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Écosocialisme contre décroissance : un faux dilemme

Giacomo D’Alisa

Traduction – source : Ecosocialism versus degrowth: a false dilemma – février 2021

Les écosocialistes et les décroissants doivent cartographier les nombreux points communs entre leurs points de vue afin d’améliorer l’efficacité de leur lutte commune pour un monde écologiquement sain et socialement équitable, libéré de l’héritage patriarcal, racial et colonial.

Dans un article récent, Michael Löwy se demande si la gauche écologique doit adopter le « drapeau » écosocialiste ou celui de la décroissance, une préoccupation qui n’est pas totalement nouvelle. Löwy est un philosophe marxiste franco-brésilien et un éminent écosocialiste. Avec Joël Kovel, un sociologue et psychiatre américain, il a rédigé en 2001 le Manifeste écosocialiste international, document fondateur pour plusieurs organisations politiques dans le monde. Ainsi, entamer une discussion avec Löwy n’est pas un simple caprice académique, mais une exigence que se posent de nombreuses personnes politiquement engagées de la gauche écologique.

Récemment, les membres d’un groupe écosocialiste au sein de « Catalogne en commun », qui fait partie de Unidas Podemos (elle-même membre de la coalition de centre-gauche qui gouverne l’Espagne), m’ont invité à débattre de la fin du paradigme de la croissance économique. Cela laisse entendre que les écosocialistes s’intéressent à la vision et aux propositions de décroissance. D’autre part, au cours des conférences, des discours et des discussions auxquels j’ai participé, j’ai également constaté que les projets écosocialistes intriguent et inspirent de nombreux décroissants. En effet, les membres des deux groupements ont le sentiment d’être des mouvements frères. La réflexion qui suit est une première et humble contribution au rapprochement entre les deux.

Dans l’article cité ci-dessus, Löwy soutient une alliance entre les écosocialistes et les décroissants, et je ne peux qu’être d’accord avec cette conclusion. Cependant, avant de justifier cette tentative stratégique, il ressent le besoin d’expliquer pourquoi la décroissance montre des lacunes en tant que vision politique. Il ramène son évaluation critique à trois questions. Premièrement, Löwy soutient que la décroissance en tant que concept est insuffisante pour exprimer clairement un programme alternatif. Deuxièmement, les décroissants et leurs discours ne sont pas explicitement anticapitalistes. Enfin, pour lui, les décroissants ne sont pas capables de faire la distinction entre les activités qui doivent être réduites et celles qui peuvent continuer à prospérer.

Concernant la première critique, Löwy soutient que le mot « décroissance » n’est pas convaincant ; il ne traduit pas le projet progressif et émancipateur de transformation sociétale dont il fait partie ; cette remarque fait écho à un vieux débat non résolu pour beaucoup. Une discussion que Löwy devrait connaître, ainsi que celles qui ont suivi la dernière décennie de débat sur la décroissance. Une critique sophistiquée a mobilisé l’étude du linguiste cognitif et philosophe américain George Lakoff sur le cadrage. Kate Rowarth, par exemple, a suggéré aux décroissants d’apprendre de Lakoff que personne ne peut gagner une lutte politique ou une élection s’ils continuent à utiliser le cadre de leur adversaire ; et la décroissance a en elle-même sa vision antagonique : la croissance. Des économistes écologiques ont soutenu le même argument de manière plus articulée, suggérant que pour cette raison, la décroissance se retourne contre elle-même.

En 2015, mon compagnon intellectuel Giorgos Kallis, a quant à lui cité neuf raisons claires pour lesquelles la décroissance est un mot qui s’impose. Je voudrais y ajouter une raison supplémentaire. En observant les tendances de recherche sur Google, on constate qu’après dix ans, la décroissance continue à susciter plus d’intérêt dans le monde que l’écosocialisme. L’écosocialisme peut peut-être donner des résultats plus clairs en un coup d’œil. Néanmoins, cela ne signifie pas que la population sera immédiatement convaincue. En effet, le concept d’écosocialisme présente également des problèmes de cadrage similaires, voire pires, étant donné l’aversion post-soviétique pour le « socialisme », mais cela ne signifie pas que nous devons abandonner le terme. Le récent regain de popularité aux États-Unis du « socialisme démocratique » suggère que l’association négative d’un terme peut être surmontée.

Google trends of degrowth and ecosocialism. Source: Author’s elaboration.

Les écosocialistes, tout comme les décroissants, doivent continuer à expliquer le contenu réel de leur rêve politique car l’étiquette ne suffit pas à tout expliquer. Notre mission est inachevée ; il est vrai que dans certains contextes, l’écosocialisme aboutira à un message plus direct, mais dans d’autres, la décroissance pourrait se révéler plus convaincante. Pour la gauche écologique, plus de cadres pourraient être plus efficaces qu’un seul ; et, utiliser le plus approprié dans différents contextes et géographies est très probablement la meilleure stratégie.

Il convient de noter que ces différents cadres partagent des arguments et des stratégies de base. Permettez-moi donc de passer à la deuxième critique de Löwy, la prétendue divergence entre les écosocialistes et les décroissants à propos du capitalisme. Selon Löwy, les décroissants ne sont pas suffisamment ou explicitement anticapitalistes. Je ne peux pas nier que tous les décroissants ne se définissent pas comme des anticapitalistes et que pour certains d’entre eux, le fait de se déclarer en tant que tel n’est pas une priorité. Cependant, comme Kallis l’a déjà précisé, les spécialistes de la décroissance fondent de plus en plus leurs recherches et leurs politiques sur une critique des forces et des relations du capital. De plus, Dennis et Schmelzer ont montré que les décroissants partagent largement la conviction qu’une société décroissante est incompatible avec le capitalisme. Et Stefania Barca a expliqué comment l’articulation de la « décroissance et de la politique du travail vers une conscience de classe écologique » est la voie à suivre pour une société de décroissance écosocialiste.

À ces arguments, je voudrais ajouter une observation. Dans leur manifeste écosocialiste de 2001, Löwy et Kovel ont affirmé que pour résoudre le problème écologique, il est nécessaire de fixer des limites à l’accumulation. Ils poursuivent en précisant que cela n’est pas possible tant que le capitalisme continue de régner sur le monde. En effet, comme ils l’affirment, ainsi que d’autres écosocialistes éminents, le capitalisme doit croître ou mourir. Ce slogan efficace est probablement la phrase anticapitaliste la plus explicite écrite dans le manifeste écosocialiste, et je ne doute pas que la plupart des décroissants signeraient cette déclaration sans hésiter – d’autant plus en ces temps de pandémie, lorsque le système capitaliste existant semble être basé sur le slogan : nous (les capitalistes) croissons et vous mourez ! En effet, il est de plus en plus évident qu’au cours de cette pandémie l’inégalité n’a cessé de croître de façon spectaculaire. Si ces observations sont exactes, alors les décroissants et les écosocialistes sont plus d’accord que pas d’accord et, comme beaucoup d’autres dans le camp de la gauche écologique, ils partagent le même bon sens : un système écologique et social sain au-delà de la pandémie n’est pas compatible avec le capitalisme.

La dernière critique de Löwy est que les décroissants n’arrivent pas à faire la différence entre les caractéristiques quantitatives et qualitatives de la croissance. À première vue, cela semble un retour en arrière par rapport à la discussion animée des années 1980 sur la différence entre croissance et développement. Cependant, je suis sûr que Löwy et d’autres écosocialistes sont bien conscients de l’évaluation critique que de nombreux penseurs d’Amérique latine ont faite du développement et de son héritage colonial. Je vais donc interpréter cette critique en termes plus généraux : il est essentiel d’être sélectif en matière de croissance et de préciser les secteurs qui doivent croître et ceux qui doivent décroître ou même disparaître. Rien de nouveau sous le soleil, je pourrais dire. En 2012, alors qu’il développait des scénarios de croissance nulle pour faire face à la menace du changement climatique, Peter Victor a discuté du scénario de croissance sélective montrant ses effets modestes et à court terme pour atténuer le changement climatique. Dans son livre « Petit traité de la décroissance sereine », publié en 2007, Serge Latouche a fait valoir que la décision concernant la décroissance sélective ne peut être laissée aux forces du marché. Et Kallis a expliqué que la croissance est un processus complexe et intégré, et qu’il est donc erroné de penser en termes de ce qui doit augmenter et de ce qui doit diminuer.

