Trump, la paille et la poutre de la toute puissance

Térence (*)

Ces microdétails dans le panorama plus large ont souvent plus de valeur pour l’évaluation de notre situation, que certains macrophénomènes.

On ne peut « feindre » la suppression de l’interdiction des pailles en plastique, ce n’est pas une « erreur », un « hasard », un « oubli », un « automatisme », un « événement surdéterminé par le Réel », etc.

Non, pour attirer l’attention, la réflexion, la détermination, l’action du POTUS (*), il faut bien que la microscopique paille en plastique reflète intimement ce qui est à l’œuvre, le conatus qui déploie sa puissance d’agir.

C’est donc un signal faible infalsifiable, il exprime exactement ce qu’il veut exprimer. Il nous donne une porte d’entrée directe dans l’esprit de Trump et tous ses soutiens, donc de la majorité des citoyens américains et partant, d’une large partie de la population mondiale qui vote/adhère aux mêmes idées.

Notons en passant qu’on peut boire sans paille (sauf condition médicale). Et qu’on peut boire uniquement de l’eau (sauf nourrissons et condition médicale). Donc si on retire tout le gras, on conclut immédiatement que la paille est superflue à l’Humanité dans 99% des situations. Qu’elle soit en papier ou en inox, elle reste largement superflue (c’est bien de rappeler les fondamentaux du sujet en passant).

Donc on a un signal faible infalsifiable. Il reste à l’interpréter, à la fois sur son processus et sur son intention. Sur le processus, je le répète, on a le POTUS qui utilise du temps de cerveau disponible là-dessus. Cela reflète une intention spontanée (il a vraiment une haine propre de l’interdiction des pailles en plastique) et/ou une intelligence politicienne du sujet (« la paille », c’est quasi 100% de l’électorat qui est concerné). Ici, ce n’est pas un petit élu républicain MAGA du Midwest qui lance une pétition pour rétablir la paille en plastique dans le pays.

Sur l’intention plus générale, je reste assez convaincu de cette hypothèse, qu’il faudrait sans doute préciser :

Ce qui intéresse Donald Trump, c’est la toute puissance. Il conçoit la toute puissance comme la capacité à faire ce qu’il veut selon sa vision du monde, à être au centre de l’attention, à déclencher chez autrui le sentiment que son existence dépend de Trump, à changer la marche du monde (peu importe la direction au fond, ce qu’il veut, c’est être à lui tout seul une force historique, voire tellurique).

C’est le bébé qui fait s’écrouler une tour en blocs de bois. 

Il y a là un fondement anthropologique majeur : le plaisir intrinsèque que l’homo sapiens conçoit dans la conscience de sa propre puissance (je « fais ça » et il se produit quelque chose de significatif : du bruit, de la lumière, une explosion, des rires, des applaudissements, du plaisir corporel, etc.).

Rien de neuf, c’est Spinoza-compatible.

Certains se contentent de jouir de leur puissance à une échelle limitée, ils mènent une vie normale.

D’autres veulent des shoots plus importants, ils veulent plus de puissance pour plus de plaisir, ils veulent même accéder à la toute puissance.

C’est le cas de Trump et Musk, mais aussi Poutine, et vous pouvez compléter la liste vous-mêmes. Certains ne paient pas de mine, ils travaillent dans des labos sur la fusion nucléaire. Mais le désir de toute-puissance est tout à fait le même au fond. 

Je pense que chaque homo sapiens peut déraper et verser dans la toute puissance, à son propre détriment et celui d’autrui.

La puissance est en soi bonne. Tandis que l’impuissance et la toute puissance sont mauvaises. La vie bonne est atteinte via une puissance d’agir humaine/humanisée/écologisée. C’est tout à fait honorable de savoir se nourrir en cultivant sa nourriture (une forme de puissance d’agir). Savoir fabriquer et manier l’outil. Savoir soigner quelqu’un. Savoir palabrer et négocier, savoir décider, savoir se défendre, savoir coopérer, etc. Tout cela c’est la puissance d’agir vertueuse.

Mais Trump se situe dans la toute puissance en termes de psychologie individuelle (comme bien d’autres avant lui : Napoléon, César, Alexandre…) mais aussi dans un cadre, une vision de la puissance qui est typiquement celle qui domine le monde aujourd’hui, et qui est une vision de la puissance comme toute puissance. C’est le délire prométhéen.

Il est évident que l’écologie, c’est l’institution de la Limite, de la Limite face à l’hubris prométhéen, quel qu’il soit (pas seulement environnemental, mais aussi politique : la démocratie et l’autonomie comme valeurs centrales).

Donc ce que veut Trump, c’est le retour, et l’accentuation, de l’ordre de la puissance comme toute puissance. Et tout ce qui va avec : la bombe nucléaire, la grosse armée, le gros pickup, la grosse maison ,le gros gratte-ciel, MAGA ça dit bien ce que ça veut dire, il faut viser la toute puissance.

Et l’interdiction de la paille en plastique, c’est bien l’institution de la Limite, donc c’est l’ennemi que veut abattre Trump. Il veut qu’on continue à produire des tonnes de paille en plastique, qu’on en consomme une par boisson, qu’on la jette, et ainsi de suite car c’est l’expression du « je fais ce que je veux ici, c’est MA planète, JE suis le ROI du MONDE, aucune limite ne s’impose à moi, je suis TOUT PUISSANT ».

De là, on peut reproduire l’analyse à des macro-sujets, comme Gaza, la guerre en Ukraine, le climat, la démocratie US, etc. On ne pourra jamais coincer Trump dans une ligne idéologique claire et bien univoque. Non, il lui importe plus de FAIRE ce qu’il VEUT quand il VEUT et avec qui il VEUT. 

Et il incarne un mouvement très important et majoritaire aux USA qui pense comme lui, qui aspire à la toute puissance.

« On ne discute pas avec le dictateur nord-coréen » –> « Si, moi Trump, je peux le faire ! Car je fais ce que je veux. »

« On ne négocie pas avec Poutine le dépeçage de l’Ukraine » –> Si, moi Trump, je peux le faire… etc. vous avez compris…

Interdisez-lui quelque chose, il le fera.

Il n’a pas de considération pour les limites : l’Autre, la Vie, le Bien commun, la Démocratie, etc. Ces institutions/réalités limitent sa toute puissance, elles devront se plier à sa volonté.

Pourquoi interdire la paille ? Parce qu’elle exprime bien l’institution de la Limite (on peut le faire mais on décide en âme et conscience de ne PAS le faire), c’est le « non du père » des psychanalystes, c’est le père Biden, c’est tout ce que la société essaie de m’empêcher de faire, moi Trump et mes MAGA’s, et donc je fais péter tout ça.

Je pense que l’homo sapiens jouit universellement de sa puissance et encore plus lorsqu’il s’agit d’une puissance excessive/interdite/maléfique.

D’où notre fascination interposée pour les méchants personnages de fiction, ils nous permettent de libérer nos pulsions inavouables à peu de frais (et c’est bien).

On les aime parce qu’ils sont dans la toute puissance (et que nous voudrions bien l’être aussi, plus ou moins secrètement).



Les riches accumulent les richesses parce qu’ils savent ce qui les attend

L’effondrement est intégré dans leurs plans d’affaires


Les ultra-riches ont-ils une action coordonnée face aux risques systémiques d’effondrement ?

Voici le point de vue d’


Angus Peterson

deepltraduction Josette – original paru dans Medium

Les riches continuent de s’enrichir. Cela ne fait aucun doute. Mais ce que l’on oublie souvent de dire, c’est comment ils y parviennent, non seulement par l’exploitation habituelle, mais aussi en conduisant activement le monde vers la catastrophe tout en se protégeant des retombées.

Disons-le tout net : les ultra-riches ne se contentent pas d’accumuler des richesses ; ils les thésaurisent, stockant des fortunes à un rythme si effréné que le concept même d’argent en devient ridicule. Alors que le reste d’entre nous se fait sermonner sur la nécessité de réduire les dépenses – conduire moins, manger moins de viande, recycler, se contenter de moins – ils sécurisent leurs bunkers, achètent des îles isolées et élaborent des plans d’évacuation pour l’effondrement qu’ils sont en train d’accélérer.

Et ne vous y trompez pas, l’effondrement n’est pas qu’un lointain fantasme dystopique. Nous sommes déjà au cœur d’une polycrise : le changement climatique, la perte de biodiversité, la surexploitation des ressources, l’instabilité économique et la montée en puissance de l’autoritarisme se nourrissent les uns les autres comme une réaction en chaîne imparable. Pendant ce temps, les banques et les entreprises, qui pourraient financer les solutions, traînent les pieds ou font carrément obstruction au progrès, veillant à ce que le système continue de pencher en faveur de ceux qui ont déjà tout.

Les banques, par exemple, ont fait très peu de progrès en matière de financement d’infrastructures à faible émission de carbone. Elles font de vaines promesses d’investissements « verts », mais en réalité ? Les chiffres montrent un rythme de financement glacial qui est loin d’être suffisant pour éviter une catastrophe climatique. Et comme l’objectif de 1,5 °C a déjà été dépassé, cet échec ne relève pas seulement de l’incompétence, mais aussi de la complicité.

Mais les milliardaires ne s’inquiètent pas.

Pourquoi le feraient-ils ?

Ils gagnent plus de 100 millions de dollars par jour, une somme si énorme qu’elle défie l’entendement. En clair, si les milliardaires se souciaient réellement de l’humanité, ils auraient déjà résolu toutes les grandes crises mondiales. Le fait qu’ils ne l’aient pas fait vous dit tout ce que vous devez savoir.

L’inégalité des richesses n’est pas seulement un problème économique, c’est un problème existentiel.

Voici un calcul effrayant : au rythme actuel, la société est à moins d’une décennie de l’effondrement. Et lorsque cela se produira, les riches ne se soucieront pas de vous. Ils observeront la situation depuis leurs enceintes fortifiées, en sirotant des vins de luxe, tandis que les autres se battront pour des miettes.

Il ne s’agit pas simplement d’un capitalisme qui fait ce qu’il fait.

C’est la fin de la partie.

Et le pire ?

C’est le plan.

Les banques avancent à un rythme d’une lenteur exaspérante

S’il y a une chose sur laquelle on peut compter, c’est que les banques donneront toujours la priorité aux profits à court terme plutôt qu’à la survie de la planète. Elles adorent se présenter comme des institutions soucieuses du climat, en publiant des rapports ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) sur papier glacé et en prenant de grands engagements en faveur d’un « financement net zéro ».

Mais quand on regarde les chiffres, on s’aperçoit que les soi-disant progrès sont à peine perceptibles.

Une étude réalisée en 2024 sur les tendances mondiales en matière d’investissement bancaire a confirmé ce que beaucoup d’entre nous soupçonnaient déjà : les banques sont loin d’atteindre le niveau de financement nécessaire à la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Selon le rapport, un grand nombre d’institutions financières ne parviennent pas à réorienter leurs capitaux de manière significative pour les soustraire aux combustibles fossiles.

Les chiffres sont peu encourageants : moins de 7 % des actifs financiers mondiaux sont actuellement alignés sur une trajectoire de 1,5°C. Cela signifie que les banques jouent avec notre avenir et que nous sommes déjà en train de perdre.

L’objectif de 1,5 °C est mort (et les banques en sont complices)

Soyons clairs : nous avons déjà dépassé les 1,5 °C de réchauffement. L’objectif même qui obsède les négociations sur le climat depuis des années a été atteint, et pourtant, les institutions financières continuent d’agir comme si le temps jouait en notre faveur. Ce n’est pas le cas.

Au lieu d’augmenter les investissements dans les énergies vertes, les banques ont injecté des milliers de milliards dans les combustibles fossiles. Entre 2015 et 2021, 5,5 billions de dollars ont été investis dans des projets liés au pétrole, au gaz et au charbon. Cela représente six années de sabotage pur et simple, les banques souscrivant effectivement à la destruction du climat à un rythme qui éclipse leurs prétendues initiatives vertes.

Pire encore, les investissements dérisoires qu’elles réalisent dans les « infrastructures à faible émission de carbone » sont souvent truffés d’échappatoires. Les banques qualifient presque n’importe quoi d’investissement durable, qu’il réduise ou non les émissions.

Elles financent des projets de « capture du carbone » – des distractions coûteuses qui ne fonctionnent pas à grande échelle – au lieu de soutenir de vraies solutions comme l’expansion de l’énergie éolienne et solaire.

Elles écologisent leurs prêts en faveur des combustibles fossiles en prétendant qu’il s’agit de « projets de transition », alors qu’en réalité, il s’agit toujours de la même production d’énergie sale sous un autre nom.

Une mort lente à dessein

Si les plus grandes banques du monde voulaient vraiment éviter l’effondrement, elles déplaceraient des montagnes en ce moment même pour financer des infrastructures climatiques à grande échelle. Mais ce n’est pas le cas.

Et ce n’est pas une erreur, c’est un choix.

Elles ont fait les comptes. Ils savent parfaitement qu’un changement climatique non maîtrisé dévastera les plus pauvres et les plus vulnérables bien avant d’affecter les plus riches. Ainsi, de leur point de vue, se traîner les pieds n’est pas seulement une question de profits à court terme – il s’agit de préserver un système qui assure leur domination continue, même si le monde brûle.

Pendant ce temps, le reste d’entre nous assiste à l’accumulation des catastrophes climatiques – inondations engloutissant les villes, vagues de chaleur tuant des milliers de personnes, incendies de forêt réduisant les paysages en cendres – tandis que l’élite financière reste les bras croisés et continue d’encaisser les bénéfices.

