Climat : panser nos plaies, penser la catastrophe et repenser nos sociétés

Nicolas van Nuffel
Président de la Coalition climat

Après un mois de juillet émaillé par les catastrophes en Belgique et ailleurs dans le monde, le premier chapitre du sixième rapport du GIEC est venu ajouter ce lundi des éléments d’explication scientifique au drame que nous avons vécu. Côté politique, si les lignes ont bougé depuis quelques années, l’heure n’est certainement pas à l’autosatisfaction : il va nous falloir agir plus vite, plus fort et plus solidairement pour traverser le siècle qui vient en garantissant une vie digne à chacune et chacun. L’heure est venue de sonner la mobilisation générale. La Coalition Climat a déposé une centaine de propositions sur la table du monde politique, qui n’attendent que d’être mises en débat, pour passer, enfin, à l’action.

41 personnes ayant perdu la vie en Belgique, près de 200 ailleurs en Europe. Des milliers d’autres ayant tout perdu ou presque : maison, lieu de travail, investissements de toute une vie, souvenirs personnels. Des régions entières sinistrées, pour longtemps. C’est le bilan tout provisoire d’un été 2021 qui restera dans l’histoire comme celui où le dérèglement climatique a, pour la première fois, frappé notre pays de façon aussi spectaculaire.

Et ce cas est loin d’être isolé : partout dans le monde, les indices se multiplient, plus spectaculaires les uns que les autres. Au début de l’été, ce sont 700 personnes qui sont décédées au Canada des suites du dôme de chaleur qui a poussé les températures à près de 50°C ; au Groenland, des températures records entraînent actuellement une fonte record de la calotte glaciaire ; en Méditerranée, les incendies se multiplient, et ont déjà fait près de 100 victimes rien qu’en Grèce ; à Madagascar, 400 000 personnes souffrent actuellement d’une famine liée à une sécheresse exceptionnellement prononcée. De plus, derrière les chiffres des catastrophes visibles, ce sont des centaines de millions de personnes vivant dans les zones semi-désertiques, les deltas des grands fleuves ou, tout simplement, les paysannes et paysans du monde entier, dont les conditions de subsistance sont, lentement mais sûrement, mise en danger par le réchauffement climatique. Des zones entières s’apprêtent à devenir tout simplement inhabitables, et l’on ne parle pas uniquement du cas emblématiques des petits Etats insulaires : la ville de Lagos, deuxième du continent africain, pourrait être submergée d’ici 2100. Avec pour conséquence la multiplication des personnes déplacées ou réfugiées.

Bien entendu, comme on le répète à chaque événement extrême, il n’est pas possible d’établir un lien de causalité absolu entre le réchauffement climatique et une inondation, une canicule, un typhon en particulier. Pas plus que l’on ne peut que difficilement établir de lien individuel entre la consommation de tabac ou de pesticides et l’apparition d’un cancer. Mais les rapports nous en avertissent depuis trois décennies : le réchauffement de notre atmosphère s’accompagne d’une exacerbation des phénomènes météorologiques extrêmes, avec comme conséquence une multiplication des catastrophes. A ce titre, le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) vient renforcer les conclusions portées depuis trente ans : selon ce rapport, l’influence de l’activité humaine sur le réchauffement de l’atmosphère des océans et des terres est désormais « sans équivoque ». Quant aux conséquences de ce réchauffement, le degré de certitude quant à leur attribution est variable, mais en augmentation constante.

Est-il trop tard pour agir ?

L’été que nous vivons le démontre, il est trop tard pour éviter des conséquences graves pour les sociétés humaines ; cependant, il est encore temps pour éviter que celles-ci deviennent irréversibles. Et, à ce titre, chaque dixième de degré comptera. Le rapport publié par le GIEC en 2018 nous permet de garder une lueur d’espoir, et celui dont la parution a démarré ce 9 août le confirme : il est encore possible de maintenir le réchauffement aux alentours de la barre des 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle, mais à la stricte condition d’opérer des changements sociétaux d’une ampleur inconnue depuis ladite Révolution industrielle. Sans quoi, dans le pire des scénarios, le réchauffement pourrait s’élever, au XXIIe siècle, à 4,4°C (voire 5,7°C, selon l’estimation la plus pessimiste). C’est donc bien à un chantier totalement inédit que nous devons nous atteler et ce, d’autant plus que la crise climatique vient s’ajouter à une crise tout aussi menaçante liée à l’effondrement de notre biodiversité.

Alors que faire ?