C’est une erreur d’utiliser la décroissance comme synonyme de diminution (comme Timothée Parrique en a longuement parlé), et de penser que ce qui est considéré comme « bon » (hôpitaux, énergie renouvelable, vélos, etc.) doit augmenter sans limite comme le commande l’imaginaire de la croissance. Ceux qui perpétuent cette logique, comme semble le faire Löwy, restent dans le camp de la croissance. Ce faisant, Löwy n’a pas suivi sa suggestion d’accorder plus d’attention à une transformation qualitative.

Dans une société écosocialiste, orienter la production vers plus d’hôpitaux et de transports publics, comme le suggère Löwy, n’implique pas de surmonter la logique de croissance et ses difficultés. Une société de décroissance, avec un mode de vie plus sain et des soins plus écologiques, n’aurait probablement pas besoin d’autant d’hôpitaux supplémentaires. En effet, comme Luzzati et ses collègues l’ont constaté, l’augmentation du revenu par habitant est en corrélation significative avec l’augmentation de la morbidité et de la mortalité liées au cancer. Dans une société de décroissance, les gens prendraient beaucoup moins l’avion, ce qui pourrait contribuer à réduire la vitesse des contagions pandémiques. Les systèmes agro-écologiques empiéteront sur moins d’habitats ; ces deux changements qualitatifs dans l’organisation de la société pourraient réduire la nécessité d’augmenter le nombre d’unités de soins intensifs.

D’autre part, l’augmentation d’un nombre croissant de « bonnes choses », comme les vélos en ville, n’est pas entièrement positive : comme dans le cas d’Amsterdam, où les piétons ont ressenti un manque d’espace en raison du nombre considérable de vélos dans l’espace public, ou de la Chine, où des dizaines de milliers de vélos ont été jetés parce que la perspective de la croissance du vélo partagé dans les villes a entraîné des problèmes sociaux et écologiques, le conseiller municipal ayant décidé de plafonner la croissance du vélo et de réglementer les secteurs partagés. En résumé, l’idée d’une (dé)croissance sélective n’aide pas à désapprendre la logique de croissance qui persiste encore chez beaucoup dans le camp de la gauche écologique. Ce qu’il faut, en effet, c’est un changement qualitatif de notre esprit, de notre logique et de nos actes performatifs.

Écosocialistes et décroissants sont moins éloignés les uns des autres que ne le laisse entendre l’article de Löwy. Les deux visions avancent sur le même chemin, apprenant l’une de l’autre au passage. Discuter de certaines thèses ou politiques que l’un ou l’autre propose permettra d’améliorer et de clarifier leurs visions, et de les rendre moins discutables aux yeux des sceptiques et des indifférents. Un dialogue constructif nous aidera à faire en sorte que nos arguments et nos pratiques soient largement conformes au bon sens. Les écologistes de gauche n’ont pas à décider quel est le meilleur et le plus complet des discours entre l’écosocialisme et la décroissance. Ces visions, que j’ai essayé d’exposer ci-dessus, partagent en effet des arguments de base, et contribuent toutes deux à la construction d’un discours persuasif et d’actions performatives.

A bicycle graveyard in Wuhan in 2018. Photo: Wu Guoyong. Source: South China Morning Post

Au contraire, créer un faux dilemme n’est pas très utile pour nos luttes quotidiennes. En 2015, avec certains collègues, nous avons suggéré d’explorer la redondance de six cadres différents (croissance, organisations de mouvements communautaires durables, territorialisme, biens communs, résilience sociale et actions sociales directes) pour relancer des initiatives plus solides et plus complètes contre l’expansion continue du capitalisme et les injustices environnementales. Nous avons conclu que le fait de favoriser la redondance plus que la nuance devrait motiver les défenseurs de ces approches lorsque l’objectif général est de relancer efficacement des alternatives au capitalisme qui soient solides et moins aléatoires. En d’autres termes, nous demandons que l’on se concentre sur la consolidation de ce que toutes ces approches ont en commun plutôt que de se concentrer sur leurs divergences. Cette suggestion est également valable pour les écosocialistes et les décroissants.

Il est sans aucun doute crucial que les écosocialistes et les décroissants continuent à affiner leurs discours, leurs pratiques et leurs politiques pour avancer vers un monde écologiquement sain et socialement juste, libéré de l’héritage patriarcal, racial et colonial. Néanmoins, il est tout aussi important qu’ils cartographient les redondances de leurs points de vue pour améliorer l’efficacité de leur lutte commune à différentes échelles.

Giacomo D’Alisa est chercheur post-doctorat (FCT) au Centre d’études sociales de l’Université de Coimbra, au Portugal, où il fait partie du groupe de travail « Écologie et société ». D’Alisa est membre fondateur du collectif Recherche & Décroissance à Barcelone, en Espagne.


Économique ou social, faut-il choisir ?

Témoignage : Céline Nieuwenhuys

La pandémie qui nous accompagne depuis le début de l’année 2020 a tragiquement bousculé bien des vies, secoué des pans entiers de l’organisation sociale, plombé l’économie.

Les familles endeuillées. Les malades, les médecins et le système de santé. Les allocataires sociaux et les plus précarisés. Le monde de la culture dans sa globalité. Les familles, les jeunes, étudiants ou non. Les indépendants et le petit commerce. L’enseignement, le sport. Les entreprises et les travailleurs… La liste semble pouvoir s’allonger sans fin.

Ce que l’on appelle la « crise sanitaire » est sans doute bien plus que cela. Toute la société en est impactée. N’est-ce qu’une crise, d’ailleurs ?

Céline Nieuwenhuys – secrétaire nationale de la fédération des services sociaux
nous permet d’entrevoir comment se vit la gestion de la covid au sein des sénacles où se confrontent politiques et experts.

Acceptant en quelques instants la tâche de représenter un secteur dont la culture, les pensées, les intérêts sont à l’antipode des lobbys économiques, elle sera confrontée à une expérience qu’elle nous partage dans un entretien fort, riche en informations.

La vidéo ci-dessous montre la dureté des confrontations d’intérêts, l’absolue méconnaissance du vécu des plus fragiles, certains mécanismes de la machine politique, la puissance du lobbying productiviste.

Et aussi : la complexité des débats ; l’importance d’être représenté par des personnes compétentes ; la richesse humaine de celles et ceux qui travaillent dans le secteur social.

Merci à Céline Nieuwenhuys pour ce témoignage publié sur https://zintv.org/outil/abecedaire/

Durée : 30 minutes.


Des scientifiques de renom mettent en garde…

Traduction

Article paru dans The Guardian le 13 01 2021:
Top scientists warn of ‘ghastly future of mass extinction’ and climate disruption


Des scientifiques de renom mettent en garde contre « l’effroyable avenir au niveau de l’extinction de masse » et le dérèglement climatique.

Un nouveau rapport qui donne à réfléchir affirme que le monde ne saisit pas l’ampleur des menaces que constituent la perte de biodiversité et la crise climatique. La planète est confrontée à un « avenir épouvantable d’extinction de masse, de déclin sanitaire et de bouleversements climatiques », qui menacent la survie de l’humanité en raison de l’ignorance et de l’inaction, selon un groupe international de scientifiques. Ces derniers avertissent que les gens n’ont toujours pas saisi l’urgence des crises de la biodiversité et du climat.