À ce stade, il ne s’agit plus seulement de négligence. Il s’agit d’un effondrement prémédité.

Les milliardaires gagnent 100 millions de dollars par jour

Soyons clairs : si les milliardaires voulaient vraiment résoudre les problèmes du monde, ils auraient pu le faire hier. Au lieu de cela, ils accumulent les richesses à un rythme si effréné qu’il fait passer les rois médiévaux pour des êtres modestes.

Prenez le temps de réfléchir : les dix milliardaires les plus riches gagnent plus de 100 millions de dollars par jour, soit 4,1 millions de dollars par heure. Cela représente 70 000 dollars par minute. Toutes les soixante secondes, les milliardaires empochent plus que ce que la plupart des familles gagnent en un an. Et ils le font alors que les niveaux de pauvreté dans le monde sont restés exactement au même niveau qu’en 1990.

Le rapport d’Oxfam, intitulé « Takers, Not Makers », l’expose avec une clarté brutale : malgré les deux mille milliards de dollars qui s’ajoutent aux fortunes des milliardaires en une seule année, 44 % de l’humanité vit toujours sous le seuil de pauvreté. Et ce n’est pas parce qu' »il n’y a pas assez d’argent ». C’est parce que les ultra-riches siphonnent les ressources de la société à un rythme sans précédent, transformant ce qui pourrait être une prospérité partagée en réserves personnelles de richesses non dépensables.

Ils pourraient mettre fin à la pauvreté dans le monde, mais ils ne le feront pas

Si les milliardaires cessaient simplement d’accumuler des richesses pendant une journée – une seule – leur collecte quotidienne de 100 millions de dollars par personne pourrait financer des initiatives en matière de soins de santé, de logement et d’éducation dans le monde entier, qui permettraient de sauver des vies.

Mais ils ne le font pas.

Pourquoi ?

Parce que, pour eux, l’argent n’est pas un moyen d’atteindre une fin – c’est la fin. La richesse n’est pas une question de confort, mais de pouvoir. Et plus ils accumulent d’argent, moins nous avons de pouvoir.

Imaginez un peu : Si vous gagniez 1 000 dollars par jour, chaque jour, pendant les 315 000 prochaines années, vous ne seriez toujours pas aussi riche qu’Elon Musk ou Jeff Bezos. Même si les milliardaires perdaient 99 % de leur richesse du jour au lendemain, la plupart d’entre eux seraient toujours plus riches que 99 % des Américains.

Pendant ce temps, la classe ouvrière moyenne est invitée à « se serrer la ceinture » et à « travailler plus dur » pour faire face à la montée en flèche du coût de la vie. Les milliardaires ? Ils achètent les politiciens, écrasent les syndicats et échappent à l’impôt tout en convainquant le public que le « vrai problème », ce sont les immigrés, les programmes sociaux ou, d’une manière ou d’une autre, les travailleurs au salaire minimum qui réclament une rémunération équitable.

La richesse ne se gagne pas, elle s’extrait

Voici un petit secret : la plupart des milliardaires n’ont pas « gagné » leur richesse.

36 % de la richesse des milliardaires est héritée, ce qui signifie que près de la moitié des personnes les plus riches du monde sont tout simplement nées dans l’extrême richesse.

18 % proviennent de monopoles, c’est-à-dire de sociétés comme Amazon qui réduisent les salaires, éliminent la concurrence et dictent les prix.

6 % proviennent du copinage pur et simple, c’est-à-dire que les milliardaires exploitent leurs relations avec le gouvernement pour s’enrichir davantage.

Cela signifie qu’au moins 60 % de la richesse des milliardaires n’est pas gagnée. Et pourtant, le mythe persiste : on nous dit que les milliardaires « méritent » leur fortune, qu’ils sont des visionnaires, qu’ils travaillent plus dur que le reste d’entre nous.

Il faut se rendre à l’évidence :

La seule façon de devenir milliardaire est d’extraire la richesse de la classe ouvrière.

Les milliardaires ne créent pas, ils prennent : ils détournent la valeur des travailleurs sous-payés, achètent des politiques qui maintiennent les salaires à un bas niveau et truquent les marchés pour s’assurer que leur richesse continue de s’accroître tandis que la vôtre s’érode.

Et pourtant, leur machine de propagande fonctionne à merveille. La société est inondée de messages sur la « culture de l’effort », sur le travail acharné, sur l’adoption d’un « état d’esprit de milliardaire ». Ils veulent vous faire croire qu’avec suffisamment d’efforts, vous pourriez vous aussi devenir l’un d’entre eux.

Ce n’est pas le cas.

Statistiquement, vous avez des milliers de fois plus de chances d’être frappé par la foudre ou de mourir dans un accident d’avion que de devenir milliardaire. Le système n’est pas conçu pour élever les gens, il est conçu pour les maintenir au sol.

La classe des milliardaires sait que l’effondrement est imminent

Les 1 % les plus riches comprennent déjà ce qui se profile à l’horizon. C’est pourquoi ils ne financent pas des solutions climatiques, mais des plans d’évacuation. Ils construisent des bunkers souterrains, achètent des propriétés isolées en Nouvelle-Zélande et investissent dans des complexes de luxe « hors réseau » pour résister à la tempête qu’ils ont contribué à créer.

Pendant ce temps, ils continuent d’assécher l’économie, de resserrer leur emprise sur les ressources mondiales et de s’assurer que, lorsque l’effondrement se produira, ils seront les seuls à disposer d’un radeau de sauvetage.

Il ne s’agit pas d’un capitalisme qui a mal tourné. C’est ainsi qu’il a toujours été censé fonctionner.

L’inégalité des richesses va déchirer la société…

…et cela arrive plus vite que vous ne le pensez.

Il y a un moment où l’inégalité des richesses cesse d’être un simple problème économique pour devenir une véritable poudrière. Ce moment n’est plus à une décennie près, il est presque arrivé. Une étude du King’s College de Londres a révélé des chiffres effrayants : si les tendances actuelles se maintiennent, il faudra environ dix ans pour que l’effondrement de la société soit déclenché par la seule disparité des richesses.

Pensez-y.

Nous ne parlons pas de l’effondrement du climat, de l’épuisement des ressources ou de l’instabilité politique, bien que tous ces phénomènes s’accélèrent. Nous parlons de l’inégalité en soi qui atteint le niveau où les sociétés du monde entier commencent à s’effondrer.

Et pourquoi ne le feraient-elles pas ?

À l’heure actuelle, les 1 % les plus riches possèdent près de la moitié de toutes les richesses de la planète. Pendant ce temps, les salaires des travailleurs et des classes moyennes stagnent depuis plus de 40 ans, alors même que le coût de la vie monte en flèche.

À titre de comparaison, les 50 % les plus pauvres de l’humanité possèdent collectivement moins de 2 % de la richesse mondiale. Il ne s’agit pas d’une société qui fonctionne, mais d’un système sur le point de s’effondrer complètement.

Nous avons déjà vu cela (et ça ne finit jamais bien)

L’histoire regorge d’exemples de ce qui se passe lorsque la concentration des richesses atteint ce niveau.

– Rome s’est effondrée en raison d’une inégalité extrême.

– La Révolution française s’est déclenchée lorsque l’aristocratie a accaparé les ressources alors que le peuple mourait de faim.

– La Russie a explosé parce qu’une élite déconnectée a ignoré trop longtemps les souffrances des masses.

Même la révolution américaine a été programmée pour éviter une révolte de la classe ouvrière contre l’oligarchie de l’époque.

Et pourtant, les milliardaires d’aujourd’hui – assis sur une richesse si vaste qu’elle défie l’entendement – semblent penser qu’ils sont immunisés contre les leçons de l’histoire.

Ce n’est pas le cas.

Une société ne peut supporter qu’une quantité limitée d’extraction

Le problème n’est pas seulement que les riches accumulent des quantités obscènes de richesses, mais aussi qu’ils les extorquent à tous les autres à un rythme de plus en plus rapide.

Imaginez un peu :

– Les salaires réels sont en baisse depuis des décennies en raison de l’inflation et de la suppression des droits du travail par les entreprises.

– Le logement est devenu inabordable dans presque toutes les grandes villes, car les milliardaires et les sociétés d’investissement achètent des propriétés pour gonfler le marché.

– Les soins de santé restent un privilège, et non un droit, et des millions de personnes meurent chaque année de causes évitables, simplement parce qu’elles n’ont pas les moyens de se soigner.

– La sécurité de l’emploi a pratiquement disparu, remplacée par le travail à la carte et les emplois instables et mal rémunérés.

À un moment donné, les gens craquent. Ils se rendent compte qu’en travaillant plus dur, ils ne parviendront jamais à combler le fossé. Ils comprennent que leurs enfants grandissent dans un système qui leur offre des opportunités, une sécurité et un avenir pires que ceux de leurs parents. Et lorsqu’un nombre suffisant de personnes parviennent à cette prise de conscience, le contrat social se dissout entièrement.

Quand la société s’effondre, elle s’effondre partout

L’étude du King’s College estime que les effets de l’inégalité des richesses se feront sentir dans le monde entier d’ici dix ans. Il ne s’agit pas d’un problème propre à un pays ou à une économie, mais d’un effondrement systémique qui ne demande qu’à se produire.

– Les troubles civils exploseront à mesure que l’instabilité financière s’aggravera, les manifestations, les grèves et les émeutes devenant plus fréquentes et plus intenses.

– L’autoritarisme montera en flèche, les gouvernements réprimant la contestation pour protéger les intérêts des entreprises et des grandes fortunes.

– La polarisation politique s’accentuera, alimentée par la frustration, la désinformation et la croyance artificielle que les « guerres culturelles » sont plus importantes que l’injustice économique.

– Les inégalités s’aggraveront, car les riches réagiront en accumulant encore plus de richesses, mais aussi de ressources telles que la terre, l’eau et même des produits de première nécessité comme la nourriture et les médicaments.

Il ne s’agit pas d’une théorie du complot.

Ce n’est pas une hyperbole.

C’est une réalité qui se dessine déjà. Les milliardaires ont passé les deux dernières décennies à renforcer leurs positions, s’assurant que lorsque l’inévitable effondrement se produira, ils seront à l’abri, et pas vous.

La question n’est pas de savoir si la société va s’effondrer sous ce niveau d’inégalité.

La question est de savoir quand.

Ce qu’il faut retenir – L’effondrement n’est pas un défaut, c’est le plan.

Si vous êtes arrivé jusqu’ici, vous connaissez déjà la vérité : ce n’est pas le capitalisme qui échoue. C’est le capitalisme qui réussit exactement comme prévu.

Les riches ne se démènent pas pour éviter l’effondrement. Ils s’en réjouissent, car ils savent qu’ils seront les seuls à rester debout. Alors que le reste d’entre nous est invité à « se sacrifier » et à « se serrer la ceinture », les milliardaires construisent des bunkers, achètent des îles privées et accumulent des ressources en prévision de la dystopie qu’ils voient venir.

Et pourquoi ne le feraient-ils pas ? Ils ont construit ce système pour s’assurer que, lorsque tout s’effondrera, ils seront intouchables.

Le mythe du « bon milliardaire »

On nous sert des contes de fées sur les riches. On nous dit qu’au fond d’eux-mêmes, ils se sentent concernés – que peut-être l’un d’entre eux interviendra et nous « sauvera ». Que peut-être, juste peut-être, si nous les convainquons de « rendre la pareille », les choses changeront.

C’est un mensonge.

Si les milliardaires voulaient vraiment empêcher l’effondrement, ils pourraient mettre fin à la faim dans le monde demain et rester plus riches que 99,9 % de l’humanité. Ils pourraient financer de vraies solutions climatiques, construire des logements abordables et payer des salaires équitables – et ils ne le sentiraient même pas.

Mais ils ne le font pas.

Parce que leur objectif n’est pas de réparer le système. Leur but est d’en extraire le plus possible, le plus vite possible, avant que tout ne s’écroule.

Pourquoi la rhétorique « Plus de bébés » est une escroquerie

Récemment, les hommes politiques et les chefs d’entreprise ont crié à la baisse des taux de natalité. Ils supplient les gens d’avoir plus d’enfants, avertissant que sans une nouvelle génération de travailleurs, l’économie s’effondrera.

Ne soyez pas dupes.

Il ne s’agit pas de l’avenir de la société, mais de créer plus de travailleurs à exploiter avant l’effondrement. La classe dirigeante ne veut pas plus de bébés parce qu’elle se soucie des familles ou de la stabilité nationale. Elle veut une nouvelle réserve de main-d’œuvre, plus de corps à presser pour le profit, plus de travailleurs désespérés pour faire tourner sa machine à richesse juste un peu plus longtemps.

Tout cela fait partie de la même escroquerie : convaincre les gens que leurs difficultés économiques sont des échecs personnels plutôt que le résultat d’un système truqué. Leur faire croire que les milliardaires ont « gagné » leur richesse. Leur vendre le fantasme d’une mobilité ascendante tout en s’assurant qu’elle est hors de portée. Et quand tout s’effondre ?

Blâmer n’importe qui, sauf les vrais coupables.

La dure vérité : il n’a jamais été question de vous

Ce système n’a jamais été conçu pour le citoyen moyen. Les milliardaires, les conseils d’administration des entreprises et les hommes politiques qui ont conçu ce désastre ne sont pas seulement indifférents à votre souffrance, ils en tirent profit.

– Ils savaient que les banques n’allaient pas financer les solutions climatiques.

