Raphaël Goblet
Eco-Conseiller chez Les Joyeux Résistants ; Administrateur de L’Ardoise, Monnaie Locale ; Animateur & Conférencier ; Organisateur d’événements ; Auteur, compositeur, interprète.
Voici un petit compte-rendu complet de nos deux journées de travail avec L’Atelier Paysan ces 8&9 décembre derniers à Neufchâteau: Qui Mangera Quoi Demain, Qui le Produira ? Je vous ai concocté un petit concentré de ce que nous y avons (ré)appris, les processus en jeu, la méthode employée et les résultats obtenus ! Ce fut jouissif, mais le meilleur reste à venir !
Retour sur deux journées de travaux et de rencontres entre producteurs, consommateurs, acteurs sociaux, les 8 et 9 décembre 2023 à Neufchâteau[1].
Après un premier succès en 2022 avec la venue du systémicien Arthur Keller pour deux jours de réflexion autour de la résilience alimentaire territoriale[2], le collectif organisateur s’est élargi pour proposer deux journées de travail concret sur l’alimentation avec L’Atelier Paysan [3] comme intervenant principal.
Auteur de « Reprendre la Terre aux Machines, manifeste pour une autonomie paysanne et alimentaire » (Seuil)[4], l’Atelier Paysan se définit comme « une coopérative d’intérêt collectif à majorité paysanne, qui œuvre à la généralisation d’une agroécologie paysanne, pour un changement de modèle agricole et alimentaire radical et nécessaire ». Un programme plutôt ambitieux ! D’autant que mobiliser suffisamment de personnes (producteurs, citoyens, collectifs, associations, travailleurs sociaux, …) pendant deux journées n’est pas une sinécure ! Mais les 11 membres du collectif et les 6 citoyen.ne.s du groupe organisateur ont plus d’un tour dans leur sac, et après 8 mois de travail, ce sont plus de 80 personnes issues d’horizons, d’âges, de régions très diversifiées (un quart de producteurs, un quart de représentants d’associations et collectifs, et une moitié de citoyen.ne.s soucieux de l’avenir de leur alimentation) qui ont participé à ce défi avec la promesse qu’il ne s’agisse pas d’une énième rencontre intéressante, certes, mais stérile.
Photo : Le collectif organisateur & les animateurs de l’Atelier Paysan
L’engagement ? Nous ne nous quitterons pas sans avoir compris la nature profonde des enjeux et pris rendez-vous pour mettre en œuvre et réaliser des projets concrets qui répondent à ces défis fondamentaux. Un pari audacieux, certes, mais qui sera couronné de succès !
Retour sur un processus de réflexion et de création collective.
Comprendre avant de se lancer
La première journée était dédiée à l’exploration des enjeux de la production de nourriture et les questions d’alimentation, sous la verve habile d’Hugo Persillet et Arina Susa, de l’Atelier Paysan. Des exposés percutants, touchants, et surtout donnant de sacrés coups de pieds dans la fourmilière de nos idées reçues.
Il s’agissait de commencer par comprendre que les producteurs, éleveurs, agriculteurs, maraîchers, peu importe leur manière de travailler et leur filière, sont piégés de la même façon par un système agro-industriel qui tend à les dépouiller du sens (et du produit) de leur travail.
En aval, ils sont pieds et poings liés par une industrie de collecte, de transformation et de distribution qui les relèguent à de simples « producteurs de minerai » dont ils n’ont pas à se poser la question de la destination : de nourriciers du monde, ils ne sont plus qu’un fournisseur de matières premières parmi d’autres.
En amont, ils sont liés (souvent par les mêmes groupes industriels qu’en aval) pour la quasi-totalité de leurs ressources et intrants : des semences aux engrais en passant par la grande famille des -cides, les producteurs sont devenus des exécutants de tâches prédéfinies par les besoins de l’agro-industrie, perdant par la même occasion toute souveraineté économique, maîtrise de leurs pratiques et de leur éthique : pressés comme des citrons entre ces deux flux opiniâtres et sans pitié, très peu d’entre eux peuvent encore dire qu’ils vivent de leur travail sans affronter des fins de mois pour le moins très compliquées. Pour les conglomérats en amont et en aval, par contre, pas de souci à se faire : les dividendes pleuvent plus fort chaque année.