Les 17 experts, dont le professeur Paul Ehrlich de l’université de Stanford, auteur de « La Bombe P » (The Population Bomb), et des scientifiques du Mexique, d’Australie et des États-Unis, affirment que la planète est dans un état bien pire que ce que la plupart des gens – même les scientifiques – pensent.

« L’ampleur des menaces qui pèsent sur la biosphère et toutes ses formes de vie – y compris l’humanité – est en fait si grande qu’elle est difficile à saisir, même pour des experts bien informés », écrivent-ils dans un rapport publié dans Frontiers in Conservation Science, qui fait référence à plus de 150 études détaillant les principaux défis environnementaux mondiaux.

Le délai entre la destruction du monde naturel et les impacts de ces actions signifie que les gens ne reconnaissent pas l’ampleur du problème, affirme le document. « [Le] courant dominant a du mal à saisir l’ampleur de cette perte, malgré l’érosion constante du tissu de la civilisation humaine ».

Le rapport avertit que les migrations de masse induites par le climat, les nouvelles pandémies et les conflits concernant les ressources seront inévitables si des mesures urgentes ne sont pas prises.

Nous n’appelons pas à la capitulation. Notre objectif est de fournir aux dirigeants une « douche froide » réaliste sur l’état de la planète, essentielle pour éviter un avenir horrible, ajoute le rapport.

Pour faire face à l’énormité du problème, il faut apporter des changements profonds au capitalisme mondial, à l’éducation et à l’égalité, indique le document. Il s’agit notamment d’abandonner l’idée d’une croissance économique perpétuelle, d’évaluer correctement les externalités environnementales, de mettre un terme à l’utilisation des combustibles fossiles, de limiter le lobbying des entreprises et d’autonomiser les femmes, affirment les chercheurs.

Le rapport est publié quelques mois après que le monde ait échoué à atteindre un seul objectif d’Aichi pour la biodiversité de l’ONU, créés pour enrayer la destruction du monde naturel. Il s’agit de la deuxième fois consécutive que les gouvernements ne réussissent pas à atteindre leurs objectifs de biodiversité sur dix ans. Cette semaine, une coalition de plus de 50 pays s’est engagée à protéger près d’un tiers de la planète d’ici 2030.

Selon un récent rapport des Nations Unies, un million d’espèces sont menacées d’extinction, dont beaucoup d’ici quelques décennies.

« La détérioration de l’environnement est infiniment plus menaçante pour la civilisation que le trumpisme ou la Covid-19 », a déclaré Paul Ehrlich au Guardian.

Dans « La Bombe P » (The Population Bomb), publié en 1968, Ehrlich met en garde contre l’explosion démographique imminente et les centaines de millions de personnes qui mourront de faim. Bien qu’il ait reconnu certaines erreurs au niveau du timing, il a déclaré qu’il s’en tenait à son message fondamental, à savoir que la croissance démographique et les niveaux élevés de consommation des nations prospères mènent à la destruction.

Il a déclaré au Guardian : « La croissancemania est la maladie fatale de la civilisation – elle doit être remplacée par des campagnes qui font de l’équité et du bien-être les objectifs de la société. Il faut arrêter de consommer de la merde. »

Les populations importantes et leur croissance continue entraînent la dégradation des sols et la perte de biodiversité, met en garde le nouveau document. « Plus de gens signifie que l’on fabrique plus de composés synthétiques et de plastiques jetables dangereux, dont beaucoup contribuent à la toxification croissante de la Terre. Cela augmente également les risques de pandémies qui alimentent des chasses toujours plus désespérées aux ressources rares ».

Les effets de l’urgence climatique sont plus évidents que la perte de biodiversité, mais la société ne parvient toujours pas à réduire les émissions, affirme le document. Si les gens comprenaient l’ampleur des crises, les changements politiques et les politiques menées pourraient répondre à la gravité de la menace.

« Notre point principal est qu’une fois que l’on réalise l’ampleur et l’imminence du problème, il devient clair que nous avons besoin de bien plus que des actions individuelles comme utiliser moins de plastique, manger moins de viande ou prendre moins l’avion. Notre point de vue est que nous avons besoin de grands changements systématiques et cela rapidement », a déclaré au Guardian le professeur Daniel Blumstein de l’Université de Californie à Los Angeles, qui a participé à la rédaction du document.

Le document cite un certain nombre de rapports clés publiés ces dernières années, à savoir :

  • le rapport du Forum économique mondial en 2020, qui a désigné la perte de biodiversité comme l’une des principales menaces pour l’économie mondiale ; (En)
  • le rapport d’évaluation globale de l’IPBES en 2019, qui indique que 70 % de la planète a été altérée par l’homme ; (En)
  • le rapport Planète vivante 2020 du WWF, qui indique que la population moyenne de vertébrés a diminué de 68 % au cours des cinq dernières décennies ; (En)
  • un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de 2018, qui indique que l’humanité a déjà dépassé le réchauffement climatique de 1°C par rapport aux niveaux préindustriels et qu’elle devrait atteindre un réchauffement de 1,5°C entre 2030 et 2052. (En)

Le rapport fait suite à des années d’avertissements sévères sur l’état de la planète de la part des plus grands scientifiques du monde, notamment une déclaration de 11.000 scientifiques en 2019 selon laquelle les gens seront confrontés à « des souffrances indicibles dues à la crise climatique » si des changements majeurs ne sont pas apportés. En 2016, plus de 150 climatologues australiens ont écrit une lettre ouverte au Premier ministre de l’époque, Malcolm Turnbull, pour demander des mesures immédiates de réduction des émissions. La même année, 375 scientifiques – dont 30 Prix Nobel – ont écrit une lettre ouverte au monde entier pour exprimer leur frustration face à l’inaction politique en matière de changement climatique.

Le professeur Tom Oliver, écologiste à l’Université de Reading, qui n’a pas participé au rapport, a déclaré qu’il s’agissait d’un résumé effrayant mais crédible des graves menaces qui pèsent sur la société si l’on continue comme si de rien n’était. « Les scientifiques doivent maintenant aller au-delà de la simple documentation du déclin environnemental et trouver les moyens les plus efficaces de catalyser l’action », a-t-il déclaré.

Le professeur Rob Brooker, responsable des sciences écologiques à l’Institut James Hutton, qui n’a pas participé à l’étude, a déclaré que celle-ci soulignait clairement la nature urgente des défis.

« Nous ne devrions certainement pas douter de l’ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés et des changements que nous devons apporter pour les relever », a-t-il déclaré.


2021, l’Anthropocène absolu ?

Paul Blume

Dans le Journal de l’Économie du 7 janvier dernier, Philippe Cahen ( Conférencier prospectiviste) nous propose la notion d’Anthropocène absolu.

Un article passionnant qui correspond bien à ce ressenti collectif : il y aura un avant et un après 2020.

Bonne lecture.


Pourquoi le XXIe siècle – l’Anthropocène absolu – commence en 2021


Lien vers l’article sur JDE :
https://www.journaldeleconomie.fr/Pourquoi-le-XXIe-siecle-l-Anthropocene-absolu-commence-en-2021_a9563.html


Je ne sais pas par qui et quand le Moyen-Age a été daté entre la chute de l’Empire romain en 476, et la redécouverte de l’Amérique ou de l’imprimerie en 1492. Ces dates sociales, technologiques et politiques ont marqué le temps. En France, 1515, 1610, 1715, 1815, ont marqué les siècles par des faits politiques, technologiques, philosophiques. Ces dates sont arbitraires, mais elles aident à jalonner le temps, à le mémoriser. Elles organisent l’Histoire à partir des histoires.
1815-1914 est le XIXe siècle ; 1914-2020 le XXe siècle. Le XXIe siècle commence aujourd’hui. Voici pourquoi.