– Ils savaient que les milliardaires continueraient à thésauriser pendant que le reste du monde s’effondrerait.

– Ils savaient que l’inégalité des richesses atteindrait un point de rupture.

Et ils n’y ont pas mis fin. Parce qu’ils n’en ont jamais eu l’intention.

Et maintenant ?

C’est la question à se poser. Que se passe-t-il lorsque l’effondrement n’est plus une menace lointaine, mais une réalité quotidienne ?

Nous sommes sur le point de le découvrir.

Et ceux qui nous ont conduits là – ceux qui s’enrichissent à chaque seconde – comptent sur vous pour ne rien faire.



La Révolution papillon ?

Gil Duran

Reprise d’un post FB de Vincent Mignerot

Article majeur sur la Révolution Papillon, ou Dark Enlightenment, dystopie clairement en cours aux USA via le DOGE (nommé RAGE à l’origine) – à propos de laquelle certains tiraient la sonnette d’alarme dès 2014 concernant ses soutiens de la Silicon Valley (!) en adéquation ensuite avec le Project 2025 des chrétiens nationalistes.
Sa conclusion : « Le temps que la plupart des Américains comprennent ce qui se passe, le « reboot » – la destruction du gouvernement – pourrait déjà être achevé. »

Traduction de ‘Reboot’ Revealed: Elon Musk’s CEO-Dictator Playbook de Gil Duran

« Le Reboot » dévoilé : Le manuel du PDG-dictateur d’Elon Musk »

« En 2022, l’un des penseurs préférés de Peter Thiel a envisagé une deuxième administration Trump dans laquelle le gouvernement fédéral serait dirigé par un « PDG »

L’argument : En 2022, l’un des penseurs préférés de Peter Thiel a imaginé une deuxième administration Trump dans laquelle le gouvernement fédéral serait dirigé par un « PDG » qui ne serait pas Trump et a élaboré un cahier des charges sur la manière dont cela pourrait fonctionner.

Elon Musk le suit.

L’histoire : En 2012, Curtis Yarvin – le « philosophe maison » de Peter Thiel – a lancé un appel qu’il a baptisé RAGE : Mettre à la retraite tous les fonctionnaires. L’idée : Prendre le contrôle du gouvernement des États-Unis et vider la bureaucratie fédérale de sa substance. Il s’agit de remplacer les fonctionnaires par des loyalistes politiques qui rendraient des comptes à un chef d’entreprise que M. Yarvin compare à un dictateur.

« Si les Américains veulent changer leur gouvernement, ils devront surmonter leur phobie des dictateurs », a-t-il déclaré.

M. Yarvin, un programmeur de logiciels, a présenté cette idée comme un « redémarrage » du gouvernement.

Le DOGE d’Elon Musk n’est qu’une version remaniée de RAGE.

[ce qui est constaté] Il exige des démissions en masse, enferme les employés de carrière hors de leur bureau, menace de supprimer des départements entiers et prend le contrôle total des systèmes et programmes gouvernementaux sensibles.

DOGE = RAGE, masqué sous le vocable insipide de « l’efficacité ».

Mais la dépendance de Musk à l’égard du manuel de Yarvin va plus loin.

Dans un essai daté d’avril 2022, Yarvin a mis à jour RAGE en le décrivant comme une « révolution papillon ». Dans un essai sur son site payant Substack, il a imaginé une deuxième présidence Trump dans laquelle ce dernier permettrait une transformation radicale du gouvernement. Cette proposition semblera familière à tous ceux qui ont vu Musk faire des ravages au sein du gouvernement des États-Unis (USG) au cours des trois dernières semaines.

Ce qu’écrit Yarvin :

« Nous devons prendre le risque d’un redémarrage à pleine puissance – un redémarrage complet de l’USG [le gouvernement US]. Nous ne pouvons le faire qu’en donnant la souveraineté absolue à une seule organisation – avec à peu près les pouvoirs que les autorités d’occupation alliées détenaient au Japon et en Allemagne à l’automne 1945. Ce niveau de pouvoir d’urgence centralisé a fonctionné pour refonder une nation à l’époque, pour eux. Cela devrait donc fonctionner maintenant, pour nous ».

(La métaphore du « redémarrage à pleine puissance » vient de Star Trek et implique un processus risqué de redémarrage d’un vaisseau spatial fictif d’une manière qui pourrait provoquer une « implosion ». La métaphore de la Seconde Guerre mondiale présente le gouvernement fédéral comme un ennemi conquis, désormais contrôlé par une force extérieure.)

M. Yarvin a écrit qu’au cours d’un second mandat, M. Trump pourrait nommer une personne différente pour agir en tant que « PDG » de la nation. Ce PDG serait en mesure d’écraser le gouvernement fédéral, avec Trump en arrière-plan en tant que « président du conseil d’administration ».

Les métaphores clarifient l’idée principale : diriger le gouvernement comme une entreprise maffieuse plutôt que comme une institution publique soumise aux règles de la démocratie.

Trump lui-même ne serait pas le cerveau… Il ne sera pas le PDG. Il en serait le président du conseil d’administration et choisira le PDG (un cadre expérimenté). Ce processus, qui doit évidemment être télévisé, s’achèvera par son investiture, à l’issue de laquelle la transition vers le prochain régime commencera immédiatement.

Ce PDG apportera un nouveau style radical de leadership au gouvernement fédéral :

« Le PDG qu’il choisira dirigera le pouvoir exécutif sans aucune interférence du Congrès ou des tribunaux, et prendra probablement aussi le contrôle des gouvernements des États et des collectivités locales. La plupart des institutions importantes existantes, publiques et privées, seront fermées et remplacées par des systèmes nouveaux et efficaces. Trump contrôlera les performances de ce PDG, toujours à la télévision, et pourra le licencier si nécessaire. »

Cela vous rappelle quelque chose ?

Yarvin poursuit :

« Trump devrait constituer une armée de personnes prêtes à travailler pour son nouveau régime. Une fois qu’il aura gagné, cette « magnifique armée » de « ninjas idéologiquement formés » et fidèles à Trump sera lâchée sur la bureaucratie fédérale.

Il la lancera directement contre l’État administratif, sans s’embarrasser de nominations confirmées, mais en recourant à des nominations temporaires en fonction des besoins. Le travail de cette force de débarquement n’est pas de gouverner. Il s’agit de comprendre le gouvernement. Il s’agit de déterminer ce que l’administration Trump peut réellement faire – lorsqu’elle assumera les pleins pouvoirs constitutionnels accordés au chef de l’exécutif….

Le régime doit avoir la capacité de gouverner chaque institution qu’il ne démantèle pas. Le régime Trump n’est pas une mise à sac barbare des institutions américaines. Gengis Khan n’est pas dans le bâtiment ! Il s’agit d’un renouvellement systématique des institutions américaines. Aucune marque ni aucun bâtiment ne peut survivre. Mais le nouveau régime doit remplir les fonctions réelles de l’ancien, et idéalement les remplir beaucoup mieux. »

« De nombreuses institutions qui sont des organes nécessaires de la société devront être détruites. Ces organes devront être remplacés. Si elles n’ont pas déjà été remplacées au stade larvaire, ou même si elles l’ont été, à l’échelle, ces remplacements nécessiteront du personnel. »

Le gouvernement n’est pas la seule cible de cette prise de contrôle hostile, écrit Yarvin :

« Enfin, il ne suffit pas de disposer d’une armée de ninjas parachutistes, grands ou intelligents, pour s’introduire dans toutes les agences du pouvoir exécutif. De nombreuses institutions de pouvoir se trouvent en dehors du gouvernement proprement dit. Les ninjas devront également atterrir sur les toits de ces bâtiments – principalement le journalisme, le monde universitaire et les médias sociaux.

Le nouveau régime doit s’emparer de tous les points de pouvoir, sans tenir compte des protections papier. Tout peut être nationalisé – à condition que le nouveau régime dispose du personnel, de l’équipe de prix en quelque sorte, pour le nationaliser.

De nombreuses institutions qui sont des organes nécessaires de la société devront être détruites. Ces organes devront être remplacés. Si elles n’ont pas déjà été remplacées au stade larvaire, ou même si elles l’ont été, à l’échelle, ces remplacements nécessiteront du personnel. »

Yarvin a imaginé une équipe de fonctionnaires expérimentés et instruits qui seraient recrutés pour travailler au sein du nouveau régime.

Musk semble avoir des idées différentes. Comme le rapporte Vittoria Elliott de Wired, les principaux lieutenants de Musk au sein de DOGE (Destruction of Government by Elon) sont de très jeunes hommes sans aucune expérience gouvernementale.

(Lire « The Young, Inexperienced Engineers Aiding Elon Musk’s Government Takeover », et s’abonner à Wired, qui fait de l’excellent travail).

Yarvin n’est pas le seul à envisager une purge massive du gouvernement.

En 2021, J.D. Vance a fait l’éloge du travail de Yarvin et a appelé à une purge du gouvernement :

« Je pense que ce que Trump devrait faire, si j’avais un conseil à lui donner, c’est de licencier tous les fonctionnaires de niveau intermédiaire : Renvoyez tous les bureaucrates de niveau intermédiaire, tous les fonctionnaires de l’État administratif, et remplacez-les par des gens de chez nous. »

Comme Yarvin, Vance a comparé le gouvernement fédéral à un ennemi vaincu :

« Dé-nazification, dé-baathification … J’ai tendance à penser que nous devrions nous emparer des institutions de la gauche. Les retourner contre la gauche. Nous avons besoin d’un programme de dé-baathification, d’un programme de dé-woke-isation. »

Il a ajouté que M. Trump devrait défier toute décision de justice visant à stopper sa purge.

Baladji Srinivasan

L’idée d’une purge massive apparaît également dans les écrits de Balaji Srinivasan, dont les idées semblent principalement dérivées de celles de Yarvin. J’ai beaucoup écrit sur Srinivasan dans cette lettre d’information, je ne le citerai donc pas longuement ici.

[ 2021 – « Après que TechCrunch ait mentionné son discours dans un article explorant les liens entre les leaders technologiques de la Silicon Valley et le mouvement d’extrême droite Dark Enlightenment, Srinivasan a écrit dans un courriel au leader de Dark Enlightenment, Curtis Yarvin, « Si les choses s’enveniment, il pourrait être intéressant de lancer l’audience du Dark Enlightenment sur un seul journaliste vulnérable et hostile pour le dénoncer et le retourner avec des rapports hostiles envoyés à *leurs* annonceurs/amis/contacts ».

➡️ https://www.businessinsider.com/venture-capitalist-balaji… ]

Mais son idée principale, qu’il tient clairement de Yarvin, est une prise de contrôle des gouvernements par les entreprises, qui seront ensuite gérés comme des entreprises technologiques (en particulier, Twitter).

Tout comme Musk a pris le contrôle de Twitter et dépouillé les « Blue Checks » de leur statut, il va maintenant défroquer les fonctionnaires, les experts, et tous ceux qui sont loyaux envers la démocratie au lieu du régime actuel.

Bien entendu, le complot visant à détruire la bureaucratie fédérale a également un partenaire au sein de la fondation d’extrême droite Heritage Foundation.

Le Project 2025, qui est clairement en cours de mise en œuvre malgré les dénégations moqueuses des Républicains pendant la campagne de 2024, appelle également à une purge et à un démantèlement du gouvernement. Comme en a prévenu l’Association des employés du gouvernement fédéral en juillet dernier : « Que pourrait-il arriver à notre gouvernement et à la main-d’œuvre fédérale en 2025 ? Un groupe d’organisations conservatrices a un plan, et il n’est pas bon pour les employés fédéraux. »

Le plan est détaillé dans un projet appelé « Project 2025 », organisé par la Fondation Heritage (extrême droite) et soutenu par plus d’une centaine d’organisations conservatrices.

Il promet une reprise en main du système de contrôle et d’équilibre de notre pays afin de « démanteler l’État administratif », c’est-à-dire le fonctionnement des agences et des programmes fédéraux conformément à la législation et à la réglementation en vigueur, y compris un grand nombre de lois et de règlements qui régissent l’emploi au sein de l’administration fédérale.

Les lecteurs de longue date se souviendront peut-être qu’en septembre dernier, la Heritage Foundation et certains intérêts technologiques de San Francisco ont organisé une conférence intitulée « Reboot 2024 : La nouvelle réalité ».

La nouvelle réalité

Analyse : Ce qui semblait autrefois être une théorie marginale est aujourd’hui mis en œuvre par les puissances corporatives qui se sont entièrement emparées de notre gouvernement.

Bien qu’il y ait quelques différences mineures entre l’approche de Yarvin et celle de Musk, voici un résumé de ce qu’elles ont en commun :

1. Installer un PDG dictateur

* Le plan de Yarvin : Trump nomme un PDG pour diriger le pays comme une entreprise privée, en contournant le Congrès et les tribunaux.

* Les actions de Musk : Agit en tant que PDG fédéral, exige un contrôle unilatéral sur les programmes gouvernementaux sensibles, se positionnant comme un décideur non élu tandis que Trump reste dans l’ombre.

2. Purger la bureaucratie

* Le plan de Yarvin : « Retirer tous les employés du gouvernement » (RAGE) – licencier les fonctionnaires de carrière et les remplacer par des loyalistes.

* Les actions de Musk : La DOGE vide les équipes, exige des démissions en masse, enferme les employés dans les bureaux et menace de licenciements massifs au sein du gouvernement fédéral. Pendant ce temps, la DOGE recrute des jeunes hommes inexpérimentés qui doivent leur loyauté à Musk/Thiel.

