𝘜𝘯𝘦 𝘉𝘳𝘶̂𝘭𝘢𝘯𝘵𝘦 𝘐𝘯𝘲𝘶𝘪𝘦́𝘵𝘶𝘥𝘦

Bruno Colmant, Renaissance du Livre, 2023, 178 pages.

Fiche de lecture – Raphaël Goblet

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𝐁𝐫𝐮𝐧𝐨 𝐂𝐨𝐥𝐦𝐚𝐧𝐭 n’est pas le premier venu : intellectuel de haut vol, doté d’une culture impressionnante, il est l’auteur de plus de 80 ouvrages et une myriade d’articles, économiques principalement. Pour son pedigree, trop long à développer ici, je vous renvoie vers votre moteur de recherche favori, sachez tout de même qu’il est économiste, fiscaliste, chargé de cours dans plusieurs universités, qu’il a travaillé pour plusieurs banques et a même présidé la bourse de Bruxelles (en plein crash de 2008).

J’avoue que pendant longtemps, je ne me suis guère intéressé à sa pensée (bien que je l’aie souvent entendu, vu, lu rapidement dans divers médias), jusqu’à ce je l’entende dans le très bon podcast « Septante minutes avec » (https://www.youtube.com/watch?v=GxjqPhHOmG4), puis chez Vincent Kanté dans l’excellent Limit il y a 5 mois (https://www.youtube.com/watch?v=l3GehCd6XC4).Il n’y va pas avec le dos de la cuillère, et m’a totalement bluffé en avouant tout de go « Je me suis trompé : le néolibéralisme, que j’ai défendu pendant longtemps, est une illusion, une tromperie » (je paraphrase).Waouh !

Lui qui a défendu, jusqu’au cœur des institutions bancaires et financières, des principes qui me semblaient contraires à l’environnement et à l’humain, le voilà qui fait volte-face, avec une sincérité et un aplomb désarçonnant. J’ai toujours eu tendance à accorder un plus grand crédit à ceux qui critiquaient des systèmes dont ils faisaient (ou avaient fait) partie (dont l’excellentissime Bernard Lietaer par exemple, pour rester dans le thème), qu’à ceux qui y jetaient un regarde extérieur…

Et donc j’ai décidé de me pencher sur son dernier bouquin (le premier que je lis de lui), « Une Brûlante Inquiétude ». Je n’ai pas été déçu ! Le bouquin commence même par des propos assez violents, qui sonnent comme un mea culpa assumé et sincère (p.21-22): « 𝐽𝑒 𝑐𝑟𝑎𝑖𝑛𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑛𝑒 𝑠𝑜𝑦𝑜𝑛𝑠, 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑒 𝑒𝑛 1937, 𝑎̀ 𝑙’𝑎𝑢𝑏𝑒 𝑑𝑒 𝑔𝑖𝑔𝑎𝑛𝑡𝑒𝑠𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑏𝑎𝑠𝑐𝑢𝑙𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑠 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑒́𝑡𝑎𝑢𝑥, 𝑛𝑜𝑡𝑎𝑚𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑐𝑙𝑖𝑚𝑎𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑒𝑛𝑣𝑖𝑟𝑜𝑛𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑎𝑢𝑥. […] 𝐿𝑒 𝑛𝑒́𝑜𝑙𝑖𝑏𝑒́𝑟𝑎𝑙𝑖𝑠𝑚𝑒 𝑎𝑛𝑔𝑙𝑜-𝑠𝑎𝑥𝑜𝑛 𝑑𝑒 𝑅𝑜𝑛𝑎𝑙𝑑 𝑅𝑒𝑎𝑔𝑎𝑛 𝑒́𝑡𝑎𝑖𝑡 𝑢𝑛𝑒 𝑝𝑟𝑜𝑠𝑡𝑖𝑡𝑢𝑒́𝑒, 𝑢𝑛 𝑡𝑟𝑖𝑠𝑡𝑒 𝑚𝑒𝑛𝑠𝑜𝑛𝑔𝑒 𝑒𝑡 𝑢𝑛𝑒 𝑖𝑙𝑙𝑢𝑠𝑖𝑜𝑛 𝑚𝑎𝑛𝑖𝑝𝑢𝑙𝑒́𝑒. […] 𝐸𝑡 𝑙𝑜𝑟𝑠𝑞𝑢𝑒 𝑗𝑒 𝑟𝑒𝑙𝑖𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑝𝑜𝑠𝑡𝑢𝑙𝑎𝑡𝑠 𝑑𝑢 𝑛𝑒́𝑜𝑙𝑖𝑏𝑒́𝑟𝑎𝑙𝑖𝑠𝑚𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑎𝑛𝑛𝑒́𝑒𝑠 1980, 𝑝𝑟𝑜𝑚𝑢 𝑝𝑎𝑟 𝑢𝑛𝑒 𝑡𝑒𝑐ℎ𝑛𝑜𝑐𝑟𝑎𝑡𝑖𝑒 𝑠𝑝𝑒́𝑐𝑢𝑙𝑎𝑡𝑖𝑣𝑒, 𝑎𝑢𝑥𝑞𝑢𝑒𝑙𝑠 𝑗’𝑎𝑖 𝑝𝑜𝑢𝑟𝑡𝑎𝑛𝑡 𝑐𝑟𝑢, 𝑗𝑒 𝑚𝑒 𝑑𝑖𝑠 𝑎𝑢𝑗𝑜𝑢𝑟𝑑’ℎ𝑢𝑖 : 𝑞𝑢𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑣𝑢𝑙𝑔𝑎𝑟𝑖𝑡𝑒́ 𝑖𝑛𝑡𝑒𝑙𝑙𝑒𝑐𝑡𝑢𝑒𝑙𝑙𝑒 ! 𝑄𝑢𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑝𝑎𝑢𝑣𝑟𝑒𝑡𝑒́ 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑒𝑛𝑠𝑒́𝑒 ! […]. 𝐶’𝑒́𝑡𝑎𝑖𝑡 𝑢𝑛𝑒 𝑖𝑚𝑝𝑜𝑠𝑡𝑢𝑟𝑒. »

Paf ! Le ton est donné, avec ce regard en arrière sans concession. Il y oppose tout de suite une proposition pour l’avenir : l’Europe, seule piste crédible à ses yeux, et le retour de l’État, comme devant mieux répartir les revenus vers les plus démunis, mais aussi restaurer sa puissance et soustraire les aspects sociaux et environnementaux aux lois du marché. Il explique que c’est cela qui l’a poussé à écrire ce bouquin, en rupture avec les idées qu’il a pu défendre il y a 20 ans.

𝗟𝗲 𝗿𝗲𝘁𝗼𝘂𝗿 𝗱𝗲 𝗹’𝗲́𝘁𝗮𝘁 𝘀𝘁𝗿𝗮𝘁𝗲̀𝗴𝗲.

Bruno Colmant explique ensuite comment il est arrivé à la conclusion qu’il fallait un « retour de l’état stratège » : dans un contexte de mondialisation et d’interdépendance croissantes des pays, basée sur une économie de marché néolibérale, il apparaît de plus en plus certain que nous courons à la catastrophe dans les 5 années qui viennent. Pour tenter d’éviter le pire – ou en tout cas de l’amortir, l’état devrait se soustraire aux intérêts et lobbies privés, qui détruisent les structures collectives, qui « font obstacle à la logique d’un marché pur et sans friction » : « 𝐶’𝑒𝑠𝑡 𝑢𝑛 𝑒́𝑡𝑎𝑡 𝑑𝑜𝑛𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑟𝑒𝑝𝑟𝑒́𝑠𝑒𝑛𝑡𝑎𝑛𝑡𝑠 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑑𝑖𝑠𝑡𝑎𝑛𝑡𝑠 𝑑𝑒 𝑡𝑜𝑢𝑡 𝑐𝑜𝑛𝑓𝑙𝑖𝑡 𝑑’𝑖𝑛𝑡𝑒́𝑟𝑒̂𝑡 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑡𝑜𝑢𝑡𝑒 𝑐𝑜𝑟𝑟𝑢𝑝𝑡𝑖𝑜𝑛, 𝑟𝑒𝑠𝑝𝑒𝑐𝑡𝑢𝑒𝑢𝑥, ℎ𝑢𝑚𝑏𝑙𝑒𝑠, 𝑚𝑜𝑑𝑒𝑠𝑡𝑒𝑠, 𝑒𝑡 𝑎̀ 𝑙’𝑒́𝑐𝑜𝑢𝑡𝑒, 𝑒𝑚𝑝𝑟𝑒𝑖𝑛𝑡𝑠 𝑑𝑒 𝑚𝑜𝑟𝑎𝑙𝑖𝑡𝑒́ 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑐𝑖𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑙𝑖𝑚𝑖𝑡𝑒𝑠, 𝑐’𝑒𝑠𝑡-𝑎̀-𝑑𝑖𝑟𝑒 𝑡𝑟𝑒̀𝑠 𝑙𝑜𝑖𝑛 𝑑𝑒𝑠 𝑒𝑛𝑓𝑖𝑒́𝑣𝑟𝑒́𝑠 𝑎𝑝𝑝𝑟𝑒𝑛𝑡𝑖𝑠 𝑠𝑜𝑟𝑐𝑖𝑒𝑟𝑠 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑚𝑒́𝑔𝑎𝑙𝑜𝑚𝑎𝑛𝑖𝑎𝑞𝑢𝑒 » (p.28).

Il va plus loin : c’est un état au service d’un projet démocratique, soucieux de faire participer les citoyens, capable d’anticipation, d’actions transversales de long terme, capable de coordonner et de planifier avec le secteur privé, protecteur, qui assure un juste partage, qui assure une veille économique, et j’en passe… ça ressemble, en effet, à ce que tout citoyen pourrait attendre d’un état, mais donc nous sommes manifestement bien loin par les temps qui courent.

Cet état « idéalisé » se serait perdu, fourvoyé, alors qu’il plongeait il y a quarante ans dans un contexte d’économie de marché anglo-saxonne, allant de paire avec un changement structurel des relations entre capital et travail : la sur-importance donnée au capital, devenu plus mobile que le travail, a provoqué d’énormes disparités économiques, sociales, climatiques et environnementales, contre lesquelles « 𝑙𝑒𝑠 𝑝𝑒𝑢𝑝𝑙𝑒𝑠 𝑠’𝑖𝑛𝑠𝑢𝑟𝑔𝑒𝑛𝑡 𝑒𝑛 𝑒́𝑏𝑟𝑎𝑛𝑙𝑎𝑛𝑡 𝑝𝑎𝑟𝑓𝑜𝑖𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑒́𝑡𝑎𝑡𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑛𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑜𝑛𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑝𝑟𝑜𝑡𝑒́𝑔𝑒́𝑠 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑟𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑓𝑜𝑟𝑐𝑒𝑠 𝑑𝑢 𝑚𝑎𝑟𝑐ℎ𝑒́ ».

Mais attention, Bruno Colmant se revendique malgré tout capitaliste, mais il ajoute que le capitalisme fonctionne quand « 𝑙𝑒 𝑚𝑎𝑟𝑐ℎ𝑒́ 𝑒𝑡 𝑙𝑎 𝑟𝑒̀𝑔𝑙𝑒 𝑑𝑒 𝑑𝑟𝑜𝑖𝑡 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑙’𝑎𝑣𝑒𝑟𝑠 𝑒𝑡 𝑙𝑒 𝑟𝑒𝑣𝑒𝑟𝑠 𝑑’𝑢𝑛𝑒 𝑚𝑒̂𝑚𝑒 𝑝𝑖𝑒̀𝑐𝑒. […] 𝑆𝑖 𝑙’𝑒𝑓𝑓𝑖𝑐𝑎𝑐𝑖𝑡𝑒́ 𝑒́𝑐𝑜𝑛𝑜𝑚𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑑𝑢 𝑐𝑎𝑝𝑖𝑡𝑎𝑙𝑖𝑠𝑚𝑒 𝑛’𝑒𝑠𝑡 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑎̀ 𝑝𝑟𝑜𝑢𝑣𝑒𝑟, 𝑙𝑎 𝑟𝑒́𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑎𝑙𝑒 𝑑𝑒 𝑠𝑒𝑠 𝑏𝑖𝑒𝑛𝑓𝑎𝑖𝑡𝑠 𝑒𝑥𝑖𝑔𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑜𝑢𝑣𝑜𝑖𝑟𝑠 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑎𝑑𝑒́𝑞𝑢𝑎𝑡𝑠 » (p.33). Une sorte de capitalisme social ? Voilà une question à lui poser… Pour lui, donc, le capitalisme exige une régulation étatique, ce que refuse le néo-libéralisme, et ce qu’il justifie longuement dans les pages qui suivent (je ne vais quand même pas spoiler la totalité du bouquin).

𝐋𝐚 𝐜𝐫𝐢𝐬𝐞 𝐝𝐞 𝟐𝟎𝟎𝟖.

2008, tout le monde s’en souvient, et l’année de cette fameuse crise des Subprimes (il retrace brièvement les événements, mais si vous voulez quelque chose de plus exhaustif, je vous invite à lire « Illusion Financière » de Gaël Giraud, donc j’ai écrit une longue note de lecture ici : https://etatdurgence.ch/blog/livres/illusion-financiere/). A ce moment, Bruno Colmant est président de la Bourse de Bruxelles et siège au comité de direction de la Bourse de New York… Il consacre d’ailleurs un livre à cet événement (que je n’ai pas lu) : « 2008, l’année du Krash », chez De Boek & Larcier.

Il semble qu’un déclic soit apparu à l’occasion de cette crise : « 𝑃𝑎𝑠𝑠𝑎𝑔𝑒𝑟𝑠 𝑐𝑙𝑎𝑛𝑑𝑒𝑠𝑡𝑖𝑛𝑠 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑣𝑎𝑔𝑢𝑒 𝑛𝑒́𝑜𝑙𝑖𝑏𝑒́𝑟𝑎𝑙𝑒 𝑑𝑒𝑝𝑢𝑖𝑠 𝑞𝑢𝑎𝑟𝑎𝑛𝑡𝑒 𝑎𝑛𝑠, 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑟𝑒́𝑎𝑙𝑖𝑠𝑜𝑛𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑐𝑒 𝑐𝑎𝑝𝑖𝑡𝑎𝑙𝑖𝑠𝑚𝑒 𝑎𝑛𝑔𝑙𝑜-𝑠𝑎𝑥𝑜𝑛 𝑛’𝑒𝑠𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑎𝑡𝑖𝑏𝑙𝑒 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑙𝑒𝑠 𝑒𝑛𝑔𝑎𝑔𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑠 𝑝𝑟𝑜𝑚𝑖𝑠 𝑝𝑎𝑟 𝑛𝑜𝑠 𝑒́𝑡𝑎𝑡𝑠 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑎𝑢𝑥 » (p.41). Dans les pages suivantes, il explique de quoi est faite cette incompatibilité entre néolibéralisme et état social, pour en venir à la conclusion tout cela nous a amené au bord de bouleversements incontrôlés, qui risquent bien de nous tuer, sauf à revenir à la raison : les limites planétaires nous indiquent que nos désirs sont inatteignables…

Il poursuit sur une critique de l’Euro, pas dans sa légitimité, mais bien dans le cadre de sa mise en œuvre : c’eût été une très belle idée, mais « 𝑚𝑎𝑙ℎ𝑒𝑢𝑟𝑒𝑢𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡, 𝑙’𝐸𝑢𝑟𝑜 𝑛𝑒 𝑠’𝑒𝑠𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑎𝑐𝑐𝑜𝑚𝑝𝑎𝑔𝑛𝑒́ 𝑑’𝑢𝑛𝑒 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑖𝑛𝑑𝑢𝑠𝑡𝑟𝑖𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑒𝑢𝑟𝑜𝑝𝑒́𝑒𝑛𝑛𝑒 𝑐𝑜ℎ𝑒́𝑟𝑒𝑛𝑡𝑒, 𝑎𝑢 𝑚𝑜𝑡𝑖𝑓 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑠𝑢𝑝𝑒́𝑟𝑖𝑜𝑟𝑖𝑡𝑒́ 𝑑𝑒́𝑐𝑖𝑠𝑖𝑜𝑛𝑛𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑚𝑎𝑟𝑐ℎ𝑒́𝑠. 𝐶𝑜𝑚𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑢𝑛𝑒 𝑡𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑚𝑦𝑜𝑝𝑖𝑒 𝑎-𝑡-𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑝𝑢 𝑎𝑐𝑐𝑎𝑏𝑙𝑒𝑟 𝑙𝑒𝑠 𝑑𝑖𝑝𝑙𝑜𝑚𝑎𝑡𝑒𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑜𝑛𝑡 𝑛𝑒́𝑔𝑜𝑐𝑖𝑒́ 𝑙𝑎 𝑚𝑜𝑛𝑛𝑎𝑖𝑒 𝑢𝑛𝑖𝑞𝑢𝑒 ? » (p.57).

L’état fut donc « 𝑑𝑒́𝑝𝑜𝑢𝑖𝑙𝑙𝑒́ 𝑑𝑒 𝑠𝑒𝑠 𝑝𝑟𝑒́𝑟𝑜𝑔𝑎𝑡𝑖𝑣𝑒𝑠 𝑑’𝑖𝑛𝑣𝑒𝑠𝑡𝑖𝑠𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑔𝑢𝑖𝑑𝑎𝑔𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑒́𝑐𝑜𝑛𝑜𝑚𝑖𝑒𝑠 » (p.58), mais en plus il a été contraint à des équilibres budgétaires, ce qui a provoqué selon lui un « laminage » des investissements publics, tout cela parce qu’il existe deux sortes de déficits publics (expansionniste et récessif, je vous laisse lire le bouquin pour les détails, Giraud en parle également dans Illusion Financière), qui ont été confondus bien à tort par la pensée néolibérale, et la BCE d’en prendre pour son grade dans la foulée !

Concernant les événements récents en Europe (la guerre en Ukraine), je ne suis pas étonné de lire qu’il considère cela comme un facteur aggravant (et non comme une cause). Il la considère d’ailleurs comme « 𝑢𝑛𝑒 𝑙𝑒𝑛𝑡𝑒 𝑔𝑢𝑒𝑟𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑑𝑒́𝑠𝑒𝑠𝑝𝑜𝑖𝑟 𝑑’𝑢𝑛 𝑚𝑜𝑛𝑑𝑒 𝑞𝑢𝑖 𝑠’𝑒́𝑝𝑢𝑖𝑠𝑒 » (p.62).

Le constat du contexte pour les années qui viennent est sans appel, et parfaitement clairvoyant, je trouve : nous nous dirigeons vers des pénuries d’énergie, une hausse des prix alimentaires, une baisse de pouvoir d’achat, une rancœur sociale croissante, une baisse de compétitivité des entreprises, des faillites, du chômage. L’état devra, obligatoirement, creuser un déficit budgétaire, et la BCE n’aura pas grand pouvoir d’action. Car, souligne-t-il bien à propos, « 𝑙𝑎 𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠𝑠𝑎𝑛𝑐𝑒 𝑟𝑒𝑞𝑢𝑖𝑒𝑟𝑡, 𝑎̀ 𝑐𝑜𝑢𝑟𝑡 𝑡𝑒𝑟𝑚𝑒, 𝑑𝑒 𝑙’𝑒́𝑛𝑒𝑟𝑔𝑖𝑒 […] 𝑎𝑙𝑜𝑟𝑠 𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑓𝑎𝑢𝑡, 𝑒𝑛 𝑚𝑒̂𝑚𝑒 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠, 𝑖𝑚𝑝𝑒́𝑟𝑎𝑡𝑖𝑣𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑟𝑒𝑠𝑡𝑎𝑢𝑟𝑒𝑟 𝑑𝑒𝑠 𝑒́𝑞𝑢𝑖𝑙𝑖𝑏𝑟𝑒𝑠 𝑐𝑙𝑖𝑚𝑎𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑒𝑛𝑣𝑖𝑟𝑜𝑛𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑎𝑢𝑥 » (p.65).

Alors, que faire ? Partir à la reconquête de la démocratie ? Oui, mais elle est menacée par la croissance des inégalités (on le voit d’ailleurs un peu partout, les extrêmes montent en grade ). Pour lui, « 𝑙𝑒 𝑑𝑒́𝑐𝑜𝑢𝑟𝑎𝑔𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑐𝑖𝑣𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑒𝑠𝑡 𝑖𝑛𝑐𝑜𝑛𝑡𝑒𝑠𝑡𝑎𝑏𝑙𝑒 » (p.67). Et d’ajouter « 𝑂𝑟, 𝑙’𝑒́𝑡𝑎𝑡 𝑠𝑡𝑟𝑎𝑡𝑒̀𝑔𝑒 𝑛𝑒 𝑝𝑒𝑢𝑡 𝑟𝑒́𝑠𝑢𝑙𝑡𝑒𝑟 𝑞𝑢𝑒 𝑑’𝑢𝑛 𝑙𝑜𝑛𝑔 𝑝𝑟𝑜𝑐𝑒𝑠𝑠𝑢𝑠 𝑒́𝑙𝑒𝑐𝑡𝑜𝑟𝑎𝑙 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑢𝑙𝑡𝑎𝑡𝑖𝑓, 𝑐𝑎𝑟 𝑖𝑙 𝑓𝑎𝑢𝑡 𝑐𝑜𝑛𝑐𝑖𝑙𝑖𝑒𝑟 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑎𝑔𝑒 𝑒𝑡 𝑗𝑢𝑠𝑡𝑖𝑐𝑒 » (p.68). Comment lui donner tort, mais comment y croire encore… n’a-t-on pas déjà passé la frontière (au moment où j’écris le gouvernement français vient de passer son 11ème 49.3 concernant la réforme des retraites).

𝐓𝐨𝐮𝐬 𝐚𝐭𝐨𝐦𝐢𝐬𝐞́𝐬 ?

Le néolibéralisme anglo-saxon est pointé directement du doigt par l’auteur : « 𝐿𝑒 𝑚𝑜𝑑𝑒̀𝑙𝑒 𝑛𝑒́𝑜𝑙𝑖𝑏𝑒́𝑟𝑎𝑙 𝑒𝑛𝑡𝑟𝑒𝑡𝑖𝑒𝑛𝑡 𝑙’𝑖𝑛𝑡𝑟𝑎𝑛𝑞𝑢𝑖𝑙𝑙𝑖𝑡𝑒́ 𝑚𝑜𝑟𝑎𝑙𝑒 𝑒𝑡 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑒́𝑡𝑎𝑙𝑒 𝑞𝑢𝑒 𝑠𝑒𝑢𝑙𝑒 𝑙𝑎 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑜𝑚𝑚𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑝𝑒𝑢𝑡 𝑎𝑝𝑎𝑖𝑠𝑒𝑟 » (p.69). En effet, il sous-tend que chacun d’entre nous devienne un microcapitaliste, mu par son seul intérêt et sa prospérité individuelle, et donc que la « 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑐𝑖𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑑𝑖𝑠𝑝𝑎𝑟𝑎𝑖̂𝑡 𝑎𝑢 𝑝𝑟𝑜𝑓𝑖𝑡 𝑑’𝑢𝑛 𝑠𝑒𝑢𝑙 𝑑𝑒́𝑠𝑖𝑟 𝑑𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑜𝑚𝑚𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑖𝑛𝑠𝑎𝑡𝑖𝑎𝑏𝑙𝑒 ». Nous serions donc dans une forme d’atomisation des individus, destinés à être une valeur mobilière se fondant dans la logique de marché. Dans ce contexte, « 𝑙’𝑒́𝑡𝑎𝑡 𝑑𝑜𝑖𝑡 𝑟𝑒𝑠𝑡𝑒𝑟 𝑢𝑛 𝑟𝑒𝑝𝑒̀𝑟𝑒, 𝑎𝑣𝑎𝑛𝑡 𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑛𝑒 𝑠𝑜𝑖𝑡 𝑖𝑛𝑠𝑡𝑟𝑢𝑚𝑒𝑛𝑡𝑎𝑙𝑖𝑠𝑒́ 𝑑𝑒 𝑚𝑎𝑛𝑖𝑒̀𝑟𝑒 𝑝𝑜𝑝𝑢𝑙𝑖𝑠𝑡𝑒 » (p.71). Ma question étant, encore une fois : n’est-il pas déjà trop tard ?

𝐔𝐧 𝐚𝐮𝐭𝐫𝐞 𝐫𝐞́𝐜𝐢𝐭 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐩𝐚𝐲𝐞𝐫 𝐧𝐨𝐭𝐫𝐞 𝐝𝐞𝐭𝐭𝐞 𝐞́𝐜𝐨𝐥𝐨𝐠𝐢𝐪𝐮𝐞 ?

De nos jours, la notion de récit est devenue centrale dans beaucoup de discours touchant à la transition, les bascules, les effondrements. Bruno Colmant semble également – même s’il n’appelle pas cela comme ça – en être partisan : pour lui, il faut absolument reformuler un projet de société : nous sommes actuellement dans « 𝑙’𝑒́𝑡𝑎𝑡 𝑠𝑝𝑒𝑐𝑡𝑎𝑐𝑙𝑒, 𝑒𝑡 𝑐𝑒𝑙𝑎 𝑑𝑜𝑖𝑡 𝑐𝑒𝑠𝑠𝑒𝑟 » (p.73), d’autant qu’une lourde contrainte nous tombe dessus : la dette écologique. « 𝑁𝑜𝑢𝑠 𝑎𝑣𝑜𝑛𝑠 𝑖𝑛𝑣𝑒𝑟𝑠𝑒́ 𝑙𝑒 𝑠𝑒𝑛𝑠 𝑑𝑢 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠 𝑒𝑡 𝑙𝑒 𝑓𝑢𝑡𝑢𝑟 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑝𝑟𝑒́𝑠𝑒𝑛𝑡𝑒𝑟𝑎 𝑙𝑒 𝑝𝑟𝑖𝑥 𝑑𝑒 𝑠𝑜𝑛 𝑒𝑚𝑝𝑟𝑢𝑛𝑡. 𝑀𝑜𝑛 𝑖𝑛𝑡𝑢𝑖𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑠𝑡 𝑞𝑢𝑒 𝑛𝑜𝑠 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑒́𝑡𝑒́𝑠 𝑠’𝑖𝑛𝑠𝑐𝑟𝑖𝑣𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑢𝑛𝑒 𝑎𝑚𝑏𝑖𝑣𝑎𝑙𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑠𝑐ℎ𝑖𝑧𝑜𝑝ℎ𝑟𝑒́𝑛𝑖𝑞𝑢𝑒. 𝐸𝑙𝑙𝑒𝑠 𝑎𝑐𝑐𝑒́𝑙𝑒̀𝑟𝑒𝑛𝑡 𝑙𝑒𝑢𝑟𝑠 𝑒𝑚𝑝𝑟𝑢𝑛𝑡𝑠 𝑎𝑢 𝑓𝑢𝑡𝑢𝑟 𝑡𝑜𝑢𝑡 𝑒𝑛 𝑟𝑒𝑠𝑠𝑒𝑛𝑡𝑎𝑛𝑡 𝑎𝑢 𝑓𝑜𝑛𝑑 𝑑’𝑒𝑙𝑙𝑒𝑠-𝑚𝑒̂𝑚𝑒𝑠 𝑙’𝑖𝑚𝑚𝑖𝑛𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑒𝑢𝑟 𝑓𝑖𝑛𝑖𝑡𝑢𝑑𝑒 » (p.73).