1818-1914. XIXe siècle : les temps modernes

Certains datent les temps modernes à 1789. C’est l’exploitation industrielle de la machine à vapeur qui marque les temps modernes : premier train expérimental 1804 en Angleterre par Richard Trevithick sur 14 kilomètres, 1823 première concession française d’état pour la ligne Saint-Étienne à Andrézieux sur 23 kilomètres.

Avec la machine à vapeur, pour la première fois de son histoire l’Homme se déplace plus vite que le cheval, grâce au train, puis grâce à la voiture (1875), se déplace plus longtemps grâce aux péniches motorisées et aux bateaux à vapeur (1803). Il rejoint les oiseaux en 1903 avec le Wright Flyer, le premier avion. La première pile électrique date de 1800 (Volta), et surtout Thomas Edison crée l’ampoule électrique en 1879. Le bois, le charbon, le pétrole (1855/56 en Pennsylvanie) et l’électricité ont été les sources d’énergie, pour l’essentiel des sources locales.

Corrélativement, et par la création de l’industrie, les hommes ont commencé à quitter la campagne, dépendant des saisons et du temps, pour aller vers la ville et avoir des revenus plus réguliers sans les aléas météorologiques. La ville se crée avec de nouveaux matériaux (Eiffel), une nouvelle organisation (Haussmann à partir de 1852), une nouvelle classe sociale : la bourgeoisie. Les communications s’améliorent avec Morse (1843), puis le télégraphe public en France en 1851. Les empires coloniaux atteignent leur maximum. Les arts (musique, peinture, sculpture …) et la réflexion économique et sociale font des bonds gigantesques marquant la libéralisation des esprits. Une première mondialisation des échanges (canal de Suez 1869, canal de Panama 1914) se terminera avec 1914.

1914-2020. XXe siècle : le siècle des guerres, libéralisme, nationalisme, technologie

Si le XIXe siècle a été la naissance des puissances, il s’est terminé sur des guerres idéologiques intellectuelles. Le XXe siècle est marqué par la victoire du libéralisme, la victoire des nationalismes, la victoire de la technologie dans des temps asynchrones qui ont vu parmi les plus grands massacres de l’histoire de l’humanité, le plus grand nombre de renversements de grandes puissances jamais observé en si peu de temps, une explosion technologique jamais constatée. Les compétences locales ont été remplacées par des compétences mondiales.

Le libéralisme économique est sorti victorieux des différents courants de pensée qui ont marqué la fin du siècle précédent, dont le marxisme (sous sa forme de communisme soviétique), la liberté de conscience, et ce qui est devenu le fascisme. Aujourd’hui, on parle de capitalisme libéral, au siècle précédent on parlait de paternalisme, il s’agit en fait d’un équilibre entre l’initiative personnelle et le bien-être des salariés ou les équipes. La protection sociale et les droits sociaux sont acquis : santé, famille, retraite, travail, chômage, dépendance.

La victoire des nationalismes signe la revendication d’indépendance des États-nations et des peuples, encore inachevée en 2020. Mais y a-t-il une fin ? Les 51 états fondateurs de l’ONU en 1945 sont devenus 197. Au long de la seconde partie de ce siècle, deux formes supranationales ont cependant atténué la victoire des nationalismes : la première est le groupement d’états par zones géographiques avec une visée économique, mais aussi culturelle (Union européenne) avec la libre circulation des personnes et donc des idées. Le second est le retour des religions (islam, catholicisme, évangélisme, etc.) et le développement de la religiosité.
Enfin la victoire de la technologie dans une progression exponentielle (nanotechnologie, biotechnologie, information et connaissance : NBIC) facilitée par la communication (Internet), le bas coût de l’énergie et la rapidité de calcul (Artificial Intelligence). Sa progression semble se faire sans limites. Il y a pourtant une limite : celui qui a la connaissance, la data, gagne la bataille. Celle-ci est en cours et l’issue est indécise, mêlant états et entreprises tentaculaires.

De ces trois victoires il faut retenir pour l’Humain que jamais le savoir n’a été autant partagé, jamais la santé des humains n’a été aussi bonne, jamais l’humain n’a disposé autant de temps autre que pour travailler.
Trois nouvelles puissances sont nées à l’issue de ce siècle qui peuvent déséquilibrer le monde : l’argent, GAFA et BATX, « notre maison brûle … ». Voir XXIe siècle.

La Covid-19 (19, car c’est l’année de découverte de la maladie, on devrait dire que le siècle se termine ou commence en 2019) résume la fin du XXe siècle qui avait débuté par la Grippe espagnole : une zoonose (maladie transmise de l’animal à l’Homme, ici un virus) se transmet en quelques semaines quasiment aux 7,8 milliards de Terriens. Un vaccin est imaginé, testé et industrialisé en 11 mois pour vacciner des milliards de Terriens. Ce qui se passait localement au début du siècle est mondial à sa fin. Le monde est devenu un village.

2020 : Début du XXIe siècle : l’anthropocène absolu

Pour certains, l’anthropocène est arrivé avec la machine à vapeur. Pour d’autres, c’est l’agriculture en marquant la fin du chasseur-cueilleur, il y a environ 10.000 ans, qui a initié l’anthropocène. Dans l’anthropocène absolu, la Nature est soumise à l’Homme. C’est ce qui se passe depuis les années 90.

La Covid-19 interroge sur la première bataille des temps à venir. C’est « notre maison brûle et nous la regardons brûler » de Jacques Chirac (2002 à Johannesburg). Avec les disparitions des milieux naturels (déforestation, mais aussi pollution des océans) les pandémies vont se multiplier, c’est ce qui se constate depuis une vingtaine d’années. Or la puissance de destruction est immense d’autant que plus de la moitié des Terriens vivent en ville, donc dépendent d’un système alimentaire industrialisé (mais aussi d’un système social) et soumis à de plus fortes exigences, car les humains sont de plus en plus nombreux (tout au moins jusqu’au mi-temps du siècle, 9 à 10 milliards) et en désir de plus manger qu’antérieurement. C’est la première facette de la bataille existentielle de ce nouveau siècle. Comment concilier l’Homme et la Nature, la Nature et l’Homme.

La seconde bataille de ce nouveau siècle est l’argent ou plutôt le trop-plein d’argent ou plutôt le manque d’argent. C’est un retour aux siècles précédents le XIXe siècle : la rémunération du capital se fait à un taux supérieur à celui du travail. Aux États-Unis, on considère que l’américain moyen n’a pas amélioré son pouvoir d’achat depuis plus de quarante ans. De l’autre côté du spectre, la finance est de plus en plus rémunératrice à tel point que les millionnaires et milliardaires se multiplient malgré la crise en cours. Or là aussi, la Covid-19 a mis en avant le déséquilibre en développant dans de nombreux pays des aides financières prenant la forme des prémices d’un revenu universel tandis que les riches devenaient plus riches. Un exemple simple : le tourisme est à l’arrêt et représente environ 15% des actifs mondiaux sans travail, officiel ou pas. Comment aider ces gens, comme d’autres ? Comment assurer que notamment la ville permette à l’Homme d’y vivre selon les aléas de la société ou de sa vie ?

La troisième bataille appelée à tort « GAFA BATX », représente des unités économiques sans état, l’Entreprise Sans Etat (ESA) par analogie avec Vers une société sans état de David Friedman (1973, paru en France en 1992). Il faut y ajouter les cryptomonnaies et toutes formes économiques qui détachent des entreprises ou organismes d’un pays ou des pays en accélération avec la 6G attendue pour 2030. Le numérique est un moteur prodigieux de ces systèmes. La multiplication des constellations de satellites ne pourra que les multiplier. Là aussi, la Covid-19 et la crise économique et sociale qui touche chaque pays, met en avant l’insolent succès de ces entités.