3. Construire une armée loyaliste

* Le plan de Yarvin : Recruter une armée « idéologiquement formée » pour remplacer les experts et faire appliquer le nouveau régime.

* Les actions de Musk : S’entourer de jeunes loyalistes inexpérimentés qui appliquent sa volonté sans poser de questions. Le projet 2025 fournira également des cadres républicains pour diriger ce qui reste du gouvernement fédéral.

4-Démanteler les institutions démocratiques

* Le plan de Yarvin : Retirer le pouvoir aux agences fédérales, aux tribunaux et au Congrès, en centralisant l’autorité sous la branche exécutive.

* Les actions de Musk : Saper la crédibilité du gouvernement fédéral, minimiser le contrôle juridique et défier les autorités de régulation. Démanteler les agences et les fonctions gouvernementales sans plan de remplacement.

5. S’emparer du contrôle des médias et de l’information pour conserver le pouvoir

* Le plan de Yarvin : Prendre le contrôle du gouvernement, du journalisme, des universités et des médias sociaux pour contrôler les récits publics.

* Les actions de Musk : Acheter Twitter, licencier des journalistes, renforcer la propagande et promouvoir des récits marginaux tout en s’attaquant aux médias traditionnels. Diriger la prise de contrôle hostile de la technologie en tant que « PDG » de Trump.

Ai-je oublié quelque chose ?

Conclusion :

Il y a encore beaucoup à dire. Ce qui me surprend le plus, c’est la façon dont la presse politique omet généralement d’informer le public que Musk adopte une approche systématique, qui a été décrite dans des forums publics pendant des années.

(Certains organes de presse, comme le Washington Post et le Los Angeles Times, appartiennent à des milliardaires désireux de faire des courbettes à Musk et à Trump).

Nous assistons à la mise en œuvre méthodique d’une stratégie planifiée de longue date visant à transformer la démocratie américaine en une autocratie d’entreprise.

Le manuel a été écrit à la vue de tous et est maintenant suivi pas à pas.

Certains considèrent les Yarvins du monde entier comme des fous déséquilibrés, mais c’est justement là le problème. Ces types, avec leurs idées bizarres et dangereuses, sont allés très loin en 2025. Il suffit de regarder l’actualité.

Yarvin a présenté sa vision comme un scénario fictif ou improbable. Malheureusement, il semble que ce soit notre nouvelle réalité. L’incapacité de la presse à relier ces points n’est pas seulement un oubli journalistique – c’est un avertissement critique manqué sur le démantèlement systématique de la gouvernance démocratique.

Le temps que la plupart des Américains comprennent ce qui se passe, le « reboot » – la destruction du gouvernement – pourrait déjà être achevé. »



Sommes-nous à un tournant de l’histoire du monde ?

David Motadel (*)

Traduction David. Article original paru dans The Guardian

En 1919, au plus fort d’une crise mondiale résultant de la tourmente de la Révolution russe, de la dévastation de la Première Guerre mondiale et de l’effondrement des grands empires continentaux de l’Europe, l’écrivain irlandais William Butler Yeats a écrit son célèbre avertissement à l’humanité, pleurant la fin de l’ancien monde : « Les choses s’effondrent ; le centre ne peut pas tenir ; La simple anarchie se déchaîne sur le monde »1 .

Ses propos ont récemment été invoqués par Joe Biden, s’adressant à l’Assemblée générale des Nations Unies. Aujourd’hui, comme à l’époque, a-t-il averti, le monde est confronté à un tournant historique critique : « Je crois vraiment que nous sommes à un autre point d’inflexion dans l’histoire du monde où les choix que nous faisons aujourd’hui détermineront notre avenir pour les décennies à venir. »

Le président a profité de l’occasion pour offrir quelques réflexions historiques. Il a rappelé les bouleversements mondiaux du début des années 1970, lorsqu’il a été élu sénateur pour la première fois, au plus fort de la guerre froide, alors que les guerres faisaient rage du Moyen-Orient au Vietnam, et qu’une crise couvait chez lui : « À l’époque, nous vivions un point d’inflexion, un moment de tension et d’incertitude. » Tout au long du XXe siècle, l’humanité a résolu des crises majeures. Aujourd’hui, alors que les guerres s’intensifient de l’Europe de l’Est au Moyen-Orient et que les divisions s’approfondissent dans nos sociétés, il est de nouveau temps, a-t-il exhorté, d’une action concertée.

Ce n’était pas la première fois que Biden historicisait notre époque comme un « point d’inflexion » dans l’histoire du monde. Elle est d’ailleurs devenue l’un de ses concepts politiques emblématiques, évoqué dans divers discours. « Je l’ai dit à plusieurs reprises, nous sommes à un point d’inflexion », a-t-il déclaré dans son dernier discours de politique étrangère la semaine dernière. « L’ère de l’après-guerre froide est révolue. Une nouvelle ère a commencé ».

Beaucoup sont d’accord. Le discours sur les « points d’inflexion » a trouvé un écho dans l’arène politique mondiale, alors que les dirigeants mondiaux, dont la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, l’ont adopté pour mettre en garde contre le moment géopolitique actuel. Le monde d’aujourd’hui – marqué par la montée mondiale des puissances autocratiques et des forces antidémocratiques, les conflits territoriaux en Ukraine, à Gaza et à Taïwan, la crise climatique et une nouvelle révolution industrielle imprévisible alimentée par l’intelligence artificielle – semble se trouver à un tournant historique. C’est un moment que l’historien Adam Tooze a qualifié de « polycrise ».

Le phénomène n’est pas nouveau, bien sûr. Tout au long de l’histoire, le monde a été secoué par des crises majeures – troubles politiques, guerres et chute de grandes puissances – qui semblaient bouleversantes à l’époque. Et, régulièrement, les contemporains les ont déclarés « tournants » historiques. Le plus frappant de ces événements dans l’histoire moderne est la Révolution française, qui a fondamentalement remis en question l’ancien ordre monarchique du monde. « En deux minutes, l’œuvre des siècles a été renversée », célébrait le révolutionnaire et écrivain français Louis-Sébastien Mercer en 1789. « Des palais et des maisons détruits, des églises renversées, des voûtes déchirées. »

Même les critiques du soulèvement révolutionnaire n’ont pas essayé de nier sa profonde signification historique. « La Révolution française est la chose la plus étonnante qui se soit produite jusqu’à présent dans le monde », a reconnu le commentateur conservateur Edmund Burke en 1790. « Tout semble hors de la nature dans cet étrange chaos de légèreté et de férocité et toutes sortes de crimes mélangés. » Dans ses cours de philosophie de l’histoire, donnés à l’Université de Berlin entre 1822 et 1831, quelques décennies seulement après la prise de la Bastille, GWF Hegel a noté que la signification de la Révolution française, avec son « expansion externe », avait été « historique mondialement ». Les contemporains s’accordaient à dire que la tourmente de l’ère révolutionnaire était une charnière critique de l’histoire. La désillusion s’ensuivit.

Les turbulences de 1848 en Europe (et au-delà) ont également été largement considérées comme un point d’inflexion. Les révolutionnaires de tout le continent se sont réjouis qu’il inaugurait une nouvelle ère de réveil national. De même, les années de la Première Guerre mondiale ont été perçues par les contemporains comme un tournant de l’humanité. Woodrow Wilson la considérait comme une lutte qui « rendrait le monde sûr pour la démocratie » ; HG Wells l’a appelée « la guerre pour mettre fin à la guerre ». Après la révolution russe de 1917, Lénine a affirmé que le temps était venu pour les révolutionnaires de « tous les pays et nations du monde » de changer le cours de l’histoire.

Des erreurs majeures commises à ce moment-là, du traité de Versailles au mal conçu de la Société des Nations, ont ouvert la voie à la prochaine catastrophe. Les dirigeants de la Seconde Guerre mondiale considéraient régulièrement la Seconde Guerre mondiale comme un point d’inflexion, « l’heure de gloire », qui serait décisive dans le triomphe de la démocratie sur la tyrannie.

La fin de la guerre, avec la création de l’ONU, de Bretton Woods, de l’OTAN et de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, a été saluée comme une nouvelle ère à l’Ouest, ouvrant la voie à la prospérité. De même, la chute du mur de Berlin semblait signifier la « fin de l’histoire ». Francis Fukuyama, dans ces pages, s’est demandé si les transformations fondamentales de l’époque, qui avaient englouti « de nombreuses régions du monde », affecteraient « l’histoire mondiale ». Le triomphe du libéralisme a rapidement été contesté par une résurgence islamiste mondiale, une Chine autocratique et une Russie revancharde. Les attentats du 11 septembre ont été considérés par de nombreux contemporains comme un autre tournant. « Pour l’Amérique, le 11 septembre était plus qu’une tragédie », a fait remarquer George Bush. « Cela a changé notre façon de voir le monde. »

Plus généralement, les tournants ou points d’inflexion sont des événements majeurs de l’histoire qui remodèlent profondément nos vies. L’une de leurs caractéristiques centrales est leur irréversibilité, car, par la suite, il semble impossible de revenir au statu quo ante. Il n’est donc pas surprenant que les dirigeants politiques, d’hier et d’aujourd’hui, les aient régulièrement invoqués, avec une certaine urgence, comme moyens de mobiliser des soutiens pour leur cause. Cela leur a également permis de donner une signification historique à leur propre temps (et à eux-mêmes, en tant qu’acteurs ou témoins).

Les grandes transformations et les changements… dans l’histoire sont toujours des processus qui évoluent sur des décennies et deviennent ensuite visibles à travers certains événements ou tournants

Dans l’ensemble, les points d’inflexion, passés et présents, doivent être pris au sérieux. Les grands moments de l’histoire ont eu des conséquences irréversibles. Pourtant, nous devons faire attention à ne pas trop être obsédés par les événements en tant que tels. En fait, la fixation sur les grands tournants risque d’en négliger les causes profondes. Pour les comprendre, il faut porter un regard sobre sur les transformations structurelles sous-jacentes qui les produisent. En fin de compte, les « tournants » ne sont toujours, au mieux, que des repères optiques à la surface, les « crêtes d’écume que les marées de l’histoire portent sur leur dos solide », comme le disait l’historien Fernand Braudel. Les transformations et les changements majeurs, les changements tectoniques, dans l’histoire sont toujours des processus qui évoluent sur des décennies et deviennent ensuite visibles à travers certains événements, ou tournants.

Les historiens étudient depuis longtemps les tournants historiques. Cela a suscité des questions sur la signification ou l’insignifiance de certains événements. Il s’agit aussi, plus important encore, d’une critique de la recherche (et de l’idée même) de points de retournement, basée sur la vieille controverse de l’importance des « événements » (et des changements soudains) par rapport aux « structures » (et aux changements lents au fil du temps) dans l’histoire.

Les historiens ont traditionnellement eu tendance à se pencher sur les événements bouleversants – guerres, crises, révolutions, accords diplomatiques – et les actes d’individus puissants. Cette recherche a atteint son apogée dans l’histoire du « grand homme » de l’historicisme du XIXe siècle centrée sur l’historien allemand Leopold von Ranke.

La concentration sur les grands « événements » a suscité quelques critiques à l’époque, exprimées par un large éventail de chercheurs, notamment l’historien Karl Lamprecht, l’économiste Gustav Schmoller et le sociologue Max Weber, qui ont souligné l’importance de transformations sociales, économiques et politiques plus profondes dans la formation de l’histoire, et les pièges de l’idée de tournants.

L’un des critiques les plus éminents était Karl Marx, qui, dans son essai de 1852, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, déclarait en mémoire : « Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas à leur guise ; Ils ne le font pas dans des circonstances qu’ils ont choisies eux-mêmes, mais dans des circonstances directement rencontrées, données et transmises du passé.

Cependant, la critique la plus accablante de l’accent mis sur les événements en tant que tournants de l’histoire est venue des érudits de l’école française des Annales, tels que Marc Bloch, Lucien Febvre et Fernand Braudel, qui s’intéressaient aux structures matérielles et mentales plus profondes sous la surface des événements. Dans son opus de 1949 « La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II », Braudel, qui a inventé le terme « histoire structurelle », a exploré l’histoire de la Méditerranée à trois niveaux : premièrement, l’histoire de l’environnement naturel – les conditions géographiques et géologiques – qui changent à peine au fil du temps ; deuxièmement, les structures sociales, économiques et politiques, qui évoluent lentement, façonnées par l’environnement naturel ; et troisièmement, et c’est le moins important, les événements causés par l’action humaine, façonnés par les conditions créées par les deux premiers niveaux.

Alors que les transformations environnementales et les changements dans les structures sociales, économiques et politiques doivent être étudiés sur de longues périodes, à travers les générations, les siècles, voire les millénaires – la longue durée – les événements peuvent être étudiés dans le cadre de jours, de semaines ou d’années – la courte durée. Braudel a exprimé une profonde méfiance à l’égard de toute fixation sur des événements dramatiques à court terme – des tournants – dans l’écriture conventionnelle de l’histoire. À première vue, a-t-il convenu, le passé ressemble à une série d’événements individuels. Pourtant, les grands événements politiques et les défaites militaires sont en fait beaucoup moins importants à y regarder de plus près. Les ruptures historiques soudaines sont presque impossibles. Se concentrer sur la surface, a-t-il averti, obscurcit les structures politiques, économiques et sociales qui les rendent possibles.