Autant dire que le « récit » dominant notre société, le néolibéralisme, a fait son temps, bien malhonnêtement, nous plongeant dans le désarroi face à un défi, une catastrophe imminente : « 𝐋𝐞 𝐜𝐚𝐭𝐚𝐜𝐥𝐲𝐬𝐦𝐞 𝐞𝐧𝐯𝐢𝐫𝐨𝐧𝐧𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭𝐚𝐥 ». Son constat est limpide :« 𝐿’𝑒́𝑐𝑜𝑠𝑝ℎ𝑒̀𝑟𝑒 𝑒𝑠𝑡 𝑑𝑒́𝑠𝑡𝑎𝑏𝑖𝑙𝑖𝑠𝑒́𝑒 𝑝𝑎𝑟 𝑛𝑜𝑠 𝑚𝑜𝑑𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑝𝑟𝑜𝑑𝑢𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛, 𝑑𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑜𝑚𝑚𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑔𝑎𝑠𝑝𝑖𝑙𝑙𝑎𝑔𝑒. 𝐶𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑡𝑎𝑡 𝑒𝑠𝑡 𝑡𝑒𝑟𝑟𝑖𝑓𝑖𝑎𝑛𝑡, 𝑐𝑎𝑟 𝑙’ℎ𝑎𝑏𝑖𝑡𝑎𝑏𝑖𝑙𝑖𝑡𝑒́ 𝑑𝑒 𝑝𝑙𝑎𝑛𝑒̀𝑡𝑒 𝑒𝑠𝑡 𝑒𝑛 𝑗𝑒𝑢. 𝐿𝑎 𝑑𝑒𝑡𝑡𝑒 𝑐𝑙𝑖𝑚𝑎𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑒𝑡 𝑒𝑛𝑣𝑖𝑟𝑜𝑛𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑎𝑙𝑒 𝑑𝑒𝑣𝑖𝑒𝑛𝑡 𝑒𝑥𝑖𝑔𝑖𝑏𝑙𝑒 𝑒𝑡 𝑢𝑛 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑡𝑒 𝑎̀ 𝑟𝑒𝑏𝑜𝑢𝑟𝑠 𝑙𝑒́𝑡ℎ𝑎𝑙 𝑒𝑠𝑡 𝑑𝑜𝑛𝑐 𝑒𝑛𝑔𝑎𝑔𝑒́. 𝐿𝑒 𝑐ℎ𝑎𝑛𝑔𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑐𝑙𝑖𝑚𝑎𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑎𝑛𝑡ℎ𝑟𝑜𝑝𝑖𝑞𝑢𝑒, 𝑐’𝑒𝑠𝑡-𝑎̀-𝑑𝑖𝑟𝑒 𝑐𝑟𝑒́𝑒́ 𝑝𝑎𝑟 𝑙𝑒𝑠 ℎ𝑢𝑚𝑎𝑖𝑛𝑠, 𝑝𝑜𝑢𝑟𝑟𝑎𝑖𝑡 𝑒𝑛𝑡𝑟𝑎𝑖̂𝑛𝑒𝑟 𝑢𝑛 𝑒𝑓𝑓𝑜𝑛𝑑𝑟𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑒́𝑡𝑒́ ℎ𝑢𝑚𝑎𝑖𝑛𝑒 » (p.75).

Mais pourquoi diable tous les économiques n’ont pas encore compris ça !!! Il liste une série de défis qui nous attendent , d’échéances bien connues, pour expliciter l’évidence même : « 𝑖𝑙 𝑒𝑠𝑡 𝑑𝑜𝑛𝑐 𝑠𝑖𝑚𝑝𝑙𝑒 𝑑𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑐𝑙𝑢𝑟𝑒 𝑞𝑢’𝑢𝑛𝑒 𝑒́𝑐𝑜𝑛𝑜𝑚𝑖𝑒 𝑞𝑢𝑖 𝑑𝑖𝑚𝑖𝑛𝑢𝑒 𝑙’𝑒𝑚𝑝𝑟𝑒𝑖𝑛𝑡𝑒 𝑒́𝑐𝑜𝑙𝑜𝑔𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑑𝑒 𝑠𝑒𝑠 𝑚𝑒𝑚𝑏𝑟𝑒𝑠 𝑎𝑢𝑔𝑚𝑒𝑛𝑡𝑒 𝑙𝑒 𝑐𝑎𝑝𝑖𝑡𝑎𝑙 𝑒́𝑐𝑜𝑙𝑜𝑔𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑔𝑒́𝑛𝑒́𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑓𝑢𝑡𝑢𝑟𝑒𝑠 » (p.78), et cela est inatteignable sans une reprise en main étatique ! Certes il aurait pu, comme nombre de ses pairs, parier sur la technologie, mais clairvoyant, il affirme que miser sur ce seul aspect relève de la pensée magique (ouf !).

Il associe l’échec écologique passé et actuel à notre rapport aux valeurs artificielles plutôt qu’à la valeur immatérielle et incalculable de notre environnement :« 𝑁𝑜𝑢𝑠 𝑠𝑜𝑚𝑚𝑒𝑠 𝑟𝑖𝑐ℎ𝑒𝑠 𝑑’𝑢𝑛 𝑠𝑦𝑚𝑏𝑜𝑙𝑒, 𝑚𝑎𝑖𝑠 𝑝𝑎𝑢𝑣𝑟𝑒𝑠 𝑑‘𝑢𝑛𝑒 𝑡𝑒𝑟𝑟𝑒. […] 𝑒́𝑟𝑒𝑖𝑛𝑡𝑒𝑟 𝑢𝑛𝑒 𝑛𝑎𝑡𝑢𝑟𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑟𝑒 𝑢𝑛𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑣𝑒𝑛𝑡𝑖𝑜𝑛, 𝑙𝑎 𝑚𝑜𝑛𝑛𝑎𝑖𝑒, 𝑑𝑜𝑛𝑡 𝑙𝑎 𝑟𝑒́𝑚𝑢𝑛𝑒́𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑠𝑡 𝑢𝑛 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑑𝑒𝑣𝑟𝑎𝑖𝑡 𝑒̂𝑡𝑟𝑒 𝑔𝑟𝑎𝑡𝑢𝑖𝑡, 𝑒𝑡 𝑑𝑜𝑛𝑐 𝑢𝑛 𝑒́𝑐ℎ𝑒𝑐 𝑎𝑏𝑦𝑠𝑠𝑎𝑙 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑒𝑛𝑠𝑒́𝑒 𝑣𝑜𝑖𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑐𝑖𝑣𝑖𝑙𝑖𝑠𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 » (p.84).

Il lance un avertissement clair au monde politique, identique à celui que j’ai souvent entendu expliquer aux élus par Arthur Keller: « 𝐷𝑒𝑠 𝑝𝑜𝑝𝑢𝑙𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑝𝑜𝑢𝑟𝑟𝑎𝑖𝑒𝑛𝑡 𝑠𝑒 𝑟𝑒𝑡𝑜𝑢𝑟𝑛𝑒𝑟 𝑣𝑖𝑜𝑙𝑒𝑚𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑟𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝐸𝑡𝑎𝑡𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑛’𝑎𝑢𝑟𝑜𝑛𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑒́𝑡𝑒́ 𝑠𝑢𝑓𝑓𝑖𝑠𝑎𝑚𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑣𝑖𝑠𝑖𝑜𝑛𝑛𝑎𝑖𝑟𝑒𝑠 ». Et un nouvel aveu survient : il n’est plus possible, comme il l’a cru trop longtemps, de dissocier économie et écologie (séparation pourtant bien ancrée dans les théories économiques au moins depuis Jean-Baptiste Say), et il n’est pas non plus possible de laisser les marchés se réguler et gérer ce « cataclysme environnemental », car ils ne sont guère outillés pour cela, et ne sont d’ailleurs pas construits dans ce but.

Selon l’auteur, « 𝐼𝑙 𝑠𝑒𝑟𝑎𝑖𝑡 𝑝𝑒𝑢𝑡-𝑒̂𝑡𝑟𝑒 𝑢𝑡𝑖𝑙𝑒 𝑑’𝑖𝑛𝑣𝑒𝑛𝑡𝑒𝑟 𝑢𝑛 𝑛𝑜𝑢𝑣𝑒𝑎𝑢 𝑠𝑦𝑠𝑡𝑒̀𝑚𝑒 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑡𝑎𝑏𝑙𝑒 𝑞𝑢𝑖 𝑖𝑛𝑡𝑒̀𝑔𝑟𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑡𝑟𝑜𝑖𝑠 𝑓𝑎𝑐𝑡𝑒𝑢𝑟𝑠 𝑑𝑒 𝑝𝑟𝑜𝑑𝑢𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛, 𝑎̀ 𝑠𝑎𝑣𝑜𝑖𝑟 𝑙𝑒 𝑐𝑎𝑝𝑖𝑡𝑎𝑙, 𝑙𝑒 𝑡𝑟𝑎𝑣𝑎𝑖𝑙, 𝑒𝑡 𝑙𝑎 𝑛𝑎𝑡𝑢𝑟𝑒 » (p.92). Diantre, comment n’y avons-nous pas pensé avant ? C’est une critique formulée, répétée, martelée par de très nombreux penseurs, écologistes, quelques rares économistes depuis au moins 50 années. Bon, on dit qu’il n’est jamais trop tard, mais pour le coup, j’ai la nette impression que si. Dommage…

D’après moi, il subsiste malgré tout une incohérence chez l’auteur, que j’aurai sans doute l’occasion d’éclaircir lors d’une rencontre : il écrit un raisonnement qui me laisse dubitatif (p.94): 1. Le capitalisme est le seul système économique expansionniste de l’histoire : s’il ne se développe pas, il s’effondre. 2. La lutte contre le changement climatique n’est pas compatible avec une croissance infinie. Je ne comprend dès lors pas comment l’auteur peut se définir comme profondément capitaliste, tout en étant aussi clairvoyant sur les catastrophes qui nous tombent dessus… D’ailleurs, Bruno Colmant parle d’un retour aux communs nécessaire, sous l’égide d’un état stratège bien sûr !

Pour plus de détails sur la question, j’en parle dans ma note de lecture de Gaël Giraud déjà cité plus haut (Illusion Financières), mais également dans ma note de « La tragédie des communs » de Garett Hardin, disponible ici : https://etatdurgence.ch/blog/livres/la-tragedie-des-communs/.

Il parle tout de même de « ligoter l’économie de marché aux contraintes climatiques et environnementales » : bon, à part préparer et pratiquer une décroissance, je ne vois pas comment on va y arriver, et ce n’est pas précisément un concept capitaliste orthodoxe.

D’ailleurs, il y vient :« 𝐹𝑎𝑢𝑡-𝑖𝑙 𝑎𝑙𝑜𝑟𝑠 𝑝𝑙𝑎𝑖𝑑𝑒𝑟 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑙𝑎 𝑑𝑒́𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠𝑠𝑎𝑛𝑐𝑒 ? 𝐿𝑜𝑛𝑔𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠, 𝑗’𝑎𝑖 𝑐𝑜𝑚𝑏𝑎𝑡𝑡𝑢 𝑐𝑒𝑡𝑡𝑒 𝑖𝑑𝑒́𝑒. 𝐴𝑢𝑗𝑜𝑢𝑟𝑑’ℎ𝑢𝑖, 𝑗𝑒 𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠 𝑞𝑢’𝑢𝑛 𝑑𝑒́𝑏𝑎𝑡 𝑐𝑖𝑡𝑜𝑦𝑒𝑛 𝑒𝑠𝑡 𝑛𝑒́𝑐𝑒𝑠𝑠𝑎𝑖𝑟𝑒, 𝑐𝑎𝑟 𝑖𝑙 𝑝𝑒𝑢𝑡 𝑝𝑒𝑢𝑡-𝑒̂𝑡𝑟𝑒 𝑠𝑎𝑢𝑣𝑒𝑟 𝑛𝑜𝑠 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑒́𝑡𝑒́𝑠 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠𝑠𝑎𝑛𝑐𝑒 » (p.100).

Bingo ! Je vous laisse découvrir les 3 voies qu’il identifie pour une décroissance, car ce n’est pas le sujet du livre, sachez qu’il cite tout de même Timothée Parrique de manière plutôt élogieuse. Il n’est cependant pas très optimiste quant à la réalité politique : « 𝑀𝑎𝑖𝑠 𝑗𝑒 𝑐𝑟𝑎𝑖𝑛𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑙’𝑎𝑚𝑏𝑖𝑔𝑢𝑖̈𝑡𝑒́, 𝑣𝑜𝑖𝑟𝑒 𝑙’ℎ𝑦𝑝𝑜𝑐𝑟𝑖𝑠𝑖𝑒, 𝑑𝑒𝑠 𝑡𝑟𝑖𝑏𝑢𝑛𝑠 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑐𝑜𝑛𝑑𝑢𝑖𝑠𝑒 𝑎̀ 𝑝𝑟𝑜𝑚𝑜𝑢𝑣𝑜𝑖𝑟 𝑙𝑎 𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠𝑠𝑎𝑛𝑐𝑒 𝑣𝑒𝑟𝑡𝑒, 𝑠𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑎 𝑑𝑒́𝑓𝑖𝑛𝑖𝑟, 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑒 𝑝𝑟𝑒́𝑡𝑒𝑥𝑡𝑒 𝑎̀ 𝑙’𝑒́𝑣𝑖𝑡𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑑’𝑢𝑛𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑓𝑟𝑜𝑛𝑡𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑎̀ 𝑢𝑛 𝑑𝑒́𝑏𝑎𝑡 𝑐𝑖𝑡𝑜𝑦𝑒𝑛 » (p.101).

Je trouve que c’est tout à fait ça : le monde politique, à quelques exceptions près bien entendu, a trop d’intérêts dans le système actuel que pour fournir l’effort nécessaire à le remettre en question. Il n’est pas outillé pour cela, et ne désire sans doute pas s’outiller (c’est mon avis personnel, pas celui de l’auteur).

𝐈𝐥 𝐲 𝐚 𝐜𝐚𝐩𝐢𝐭𝐚𝐥𝐢𝐬𝐦𝐞 𝐞𝐭 𝐜𝐚𝐩𝐢𝐭𝐚𝐥𝐢𝐬𝐦𝐞 ?

Selon Bruno Colmant, il n’y a pas un capitalisme unique et monolithique, mais bien des capitalismes, en dehors de ses influences anglo-saxonnes et néolibérales :

• Le capitalisme Rhénan, d’abord, provenant d’Allemagne de l’Ouest : il s’agit de promouvoir un concept d’économie sociale de marché. Puisant dans l’ordolibéralisme, la mission économique de l’état serait de maintenir un cadre normatif permettant la concurrence libre, non faussée entre les entreprises. Ce concept découle aussi de l’école économique de Fribourg, pour laquelle l’état doit créer un cadre institutionnel propice à l’économie et maintenir un niveau sain de concurrence.

• Le modèle scandinave, qui postule la promotion d’un état providence qui soutiendrait le libre-échange.Nous serions donc passés, dans les années 80/90 d’un capitalisme Rhénan à un capitalisme anglo-saxon, et donc d’un capitalisme de partage à un modèle d’accumulation et spéculatif, fondé sur 4 axiomes (il donne la référence de Pierre-Yves Gomez) : l’existence d’une économie de marché, une transparence des marchés, l’alignement des intérêts entre les facteurs de production (travail et capital), et l’efficience des marchés… autant dire que ça ne peut pas fonctionner, les postulats n’étant qu’une expérience de pensée, rien de plus (mon avis personnel encore une fois).

Plus grave encore, cela implique que l’état doive se retirer puisque le secteur privé peut mieux apprécier les choses…

Aujourd’hui, la frontière entre l’état et le marché est devenue plutôt flou : des entreprises sont plus puissantes que les états, et l’état n’est plus qu’une technostructure imbriquée dans le marché, destinée à faciliter l’optimisation de celui-ci.Bruno Colmant en revient donc à l’idée de proposer un autre récit pour les états : un nouveau projet de société partagé, solidaire, dans un cadre moral bienveillant et respectueux des contraintes environnementales. Pour ma part, ok je signe des deux mains, mais il va y avoir un sacré nombre de défis avant d’y parvenir !

𝐅𝐫𝐚𝐜𝐭𝐮𝐫𝐞𝐬.

« 𝐽𝑒 𝑐𝑟𝑎𝑖𝑛𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑒́𝑙𝑖𝑡𝑒𝑠 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑒́𝑐𝑜𝑛𝑜𝑚𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑒𝑚𝑝𝑜𝑟𝑎𝑖𝑛𝑒𝑠 𝑎𝑖𝑒𝑛𝑡, 𝑝𝑎𝑟 𝑐𝑦𝑛𝑖𝑠𝑚𝑒 𝑜𝑢 𝑖𝑛𝑑𝑖𝑓𝑓𝑒́𝑟𝑒𝑛𝑐𝑒, 𝑝𝑒𝑟𝑑𝑢 𝑙’𝑒́𝑐𝑜𝑢𝑡𝑒, 𝑙𝑎 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑟𝑒́ℎ𝑒𝑛𝑠𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑡 𝑙’𝑖𝑛𝑡𝑒𝑟𝑎𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑠𝑢𝑓𝑓𝑖𝑠𝑎𝑛𝑡𝑒 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑢𝑛𝑒 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑜𝑝𝑢𝑙𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛, 𝑝𝑟𝑒́𝑐𝑎𝑟𝑖𝑠𝑒́𝑒 𝑒𝑡 𝑚𝑎𝑟𝑔𝑖𝑛𝑎𝑙𝑖𝑠𝑒́𝑒 𝑠𝑜𝑢𝑠 𝑑𝑖𝑓𝑓𝑒́𝑟𝑒𝑛𝑡𝑠 𝑎𝑛𝑔𝑙𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑑𝑜𝑛𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑟𝑒́𝑎𝑙𝑖𝑡𝑒́𝑠 𝑑𝑒𝑣𝑖𝑒𝑛𝑛𝑒𝑛𝑡 𝑖𝑛𝑎𝑢𝑑𝑖𝑏𝑙𝑒𝑠 » (p.111). Voilà qui résonne pas mal actuellement, au vu de ce que l’on voit dans les différents gouvernements européens et les contestations populaires régulières qui y sont associées…

Pour lui, « 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑎𝑛𝑠 𝑒𝑛𝑡𝑖𝑒𝑟𝑠 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑜𝑝𝑢𝑙𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑣𝑖𝑣𝑒𝑛𝑡 𝑢𝑛 𝑑𝑒́𝑐𝑟𝑜𝑐ℎ𝑎𝑔𝑒 […], 𝑙𝑒𝑠 𝑟𝑒́𝑠𝑒𝑎𝑢𝑥 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑎𝑢𝑥 𝑒𝑛𝑓𝑙𝑒𝑛𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑝𝑢𝑙𝑠𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑛𝑎𝑟𝑐𝑖𝑠𝑠𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑝𝑒𝑟𝑠𝑜𝑛𝑛𝑒𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑑𝑒𝑣𝑖𝑒𝑛𝑛𝑒𝑛𝑡 𝑚𝑎𝑙ℎ𝑒𝑢𝑟𝑒𝑢𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑣𝑖𝑐𝑡𝑖𝑚𝑒𝑠 𝑑’𝑢𝑛𝑒 𝑒́𝑐𝑜𝑛𝑜𝑚𝑖𝑒 𝑖𝑟𝑟𝑎𝑑𝑖𝑎𝑛𝑡𝑒, 𝑚𝑎𝑖𝑠 𝑖𝑛𝑎𝑐𝑐𝑒𝑠𝑠𝑖𝑏𝑙𝑒 » (p.111). Or il parle de déni de cette réalité : « 𝑢𝑛 𝑑𝑒́𝑛𝑖 𝑑𝑒 𝑡𝑜𝑢𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑑𝑒́𝑓𝑖𝑠, 𝑞𝑢𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑞𝑢𝑒 𝑠𝑜𝑖𝑡 𝑙𝑒𝑢𝑟 𝑛𝑎𝑡𝑢𝑟𝑒, 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑒 𝑠𝑖 𝑙𝑒𝑠 𝑔𝑜𝑢𝑣𝑒𝑟𝑛𝑎𝑛𝑡𝑠 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑙𝑎𝑖𝑠𝑠𝑎𝑖𝑒𝑛𝑡 𝑔𝑙𝑖𝑠𝑠𝑒𝑟, 𝑡𝑒𝑙𝑠 𝑑𝑒𝑠 𝑠𝑜𝑚𝑛𝑎𝑚𝑏𝑢𝑙𝑒𝑠, 𝑣𝑒𝑟𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑔𝑟𝑎𝑛𝑑𝑠 𝑝𝑒́𝑟𝑖𝑙𝑠 : 𝑒𝑛𝑣𝑖𝑟𝑜𝑛𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑎𝑙, 𝑒́𝑐𝑜𝑛𝑜𝑚𝑖𝑞𝑢𝑒, 𝑓𝑖𝑛𝑎𝑛𝑐𝑖𝑒𝑟, 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑎𝑙, 𝑚𝑒́𝑑𝑖𝑐𝑎𝑙, 𝑒𝑡𝑐 » (p.112). « 𝑇𝑜𝑢𝑡𝑒 𝑢𝑛𝑒 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑜𝑝𝑢𝑙𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑛’𝑒𝑠𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑐𝑎𝑝𝑎𝑏𝑙𝑒 𝑑𝑒 𝑗𝑜𝑢𝑖𝑟 𝑑’𝑢𝑛𝑒 𝑣𝑖𝑒 𝑑𝑒́𝑐𝑒𝑛𝑡𝑒 ℎ𝑜𝑟𝑠 𝑑𝑢 𝑠𝑢𝑟𝑒𝑛𝑑𝑒𝑡𝑡𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡, 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑟𝑒́𝑐𝑎𝑟𝑖𝑡𝑒́ 𝑜𝑢 𝑚𝑒̂𝑚𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑎𝑢𝑣𝑟𝑒𝑡𝑒́ 𝑠𝑡𝑟𝑢𝑐𝑡𝑢𝑟𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑒𝑡 𝑒𝑚𝑝𝑟𝑖𝑠𝑜𝑛𝑛𝑎𝑛𝑡𝑒 », dit-il p.114.Et cela car nos sociétés, et l’état, ne parvient plus à effectuer correctement le partage des gains de productivité. On le voit d’ailleurs dans nombre d’études récentes : les fruits de la croissance ne profitent plus à grand monde à part les déjà très riches… et ça a été particulièrement le cas pendant et après les confinements où la fortune des plus riches a littéralement explosé !

Bruno Colmant nous offre un joli historique des différents faits politiques et économiques qui se sont succédé (démantèlement des accords de Bretton Woods, le consensus de Washington, le traité de Maastricht et autres) pour conclure d’une jolie manière son chapitre : « 𝐿𝑒 𝑝𝑜𝑢𝑣𝑜𝑖𝑟 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑎 𝑠𝑢𝑏𝑡𝑖𝑙𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑝𝑒𝑟𝑑𝑢 𝑠𝑜𝑛 𝑎𝑡𝑡𝑟𝑖𝑏𝑢𝑡 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑠𝑒 𝑡𝑟𝑎𝑛𝑠𝑓𝑜𝑟𝑚𝑒𝑟 𝑒𝑛 𝑡𝑒𝑐ℎ𝑛𝑜𝑠𝑡𝑟𝑢𝑐𝑡𝑢𝑟𝑒, 𝑞𝑢𝑒 𝑙’𝑜𝑛 𝑑𝑒𝑣𝑟𝑎𝑖𝑡 𝑚𝑒̂𝑚𝑒 𝑞𝑢𝑎𝑙𝑖𝑓𝑖𝑒𝑟 𝑑’𝑒́𝑐𝑜𝑠𝑦𝑠𝑡𝑒̀𝑚𝑒 𝑜𝑝𝑎𝑞𝑢𝑒, 𝑖𝑚𝑏𝑟𝑖𝑞𝑢𝑒́𝑒 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑒 𝑚𝑎𝑟𝑐ℎ𝑒́ 𝑒𝑡 𝑑𝑒𝑠𝑡𝑖𝑛𝑒́𝑒 𝑎̀ 𝑒𝑛 𝑓𝑎𝑐𝑖𝑙𝑖𝑡𝑒𝑟 𝑙𝑎 𝑚𝑢𝑡𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑡 𝑙’𝑜𝑝𝑡𝑖𝑚𝑖𝑠𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑡𝑎𝑛𝑡𝑒𝑠. 𝐿𝑒𝑑𝑖𝑡 𝑚𝑎𝑟𝑐ℎ𝑒́ 𝑑𝑖𝑔𝑒̀𝑟𝑒 𝑑’𝑎𝑢𝑡𝑎𝑛𝑡 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑙𝑎 𝑠𝑝ℎ𝑒̀𝑟𝑒 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑞𝑢𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑝𝑟𝑖𝑛𝑐𝑖𝑝𝑎𝑢𝑥 𝑎𝑡𝑡𝑟𝑖𝑏𝑢𝑡𝑠 𝑑𝑒 𝑙’𝑒́𝑡𝑎𝑡, 𝑎̀ 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑒𝑛𝑐𝑒𝑟 𝑝𝑎𝑟 𝑙𝑎 𝑚𝑜𝑛𝑛𝑎𝑖𝑒, 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑑𝑒́𝑠𝑜𝑟𝑚𝑎𝑖𝑠 𝑠𝑢𝑏𝑜𝑟𝑑𝑜𝑛𝑛𝑒́𝑠 𝑎̀ 𝑢𝑛 𝑜𝑟𝑑𝑟𝑒 𝑚𝑎𝑟𝑐ℎ𝑎𝑛𝑑 𝑠𝑢𝑝𝑒́𝑟𝑖𝑒𝑢𝑟. » (p.120).