Si les États-Unis entament pour certains la mise en route de la loi antitrust, la Chine exerce une pression similaire sur l’empire d’Alibaba. Certains pays seront tentés de les héberger, la leçon de la fin des paradis fiscaux du siècle précédent devrait les en dissuader. Comment concilier des États et des entités ou organismes sans nécessité de base physique et éventuellement mondialisée ? Le monde devient-il un village virtuel ?

La Covid-19 accélère la mutation en cours. La Nature, l’Homme et l’Entreprise Sans Etat sont les trois batailles principales de ce début de XXIe siècle, le siècle de l’anthropocène absolu. Ce nom – Anthropocène absolu – sera-t-il retenu au long et à la fin de ce siècle ?

Je repars en plongée …

Philippe Cahen – Conférencier prospectiviste – dernier livre : « Méthode & Pratiques de la prospective par les signaux faibles  », éd. Kawa)


Un 6 janvier au Capitole

« Insurrection », « Assaut », « chaos »,… des qualificatifs forts pour commenter une journée atypique. Celle de l’envahissement du Capitole à Washington par des groupes galvanisés par les appels du perdant des élections présidentielles américaines.

Totalement inédit. Ou presque : «Ici, c’est chez nous» : une tentative de coup d’État qui s’inscrit dans une guerre raciale

Si les évènements choquent, si les ondes de chocs politiques animeront encore longtemps la vie publique aux USA, les années Trump occupaient déjà nombre de commentateurs. Les analyses étaient prêtes.

En moins de 24h, de nombreux articles plus intéressants les uns que les autres ont été publiés.

En voici quelques-uns :

Paul Blume – jan 2021


Décoloniser le vivant sans écologiser le capitalisme

Boris Libois

Mon argument. Dans quelle case de l’échiquier ranger Extinction Rebellion (XR), ce mouvement social qui perturbe le théâtre politique habituel et brouille les clivages idéologiques dominants ? Le lecteur trouvera ici une brève introduction à XR Belgium.

L’objectif stratégique d’XR est de répondre matériellement au déficit démocratique de nos sociétés. XR a vocation à être une alternative écologique à l’impasse réformiste et techno-solutionniste (dont les revendications de justice climatique sont le symptôme) pour préparer un changement pacifique de régime politique en prise avec le terrain physique des luttes pour le vivant.

Face à ce défi cosmique, il me semble que XR est aujourd’hui le meilleur agencement possible entre Greenpeace, Amish et Daesh. En tant que rejeton critique de la modernité tardive, XR innove sur le plan organisationnel : avant d’être une organisation, XR est un « organisateur » au sens du community organizing à l’américaine. XR se positionne comme un incubateur de mouvements et collectifs citoyens œuvrant pour leurs autonomies politiques.

La radicalité comme symptôme. Disruptif plutôt que constructif ? Performatif plutôt que déclaratif ? Non-violent plutôt qu’armé ? Révolutionnaire plutôt que réformiste ? Anarchiste social plutôt qu’étatiste national ? Par son côté imprévisible et inclassable, XR semble échapper aux catégories politiques conventionnelles.

L’establishment et son intelligentsia décrivent XR comme un mouvement radical et ils hésitent entre deux voies de neutralisation politique de leur adversaire polémique : la marginalisation (de la banalisation médiatique à la répression étatique) ou la cooptation (de l’instrumentalisation partisane à l’institutionnalisation corporative).

Aujourd’hui, personne ne peut conjurer ces risques de normalisation : nous sommes tou·tes parties prenantes du système toxique. En revanche, je peux tenter d’exposer comment XR intègre ces menaces dans son organisation plutôt que de cultiver la pureté moralisatrice.

J’admets que XR est un objet social déroutant : c’est le symptôme de notre positionnement en rupture par rapport au régime politique prédominant. Notre 3e demande est sans équivoque à cet égard : passer d’une représentation oligarchique à un gouvernement démocratique en substituant la sélection par tirage au sort des gouvernant·es à la sélection par élection des élites.

Priorité de l’ontologie sur l’idéologie. XR est politiquement radical au sens où nous contestons l’ordre social existant sans nous contenter, comme les libéraux, de l’améliorer. Il s’agit d’un choix méthodologique à visée pratique : XR se positionne comme une organisation pragmatique en réponse structurelle au problème global de société révélé par la catastrophe écologique et climatique.

Notre intransigeance est le résultat d’une option stratégique fondamentale : l’incompatibilité de XR avec le système institutionnel est a contrario l’illustration de la défaillance des politiques publiques menées jusqu’à présent et de l’épuisement d’un certain paradigme d’action collective.

Loin d’être une posture esthétique, le positionnement stratégique de XR privilégie l’ontologie (la manière de faire corps avec le monde) sur l’idéologie (souvent réduite à la désignation incantatoire d’un ennemi et à la dénonciation rhétorique des incohérences de la fausse conscience). Conformément à ce choix méthodologique, c’est l’épreuve des faits qui testera l’agilité de notre organisation. Notre parti-pris est pragmatique.

Notre organisation est conçue et déployée pour faire face au défi existentiel de notre planète habitée. L’agir humain a laissé une empreinte irréversible dans le sol et risque de détruire l’écoumène, l’ensemble des terres habitables. C’est la sixième extinction de masse.

Là réside peut-être la spécificité de XR : nous ne sommes pas simplement un mouvement climatique, porteur de revendications pour une justice sociale et environnementale, mais aussi et surtout des citoyen·es ordinaires, des non-professionnel·les de l’activisme, des volontaires qui se prennent en charge collectivement pour, ici et maintenant, redevenir actrices et acteurs de leur histoire.

Malgré l’extermination écologique massive en cours du fait de l’humain (l’Anthropocène désigne l’ère géologique caractérisée par l’empreinte matérielle irréversible de notre agir technique), la désolation émotionnelle et la terreur existentielle qui y font écho, XR nous ouvre l’espace d’agir en commun pour coconstruire l’espoir radical. Face à l’intoxication du monde, XR nourrit la reliance sociale, meilleur antidote pour sortir de l’impuissance et de l’isolement, et réinsuffle la joie de vivre sans occulter l’extinction.

C’est en ce sens que XR peut être décrit comme un mouvement radical nonviolent face au système toxique que nous avons chacun·e intériorisé –qu’il s’appelle capitalisme, patriarcat, croissance ou matérialisme, qu’il se reproduise par accumulation, domination, exploitation, aliénation ou consommation, ou que ses subalternes souffrent de sexisme, racisme, validisme ou spécisme.

Nos composantes organisationnelles ? Aucun modèle unique pour toutes les situations mais des ingrédients, inspirés de la modélisation des systèmes vivants complexes. Notre ambition est performative : « Nous sommes le vivant qui se défend ». Cette forme de biomimétisme encourage, par sa réflexivité en prise directe avec la terre, les apprentissages collectifs.

La finalité de cette organisation est double. A l’intérieur, constituer des collectivités économiquement résilientes, socialement inclusives et politiquement autonomes, en accord avec les contraintes physiques de leur sol. Construites par leur milieu, ces sociétés écologiques se dotent d’une Constitution terrestre, sujet collectif ouvert de chaque biorégion. Quelques exemples rêvés (Ecotopia) ou réels : Rojova, Chiapas, zone à défendre de Notre-Dame-Des-Landes, Cascadia.

A l’extérieur de ce municipalisme libertaire, son maillage en constellation d’actions directes mine, sature et sèvre les empires transnationaux et les réseaux suprarégionaux, selon une stratégie d’érosion et d’infiltration des institutions, pour brider la puissance publique au service de la décolonisation du vivant. Cette insurrection pacifique de la vie quotidienne adopte une diversité de tactiques d’actions directes et d’autodéfenses non-armées.

