de Toronto, qui a été retenu.

« Il existe des preuves irréfutables, à l’échelle mondiale, d’un changement massif, d’un point de basculement dans le système terrestre », a déclaré le professeur Francine McCarthy, géologue à l’université Brock, au Canada, et membre du Groupe de travail spécial. « Le lac Crawford est très spécial parce qu’il nous permet d’observer, avec une résolution annuelle, les changements survenus dans l’histoire de la Terre.

Le lac, formé dans un gouffre calcaire, a une profondeur de 24 mètres mais une superficie de seulement 2,4 hectares. Cette forme haute signifie que les eaux de fond et les eaux de surface ne se mélangent pas, ce qui brouillerait les données déposées dans les sédiments. « Le fond du lac est complètement isolé du reste de la planète, à l’exception de ce qui coule doucement au fond et s’accumule dans les sédiments », a déclaré Mme McCarthy.

L’AWG a choisi les isotopes de plutonium provenant des essais de bombes H comme marqueur clé de l’Anthropocène, car ils ont été répandus à l’échelle mondiale à partir de 1952, mais ont rapidement diminué après le traité d’interdiction des essais nucléaires au milieu des années 1960, créant un pic dans les sédiments.

La présence de plutonium nous donne un indicateur brutal du moment où l’humanité est devenue une force si dominante qu’elle a pu laisser une « empreinte » mondiale unique sur notre planète », a déclaré le professeur Andrew Cundy, radiochimiste de l’environnement à l’université de Southampton et membre de l’AWG.

Les sédiments lacustres contiennent d’autres marqueurs importants, notamment des particules de carbone sphériques produites par la combustion de combustibles fossiles dans les centrales électriques et des nitrates provenant de l’épandage massif d’engrais chimiques. « Nous constatons une augmentation spectaculaire de la concentration dans notre noyau à la même profondeur que celle où nous observons l’augmentation rapide du plutonium », a déclaré Mme McCarthy.

Les années 1950 ont vu le début de la « grande accélération », c’est-à-dire l’augmentation sans précédent de l’activité industrielle, des transports et de l’économie qui s’est produite après la Seconde Guerre mondiale et se poursuit aujourd’hui. « C’est la grande accélération que nous avons décidé d’utiliser comme point de basculement majeur dans l’histoire de la Terre. Mais c’est l’augmentation des retombées de plutonium 239 que nous avons choisie comme marqueur », a déclaré Mme McCarthy.

Le professeur Jürgen Renn, directeur de l’Institut Max Planck pour l’histoire des sciences, à Berlin (Allemagne), a déclaré : « Le concept de l’Anthropocène est devenu une réalité : « Le concept d’Anthropocène est désormais solidement ancré dans une définition stratigraphique très précise, ce qui donne un point de référence pour les discussions scientifiques.

« Il crée également un pont entre les sciences naturelles et les sciences humaines, car il s’agit des êtres humains », a déclaré M. Renn. « Nous examinons quelque chose qui façonne notre destin en tant qu’humanité, il est donc très important d’avoir un point de référence commun.

La ratification officielle du site de Crawford Lake et de l’époque de l’Anthropocène doit passer par trois autres votes des autorités géologiques, la sous-commission de la stratigraphie quaternaire, la Commission internationale de stratigraphie et, enfin, l’Union internationale des sciences géologiques.

La décision risque d’être difficile à prendre pour les géologues, qui ont l’habitude de traiter des périodes s’étalant sur des millions d’années et d’utiliser des roches contenant des fossiles comme marqueurs. L’AWG présentera un dossier de preuves dans l’espoir de convaincre les organes de vote que l’Anthropocène représente un changement planétaire qui nécessite une nouvelle période géologique.

Le Dr Alexander Farnsworth, de l’université de Bristol, a déclaré que le plutonium est un élément radioactif qui se désintègre avec le temps, et qu’il pourrait donc ne pas persister sur des échelles de temps géologiques de plusieurs millions d’années. Il s’est également interrogé sur la nécessité d’une époque anthropocène, déclarant : « Nous ne sommes qu’une vaguelette de l’histoire de l’humanité : « Nous ne sommes qu’une vaguelette dans la rivière du flux génétique à travers le temps ».

Le professeur Colin Waters, président de l’AWG à l’université de Leicester, a déclaré : « L’Anthropocène, qui commence dans les années 1950, représente un changement très rapide que nous avons imposé à la planète. Il y a de l’espoir à cet égard. Les impacts combinés de l’humanité peuvent être modifiés rapidement pour le meilleur et pour le pire. Il n’est pas inévitable que nous nous enfoncions dans une pauvreté environnementale persistante.