S’en suit un court chapitre, sensiblement basé sur les mêmes constats, sur l’affaissement du sentiment européen, qu’il déplore. Là où l’Europe aurait pu être un beau projet de cohésion économique, fiscale, industrielle, monétaire, sociale, elle a été récupérée elle aussi par la sphère néolibérale, la coupant plus encore de l’adhésion des populations. Il fustige ensuite la manière dont l’Euro a été développé, pensé, dépouillant les états de pouvoir de contrôler leurs prix : cette monnaie a été bâtie sur le postulat que les facteurs de production allaient s’ajuster à l’introduction d’un nouvel étalon monétaire. Bien que, selon lui, un retour en arrière serait catastrophique et impensable, il n’y va pas par quatre chemins :« 𝐿𝑒𝑠 𝑟𝑒𝑠𝑝𝑜𝑛𝑠𝑎𝑏𝑙𝑒𝑠 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑜𝑛𝑡 𝑚𝑎𝑙 𝑐𝑟𝑒́𝑒́ 𝑙’𝐸𝑢𝑟𝑜 𝑝𝑜𝑟𝑡𝑒𝑛𝑡 𝑢𝑛𝑒 𝑟𝑒𝑠𝑝𝑜𝑛𝑠𝑎𝑏𝑖𝑙𝑖𝑡𝑒́ 𝑑𝑒𝑣𝑎𝑛𝑡 𝑙’ℎ𝑖𝑠𝑡𝑜𝑖𝑟𝑒 » (p.135).

Il voit une issue favorable tout de même à la condition d’un aboutissement d’une véritable union budgétaire assortie d’une union bancaire (qu’on appelle visiblement le « Saut Fédéral »), et donc un revirement idéologique fondé sur la solidarité (avis personnel : c’est pas demain la veille).

𝐆𝐨𝐮𝐯𝐞𝐫𝐧𝐞𝐫, 𝐜’𝐞𝐬𝐭 𝐩𝐫𝐞́𝐯𝐨𝐢𝐫.

Le monde politique s’en prend, soyons clair, plein la gueule. Pas gratuitement, mais basé sur des constats de dysfonctionnements graves et structurels. Pour Bruno Colmant, nous avons besoin d’ « 𝑒́𝑙𝑒𝑣𝑒𝑟 𝑑𝑒 𝑞𝑢𝑒𝑙𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑎𝑛𝑛𝑒́𝑒𝑠 𝑙’ℎ𝑜𝑟𝑖𝑧𝑜𝑛 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑑𝑒́𝑐𝑖𝑠𝑖𝑜𝑛 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 » et de l’ouvrir à « 𝑙’𝑎𝑝𝑝𝑜𝑟𝑡 𝑎𝑐𝑎𝑑𝑒́𝑚𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑒𝑡 𝑠𝑐𝑖𝑒𝑛𝑡𝑖𝑓𝑖𝑞𝑢𝑒 ». En fait il s’agit surtout de « 𝑟𝑒𝑠𝑡𝑎𝑢𝑟𝑒𝑟 𝑙𝑒 𝑐𝑢𝑙𝑡𝑒 𝑑𝑒 𝑙’𝑖𝑛𝑡𝑒́𝑟𝑒̂𝑡 𝑐𝑜𝑙𝑙𝑒𝑐𝑡𝑖𝑓 » (p.139).

Il n’existe selon lui pas de chemin bien défini, mais d’avoir comme principe directeur de « 𝑠𝑢𝑏𝑜𝑟𝑑𝑜𝑛𝑛𝑒𝑟 𝑡𝑜𝑢𝑡𝑒 𝑎𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑎̀ 𝑙’𝑖𝑛𝑡𝑒𝑙𝑙𝑖𝑔𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑑𝑢 𝑑𝑖𝑎𝑙𝑜𝑔𝑢𝑒 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑣𝑖𝑠𝑖𝑜𝑛 » (p.139 toujours).

Mon avis perso : autant dire qu’il faut alors enlever des téléphones de nos élus non seulement le controversé TikTok mais l’ensemble des réseaux sociaux de toute urgence (vous vous souvenez, la politique spectacle qui doit cesser vite, voir plus haut). Il donne quelques exemples d’états stratèges, montrant qu’ils sont devenus moins vulnérables (sans être immunisés) aux forces du marché.

Mais il va plus loin que ça :« 𝑅𝑒́𝑡𝑟𝑜𝑠𝑝𝑒𝑐𝑡𝑖𝑣𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡, 𝑖𝑙 𝑛’𝑦 𝑎 𝑞𝑢’𝑢𝑛𝑒 𝑚𝑒́𝑑𝑖𝑜𝑐𝑟𝑒 𝑐𝑜𝑟𝑟𝑒́𝑙𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑛𝑡𝑟𝑒 𝑙’𝑎𝑐𝑐𝑒́𝑙𝑒́𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒́𝑐𝑜𝑛𝑜𝑚𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑑’𝑢𝑛 𝑝𝑎𝑦𝑠 𝑒𝑡 𝑙’𝑎𝑑𝑜𝑝𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑’𝑢𝑛 𝑚𝑜𝑑𝑒̀𝑙𝑒 𝑛𝑒́𝑜𝑙𝑖𝑏𝑒́𝑟𝑎𝑙. 𝐶’𝑒𝑠𝑡 𝑙’𝑢𝑛𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑚𝑢𝑙𝑡𝑖𝑝𝑙𝑒𝑠 𝑟𝑎𝑖𝑠𝑜𝑛𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑚𝑒 𝑝𝑜𝑢𝑠𝑠𝑒𝑛𝑡 𝑎̀ 𝑢𝑛 𝑠𝑐𝑒𝑝𝑡𝑖𝑐𝑖𝑠𝑚𝑒 𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠𝑠𝑎𝑛𝑡 𝑞𝑢𝑎𝑛𝑡 𝑎̀ 𝑙𝑎 𝑟𝑒́𝑢𝑠𝑠𝑖𝑡𝑒 𝑑𝑢 𝑛𝑒́𝑜𝑙𝑖𝑏𝑒́𝑟𝑎𝑙𝑖𝑠𝑚𝑒 𝑎𝑛𝑔𝑙𝑜-𝑠𝑎𝑥𝑜𝑛 » (p.142).

𝐀𝐥𝐨𝐫𝐬, 𝐨𝐧 𝐟𝐚𝐢𝐭 𝐪𝐮𝐨𝐢 ? 𝐐𝐮𝐞𝐥𝐥𝐞𝐬 𝐩𝐫𝐨𝐩𝐨𝐬𝐢𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬 𝐜𝐨𝐧𝐜𝐫𝐞̀𝐭𝐞𝐬 ?

J’ai toujours été embarrassé par les bouquins qui fustigent ceci, cela, puis laissent le lecteur hébété, sans aucune piste. C’est juste pas constructif, ça rajoute de l’angoisse à l’angoisse, laissant entendre qu’il n’y a rien à proposer, ou au pire que c’est au lecteur – souvent bien désarmé – de trouver des solutions. Bruno Colmant formule des propositions, des pistes de réflexions. Certes, quelques-unes sont plus une expérience de pensée, un arc-en-ciel rempli de licornes rieuses (et il en faut : la formulation de nouveaux récits passe aussi par là), mais néanmoins il se plie à l’exercice !

Je vous livre, pêle-mêle, les éléments évoqués : chacun jugera de la pertinence ou de la faisabilité de ses propositions. Remarquez qu’il n’assène jamais d’alternative comme étant une solution magique : il propose au débat, et c’est le genre de chose que j’aime…

j’ai déjà lu des bouquins où les auteurs prétendent savoir ce qu’il faut faire, et c’est catastrophique : souvent technosolutionniste, ou totalement hors-sol. Je ne vous donne même pas les noms.

Mais Bruno Colmant n’est pas de ceux-là, il est cohérent avec son discours et soumet ses idées au débat public. J’ai trouvé pas mal de propositions assez révolutionnaires de la part d’un économiste influent, ayant pignon sur rue ! Et pour ça, je lui dis MERCI !

• L’état ne peut plus abandonner sans contrôle ses attributs régaliens (normes, monnaie, …) au profit d’une économie de marché.• Nous devons entrer dans une ère de démocratie participative, voire mieux : délibérative !

• L’éthique doit revenir au centre des intérêts. Elle a été réduite à la sphère privée (avec les dérives sur les réseaux sociaux qu’on connaît).

• DU LOURD, p.145 : « 𝑗𝑒 𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑙𝑎 𝑡𝑟𝑎𝑛𝑠𝑖𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑛𝑣𝑖𝑟𝑜𝑛𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑎𝑙𝑒 𝑣𝑎 𝑝𝑎𝑠𝑠𝑒𝑟 𝑝𝑎𝑟 𝑢𝑛 𝑟𝑒𝑛𝑜𝑛𝑐𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑎̀ 𝑢𝑛𝑒 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒 𝑑𝑢 𝑟𝑒𝑛𝑑𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑢 𝑐𝑎𝑝𝑖𝑡𝑎𝑙, 𝑒𝑡 𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑓𝑎𝑢𝑑𝑟𝑎, 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑢𝑛 𝑝𝑟𝑒𝑚𝑖𝑒𝑟 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠, 𝑞𝑢𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑒𝑛𝑡𝑟𝑒𝑝𝑟𝑖𝑠𝑒𝑠 𝑠𝑜𝑖𝑒𝑛𝑡 𝑑’𝑎𝑢𝑡𝑜𝑟𝑖𝑡𝑒́ 𝑑𝑒́𝑝𝑜𝑠𝑠𝑒́𝑑𝑒́𝑒𝑠 𝑑’𝑢𝑛𝑒 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑒𝑢𝑟𝑠 𝑝𝑟𝑜𝑓𝑖𝑡𝑠 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑓𝑖𝑛𝑎𝑛𝑐𝑒𝑟 𝑙𝑒𝑠 𝑎𝑑𝑎𝑝𝑡𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑒́𝑡𝑎𝑙𝑒𝑠 ».

• Il faut partager les gains de productivité entre les 3 facteurs de production : capital, travail, nature.

• Internaliser de manière autoritaire les externalités négatives (pollutions, destructions, épuisement du capital de départ) dans les coûts de production des biens et des services (ce qui pose d’après moi des problèmes d’équité d’accès et de « pouvoir d’achat », car les prix vont monter, c’est évident).

• Faire émerger les communs (enfin ! il cite Giraud !).

• Considérer le protectionnisme au niveau Européen.• Avancer dans la souveraineté énergétique (bon, la commission en cours chez nos amis français montre bien que ça n’a pas été le cas depuis longtemps, et qu’on n’est pas prêt d’y revenir 😛).

Note importante sur l’énergie : à l’instar de Vincent Mignerot et bien d’autres, Bruno Colmant semble convaincu d’une chose qui me semble essentielle : « 𝐽𝑒 𝑛𝑒 𝑐𝑟𝑜𝑖𝑠 𝑝𝑎𝑠 𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑠𝑜𝑖𝑡 𝑟𝑎𝑖𝑠𝑜𝑛𝑛𝑎𝑏𝑙𝑒 𝑑’𝑒𝑛𝑣𝑖𝑠𝑎𝑔𝑒𝑟 100% 𝑑’𝑒́𝑛𝑒𝑟𝑔𝑖𝑒𝑠 𝑟𝑒𝑛𝑜𝑢𝑣𝑒𝑙𝑎𝑏𝑙𝑒𝑠 𝑎𝑣𝑎𝑛𝑡 𝑑𝑒𝑢𝑥 𝑔𝑒́𝑛𝑒́𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛𝑠. 𝐸𝑛 𝑙’𝑒́𝑡𝑎𝑡 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑠𝑖𝑡𝑢𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛, 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑒𝑚𝑝𝑜𝑟𝑎𝑖𝑛𝑒, 𝑙’𝑖𝑛𝑣𝑒𝑠𝑡𝑖𝑠𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑑𝑒𝑠 𝑒́𝑛𝑒𝑟𝑔𝑖𝑒𝑠 𝑟𝑒𝑛𝑜𝑢𝑣𝑒𝑙𝑎𝑏𝑙𝑒𝑠 𝑖𝑛𝑡𝑒𝑟𝑚𝑖𝑡𝑡𝑒𝑛𝑡𝑒𝑠 𝑐𝑜𝑛𝑑𝑢𝑖𝑡 𝑎̀ 𝑢𝑛 𝑟𝑒𝑐𝑜𝑢𝑟𝑠 𝑎𝑐𝑐𝑟𝑢 𝑎̀ 𝑑𝑒𝑠 𝑒́𝑛𝑒𝑟𝑔𝑖𝑒𝑠 𝑓𝑜𝑠𝑠𝑖𝑙𝑒𝑠 𝑙𝑜𝑟𝑠𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑛’𝑦 𝑎 𝑝𝑎𝑠 𝑠𝑢𝑓𝑓𝑖𝑠𝑎𝑚𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑒 𝑣𝑒𝑛𝑡 𝑜𝑢 𝑑𝑒 𝑆𝑜𝑙𝑒𝑖𝑙. 𝐸𝑡 𝑡𝑜𝑢𝑡𝑒𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑒́𝑡𝑢𝑑𝑒𝑠 𝑖𝑛𝑑𝑖𝑞𝑢𝑒𝑛𝑡 𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑒𝑠𝑡 𝑎𝑐𝑡𝑢𝑒𝑙𝑙𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑖𝑚𝑝𝑜𝑠𝑠𝑖𝑏𝑙𝑒 𝑑𝑒 𝑟𝑒𝑛𝑐𝑜𝑛𝑡𝑟𝑒𝑟 𝑙𝑒𝑠 𝑏𝑒𝑠𝑜𝑖𝑛𝑠 𝑑’𝑒́𝑛𝑒𝑟𝑔𝑖𝑒 𝑢𝑛𝑖𝑞𝑢𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑝𝑎𝑟 𝑑𝑒𝑠 𝑠𝑜𝑢𝑟𝑐𝑒𝑠 𝑟𝑒𝑛𝑜𝑢𝑣𝑒𝑙𝑎𝑏𝑙𝑒𝑠 » (p.148-149).

• Il faut un état qui ne soit plus capturé par la particratie, dissociée de toute écoute de la population.

• Sortir de la logique des intérêts comparatifs (Ricardo) : redévelopper des compétences domestiques.

• Dompter l’économie numérique (la rendre maitrisable) : au lieu d’essayer de taxer les géants du web, exiger des compensations industrielles en terme d’emploi et de financement des infrastructures qu’elles utilisent (routes, réseau électrique, services postaux, …)

• Un redéploiement de l’enseignement, y compris en formation continue.• Ressusciter un appétit d’entreprendre dans le cadre d’une méritocratie solidaire.

• Revaloriser les salaires les plus bas, surtout dans les services à la personne et le non marchand.• Imaginer un impôt dont la justice et l’équité entrainent le consentement : égalité, certitude, commodité, économie (Adam Smith). Conditionner l’impôt à l’empreinte climatique et environnementale.

• Démarchandiser les services publics essentiels.

• Evoluer vers un capitalisme de coordination proche du modèle Rhénan (voir plus haut).

D’autres possibilités lui posent encore questions :

• Taxer le capital et les plus-values

• Etudier les possibilités et bénéfices d’une allocation universelle.

Quoi qu’il en soit de tout cela, il y a un préalable : « 𝑖𝑙 𝑓𝑎𝑢𝑡 𝑟𝑒𝑠𝑡𝑎𝑢𝑟𝑒𝑟 𝑛𝑜𝑠 𝑑𝑒́𝑚𝑜𝑐𝑟𝑎𝑡𝑖𝑒𝑠 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑒 𝑠𝑒𝑛𝑠 𝑑’𝑢𝑛𝑒 𝑒́𝑐𝑜𝑢𝑡𝑒 𝑐𝑜𝑙𝑙𝑒𝑐𝑡𝑖𝑣𝑒 𝑞𝑢𝑖 𝑝𝑒𝑟𝑚𝑒𝑡𝑡𝑒 𝑑𝑒 𝑓𝑜𝑟𝑚𝑢𝑙𝑒𝑟 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑟𝑜𝑗𝑒𝑡𝑠 𝑑𝑒 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑒́𝑡𝑒́. 𝐿𝑒 𝑑𝑒́𝑓𝑖𝑐𝑖𝑡 𝑑𝑒 𝑑𝑒́𝑚𝑜𝑐𝑟𝑎𝑡𝑖𝑒, 𝑝𝑟𝑒́𝑎𝑙𝑎𝑏𝑙𝑒 𝑎̀ 𝑙’𝑖𝑛𝑠𝑡𝑎𝑢𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑’𝑢𝑛 𝑒́𝑡𝑎𝑡 𝑠𝑡𝑟𝑎𝑡𝑒̀𝑔𝑒, 𝑝𝑜𝑟𝑡𝑒 𝑒𝑛 𝑙𝑢𝑖 𝑢𝑛 𝑎𝑣𝑒𝑟𝑡𝑖𝑠𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 » (p.171).

𝐂𝐨𝐧𝐜𝐥𝐮𝐬𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐞 𝐁𝐫𝐮𝐧𝐨 𝐂𝐨𝐥𝐦𝐚𝐧𝐭.

Y’a pas photo, pas besoin de paraphraser, je vous mets quelques phrases :

• « 𝑁𝑜𝑠 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠 𝑟𝑒́𝑣𝑒̀𝑙𝑒𝑛𝑡 𝑙𝑎 𝑓𝑖𝑛 𝑑’𝑢𝑛 𝑚𝑜𝑑𝑒̀𝑙𝑒 » (p.173).

• « 𝑁𝑜𝑢𝑠 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑝𝑟𝑒́𝑐𝑖𝑝𝑖𝑡𝑜𝑛𝑠, 𝑐𝑎𝑟 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑛𝑒 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑟𝑒𝑛𝑜𝑛𝑠 𝑝𝑎𝑠 𝑙𝑎 𝑠𝑦𝑠𝑡𝑒́𝑚𝑎𝑡𝑖𝑐𝑖𝑡𝑒́ 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑟𝑜𝑏𝑙𝑒̀𝑚𝑒𝑠 » (p.174), au sens « systémique ».

• « 𝐿𝑒 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑒𝑠𝑡 𝑑𝑜𝑛𝑐 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑡𝑒́ 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑟𝑒́𝑒𝑛𝑔𝑎𝑔𝑒𝑟 𝑙𝑒𝑠 𝑐𝑖𝑡𝑜𝑦𝑒𝑛𝑠 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑢𝑛 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑟𝑎𝑡 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑎𝑙 𝑒𝑡 𝑒𝑛𝑣𝑖𝑟𝑜𝑛𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑎𝑙 𝑠𝑜𝑙𝑖𝑑𝑎𝑖𝑟𝑒, 𝑐𝑎𝑟 𝑐𝑒 𝑞𝑢𝑖 𝑒𝑠𝑡 𝑒𝑛 𝑗𝑒𝑢, 𝑐’𝑒𝑠𝑡 𝑙𝑎 𝑝𝑎𝑖𝑥 𝑒𝑡 𝑙𝑎 𝑏𝑖𝑒𝑛𝑣𝑒𝑖𝑙𝑙𝑎𝑛𝑐𝑒 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑎𝑙𝑒𝑠, 𝑒𝑡 𝑏𝑖𝑒𝑛 𝑠𝑢̂𝑟 𝑛𝑜𝑠 𝑑𝑒𝑠𝑐𝑒𝑛𝑑𝑎𝑛𝑡𝑠 » (p.175).

• « 𝑁𝑜𝑠 𝑔𝑜𝑢𝑣𝑒𝑟𝑛𝑎𝑛𝑡𝑠 𝑑𝑜𝑖𝑣𝑒𝑛𝑡 𝑒́𝑐𝑜𝑢𝑡𝑒𝑟 𝑙𝑒𝑠 𝑝𝑙𝑎𝑖𝑛𝑡𝑒𝑠 𝑝𝑜𝑝𝑢𝑙𝑎𝑖𝑟𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑎𝑔𝑖𝑟 𝑑𝑒 𝑚𝑎𝑛𝑖𝑒̀𝑟𝑒 𝑎𝑝𝑎𝑖𝑠𝑎𝑛𝑡𝑒 𝑝𝑙𝑢𝑡𝑜̂𝑡 𝑞𝑢𝑒 𝑑𝑒 𝑠’𝑒́𝑡𝑜𝑢𝑟𝑑𝑖𝑟 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑑𝑒𝑠 𝑡𝑜𝑢𝑟𝑏𝑖𝑙𝑙𝑜𝑛𝑠 𝑚𝑒́𝑑𝑖𝑎𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑛𝑎𝑟𝑐𝑖𝑠𝑠𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑐𝑎𝑐𝑜𝑝ℎ𝑜𝑛𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 » (p.175).

• Il nous faut « 𝑟𝑒́𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑟 𝑎𝑢𝑡𝑟𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑙𝑒 𝑝𝑜𝑢𝑣𝑜𝑖𝑟, 𝑙𝑒𝑠 𝑟𝑒𝑠𝑠𝑜𝑢𝑟𝑐𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑟𝑒𝑓𝑜𝑛𝑑𝑒𝑟 𝑙𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑟𝑎𝑡 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑎𝑙, 𝑟𝑒𝑛𝑓𝑜𝑟𝑐𝑒𝑟 𝑙𝑎 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑐𝑖𝑝𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑒𝑠 𝑗𝑒𝑢𝑛𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑝𝑟𝑒𝑛𝑑𝑟𝑒 𝑒𝑛 𝑐𝑜𝑚𝑝𝑡𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑔𝑒́𝑛𝑒́𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑓𝑢𝑡𝑢𝑟𝑒𝑠 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑑𝑒́𝑐𝑖𝑠𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠, 𝑒𝑡 𝑓𝑜𝑢𝑟𝑛𝑖𝑟 𝑑’𝑎𝑣𝑎𝑛𝑡𝑎𝑔𝑒 𝑑’𝑖𝑛𝑣𝑒𝑠𝑡𝑖𝑠𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑠 𝑝𝑢𝑏𝑙𝑖𝑐𝑠 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑚𝑖𝑒𝑢𝑥 𝑔𝑒́𝑟𝑒𝑟 𝑙𝑒𝑠 𝑐ℎ𝑜𝑐𝑠 𝑒𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑐𝑟𝑖𝑠𝑒𝑠 𝑚𝑜𝑛𝑑𝑖𝑎𝑙𝑒𝑠 » (p.176).• Remettre au centre de tout « 𝑙𝑒 𝑐𝑢𝑙𝑡𝑒 𝑑𝑒 𝑙’𝑖𝑛𝑡𝑒́𝑟𝑒̂𝑡 𝑔𝑒́𝑛𝑒́𝑟𝑎𝑙 » (p.176).

• « 𝐼𝑙 𝑓𝑎𝑢𝑡 𝑞𝑢’𝑎𝑢 𝑟𝑖𝑠𝑞𝑢𝑒 𝑑𝑒 𝑙’𝑖𝑚𝑝𝑜𝑝𝑢𝑙𝑎𝑟𝑖𝑡𝑒́, 𝑙𝑒𝑠 𝑑𝑖𝑟𝑖𝑔𝑒𝑎𝑛𝑡𝑠 𝑑𝑒́𝑚𝑜𝑐𝑟𝑎𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑒́𝑙𝑢𝑠 𝑟𝑒𝑙𝑒̀𝑣𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑒 𝑝𝑙𝑢𝑠𝑖𝑒𝑢𝑟𝑠 𝑎𝑛𝑛𝑒́𝑒𝑠 𝑙𝑒𝑢𝑟 𝑣𝑖𝑠𝑖𝑜𝑛 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 » (p.177).

• « 𝐼𝑙 𝑓𝑎𝑢𝑡 𝑎𝑢𝑠𝑠𝑖 𝑞𝑢𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑡𝑒𝑛𝑒𝑢𝑟𝑠 𝑑𝑒 𝑙𝑒́𝑔𝑖𝑡𝑖𝑚𝑖𝑡𝑒́𝑠 𝑐𝑖𝑡𝑜𝑦𝑒𝑛𝑛𝑒𝑠 […] 𝑝𝑜𝑟𝑡𝑒𝑛𝑡 𝑙𝑎 𝑣𝑜𝑖𝑥 𝑑𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑡𝑟𝑢𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛𝑠 ℎ𝑢𝑚𝑎𝑛𝑖𝑠𝑡𝑒𝑠. 𝐿𝑒𝑢𝑟 𝑠𝑖𝑙𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑠𝑒𝑟𝑎𝑖𝑡 𝑐𝑜𝑢𝑝𝑎𝑏𝑙𝑒 𝑒𝑡 𝑙𝑒 𝑝𝑖𝑒̀𝑔𝑒 𝑑𝑒 𝑙’ℎ𝑖𝑠𝑡𝑜𝑖𝑟𝑒, 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑒 𝑒𝑛 1937 » (p.177).

Pour terminer, et souligner le sens de la formule de l’auteur, je vous laisse avec quelques-uns de ses derniers mots, que je partage, et qui rejoint la plupart des conclusions de mes notes de lectures (p.178) :

« 𝐶’𝑒𝑠𝑡 𝑙𝑎 𝑓𝑖𝑛 𝑑’𝑢𝑛 𝑚𝑜𝑑𝑒̀𝑙𝑒. 𝐶’𝑒𝑠𝑡 𝑢𝑛 𝑐ℎ𝑜𝑐 𝑑𝑒 𝑐𝑖𝑣𝑖𝑙𝑖𝑠𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛. 𝑈𝑛𝑒 𝑏𝑟𝑖𝑠𝑢𝑟𝑒. 𝑁𝑜𝑡𝑟𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑓𝑜𝑟𝑡 𝑒́𝑡𝑎𝑖𝑡 𝑒𝑛 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒 𝑖𝑛𝑑𝑢. 𝑁𝑜𝑠 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑐𝑒𝑢𝑥 𝑑’𝑢𝑛 𝑏𝑜𝑢𝑙𝑒𝑣𝑒𝑟𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑠𝑡𝑟𝑢𝑐𝑡𝑢𝑟𝑒𝑙. […] 𝐿𝑒 𝑛𝑒́𝑜𝑙𝑖𝑏𝑒́𝑟𝑎𝑙𝑖𝑠𝑚𝑒 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑎 𝑎𝑛𝑒𝑠𝑡ℎ𝑒́𝑠𝑖𝑒́𝑠 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑒 𝑚𝑒𝑛𝑠𝑜𝑛𝑔𝑒 𝑑𝑢 𝑝𝑟𝑜𝑔𝑟𝑒̀𝑠 […] 𝐽𝑒 𝑛𝑒 𝑣𝑎𝑖𝑠 𝑝𝑎𝑠 𝑟𝑒𝑠𝑡𝑒𝑟 𝑎𝑠𝑠𝑖𝑠. 𝑁𝑜𝑢𝑠 𝑛’𝑎𝑙𝑙𝑜𝑛𝑠 𝑝𝑎𝑠 𝑟𝑒𝑠𝑡𝑒𝑟 𝑎𝑠𝑠𝑖𝑠 ».