Devant l’effondrement inéluctable et imminent de nos sociétés, le principe de non-coopération avec notre système toxique marque la rupture avec les stratégies d’accompagnement prônées jusqu’à présent par les doctrines social-démocrates face à la restauration du pouvoir de classe capitaliste sous la bannière néolibérale – que ce soit dans la version extractiviste du capitalisme financiarisé ou dans son pendant disciplinaire de surveillance et de distraction de masse.

Quant au positionnement stratégique, nous sommes politiquement terre-à-terre : nous nous basons sur les faits, tels que validés par la méthode scientifique, plutôt que sur les croyances, issues de la révélation mystique. Nous faisons confiance à l’intelligence collective pour rechercher toute la vérité, telle qu’elle chemine depuis nos intuitions partagées et sédimentées dans le sens commun, et nous en faisons l’expérience par l’épreuve de la réalité.

Quant au mode d’action, chaque fois que c’est possible, nous exerçons nos responsabilités : nous faisons ce qui nous semble juste et à notre portée, sans déléguer notre pouvoir d’agir, ni attendre qu’une autorité pourvoie à nos besoins authentiques. Corollaire : nous ne négocions pas avec les institutions existantes et nous n’avons pas de solutions à proposer. Se compromettre est certes moralement hasardeux mais surtout c’est politiquement inefficace. L’enjeu est de changer le système, pas le climat.

Quant à la visée, il s’agit de ne pas nourrir le système existant – le priver de ses ressources d’acceptabilité sociale et d’effectivité politique –, même en s’y opposant, et aussi de développer des alternatives matérielles là où il est en défaut, selon une stratégie de substitution. Cette densification du futur fait advenir ici et maintenant le monde désiré.

Fragments idéologiques. Est-il possible de reformuler les principes politiques qui guideraient l’organisation de XR ?

Nous avons d’abord réhabilité le principe de non-coopération avec l’ordre social existant, principe au cœur des luttes nonviolentes. Nous lui avons ensuite imprimé un « tournant écologique » afin de répondre aux enjeux existentiels collectifs liés à la 6e extinction de masse des espèces, consécutive à l’agir humain dans l’ère industrielle.

Le principe-clef : la non-coopération avec le système toxique (« Que nourrir pour changer le monde sans prendre le pouvoir ? »).

Ce dernier peut ensuite se diviser en deux branches :

Vers une politique symbiotique ? La crise sanitaire renforce l’actualité de notre troisième demande. Pas sur le plan technique en rajoutant, une nouvelle fois, des gadgets participatifs et consultatifs au monopole décisionnel de l’oligarchie élue mais sur l’opportunité et la nécessité de changer de système de gouvernement et de nous affranchir du paternalisme politique.

Plutôt qu’une démonstration argumentée, je souhaite exemplifier cette vision non dualiste, symbiotique de la politique à partir de l’imaginaire de la philosophie animiste restauré par certaines pensées écoféministes. En termes conceptuels, la justesse de ce « matérialisme enrichi » s’étaye sur le primauté de la philosophie naturelle sur la philosophie morale. Dans le fil de la tradition herméneutique, de même que l’esprit souffle où il veut, le vivant est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part.

Depuis mars, notre civilisation est mise à l’arrêt par un micro-organisme. Nos machines volantes ont les ailes coupées et notre avidité de consommer ronge son frein. La moitié de l’humanité est sommée de revenir à l’essentiel. Une pause pour respirer avant de retourner à l’anormal ?

Notre système toxique profite de la crise sanitaire pour accélérer la régression démocratique : restreindre nos libertés sociales, surveiller nos comportements, renforcer l’atomisation individuelle et creuser la désolation émotionnelle par l’emprise totalitaire (bureaucratique, numérique et policière) sur nos vies. Marchands de doute, état d’urgence légal, capitalisme patriarcal, souffrance animale, racisme environnemental : la révolution conservatrice mobilise la stratégie du choc pour déployer son projet transhumaniste.

Et si nous retournions cette crise en son contraire pour en faire une opportunité de régénérescence politique ? Et si la distance physique créait l’espace pour la résistance civique ? Aujourd’hui nos sociétés sont à la croisée des chemins. Entre démocratie et barbarie, nous devons choisir notre destin. Sobriété partagée ou accumulation cuirassée : nous pouvons conduire notre déclin.

Telle est l’invitation cachée au cœur de ce qui a cloué au sol les fantasmes d’Icare. Revenir sur terre, retourner à nos besoins fondamentaux. A une lettre près, « coronavirus » est l’anagramme de « souverain c ». Synonyme de « citoyens-rois », coronavirus annonce-t-il l’avènement, le couronnement de l’intelligence collective distribuée ? Coronavirus nous invite à décoloniser nos imaginaires de la sorcellerie capitaliste et à refonder politiquement nos communs.

En alternative au « Green New Steal » de l’oligarchie fossile, développons le « Deep Green Dream » de la démocratie vivante. Premières étapes de ce processus constitutionnel : populariser les assemblées et nous rassembler en peuples. Notre système fait la guerre au vivant. Déclarons la trêve générale. Le maquis est l’expression politique du mycelium.

Boris Libois,

membre actif d’Extinction Rebellion Belgium.

pour voir les références XR dans la Veille : http://www.oaxr.eu/

Seule une discussion sur l’effondrement permettra de s’y préparer

Lettre publique – traduction

En tant que scientifiques et universitaires du monde entier, nous appelons les décideurs politiques à s’engager ouvertement face au risque de perturbation, voire d’effondrement, de nos sociétés. Cinq ans après l’accord de Paris sur le climat, nous n’avons pas réussi à réduire nos émissions de carbone, et nous devons maintenant en tirer les conséquences.

S’il est essentiel de déployer des efforts courageux et équitables pour réduire les émissions et ré-absorber naturellement le carbone, les chercheurs de nombreux domaines considèrent désormais l’effondrement de la société comme un scénario crédible pour ce siècle. Les avis diffèrent sur le lieu, l’étendue, la date, la durée et la cause de ces perturbations ; mais la manière dont les sociétés modernes exploitent les hommes et la nature est une préoccupation commune à tous.

Ce n’est que si les décideurs politiques ouvrent le débat sur cette menace d’effondrement de la société que les communautés et les nations pourront commencer à s’y préparer et à en réduire la probabilité, la rapidité, la gravité et les dommages infligés aux plus vulnérables et à la nature.

Les armées de plusieurs pays considèrent déjà l’effondrement comme un scénario crédible, nécessitant une planification. Des enquêtes publiques montrent qu’une partie importante des populations anticipent désormais l’effondrement de la société. Malheureusement, c’est déjà le quotidien ou même l’histoire de nombreuses communautés du Sud. Cependant, le sujet n’est pas traité équitablement dans les médias, et est généralement absent de la société civile et de la politique.

Lorsque les médias couvrent le risque d’effondrement, ils citent généralement des personnes qui condamnent la discussion sur le sujet. Les spéculations mal informées, comme celles citant des campagnes de désinformation venant de l’étranger ou les répercussions sur la santé mentale et la motivation ne favorisent pas une discussion sérieuse. De telles affirmations ne tienne pas compte des milliers d’activistes et représentant des mouvements citoyens qui anticipent l’effondrement comme une motivation supplémentaire pour demander des changements sur le climat, l’écologie et la justice sociale.

Les citoyens qui se préoccupent des questions environnementales et humanitaires ne devraient pas être découragées de débattre des risques de perturbation ou d’effondrement de la société, faute de laisser ce sujet être dominé par des acteurs moins soucieux de ces valeurs.

Certains d’entre nous pensent qu’une transition vers une nouvelle forme de société est possible. Elle impliquera une action déterminée pour réduire les dommages causés au climat, à la nature et aux humains, en incluant la préparation à des perturbations majeures de la vie quotidienne. Nous percevons les efforts cherchant à supprimer le débat sur l’effondrement comme une entrave à cette possibilité de transition.