Le but de ce système agro-industriel ? Faire baisser un maximum les prix des denrées alimentaires, afin de libérer une part croissante du budget des ménages pour les allouer à d’autres postes. Il est « amusant » de noter que la courbe de l’augmentation des loyers suit de manière exactement inverse la courbe de la baisse du prix de la nourriture, par exemple[5]. Le constat du prix anormalement bas de la nourriture agro-industrielle est d’ailleurs une vraie question : une nourriture respectueuse du sol, du vivant en général, et des êtres humains en particulier ne peut rivaliser au niveau de son coût avec les denrées issues du système « conventionnel » : dès lors il faudra peut-être reparler du vrai prix de la nourriture, qui ne pourra s’assumer qu’en réaugmentant la part financière que les ménages allouent à ce poste, au détriment d’autres choses… et en instaurant idéalement une réelle sécurité sociale alimentaire (nous y reviendrons plus loin).
Certes, le prix du ticket de caisse de l’alimentation produite par l’agro-industrie n’inclut pas ses « externalités négatives » (et il n’est pas près de le faire), dont les dépenses en matière de santé publique : une nourriture de moins bonne qualité, tant gustative que nutritionnelle ne permet plus aux populations d’être correctement nourries (apparition de maladies liées aux carences alimentaires, par exemple). Passons sur le trop gras, trop sucré, trop salé généralisé (diabète, obésité, …), ajoutons les résidus de pesticides ingérés, les eaux polluées aux nitrates et phosphates, et pensons aux producteurs eux-mêmes qui sont en toute première ligne face aux produits phytos qui leur détruisent la santé. Il est évident qu’aucun d’entre eux ne se lève le matin tout réjoui d’aller épandre de la chimie de synthèse sur ses terres : ils sont tout simplement pris au piège, avec peu d’espoir d’en sortir la tête haute, quand ils ne sont pas éreintés au point de ne même plus se poser de questions, avec la série de dénis (climatiques & idéologiques principalement) qui peuvent aller avec.
Photo : Des exposés en grand groupe impactants et mobilisants par Hugo Persillet
Ajoutons les aides de la PAC, qui ne figurent pas non plus sur la facture au consommateur, mais qu’il paye pourtant de manière indirecte via ses impôts. Il n’inclut pas non plus la casse sociale générée par ce système, ni le mal-être flagrant des producteurs.
Enfin, on peut ajouter la facture énergétique (le plus souvent de l’énergie fossile : pétrole pour la plupart des machines, gaz pour les engrais, …) et environnementale qui ne devrait même plus faire débat : nous le savons, l’agriculture, comme tous les autres pans de nos sociétés, doit se remettre en question si nous désirons éviter d’hypothéquer les conditions mêmes de survie des espèces actuelles, humains inclus.
Ne pas opposer, mais rassembler autour d’une cible commune.
Une chose est très claire, il est contre-productif de fustiger les producteurs, de viser personnellement les femmes et les hommes qui travaillent la terre, pilotent des machines ou gèrent des exploitations. Au contraire, identifier un « ennemi commun », définir une cause commune à toutes et tous peut permettre de rassembler, plutôt que diviser : c’est déjà un défi en soi ! Mais un défi salvateur.
En attendant, reconnaissons-le, toute une série d’initiatives, de manières de faire, de techniques moins gourmandes en intrants, moins polluantes, plus respectueuses du vivant, du sol, de l’eau, des humains et non-humains voient le jour, en réponse à une prise de conscience profonde de nombreux producteurs et consommateurs. En circuit court bien sûr, avec souvent un impératif de transformation et vente directe pour assurer la rentabilité minimale nécessaire à la pérennisation de l’activité.