𝗣𝗼𝘂𝗿 𝗮𝗹𝗹𝗲𝗿 𝗽𝗹𝘂𝘀 𝗹𝗼𝗶𝗻, 𝗾𝘂𝗲𝗹𝗾𝘂𝗲𝘀 𝗰𝗼𝗻𝘀𝗲𝗶𝗹𝘀 𝗹𝗲𝗰𝘁𝘂𝗿𝗲 :

– « Au cœur de la Monnaie, Systèmes monétaires, inconscient collectif, archétypes et tabous », Bernard Lietaer, 2011, éditions Yves Michel.- « Halte à la toute-puissance des banques », Bernard Lietaer, 2012, éditions Odile Jacob.

– « La Tragédie des Communs », Garrett Hardin, 2018, PUF (ma note de lecture ici : https://etatdurgence.ch/…/chro…/la-tragedie-des-communs/).

– « Illusion Financière, des subprimes à la transition écologique », Gaël Giraud, 2012, éditions de l’atelier (ma note de lecture ici : https://etatdurgence.ch/blog/livres/illusion-financiere/).

– « Les conséquences du capitalisme, du mécontentement à la résistance », Noam Chomsky & Marv Waterstone, 2021, Luxediteur, collection Futur Proche (ma note de lecture ici : https://etatdurgence.ch/…/les-consequences-du-capitalisme/).

– « Les 5 stades de l’Effondrement, manuel du survivant », Dimitry Orlov, 2013, Culture & Racines (ma note de lecture ici : https://etatdurgence.ch/…/les-5-stades-de-leffondrement/).


La médecine (générale) du futur

Analyse systémique des enjeux.

Ébauche de réflexions sur les défis auxquels nous faisons face et le chemin que nous pourrions prendre.

David Hercot

19 Janvier 2020

Cet article fait suite à un exposé donné lors du congrès annuel de l’Association des Médecins Généralistes d’Ixelles le 21 septembre 2019. Il a été relu par Jean-Luc Belche et Jean Macq qui n’en portent pas la responsabilité.

Introduction

Lorsque l’on se pose la question de la médecine générale de demain, comme pour toute prévision futuriste, il semble assez logique de partir de la situation actuelle et de tenter d’imaginer les évolutions possibles au vu des éléments de contexte à notre disposition. Quelles sont les forces et difficultés du secteur médical aujourd’hui. Quels sont les grands défis auxquels nous devons faire face dans les années à venir, dans le secteur médical et plus largement dans le monde dans lequel nous vivons. Une fois le décor planté, il est alors possible de spéculer sur les évolutions de la médecine mais cela reste des spéculations.

Dans ce document l’analyse se base sur le modèle, très sommaire, « intrants-processus-résultats » (en anglais input-process-output) décrivant les modèles de production où des intrants vont alimenter un processus pour fournir un certain résultat. Ce modèle est une forte simplification d’un système de santé qui en réalité se comporte comme un système complexe adaptifi. Les résultats et les processus du système influencent les intrants à travers des boucles de rétroaction et les résultats des interventions pour modifier le système sont principalement non linéaire. Il est fait usage du modèle d’analyse du système de santé développé à l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers ii. Le sous-système de santé “médecine générale” étudié ici est une partie du système global de santé. Ils sont en interaction permanente. Pour réaliser ses objectifs, le système de santé a besoin de ressources: des personnes compétentes, des savoirs de l’information et des outils de gestion de l’information, des médicaments et consommables, des infrastructures, des financements. Les intrants se combinent à travers divers processus, par exemple la consultation interpersonnelle, la concertation multidisciplinaire ou la coordination des soinsiii, pour donner des résultats: une amélioration de la santé de la population, une protection sociale et financière, une satisfaction des usagers et des prestataires de soins. A ces quatre objectifs classiques devrait s’ajouter une empreinte environnementale limitée. Ce système évolue dans un certains contexte et est déterminé par un certain nombre de valeurs et de principes explicites ou implicites, plus ou moins universels qui donnent un cadre de ce qui est acceptable. Tous ces blocs sont en interactions permanentes entre eux et avec tous les éléments du système ‘Terre’ et ce de manière non linéaire mais nous laissons ici de côté toutes les boucles de rétroactions et la complexité inhérente.

* environmental footprint

Health System Framework

Dans ce document, il est procédé à l’analyses de ces différentes parties du système de santé, avec un focus sur la médecine générale, en partant des constats actuels avant de tenter d’identifier quelques pistes d’un futur qui se veut compatible avec les limites physiques de notre planète et la (sur)vie du plus grand nombre d’entre nous.

Population

L’âge moyen de la population belge augmenteiv. Bruxelles fait actuellement encore exception avec un âge moyen qui reste stable mais qui devrait lui aussi augmenter d’ici dix ans. Le vieillissement de la population entraine une augmentation des besoins de soins mais également une diminution du rapport entre le nombre de personnes d’âge actif et le nombre de personnes dépendantesv. Cette évolution de l’indice de dépendance de la population a des conséquences sur la capacité de l’état à récolter des recettes tout en augmentant la charge des dépenses, d’autant plus que la fiscalité est encore fortement basée sur le travailvi.

Ce vieillissement de la population s’inscrit dans un contexte social difficile. Si le nombre de chômeurs a diminué ces dernières années, c’est en partie dans un contexte de précarisation de l’emploi et au dépend d’autres catégories de personnes dépendantes, les personnes en invalidité et les personne qui bénéficient d’un revenu de remplacementvii.

De manière générale, au sein des pays de l’OCDE, depuis le baby-boom, les générations qui se succèdent sont en moyenne plus pauvre que les précédentesviii. L’âge et la pauvreté étant deux déterminants puissants de la santé,, les besoins de soins augmentent alors même que les recettes de l’état diminuent.

La progression de l’espérance de vieix se poursuit mais à un rythme moins soutenu en Belgique, le nombre d’années de vie en bonne santé est stable pour les femmes et s’est légèrement amélioré pour les hommesx. Cette espérance de vie est cependant différente selon votre position sociale. L’espérance de vie varie de plusieurs années entre le groupe de personnes avec la position sociale la moins favorable et le groupe le mieux positionnéxi.

D’un point de vue épidémiologique, les cancers sont au coude à coude avec les maladies de l’appareil circulatoire comme cause de décès parmi les femmes et le cancer est maintenant la première cause de mortalité chez les hommesxii. Au fil des dernières enquêtes de santé un accroissement du nombre de personnes porteuses d’une ou plusieurs maladies chroniques et du nombre de personnes présentant des troubles de santé mentale est observé. Le nombre de personnes affectée simultanément par des difficultés dans les trois domaines -socio-économique, de santé mentale et des maladies chroniques – augmente également. L’association de plusieurs maladies et/ou de difficultés sociales aggrave les problèmes par rapport à des situations mono-problématiques et pose des grandes difficultés de prise en chargexiii. La prévalence des maladies dites civilisationnelles (obésité, surpoids, cancers, maladies du système nerveux) augmentexiv. Au niveau de l’étiologie, en plus d’être liée à des comportements néfastes pour la santé, elles sont de plus en plus clairement liées à des polluants dans l’air, la nourriture, l’eau, le milieu dans lequel nous vivons. Au niveau des maladies liées au travail, on observe une augmentation des personnes en invalidité pour des problèmes liés à la santé mentale. Ils sont maintenant la première cause d’invalidités devant les problèmes ostéo-articulairexv reflétant un plus grand mal-être à la fois dans le milieu du travail et dans la société.

Ces différents constats, démographiques et épidémiologiques, nous mènent à conclure que nous faisons et allons faire face à une augmentation des besoins de la population en termes de santé.

Contexte

Au niveau du contexte nous aborderons les enjeux macroéconomiques à l’échelle nationale et internationale, l’impact du dérèglement climatique, la dégradation des écosystèmes et la disparition de la nature particulièrement dans les contextes urbains et la diminution des ressourcesxvi. Le développement du numérique sera lui abordé dans la partie ressource.

Au niveau macroéconomique, une tension croissante s’exerce sur les recettes de l’état et de la sécurité sociale. Outre la pression exercée sur notre économie par les délocalisations et le marché globalisé, les recettes de l’état et de la sécurité sociale restent en grande partie dépendante de l’impôt et des cotisations prélevées sur les salaires. Hors, la part des salaires dans la richesse produite chaque année diminuexvii. Comme mentionné ci-dessus, l’augmentation de l’indice de vieillissement de la population, autrement dit l’augmentation du nombre de personnes pensionnées par rapport aux personnes actives va fortement augmenter en Belgique et en Europe au cours de la prochaine décennie suite au papy-boom. Les recettes, en diminution, doivent donc être redistribuées vers plus de bénéficiaires. D’autres secteurs comme l’éducation, la justice ou les infrastructures (comme les ponts, les tunnels et les égouts) ont également besoin de moyens supplémentaires pour maintenir un service au moins équivalent. Et pourtant, la croissance économique nationale et mondiale, moteur de notre économie, ralenti au point que certains analystes prévoient une stagflation ou même une récession dans les prochaines annéesxviii. En parallèle, la Belgique a mené une politique de réduction des impôts au cours de la dernière législature, le tax shift, pour stimuler la croissance. En l’absence de mesure d’équilibrage suffisant, elle a pour conséquence une augmentation du déficit public. Déficit renforcé par l’absence de gouvernement de plein exercice au cours de l’année 2019 capable de prendre des mesures correctrices. Il va falloir être inventifs et combatifs pour protéger notre modèle de solidarité basé en grande partie sur la sécurité sociale, garant notamment du financement du système de santé et du bien-être des habitants de notre petit pays.

Outre la pression financière au niveau macro sur la sécurité sociale, une pression est ressentie au niveau interne au système de santé. La deuxième ligne de soins (les hôpitaux principalement) est sous financée et sous staffée pour remplir ses missions actuelles. Par vase communicant, c’est tout le système qui est mis sous pression pour prendre en charge les soins qui ne peuvent plus être offerts par la deuxième ligne car « trop couteux ». Ce virage ambulatoirexix souhaité par les autorités impacte la première ligne qui doit s’adapter, modifier son profil de compétences pour prendre en charge des situations plus lourdes sans augmentation significative de ses moyens. Dans un contexte de rareté des moyens, le poids des médicaments innovants et des technologies high-tech visant des améliorations marginales de la santé de la population s’est fort accru ces dernières années au détriment des besoins de financement des fonctions de base des soins de santéxx.

Aux difficultés économiques s’ajoutent les dérèglements climatiques. Selon les projections du GIEC, ceux-ci vont entrainer une augmentation des périodes de sècheresse, d’inondations et du nombre de jours de canicule. Ces dérèglements mettent en danger les récoltes, l’approvisionnement en eau, la santé de millions de personnes à l’échelle mondialexxi, y compris dans notre paysxxii. En parallèle, les scientifiques nous annoncent que la sixième extinction de masse est en coursxxiii. Et il ne s’inquiètent pas des baleines ou des ours blanc qui sont certes en danger mais qui pourraient disparaitre comme d’autres grand mammifères sans nous mettre trop en danger. Ils s’inquiètent plutôt de la disparition de maillons indispensables de notre écosystème comme les insectes et les oiseaux. Un troisième élément qui vient perturber notre écosystème est la raréfaction des ressources, que ce soit le pétrolexxiv, les mineraisxxv, l’eau potablexxvi, le sable de constructionxxvii ou d’autres ressources, nos sociétés en ont tellement prélevées dans l’environnement que celles qui restent deviennent de plus en plus complexe à extraire et donc plus couteuses, au moins pour l’environnementxxviii.

Les ressources ou intrants du système de santé

Pour réaliser leurs objectifs, les soins de santé, et la médecine général en particulier, ont besoin de ressources: des personnes compétentes, des savoirs et de l’information et de plus en plus également des outils de gestion de l’information, des médicaments et consommables, des infrastructures, des financements. Certaines de ces ressources sont déjà sous tension.

Le marché des médicaments est de plus en plus sous tension. La production se concentre dans des centres plus gros et moins couteux et dans un nombre plus réduit de pays et sociétés pharmaceutiques. Le secteur pharmaceutique est un marché globalisé allant au plus offrant et contractant les couts dans les secteurs peu rentables. La plupart des produits bruts sont fabriqués en Chine et en Inde. En 2019 jusqu’à 500 médicaments ont été en rupture de stock plus ou moins temporairexxix dont certains pourtant efficaces et primordiaux mais peu rentablesxxx.

Malgré les promesses de certains producteurs, il n’y a aucune raison de croire que ces pénuries vont se résorberxxxi. La priorité du secteur pharmaceutique, comme beaucoup de secteurs industriels est de faire du profit pour rémunérer les actionnaires, pas de faire de la santé publiquexxxii.

Au niveau des consommables également la concentration et l’optimisation des couts est à l’œuvre au niveau des producteurs. Et du côté des utilisateurs, la question du cout (le prix mais aussi le temps) et de la sécurité prime sur l’éventuel impact environnemental des consommables. A titre d’illustration, il y a quelques années, dans notre pays la stérilisation du matériel était pratiquée pour la plupart des ustensiles de petite chirurgie. Aujourd’hui, des sets de petite chirurgie et de gynécologie entièrement jetables sont utilisés dans les salles d’urgence et les cabinets de consultation. Tout cela génère des montagnes de déchets non recyclable et est soumis à des chaines d’approvisionnement globalisées, hypercomplexes et donc fragiles.

L’e-santé s’est fortement développée ces dernières années. Le dossier médical informatisé et le coffre-fort de données sont des outils largement utilisés dans le secteur médical. Ceux-ci ont montré en 2019 les mêmes faiblesses que les autres consommables : une dépendance à des technologies propriétaires dont les couts augmentent et la stabilité peine à être garantie. Pour les dossiers médicaux informatisés s’y ajoute un souci de rentabilité amenant à des fusions et des situations de monopole que certains tentent de contrecarrer en lançant des initiatives plus collaboratives telles que TOPAZ ou Medispring. A côté de ces services que l’on peut qualifier de basiques dans le domaine des technologies de l’information, certains visionnaires nous promettent des solutions high-tech pour améliorer la médecine de demain dès aujourd’hui. Le Livre de Philippe Coucke, ‘La médecine du futur ces technologies qui nous sauvent déjà’ xxxiii démontre comment ces solutions technologiques pourraient révolutionner la façon de faire de la médecine à l’avenir. Stéthoscope digital, patient ou pilule connectée, exosquelette, … toutes ces innovations sont basées sur les technologies de l’information et donc sur du hardware et du software.

Est-il envisageable que ces technologies deviennent un jour accessibles à tous ceux qui en ont besoin ? Avons-nous assez de minerais pour construire tous ces appareils ? Est-il envisageable à l’instar des médicaments « essentiels » que leur cout ne soit pas un frein à l’accès ? Le cout de ces technologies dépendra de la disponibilité des ressources mais également du modèle de propriété intellectuelle – sera-t-il développé en open source ou sur base de brevets – et de son degré de protection par rapport aux lois du marché.

Le volume des données générées par ces technologies est potentiellement gigantesque. Imaginer le volume de données générées par un patient qui enregistre sa tension, son poids, son humeur, sa prise de médicaments et de repas, sa glycémie,… plusieurs fois par jour. . Pour le médecin il est probable que dans ce modèle high tech, l’intelligence artificielle permette à terme de gérer les flux gigantesques d’information sur chaque patient de manière automatisée et de restituer au soignant une information à la taille de ses capacités cognitives. Mais du point de vue des ressources matérielles, les analyses montrent que la croissance des besoins de stockage et de flux de données seront exponentiels et probablement ingérables dans un contexte ou l’énergie et les minerais sont disponibles en quantités de plus en plus limitées. Si l’on extrapole une croissance des besoins comparable à l’augmentation actuelle, nous allons faire face à des contraintes physiques réelles dans la décennie à venir. D’une part, les besoins en électricité vont exploserxxxiv. Or, aujourd’hui, seul 14% de l’énergie mondiale est produite à partir de renouvelables. Comment imaginer que l’on augmente les besoins en électricité tout en le produisant de manière « renouvelable » et respectueuse du vivant comme le demande les conclusions du GIEC.

D’autre part, les besoins en hardware vont également exploser. Rien ne permet de croire que nous serons capables d’extraire toutes ces quantités de métaux rares, à moins de labourer la terre de fond en comble pour ramener du minerai de moins en moins concentré et donc avec un cout environnemental et financier croissant. Cette fuite en avant laisserait la terre dans un état assez peu compatible avec le vivant.

La disponibilité des Soignants et ici, nous nous concentrons sur les médecins généralistes fait face à un défi majeur à court terme en Belgique et particulièrement en Communauté française. La courbe démographique des médecins généralistes en Belgique et en région bruxelloise montre que 40% des médecins généraliste ont aujourd’hui plus de 55 ans. On observe également que la population de médecins généralistes se féminise. Plus de 80% des jeunes médecins généralistes sont des femmesxxxv. Lorsque nous avons discuté avec un groupe de jeunes médecins bruxellois en 2018, 90% d’entre eux souhaitaient travailler en équipe multidisciplinaire et 80% en groupe. Presque tou-te-s aspirent à un meilleur équilibre vie privée / vie professionnelle que leurs aînésxxxvi. Selon une recherche menée par l’UCL, de l’avis des médecins généralistes, le curriculum n’est pas adapté aux nouvelles pratiques. La médecine générale reste sous valorisée au cours des études de médecine. Elle reste trop souvent un choix par défaut. Le nombre de places en assistanat de médecine générale reste insuffisant par rapport aux besoins. La profession est peu attirante car elle est moins rémunérée qu’une carrière de spécialiste, elle implique une disponibilité en dehors des heures de bureau et comporte une part importante d’administration. La diversité des fonctions exercée par les médecins généralistes dans des structures spécialisées comme l’ONE les Planning Familiaux, la médecine scolaire permet aux médecins de trouver plus de diversité et d’équilibre dans leur pratique mais diminue d’autant le nombre d’équivalents temps plein de médecins généralistes actifsxxxvii. Il est donc probable qu’à l’avenir, il y aura moins de médecins généralistes par habitant et que ceux-ci travailleront majoritairement en groupe. Certains quartiers urbains ou certaines communes rurales sont déjà confrontées à des pénuries locales. Il sera probablement nécessaire de repenser le métier de généraliste et la répartition des compétences entre métiers de la première ligne pour donner plus de place au patient d’abord comme acteur de sa santé et aux autres métiers de la première ligne comme les infirmiers et agents communautaires. Cette réorganisation est liée aux disponibilités de ces autres professions de la première ligne et doit donc être étudiée plus avant. Le travail de planification est important et doit être entrepris plusieurs années à l’avance pour avoir le temps de mettre en œuvre la formation professionnelle adaptée.

Les connaissances sur le corps humain, la psychologie humaine, les maladies et les traitements explosent. Le nombre de publications scientifiques publiées par jour ne cesse d’augmenter dans tous les domaines. Les outils de diagnostic en ligne se développent. De nombreuses spécialités restent très accessibles en premier recours même si ce n’est pas une généralité. Certains spécialistes depuis leur perspective n’hésitent pas à remettre en question la pertinence du généraliste dans leur domaine. Et en effet, le médecin généraliste qui par essence s’intéresse à son patient dans sa globalité ne peut plus suivre le volume d’information. Le savoir universel n’est plus à la portée du cerveau humain. Dans ce contexte, le généraliste peut se sentir sous pression.

Dans le même temps nous faisons face à des patients vivant des situations de plus en plus complexes mêlant différents problèmes dans des contextes sociaux parfois très compliqués. Le médecin généraliste pour répondre aux besoins de la personne doit développer des compétences transversales. Il doit développer une vision des nombreux problèmes de ses patients et de leurs interactions aussi bien dans la sphère organique, psychique que sociale. Il peut y répondre à travers les différents domaines d’intervention à sa disposition : les soins curatifs, la réhabilitation, la prévention, la santé communautaire et le socialxxxviii. Au vu de cette complexité, il ne peut prétendre y répondre seul et doit pour réussir se positionner au sein d’une équipe de soins de santé primaire multidisciplinaire dont la personne aidée est partie intégrante. Cette transversalité n’est pas suffisamment enseignée, valorisée scientifiquement ni même acceptée par de nombreux spécialistes et experts de l’approche verticale orientée maladie qui a longtemps dominé l’organisation des soins.

A l’avenir, pour la gestion du savoir scientifique, il est probable que des mécanismes comme les sociétés scientifiques, les départements universitaires de médecine générale, les efforts de revue de la littérature comme Cochrane, EBMpracticenet ou minerva arrivent à canaliser et digérer l’info pour peu qu’ils reçoivent suffisamment de moyens (scientifiques, logistiques, financiers) pour jouer leur rôle mais pour la combinaison de pathologies inédites ou pour appréhender la complexité de la personne dans son ensemble, la technologie ne pourra pas tout résoudre.

Il faut donc être créatif pour apporter le meilleur soin possible au patient dans son contexte et en fonction de ses attentes. Et là, le médecin généraliste, au sein d’une équipe pluridisciplinaire mettant la personne, et non seulement le patient, au centre, reste irremplaçable.

Organisation de la médecine générale, le processus

Aujourd’hui, nous observons une sous-utilisation de la médecine générale et une croissance du recours direct aux services des urgences sans référence par un médecin, en particulier à Bruxelles. Cela résulte en partie de l’organisation de notre système de soins où l’accès à la médecine spécialisée et aux examens complémentaires est facile pour la majorité de la population. Ce manque de recours à la médecine générale est aussi, en partie, lié à un manque de visibilité et de compréhension par les bénéficiaires de la médecine générale en particulier et de la première ligne en général.

Seulement 10% de l’état de santé d’une population dépend des soins, qu’ils soient de première ou de deuxième ligne. Le reste de la santé est attribué aux conditions de vie et de travail. Pour agir sur ces déterminants puissants de la santé, la promotion de la santé développée depuis les années 1970 vise à soutenir la société et les personnes pour mettre en place une société en bonne santé. Malheureusement, la réalité est que l’on investit beaucoup plus sur les soins curatifs dans notre pays et que peu de moyens sont investis pour construire une société en bonne santé.

Au-delà de ces constats, il y a différents types d’organisations de la pratiques de médecine générale dont voici quelques archétypes :

  • Une médecine générale « entrepreneuriale », « déconventionnée », en cabinet médical, et les urgences de l’hôpital comme « première ligne » pour ceux qui n’ont pas accès à la médecine générale, payée à l’acte
  • Une médecine générale en pratique de groupe ou en « réseau » (mono ou pluridisciplinaire) qui joue le rôle de premier contact accessible à tous avec une bonne permanence
  • Une médecine générale en pratique de groupe au sein d’une équipe de soins primaire avec une logique proactive individuelle et communautaire et payée sur base forfaitaire et territoriale.

Nous ne portons pas de jugement ici sur les différents types d’organisation de pratiques. Le premier modèle est historique et reste largement dominant parmi les générations plus âgées de médecins généralistes. Mais les recherches sur la performance de la médecine et les aspirations des jeunes générations montrent un attrait croissant pour le troisième modèle, des soins de santé primaire, multidisciplinaire organisés localement pour répondre aux besoins de la personne.

Si l’on suit la tendance d’installation des jeunes médecins généralistes, demain les généralistes seront des femmes en pratique de groupe multidisciplinaire, les types 2 et 3. Mais les fonctions plus concrètes remplies par le médecin généraliste sont encore à inventer. Elles dépendront des nouveaux rapports de force au sein des équipes de première ligne, de la distribution des rôles entre citoyens, soins de santé primaire et hôpital et du contexte global dans lequel nous vivrons.

Deux tendances sont régulièrement avancée pour décrire les fonctions que remplira le médecin généraliste demain au sein de l’équipe multidisciplinairexxxix.

D’une part, le médecin généraliste expert de l’approche scientifique et technologique au sein d’un groupe pluridisciplinaire de soins primaires. Le patient est évalué en permanence et son plan de soins optimisé sur base d’algorithmes décisionnels. Il est confié au prestataire le plus adéquat. Le médecin généraliste prend en charge les patients à faible risque et oriente les autres.

D’autre part, le médecin généraliste « expert » de la complexité « bio-psycho-sociale » individuelle et communautaire au centre du système de soins. Le médecin généralistes est un prestataire de proximité faisant partie d’un “système social”. En ce sens il joue un rôle de « traverseur de frontières » et « traducteur de connaissances ». Il contribue au meilleur équilibre entre les buts de vie individuels et le renforcement de la cohésion sociale au sein de la communauté.

L’ensemble de ces blocs contribuent à l’objectif ultime de protéger ou rétablir la santé de la population. Comme décrit tout au long de la discussion, ils ne sont pas à prendre isolément. Tous le système est interrelié à lui-même et au monde extérieur. Tout changement sur un élément peut avoir des répercussions ailleurs dans le système. Les changements sont cependant nécessaires. Dans le chapitre deux, nous abordons une partie des changements possibles et dont les effets devraient être positifs pour la durabilité du système terre, de l’empreinte de l’Humain sur la planète et la survie du système de santé pour peu que ces trois attentes soient compatibles entre elles.

Chapitre 2 : Comment préparer le futur de la médecine et de la médecine générale ?

Pour faire face aux contextes environnementaux, géopolitique, démographique et épidémiologique qui se profile à l’horizon et pour faire face aux enjeux liés aux ressources concernant les médicaments, les consommables, les savoirs, les ressources humaines décrits dans la première partie de cet exposé, les soins de santé primaire ont la capacité d’apporter de nombreuses réponses mais doivent aussi évoluer.

Idéalement ils devraient se redessiner dans un modèle qui permet à la nature qui est notre condition d’existence sur cette terre de garder une place suffisante pour en retour nous permettre d’en vivre, le principe que certains appellent la durabilité forte. Dans l’attente de l’émergence d’un monde plus en phase avec la nature, nous pouvons prendre quelques mesures sans présumer qu’elles seront suffisantes ; il reste à inventer un système de santé qui n’aurait pas recours aux énergies fossiles.

Différentes expériences et évolutions en particulier au sein des soins de santé primaire sont déjà en cours ou en phase d’expérimentation. Elles méritent d’être identifiées et soutenues.