Nous avons constaté à quel point il est difficile, sur le plan émotionnel, de reconnaître les dommages infligés au quotidien, et la menace croissante qui pèse sur notre propre mode de vie. Nous connaissons également le grand sentiment de fraternité qui peut naître une fois que ce débat s’ouvre. Il est temps de s’engager ensemble dans des conversations difficiles, afin de réduire notre participation aux détériorations en cours, et d’être créatifs pour faire émerger le meilleur d’un avenir turbulent.

Présentation, version originale, signataires :
https://iflas.blogspot.com/2020/12/international-scholars-warning-on.html


Fredo prend la température de l’Eau

Paul Blume

11 2020

La thématique de l’Eau est tellement vaste qu’aborder toutes ses facettes en un seul média est probablement illusoire.

D’où l’idée, pour mettre en exergue la place de l’or bleu dans nos vies, de capsules vidéos traitant d’aspects précis comme l’agriculture, à côté d’interviews traitant du sujet plus globalement.

C’est ce que Frédéric Muhl – vidéaste – fait en compilant des heures de prises de vues réalisées cette année 2020 caractérisée par un stress hydrique singulièrement élevé.

Bruno Denis, l’agriculteur conventionnel, et Dorothée, la maraîchère bio, nous montrent les conséquences concrètes des contraintes climatiques sur le cycle de l’Eau. Nicolas Stilmant, Bourgmestre de Fauvillers, aborde les nécessaires évolutions locales pour s’y adapter.

Quant à l’interview de Riccardo Petrella, elle nous permet de faire pratiquement un tour complet de la place de l’Eau dans nos sociétés industrialisées.

L’Observatoire vous propose de retrouver ces vidéos via un lien web unique :

Le lien : https://obsant.eu/oa_liste.php?oacle=fredooa

Gardez bien ce lien. Les prochaines productions de Fredo, sur l’Eau et pourquoi pas d’autres thématiques, y seront référencées.

Ou regardez-les ci-dessous.

Bonne vision, bonne écoute.

Infos :
Le site de Frédéric : https://www.fairmovies.org/
La chaîne YouTube


Le visage politique du Vivant

Boris Libois

23 11 2020

Où en sommes-nous aujourd’hui avec les armes de la contestation sociale? Quelles sont l’actualité et les limites de l’action directe non-violente? Ma tentative d’y répondre en trois moments. (1) Rappel théorique des notions et enjeux de la lutte nonviolente. (2) Présentation sommaire d’Extinction Rebellion (XR), illustrée par trois actions de XR Belgium. (3) Discussion critique de ce mode de contestation sociale.

1. Description de la lutte nonviolente. Les armes de la contestation sociale doivent habituellement naviguer entre deux écueils: l’enrôlement dans des organisations plus ou moins hiérarchisées, selon le nombre de leurs militant·es, d’une part, et les formes d’action préférentielles, selon le diagnostic politique et les objectifs poursuivis.

Si nous écartons, frappées d’inconstitutionnalité, la « propagande par le fait » et la « lutte armée », menées dans une perspective de renversement révolutionnaire de l’ordre établi, et si nous privilégions, en revanche, l’action directe des agent·es prioritairement concerné·es par l’oppression par rapport à la délégation de leur pouvoir d’agir à des représentant·es politiques et sociales, nous restons dans le champ de la « lutte non-violente ».

Gene Sharp regroupe en trois classes de lutte non-violente les 198 formes d’action directe identifiées. La protestation conteste ce qui est demandé ou décidé. L’interruption consiste à ne pas faire ce qui est demandé ou attendu. La perturbation fait ce qui est interdit ou inattendu. La grève appartient au second mode d’action directe non-violente. La désobéissance civile emprunte au troisième.

Le fil conducteur de la lutte non-violente est de résister à l’oppression par le refus de coopérer avec les dirigeant·es en place, quelle que soit la manière dont ils sont parvenu·es au pouvoir (élection, corruption, succession, coup d’État). L’enjeu est d’augmenter leur coût matériel et symbolique pour s’y maintenir. Tant sur le plan du système de récompense des subalternes (cadeaux aux partisan·es, punitions aux opposant·es) que sur celui de la légitimation de la domination politique (l’équilibre entre l’arbitraire de la servitude volontaire et sa raison d’être).

L’enjeu stratégique, pour les actrices et acteurs sociaux, est d’estimer la marge d’amélioration, par la voie réformiste, des institutions existantes par rapport aux inconnues d’un changement de régime par la voie révolutionnaire. Aujourd’hui, on est loin du compte: les risques de régression démocratique s’offrent comme une issue paresseuse au désespoir climatique, écho à l’extinction accélérée des espèces.

2. Présentation d’Extinction Rebellion (XR). Alors que s’effrite notre pays menacé par le carbo- et l’éco-fascismes, nous devons préparer la société belge à reprendre pacifiquement le pouvoir sur elle-même et à déconfiner la démocratie de l’oligarchie élue.

XR Belgium y travaille déjà.

–       12 octobre 2019, action directe non-violente « Royal Rebellion« : « Sire, Votre royaume brûle. Il n’y a pas de zone neutre sur une planète en feu ». La ville de Bruxelles réprime, par la violence politique et la brutalité policière, les assemblées populaires organisées dans une ambiance décontractée place Royale.

–       14 avril 2020, action directe non-violente « Tell The Complete Truth« : dans notre simulacre de discours (« Deep Fake« ) pour la Première ministre belge, elle fait le lien entre la crise sanitaire du Covid-19 et la catastrophe écologique et climatique. La cheffe du gouvernement national termine son vrai discours fictif par la convocation d’Assemblées citoyennes afin de répondre à l’urgence écologique et sociale.

–       27 juin 2020, action directe non-violente « Our Future, Our Choices« : point culminant de la vague d’affirmations civiques des alternatives au retour à l’anormal, une cérémonie publique, incluant nos allié·es activistes, inaugure la « Tour de la Résilience », sur le site précédemment connu sous le nom de « Tour des Finances ».

XR est le nouveau venu dans le camp de la contestation sociale. La Déclaration de rébellion du 31 octobre 2018 devant le parlement de Westminster signe l’acte de naissance de ce mouvement mondial d’insurrection pacifique de la vie quotidienne face à l’urgence climatique et écologique.

Dans nos pays riches, XR est le fer de lance du mouvement climat, ouvert à tou·tes les non-professionnel·les de l’activisme, trahi·es par les décisions de leurs élites politiques et sociales quant à leur devoir de protéger leurs justiciables des calamités sociales et environnementales imputables au capitalisme fossile.

Nos contrées cossues découvrent le prix caché de leur niveau de vie exorbitant. Le Sud Global n’a pas attendu XR pour subir la prédation coloniale et ses impacts écologiques et pleurer ses activistes mort·es en résistant à l’extractivisme capitaliste.

Le cœur de métier de XR est l’action directe: créer la situation qui permettra à chacun·e de libérer sa puissance d’agir en commun pour sauver le monde. Décoloniser nos imaginaires sidérés dans l’impuissance par leur mise en acte ici et maintenant.

XR privilégie la désobéissance civile, troisième catégorie de lutte non-violente selon Gene Sharp. Dans un contexte de rivalité des factions pour l’hégémonie culturelle, la désobéissance civile est une arme de distraction massive de l’ordre public: elle détourne les ressources d’attention nécessaires pour préserver la naturalité du consentement populaire.

Pour XR, l’enjeu est de sortir du déni collectif construit par les marchand·es de doute afin de couvrir l’impuissance apprise des politiques publiques. Les actions menées depuis 40 ans ne sont pas la hauteur de la catastrophe climatique et écologique.