Cessons d’être inoffensifs…
« Croire, ou faire croire, qu’une multitude d’initiatives, aussi disruptives ou subversives soient-elles, vont pouvoir faire pencher la balance vers une autre agriculture globale relève de la fable. »
Ces alternatives sont motivantes, innovantes, prometteuses, mais bien qu’on nous laisse à penser que ces modes de production deviennent petit à petit la norme, ou se développement massivement, ils restent totalement inoffensifs pour le système agro-industriel, quand ils ne le renforcent pas carrément : la bio, le labellisé du terroir, le « producteur local » font un complément d’offre parfait pour la clientèle aisée du supermarché. Depuis les années 80, par exemple on parle d’une progression du bio de 300%[6], mais dans le même temps, une progression dans des proportions comparables est constatée sur les ventes de pesticides et engrais artificiels[7], qui jouent eux à une tout autre échelle !
Croire, ou faire croire, qu’une multitude d’initiatives, aussi disruptives ou subversives soient-elles, vont pouvoir faire pencher la balance vers une autre agriculture globale relève de la fable : cela n’arrivera pas. Groupes d’achats communs, jardins partagés, réseaux d’achats paysans, épiceries locales sont autant de projets jubilatoires qui vont dans le bon sens, mais ils n’ont aucune chance de renverser un système globalisé, robuste, où trop d’acteurs ont trop d’intérêts. Du moins si on en reste là.
Les 3 piliers de la transformation sociale.
Car nous avons besoin d’une profonde et réelle transformation socio-économique, sur la quasi-totalité des aspects de notre vivre ensemble.
Nous devons travailler collectivement deux autres angles d’attaque que nous avons tendance à oublier, tant l’urgence peut nous presser à développer des solutions pratiques : toutes les transformations sociales qui ont abouti dans l’histoire comportaient trois piliers, complémentaires et indispensables. Le premier étant la construction d’alternatives crédibles, opérables, efficaces, prêtes à prendre le relais. C’est ce que nous avons fait presque exclusivement pendant les dernières décennies : nous ne devons certainement pas laisser tomber cette démarche, et continuer à la développer encore et encore !
Le second pilier consiste à travailler les rapports de force : le déséquilibre est tel que la puissance et la force de frappe est très nettement en faveur du système agro-industriel. Nous regrouper (fédérations, syndicats, collectifs, …), pratiquer un lobbyisme assumé, repolitiser le sujet, ne pas hésiter à aller au front, de toutes les manières possibles, saboter, empêcher, confisquer, « ZAD partout », … tout est bon pour rééquilibrer la balance au maximum.
Nous aurons beau avoir les meilleures idées concernant les manières de produire de quoi manger, scientifiquement et empiriquement démontrées, si nous ne sommes pas capables de rivaliser massivement avec le système agro-industriel, celui-ci ne changera pas pour nos beaux yeux ou pour préserver l’environnement et le vivant (si non, cela aurait déjà eu lieu !).
« Si nous ne sommes pas capables de rivaliser massivement avec le système agro-industriel, celui-ci ne changera pas pour nos beaux yeux ou pour préserver l’environnement et le vivant. »
Vient enfin l’éducation populaire et permanente : il nous faut aménager des espaces sûrs, dédiés, où l’on peut se retrouver, réfléchir, apprendre, développer une pensée critique sur les circonstances et les processus, identifier les acteurs (tant nos alliés que les autres). Sans permettre les conditions de la construction d’un savoir autogénéré par les premiers concernés (à priori : toute personne soucieuse de produire et manger mieux), nous ne pourrons ni développer des alternatives suffisamment solides ni des rapports de force à notre avantage.
Complémentarité plutôt que rivalité !
Bien entendu, impossible pour chaque individu de se consacrer aux 3 piliers : nous avons tous nos propres appétences, préférences, connaissances, compétences, les journées ne sont pas près de faire plus de 24h et le quotidien a une fâcheuse tendance à se rappeler intempestivement à chacun d’entre nous. Non, l’idée n’est pas d’être sur tous les fronts à la fois, mais à minima de ne pas les opposer. On peut être séduit ou non par les activistes (les terribles écoterroristes diraient certains) et leurs actions coup de poing, ils participent néanmoins au changement de rapports de force. On peut penser que prendre le temps de s’asseoir autour d’une table et discuter soit improductif ou en tout cas pas assez rapide, nous ne rallierons pas durablement des forces vives si elles n’ont pas pu prendre le temps de se convaincre intimement de la nécessité de proposer des alternatives ou de s’opposer frontalement aux règles imposées par un système prétendument tout-puissant. On peut croire que l’association qui pratique l’agroécologie à très petite échelle serait tout de même bien plus utile en manif, il n’en reste pas moins qu’elle participe à la co-construction et la (re)découverte d’un savoir et d’un savoir-faire qui risquent d’être plus que bienvenus quand il faudra commencer à prendre le relais de l’agro-industrie pour nourrir une part croissante de la population.