Page de références sur l’Anthropocène



Pourquoi les effets du changement climatique pourraient nous rendre moins enclins à réduire les émissions

Joel Millward-Hopkins

Source : The ConversationTraduction Deepl – Josette

Les incendies de forêt qui font rage dans la province du Québec, au sud-est du Canada, sont sans précédent. Un printemps chaud et sec a permis au petit bois de s’accumuler et les orages du début du mois de juin ont allumé l’allumette, intensifiant de manière spectaculaire la saison des incendies de 2023.

En se propageant vers le sud, la fumée a engendré un ciel apocalyptique dans le nord-est des États-Unis et a placé plus de 100 millions de personnes en état d’alerte concernant la qualité de l’air, plaçant la ville de New York en tête du classement mondial des villes dont l’air est le plus pollué.

Des scientifiques canadiens ont mis en garde contre le rôle du changement climatique dans la propagation des incendies de forêt en 2019. Le changement climatique n’est peut-être pas à l’origine des incendies, mais il augmente considérablement la probabilité qu’ils se produisent et, à l’échelle mondiale, les incendies de forêt devraient augmenter de 50 % au cours de ce siècle.

On pourrait au moins espérer qu’à mesure que ces effets de plus en plus graves du changement climatique sont ressentis par les pays riches et fortement émetteurs, les gens seront persuadés d’agir avec la conviction nécessaire pour éviter la crise climatique, qui menace la vie de millions de personnes et les moyens de subsistance de milliards d’autres.

Toutefois, comme je l’ai indiqué dans un article récent, l’espoir qui sous-tend cette hypothèse pourrait être mal placé. Au fur et à mesure que les effets du réchauffement se font sentir, nous risquons au contraire d’élire au pouvoir des personnes qui s’engagent à aggraver le problème.

Cela s’explique par un chevauchement entre les effets plus larges du changement climatique et les facteurs qui ont favorisé la montée des dirigeants nationalistes, autoritaires et populistes en Europe, aux États-Unis, au Brésil et ailleurs, en particulier au cours des dernières années.

Les conséquences plus larges du changement climatique

On s’attend généralement à ce que le changement climatique ait une série d’impacts, allant de l’augmentation de la fréquence et de la gravité des tempêtes, des sécheresses, des inondations, des vagues de chaleur et des mauvaises récoltes à la propagation plus large des maladies tropicales. Mais il entraînera également des problèmes moins évidents liés aux inégalités, aux migrations et aux conflits. Ensemble, ils pourraient créer un monde où les inégalités et l’instabilité s’aggravent, où les changements sont rapides et les menaces sont clairement perçues – un environnement dans lequel les dirigeants autoritaires ont tendance à prospérer.

Le changement climatique menace de creuser les inégalités au sein des pays et entre eux. En fait, les faits montrent que c’est déjà le cas. En effet, les populations les plus pauvres sont généralement plus exposées aux effets du changement climatique et plus vulnérables aux dommages qui en découlent.

Les pays pauvres, et les populations pauvres des pays riches, sont confrontés à un cercle vicieux où leur situation économique les maintient dans les zones les plus exposées aux conditions météorologiques extrêmes et les empêche de s’en remettre. En revanche, les riches peuvent rendre leurs maisons étanches aux fumées, engager des pompiers privés, faire fonctionner leur climatisation sans se soucier de la facture – ou simplement acheter une maison ailleurs.

Le changement climatique devrait également entraîner une augmentation des migrations. Les estimations du nombre de personnes qui devraient migrer en réponse au changement climatique sont très incertaines, en raison de la combinaison de facteurs sociaux et politiques, et les discussions dans les médias ont parfois eu tendance à l’alarmisme et au mythe.

Bien que l’on s’attende à ce que la plupart des mouvements se produisent à l’intérieur des pays, il est probable que l’on assiste à une augmentation significative du nombre de personnes se déplaçant des pays pauvres vers les pays riches. D’ici le milieu du siècle, un nombre important de personnes dans des régions telles que l’Asie du Sud pourraient être exposées à des vagues de chaleur auxquelles les humains ne peuvent tout simplement pas survivre, faisant de la migration la seule échappatoire possible.

Enfin, le changement climatique devrait accroître le risque de conflits et de violences. Des guerres pourraient éclater pour des ressources de base telles que l’eau. À plus petite échelle, la violence et la criminalité pourraient augmenter. Des recherches ont montré que même les tweets sont plus haineux sous la chaleur.