En effet, il existe de nombreux exemples de tournants qui se sont avérés moins importants lorsqu’ils ont été étudiés comme de simples expressions de transformations structurelles. L’année 1789 est impossible à comprendre sans tenir compte des transformations intellectuelles plus profondes, notamment les idées changeantes sur la société et l’État enracinées dans le siècle des Lumières, et les profonds changements matériels qui ont conduit à des tensions entre la noblesse, le clergé et les roturiers.

De même, le moment de 1914 ne peut être compris sans tenir compte des structures des affaires internationales, y compris la diplomatie secrète, et la montée du nationalisme au cours du long XIXe siècle. Le tournant de 1989, de même, a été causé par l’aggravation de la stagnation économique de l’Union soviétique, les changements générationnels dans la direction du bloc de l’Est et les changements idéologiques mondiaux. Pour comprendre le 11 septembre, nous devons être conscients de la longue histoire du nativisme, de l’islamisme et de l’anti-occidentalisme dans les pays du Sud. Et ainsi de suite. Dans tous ces cas, nous devons saisir les conditions sous-jacentes si nous voulons comprendre les tournants qu’elles ont produits. L’histoire de la politique des grandes puissances, notamment le magistral Rise and Fall of the Great Powers de Paul Kennedy, a longtemps fait allusion aux structures naturelles, économiques et militaires plus profondes qui ont créé la guerre et la paix.

Certes, l’accent mis sur les structures a provoqué à son tour quelques critiques. Certains historiens ont fait valoir qu’une idée de l’histoire dans laquelle les individus sont prisonniers des lois structurelles ne laisse pas beaucoup de place à l’action humaine. De plus, nous, en tant qu’humains et lecteurs, préférons les récits impliquant l’action humaine – des histoires de héros et d’anti-héros – et des événements dramatiques. Chercher (ou lire sur) des structures plus profondes est beaucoup moins agréable. Il n’est donc pas surprenant que les livres d’histoire sur les tournants – les guerres et les crises mondiales – continuent de figurer en tête de nos listes de best-sellers.

Il existe même aujourd’hui des livres sur des années spécifiques déclarées tournants historiques par leurs auteurs : 1917, 1979, etc. Certains d’entre eux montrent que l’étude des tournants peut également prendre en compte des causes plus profondes. L’un des plus frappants est Fateful Choices de Ian Kershaw sur les points d’inflexion de la Seconde Guerre mondiale, tels que la décision de la Grande-Bretagne de combattre l’Allemagne nazie, l’invasion de l’Union soviétique par Hitler et l’attaque du Japon sur Pearl Harbor, qui aborde soigneusement les conditions structurelles et les contraintes dans lesquelles les dirigeants en temps de guerre ont opéré.

En effet, les événements et les structures ne s’excluent pas mutuellement. Nous devrions, dans tous les cas, reconnaître la pertinence de l’un et de l’autre. Comme l’historien Reinhart Koselleck l’a noté un jour : « Le caractère processuel de l’histoire moderne ne peut être compris qu’à travers l’explication réciproque des événements à travers des structures, et vice versa. » Les conditions économiques, sociales et politiques structurelles façonnent les événements. Mais à certains moments, des événements, comme des révolutions politiques ou des guerres majeures, peuvent profondément façonner les structures. Les rares occasions où un événement acquiert une signification structurelle constituent un point d’inflexion historique.

Aujourd’hui, les dirigeants mondiaux ont raison d’avertir que nous sommes confrontés à un point d’inflexion historique, à une crise mondiale. Pourtant, pour bien le comprendre, pour le résoudre, nous ne devons pas ignorer ses causes structurelles plus profondes, qui remontent souvent à la fin de la guerre froide et au-delà. Parmi eux, la résurgence du nationalisme, du nativisme culturel et du revanchisme, qui façonnent actuellement les cultures politiques du monde entier ; l’excès et l’exploitation néolibéraux incontrôlés, créant des inégalités insoutenables ; et l’érosion d’un ordre international fondé sur des règles, miné par les puissances libérales et illibérales au cours des dernières décennies – tout cela alimentant les guerres et divisant les sociétés.

Il ne suffit pas de remarquer que nous sommes à un point d’inflexion. Pour le surmonter, nous devons nous attaquer à ces problèmes structurels sous-jacents, qui seront inévitablement un processus lent et non un acte dramatique. L’histoire est un jeu de longue haleine.

  • David Motadel est professeur associé d’histoire internationale à la London School of Economics and Political Science

1 Things fall apart; the centre cannot hold; Mere anarchy is loosed upon the world, https://www.poetryfoundation.org/poems/43290/the-second-coming



L’après-croissance ?

Enseignements tirés et lacunes dans les connaissances

Yves Gailleton

Reprise d’un post du groupe FB « nocollapswashing » commentant l’article du The Lancet Post-growth: the science of wellbeing within planetary boundaries

note : les index renvoient au document original

Indépendamment de ce que l’on pense de la durabilité ou de l’opportunité de la croissance économique, étant donné que le monde se trouve dans une situation de ralentissement de la croissance couplée à une dégradation écologique croissante, les recherches émergentes sur l’après-croissance décrites ici posent des questions importantes et offrent des réponses provisoires qui peuvent aider à préparer les sociétés à un avenir instable.

La recherche sur l’après-croissance a établi une nouvelle génération de modèles macroéconomiques écologiques nationaux qui permettent d’explorer les questions de stabilité et de bien-être sans croissance, tout en évaluant de manière systémique les effets de politiques sociales et économiques alternatives. Ces modèles indiquent qu’il existe des trajectoires post-croissance stables qui peuvent permettre aux pays à revenu élevé d’atteindre des objectifs à la fois sociaux et environnementaux. Pourtant, ces modèles pourraient encore être améliorés de quatre manières.

Premièrement, il est nécessaire d’élargir la gamme des indicateurs environnementaux et de bien-être pris en compte199. Les extensions récentes incluent les flux de matières et l’empreinte écologique200. Il serait également utile d’explorer si les scénarios post-croissance auraient des effets positifs ou négatifs sur d’autres variables environnementales, telles que la biodiversité, l’utilisation des terres et l’eau, ou de modéliser des mesures sociales plus larges, telles que la santé et la satisfaction à l’égard de la vie. Deuxièmement, il est nécessaire d’ajuster et de calibrer les modèles pour des contextes géographiques et économiques autres que ceux de l’Europe et de l’Amérique du Nord, en évaluant les politiques de développement alternatives et les questions de stabilité pertinentes pour les économies du Sud global. Troisièmement, les modèles au niveau national doivent être améliorés pour rendre compte des relations et de la dynamique internationales, en tenant compte des échanges commerciaux, des flux de capitaux et des flux monétaires – facteurs qui pourraient compliquer les scénarios post-croissance dans un seul pays. Enfin, il est nécessaire d’étendre l’approche de l’économie nationale aux modèles d’économie climatique mondiaux qui se connectent aux modèles d’évaluation intégrés existants et les améliorent, afin que les scénarios d’atténuation post-croissance puissent être modélisés pour le GIEC.63 On devrait s’attendre à des développements importants sur tous ces fronts au cours des cinq prochaines années, compte tenu des ressources substantielles consacrées par l’UE à la recherche sur ce sujet.11–14

Comme l’a montré cette étude, les preuves s’accumulent sur les politiques qui pourraient garantir le bien-être sans croissance dans les pays à revenu élevé (par exemple, l’accès universel aux biens et services essentiels, la réduction du temps de travail et les taxes sur le carbone et la richesse). Aborder la question de la stabilité comme un problème de dépendance à la croissance a aidé à identifier les facteurs institutionnels qui lient la stabilité à la croissance, et les alternatives qui pourraient briser ces dépendances. Étant donné qu’à l’heure actuelle aucun pays n’adopte de programmes post-croissance, l’expérimentation à petite échelle, comme avec les revenus de base et la réduction du temps de travail, offre un cadre contrôlé pour des connaissances reproductibles, même si l’expérimentation doit être étendue à d’autres politiques. Une direction intéressante est la recherche-action participative, comme les laboratoires d’action Doughnut Economics, où les parties prenantes et les membres du public élaborent des programmes post-croissance pour leurs villes.201 Les approches des parties prenantes pourraient également être utilisées pour diagnostiquer et traiter les dépendances à la croissance par le biais de laboratoires de politiques. Cependant, il existe encore un fossé concernant les politiques adaptées aux contextes du Sud global et les arrangements institutionnels mondiaux nécessaires pour mettre fin aux échanges inégaux entre le Nord et le Sud global.

Des progrès importants ont également été réalisés, comme indiqué ci-dessus, dans la compréhension des facteurs qui permettent de découpler les résultats sociaux du PIB, tels que des services publics et des filets de sécurité solides, l’égalité des revenus et la qualité démocratique.186 Et au-delà des scénarios généraux de contrat et de convergence entre les pays à revenu élevé et les pays à faible revenu, il est nécessaire d’effectuer une analyse secteur par secteur et région par région des besoins humains et des transformations des ressources.

Enfin, la question de la politique apparaît comme une frontière de recherche importante. Alors que la science progresse sur les questions des trajectoires souhaitées, des systèmes d’approvisionnement et des politiques pour une économie post-croissance, nous savons encore peu de choses sur les politiques qui pourraient rendre possibles les transitions post-croissance dans la réalité. Un angle mort particulier concerne les relations géopolitiques et la façon dont les changements dans la gouvernance internationale et les ordres mondiaux ouvrent, ou ferment, les opportunités de développement post-croissance et souverain.

L’intérêt scientifique pour les questions abordées dans cette Revue s’est accru au cours des dernières années : le GIEC a étendu les discussions dans son sixième rapport d’évaluation85 et le Conseil européen de la recherche13,14 et la Commission européenne ont soutenu de nouvelles recherches.11,12 Alors que la recherche post-croissance a été développée principalement dans le cadre de la science de la durabilité et de l’économie écologique, de nombreuses autres disciplines offrent des éclairages importants sur les questions de stabilité et de bien-être. …



Climat : impacts catastrophiques sur la population humaine

Steve Genco

Traduction ObsAnt – article original sur Medium

Projections climatiques et projections démographiques

Au cœur de la science du climat, il existe une déconnexion déconcertante entre les projections climatiques et les projections démographiques. En effet, si l’on compare les deux, on pourrait penser que les spécialistes de la population et les spécialistes du climat vivent dans deux mondes complètement différents.

D’une part, les climatologues annoncent un monde de catastrophes sans précédent pour les décennies et les siècles à venir : chaleur mortelle, inondations, sécheresses, méga-tempêtes, côtes dévastées, raréfaction de l’eau douce, pénuries alimentaires, etc. D’un autre côté, les spécialistes des questions démographiques de l’ONU prévoient que la population mondiale continuera d’augmenter, principalement en raison des taux de natalité élevés dans les pays les plus pauvres (les plus vulnérables aux effets du changement climatique). Dans un rapport publié en 2019, les scientifiques des Nations Unies prévoient que la population mondiale passera de 7,9 milliards aujourd’hui à 9,7 milliards d’ici 2050, avant de se stabiliser à près de 11 milliards vers 2100 (source).

Le décalage entre ces deux visions de l’avenir de l’humanité est vertigineux. Pour prendre un exemple, les Nations Unies estiment que la population de l’Afrique subsaharienne doublera d’ici 2050. Pourtant, les dernières alertes climatiques du GIEC nous indiquent qu’un monde plus chaud de 2 °C d’ici 2050 est à la fois probable et susceptible de faire des ravages en Afrique subsaharienne, en provoquant des sécheresses, des inondations, des pénuries alimentaires et un réchauffement régional si néfaste qu’il pourrait devenir impossible de travailler à l’extérieur pendant une bonne partie de l’année dans une grande partie de la région (source). Comment peut-on s’attendre à ce que la population double dans de telles circonstances ?

La réponse tient à la manière dont les modèles climatiques du GIEC sont construits.

Les modèles climatiques utilisés dans les rapports du GIEC n’incluent la population que comme variable d’entrée, et non comme variable de sortie. Ils prévoient les changements climatiques en partie sur la base d’un niveau donné de population (généralement tiré des projections des Nations Unies), mais ils ne prévoient pas les changements de population sur la base d’un niveau donné de réchauffement climatique. En d’autres termes, les modèles démographiques et climatiques ne sont pas couplés de manière bidirectionnelle (source).

La raison pour laquelle les modèles climatiques ne montrent pas de baisse de la population face à un réchauffement planétaire sans précédent est donc qu’ils n’incluent pas la population comme variable de sortie dans leurs modèles. S’ils le faisaient, ils constateraient probablement que les projections démographiques mondiales et régionales des Nations Unies sont beaucoup trop optimistes pour le monde plus chaud dans lequel nous entrons.

Les projections démographiques des Nations unies sont des projections « toutes choses égales par ailleurs » pour un monde où toutes les choses sont loin d’être égales par ailleurs (source).

Lorsque nous examinons tous les éléments interdépendants qui définissent la situation difficile à laquelle l’humanité est confrontée aujourd’hui, quel est le maillon faible de la chaîne des causes et des effets du changement climatique ? C’est le corps humain. L’homme est une espèce résistante. Mais notre corps a des limites biologiques au-delà desquelles nous ne pouvons pas survivre.

Nous ne pouvons pas survivre à des températures supérieures à 35 °C pendant plus de quelques heures (source).

Nous ne pouvons pas survivre sans eau pendant plus de trois jours (source).

Nous ne pouvons pas survivre sans nourriture pendant plus d’un à deux mois (source).

Compte tenu de ces limites à la capacité de survie de l’homme, que devons-nous penser des avertissements tels que ceux figurant dans le sixième rapport d’évaluation du GIEC de 2022 (source) ?