Quelques pistes pour le futur:

Aspects du contexte

  • Evolution du système de taxation pour taxer le capital et la pollution plus fortement relativement au travail.
  • Désinvestir des énergies fossiles toutes les économies des institutions de soins, des médecinsxl, des banques, …
  • Construire la solidarité. Le médecin généraliste, au sein de l’équipe de soins de santé primaire a un rôle a joué ici.
  • Investir dans la cohésion sociale, la protection de l’environnement, la sobriété,
  • Sensibiliser la population aux enjeux et rendre désirables les modèles alternatifs de société, à travers les patients que l’on rencontrexli, dans les congrès mais aussi via la presse, les écoles, les universités les différents lieux de vie. Il serait par exemple possible de multiplier les ambassadeurs du changement.
  • Soutenir l’émergence d’une ville lowtech et d’une économie de la régénérescence environnementale, locale et durablexlii.
  • par notre posture de soignants dont la fonction première est de prévenir la mauvaise santé soutenir la transition vers une société low tech, centrée sur la cohésion sociale « de proximité ».
  • Renouer avec la nature et notre lien à la terre. Construire la sensibilité au monde qui nous entourexliii.
  • Construire un imaginaire collectif d’une société favorable à la santé sur base des modèles de promotion de la santé combinée à des modèles de sortie des énergies fossiles et de retour du lien à la nature comme le concept de durabilité forte où l’environnement précède l’humain qui lui-même précède l’économique : « Il n’y a pas de travail sur une planète morte ».

Aspects des ressources

  • Appliquer à la santé le principe des 4R : refuse, reduce, reuse, recycle.
  • Relocaliser la production, des médicaments et des consommables essentiels
  • Utilisation raisonnée des médicaments, consommables, examens complémentaires
  • Réintroduire la stérilisation, la réutilisation, les préparations magistrales,
  • Recourir au paiement par population de référence, par territoire, par capitation et autres incitants financiers permettant de soigner en fonction des besoins, des objectifs ou des résultats mais pas de l’acte.
  • Utilisation raisonnée des technologies numériques en favorisant le fonctionnement et la stabilité des fonctions essentielles. Penser la sobriété du système et maintenir les alternatives « papier ».
  • Favoriser l’entretien de l’existant et l’innovation sociale et low tech par opposition à la fuite en avant du neuf et de l’innovation high tech.
  • Développer les métiers des soins de santé primaire
  • Développer les modèle de promotion de la santé et de soins s’appuyant sur l’action communautaire.

Aspects organisationnels

  • Réfléchir aux conséquences et aux modalités organisationnelles du virage ambulatoire
  • Réduire le nombre de lits hospitaliers
  • Rééquilibrer le pouvoir et les priorités entre les SSP d’une part et les soins de deuxième ligne et les soins ambulatoires spécialisés d’autre part. Avancer dans la réflexion sur le travail partagé entre médecins, infirmiers, et autres acteurs de la première ligne (Coming… et après). Cela nécessite de modifier les équilibres de pouvoir entre les différents métiers des soins de santé primaire.
  • Renforcer le rôle de point d’accès aux soins de l’équipe de première ligne et le rôle de pivot du médecin généraliste dans la coordination du trajet de soins bio-psycho-social du patient à travers les lignes de soins.
  • Réfléchir à l’organisation de l’accueil des patients en dehors des heures de consultation et à l’équilibre entre renvoi au lendemain, postes de garde, salle d’urgence et gardes à domicile.
  • Promouvoir la relation des personnes avec les prestataires actifs à proximité de leur lieu de vie.
  • Développer le lien entre la pratique de médecine générale et la communauté dans laquelle elle intervient. Pouvoir s’appuyer sur un réseau local de citoyens et de prestataires de l’aide et du soins. Favoriser l’inscription à une équipe de SSP qui est responsable à la fois du soins, de la prévention et de la promotion de la santé.
  • Introduire l’échelonnement. Celui-ci peut compenser une partie des biais du système de deuxième ligne qui tend à s’autoentretenir pour assurer sa survie.
  • Donner plus de place à la promotion et la prévention dans le système de santé
  • Apporter une plus grande attention à la responsabilité sociale du médecin généraliste
  • Donner une meilleure visibilité à l’innovation sociale dans les soins de santé
  • Développer les soins communautaires dans tous les domaines en promotion de la santé, en santé mentale, en revalidation, en maintien à domicile,… .
  • Développer la prévention quaternaire. Voir par exemple la campagne « choosing wisely ».
  • Aborder les questions de la fin de vie et des attentes des patients
  • Tirer les leçons des projets pilotes de soins intégrés et de maintien à domicile en cours ou terminés avec une lecture orientée sur la construction d’un modèle résilient.
  • Rester humble et garder à l’esprit que le système de santé ne contribue que pour 10% de l’état de santé d’une population. Le reste dépend des déterminants de la santé : les conditions de vie, les relations, le sens de la vie, le travail,…

Pour avancer

Différentes initiatives et lieux d’expérimentation et de recherche existent déjà et contribuent à faire émerger le nouveau modèle de société et de soins de santé plus compatible avec la vie sur terre :la chaire de première ligne financée par la Fondation Roi Baudouin Be-Hive, la campagne de prévention quaternaire « Choosing Wisely », Les initiatives de médecins pour le climat et l’environnement, tel que docs for climate, les élections syndicales, le projet fairfin qui vise le désinvestissement des fonds de pension de énergies fossiles, health care without harm europe, wheels of care. Des initiatives en dehors de la santé contribuent à faire advenir un monde vivant et terrestre : Terre en vue, terre de lien, réseau transition, , Observatoire de l’Anthropocène, l’institut momentum, …

Pour conclure

Le modèle théorique des soins de santé primaire a déjà été validé depuis la conférence d’Alma Ata en 1976, A peine quatre ans après le rapport de Donella Meadows et al. au club de Rome sur les limites à la croissance. Les soins de santé primaire restent notre meilleure modèle de soins de santé pour faire face à la descente énergétique et au dérèglement du monde :

Une équipe multidisciplinaire, généraliste, de proximité prenant en charge l’essentiel des besoins bio-psycho-sociaux des personnes vivant sur le territoire dont ils ont la responsabilité. L’équipe est payée sur base d’un financement qui décourage la surconsommation de soins et encourage la prévention et la promotion de la santé tel que le financement par habitant. Elle utilise les ressources locales, renouvelables. Elle veille à ne pas nuire de par ses actions.

Il n’en reste pas moins que les intrants primaires que sont les médicaments essentiels et les consommables que nous utilisons aujourd’hui sont extrêmement dépendants d’un marché mondial, aveuglé par le profit, polluant et fragile. Des solutions pour diminuer la fragilité des approvisionnements, réduire la pollution et plus encore pour relocaliser la production des médicaments et intrants essentiels doivent être recherchées.

Des changements radicaux de notre modèle social sont nécessaires ou s’imposeront à nous. La promotion de la santé propose un modèle de ce qui fait santé. Elle doit encore être adaptée pour remettre la nature et notre environnement en priorité. La place du soins dans cette société radicalement différente doit encore être pensée.

Postface

Ce document a été finalisé juste avant l’émergence du COVID19 et est resté en jachère depuis lors. De nombreuses initiatives et réflexions sont en cours actuellement autour de la santé planétaire en France, de la transition en santé en Belgiquexliv et en Francexlv, de l’organisation de la première ligne en Belgiquexlvi, de l’empreinte du système de santé un peu partout en Europe. Ce document pourra donc bénéficier dans les prochains mois d’une mise à jour et mise en perspective face à l’évolution des enjeux et des pistes de solutions.


i Paina, L., Peters, D.H., 2012. Understanding pathways for scaling up health services through the lens of complex adaptive systems. Health Policy Plan 27, 365–373. https://doi.org/10.1093/heapol/czr054

ii Van Olmen, J., Criel, B., Van Damme, W., Marchal, B., Van Belle, S., Van Dormael, M., Hoerée, T., Pirard, M., Kegels, G., 2012. Analysing Health System Dynamics – A framework (No. 28), Studies in Health Services Organization & Policy. Antwerp.

iii une étude renseigne que 66% du temps d’un « interne » est consacré à des soins indirects (documentation et révision d’un dossier) JAMA Intern Med 2019

iv Des certitudes : le vieillissement de la population belge et une augmentation des ménages d’une personne.

La génération du babyboom sort progressivement de la population d’âge actif. Associé à une espérance de vie qui augmente, le vieillissement de la population est une certitude. Dans le scénario retenu, la part des 67 ans et plus grimpe de 16 % en 2018 á 23 % en 2070. Actuellement, la Belgique compte 1 personne de 67 ans et plus pour 3,8 personnes âgées entre 18 et 66 ans. En 2070, ce rapport est de 1 pour 2,5. La génération du babyboom accélère le vieillissement de la population jusqu’en 2040. Par la suite, le vieillissement se stabilise. La part des 67 ans et plus est supérieure à celle des 17 ans et moins dès 2030. En outre, la part des ménages d’une personne augmente sensiblement (de 34 % en 2017 à 42 % en 2070), cette évolution étant entre autres liée au vieillissement de la population.

La Région de Bruxelles-Capitale, poumon jeune de la Belgique : Du fait de sa population relativement jeune, la Région de Bruxelles-Capitale est affectée dans une moindre mesure par le vieillissement. Ce dernier stoppe néanmoins le rajeunissement actuel de la population bruxelloise. La part des 67 ans et plus passe de 11 % en 2018 à 16 % en 2070. De même, la Région de Bruxelles-Capitale compte actuellement 1 personne de 67 ans et plus pour 5,5 personnes âgées entre 18 et 66. En 2070, ce rapport est de 1 personne de 67 ans et plus pour 3,8 personnes âgées entre 18 et 6 ans. La part des 0-17 ans reste supérieure à celle des 67 ans et plus sur l’ensemble de la période de projection, ce qui n’est pas le cas dans les deux autres régions du pays. Le nombre de ménages d’une personne dans la Région de Bruxelles-Capitale reste stable en projection. In https://statbel.fgov.be/fr/themes/population/perspectives-de-la-population le 19 09 2019

v Coefficient de dépendance (67+/18-66) 2018 et 2070 Belgique 26 % 40 % Bxl 18 % 26 % ibid

vi Tim Jackson prospérité sans croissance par exemple

vii« Un cinquième de la population bruxelloise de 18 à 64 ans perçoit une allocation d’aide sociale ou un revenu de remplacement. ». Observatoire de la Santé et du Social Bruxelles, Baromètre social 2018.

viii OECD 2019 Under Pressure: The Squeezed Middle Class, may 2019, http://www.oecd.org/social/under-pressure-the-squeezed-middle-class-689afed1-en.htm

ixEn Belgique, en 2018, l’espérance de vie à la naissance s’élève à 81,5 ans pour l’ensemble de la population, soit 83,7 ans pour les femmes et 79,2 ans pour les hommes. C’est ce qui ressort des nouvelles données de Statbel, l’office belge de statistique. La hausse de l’espérance de vie à la naissance par rapport à 2017 pour la population totale est de 0,1 an. https://statbel.fgov.be/fr/themes/population/mortalite-et-esperance-de-vie/tables-de-mortalite-et-esperance-de-vie

xhttp://www.eurohex.eu/pdf/CountryReports_Issue11/Belgium_Issue11.pdf

xi En région bruxelloise, sur la période 2011-2015, l’espérance de vie d’un nouveau-né à Saint-Josse-ten-Noode est moins élevée de cinq ans par rapport à Woluwe-Saint-Pierre. In : Missinne S., Avalosse H. Luyten S., 2019. Tous égaux face à la santé à Bruxelles ? Données récentes et cartographie sur les inégalités sociales de santé. Observatoire de la Santé et du Social

xii Observatoire de la santé et du social

xiii On parle alors de syndémie. Voir par exemple : The Lancet, 2017. Syndemics: health in context. The Lancet 389, 881. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(17)30640-2

xiv https://hisia.wiv-isp.be/

xv Mazina D., Hercot D., Englert M., Verduyckt P., Deguerry M. Tableau de bord de la santé en Région bruxelloise – Invalidité. Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale. Commission communautaire commune. Bruxelles 2016

xvi Ripple et al, 2019. World Scientists’ Warning of a Climate Emergency. Bioscience. https://academic.oup.com/bioscience/advance-article/doi/10.1093/biosci/biz088/5610806

xvii Jackson T., Prosperity without growth, second edition, 2018

xviiiDurant les dernières années, le taux d’endettement a augmenté plus rapidement en Belgique que dans la plupart des autres pays. Le secteur privé affiche aujourd’hui une dette équivalente à 190% du PIB, alors qu’une limite de 133% est considérée comme acceptable par la Commission européenne, notent les deux quotidiens. Le soir 2017 11 15 https://plus.lesoir.be/124348/article/2017-11-15/la-dette-totale-de-la-belgique-frise-les-300-du-pib et https://surplusenergyeconomics.wordpress.com/2018/08/15/132-the-revenge-of-the-spider/

xix Le virage ambulatoire est le transfert du lieu de soins de l’hôpital et de la médecine spécialisée au domicile et aux prestataires de la première ligne dans le but de diminuer les couts et d’augmenter la qualité perçue par le patients. C’est dans le même ordre d’idée que le gouvernement met la pression tout doucement pour que les MS transfèrent une partie de leurs tâches aux MG, dans le principe de subsidiarité ; ex : gynécologues. Ce virage a néanmoins un cout financier et humain qui n’est que partiellement pris en charge par la sécurité sociale. La population paie une plus grande part des soins et les travailleurs de l’ambulatoire doivent prendre en charge des pathologies plus lourdes pour lesquelles ils ont besoin de nouvelles compétences. Il met le système de deuxième ligne en déficit financier par rapport à ses besoins actuels en personnel et en infrastructures faute de stratégie d’ensemble et de mesures d’accompagnement du changement.

xx Ringot, C. 2019. De l’humain ou de la technique pour nos hôpitaux de demain ? Paris. Libération 7 janvier 2020 https://www.liberation.fr/auteur/15432-corentin-ringot consulté le 17 janvier 2020

xxi The Lancet, The 2018 report of the Lancet Countdown on health and climate change: shaping the health of nations for centuries to come https://www.thelancet.com/climate-and-health

xxii https://www.sciensano.be/fr/coin-presse/3-periodes-de-surmortalite-pendant-lete-2019

xxiii https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/zoologie-sixieme-extinction-masse-animaux-sous-estimee-58704/?fbclid=IwAR1R0pIoRLumM7KlAWcDlx4YeVDVCvHSQ4VYuJssLlPo_iTjG_BYxoiZiZA

xxiv https://www.lemonde.fr/blog/petrole/2019/02/04/pic-petrolier-probable-dici-a-2025-selon-lagence-internationale-de-lenergie/

xxv http://www.seuil.com/ouvrage/l-age-des-low-tech-philippe-bihouix/9782021160727

xxvi https://www.neonmag.fr/eau-de-montagne-19-milliard-de-personnes-sont-menacees-par-une-penurie-mondiale-545606.html

xxvii Sachs, J. 2008. Commonwealth: Economics for a Crowded Planet. Penguin

xxviii https://fr.wikipedia.org/wiki/Taux_de_retour_%C3%A9nerg%C3%A9tique; Par exemple : https://jancovici.com/transition-energetique/petrole/a-quand-le-pic-de-production-mondial-pour-le-petrole/

xxix https://plus.lesoir.be/236531/article/2019-07-15/la-penurie-de-medicaments-atteint-des-sommets

xxx GRAS. 2011. Action n°126 : DISPARITIONS INQUIETANTES : Qui décide de la politique du médicament ? http://www.gras-asbl.be/spip.php?article341 consulté le 12/01/2020.

xxxi https://www.lejournaldumedecin.com/actualite/penurie-de-medicaments-le-secteur-offre-un-sac-de-noeuds-au-parlement/article-normal-42645.html

xxxii Observatoire des multinationales. 2019. http://multinationales.org/Pharma-Papers-volet-4-comment-les-labos-sont-devenus-des-monstres-financiers

xxxiii Coucke, Ph. 2019. La médecine du futur ces technologies qui nous sauvent déjà. Mardaga https://www.editionsmardaga.com/catalogue/la-medecine-du-futur/

xxxivhttps://www.mckinsey.com/industries/oil-and-gas/our-insights/energy-2050-insights-from-the-ground-up

xxxv Observatoire de la Santé et du Social, 2018, L’offre de médecins généralistes en Région bruxelloise.

xxxvi CCFFMG https://orbi.uliege.be/handle/2268/209355

xxxvii Vignes et al.

xxxviii Medical Generalism. Why expertise in whole person medicine matters, Royal College of General Practitioners – London: RCGP, 2012

https://www.cfp.ca/content/65/12/869

xxxix Vignes et al.

xl https://duurzaam-pensioen.be/fr/

xli Par exemple le groupe de travail ad hoc de docsforclimate.be ou artsenvoorduurzaamheid.be

xlii Socialter. 2019. Les Low Techs, éditorial de Ph. Bihouix dans le Hors-série N°6 : L’avenir sera Low-tech

xliii Par exemple https://www.terreetconscience.be/formations/formation-ecopsychologie-ancrer-ecopratiques-se-relier-a-soi-aux-autres-a-nature

xliv Berquin Anne, 2021, Soins de santé et environnement : quels défis pour le futur ? | Etopia

xlv Lesimple, H., 2021. « Décarboner la Santé pour soigner durablement » : le Shift publie son rapport final. The Shift Project. URL https://theshiftproject.org/article/decarboner-sante-rapport-2021/.

xlvi Vandenbroeck Franck, 2023, Vers un new deal pour le médecin généraliste.


Recherche alternatives politiques au suicide collectif

Paul Blume

S’il était encore besoin de citer les raisons de s’inquiéter de l’avenir des sociétés humaines, la liste serait énorme.

En résumé : des pollutions de toutes tailles, de produits variés, à doses macro-industrielles qui mettent en péril la vie elle-même. Une pseudo-transition énergétique qui s’accompagne d’une croissance inespérée pour les investisseurs de projets d’exploitations de ressources fossiles. Et un greenwashing à hauteur inimaginée qui portent les politiques dits « verts » à soutenir la croissance économique à sauce libérale voir libertarienne. Entre autres.

Force est de constater que ce chemin vers l’anéantissement de notre existence est soutenu par une majorité de citoyennes et citoyens. Les explications multiples et diverses de cette réalité ne font que cacher une réalité dérangeante : une évidente propension à opter pour un suicide dans la joie consumériste plutôt qu’une sobriété salvatrice.

Pour celles et ceux qui s’inquiètent des réalités systémiques et de leurs impacts de plus en plus visibles, il est souvent douloureux d’essayer d’en partager les récits.

Traités de pessimistes au mieux, raillés pour ne pas faire une confiance absolue dans la technologie et dans la capacité intrinsèque de l’humanité à trouver des « solutions », un mur de plus en plus épais semble les séparer des gens dits normaux.

Sauf qu’au delà du respect que l’on peut porter à celles et ceux qui souhaitent quitter la vie collectivement, quelles qu’en soient les raisons ou les biais cognitifs, il est plus que temps que le choix de donner une chance au vivant en général et à la résilience humaine en particulier redevienne LE sujet principal.

Il est également temps que les femmes et les hommes en souffrance de solastalgie, éco-anxiété ou autres formes de dépressions liées aux constats du réel prennent en compte que ce sont leurs pensées qui sont porteuses d’avenir. Les suicidaires sont dans l’autre camp. Et, pour l’instant, ils sont victorieux.

Les moments heureux partagés dans toute une séries de projets dits de « transition » portant sur l’alimentation, l’énergie, l’entraide, etc … permettent d’expérimenter un potentiel alternatif réel.

Une résistance quotidienne à l’apocalypse selon Saint-Profit se met doucement en place.

Reste à trouver des relais politiques. Ou, à tout le moins, de tenter de définir un comportement collectif alternatif à la relance de l’économie de croissance par le soutien aux fossiles et aux technologies réputées indispensables pour ladite croissance.

Ce qui s’est révélé de manière évidente ces dernières années, c’est la disparition progressive et continue du caractère alternatif de l’écologie politique représentée.

Le prochain rendez-vous électoral européen sera-t-il l’occasion de voir enfin apparaître des relais politiques potentiels à la sauvegarde de la vie ?

Si ce n’est pas le cas, faute de temps par exemple, espérons qu’une expression salvatrice se mette enfin en place. L’important étant moins les résultats électoraux que l’idée même d’afficher une pensée non-suicidaire.


Le mouvement pour le climat et le Big Oil* du Sultan Al Jabar

Jan Stel

Traduction deepl – Josette – article (19/02/2023) paru dans la lettre d’info des Grootouders voor het Klimaat (GvK)

Le Dr Sultan Ahmed Al Jabar, grand ponte de l’industrie pétrolière nationale, a été nommé par les Émirats arabes unis pour présider la COP28 à Dubaï. Le mouvement climatique est en émoi car cette nomination pourrait être le signe d’une tentative de l’industrie fossile de prendre la tête des conférences climatiques de l’ONU. C’est inacceptable car l’industrie pétrolière et gazière a délibérément conduit le monde vers une crise climatique au cours du dernier demi-siècle. Big Oil a choisi le profit pur au détriment de l’avenir de la population mondiale. En conséquence, elles ont accumulé une dette et une responsabilité historiques, tout comme les pays ayant des émissions historiques de CO2, comme la Belgique. Cette dette doit être remboursée.

Les Émirats arabes unis (EAU) ont désigné le Dr Sultan Ahmed Al Jabar pour présider le prochain sommet sur le climat, la COP28, qui se tiendra à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre 2023. Le « leadership » est le message clé de ce sommet sur le climat, selon les Émirats. Mais quel leadership, je me le demande, et quel leadership ? C’est la deuxième fois en 11 ans qu’une COP est organisée dans un pays du Golfe, un pays qui vit du pétrole et du gaz.

Il est vrai que le sultan doit renoncer à une série de postes clés pour cette présidence. Pour commencer, il suspend son poste de ministre de l’industrie et des technologies avancées (MoIAT). Ce ministère a été créé en 2020. Il se concentre sur les défis et les opportunités de la quatrième phase de la révolution industrielle (britannique). Il quitte également son poste de PDG de la compagnie pétrolière nationale émiratie Abu Dhabi (ADNOC), la douzième plus grande compagnie pétrolière du monde. En outre, il met fin à sa présidence de l’entreprise d’énergie renouvelable Masdar. Cette société est une initiative à multiples facettes dans le domaine des énergies renouvelables à Abu Dhabi, qu’Al Jabar a fondée en 2006. Il se retire maintenant pour éviter l’impression d’éventuels conflits d’intérêts.

« Nous adopterons une approche pragmatique, réaliste et orientée vers les solutions qui permettront de transformer le climat et la croissance économique à faible émission de carbone » – Dr Sultan Al Jabar, The National, 12 janvier 2023.

Quiconque lit le CV du sultan sur le site web du MoIAT ne peut qu’être impressionné par ses réalisations. Celles-ci sont évidemment axées sur le développement des Émirats arabes unis, qui se composent de sept émirats de pierre. Abu Dhabi et Dubaï sont les plus importants d’entre eux. Sultan Al Jabar a étudié aux États-Unis grâce à une bourse d’ADNOC, après quoi il a obtenu un doctorat en Angleterre. Il a commencé sa carrière chez ADNOC, dont il est devenu le PDG en 2016. Il a également occupé de nombreux postes nationaux et internationaux. En 2011, par exemple, il a participé au groupe de haut niveau de l’ONU sur l’énergie durable pour tous. En 2012, l’ONU lui a décerné le prix Champion de la Terre dans la catégorie Vision entrepreneuriale et leadership efficace. Un an plus tard, il a été nommé commandeur honoraire de l’ordre le plus excellent de l’Empire britannique (CBE) par la reine Elizabeth II, et en 2019, il a reçu un prix pour l’ensemble de sa carrière des mains du Premier ministre indien Narendra Modi.

Le président de la COP28 est soutenu par deux dames hautement qualifiées présentées par Emirates comme étant respectivement une conservationniste de premier plan et une jeune championne du climat. Ainsi, Mme Razan Khalifa Al Mubarak est PDG de l’Agence pour l’environnement d’Abu Dhabi (EAD, the Environmental Agency Abu Dhabi) et, depuis 2021, également présidente de l’Union internationale pour la conservation de la nature, l’ICSU. Mme Shamma Al Mazrui, 29 ans, est ministre de la jeunesse depuis sept ans. Elle encourage l’autonomisation des jeunes désireux de façonner le programme vert des Émirats arabes unis. Dans l’ensemble, il s’agit d’une équipe solide qui est « commercialisée » avec de grandes ressources et de manière extrêmement professionnelle par des sociétés de marketing réputées.

Il ne faut pas s’attendre à ce qu’un PDG issu de l’industrie pétrolière puisse, veuille ou résolve la crise climatique, que l’industrie elle-même a créée pour le profit et par la tromperie.

Nous pouvons conclure que le Dr Sultan Al Jabar possède à la fois un CV impressionnant dans l’ancien monde du pétrole et du gaz et un bon sens des technologies innovantes. Mais, précisément en raison de ses antécédents dans l’industrie pétrolière et en tant que précurseur de l’avenir industriel des Émirats, il est très douteux qu’il soit le bon président pour s’attaquer à la crise climatique par une transition majeure vers la durabilité au niveau mondial. Le mouvement environnemental international s’inquiète à juste titre de sa nomination – qui, soit dit en passant, est parfaitement légale au sein du système des Nations unies. Après tout, c’est au pays hôte qu’il appartient de nommer le président ou le président de séance.

Cela dit, cette nomination pourrait aussi être un signal des Émirats arabes unis indiquant que les grandes compagnies pétrolières veulent tirer le meilleur parti de la crise actuelle. En d’autres termes, ils misent à la fois sur l’industrie pétrolière existante et sur la transition technologique vers des entreprises innovantes et plus durables. C’est l’écomodernisme dans toute sa splendeur ! En tant que tels, on ne peut pas s’attendre à ce qu’ils servent l’intérêt du monde dans la lutte contre la crise climatique et la transition internationale vers la durabilité. Mais c’est exactement ce que vous devriez attendre d’un sommet des Nations unies sur le climat. Je m’attends à une COP28 très intéressante (mais néanmoins décevante).

La COP27 (2022), une déception ?

La COP27 de Sharm-el-Sheikh en Égypte est aussi appelée le premier sommet africain sur le climat car elle s’est déroulée à la lisière du continent africain. Les médias la font également passer pour le premier sommet arabe, ce qui est inexact puisqu’il a eu lieu à Doha au Qatar en 2012. Quoi qu’il en soit, ce n’était pas une mince affaire d’accueillir quelque 34 000 personnes dans une luxueuse station balnéaire du désert en pleine crise alimentaire – causée par la guerre insensée de Poutine en Ukraine. Il n’était pas non plus facile d’y manifester. Cela n’était fondamentalement possible que dans des endroits spéciaux… dans le désert. De plus, tout le monde était étroitement surveillé. L’Égypte n’est pas une démocratie. Néanmoins, la COP27 a été le sommet climatique le plus fréquenté après la COP26 à Glasgow.