Populisme autoritaire

Les hommes politiques de droite ont réussi à exploiter le discours autour des questions que le changement climatique enflamme : l’immigration, l’inégalité économique et l’insécurité mondiale. Leurs promesses d’inverser la tendance à la baisse du niveau de vie d’une partie de la population, de soulager les services publics (sous-financés) et de protéger la nation des menaces extérieures passent invariablement par des appels à la fermeture des frontières et à la désignation des migrants comme boucs émissaires.

Ces dirigeants sont également anti-environnementalistes. Donald Trump, Vladimir Poutine et Jair Bolsanaro ont fétichisé les industries traditionnelles telles que l’extraction du charbon, abandonné les défis mondiaux au profit de poursuites nationales et sont ouvertement sceptiques quant à l’influence de l’homme sur le climat, quand ils ne la nient pas carrément.

L’absence d’une conscience mondiale et d’une volonté de coopération, inhérente à cette politique, rendrait le maintien d’un climat sûr presque impossible.

La liberté qui subsiste

Il s’agit d’une vision sombre. Mais il s’agit d’un avertissement et non d’une prévision, et il y a de bonnes raisons de ne pas être pessimiste.

L’une d’entre elles est qu’il est prouvé que le fait d’être confronté à des conditions météorologiques extrêmes renforce le soutien à l’action en faveur du climat. Il se peut donc que les effets du changement climatique ne se contentent pas d’éloigner les gens d’une réponse politique appropriée.

Plus important encore, le changement climatique n’est pas directement à l’origine de phénomènes tels que les migrations, les conflits et la violence. Au contraire, il les rend plus probables en raison des interactions avec les problèmes sociaux et politiques existants, tels que la répression gouvernementale, le chômage élevé ou les tensions religieuses. C’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle.

Tout d’abord, la mauvaise nouvelle. Les chercheurs suggèrent que la pauvreté et les inégalités constituent des facteurs de conflit et de migration plus importants que le changement climatique. Mais ces facteurs sont eux-mêmes amplifiés par le changement climatique. Le changement climatique pourrait donc jouer un rôle encore mal compris dans les conflits et les migrations.

La bonne nouvelle, c’est que ces interactions complexes entre les conditions environnementales et notre vie politique et sociale nous montrent que, dans une large mesure, c’est encore à nous de décider de l’avenir. Dans l’anthropocène, l’homme est devenu un agent du changement planétaire – nous pouvons déterminer l’avenir de l’environnement. Mais l’environnement ne déterminera pas le nôtre. Néanmoins, il est essentiel de comprendre comment le changement climatique peut indirectement influencer la politique pour trouver une politique adaptée aux défis auxquels nous sommes confrontés.



Cercles vicieux écologiques :

Pourquoi l’effondrement des écosystèmes peut se produire beaucoup plus tôt que prévu

John Dearing, Gregory Cooper et Simon Willcock, The Conversation

Source : Phys.org Traduction Deepl – Josette

Partout dans le monde, les forêts tropicales humides se transforment en savane ou en terres agricoles, la savane s’assèche et se transforme en désert, et la toundra glacée fond. En effet, des études scientifiques ont désormais enregistré des « changements de régime » de ce type dans plus de 20 types d’écosystèmes différents, où des points de basculement ont été franchis. Dans le monde entier, plus de 20 % des écosystèmes risquent de changer de régime ou de s’effondrer.

Ces effondrements pourraient se produire plus tôt qu’on ne le pense. L’homme soumet déjà les écosystèmes à de nombreuses pressions, que nous appelons « stress ». Si l’on ajoute à ces pressions une augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes liés au climat, la date à laquelle ces points de basculement sont franchis pourrait être avancée de 80 %.


Cela signifie qu’un effondrement de l’écosystème que nous aurions pu espérer éviter jusqu’à la fin de ce siècle pourrait se produire dès les prochaines décennies. Telle est la sombre conclusion de nos dernières recherches, publiées dans Nature Sustainability.


La croissance de la population humaine, l’augmentation de la demande économique et les concentrations de gaz à effet de serre exercent des pressions sur les écosystèmes et les paysages pour qu’ils fournissent de la nourriture et maintiennent des services essentiels tels que l’eau propre. Le nombre d’événements climatiques extrêmes augmente également et ne fera qu’empirer.