C’est donc bien un triptyque qu’il nous faut déployer, forcément de manière collective. Nous devons créer des ponts entre les piliers, nous encourager et nous soutenir mutuellement plutôt que de se tirer dans les pattes en pensant avoir trouvé « LE » seul moyen d’action efficace. L’histoire nous a montré que quand les étoiles sont alignées et que vient le moment de tester concrètement le rapport de force (ce moment arrive rarement à l’initiative de la minorité qui veut le changement, mais survient souvent quand le système dominant commence à faillir ou quand il va trop loin), il faut être capable de proposer immédiatement des alternatives, qui soient crédibles et déjà éprouvées, portées par un réseau d’individus et de collectivités profondément encapacités à conduire, gérer, transposer et déployer ces alternatives. Sans un projet solide comme contre-proposition, la transformation sociale a toutes les chances d’échouer à l’issue des affrontements (on ne se met pas à réfléchir en pleine bataille), et peut même laisser le champ libre à des projets pires et moins démocratiques encore, mortifères et liberticides : l’histoire regorge d’exemples et les tournants politiques que prennent de nombreuses régions du monde actuellement résonnent comme des avertissements glaçants.
Voilà pour les premiers constats. Effrayants. Désarmants. Mais aussi puissamment remotivants : passé l’effroi, c’est l’envie (la nécessité ?) de se jeter dans l’arène qui prend le pas !
Photo : Réflexions et sentiments restitués en grand groupe
Produire, c’est une chose. Comment on se nourrit en est une autre…
Passé le temps nécessaire à digérer tout cela (ainsi qu’un excellent buffet communautaire à partager, préparé par les participants eux-mêmes), les premiers échanges en groupes débutent autour de trois thèmes liés à l’alimentation (qui est le pendant complémentaire de la production) : la violence alimentaire sous toutes ses formes (tant pour les producteurs que les consommateurs, et spécifiquement les mangeurs déjà précarisés), sur base d’un extrait vidéo d’une interview de Bénédicte Bonzi[8] ; un recensement des initiatives existantes pour contrer la précarité alimentaire (précarité qui, avec la pauvreté en générale, est un sous-produit inhérent au système agro-industriel lui-même : il s’agit d’un « dommage collatéral » au mieux, d’une intention consciente au pire) ; et un travail sur la notion de la SSA : la sécurité sociale alimentaire, qui part du constat qu’une part croissante de la population connaît des difficultés financières pour s’alimenter, et en tout cas n’a pas accès à un choix d’aliments réellement sains.
La Sécurité Sociale Alimentaire (SSA) comme arme de réappropriation massive.
Déjà en test dans plusieurs grandes villes de France, et pointant timidement le bout de son nez en Belgique, la SSA consiste à assurer à toutes et tous un minimum d’accès à une production alimentaire correcte tant du point de vue nutritionnel que de la préservation de notre planète. Pour résumer le principe dans ses grandes lignes : chaque personne sur un territoire donné se voit remettre une somme d’argent (monnaie marquée, chèque, bon, évalué à l’heure actuelle à un montant de 150€ par personne et par mois) à dépenser en achat de denrées alimentaires.
3 grands principes sous-tendent la SSA :
C’est un droit universel : chaque personne, du nouveau-né à la personne âgée, du travailleur au chômeur en passant par le migrant ou le SDF, reçoit inconditionnellement cette aide, chaque mois.