Comme prévu, les questions « africaines » étaient à l’ordre du jour, comme les pertes et dommages. Les pays pauvres qui ont à peine contribué à la crise climatique, mais qui en souffrent énormément, demandent depuis des décennies des compensations aux pays occidentaux riches qui ont toujours émis beaucoup de CO2. À ce propos, la Belgique occupe une place de choix dans le top 10 des pollueurs historiques. La recherche scientifique a permis de déterminer l’impact de notre changement climatique sur des catastrophes telles que les inondations au Pakistan et la sécheresse en Europe en 2022. Cet impact est significatif. Des travaux sont actuellement en cours pour déterminer également les émissions historiques de CO2 de pays comme la Belgique, qui a fait passer la révolution industrielle britannique en contrebande sur le continent européen.

La frustration des pays en développement à l’égard des pollueurs historiques s’est systématiquement accrue ces dernières années. En 2009, les dirigeants occidentaux ont promis de fournir 100 milliards de dollars par an en financement climatique d’ici 2020. Ce montant ne s’est jamais concrétisé. Par conséquent, cette fois-ci, la question a figuré en bonne place à l’ordre du jour et il a finalement été décidé de créer un nouveau fonds pour le climat. Bravo à tous ! Mais il y a de fortes chances que cela devienne un chat dans un sac. Tous les « détails » (qui paie quoi, qui reçoit quoi, etc.) doivent encore être réglés. La prochaine COP à Dubaï abordera cette question. Ce serait une excellente occasion de présenter immédiatement la facture historique que l’industrie pétrolière a accumulée en omettant délibérément de signaler les risques climatiques liés à l’utilisation des combustibles fossiles.

Bonne nouvelle pour notre ministre du climat Zuhal Demir : une recherche scientifique indépendante pourra bientôt déterminer les émissions historiques de CO2 de la Belgique. Peut-être y aura-t-il finalement une véritable politique climatique flamande. Ou préférons-nous nous noyer ?

Malgré tout, je trouve que la COP27 est surtout un sommet décevant, car la cause réelle du problème n’a pas été abordée. Pire encore, grâce à la guerre insensée de Poutine en Ukraine, les pays de l’UE ont fait des pieds et des mains pour trouver d’autres fournisseurs de pétrole et de gaz. En conséquence, les compagnies pétrolières – évidemment contre leur gré – sont passées à la vitesse supérieure pour extraire le pétrole qui devrait de toute façon rester dans le sol.

Il est donc de plus en plus clair que nous pouvons oublier de maintenir le réchauffement de la planète en dessous de 1,5°C. Il est même douteux que nous parvenions à le faire. Il est même douteux que nous parvenions à atteindre la limite supérieure de 2°C convenue à Paris. Ainsi, nous rendons notre avenir dans un monde qui se réchauffe rapidement de plus en plus imprévisible. C’est pourquoi l’UE a d’abord essayé de lier la création du fonds pour les dommages climatiques à un engagement à réduire davantage les émissions de gaz à effet de serre. Malheureusement, cette tentative a échoué. Ce n’était pas un sommet africain mais un sommet arabe sur le climat », soupire un négociateur européen, quelque peu frustré.

Malgré tous les obstacles à la protestation, malgré le comportement intimidant de la police et des forces de sécurité, et malgré les prix insensés à payer pour une chambre d’hôtel, qui ont conduit des dizaines de militants à partager la même chambre, quelque chose d’unique s’est produit : pour la première fois dans l’histoire des COP, une délégation sélectionnée de manifestants a été autorisée à pénétrer dans la zone bleue fortement surveillée où se déroulaient les négociations. Inutile de dire que la manifestation était bien dirigée et qu’elle a donné lieu à de belles séances de photos. Je suis curieux de voir quel genre de mascarade se déroulera à Dubaï. Ce qui est troublant, en revanche, c’est la participation toujours plus importante des représentants de l’industrie pétrolière. Celle-ci a augmenté, par rapport à Glasgow, de 25 %.

Officiellement, 636 lobbyistes de l’industrie pétrolière étaient présents, dont deux barons russes du pétrole sanctionnés par la guerre, selon Carbon Brief. Collectivement, ces lobbyistes ont formé la plus grande « délégation » après celle des Émirats. Au total, il y avait pas moins de 1073 participants, dont 70 lobbyistes du pétrole et du gaz. Cela n’envoie pas un bon signal pour ce qui pourrait se passer à Dubaï.

Malgré toutes les belles paroles – ou selon Greta Thunberg, tout le bla, bla, bla – l’influence de l’industrie pétrolière ne fait que croître. En outre, des lobbyistes de l’industrie agroalimentaire, de Coca-Cola, le plus grand pollueur de plastique au monde, etc. se sont également manifestés. Un autre État pétrolier, et non des moindres, s’est distingué avec la « Saudi Green Initiative ». Un autre État pétrolier, non négligeable, s’est distingué avec l' »Initiative verte saoudienne », où il a été question du stockage souterrain du CO2 (CCS), controversé et loin d’être bien développé, dans les anciens gisements de pétrole et de gaz et – sans surprise – de l’exploitation de nouveaux gisements de pétrole pour répondre à la demande croissante des consommateurs.

Mensonges et profits de l’industrie pétrolière
En tant que grands-parents, nous en avons assez du géant pétrolier français Total. Nous sommes à juste titre étonnés que toutes sortes d’organisations, comme la VRT et les organisateurs de la merveilleuse course Reine Elisabeth, se permettent encore d’être sponsorisées par cette entreprise, à mon avis criminelle. On tombe de sa chaise quand on lit les méga-profits de l’industrie pétrolière. Le bénéfice combiné en 2022 de Shell, BP, ExxonMobil, Chevron et TotalEnergies (les cinq grands) est, grâce au criminel de guerre Poutine, d’environ 200 milliards de dollars. Ils n’avaient jamais connu un tel méga-profit dans leur longue existence mensongère de déni délibéré du réchauffement climatique auto-infligé. Big Oil, suivant les traces de l’industrie du tabac, nous a trompés et menti à tous pendant plus d’un demi-siècle sur les conséquences de l’utilisation de leurs produits, dans ce cas les combustibles fossiles. Je trouve cela criminel, je me sens trompé en tant que citoyen du monde et j’en suis furieux.

La tromperie de l’industrie du tabac concerne la santé d’une personne ; celle de l’industrie pétrolière concerne la santé de la planète. Les deux tromperies sont criminelles à mes yeux.

Le 13 janvier 2023, la fameuse analyse Assessing ExxonMobil’s global warming projections de Supran et al, a été publiée dans la revue scientifique de premier plan Science. Les chercheurs se sont appuyés sur la découverte faite par des journalistes d’investigation en 2015. À l’époque, des mémos internes ont révélé que la compagnie pétrolière Exxon et ExxonMobil Corp, savaient depuis la fin des années 1970 que leurs combustibles fossiles entraînaient un réchauffement climatique, avec « des impacts environnementaux dramatiques avant l’année 2050 ».

Il est rapidement apparu que les autres compagnies pétrolières et leurs organisations faîtières le savaient également. Un examen plus approfondi de documents internes d’Exxon en 2017 a montré qu’ils savaient que le changement climatique était réel et d’origine humaine. Le GIEC n’en prendrait note qu’en août 2021. En public, cependant, l’industrie pétrolière a surtout semé le doute sur la question. Ainsi, pendant des décennies, selon moi, ils ont fait échouer à la fois la recherche scientifique indépendante et la prise de décision politique sur leurs pratiques criminelles. Et les dollars ont continué à affluer, alors que la nature était et est toujours à l’agonie.

Cela a ouvert un cloaque. Il est rapidement apparu que même la très polluante industrie du charbon était au courant des effets pernicieux de la combustion du charbon depuis au moins les années 1960. Les compagnies d’électricité, la compagnie pétrolière Total et l’industrie automobile avec GM et Ford, étaient également au courant depuis au moins les années 1970. Personne n’a rien dit, personne n’a tiré la sonnette d’alarme. En fait, les recherches présentées dans Science montrent que la situation est encore plus grave. De nombreux documents découverts contiennent des projections claires de l’évolution du réchauffement climatique à venir.

« Cette publication dans Science, est le dernier clou du cercueil des affirmations d’ExxonMobil qui se dit faussement accusé de crimes climatiques. » Geoffrey Supran, Université de Harvard, États-Unis.

Il s’avère que les modèles climatiques utilisés par les propres chercheurs d’Exxon entre 1977 et 2003 étaient sinistrement précis. Le réchauffement moyen attendu par ExxonMobil était de 0,20 °C ± 0,04 °C par décennie. La science l’a maintenu à 0,19 °C, alors que la valeur mesurée était de 0,18 °C. L’essentiel est que les compagnies pétrolières employaient d’excellents scientifiques qui devaient se taire et que la direction savait très bien ce qu’elle faisait et se taisait également.

De plus, les modèles d’Exxon ont montré que le réchauffement climatique d’origine humaine serait observable pour la première fois en l’an 2000, avec une marge de 5 ans. De plus, ils ont été capables de faire une bonne estimation de la quantité de CO2 qui entraînerait un réchauffement dangereux. Enfin, même alors, ils ont fait une estimation raisonnable de la taille du « budget carbone » qui pourrait maintenir le réchauffement en dessous de 2°C. Et pourtant, ils sont restés silencieux.

Évolution de la température (en rouge) et de la concentration de CO2 dans l’atmosphère (en bleu) observée historiquement au fil du temps, comparée aux projections du réchauffement climatique établies par les scientifiques d’ExxonMobil. A : les projections modélisées par Exxon en 1982. B : résumé des projections dans sept mémos internes de la société entre 1977 et 2003. C : tendances climatiques lissées sur les 150 000 dernières années. Source Science, 13 Jan 2023, Vol 379, Issue 6628, DOI : 10.1126/science.abk0063

Et voilà que le Sultan Ahmed Al Jabar préside le prochain sommet sur le climat dans l’État pétrolier super riche des Émirats. Il n’est pas étonnant que le mouvement international pour le climat ne fasse pas confiance à un PDG d’une compagnie pétrolière pour présider une COP. À tout le moins, cela donne l’impression d’un « coup d’État » de l’industrie pétrolière. Le Réseau Action Climat International demande donc sa démission, bien qu’il y ait peu de chances que cela se produise.

Après tout, on peut se demander ce que font les compagnies pétrolières avec les superprofits qu’elles n’ont absolument pas réalisés. Elles pourraient répondre aux appels à l’écrémage, comme le proposent de nombreux politiciens en Suisse et à l’étranger. Après tout, les citoyens qui ne peuvent rien faire contre cette situation sont confrontés à des augmentations de prix rapides et brutales. Cette situation, à son tour, semble très familière aux pays pauvres. Eux aussi sont confrontés à des évolutions auxquelles ils n’ont pas contribué, mais qu’ils doivent payer et dont ils subissent les graves conséquences. C’est pourquoi la première étape franchie à Sharm el-Sheikh sur les pertes et dommages est importante et porteuse d’espoir. Mais il reste à voir ce qu’il en ressortira réellement.

Embrasser le chaos : la transition énergétique
Dans le dernier livre de Jan Rotmans et Mischa Verheijden (voir la critique de livre du 23 décembre 2021), dix transitions sont abordées et encadrées dans les différentes phases d’une transition qui aura lieu dans les décennies à venir et conduira à une société différente et durable. On y apprend notamment que l’État-nation du XIXe siècle pourrait disparaître, au grand dam de toutes sortes de partis politiques nationalistes. Les niveaux susceptibles de subsister sont de petites zones régionales de la taille de la Randstad néerlandaise, ainsi qu’un contexte européen global. Au sein de ces transitions, la transition énergétique, qui dure depuis le plus longtemps, se distingue. Cette transition a maintenant dépassé son point de basculement et est entrée dans une phase d’accélération. Ici aussi, la guerre brutale et totalement inutile de Poutine joue un rôle moteur.

Compte tenu de leur manipulation historique et de leur hypocrisie, il est tout à fait naturel que l’industrie pétrolière et ses actionnaires paient les coûts de la crise climatique mondiale qu’ils ont provoquée.

L’industrie pétrolière ne tarde pas à en profiter et à ajuster ses politiques de greenwashing de manière négative. Avec la hausse rapide des prix de l’énergie, BP a doublé ses bénéfices pour atteindre 27,7 milliards de dollars d’ici 2022. Pour répondre à la demande des consommateurs, qu’ils considèrent comme le moteur responsable, ils vont produire plus de pétrole et de gaz. Et ce, en pleine crise climatique, la plus grande menace pour l’humanité, si l’on excepte l’éruption massive du volcan Toba en Indonésie, il y a 70 à 75 000 ans.

De manière significative, BP fait également marche arrière sur son objectif de zéro émission d’ici 2050 et abaisse ses objectifs pour 2030 de 35-40% à 20-30% ! Il n’en va pas autrement des autres membres des Big Five, comme Shell et Total avec des méga-profits en 2022 de plus de 42 milliards de dollars et plus de 33 milliards de dollars respectivement.
Shell, par exemple, a versé sept fois plus aux actionnaires en 2022 que ce qu’elle a investi dans les énergies vertes, qui ne sont pas son cœur de métier. Cependant, selon le groupe de réflexion indépendant Influence Map et des chercheurs de l’université d’Utrecht, les médias affirment le contraire. Voilà encore une tromperie populaire soutenue par des agences de publicité et de marketing échevelées ! Bla, bla, bla, mais chèrement payé, selon Greta Thunberg.

Pendant ce temps, ils disent que l’industrie pétrolière est taquinée, nous disons qu’on lui rappelle gentiment que les choses doivent absolument changer. Gardez ces ressources polluantes dans le sol, bon sang ! Nous le faisons par des procès, des protestations, des occupations, en tenant les directeurs et les actionnaires personnellement responsables, etc. Les gouvernements, les villes, les groupes d’intérêt, etc. poursuivent à juste titre l’industrie pétrolière – qui a complètement perdu sa crédibilité – alors qu’ils sont confrontés à l’élévation du niveau de la mer, aux incendies de forêt, à la sécheresse, aux inondations et aux intempéries. Là encore, c’est le pollueur (de CO2) qui doit payer. Le nombre de poursuites judiciaires augmente rapidement, selon Carbon Brief. Mais le nombre de lobbyistes présents aux sommets sur le climat continue également d’augmenter, tandis que les gouvernements bavards prétendent le contraire par crainte des pertes d’emplois dans le vieux monde industrialisé.

La transition énergétique étant entrée dans la phase d’accélération, la pression du mouvement écologiste va s’accroître et l’industrie pétrolière, mais aussi d’autres secteurs comme l’agroalimentaire, continueront à nier par tous les moyens leur culpabilité et leur responsabilité historiques. Le chaos va s’accroître, tout comme la probabilité d’une manipulation par des gouvernements « faibles ». Par conséquent, le mouvement environnemental et nous, grands-parents, en route pour Dubaï, devrons rester vigilants. Quelle que soit la manière dont on aborde la question, une Conférence des Parties dans un État pétrolier super-riche, avec un patron du pétrole comme président, ne peut qu’attirer les ennuis. C’est irresponsable du point de vue de la durabilité mondiale et de la crise climatique.

* Le titre fait référence à l’histoire d' »Ali Baba et les quarante voleurs », tirée du célèbre livre des Mille et une nuits de la conteuse persane Sheherazade. Dans cette histoire, Ali voit par hasard comment une bande de voleurs – dans ce blog, l’industrie pétrolière, qui, par la ruse et la tromperie, ne fait que se remplir les poches – ouvre la chambre de son trésor grâce à un sort. Alors que les voleurs s’en vont, Ali ouvre la salle du trésor pour emporter leurs trésors avec lui. Les voleurs le découvrent, mais avec son astucieuse amie Morgiana, Ali Baba vainc les voleurs. Ainsi, le mouvement pour le climat et ses partisans vaincront également les nombreux voleurs des industries industrialisées, comme l’industrie pétrolière.


Références sur la COP28


La multiplication des éoliennes, panneaux solaires et véhicules électriques ne résoudra pas notre problème énergétique

Gail Tverberg

Traduction – Jmp (base DeepL) – article original :
Ramping up wind turbines, solar panels and electric vehicles can’t solve our energy problem

Nombreux sont ceux qui pensent que multiplier les éoliennes, panneaux solaires et véhicules électriques pourrait résoudre les problèmes énergétiques, mais je ne suis pas d’accord. Ces équipements, auxquels s’ajoutent les batteries, les stations de recharge, les réseaux et les nombreuses autres structures nécessaires à leur fonctionnement, sont d’une extrême complexité.

Si des systèmes d’un relativement faible niveau de complexité, comme un barrage hydroélectrique, peuvent parfois aider à résoudre des problèmes énergétiques, il n’est pas possible d’imaginer que des niveaux de complexité toujours plus élevés soient toujours réalisables.

Selon l’anthropologue Joseph Tainter (https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Tainter), dans son célèbre ouvrage intitulé « The collapse of complex societies » (https://www.amazon.com/Collapse-Complex…/dp/052138673X), l’accroissement de la complexité conduit à un rendement décroissant. Autrement dit, les innovations les plus intéressantes tendent à être développées en premier ; les innovations ultérieures ont tendance à être moins utiles, quand l’accroissement de complexité induite entraine un coût énergétique trop élevé par rapport au bénéfice apporté.

Dans ce texte, je discuterai plus en détail de la complexité. Je vais également présenter des preuves que l’économie mondiale a peut-être déjà atteint les limites de la complexité. En outre, je vais montrer que la mesure communément admise du « rendement de l’investissement énergétique » (EROEI) (https://www.sciencedirect.com/…/energy-return-on…) se rapporte à l’utilisation directe de l’énergie, plutôt qu’à l’énergie incorporée dans des systèmes complexes. En conséquence, les valeurs d’EROEI tendent à faire penser que les innovations telles que les éoliennes, les panneaux solaires et les VE sont plus performantes qu’elles ne le sont réellement. D’autres mesures similaires à l’EROEI conduisent à des erreurs similaires.

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1/ Dans cette vidéo avec Nate Hagens, Joseph Tainter explique comment l’énergie et la complexité ont tendance à croître simultanément, dans ce que Tainter appelle la spirale énergie-complexité : https://www.youtube.com/watch?v=undp6sgCIX4

Figure 1. The Energy-Complexity Spiral from 2010 presentation called The Energy-Complexity Spiral by Joseph Tainter.

Selon Tainter, l’énergie et la complexité se construisent l’une avec l’autre. Au début, un accroissement de complexité peut être nécessaire pour répondre à une économie en croissance en permettant l’adoption des énergies disponibles. Mais cette complexité croissante implique des rendements décroissants, puisque les solutions les plus faciles et les plus intéressantes sont trouvées en premier. Lorsque les avantages relatifs d’une complexité croissante deviennent trop faibles par rapport à l’énergie supplémentaire requise, le résultat global tend vers un effondrement – ce qui, selon lui, équivaut à une « perte rapide de complexité ».

Une complexité croissante peut aboutir à des biens et services moins coûteux par divers mécanismes :

– des économies d’échelle sont réalisées grâce à des investissements lourds, donc à des entreprises plus grandes ;

– La mondialisation permet de disposer de matières premières et des énergies alternatives, d’une main-d’œuvre moins chère ;

– l’éducation supérieure et une spécialisation accrue favorisent l’innovation ;

– les améliorations technologiques permettent de réduire le coût de fabrication des biens ;

– les améliorations technologiques permettent une optimisation des coûts d’usage, comme des économies de carburant pour les véhicules, de manière permanente.

Pourtant, étrangement, dans la pratique, la complexité croissante tend à entraîner une augmentation de la consommation de carburant, plutôt qu’une diminution. C’est ce que l’on appelle le paradoxe de Jevons. Si les produits sont moins chers, davantage de personnes peuvent se permettre de les acheter et de les utiliser, de sorte que la consommation totale d’énergie tend à être plus importante.

2/ Dans la même vidéo, Tainter décrit la complexité comme quelque chose qui structure et organise un système.

La raison pour laquelle je considère que l’électricité produite par les éoliennes et les panneaux solaires exigent des solutions beaucoup plus complexes que, par exemple, l’électricité produite par les centrales hydroélectriques ou les centrales à combustibles fossiles, est que la production de ces équipements est loin d’être en mesure de répondre directement aux exigences des systèmes électriques actuels. Par exemple les productions électriques éolienne et solaire ont besoin de systèmes complexes pour résoudre les problèmes d’intermittence.

Avec la production hydroélectrique, l’eau est facilement contenue derrière un barrage. Souvent, une partie de cette eau peut être stockée en vue d’une utilisation ultérieure pour répondre aux pics de demande. L’eau accumulée en amont du barrage alimente des turbines, de telle manière que la production électrique est directement compatible avec les impératifs du courant alternatif. Pour cette même raison, l’électricité produite par un barrage hydroélectrique peut s’ajouter facilement aux différents systèmes de production d’électricité disponibles.

En revanche, la production électrique des éoliennes et panneaux solaires nécessite beaucoup plus d’assistance, autrement dit une plus grande complexité, pour être compatible avec les exigences des systèmes de consommation d’électricité. L’électricité produite par les éoliennes a tendance à être très désorganisée. Elle n’est produite qu’en fonction d’un timing qui lui est propre, fonction du vent.

L’électricité produite par les panneaux solaires est organisée, qui répond mieux aux exigences des systèmes de consommation d’électricité, mais par exemple, n’est pas directement compatible avec les impératifs du courant alternatif.

Un problème majeur est que les besoins électriques pour le chauffage sont importants en hiver alors que l’électricité solaire est inversement disponible en été ; pendant que la disponibilité du vent est irrégulière. Des batteries peuvent être ajoutées, mais elles ne peuvent amortir les écarts de production que sur très court terme, quelques jours au mieux.

Au final les différentiels entre offre et demande doivent être lissés par des systèmes parallèles censés être utilisés à minima ; les systèmes « de secours » le plus communément utilisé étant les centrales fonctionnant au gaz naturel, puis celles au pétrole ou au charbon…

Ce qui suppose de doubler le système énergétique électrique, ce qui a un coût plus élevé que celui qu’aurait l’un ou l’autre système exploité seul, à plein temps.

Par exemple, il faut maintenir des centrales électriques au gaz naturel, incluant les infrastructures liées, gazoducs et systèmes de stockage, même si l’électricité produite dans ce cadre n’est utilisée qu’une partie de l’année. Un tel système combiné nécessite des experts dans tous les domaines, notamment en rapport à l’intégration des réseaux électriques, la production de gaz naturel, la réparation des éoliennes et des panneaux solaires, ou encore la fabrication et l’entretien des batteries. Et tout cela nécessite des systèmes de formation adaptés et des échanges internationaux, parfois avec des pays hostiles.

Je considère également que les véhicules électriques sont complexes. Un problème majeur posé par la transition vers les VE est que l’économie aura également besoin d’un double système – pour les moteurs à combustion interne et les véhicules électriques – pendant de très nombreuses années. Les véhicules électriques nécessitent des batteries fabriquées à partir d’éléments provenant du monde entier. Ils ont également besoin d’un maillage de stations de recharge, d’autant que les besoins de recharge sont fréquents.

3/ Tainter souligne que la complexité a un coût énergétique, mais que ce coût est pratiquement impossible à mesurer (https://www.youtube.com/watch?v=undp6sgCIX4)

Les besoins énergétiques sont cachés dans de nombreux domaines. Par exemple, pour avoir un système organisé complexe, nous avons besoin d’un système financier. Le coût de ce système ne peut pas être rajouté. Nous avons besoin de routes modernes, d’infrastructures et d’un système de lois. Le coût d’un gouvernement attribué à ces services ne peut être facilement discerné. Un système de plus en plus complexe a besoin d’éducation pour le soutenir, mais ce coût est également difficile à mesurer. De plus, comme nous le notons ailleurs, le fait d’avoir des systèmes doubles ajoute d’autres coûts qui sont difficiles à mesurer ou à prévoir.

L’engrenage énergie-complexité ne peut pas se poursuivre indéfiniment dans une économie. Celle-ci peut atteindre des limites au moins de trois façons :

[a] L’extraction de ressources de toutes catégories est d’abord effectuée dans les endroits les plus propices. Les puits de pétrole sont d’abord effectués dans des zones où le pétrole est facile à extraire et à proximité des zones de population ; les mines de charbon dans des endroits où le charbon est de même facile à extraire et où les coûts de transport vers les utilisateurs sont faibles ; les mines de lithium, de nickel, de cuivre et d’autres minéraux sont d’abord installées dans les endroits où les filons sont les plus rentables.

Mais le coût de la production d’énergie finit par augmenter, au lieu de diminuer, en raison des rendements décroissants. Le pétrole, le charbon et les produits énergétiques deviennent plus chers. Les éoliennes, les panneaux solaires et les batteries des véhicules électriques ont également tendance à devenir plus chers, car le coût des minéraux nécessaires à leur fabrication augmente. L’ensemble des produits énergétiques, y compris les « énergies renouvelables », ont tendance à devenir moins rentables.

En fait, de nombreux rapports (https://www.wsj.com/…/bps-ceo-plays-down-renewables…) indiquent que le coût de production des éoliennes (https://www.woodmac.com/…/wind-industry-faces-a…/) et des panneaux solaires (https://cen.acs.org/…/US-solar-polysilicon…/100/i33) a augmenté en 2022, rendant la fabrication de ces équipements non rentable. La hausse des prix des produits industriels ou la baisse de la rentabilité de ceux qui les produisent pourraient mettre un terme à la croissance de la demande.

[b] La population humaine a tendance à continuer d’augmenter si les réserves de nourriture et autres sont suffisantes, mais l’offre de terres arables reste presque constante. Ces deux contraintes exercent une pression sur la société pour qu’elle produise un flux continu d’innovations qui permettront d’augmenter la quantité de nourriture par hectare.

Mais ces innovations finissent par avoir un rendement décroissant, ce qui rend plus difficile la possibilité que la production alimentaire soit en mesure de suivre la croissance de la population.

Parfois, la variabilité des régimes climatiques met en exergue le fait que les disponibilités alimentaires sont à la limite du niveau minimum depuis de nombreuses années. La croissance est alors bridée par la flambée des prix des denrées alimentaires et/ou la mauvaise santé des travailleurs soumis à un régime alimentaire inadapté.