Ce qui nous inquiète vraiment, c’est que les extrêmes climatiques pourraient frapper des écosystèmes déjà stressés, qui à leur tour transmettraient des stress nouveaux ou accrus à un autre écosystème, et ainsi de suite. Cela signifie qu’un écosystème qui s’effondre pourrait avoir un effet d’entraînement sur les écosystèmes voisins par le biais de boucles de rétroaction successives : un scénario de « cercle vicieux écologique » aux conséquences catastrophiques.


Combien de temps avant l’effondrement ?


Dans notre nouvelle recherche, nous voulions avoir une idée du niveau de stress que les écosystèmes peuvent supporter avant de s’effondrer. Pour ce faire, nous avons utilisé des modèles, c’est-à-dire des programmes informatiques qui simulent le fonctionnement futur d’un écosystème et sa réaction aux changements de circonstances.


Nous avons utilisé deux modèles écologiques généraux représentant les forêts et la qualité de l’eau des lacs, ainsi que deux modèles spécifiques à l’emplacement représentant la pêche dans le lagon de Chilika, dans l’État indien d’Odisha, et l’île de Pâques (Rapa Nui), dans l’océan Pacifique. Ces deux derniers modèles incluent explicitement les interactions entre les activités humaines et l’environnement naturel.


La principale caractéristique de chaque modèle est la présence de mécanismes de rétroaction, qui contribuent à maintenir l’équilibre et la stabilité du système lorsque les pressions sont suffisamment faibles pour être absorbées. Par exemple, les pêcheurs du lac Chilika ont tendance à préférer capturer des poissons adultes lorsque le stock de poissons est abondant. Tant qu’il reste suffisamment d’adultes pour se reproduire, la situation est stable.

Cependant, lorsque les pressions ne peuvent plus être absorbées, l’écosystème franchit brusquement un point de non-retour – le point de basculement – et s’effondre. À Chilika, cela peut se produire lorsque les pêcheurs augmentent les prises de poissons juvéniles en période de pénurie, ce qui compromet encore davantage le renouvellement des réserves de poissons.


Nous avons utilisé le logiciel pour modéliser plus de 70 000 simulations différentes. Dans les quatre modèles, les combinaisons de stress et d’événements extrêmes ont avancé la date du point de basculement prévu de 30 à 80 %.
Cela signifie qu’un écosystème dont l’effondrement est prévu dans les années 2090 en raison de l’augmentation progressive d’une seule source de stress, telle que les températures mondiales, pourrait, dans le pire des cas, s’effondrer dans les années 2030 si l’on tient compte d’autres facteurs tels que les précipitations extrêmes, la pollution ou une augmentation soudaine de l’utilisation des ressources naturelles.


Il est important de noter qu’environ 15 % des effondrements d’écosystèmes dans nos simulations se sont produits à la suite de nouveaux stress ou d’événements extrêmes, alors que le stress principal est resté constant. En d’autres termes, même si nous pensons gérer les écosystèmes de manière durable en maintenant constants les principaux niveaux de stress – par exemple, en régulant les captures de poissons – nous ferions mieux de garder un œil sur les nouveaux stress et les événements extrêmes.

Il n’y a pas de sauvetage écologique


Des études antérieures ont suggéré que les coûts importants liés au dépassement des points de basculement dans les grands écosystèmes se feront sentir à partir de la seconde moitié de ce siècle. Mais nos résultats suggèrent que ces coûts pourraient survenir bien plus tôt.


Nous avons constaté que la vitesse à laquelle le stress est appliqué est essentielle pour comprendre l’effondrement d’un système, ce qui est probablement pertinent pour les systèmes non écologiques également. En effet, la vitesse accrue de la couverture médiatique et des processus bancaires mobiles a récemment été invoquée pour augmenter le risque d’effondrement des banques. Comme l’a fait remarquer la journaliste Gillian Tett :


« L’effondrement de la Silicon Valley Bank a fourni une leçon terrifiante sur la manière dont l’innovation technologique peut changer la finance de manière inattendue (dans ce cas-ci, en intensifiant le regroupement numérique). Les récents krachs éclairs en offrent une autre. Toutefois, il s’agit probablement d’un petit avant-goût de l’avenir des boucles de rétroaction virales.


Mais la comparaison entre les systèmes écologiques et économiques s’arrête là. Les banques peuvent être sauvées tant que les gouvernements fournissent un capital financier suffisant dans le cadre de renflouements. En revanche, aucun gouvernement ne peut fournir le capital naturel immédiat nécessaire pour restaurer un écosystème effondré.


Il n’existe aucun moyen de restaurer des écosystèmes effondrés dans un délai raisonnable. Il n’y a pas de sauvetage écologique. Dans le jargon financier, nous devrons simplement encaisser le coup.