Environ 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des zones très vulnérables au changement climatique (soit près de la moitié des êtres humains vivant aujourd’hui). Les

points chauds mondiaux de grande vulnérabilité humaine se trouvent en particulier en Afrique de l’Ouest, en Afrique centrale, en Afrique de l’Est, en Asie du Sud, en Amérique centrale, en Amérique du Sud, dans les petits États insulaires en développement et dans l’Arctique.

La vulnérabilité humaine future sera concentrée là où les capacités des gouvernements locaux, municipaux et nationaux, des collectivités et du secteur privé sont les moins à même de fournir des infrastructures et des services de base.

Les risques sont les plus élevés là où les espèces et les personnes vivent près de leurs limites thermiques supérieures (c’est-à-dire dans des climats déjà chauds), le long des côtes, ou en étroite relation avec la glace (qui fondra) ou les rivières saisonnières (qui s’assécheront et/ou inonderont).

Si le réchauffement climatique est d’environ 2°C, l’eau de fonte des neiges disponible pour l’irrigation devrait diminuer dans certaines régions jusqu’à 20 %, et la fonte des glaciers devrait réduire la disponibilité de l’eau pour l’agriculture, l’hydroélectricité et les zones d’habitation à moyen et long terme, ces effets devant doubler avec un réchauffement climatique de 4°C.

Le changement climatique exercera une pression croissante sur la production alimentaire et l’accès à la nourriture, en particulier dans les régions vulnérables, compromettant ainsi la sécurité alimentaire et l’alimentation.

Le réchauffement climatique affaiblira progressivement la santé des sols et les services écosystémiques tels que la pollinisation, augmentera la pression exercée par les ravageurs et les maladies, et réduira la biomasse des animaux marins, sapant ainsi la productivité alimentaire dans de nombreuses régions sur terre et dans les océans.

À long terme, si le réchauffement climatique est égal ou supérieur à 3 °C, les zones exposées aux risques liés au climat s’étendront considérablement par rapport à un réchauffement climatique égal ou inférieur à 2 °C, ce qui aggravera les disparités régionales en matière de risques pour la sécurité alimentaire.

Ce que dit le GIEC, dans un langage poli mais sans ambiguïté, c’est que les effets du changement climatique sur les corps humains seront ressentis en premier lieu et le plus sévèrement par les plus vulnérables d’entre nous. C’est là que la chaleur mortelle se fera sentir en premier, que les famines apparaîtront en premier et que les sécheresses, les inondations et les effondrements d’écosystèmes seront les plus dévastateurs.

Il semble tout simplement invraisemblable que des populations régionales déjà en difficulté augmentent, comme le prévoient les Nations unies, sous l’effet d’une hausse de 2 à 4 °C des températures moyennes de la planète.

En raison du décalage entre les modèles climatiques et les projections démographiques, nous ne savons pas exactement à quel point les différents niveaux de réchauffement climatique seront dévastateurs pour les populations humaines. Il s’agit peut-être d’une stratégie intentionnelle de la part des climatologues pour ne pas « effrayer » leur public, mais elle a laissé un grand vide dans notre compréhension de la conséquence la plus importante du changement climatique, à savoir son effet sur la mortalité humaine. En l’absence de données et de modèles plausibles pour nous guider, cette carence est compensée par des spéculations et des conjectures, et par beaucoup plus de bruit que de clarté.

Science du climat et capacité de charge : qu’est-ce qu’une population mondiale « durable» ?

Les avis des climatologues sur la population se répartissent en deux camps. Le premier est celui que j’appellerais le camp du « je ne ne m’occupe pas de ça ». Ces personnes semblent tout à fait satisfaites de ne pas tenir compte de l’impact de la population dans leurs modèles climatiques. Leur travail, pourraient-ils dire, consiste à fournir des données et des modèles pour aider l’humanité à éviter les pires conséquences démographiques du changement climatique, et non à documenter l’ampleur de la dévastation à laquelle nous pouvons nous attendre si nous échouons dans cette mission. D’accord… Mais alors que les gouvernements continuent de ne pas respecter leurs engagements en matière de climat et que les niveaux de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, certains scientifiques ont commencé à reconnaître qu’un réchauffement planétaire de 2 °C est désormais inévitable, que 3 °C est probable et que 4 °C est tout à fait envisageable (source). Compte tenu de ces dernières projections, il n’est peut-être plus possible d’ignorer les effets potentiels de la hausse des températures mondiales sur la population (source).

Le deuxième camp de scientifiques du climat pourrait être appelé le camp de la « capacité de charge ». Le concept de capacité de charge est un élément essentiel des études écologiques depuis des décennies. Il s’agit de la taille maximale de la population qu’une espèce biologique peut supporter dans un environnement, compte tenu de la nourriture, de l’habitat, de l’eau et des autres ressources disponibles dans cet environnement. Son application aux populations humaines est controversée (source). Les critiques soulignent que l’homme, contrairement à d’autres espèces, peut modifier son environnement, augmentant ainsi sa capacité de charge locale, régionale ou mondiale (source). La révolution industrielle et la révolution verte sont souvent citées comme preuve que la capacité de charge de l’homme sur la planète Terre peut être considérablement augmentée grâce à l’innovation et à l’exploitation de sources d’énergie inexploitées (source). L’homme se distingue également des autres espèces par sa capacité à capturer et à stocker les ressources en vue de leur utilisation ultérieure à l’échelle industrielle, ce qui permet de retarder efficacement l’impact du dépassement de la capacité de charge en puisant dans les ressources stockées (jusqu’à ce qu’elles soient épuisées).

Les tenants du concept de capacité de charge reconnaissent que l’homme a réussi à augmenter à plusieurs reprises la capacité de charge de la planète, mais avertissent que cela ne signifie pas que la capacité de charge est infiniment extensible ou que les sources d’énergie sont infiniment renouvelables (source). Ils affirment plutôt que, quelles que soient les sources d’énergie ou les innovations technologiques dont une population humaine peut bénéficier, l’environnement de cette population impose une capacité de charge finie : le nombre d’individus dont la vie peut être assurée sur la base des ressources actuelles, soit à un niveau de subsistance minimum, soit, de préférence, à un niveau plus élevé de bien-être, de santé et de satisfaction personnelle.

Le problème de la capacité de charge est que tant que la population reste bien en deçà de la capacité d’un environnement à la supporter, le concept n’a que peu d’intérêt ou de valeur. Toutefois, étant donné que nous nous trouvons maintenant dans la partie « crosse de hockey » de la courbe de la population mondiale, l’idée de réexaminer la capacité de charge gagne du terrain parmi les climatologues (source). En effet, dans un monde où la population globale a doublé, passant de 4 milliards à 8 milliards en 50 ans, la question de savoir si et combien de temps l’environnement naturel de la planète peut répondre aux conditions de subsistance d’une telle explosion démographique ne peut plus être éludée.

La population humaine croît de manière exponentielle, mais les ressources augmentent au mieux de manière linéaire, et au pire, pas du tout.

Le cadre des limites planétaires proposé par Rockström (2009) et actualisé par Steffen (2015) est une approche qui a fait évoluer le concept de capacité de charge dans des directions prometteuses. Cette approche réinterprète la capacité de charge comme une fonction de neuf limites biophysiques absolues qui « protègent et régissent le système terrestre à l’ère de l’Anthropocène » (source, p. 1). Ces neuf limites incluent les effets du changement climatique, mais identifient également d’autres menaces potentielles pour la survie de l’humanité, telles que l’acidification des océans, les émissions d’azote et de phosphore, la disponibilité de l’eau et des terres au niveau mondial, et l’érosion de la biodiversité.

Pour en savoir plus sur le cadre des limites planétaires, je recommande l’une des références mentionnées dans le paragraphe précédent. Je le mentionne ici parce que les scientifiques qui travaillent dans ce domaine ont commencé à élaborer des modèles qui prennent en compte la pièce manquante mentionnée ci-dessus : les effets du changement climatique et de l’épuisement des ressources sur la population humaine aux niveaux mondial, régional et local. Leurs analyses nous donnent enfin des indications sur la manière dont la population mondiale est susceptible de réagir à notre trajectoire environnementale actuelle :

« Les besoins physiques (c’est-à-dire l’alimentation, l’hygiène , l’accès à l’énergie et l’élimination de la pauvreté en dessous du seuil de 1,90 USD) pourraient probablement être satisfaits pour 7 milliards de personnes à un niveau d’utilisation des ressources qui ne transgresse pas de manière significative les limites planétaires. Cependant, si les seuils des objectifs plus qualitatifs (satisfaction de la vie, espérance de vie en bonne santé, éducation secondaire, qualité démocratique, soutien social et égalité) doivent être universellement atteints, les systèmes d’approvisionnement – qui assurent la médiation entre l’utilisation des ressources et les résultats sociaux – doivent devenir de deux à six fois plus efficaces ». (source, p. 92)

J’interprète cela comme un avertissement exprimé de manière plutôt oblique : sept milliards de personnes pourraient être en mesure de mener une vie misérable et de subsistance à l’intérieur des limites planétaires qui nous protégeront d’un monde plus chaud de 2 à 4°C, mais pour qu’autant de personnes puissent vivre une bonne vie, notre consommation effrénée des ressources mondiales (y compris, mais sans s’y limiter, les combustibles fossiles) devrait être radicalement réduite, soit en obtenant deux à six fois plus d’utilisation (c.-à-d…, soit en multipliant par deux à six l’utilisation (c’est-à-dire l’efficacité) de chaque unité de ressource consommée, soit, à défaut, en faisant en sorte que seulement la moitié ou le sixième de la population consomme équitablement les ressources actuellement consommées – de manière très inégale – par 8 milliards de personnes.

Selon cette approche, la Terre ne contient que suffisamment de ressources finies pour assurer une « bonne vie » à 1,3 à 4 milliards de personnes.

D’autres estimations de la capacité de charge de la Terre aboutissent à des chiffres tout aussi bas. William Rees, écologiste canadien spécialiste des populations et fondateur du projet Global Footprint, qui mesure la consommation des ressources pays par pays, a récemment fait remarquer que « la capacité de charge à long terme de la Terre pour l’homme n’est pas encore atteinte :

« La capacité de charge humaine à long terme de la Terre – une fois que les écosystèmes se seront remis du fléau actuel [ »phase de fléau« est un terme utilisé par les écologistes pour décrire le pic d’un cycle d’explosion démographique] – est probablement de un à trois milliards d’individus, en fonction de la technologie et du niveau de vie matériel ». (source)

Paul Ehrlich, célèbre pour sa bombe démographique, aborde la question dans un article de 1994 intitulé « Optimum Human Population Size » (taille optimale de la population humaine). Ehrlich et ses coauteurs concluent que la population optimale peut varier de manière significative en fonction de valeurs et de politiques différentes, mais que, dans l’ensemble, elle devrait se situer quelque part entre 1,5 milliard et 2 milliards de personnes (source).

Johan Rockström, l’un des initiateurs de l’approche des limites planétaires et directeur de L’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact du climat, a déclaré dans une interview en 2019 que dans un monde plus chaud de 4°C :

« Il est difficile de voir comment nous pourrions accueillir huit milliards de personnes ou peut-être même la moitié de cela. Il y aura une riche minorité de personnes qui survivront avec des modes de vie modernes, sans aucun doute, mais ce sera un monde turbulent et conflictuel. » (source)

M. Rockström se faisait essentiellement l’écho de son collègue Hans Joachim Schellnhuber, fondateur de l’Institut de Potsdam, éminent climatologue et conseiller du gouvernement allemand, qui a été mis en cause dans un article du New York Times de 2009 pour avoir déclaré lors d’une conférence sur le climat :

« D’une manière très cynique, c’est un triomphe pour la science car nous avons enfin stabilisé quelque chose, à savoir les estimations de la capacité de charge de la planète, c’est-à-dire en dessous d’un milliard d’habitants. »

Cette déclaration, qui n’est en fait qu’une plaisanterie qui a mal tourné, a suscité de vives réactions. L’article du Times fait référence à la « position agressive de Schellnhuber sur le changement climatique » et qualifie son commentaire de « prédiction apocalyptique ». D’autres l’ont accusé de prôner le génocide et de soutenir des politiques visant à réduire délibérément la population mondiale à un milliard. Lors d’une conférence ultérieure sur le climat à Melbourne en 2011, un membre du public a brandi un nœud coulant pendant que Schellnhuber s’exprimait (source). En 2015, M. Schellnhuber était encore interrogé sur son commentaire. Dans une interview, il a expliqué :

« Ce que j’ai dit, c’est que si le réchauffement climatique n’est en aucune manière atténué, et que nous entrons dans un monde plus chaud de six ou huit degrés [Fahrenheit], alors notre planète ne pourra probablement pas supporter plus d’un milliard de personnes ».

La réticence des climatologues à parler directement de l’impact du changement climatique sur la population est peut-être en partie une réaction au traitement que Schellnhuber a reçu pour un seul commentaire, relativement décontracté, sur l’impact potentiel du changement climatique sur la mortalité humaine. La leçon pour les autres scientifiques du climat était difficile à ignorer : les gens, y compris certains dans leur propre domaine, ne voulaient pas entendre parler des effets directs du réchauffement climatique sur la mortalité humaine. Le sujet était tout simplement trop horrible pour que la plupart des gens l’envisagent.