[c] La croissance de la complexité atteint des limites, alors que les innovations les plus précoces tendent à être les plus productives. Par exemple, l’électricité ne peut être inventée qu’une seule fois, tout comme l’ampoule électrique. La croissance et la mondialisation sont bridés au delà d’un certain seuil.

Je pense que la dette fait partie de la question de la complexité. À un moment donné, la dette et les intérêts liés ne pourront plus être remboursés. L’enseignement supérieur (indispensable compte tenu d’un haut niveau de spécialisation) atteint ses limites lorsque les travailleurs ne trouvent pas d’emplois avec des salaires suffisamment élevés pour compenser le coût des études, si ce n’est tout simplement de quoi vivre décemment.

4/ Selon Tainter, si l’approvisionnement en énergie disponible se réduit, le système est condamné à se simplifier.

En général, une économie se développe pendant une centaine d’années, atteint les limites de la complexité énergétique, puis s’effondre en quelques années.

Cet effondrement peut se produire de différentes manières. Une forme de gouvernement peut s’effondrer, référence par exemple à l’effondrement du gouvernement central de l’Union soviétique en 1991 qui peut s’interpréter comme une forme d’effondrement à un niveau inférieur de simplicité. Ou cela peut se traduire par la volonté d’un pays d’en conquérir un autre (ce qui peut inclure des problèmes de complexité énergétique), en vue de prendre le contrôle du gouvernement et des ressources du pays cible ; ou encore par un effondrement financier.

Selon Tainter, la simplification ne se produit généralement pas de manière délibérée. Il fournit un exemple de simplification délibérée à travers l’Empire byzantin au 7e siècle. Disposant de moins de ressources pour financer l’armée, il a abandonné certains postes éloignés et a ciblé une approche moins coûteuse pour maintenir les postes de défense restants.

5/ À mon avis, il est facile pour les calculs EROEI (et autres calculs similaires) de surestimer les avantages des systèmes énergétiques complexes.

L’un des principaux points soulevés par le Tainter dans la conférence mentionnée ci-dessus [vidéo] est que la complexité a un coût énergétique, mais que le coût énergétique de cette complexité est pratiquement impossible à mesurer. Il fait également remarquer que si l’intégration d’un niveau de complexité croissant est séduisant, son coût global tend à augmenter avec le temps. Et les modèles ont tendance à éluder les infrastructures et autres éléments requis, offerts par le système global, qui déterminent la possibilité de l’émergence d’une nouvelle source d’approvisionnement énergétique hautement complexe.

L’énergie nécessaire à la complexité étant difficile à mesurer de manière systémique, les modes de calcul de l’EROEI (https://www.sciencedirect.com/…/energy-return-on…) relatifs aux systèmes complexes auront tendance à énoncer que les formes complexes de production d’électricité, telles que l’éolien et le solaire, consomment moins d’énergie (ont un EROEI plus élevé) qu’elles ne le font en réalité.

Le problème est que les calculs EROEI ne prennent en compte que les coûts directs de l’« investissement énergétique ». Par exemple, les calculs ne sont pas conçus pour intégrer les données en lien avec le coût énergétique plus élevé d’un système doublé, chacun étant pour partie sous-utilisé pendant certaines périodes. Les coûts annuels ne seront pas nécessairement réduits de manière proportionnelle.

Dans la vidéo en lien, Joseph Tainter présente l’évolution de l’EROEI du pétrole dans le temps. Ce type d’analyse ne pose pas de problème, les niveau de complexité étant similaires, à fortiori si elle évite la comparaison avec la relativement récente technique de fracking, ce que fait Tainter. En revanche, comparer les EROEI de différents types d’énergie et différents niveaux de complexité peut facilement conduire à des conclusions erronées.

6/ L’économie mondiale actuelle semble d’ores et déjà se diriger à pas feutrés vers une simplification, ce qui suggère que la tendance vers une plus grande complexité a déjà dépassé son niveau maximum, compte tenu du manque de disponibilité de produits énergétiques bon marché.

Je m’interroge sur l’émergence d’une simplification dans le commerce, en particulier le commerce international, car le transport maritime (qui utilise très généralement des produits pétroliers) devient très coûteux. Cela pourrait être considéré comme un type de simplification, en réponse à l’absence d’un approvisionnement suffisant en énergie bon marché.

Figure 2. Trade as a percentage of world GDP, based on data of the World Bank.

D’après la figure 2 (https://i0.wp.com/…/Trade-as-percentage-of-world-GDP…), le commerce international en pourcentage du PIB a atteint un pic en 2008. Depuis lors, on observe une tendance générale à la baisse des échanges, ce qui indique que l’économie mondiale a eu tendance à se rétracter, du moins d’une certaine manière, lorsqu’elle a atteint les limites des prix élevés.

Un autre exemple de tendance à la baisse de la complexité est la chute des inscriptions dans les collèges et universités de premier cycle aux États-Unis depuis 2010 (https://i0.wp.com/…/US-undergraduate-part-time-full…). D’autres données montrent que les inscriptions dans le premier cycle ont presque triplé entre 1950 et 2010, de sorte que l’évolution vers une tendance à la baisse après 2010 représente un tournant majeur.

Figure 3. Total number of US full-time and part-time undergraduate college and university students, according to the National Center for Education Statistics.

La raison pour laquelle ces évolutions sont un problème est que les collèges et les universités ont des dépenses fixes colossales. Les systèmes éducatifs doivent notamment entretenir les bâtiments et les terrains, rembourser des dettes, et financer des professeurs permanents qu’ils se doivent de garder dans la plupart des cas même si le nombre d’élèves diminue. Ils peuvent dans certains cas proposer des pensions qui peuvent ne pas être entièrement financés par les élèves, ce qui ajoute une autre pression sur les coûts.

Selon les membres du corps enseignant des collèges avec lesquels j’ai discuté ces dernières années, des pressions ont été exercées pour améliorer le taux de rétention des étudiants qui ont été admis. En d’autres termes, ils ont le sentiment d’être encouragés à empêcher les étudiants actuels de décrocher, même si cela signifie qu’ils doivent abaisser progressivement leurs critères. Parallèlement, les salaires des professeurs ne suivent pas le rythme de l’inflation.

Les informations suggèrent que les collèges comme les universités ont récemment mis l’accent sur l’obtention d’un corps étudiant plus diversifié. Autrement dit, les étudiants qui n’auraient pas été admis dans le passé en raison de notes insuffisantes au lycée sont de plus en plus souvent admis afin d’éviter que les effectifs ne baissent davantage.

Du point de vue des étudiants, le problème majeur est que les emplois offrant un salaire suffisamment élevé pour justifier le coût élevé d’une formation universitaire sont de moins en moins nombreux. Cela semble être la raison à la fois de la crise de l’endettement des étudiants américains et de la baisse des inscriptions dans les premiers cycles universitaires.

Bien entendu, si les universités abaissent relativement leurs critères d’admission et probablement aussi les critères d’obtention des diplômes, il est nécessaire de « vendre » ces diplômés avec des niveaux de compétence quelque peu inférieurs aux standards habituels aux gouvernements et aux entreprises susceptibles de les embaucher. Il me semble que c’est un signe supplémentaire de la perte de complexité.

7/ En 2022, les coûts énergétiques totaux de la plupart des pays de l’OCDE ont commencé à atteindre des niveaux élevés par rapport au PIB. Lorsque l’on analyse la situation, on constate que les prix de l’électricité s’envolent, tout comme ceux du charbon et du gaz naturel, les deux types de combustibles les plus utilisés pour produire de l’électricité.

Figure 4. Chart from article called, Energy expenditures have surged, posing challenges for policymakers, by two OECD economists.

L’OCDE est une organisation intergouvernementale composée principalement de pays riches qui a été créée pour stimuler le progrès économique et favoriser la croissance mondiale (https://en.wikipedia.org/wiki/OECD). Elle comprend, entre autres, les États-Unis, la plupart des pays européens, le Japon, l’Australie et le Canada.

La figure 4 (« Les périodes de fortes dépenses énergétiques sont souvent associées à une récession » : https://i0.wp.com/…/Estimated-energy-end-use…), a été préparée par deux économistes travaillant pour l’OCDE (graphique tiré de l’article intitulé « Energy expenditures have surged, posing challenges for policymakers » : https://oecdecoscope.blog/…/energy-expenditures-have…/). Les barres grises indiquent une récession.

Ce graphique montre qu’en 2021, les prix de pratiquement tous les coûts associés à la consommation d’énergie ont eu tendance à s’envoler. Les prix de l’électricité, du charbon et du gaz naturel étaient tous très élevés par rapport aux années précédentes. Les seuls coûts énergétiques qui n’étaient pas très éloignés des coûts des années précédentes était ceux du pétrole. Le charbon et le gaz naturel sont tous deux utilisés pour produire de l’électricité, de sorte que les coûts élevés de l’électricité n’ont rien de surprenant.

Dans le graphique, les économistes de l’OCDE notent que « les périodes de fortes dépenses énergétiques sont souvent associées à une récession », ce qui souligne ce qui devrait être évident pour tous les économistes : les prix élevés de l’énergie poussent souvent l’économie vers la récession. Les citoyens sont contraints de réduire les dépenses non essentielles, ce qui réduit la demande et plonge l’économie dans une crise.

8/ Le monde semble se heurter aux limites de l’extraction du charbon. Cette situation, associée au coût élevé du transport du charbon sur de longues distances, conduit à une forte augmentation des prix du charbon.

La production mondiale de charbon est quasiment stable depuis 2011, Statistical Review of World Energy de BP, données 2022 : https://i0.wp.com/…/World-coal-mined-and-world…). La croissance de la production d’électricité à partir du charbon a été presque aussi stable que la production mondiale de charbon. Indirectement, cette absence de croissance de la production de charbon oblige les pouvoirs publics partout dans le monde à se tourner vers d’autres solutions de production d’électricité.

Figure 5. World coal mined and world electricity generation from coal, based on data from BP’s 2022 Statistical Review of World Energy.

[9] Le gaz naturel est aujourd’hui également en pénurie si l’on tient compte de la demande croissante des différents types d’énergie.

Bien que la production de gaz naturel ait augmenté, ces dernières années, elle n’a pas augmenté assez rapidement pour répondre à la demande croissante d’importations de gaz naturel dans le monde. La production mondiale de gaz naturel en 2021 n’était supérieure que de 1,7 % à celle de 2019.

La croissance de la demande d’importations de gaz naturel provient de plusieurs causes simultanées :

– L’offre de charbon étant stable et les disponibilités à l’importation insuffisantes, les pays cherchent à substituer la production d’électricité au gaz naturel à la production d’électricité au charbon. La Chine est le premier importateur mondial de gaz naturel en partie pour cette raison.

– Les pays qui produisent de l’électricité à partir de l’énergie éolienne ou solaire s’appuient sur les centrales au gaz naturel pour répondre rapidement à la demande électrique lorsque l’énergie éolienne ou solaire n’est pas disponible.

– Plusieurs pays, dont l’Indonésie, l’Inde et le Pakistan, ont une production de gaz naturel en déclin.

– L’Europe a choisi de mettre fin à ses importations de gaz naturel par gazoduc en provenance de Russie et a en conséquence besoin de compenser en important du GNL.

10/ Les prix du gaz naturel sont extrêmement variables, selon que le gaz naturel est produit localement ou non, et selon la manière dont il est expédié et le type de contrat dont il fait l’objet. Généralement, le gaz naturel produit localement est le moins cher. Le charbon connaît des problèmes similaires, le charbon produit localement étant le moins cher.

La figure 6 permet une comparaison des prix du gaz naturel dans trois régions du monde (publication japonaise IEEJ, 23 janvier 2013 : https://i0.wp.com/…/Natural-Gas-and-LNG-Prices-from…).

Figure 6. Comparison of natural gas prices in three parts of the world from the Japanese publication IEEJ, dated January 23, 2013.

Dans ce graphique, le prix plancher du Henry Hub (centre de distribution de gaz naturel situé à Erath en Louisiane) est le prix américain, disponible uniquement localement. La production est élevée aux États-Unis, son prix a donc tendance à être bas.

Le prix supérieur est celui constaté au Japon pour le gaz naturel liquéfié (GNL) importé, dans le cadre de contrats à long terme, sur une période de plusieurs années. C’est le prix le plus élevé, que l’Europe paie pour le GNL, sur la base des prix du « marché spot ».

Le GNL proposé sur le marché spot est le seul type de GNL disponible pour ceux qui n’ont pas anticipé les problèmes actuels – dont l’Europe…

Ces dernières années, l’Europe a pris le risque d’obtenir des prix bas sur le marché spot, mais cette approche s’est retournée contre elle dès lors que l’offre en GNL est insuffisante pour répondre à la demande mondiale. Notez que le prix élevé du GNL importé par l’Europe était déjà une évidence en janvier 2013, donc bien avant le début de l’invasion de l’Ukraine.

L’un des principaux problèmes du GNL est que le transport du gaz naturel est extrêmement coûteux, tendant à au moins doubler, voire tripler le prix. Les fournisseurs doivent être assurés d’un prix élevé pour le GNL sur long terme afin de rentabiliser les infrastructures colossales nécessaires pour produire et expédier le gaz naturel sous forme de GNL. Les prix extrêmement variables du GNL ont longtemps freiné les ambitions des producteurs de gaz naturel pour développer ce marché.

Inversement, les prix récents particulièrement élevés du GNL en Europe ont rendu le prix du gaz naturel trop élevé pour les industriels qui ont besoin de gaz naturel pour des processus autres que la production d’électricité, comme la fabrication d’engrais azotés. Ces prix élevés font que la crise consécutive au manque de gaz naturel bon marché se répercute sur le secteur agricole.

La plupart des gens sont « aveugles à l’énergie », surtout lorsqu’il s’agit du charbon et du gaz naturel. Ils partent de l’idée que ces deux combustibles peuvent être extraits à bon marché en abondance, et ce pour toujours.

Malheureusement, pour le charbon comme pour le gaz naturel, le coût du transport a tendance à être très élevé. Et c’est un aspect qui échappe aux analystes. C’est le coût élevé de transport et de livraison du gaz naturel et du charbon qui empêche les entreprises d’extraire réellement les quantités de charbon et de gaz naturel qui semblent être disponibles d’après les estimations des réserves, et non les réserves elles-mêmes.

10/ Lorsque nous analysons la consommation d’électricité de ces dernières années, nous découvrons que les pays – membres de l’OCDE ou non – ont connu des schémas de croissance de la consommation d’électricité étonnamment différents depuis 2001.

La consommation d’électricité des pays de l’OCDE a été quasiment stable, surtout depuis 2008. Mais même avant 2008, la consommation d’électricité n’augmentait que légèrement.

Les arbitrages actuels consistent à électrifier autant que possible les usages dans les pays de l’OCDE. L’électricité devrait être utilisée de manière conséquente pour alimenter les véhicules et chauffer les maisons. Elle serait également davantage utilisée par les industries nationales, notamment pour la fabrication des batteries et des semi-conducteurs. La question est de savoir comment les pays de l’OCDE seront en mesure d’augmenter suffisamment leur production d’électricité pour couvrir à la fois les utilisations actuelles de l’électricité et les nouvelles utilisations prévues, alors que la production d’électricité est restée stable dans le passé.

Figure 7. Electricity production by type of fuel for OECD countries, based on data from BP’s 2022 Statistical Review of World Energy.

La figure 7 (« Production d’électricité par type de ressources pour les pays de l’OCDE », BP’s 2022 Statistical Review of World Energy : https://i0.wp.com/…/2023/02/OECD-Electricity-by-Fuel.png) montre que la part du charbon dans la production d’électricité a diminué dans les pays de l’OCDE, surtout depuis 2008.

La part des « autres » a augmenté, mais juste assez pour que la production globale reste stable. La catégorie « Autres » comprend les énergies renouvelables, notamment l’éolien et le solaire, mais aussi l’électricité produite à partir du pétrole et de la combustion des déchets. Ces dernières catégories sont peu développées.

Le schéma de la production énergétique récente des pays non membres de l’OCDE est très différente.

Figure 8. Electricity production by type of fuel for non-OECD countries, based on data from BP’s 2022 Statistical Review of World Energy.

La figure 8 (« Production d’électricité par type de ressources pour les pays non membres de l’OCDE », BP’s 2022 Statistical Review of World Energy : https://i0.wp.com/…/02/Non-OECD-Electricity-by-Fuel.png) montre que les pays non membres de l’OCDE ont rapidement augmenté leur production d’électricité à partir du charbon. Les autres grandes sources de combustible sont le gaz naturel et l’électricité produite par les barrages hydroélectriques.

Toutes ces sources d’énergie sont relativement peu complexes. L’électricité produite localement à partir de charbon, de gaz naturel et d’hydroélectricité a tendance à être assez bon marché. Grâce à ces sources d’électricité peu coûteuses, les pays non membres de l’OCDE ont pu dominer les marchés de l’industrie lourde et d’une grande partie de l’industrie manufacturière dans le monde.

En fait, si nous examinons la production locale ou nationale des combustibles généralement utilisés pour produire de l’électricité (c’est-à-dire tous les combustibles à l’exception du pétrole), nous pouvons voir un modèle émerger (« Production énergétique des combustibles souvent utilisés pour la production d’électricité dans les pays de l’OCDE », BP’s 2022 Statistical Review of World Energy : https://i0.wp.com/…/OECD-Production-of-Fuels-Used-for…).

Figure 9. Energy production of fuels often used for electricity production for OECD countries, based on data from BP’s 2022 Statistical Review of World Energy.

En ce qui concerne l’extraction des combustibles souvent associés à l’électricité, la production a été réduite ou stagnante, même en incluant les « énergies renouvelables » (éolienne, solaire, géothermique et copeaux de bois). La production de charbon est en baisse. Le déclin de la production de charbon est probablement en grande partie responsable de l’absence de croissance de l’offre d’électricité dans l’OCDE. L’électricité produite localement à partir de charbon a toujours été très bon marché, ce qui a fait baisser le prix moyen de l’électricité.

Un schéma très différent apparaît lorsque l’on considère la production de combustibles utilisés pour générer de l’électricité dans les pays non membres de l’OCDE. Notez que la même échelle a été utilisée pour les figures 9 et 10.

Ainsi, en 2001, la production de ces combustibles était à peu près égale pour les pays de l’OCDE et les pays non-OCDE. Depuis 2001, la production de ces combustibles a presque doublé pour les pays non membres de l’OCDE, tandis que la production des pays de l’OCDE est restée pratiquement stable.

Figure 10. Energy production of fuels often used for electricity production for non-OECD countries, based on data from BP’s 2022 Statistical Review of World Energy.

Un élément intéressant de la figure 10 (« Production d’énergie des combustibles souvent utilisés pour la production d’électricité pour les pays non membres de l’OCDE », BP’s 2022 Statistical Review of World Energy : https://i0.wp.com/…/Non-OECD-Production-of-Fuels-Used…) est la production de charbon pour les pays non membres de l’OCDE, représentée en bleu en bas. Elle a à peine augmenté depuis 2011. C’est une des causes du resserrement actuel de l’offre mondiale de charbon.

Ceci dit, il n’est guère probable que la flambée des prix du charbon contribue notablement à la croissance de la production de charbon à long terme, car les réserves véritablement locales s’épuisent, même dans les pays non membres de l’OCDE. La flambée des prix est beaucoup plus susceptible d’entraîner une récession, et par conséquence des défauts de paiement des dettes, une baisse des prix des matières premières et une diminution de l’offre de charbon.

11/ Je crains que l’économie mondiale n’ait atteint les limites de la complexité ainsi que les limites de la production d’énergie.

L’économie mondiale semble en voie de s’effondrer sur plusieurs années. À court terme, le résultat pourrait ressembler à une mauvaise crise, ou à une guerre, ou peut-être aux deux. Jusqu’à présent, les économies qui utilisent des combustibles peu complexes pour produire de l’électricité (charbon et gaz naturel produits localement, plus production hydroélectrique) semblent s’en sortir mieux que les autres.

Mais l’économie mondiale dans son ensemble est mise à mal par l’insuffisance de l’offre de production d’énergie locale ou nationale bon marché.

Du point de vue physique, l’économie mondiale, ainsi que l’ensemble des systèmes économiques nationaux qui la composent, sont des structures dissipatives (https://gmwgroup.harvard.edu/dissipative-systems).

En tant que telles, le schéma habituel d’une croissance suivie d’effondrement semble inévitable. Mais parallèlement, on peut s’attendre à ce que de nouvelles organisations de structures dissipatives émergent, dont certaines peuvent être mieux adaptées aux conditions changeantes. Ainsi, certaines approches de la « croissance économique » qui semblent inadaptées aujourd’hui pourraient être opportunes à plus long terme.

Par exemple, en supposant que le changement climatique ouvre l’accès à davantage de réserves de charbon dans les régions froides, le principe de « Maximum Power Principle » (principe de puissance maximum ou principe de Lotka : https://en.wikipedia.org/wiki/Maximum_power_principle, ou https://fr.wikipedia.org/wiki/Principe_de_puissance_maximum) suggère qu’une certaine « économie » finira par tirer partie de ces gisements.

Ainsi, alors qu’il semblerait que nous arrivons aujourd’hui aux confins d’un type d’organisation économique, sur le long terme, on peut s’attendre à ce que les « systèmes auto-organisés » trouvent des moyens d’utiliser (« dissiper ») toute source d’énergie à laquelle il est possible d’accéder à moindre coût, en tenant compte à la fois de la complexité et de l’usage des différentes formes de « carburant ».


Limite planétaire des cycles azote/phosphore : quézaco ?

Considérés comme l’une des 6 limites planétaires dépassées par l’homme, l’azote et le phosphore sont des nutriments indispensables à la croissance des végétaux. Seulement, leur surutilisation et surproduction par l’industrie et l’agriculture intensive (engrais, fertilisants et déjections animales) entraînent leur accumulation dans les milieux aquatiques, conduisant à la prolifération d’algues et de plantes marines.

Les 9 limites géophysiques à ne pas dépasser
© Libération

Lorsque celles-ci meurent, leur décomposition va générer une prolifération bactérienne. Bactéries qui consomment de l’oxygène et entraînent l’asphyxie des écosystèmes aquatiques. Le développement éventuel de plantes flottantes empêche également le passage de la lumière et donc la production photosynthétique d’oxygène par les micro-organismes marins.

Schéma du processus d’eutrophisation des milieux aquatiques ©Eklablog

En France, le phénomène est particulièrement visible en Bretagne où les élevages industriels ont entraîné une prolifération des algues vertes et dans les lacs, où l’on signale des proliférations cyanobactériennes de plus en plus fréquentes.

©Actu Environnement

À l’échelle mondiale, ce phénomène est à l’origine d’une baisse du niveau d’oxygène dans les océans et du développement de « dead zones », des zones mortes à l’embouchure des fleuves ou sur les littoraux où plus aucune vie ne peut se développer.

Zones mortes océaniques et littorales ©World Economic Forum

Là où ça coince, c’est que l’on estime que la photosynthèse produite par les organismes marins est à l’origine de plus de 75% de l’oxygène terrestre. En clair, si ces microorganismes meurent, nous aussi.

Producteurs d’oxygène : 25 % plantes terrestes, 25 % micro-algues, 50 % microorganismes marins ©Grokearth

Crédit auteur : La Revue de Presse de Lau


Les modèles du climat sous-estimeraient-ils le réchauffement climatique induit par les activités humaines ?

Xavier Fettweis

Nous avons demandé au Prf. Fettweis (https://obsant.eu/xavier-fettweis/ ) de lire pour nous la dernière publication de J. Hansen de 2022 : Global warming in the pipeline.

Alors que cela fait plusieurs décennies que les climatologues tirent la sonnette d’alarme (le 1er rapport du GIEC date de 1990), le Président Emmanuel Macron se demandait il y a quelques semaines de savoir « Qui aurait pu prédire la crise climatique de cet été ? », en prétextant avoir dit cela pour insister que les changements climatiques observés cet été seraient pires que ceux prévus. Tout récemment, un article scientifique paru dans Earth System Dynamics suggérait qu’il faudrait considérer la fourchette haute des prévisions du GIEC pour être en accord avec les observations en France de ces deux dernières décennies. Par conséquence, il est tout à fait légitime de se poser la question : et si on sous-estimait les changements climatiques à venir ?

Pour réaliser des projections futures, les climatologues disposent de modèles du climat forcés par des scénarios de concentration de gaz à effet de serre, émissions d’aérosols, … Ces modèles sont conçus pour représenter au mieux le climat moyen observée (par exemple la période 1981-2010) et grâce aux observations, il est très facile de savoir si on a un modèle fiable ou pas pour une région donnée. Mais, même si un modèle est capable de bien représenter le climat actuel en moyenne, il est beaucoup plus difficile d’évaluer sa capacité à simuler des changements climatiques surtout pour des concertations de gaz à effet de serre non encore observées jusque maintenant. C’est pourquoi les climatologues ont introduit la notion de sensibilité climatique à l’équilibre (ECS en anglais pour Equilibirum Climate Sensibility) d’un modèle qui, pour faire simple, est le taux de réchauffement simulé par le modèle pour un doublement de la concentration de CO2 (560ppm) par rapport à la concentration pré-industrielle (280ppm). En moyenne, la sensibilité climatique des modèles est de +3°C pour un doublement de CO2, avec toutefois des modèles, dits « réchauffistes », ayant une ECS allant jusque +4.5°C et d’autres modèles plus conservateurs avec une ECS de +1.5°C. Ces modèles capables de reproduire le réchauffement global actuellement observé depuis 1850 (+1.2°C en 2022) ont alors permis au GIEC d’évaluer l’impact radiatif des différentes conséquences des activités humaines dont en particulier les émissions d’aérosols (c’est-à-dire les petites particules de pollution comme les fameux PM10). Ces aérosols ont un rôle refroidissant très important en réfléchissant les rayons du soleil et en favorisant la formation de nuages bas ou brouillards réfléchissant aussi les rayons du soleil. Sans l’effet de ces aérosols émis par les activités humaines, le réchauffement climatique observé serait beaucoup (entre 20 et 50%) plus important.