A court terme, il nous faut bien sûr panser les plaies. La solidarité incroyable à laquelle on a assisté dans les jours qui ont suivi la catastrophe de juillet doit se poursuivre dans la durée. Au-delà des initiatives individuelles, c’est en tant que société que nous devons trouver des solutions durables pour toutes les personnes sinistrées : logements salubres, vêtements, meubles, nourriture font partie des besoins de première nécessité, ainsi que l’appui aux entreprises sinistrées et aux travailleurs et travailleuses dont les emplois sont en danger. A plus long terme, il nous faudra reconstruire autrement et pour ce faire, nous avons besoin de donner à l’Etat, notre principal outil d’action collective, les moyens de faire face et de garantir la justice sociale. Les inondations du mois de juillet l’ont montré en touchant avant tout les quartiers populaires : justices sociale et climatique sont désormais profondément intriquées, les deux dimensions devant être abordées comme les deux faces d’une même pièce.

Mais panser ne suffit pas, il nous faudra aussi prendre le temps de penser la catastrophe et de repenser notre société.

Premièrement, en prenant les mesures nécessaires pour accompagner les indispensables changements de comportements, ainsi qu’en accélérant les investissements visant à mettre fin à l’économie du carbone bien avant 2050, pour cesser d’alimenter la principale source du dérèglement climatique. A la suite des impressionnantes mobilisations des années 2018 et 2019, on a assisté à une première évolution de la part du monde politique : du Green Deal européen au plan belge de reconstruction post-Covid-19 en passant par les accords de gouvernement aux différents niveaux de pouvoir, la promesse d’une plus grande ambition est enfin au rendez-vous. Mais les promesses ne suffisent plus : il va falloir faire plus vite, plus fort et plus solidaire si nous voulons respecter l’Accord de Paris. Des moyens plus importants doivent être libérés, de manière à réaliser dès aujourd’hui les investissements massifs permettant de rendre la transition écologique et sociale irréversible dans les dix ans qui viennent.

Deuxièmement, il nous faut prendre acte du fait qu’atténuer le réchauffement ne suffit pas : les dernières semaines nous montrent que nous entrons désormais dans le temps de l’adaptation. Quels que soient nos efforts pour en limiter l’impact, nous devons désormais vivre avec ce dérèglement, en cherchant à en diminuer au maximum les conséquences sociales. Cela demande, entre autres, de repenser notre urbanisme en profondeur, de manière à prévenir les catastrophes : mettre en place une gestion intégrée du cycle de l’eau, limiter la bétonisation, mais aussi isoler massivement nos logements, en commençant par ceux des personnes les plus vulnérables, de manière non seulement à diminuer la consommation énergétique, mais à limiter les effets des vagues de chaleur qui se multiplieront dans les décennies à venir.

Troisièmement, la solidarité ne peut s’arrêter à nos frontières. Par respect pour les droits humains mais aussi pour permettre à nos enfants de traverser le siècle qui vient dans un monde plus sûr, il nous faut absolument éviter que le dérèglement ne prenne des proportions irréparables dans les pays les plus affectés, qui sont aussi les plus pauvres. La solidarité internationale n’est ni un luxe, ni un acte de charité, elle est aujourd’hui une condition indispensable pour faire face à la crie que nous affrontons. La Belgique doit donc, enfin, se montrer à la hauteur de ses engagements internationaux, en dégageant les moyens nécessaires à l’aide publique au développement et au financement climatique prévus dans l’Accord de Paris. Ceci d’autant plus qu’aux dimensions de limitation des émissions et d’adaptation vient s’en ajouter une autre : celle de l’indemnisation des pertes et préjudices des victimes de catastrophes, qui fera l’objet de débats lors de la COP de Glasgow en novembre prochain.

Enfin, ces différentes dimensions n’ont de sens que dans une approche systémique, qui cesse de traiter la question climatique comme un silo parmi d’autres, mais fasse de celle-ci l’opportunité pour repenser nos sociétés en profondeur afin de réconcilier les dimensions économique, sociale et environnementale, toutes indispensables à la construction de sociétés durables. Il nous faut accepter de mettre en route un changement majeur de nos modes de production et de consommation, et donc par définition de nos modes de vie. Ceci impliquera sans doute des inconforts à court terme, mais est aussi l’occasion d’améliorer notre qualité de vie. La Coalition Climat appelle depuis des mois à la mise en chantier d’un Green New Deal au niveau belge et international et a déposé une centaine de propositions en ce sens, dont le sérieux a été salué par tous les bords politiques.

Qu’attend-on ?

Les rapports scientifiques montrent à la fois l’urgence d’agir, la possibilité de trouver des solutions et les opportunités que celles-ci représentent pour nous permettre de réinventer notre prospérité. L’heure est venue de sonner la mobilisation générale face à ce qui représente le chantier du siècle. En tant que citoyennes et citoyens, nous serons au rendez-vous. Le 10 octobre, nous descendrons dans la rue, en amont du prochain sommet mondial pour le climat, pour rendre hommage aux victimes de l’été et appeler à l’action. Nous espérons y être en nombre, mais nous espérons aussi et surtout, dès aujourd’hui, que notre message soit enfin entendu. Pour que l’été de deuil que nous sommes en train de vivre marque le début du basculement vers un monde plus juste et plus durable.

Article republié avec l’accord de l’auteur – original

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