Même les chercheurs de Planetary Boundaries ne décrivent pas directement le coût du changement climatique pour la population. Ils se réfèrent au nombre de personnes qu’un scénario environnemental particulier « peut supporter ». Ils laissent l’étape suivante, je suppose, comme un exercice pour le lecteur. Soustrayez la population viable de la population actuelle, le reste est la population non viable. Que leur arrive-t-il ? Il semble qu’il n’y ait qu’une seule réponse : Ils ne survivront pas parce que leurs besoins biologiques fondamentaux – nourriture, eau et abri contre les températures humides – ne seront pas satisfaits.

C’est ce que signifie « ne pas être soutenu par son environnement » : vous n’avez pas assez de nourriture, d’eau et d’abri pour vous maintenir en vie.

Il est évident qu’un déclin de la population par le biais d’une baisse des taux de natalité serait de loin préférable à un déclin de la population par le biais d’une augmentation des taux de mortalité. Comme le soulignent rapidement les spécialistes de la démographie, les taux de natalité sont en baisse dans de nombreux pays riches, et dans certains cas à des niveaux suffisamment bas pour entraîner un déclin de la population au cours des prochaines décennies (source). Mais, du moins aujourd’hui, ces baisses sont plus que compensées à l’échelle mondiale par des taux de natalité élevés dans de nombreux pays du Sud moins développés, parmi les plus vulnérables sur le plan climatique et les plus fragiles sur le plan économique.

Une « transition démographique » dans les pays vulnérables du Sud peut-elle stabiliser la population mondiale aux niveaux de consommation actuels ?

Les propositions visant à stabiliser la croissance démographique dans les pays en développement tendent à tourner autour d’une idée séduisante appelée « transition démographique ». Selon ce concept, la meilleure façon de maîtriser la population des pays en développement est de les rapprocher des pays développés. Si ces pays et régions peuvent être amenés au niveau de vie (et de consommation) des pays développés, on s’attend à ce qu’ils s’installent naturellement dans des taux de natalité plus bas à mesure qu’ils adoptent les politiques et récoltent les bénéfices de leur intégration dans le monde développé.

Son intérêt politique est évident. Il offre aux pauvres une voie vers la richesse. Il offre aux riches un moyen commode de faire valoir leurs qualités morales sans risquer de voir leur propre niveau de vie (et de consommation) baisser. Elle offre aux hommes politiques un moyen de paraître équitables et respectables. Malheureusement, la logique de la transition démographique présente une faille majeure. Même si nous ne connaissons pas exactement la capacité de charge de la Terre à l’heure actuelle, nous pouvons facilement calculer qu’elle est bien inférieure à ce qui serait nécessaire pour faire vivre 8 milliards de personnes au même niveau de consommation de ressources que celui dont jouissent aujourd’hui les nations les plus riches (source).

Le problème est que nous consommons actuellement les ressources renouvelables de la planète (bois, eau et air purs, sols sains, poissons sauvages pêchés pour l’alimentation, etc. ) à des niveaux non durables (source). En d’autres termes, nous les utilisons plus rapidement qu’elles ne peuvent se reconstituer, naturellement ou par une gestion active. Selon le Global Footprint Network, pour que le monde entier atteigne le niveau de vie des États-Unis ou de l’Europe, il faudrait disposer des ressources de deux à cinq Terres (source). Étant donné que nous n’avons qu’une seule Terre, l’objectif de la transition démographique – aussi séduisant soit-il sur le plan politique – n’est pas réalisable sans une réduction significative des niveaux de consommation de ressources des nations les plus riches.

La seule façon de partager plus équitablement le gâteau des ressources mondiales entre toutes les nations est de donner aux nations les plus riches des parts plus petites que celles qu’elles consomment aujourd’hui.

L’une des études les plus récentes de Planetary Boundaries, publiée au début de cette année, révèle que les pays à revenu élevé sont responsables de 74 % de l’utilisation excédentaire de matériaux au niveau mondial, principalement sous la pression des États-Unis (27 %) et de l’Union européenne (25 %). La Chine est responsable de 15 % de l’utilisation excédentaire de matériaux dans le monde, et le reste du Sud n’est responsable que de 8 %. Leur conclusion concernant l’utilisation des ressources par les pays riches :

« Nos résultats montrent que les pays à revenu élevé doivent de toute urgence ramener leur utilisation globale des ressources à des niveaux durables. En moyenne, l’utilisation des ressources doit diminuer d’au moins 70 % pour atteindre le niveau durable ». (source, p. e347)

Il semble très improbable que les nations riches du monde réduisent volontairement de 70 % leur consommation des ressources mondiales, qu’elles soient renouvelables ou non. Il est certain qu’aucun dirigeant politique de ces pays n’oserait préconiser un tel changement, car cela équivaudrait à un suicide professionnel. Et si nous cherchons des pistes dans l’histoire récente, l’incapacité de millions d’Américains à accepter l’inconvénient mineur de porter un masque pour éviter de propager le COVID-19 est révélatrice. Plutôt que de se soumettre à une mesure de santé publique simple et indolore, les Américains ont choisi d’accepter qu’un million de leurs concitoyens meurent du COVID. Quelle est la probabilité qu’ils soient prêts à sacrifier 70 % de leur mode de vie pour « sauver » le reste du monde de l’effondrement démographique provoqué par le réchauffement climatique ? Je pense que cette probabilité est infiniment faible.

Une catastrophe démographique en préparation

L’humanité semble avoir manqué l’opportunité d’apporter une réponse volontaire au problème du changement climatique et de l’épuisement des ressources auquel elle est aujourd’hui confrontée. Elle aurait pu écouter les données scientifiques. Elle aurait pu accepter la nécessité d’un changement significatif de la consommation dans les pays les plus riches. Elle aurait pu élaborer un plan mondial et réaliser les investissements (massifs) nécessaires pour assurer une transition ordonnée des combustibles fossiles vers une infrastructure énergétique moderne, mondiale et renouvelable. Elle aurait pu s’attaquer aux inégalités massives qui existent à la fois au sein des pays et entre eux. L’humanité a les moyens de faire tout cela depuis au moins un demi-siècle. Mais nous n’avons rien fait pour des raisons qui ne nous sont que trop familières : la cupidité, l’égoïsme, la myopie, l’obstruction politique et la bonne vieille inertie.

Le risque d’une perte catastrophique de vies humaines due au changement climatique est en effet un problème majeur. Pourtant, on continue de l’ignorer, de le nier ou de le minimiser. Les climatologues ont fermement établi qu’un plus grand nombre de personnes consomment plus de ressources, brûlent plus de combustibles fossiles, produisent plus de gaz à effet de serre, augmentent les températures mondiales et accroissent le risque de points de basculement climatiques irréversibles. Mais ils ont été plus réticents à documenter et à rendre publique la gravité du réchauffement climatique qui pourrait à son tour décimer les populations du monde entier, en commençant par les régions qui subiront d’abord de plein fouet les effets d’un monde plus chaud de 2 à 4 °C, mais en se propageant rapidement au reste du monde également.

Les effets du changement climatique sur les nations et les régions vulnérables ne resteront pas locaux.

Étant donné que notre économie mondiale moderne dépend de la spécialisation régionale et du commerce international, ces ruptures et catastrophes climatiques initialement concentrées au niveau régional produiront rapidement des effets d’entraînement au niveau mondial, réduisant les approvisionnements en énergie, matériaux, produits et denrées alimentaires importés dont dépendent bon nombre des nations les plus riches.

C’est alors que commencera réellement la transition, forcée, des pays riches du Nord vers un monde sans pétrole.


Mots-clés : Climat (plusde2), chaleurs mortelles, Démographie, Énergies fossiles, Intempéries, Ressources minières, Santé & Climat, Sécheresses,



Réseaux sociaux, penser migration ?

ObsAnt

Les réseaux sociaux les plus connus sont actuellement de plus en plus critiqués. Les profils utilisateurs font l’objet d’une marchandisation portant atteinte à la vie privée. Les idéologies des propriétaires de ces plateformes se font de plus en plus présentes. La haine est de moins en moins régulée. Etc …

Face à ces constats, des internautes se questionnent. Quitter « mon » réseau ? Migrer vers une autre plateforme ? Être présent sur plusieurs réseaux ?

Parmi les pistes possibles, l’Observatoire de l’Anthropocène a choisi d’être présent (entre autre) sur un réseau qui nous semble particulièrement intéressant : Mastodon (*).

Développé dans la sphère des logiciels libres, cette plateforme est conçue de façon totalement décentralisée.

Sans entrer dans le détail, le réseau est composé d’instances (serveurs) totalement indépendantes les unes des autres. Le Réseau des instances assurant la communication la plus large au sein de ce « Mastodon ».

Toute personne, entreprise ou collectif souhaitant mettre en place son instance en a la possibilité. Le code est disponible. On peut rejoindre une instance existante.

La décentralisation assure la pérennisation du réseau global. Il est également possible de migrer – sans perdre ses relations – vers un serveur différent en cas de désaccord avec la gestion « locale », de contraintes techniques ou autre souci.

Notre expérience :

Nous avons choisi de rejoindre l’instance mise en place par le projet « chApril » – https://www.chapril.org/ – qui propose des services clairement alternatifs.

Derrière ce projet, l’intéressante association française « April » – https://www.april.org/ – de promotion et de défense du logiciel libre.

L’actualité nous le rappelle, choisir un réseau social n’est pas anodin.

Si d’aventure vous deviez rejoindre Mastodon, voici nos coordonnées :

https://pouet.chapril.org/@obsant


Pour retrouver l’ensemble de nos activités, voir notre page sur linktr.ee :


La société préfère le fantasme à la réalité

Angus Peterson

deepltraduction JM & Josette – original paru dans Medium

La fin de la pensée critique et l’effondrement de la civilisation.

À une époque où la logique et l’esprit critique sont plus importants que jamais, la société évolue dans la direction opposée – vers la désinformation, le mysticisme et les régimes autoritaires. Le monde est plongé dans un état permanent de polycrise : instabilité économique, effondrement écologique, tensions géopolitiques et fracture sociétale. Au lieu d’affronter ces crises avec logique et des solutions fondées sur des preuves, de vastes pans de la population se replient sur la superstition et l’autoritarisme.

Il ne s’agit pas seulement d’un échec du raisonnement individuel, mais d’un effondrement systémique de la pensée critique. Le discours public a été détourné par les propagandistes, les chambres d’écho virtuelles et la banalisation de l’indignation. Les fausses informations se répandent à une vitesse inégalée, instrumentalisées par les outils mêmes qui étaient autrefois salués comme des sources de savoir. La civilisation n’est pas seulement mal préparée aux crises auxquelles elle est confrontée, elle sape activement toute tentative de les atténuer.

Les conséquences sont terribles. Alors que le climat se détériore, que les normes démocratiques s’érodent et que les inégalités économiques se creusent, les gens ont de plus en plus besoin de comprendre. Mais plutôt que de demander des comptes aux puissants, ils se tournent vers le mysticisme, les théories du complot et les hommes forts qui promettent le salut sans aucun effort. Il ne s’agit pas d’un hasard, mais du résultat prévisible d’un monde où l’éducation a été vidée de sa substance, où le tissu social s’effiloche et où l’écart de richesse s’est creusé à un point tel que la mobilité sociale n’est plus qu’une illusion.

Nous n’évoluons pas vers une société plus consciente, nous régressons. Carl Sagan nous a mis en garde il y a plusieurs décennies, prévoyant un monde où les gens, incapables de distinguer la vérité de la fiction, se tourneraient vers les démagogues et les charlatans. Cette prophétie n’est plus un avertissement, c’est notre réalité. Les conséquences ne seront pas seulement abstraites ; elles façonneront la qualité de vie des générations à venir.

Le mysticisme alimente la montée des leaders autoritaires

Alors que l’incertitude s’empare du monde, les gens recherchent des dirigeants qui offrent des certitudes, même si leurs déclarations sont fausses ou dangereuses. En période de crise prolongée, les gens se tournent vers la foi, qu’elle soit religieuse, conspirationniste ou politique. La polycrise a intensifié cet instinct, poussant les populations vers le mysticisme, l’irrationalité et, inévitablement, vers des dirigeants autoritaires qui promettent de rétablir l’ordre.

Le cerveau humain n’est pas adapté à un stress permanent. L’instabilité économique, les catastrophes climatiques et les troubles politiques créent un besoin psychologique de certitude. Mais le monde réel n’offre pas de telles réassurances. Le consensus scientifique met en garde contre l’aggravation de l’effondrement écologique, les données économiques montrent que les inégalités se creusent et les institutions mondiales s’efforcent de maintenir un certain ordre dans un chaos de plus en plus grand. Pour ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas affronter la complexité, la confiance en un dirigeant fort offre une alternative facile.

Historiquement, les crises engendrent des autocrates. Lorsque les gens se sentent impuissants, ils recherchent quelqu’un qui incarne la force – quelqu’un qui prétend avoir toutes les réponses, même si ces réponses sont des tissus de mensonges enveloppés de bravade. La montée des démagogues populistes dans le monde entier n’est pas une coïncidence ; elle résulte directement de la perte de confiance des populations dans leur capacité à créer le changement. En l’absence de solutions, elles se tournent vers des récits qui les déchargent de toute responsabilité.

Cette évolution n’est pas isolée. Elle reflète un rejet plus large de la rationalité. Partout dans le monde, l’anti-intellectualisme est en hausse. L’expertise est considérée comme de l’élitisme, l’éducation est sous-financée et la méthode scientifique est traitée comme une idéologie plutôt que comme une voie vers la vérité. Les théories du complot prospèrent dans cet environnement, se nourrissant de la même incertitude que la pensée rationnelle est censée combattre.