Comme la concentration de CO2 actuellement observé en 2022 est de 420ppm, il n’est pas encore possible d’évaluer si une ECS de +3°C est robuste ou pas même si c’est la moyenne des modèles climatiques. Par contre dans le lointain passé, il y a eu de telles hausses de CO2 (à cause d’éruptions volcaniques) que Hansen et al. 2022 ont récemment exploitées pour estimer une ECS de +4°C sur base de la hausse de température estimée à cette époque à l’aide de carottes de glace prélevées en Antarctique. Cela suggérerait qu’une ECS de +3°C sous-estimerait le réchauffement climatique et que seuls les modèles réchauffistes avec une ECS de +4°C devraient dorénavant être considérés. Si on utilise seulement les modèles avec une ECS de +4°C pour reconstruire la hausse de température observée, cela suggérerait que l’effet refroidissant des aérosols est plus important que ce que l’on estimait jusqu’à présent pour coller aux observations. Or , s’il y a bien quelques choses qui est entrain de diminuer aujourd’hui, ce sont les émissions de ces fameux aérosols car ils sont directement dangereux pour l’homme à cause de leur effet sur notre système respiratoire. En Europe par exemple, il fait maintenant beaucoup plus lumineux qu’avant principalement parce que nos émissions d’aérosols ont diminués drastiquement depuis les années 2000. Idem en Chine dont les grandes villes sont en permanence noyées dans un brouillard de pollution, de grands efforts sont actuellement réalisés pour réduire ces émissions d’aérosols. Une ECS sous-estimée par les modèles cumulé à une réduction drastique des émissions d’aérosols suggérerait que l’augmentation de la température dans les prochaines décennies devrait être revue à la hausse et, en tout cas, que les projections climatiques actuelles basées sur la moyenne des modèles ne sous-estiment certainement pas le réchauffement que l’on aura dans les prochaines décennies.

Autre sous-estimation probable des changements climatiques : les changements dans la circulation atmosphérique (c’est-à-dire la position des dépressions et anticyclones) qui sont probablement aussi sous-estimés par les modèles du climat. Au Groenland par exemple, on observe depuis les années 2000 de plus en plus d’anticyclones en été centrés sur la calotte polaire à la place d’avoir une dépression apportant froid et chutes de neige. Ces anticyclones apportent avec eux de l’air tropical et un temps ensoleillé et sec qui emballe la fonte de la calotte, à tel point qu’ils sont responsables d’environ la moitié de l’augmentation de la fonte de la calotte observée depuis les années 2000. L’autre moitié est évidemment la conséquence directe de la hausse des températures en Arctique. Si on continue a avoir des anticyclones en été sur le Groenland à la place de dépressions, il faudra alors multiplier par deux les projections futures de fonte de la calotte car les modèles de climat ne suggèrent pas ces changements de circulation 1. Malheureusement, comme on observe ces changements que depuis une 20 aine d’années, il est encore trop tôt pour affirmer que les modèles du climat se trompent car il y a toujours une possibilité que ces anticyclones plus fréquents en été ne soient simplement que le résultat de la variabilité naturelle du climat (et non une conséquence imprévue du réchauffement climatique) et qu’on revienne vers une circulation atmosphérique plus normale dans les prochains étés. En Europe, on observe aussi ce genre de changements avec un Anticyclone des Açores qui remonte beaucoup plus au nord en été que prévu depuis quelques années. Ceci explique d’ailleurs pourquoi nos derniers étés sont plus secs, plus ensoleillés et plus chauds que ce que la moyenne des modèles du GIEC prévoit pour cette décennie. Là encore, les modèles ne prévoient pas une telle remontée de l’Anticyclone des Açores aussi rapidement qu’observée. Malheureusement ici, il est beaucoup plus difficile d’évaluer dans le passé si de tels changements ont eu lieux lorsque le CO2 a augmenté (à cause d’éruptions volcaniques). Par conséquence, ces changements dans la circulation générale de l’atmosphère qu’on observe depuis une 20aine d’année restent une question ouverte en climatologie qui pourrait, s’ils se confirment dans les prochaines années, emballer les impacts du réchauffement climatique dans certaines régions comme en Europe.

Un réchauffement climatique sous-estimé par les modèles et des changements de la circulation atmosphérique non simulés par les modèles du climat suggèrent qu’il est plus que probable que les projections climatiques actuellement disponibles sous-estimeraient ce qui pourrait nous attendre dans les prochaines décennies et donc qu’on suivrait le pire des scénarios du GIEC voir d’avantage dans certaines régions. Évidement, à nous de nous arranger pour ne pas suivre cette trajectoire jusqu’à la fin du siècle en réduisant notre consommation énergétique (fossile) tout en passant aux énergies renouvelables.


1 : Référence : Delhasse, A, Hanna, E, Kittel, C, Fettweis, X. Brief communication: CMIP6 does not suggest any atmospheric blocking increase in summer over Greenland by 2100. Int J Climatol. 2021; 41: 2589– 2596. https://doi.org/10.1002/joc.6977


Faut-il boycotter la COP28 ?

Paul Blume

parution 18/01/2023 – modifié le 22/09/2023

La décision daterait de la fin de l’année 2021 lors de la COP de Glasgow. La 28ème Conférence des Parties (wikipedia) sera organisée par les Émirats Arabes Unis.

Pour en assurer la Présidence, le choix s’est porté sur le Sultan Al Jaber, ministre de l’industrie et PDG de la compagnie pétrolière nationale.

Si l’on peut comprendre que la mécanique complexe des attributions des conférences internationales implique parfois de drôles de contradictions, de sérieuses questions commencent à déranger les militantes et militants de la cause climatique.

Climat ou croissance, quel choix faisons-nous ?

Conception Alvarez, dans un article paru début janvier dans Novethic * décrit bien ces enjeux complexes mêlant intérêts politiques et économiques.

Est-il vraiment concevable de donner les clefs d’une conférence internationale sur le climat à un magnat du pétrole ?

Est-il acceptable de l’entendre proposer d’émettre moins de co2 tout en consommant plus d’énergies fossiles ?

Par définition, ces grands caucus sont des proies évidentes pour différentes formes de propagandes diplomatico-politiques ou lobbyings divers sur le plan économique.

La question est de déterminer si on ne passe pas, en l’espèce, une ligne rouge.

Est-il vraisemblable pour le monde scientifique de cautionner un pareil mélange des genres ?

Pour les états d’Europe, déjà empêtrés dans des débats curieux sur la définition même de ce que sont les énergies renouvelables *, participer à un événement de cette envergure dans un tel cadre n’est pas non plus une opération évidente en terme de crédibilité.

Comment imposer à l’industrie des transports une mutation coûteuse vers une moindre utilisation des énergies fossiles tout en donnant une importante fenêtre de promotion aux compagnies pétrolières ?

On peut juger le boycott d’événements internationaux inefficace, contre-productif, excessif.

On peut aussi se demander si la participation à cette COP ne marquerait pas définitivement une forme de renoncement public aux objectifs de contenir le réchauffement face aux diktats économiques. Une forme de sacrifice collectif.

Poser la question n’est pas y répondre. Ne pas poser la question serait déjà renoncer.

Ci-dessous, une partie de réponse à la question par Madame Christiana Figueres, qui fut l’une des négociatrices de l’accord de Paris de 2015 à la COP21 (source AFP) :

L’ancienne cheffe de l’ONU Climat, Christiana Figueres, a fustigé jeudi à New York les entreprises internationales d’énergies fossiles qui ne devraient donc pas participer à la COP28 à Dubaï si elles refusent de lutter contre le changement climatique.

Lors d’une conférence « Climate Changes Everything », en marge de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, la diplomate costaricaine a reconnu qu’elle « perdait patience » avec l’industrie des énergies fossiles responsable d’une grande partie des émissions de gaz à effet de serre.

D’après celle qui fut l’une des négociatrices de l’accord de Paris de 2015 à la COP21, les grandes entreprises énergétiques ont failli à leurs engagements de transition vers des énergies renouvelables.

« Au lieu de tout faire pour mettre en application leur incroyable capacité d’innovation et d’ingénierie, elles ont fait tout le contraire », a tonné Mme Figueres.

Le monde doit sortir des énergies fossiles polluantes, atteindre le pic de ses émissions de CO2 d’ici 2025 et faire « beaucoup plus, maintenant, sur tous les fronts » pour affronter la crise climatique, avait mis en garde début septembre un premier rapport de l’ONU Climat sur ce qui a été accompli ou non depuis l’accord de Paris et son objectif le plus ambitieux de limiter le réchauffement à 1,5°C.

Ce rapport sera au coeur de la COP28 de Dubaï du 30 novembre au 12 décembre aux Emirats arabes unis.

Le réchauffement mondial a déjà atteint environ 1,2°C par rapport à l’ère pré-industrielle.

Interrogée pour savoir s’il fallait que les sociétés pétrolières et gazières mondiales, accusées de traîner les pieds sur leurs engagements en faveur du climat, participent à la COP28, Mme Figueres a répondu: « Cela dépend si elles viennent là-bas pour contribuer et accélérer la décarbonation ou si elles agissent littéralement contre ces objectifs ».

Le président de la COP28 et de la compagnie pétrolière nationale émirienne, Sultan al-Jaber, avait appelé début septembre à « tripler les énergies renouvelables d’ici à 2030, commercialiser d’autres solutions sans carbone, comme l’hydrogène, et développer un système énergétique exempt de tout combustible fossile sans captage de CO2 ».

Lors du sommet sur « l’ambition climatique » mercredi à l’ONU, il a répété que « la réduction progressive des énergies fossiles était inévitable » et « essentielle ».

Une position qui a satisfait l’ancienne patronne de l’ONU Climat qui estime que le président de la COP28 « a compris (sa) responsabilité politique internationale et multilatérale » pour le climat.

Ajoutons qu’aujourd’hui, les investissements massifs récents dans l’exploration et l’exploitation des sources fossiles indiquent clairement la voie choisie. Les éventuels efforts qui seront programmés dans les énergies de substitution ne seront pas accompagnés de contraintes volontaires sur l’économie des fossiles.

La question reste. Faut-il participer à cette COP28 ?

Voir https://obsant.eu/boycott-cop-28/


Les défenseurs du climat ont besoin de preuves tangibles et Friederike Otto les a !

Le réseau World Weather Attribution fournit un levier crucial pour les batailles juridiques et politiques.

Matt Reynolds, wired.com – 06/01/2023

Traduction : Deepl & Josette

Le 19 juillet 2022, le Royaume-Uni a eu un avant-goût de la météo à venir. Les températures ont atteint 40,3 degrés Celsius, dépassant le précédent record de plus d’un degré et demi.

Des dizaines de maisons ont été détruites par des incendies dans l’est de Londres, tandis qu’ailleurs dans le pays, la chaleur a poussé le réseau électrique au bord de la rupture. L’Office for National Statistics estime qu’il y a eu plus de 2 800 décès supplémentaires chez les plus de 65 ans pendant les vagues de chaleur de l’été 2022, ce qui en fait l’année la plus meurtrière pour la chaleur depuis 2003.

Avant même que les températures n’aient atteint leur maximum, Friederike Otto était dans son bureau de l’Imperial College de Londres, se préparant à répondre à la question qui, comme elle le savait, lui serait posée un nombre incalculable de fois au cours de la semaine suivante : le changement climatique était-il en cause ?

Lorsqu’un événement météorologique extrême se produit, Mme Otto et sa petite équipe de climatologues – dont la plupart travaillent pendant leur temps libre – sont les personnes vers lesquelles le monde se tourne pour savoir si le changement climatique a rendu le temps plus mauvais ou plus susceptible de l’être. « Je pense qu’il est important de se faire une idée plus réaliste de ce que signifie le changement climatique », déclare Mme Otto, maître de conférences en sciences du climat au Grantham Institute for Climate Change et cofondatrice de l’initiative World Weather Attribution. « Pour certains types d’événements, comme les vagues de chaleur, le changement climatique change véritablement la donne, et nous voyons des événements que nous n’avions jamais vus auparavant. »

Chaque semaine, un contact à la Croix-Rouge envoie à Friederike Otto et à ses collègues de World Weather Attribution une liste d’inondations, de vagues de chaleur et d’autres événements météorologiques extrêmes à travers le monde. Il arrive souvent que le courriel contienne six ou huit crises, ce qui est beaucoup trop pour la petite équipe de Friederike Otto. Les scientifiques se concentrent donc sur les phénomènes météorologiques qui ont un impact sur des millions de personnes, en sélectionnant environ un événement toutes les six semaines, allant de tempêtes en Europe aux inondations au Pakistan.

Une fois que les scientifiques ont choisi le sujet de leur analyse, ils agissent rapidement, fouillant dans les archives historiques et utilisant des modèles climatiques afin de déterminer le rôle – éventuel – du changement climatique dans la catastrophe. Le rapport final est généralement publié dans les jours ou les semaines qui suivent un événement météorologique extrême. Il s’agit d’une différence notoire par rapport au rythme normalement très lent de la publication universitaire, où il faut parfois des années pour qu’un article scientifique soit finalement publié dans une revue, mais les réponses rapides sont l’objectif même de World Weather Attribution. En publiant des études alors qu’un événement extrême fait encore la une des journaux et des agendas politiques, les scientifiques comblent un vide qui pourrait autrement être occupé par le déni du changement climatique. Dans le cas de la vague de chaleur au Royaume-Uni, World Weather Attribution a présenté son rapport neuf jours seulement après que les températures ont atteint leur maximum.

Les résultats ont révélé l’ampleur sans précédent de ces températures record. L’équipe de Friederike Otto a estimé que le changement climatique avait rendu la vague de chaleur britannique au moins 10 fois plus probable et que, dans un monde sans réchauffement climatique, les températures maximales auraient été inférieures d’environ 2° Celsius. Le temps était si inhabituel que, dans un monde sans changement climatique, il aurait été statistiquement impossible d’atteindre des températures aussi élevées dans deux des trois stations météorologiques étudiées par les scientifiques. Dans le monde de la science de l’attribution du climat, c’est à peu près ce qui se rapproche le plus de la preuve concluante. « Les gens veulent toujours un chiffre, et parfois, il est impossible d’en donner un très satisfaisant », explique Friederike Otto. Cette fois, cependant, Mme Otto ne manquait pas de chiffres à partager avec les journalistes qui l’appelaient.

Mais la science de l’attribution peut faire beaucoup plus que nous dire comment le changement climatique influence le temps. Mme Otto veut utiliser ses rapports d’attribution pour demander aux pollueurs de rendre des comptes sur les phénomènes météorologiques extrêmes. « Nous avons commencé à travailler avec des avocats pour combler le fossé entre ce que nous pouvons dire scientifiquement et ce qui a été utilisé jusqu’à présent en termes de preuves », explique-t-elle. Avec des actions en justice en cours en Allemagne et au Brésil, la science de l’attribution entre dans les salles d’audience.

Les débuts du réseau WWA

Friederike Otto a cofondé World Weather Attribution en 2014 avec l’océanographe Heidi Cullen et le climatologue Geert Jan van Oldenborgh. Au début, Mme Otto – qui est diplômée en physique et en philosophie – pensait que le rôle principal de l’attribution météorologique était de démêler la complexité des systèmes météorologiques pour quantifier l’influence du changement climatique sur les conditions météorologiques extrêmes. D’autres scientifiques avaient établi comment utiliser les modèles climatiques pour attribuer les phénomènes météorologiques au changement climatique, mais personne n’avait essayé d’utiliser cette science pour produire des rapports rapides sur les catastrophes récentes.

La première étude en temps réel de World Weather Attribution a été publiée en juillet 2015. Elle a révélé qu’une vague de chaleur survenue en Europe plus tôt ce mois-là avait presque certainement été rendue plus probable grâce au changement climatique. D’autres études ont suivi sur les inondations, les tempêtes et les précipitations, chacune étant publiée dans les semaines suivant la catastrophe. Mais les études d’attribution ne servent pas seulement à comprendre les événements passés – elles peuvent nous aider à nous préparer pour l’avenir, dit Friederike Otto. « Je vois maintenant l’attribution comme un outil qui nous aide à démêler les moteurs des catastrophes et nous aide à utiliser les événements extrêmes comme une loupe braquée sur la société pour voir où nous sommes vulnérables. »

La mousson dévastatrice de 2022 au Pakistan en est un exemple. Mme Otto et ses collègues se sont déchirés sur la formulation de leur rapport, car il y avait si peu d’événements similaires dans les archives historiques que leurs modèles avaient du mal à simuler avec précision les précipitations extrêmes. Ils savaient que les précipitations dans la région étaient beaucoup plus intenses que par le passé, mais ils ne pouvaient pas chiffrer avec précision la part de cette augmentation due au changement climatique. « Il se peut que tout soit dû au changement climatique, mais il se peut aussi que le rôle du changement climatique soit beaucoup plus faible », explique Mme Otto. Même si la cause n’a pas pu être déterminée avec précision, le rapport a mis en évidence la vulnérabilité du Pakistan aux graves inondations, soulignant que la proximité des fermes et des habitations avec les plaines inondables, les mauvais systèmes de gestion des rivières et la pauvreté sont des facteurs de risque majeurs. « La vulnérabilité est ce qui fait la différence entre un événement qui n’a pratiquement aucun impact et une catastrophe », explique Mme Otto.
Les travaux de World Weather Attribution ont tendance à faire les gros titres lorsqu’ils concluent que le changement climatique rend les phénomènes météorologiques extrêmes plus probables, mais le résultat inverse peut être encore plus utile aux régions confrontées à des catastrophes. Une enquête sur une longue sécheresse dans le sud de Madagascar a révélé que le risque de faibles précipitations n’avait pas augmenté de manière significative en raison du changement climatique d’origine humaine. Le fait de savoir cela redonne de l’autorité aux pays, déclare Mme Otto. « Si vous pensez que tout est lié au changement climatique, vous ne pouvez rien faire à moins que la communauté internationale ne se mobilise. Mais si vous savez que le changement climatique ne joue pas un rôle important, voire aucun, cela signifie que tout ce que vous faites pour réduire votre vulnérabilité fait une énorme différence. »

Porter l’affaire devant le tribunal

Les gouvernements ne sont pas les seuls à s’intéresser de près aux résultats des études d’attribution. Les tribunaux commencent également à s’y intéresser. En août 2021, un tribunal australien a jugé que l’Agence de protection de l’environnement de la Nouvelle-Galles du Sud n’avait pas rempli son devoir de protection de l’environnement contre le changement climatique, dans une affaire portée par des survivants de feux de brousse. L’une des études d’attribution de Friederike Otto sur la saison 2019-2020 des feux de brousse a été utilisée dans un rapport commandé par le tribunal, mais elle ne l’a appris que lorsqu’un des avocats impliqués dans l’affaire lui a envoyé un courriel après que le verdict ait été prononcé. « C’est vraiment agréable à voir, quand une étude que nous avons réalisée a un impact dans le monde réel », dit-elle.

Si les études d’attribution peuvent nous dire qu’une catastrophe a été aggravée par le changement climatique, elles nous indiquent aussi autre chose : qui pourrait être tenu pour responsable. Richard Heede, un géographe californien, a passé des dizaines d’années à fouiller dans des archives pour estimer les émissions de carbone des entreprises, en remontant jusqu’avant la révolution industrielle. Le résultat est connu sous le nom de Carbon Majors : une base de données des plus gros pollueurs du monde jusqu’à aujourd’hui. Le rapport 2017 des Carbon Majors a révélé que la moitié de toutes les émissions industrielles depuis 1988 pouvaient être attribuées à seulement 25 entreprises ou entités publiques. L’entreprise publique de combustibles fossiles Saudi Aramco est à elle seule responsable de 4,5 % des émissions industrielles de gaz à effet de serre dans le monde entre 1988 et 2015.

Ces données sont extrêmement utiles pour les personnes qui tentent de porter plainte contre les entreprises de combustibles fossiles. En mai 2022, un groupe de scientifiques et d’avocats s’est rendu dans les Andes péruviennes pour inspecter un glacier géant qui surplombe les eaux cristallines du lac Palcacocha. Si le glacier s’effondre dans le lac, les scientifiques craignent que la ville voisine de Huaraz soit submergée. L’agriculteur péruvien Saúl Luciano Lliuya estime que les pollueurs devraient payer les frais de défense de la ville contre les inondations, car le réchauffement climatique a fait reculer les glaciers autour du lac Palcacocha, augmentant ainsi le risque d’inondations dangereuses. La cible du procès est l’entreprise énergétique allemande RWE, responsable de 0,47 % de toutes les émissions industrielles de gaz à effet de serre entre 1751 et 2010, selon les données de Heede. Lliuya ne réclame que 14 250 livres (17 170 dollars), soit 0,47 % du coût de la protection de Huaraz.

Si Lliuya gagne son procès, cela pourrait créer un précédent en vertu duquel les pollueurs pourraient être tenus légalement responsables des effets de leurs émissions partout sur la planète. « Cela changerait vraiment le discours dans lequel nous évoluons », déclare Mme Otto. Cela rendrait également le travail d’attribution des phénomènes météorologiques encore plus important. Si les scientifiques savent que le changement climatique a rendu les inondations dans une région deux fois plus graves qu’elles ne l’auraient été, par exemple, ils peuvent utiliser cette preuve pour estimer dans quelle mesure les entreprises et les États individuels ont contribué à cette catastrophe. L’un des étudiants de Friederike Otto travaille déjà sur un cas juridique au Brésil qui implique l’attribution des conditions météorologiques. « Nous avons constaté un énorme intérêt pour cette question. Ce ne sont pas seulement les journalistes qui appellent et veulent savoir, mais aussi les avocats », explique Mme Otto.

Malgré l’intérêt croissant pour le domaine, World Weather Attribution est encore presque entièrement géré par des scientifiques travaillant gratuitement pendant leur temps libre. Mme Otto espère que l’attribution des données météorologiques pourra un jour faire partie intégrante des services météorologiques, ce qui lui donnerait plus de temps pour se concentrer sur la science des ouragans et des sécheresses, qui sont beaucoup plus difficiles à analyser. Mais pour l’instant, son principal objectif est de rendre ses études d’attribution plus utiles aux avocats et de contribuer à rendre justice aux personnes les plus touchées par le changement climatique. « Le changement climatique ne sera jamais une catastrophe pour ceux qui sont riches. Et je pense que c’est pourquoi c’est finalement une question de justice, parce que ceux qui paient sont ceux qui sont les plus vulnérables dans la société. »

Cet article a été initialement publié dans le numéro de janvier/février 2023 du magazine WIRED UK.


Pouvoir d’achat et pouvoir de nuisance

Paul Blume

Entre l’exigence de diminuer la pression de l’économie sur le vivant et les difficultés de plus en plus apparentes à garder une croissance, fut-elle « verte », le débat sur la question sociale ne peut plus être abordé de la même façon qu’au siècle passé.

Classiquement, les revendications des organisations mutuellistes, syndicales et plus largement de défense des droits sociaux reposent sur une exigence de protection des plus démunis et l’accès à plus d’égalité dans la répartition des fruits de la croissance, à plus de performance collective en termes d’accès au logement, l’alimentation, la santé, la culture, etc…

Cette histoire des luttes pour une justice sociale intègre peu d’éléments « externes » telles les conditions écologiques et environnementales ou les relations de l’humanité au vivant.

Mais le vivant se rappelle à nous. Détériorer son environnement à la vitesse de l’industrialisation moderne se paie cher. Quel que soit le modèle social en usage.

La question climatique illustre bien les contradictions de cette guerre que nous menons contre la nature.

Chaque point de croissance s’accompagne d’émissions de gaz à effet de serre supplémentaires et nous rapproche de conditions de vie insoutenables pour nous, humains, mais également pour l’ensemble du vivant.

Dans le concret, les riches émettent proportionnellement beaucoup plus que les plus démunis.

L’exigence de justice sociale n’en est donc que plus exacerbée.

De là à ne pas prendre en compte les risques systémiques qui menacent la vie elle-même, il y a une marge à ne pas franchir. Sous peine d’alimenter les feux d’une croissance mortifère.

Il est temps d’interroger le sacro-saint pouvoir d’achat. Acheter, c’est aussi participer à la mécanique consumériste qui tue.

Le pouvoir d’achat est aussi un pouvoir de nuisance.

Ce constat ne remet pas en cause l’exigence d’équité. Mais bien les moyens utilisés pour y parvenir.

Il n’est plus possible de vivre dans le paradigme du ruissellement. « Toutes et tous plus riches chaque jour » n’est plus envisageable.

Si l’on veut être équitable dans une période de déplétion, il est impératif d’établir des objectifs clairs.

Que veut-on ? Permettre à plus de ménages d’accéder aux vacances en avion ou s’attaquer enfin au sans-abrisme ?

Mettre la priorité sur l’amélioration des conditions de vie des moins nantis implique dorénavant de toucher directement à la répartition des résultats … de la décroissance. Voulue ou subie.

Ce débat reste un impensé des organisations sociales et c’est catastrophique.

Après des décennies de refus par celles-ci d’envisager des socles minimaux universels d’accès à une existence décente, nous affrontons en mauvaise posture les contraintes à la baisse sur la consommation globale.

Les multiples contradictions révélées par la crise actuelle de l’énergie mettent en exergue ces « impossibles » que la majorité des citoyens semblent ne pas vouloir prendre en compte.

L’exigence d’un maintien des prix des énergies fossiles en-dessous d’un certain seuil se comprend facilement au regard des contraintes subies par les ménages et les entreprises.

Cela n’empêche que prendre en compte le caractère inéluctable d’une sobriété croissante est indispensable.

A peine les prix se tassent-ils que certaines agglomérations envisagent de rallumer l’éclairage de nuit.

Le phénomène est le même que celui des résistances à la réduction de la vitesse au volant.

Une recherche permanente d’accroissement du « confort » que seules les contraintes économiques parviennent à ralentir.

Et pourtant nous ressentons déjà les conséquences sur nos vies du réchauffement climatique. Sans évoquer la biodiversité, la perte de capacité de production des sols, les conséquences sanitaires des pollutions multiples, etc …

Toutes ces considérations n’indiquent pas comment faire. Singulièrement dans le cadre des revendications salariales qui animent cette fin d’année.

Il est pourtant plus qu’urgent de réfléchir aux conséquences extra-économiques de nos comportements et revendications.

Nous sommes en état de guerre contre nos propres intérêts vitaux. Et le consumérisme est une arme d’autodestruction redoutable.

Il ne s’agit pas d’un conflit entre fin du mois et fin du monde. Mais d’un débat indispensable pour nos valeurs de solidarité et d’entraide à un moment de l’histoire ou la vie devient chaque jour plus difficile.

Revendiquer une croissance du pouvoir d’achat sans penser comment diminuer le pouvoir global de nuisance est contre productif.

Que faire alors ? Surtout, ne pas éluder la question.

veille : pouvoir achat