XR met la désobéissance civile à la portée de tou·tes, dans son organisation effective, selon une logique d’expérimentation sociale et d’apprentissage politique (plutôt que d’en confier l’exclusivité aux avant-gardes professionnelles chargées d’éduquer les masses).

La stratégie d’action de XR comporte trois volets. A côté des résistances actives contre l’exploitation, l’oppression et l’appropriation des terrien·nes, et du développement d’alternatives résilientes pour reconstruire des territoires habitables, figure aussi la décolonisation de nos rapports au monde (cognitifs, émotifs, sensitifs et interactifs).

Enfin, notre « culture régénérative » (« Regen »: le prendre soin de soi-même, des autres et des relations intra- et inter-communautaires) est la composante Yin des luttes non-violentes, marquées du sceau Yang. Inspirée du « Travail qui relie » de Joanna Macy, « Regen » contribue à réparer le monde, les humains et les animaux mais s’exprime aussi dans la préfiguration concrète des autres mondes déjà possibles aujourd’hui.

3. Discussion critique. La non-violence fait l’objet de critiques parce qu’elle désarmerait la contestation sociale et se ferait la complice objective de l’État.

Pour XR, le choix de la non-violence est stratégique: les études de cas concluent qu’elle atteint deux fois plus souvent ses objectifs que la lutte armée. A côté des résultats empiriques, quelle justification systématique apporter à cette stratégie d’action directe, sans tomber dans l’apologie du pacifisme et l’accusation de fatalisme face à la catastrophe climatique et écologique?

3.1. La lutte non-violente est loin d’être un pacifisme. C’est pourtant l’accusation habituelle portée contre la désobéissance civile: elle serait à la fois socialement inefficace par rapport à l’objectif d’éradication de la domination et politiquement illégitime parce qu’elle opposerait le surcroît de moralité et de spiritualité des résistant·es à l’irréductible conflictualité politique.

La lutte non-violente neutraliserait tout rapport de forces et dépolémiserait la contestation sociale. Réduite à un pacifisme manifestant sous surveillance policière ou négociant sous contrainte administrative, la nonviolence cautionnerait la violence symbolique de l’État. Le « Black Bloc » en serait l’illustration paradoxale, en théâtralisant une violence réactionnelle et encourageant les bourgeois à se réfugier dans les bras paternalistes de la puissance publique.

Il est vrai que la domination politique et le capitalisme d’État détiennent le monopole de la violence légitime et définissent les frontières de notre résistance à l’oppression. La rhétorique médiatique des dominant·es est habile à naturaliser le débat idéologique et à déshumaniser les oppressé·es qui leur résistent.

Le libéralisme autoritaire est prompt à désigner les ennemis d’État pour étouffer la contestation sociale qui menacerait l’ordre public. Comment échapper à cette transposition dans la sphère civile des concepts identitaires et militaires (ami ou ennemi) tout en maintenant l’espace pour la conflictualité politique et sociale (partenaires et en même temps adversaires)?

3.2. La critique de la non-violence est le symptôme de la violence symbolique. Elle met en relief la colonisation de nos imaginaires personnels et politiques. Comment se désenvoûter de la sorcellerie capitaliste qui mutile nos capacités d’autodéfense?

Il me semble indispensable d’interroger notre rapport au monde et questionner la constitution fondamentale de notre expérience. Bref, il s’agit de faire le détour par le plan de l’ontologie comme pensée de l’être et de rendre justice aux pratiques qui manifestent sa présence.

Au dualisme moderne nature versus culture qui scelle la domination de l’homme sur ses réalités extérieure et intérieure, il importe de substituer la continuité du Vivant, expression de son unité dans sa diversité. C’est le sens du symbole qui réunit harmonieusement les contraires, à l’inverse du dualisme qui divise et aliène les opposé·es. Est Vivant ce qui tisse la vitalité de l’esprit et ce qui anime la corporéité. L’animisme est un animalisme.

Se hisser au niveau de l’ontologie relationnelle où la considération se porte sur la continuité du Vivant, dans ses interdépendances, ses vulnérabilités et ses complémentarités – plutôt que sur le dualisme qui divise, aliène et domine – fournit un fondement factuel à la notion de non-violence. Cette justification holistique surmonte le clivage stérile du biologisme et du machinisme, terreau du projet transhumaniste qui idolâtre le progrès technologique et sa promesse d’immortalité, affranchies de toutes les contraintes physiques de notre écoumène.

La prise de recul méthodologique éclaire les intuitions déjà au cœur des pratiques collectives. Les « Luddites » n’ont pas attendu les théories de l’écologie politique, de l’anthropologie culturelle ou de la géographie marxienne pour s’en prendre offensivement aux prédateurs de la vie quotidienne. Le « Luddisme » décrit comment les résistances des ouvrier·es contre l’exploitation de leur corps et l’aliénation de leur âme par la machine se sont traduites par la neutralisation et la mise en pièces de leur bourreau mécanique. Ces « briseurs de machine » sont l’expression du Vivant qui se défend. Ils enrichissent les armes de la contestation sociale.

Le recours au « vandalisme » et au « sabotage » contre les infrastructures qui portent atteinte au Vivant est prôné aujourd’hui par des activistes écosocialistes afin de déstabiliser les intérêts de classe prédominants. Selon la stratégie adoptée, cette « violence collective non armée » (Andreas Malm) s’exercerait de manière stylisée (« Black Bloc« ), clandestine (incendies d’antennes-relais GSM) ou revendiquée (« Valve Turners« , destruction de maïs transgénique).

Certes, l’État qualifierait de « casseur » ou de « terroriste » les auteurs·rices de ces atteintes délibérées à la propriété, matérielle ou intellectuelle. Au-delà des préférences stratégiques, comment justifier d’ajouter la dégradation et la destruction de biens et services inertes à l’arsenal de la lutte non-violente?

3.3. Exposer la violence du droit au droit de la non-violence. Mon intention est d’esquisser une justification systématique de la nonviolence comme principe politique d’organisation sociale. Quelle serait la raison d’être de la nonviolence, au-delà de l’absence de violence, c’est-à-dire du commandement moral de ne pas blesser ou tuer son prochain?

La nonviolence dans son concept, plutôt simplement que l’absence de violence (le fait de ne pas blesser autrui), est aussi le dépassement de tous les dualismes et aliénations. Si la non-violence est limitativement le refus de blesser autrui par l’abstention de lui faire du mal (la non-violence), la non-violence est aussi positivement un rapport de considération pour tout autre être vivant, à l’intérieur et à l’extérieur de soi-même (la non-dualité). La non-violence, c’est le visage politique du Vivant.

La désobéissance civile est une forme d’action directe qui met en relief la dissonance entre la légalité et la légitimité de l’ordre constitutionnel existant pour faire advenir, en la préfigurant ici et maintenant, une autre constitution du monde. La désobéissance civile exprime la constitution profonde (implicite et imaginaire) de notre monde pour transformer la constitution officielle (formelle et légale) de notre société.

La désobéissance civile permet de sortir du piège de la définition par le pouvoir de la violence légitime. La décolonisation des imaginaires libère un espace pratique pour la confrontation sociale sans passage à l’acte violent. La désobéissance civile manifeste le droit de la non-violence malgré la violence du droit.

XR met à la portée de chacun·e de nous l’arsenal des luttes non-violentes afin que s’organise notre société en accord avec le monde des vivant·es. Telle que les « Luddites » l’ont pratiquée, la non-violence peut justifier l’agir qui protège le Vivant contre les agressions dont il fait l’objet par l’humain aliéné.

Si l’action directe non-violente est l’autodéfense du Vivant et alors que s’effondrent les États capitalistes, les Constitutions terrestres, adoptées par des biorégions selon les principes anarchistes et les processus féministes, sont la garantie juridique de la paix et de la justice cosmopolitiques.

pour voir les références XR dans la Veille

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