Freedom House (NDT: ONG financée par le gouvernement américain et basée à Washington, qui étudie l’étendue de la démocratie) fait état d’une expansion mondiale des régimes autoritaires, alimentée par la désillusion et la précarité économique. Les dirigeants qui, autrefois, auraient pu être soupçonnés d’abus de pouvoir agissent désormais en toute impunité, protégés par leur propre culte de la personnalité. Leurs sympathisants ne leur demandent pas de rendre des comptes, mais de les soulager du chaos de la réalité.

Le lien entre mysticisme et autocratie n’est ni nouveau ni propre à notre époque. Mais à l’ère de la polycrise, il s’accélère. Plus les choses vont mal, plus les gens cherchent à se réconforter dans des récits qui les protègent de la dure vérité. Et comme l’histoire l’a montré, lorsque la vérité devient gênante, ceux qui proposent des mensonges – aussi absurdes soient-ils – prospèrent.

Les algorithmes des médias sociaux tuent la pensée critique

Si le mysticisme et l’autoritarisme sont les symptômes, la technologie en est le moteur. L’internet, autrefois présenté comme un outil d’information et de partage des connaissances, est devenu un labyrinthe de manipulations algorithmiques, conçu non pas pour informer mais pour renforcer les préjugés.

Les médias sociaux, qui étaient autrefois un forum pour un discours ouvert, ont été détournés par des algorithmes qui maximisent l’engagement et donnent la priorité à l’indignation plutôt qu’à l’exactitude. L’objectif n’est pas d’éduquer mais de figer, en alimentant les utilisateurs d’une vague incessante de contenus qui amplifient leurs croyances existantes tout en les protégeant des perspectives contradictoires. Le résultat est une population qui n’est pas seulement mal informée, mais qui résiste activement à la réalité.

Cette tendance s’est aggravée avec les changements de politique délibérés des grandes plateformes. La récente décision de Meta d’éliminer les fact-checkers tiers de Facebook, Instagram et Threads sous prétexte de réduire les préjugés en est un exemple flagrant. Au lieu d’une vérification indépendante, la plateforme s’appuie désormais sur un système de « notes communautaires » – une approche empruntée à X (anciennement Twitter), qui s’est transformée en un terrain propice à la désinformation.

Mark Zuckerberg lui-même a reconnu le risque :

« La vérité, c’est qu’il s’agit d’un compromis. Cela signifie que nous allons détecter moins de mauvaises choses, mais nous allons également réduire le nombre de messages et de comptes de personnes innocentes que nous supprimons accidentellement ».

Il s’agit d’une distorsion grotesque des priorités. Il est bien plus dangereux de laisser la désinformation – en particulier les contenus racistes, misogynes et xénophobes – prospérer que de signaler occasionnellement un message innocent de manière erronée. C’est pourtant la nouvelle norme en matière de modération de contenu : un système qui privilégie la « neutralité » au détriment de la vérité, même lorsque cette neutralité implique d’autoriser des mensonges flagrants.

X est un exemple de ce qui se passe lorsque les garde-fous sont supprimés. Depuis la prise de contrôle par Elon Musk, la plateforme a sombré dans le chaos, où les extrémistes sont renforcés, où les idées complotistes fleurissent et où le journalisme légitime est noyé dans des récits fictifs. Les organes de presse qui s’appuyaient autrefois sur Twitter pour leurs reportages en temps réel l’ont largement abandonnée, tandis que la propagande et la pseudoscience prospèrent sous le couvert de la « liberté d’expression ».

Cette dégradation de l’intégrité de l’information survient à un moment particulièrement dangereux. L’élection présidentielle américaine de 2024 a été marquée par une forte augmentation de la désinformation et, à l’approche du second mandat de M. Trump, les enjeux n’ont fait que croître. L’affaiblissement systématique de la vérification des faits n’est pas une négligence de la part des entreprises – c’est une décision calculée qui profite aux autocrates qui s’appuient sur un public désorienté et mal informé.

Nous assistons à un démantèlement massif de la pensée critique. L’érosion de l’éducation publique a préparé le terrain, mais les médias sociaux ont fini le travail. Dans un monde où la vérité est facultative et les mensonges plus rentables, la réalité objective elle-même est en péril.

Pourquoi les gouvernements sanctionnent-ils l’activisme climatique ?

Alors que la crise climatique s’aggrave, les gouvernements et les entreprises ne réagissent pas par des actions urgentes, mais par la répression. Au lieu de s’attaquer aux menaces existentielles posées par le changement climatique, les détenteurs du pouvoir s’efforcent de réduire au silence ceux qui refusent de détourner le regard.

Dans le monde entier, les gouvernements renforcent les restrictions imposées aux manifestations. Au Royaume-Uni, de nouvelles lois accordent à la police le pouvoir d’arrêter les défenseurs du climat avant même qu’ils ne commencent à manifester. Aux États-Unis, des États dirigés par des républicains ont introduit des lois sur les « infrastructures critiques » qui font des manifestations à proximité des sites pétroliers et gaziers un délit. En Allemagne, les manifestants pour le climat risquent désormais des peines de prison. Plus la crise climatique se durcit, plus les gouvernements s’efforcent de réprimer ceux qui appellent au changement.

Ce retour de bâton n’est pas seulement une question de politique : il s’agit d’un mécanisme de défense psychologique à l’échelle de la société. La réalité de l’effondrement écologique est insupportable pour beaucoup. Pour reconnaître l’ampleur de la crise, il faudrait reconnaître non seulement les échecs des gouvernements, mais aussi la complicité personnelle de populations entières. Il est beaucoup plus facile de rejeter l’activisme climatique en le qualifiant de perturbateur ou de criminel que d’accepter que l’avenir qu’on leur avait promis n’existe plus.

Cette répression est une conséquence directe de l’abandon par la société de la pensée critique et de son virage vers le mysticisme et le négationnisme. Personne ne veut entendre que son mode de vie n’est pas viable. Au lieu de cela, les gens cherchent du réconfort dans une rhétorique teintée de spiritualité – des expressions telles que « ne faire qu’un avec la nature » ou « purifier l’âme » sont devenues des substituts commodes à un engagement réel face à la crise. L’essor de la « spiritualité de la catastrophe climatique » permet aux gens de faire face à la situation sans prendre de mesures significatives.

Et oui, les gens ont besoin de réconfort. Personne ne peut mener une bataille s’il est trop épuisé pour être opérationnel. Mais ce n’est pas une cure de jouvence pour la résistance – c’est de l’escapisme déguisé en sagesse. Il s’agit d’une capitulation délibérée, d’une psychose de masse dans laquelle le déni est transformé en illumination.

À mesure que le monde s’enfonce dans la catastrophe climatique, la répression des manifestations en faveur du climat ne fera que s’intensifier. Le message est clair : arrêtez de lutter, arrêtez d’alerter, arrêtez de nous rappeler ce que nous ne voulons pas savoir. Mais l’histoire montre qu’ignorer une crise ne la fait pas disparaître, mais la rend inévitable.

Le bilanla mort de l’esprit critique

Nous vivons dans la dystopie dont Carl Sagan nous avait prévenus. L’effondrement de la pensée critique, l’adoption du mysticisme, la montée de l’autocratie et l’érosion délibérée de la vérité – tout cela a été prédit et tout cela est en train de se produire.

 » J’ai le pressentiment d’une Amérique, au temps de mes enfants ou de mes petits-enfants, devenue une économie de services et d’information, où presque toutes les industries manufacturières auront été délocalisées dans d’autres pays, alors que d’impressionnantes puissances technologiques sont entre les mains d’un très petit nombre et que personne ne représentant l’intérêt public ne peut même comprendre les enjeux, lorsque les gens auront perdu la capacité de définir leurs propres programmes ou de questionner les autorités en connaissance de cause, lorsque, agrippés à nos cristaux et consultant nerveusement nos horoscopes, notre sens critique en déclin, incapables de distinguer ce qui est bon de ce qui est vrai, nous glisserons, presque sans nous en rendre compte, vers la superstition et l’obscurité…« 

Ce temps est venu. Les États-Unis, et une grande partie du monde, sont devenus une société incapable de distinguer la réalité de la fiction, peu disposée à faire les sacrifices nécessaires pour atténuer une catastrophe imminente. Les systèmes d’éducation publique ont été vidés de leur substance, remplacés par l’endoctrinement idéologique et la manufacture de l’ignorance. Les plateformes numériques ont abandonné la vérité pour le profit, permettant ainsi à la désinformation de se développer de manière incontrôlée. L’écart de richesse a atteint des niveaux indécents, laissant des millions de personnes sans aucun moyen pour avoir accès à des informations dignes de confiance.

L’abrutissement de l’Amérique est particulièrement évident dans la lente dégradation du contenu substantiel dans les médias extrêmement influents, les extraits sonores de 30 secondes (aujourd’hui réduits à 10 secondes ou moins), les programmes au plus petit dénominateur commun, les présentations crédules sur la pseudoscience et la superstition, mais surtout dans une sorte de célébration de l’ignorance.

La célébration de l’ignorance est désormais une politique. Les manifestants pour le climat sont arrêtés. Les fact-checkers sont supprimés. Les algorithmes décident de ce que les gens regardent, et les démagogues dictent ce qu’ils croient. La polycrise s’accélère et, au lieu de la combattre par la rationalité, la société se réfugie dans la fiction et s’accroche à l’illusion du contrôle.

Cet effondrement n’est pas seulement environnemental ou économique, c’est l’effondrement de la vérité elle-même. Dans un monde noyé sous la désinformation, où la réalité est dictée par ceux qui détiennent le pouvoir, la question n’est plus de savoir si l’effondrement arrive, mais à quelle vitesse il va tout dévorer.


L’Observatoire traduit régulièrement des articles. Voici la liste : les traductions



Groenland, la future chasse gardée de Trump ?

Paul Blume

Nous y sommes. D’ici quelques jours, Donald Trump – 47e président des États-Unis – va pouvoir pousser au maximum sa volonté d’accaparement des ressources mondiales au seul profit des industries américaines.

En ligne de mire, entre autres, les ressources du sous-sol groenlandais.

On y trouve du fer, de l’or, du zinc, du cuivre, du graphite, du nickel, du platine, de l’uranium … et des hydrocarbures (*).

Si le modus operandi n’est pas encore connu, les observateurs de la politique américaine semblent de plus en plus convaincus qu’une forme d’annexion de ces ressources sera tentée rapidement, peut-être en début de mandat.

Les questions de légitimité, de droit international, d’autonomie des peuples et des nations ne pesant que fort peu dans l’équation du prédateur américain.

Personne ne semble à ce jour susceptible de s’opposer à l’expansionnisme annoncé par le presque Président des États-Unis. Au Groenland, en tout cas.

Ces richesses font aussi l’objet d’une attention active de la part d’autres pays proches (tableau) mais aussi de la Chine.

Le tableau est repris de l’article du Monde : Pourquoi Donald Trump s’intéresse au Groenland depuis 2019

Vivre avec autant de ressources sous les pieds, dans le cadre géopolitique qui se profile, s’annonce mouvementé.

Et l’Europe dans tout cela ? Peut-elle se passer de ces ressources ?

La situation dans l’Arctique est explosive.

Sans oublier la fonte des glaces liée au réchauffement climatique…


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2025, comment tout s’effondre ?

Collectif

Il y aura dix ans au printemps qu’est paru « Comment tout peut d’effondrer »1 de Pablo Servigne2 et Raphaël Stevens3. Dix ans qu’est apparu le néologisme « collapsologie ».

Depuis, l’idée qu’une « polycrise »4 puisse mettre à mal notre société a fait son chemin. En décembre 2020, par exemple, un panel d’universitaires publie une lettre publique dont l’intitulé est on ne peut plus clair : « Seule une discussion sur l’effondrement permettra de s’y préparer »5.

Non seulement les risques systémiques annoncés par le rapport Meadows6 en 1972 s’avèrent effectifs, mais l’évolution exponentielle de la pression anthropique sur le climat et la nature fait ressentir ses effets de plus en plus concrètement et de façon irréversible7.

Pollution exponentielle de nos environnements (sols, eau, …) et perte tout aussi exponentielle de biodiversité s’accompagnent d’un chaos géopolitique qui annonce la complexité d’appréhension des décennies à venir.

Alors que « post-vérité » et désinformation assombrissent l’évaluation du futur proche, nous pensons que face à l’urgence et l’ampleur des polycrises qui nous arrivent, il est indispensable de relancer des débats collectifs sur des bases factuelles et scientifiques. De réfléchir aux possibles en s’écartant des complotismes, simplismes et pensées propagées à grande échelle à dessein pour favoriser des intérêts particuliers.

Comprendre, s’informer, penser de nouvelles formes d’adaptations au réel font partie des objectifs que se donne le groupe de réflexion « Ecologie21 »8.

Nous inaugurons notre tribune 2025 dans le cadre du blog de l’Observatoire de l’Anthropocène et reviendrons régulièrement vers vous pour contribuer à une pensée écologique mieux adaptée aux constats.

A bientôt.


1 https://obsant.eu/veille/?iti=137,152

2 https://obsant.eu/pablo-servigne/

3 https://obsant.eu/raphael-stevens/

4 https://obsant.eu/blog/2024/12/21/la-polycrise/

5 https://obsant.eu/blog/2020/12/08/seule-une-discussion-sur-leffondrement-permettra-de-sy-preparer/

6 https://obsant.eu/le-rapport-meadows/?iti=9,%208920,%20329

7 https://obsant.eu/blog/liste/?rch=%20blogoa%20focuscollaps%20irreversible

8 https://obsant.eu/ecologie21/