David Hercot
Alors que 80 % des Belges considèrent les changements climatiques comme un problème qui nécessite une action urgente . Les premières mesures, même pas significatives mises en œuvre pour tenter de réduire l’empreinte carbone font déjà l’objet de farouches résistances .
On pourrait arguer que ces résistances sont montées en épingle par les opposants politiques de ceux qui étant au pouvoir actuellement sont chargés de les mettre en œuvre. Mais ce serait trop réducteur. Il y a dans la nature humaine quelque chose d’instinctif qui freine le changement : la peur de l’impensable. Chacun instinctivement se construit une vision organisée du monde . Si cette vision vient à être remise en cause, le confort symbolique est mis en danger et la première réaction sera le rejet dans un parti pris de conservation morale, religieuse ou scientifique. Ce fut le cas dans toute l’histoire des sciences nous dit Jean-Claude Passeron . Mais lorsque l’idée cheminant, commence à être acceptée comme une banalité, un secret de polichinelle, on entre dans une période, jugée après coup, « pré-révolutionnaire ». Les portes s’ouvrent et l’axiome honni devient réalité ouvrant les portes à une révolution scientifique, morale, religieuse .
Si l’on peut postuler que le dérèglement climatique est entré dans l’ordre de l’axiome banal, il n’en est pas de même pour les limites planétaires, ni et surtout sur les conséquences morales qui en découlent en termes de révolution de la société qui serait nécessaire pour construire une société compatible avec les limites planétaires.
Réussir la transition écologique nécessite donc dans un premier temps de faire accepter la possibilité d’une organisation alternative de la société qui soit compatible avec les limites planétaires. De créer cet état pré-révolutionnaire qui permettra de passer au-delà des peurs initiales de remise en cause de l’ordre symbolique de la croissance infinie pour embrasser la nécessité d’organiser une société post thermo-industrielle dans un environnement dégradé.
Il sera donc nécessaire de construire un récit auquel les personnes concernées peuvent adhérer. En premier lieu les personnes qui se sentent affectée par la transformation en cours, qu’elle soit choisie ou subie, vont tenter de comprendre quelle place elles auront dans la nouvelle situation. Si la seule perspective pour eux c’est le chômage ou la perte de sens par rapport à ce qu’ils ont fait ou font depuis des années, ils vont naturellement émettre des réticences.
Pour les acteurs qui portent la transition, appelons-les les transformateurs, il est donc nécessaire d’être à l’écoute des personnes impactées. Il s’agit à la fois de comprendre ces réticences, les reconnaitre comme normales et apporter des réponses. Les réponses doivent à la fois donner du sens, à quoi je sers, et de la sécurité, pourrais-je m’occuper de moi et des personnes qui me sont chères, enfants, parents, proches,…
Les transformateurs sont en général déjà convaincus eux-mêmes de la nécessité du changement et ont déjà fait une partie de leur deuil du monde d’avant et du chemin de reconstruction. Ils sont donc en avance sur d’autres. Ils proposent des solutions désirables à leurs yeux mais qui peuvent faire peur de par la dimension insécurisante qu’elle génère. Cette insécurité est certes d’ordre symbolique mais elle est aussi bassement matérielle.
Le management d’entreprise a souvent été utilisé pour augmenter la performance, la rentabilité des travailleurs mais pour se faire, il s’est appuyé sur des théories du changement de comportement qui pourraient tout aussi bien être étudiée pour amener un changement désirable pour tous.
En tout état de cause, ce serait une erreur stratégique pour les transformateurs de feindre d’ignorer les résistances au changement sous prétexte qu’elle ne cadre pas dans leur modèle de pensée symbolique. La transformation nécessaire de la société doit s’accompagner d’une stratégie qui prend en compte le besoin de stabilité symbolique de chacun et proposer un récit dans lequel chacun perçoit une place pour lui-même qui fasse sens.
Références David Hercot