La SSA est basée sur une cotisation, idéalement gérée par une structure indépendante du pouvoir politique, afin d’en garantir la stabilité dans le temps. Le montant de la cotisation dépend évidemment des moyens de chacun, les plus aisés cotisant bien d’avantage afin de compenser les faibles cotisations (ou l’absence de celles-ci) des plus démunis. C’est donc un système redistributif, que nous connaissons déjà bien sous d’autres formes (et donc : ça fonctionne !) comme la sécurité sociale tout court, les mutuelles, les impôts, …
Dernier principe, où l’exercice démocratique est prépondérant : le conventionnement. Il convient de définir collectivement les denrées, point de vente, produits, modes de production, éligibles au système, qui seront donc conventionnés. L’idée n’est pas de prioriser ou favoriser à priori la ou les filières dans lesquelles la population pourra faire usage de son droit à la SSA, mais bien d’en débattre de manière informée (un peu comme l’expérience de la convention citoyenne pour le climat, malheureusement sabordée ensuite par le gouvernement Macron).
Il subsiste peu de doutes que les filières de productions locales et vertueuses pourraient bien être les premières bénéficiaires, mais à l’heure actuelle il n’y a généralement pas suffisamment de production que pour approvisionner pour 150€ par tête de pipe sur un territoire donné. Mais l’objectif de cette démarche est de générer une demande forte qui puisse tirer la production nettement vers le haut, mais de manière durable (contrairement à la période post-covid que nous avons connue). Les producteurs locaux, étant assurés d’un débouché rentable sur la durée, seront probablement plus enclins à développer des filières et adopter des pratiques correspondant aux critères du conventionnement de leur territoire.
Il s’agit d’un chantier d’envergure, qui nécessitera temps et énergie, mais qui pourrait réellement rééquilibrer le rapport de force et contribuer à l’éducation populaire et permanente !
Forts de toute cette matière, nos quelques 80 participants ont pu passer aux choses sérieuses le lendemain, après une soirée festive bien méritée…
Passer au concret. Pour du vrai.
L’engagement de l’Atelier Paysan et du collectif organisateur était donc clair : nous ne nous quitterions pas sans avoir démarré des projets concrets, et pris rendez-vous ferme, date, heure, lieu et ordre du jour à l’appui, pour faire avancer, dans la vraie vie, les projets en question.
« L’engagement était clair : nous ne nous quitterions pas sans avoir démarré des projets concrets. »
La méthode utilisée est relativement simple : il s’agit d’employer l’intelligence collective, en dirigeant le moins possible les échanges (mais en les cadrant de manière assez stricte), afin de parvenir à faire émerger des idées concrètes, réalisables avec les moyens disponibles. Cela peut paraître candide, mais c’est diablement efficace.
Photo : Réflexions thématiques en sous-groupes
Le grand groupe est divisé en 3, selon différents sujets relativement larges. Chacun est libre de se diriger dans le groupe qu’il désire et d’en changer quand il le souhaite. Les discussions se déroulent selon un canevas soigneusement minuté de 3×30 minutes : d’abord on énumère pêle-mêle les problèmes à résoudre, les freins à lever, les verrous à faire sauter. Ensuite on lance des idées d’initiatives concrètes dans un monde idéal (où l’on ne manque ni de temps, ni d’argent, ni de main d’œuvre). Attention, il ne s’agit pas de supprimer la faim dans le monde, la guerre, l’argent, ou tout autre intention louable mais chimérique : il doit s’agir de concret, avec une méthode si possible, des étapes et un but réaliste à atteindre ! Les idées fusent, certaines très terre-à-terre, d’autres plus farfelues, mais c’est le jeu : on rêve un peu, et ça fait du bien. La dernière phase réintroduit la réalité dans les utopies. Qu’est-ce qui, dans ces projets lancés, pourrait aboutir dans le monde réel, dans lequel nous avons peu de temps, pas assez d’argent et bien souvent moins de bras qu’il n’en faudrait, moyennant des étapes intermédiaires, une révision à la baisse de l’ambition, des créations de partenariats ?
A l’issue de ce processus, ce ne sont pas moins de 14 idées de projets qui sont affichées sur le mur de la grande salle. 14 potentialités réalisables qui agissent sur l’un des 3 piliers de la transformation sociale : les rapports de force, l’éducation populaire et permanente et le développement d’alternatives. C’est déjà une très belle satisfaction ! Mais nous ne sommes pas encore au bout du processus, il reste le principal à accomplir : définir, ici et maintenant, la manière dont on va s’y prendre, et se lancer.
Ce sera l’objet du travail de l’après-midi : chacun est invité à choisir un des 14 projets (pas forcément celui qu’il a proposé, mais celui qui l’enthousiasme le plus), et à se regrouper autour de cette proposition. Après un petit quart d’heure, 11 des 14 projets sont attribués (dans des groupes de 2 à 8 personnes). Cela signifie que 3 projets ne verront peut-être jamais le jour… et ce n’est rien : ce n’était pas le bon jour, pas les bonnes personnes pour les développer. Il n’en reste pas moins que pendant l’heure et demie qui va suivre, c’est la créativité de terrain qui va prendre le dessus : les groupes définissent leurs objectifs, la ou les manières de les atteindre, et mettent en place une série de jalons, dont le plus important : quand est-ce qu’on se revoit, où, et à quelle heure, avec quel ordre du jour !
Photo : Travail concret sur les propositions d’actions réalistes: quoi, comment, et quand !
C’est ainsi que sont nés ces 10 projets, au stade de phase de lancement :
1. Demander/provoquer un débat constructif et respectueux sur les différents modèles d’agriculture à la foire agricole de Libramont.
2. Création d’un podcast recueillant la manière donc les acteurs agricoles voient l’impact de la technologie sur leur vie et leur travail.
3. Présentation d’outils de maraîchage « do it yourself » ou low techs à la petite foire de Semel avec la Fabriek Paysanne et d’autres acteurs.
4. A l’occasion des élections qui se profilent en 2024, obliger l’ensemble des partis à se positionner et donner leur vision de l’agriculture de demain.
5. Création d’une fondation sur l’autonomie paysanne, analyser la vision de l’autonomie que les paysans ont, définir les besoins et chercher des pistes pour y répondre collectivement.
6. Création d’ateliers partagés pour que les paysans puissent construire leurs machines de maraîchage sans devoir investir dans des outils onéreux.
7. Recensement et cartographie des outils, plans et lieux qui existent déjà pour que les paysans puissent construire leurs outils de travail du sol.
8. Recensement et soutien des projets de distribution de produits locaux, identifier les zones blanches en province de Luxembourg, tenter de les combler.
9. Projet de mutualisation des ressources des producteurs afin d’alléger leur responsabilité sociétale amenant vulnérabilité et sentiment de malaise.
10. Groupe de réflexion concernant la sécurité sociale alimentaire, la documenter, recenser les initiatives, concocter un argumentaire et soumettre le principe aux candidats des élections 2024.
11. Projet de cassure des barrières sociales : comment amener les publics moins favorisés à s’intéresser par eux-mêmes à l’alimentation issue de l’agriculture paysanne ?
Ne soyons pas naïfs, certains de ces projets seront menés à leur terme, mais d’autres n’aboutiront peut-être pas, ou pas comme imaginés. Cependant tout est réuni pour donner les meilleures chances à chacun d’entre eux.
Affaires à suivre…
Raphaël Goblet, pour le collectif organisateur.
Photo : Partages, échanges et gratitude tous ensemble avant de nous quitter, provisoirement, avant de nouvelles aventures !
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Johanna Reynckens, Nature Attitude, 063 42 47 27 – 0477 729 149 – johanna.reynckens@natureattitude.be
Raphaël Goblet, Les Joyeux Résistants, 0497 27 64 70 – raphael.goblet@gmail.com
Nathalie Monfort, citoyenne, 0473 32 91 01 – contact@nathaliemonfort.be
[1] https://quimangeraquoi.jimdosite.com
[2] https://www.youtube.com/watch?v=iGbP3t7X6wg
[3] https://www.latelierpaysan.org/
[4] https://www.seuil.com/ouvrage/reprendre-la-terre-aux-machines-l-atelier-paysan/9782021478174
[5] https://www.observationsociete.fr/modes-de-vie/evolutionconsommation/
[6] https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2018/10/carnet_monde_2017.pdf
[7] https://www.novethic.fr/actualite/environnement/agriculture/isr-rse/atlas-des-pesticides-entre-addiction-et-monopole-tout-comprendre-en-infographie-151531.html et https://www.researchgate.net/figure/Evolution-de-la-production-et-de-la-demande-mondiale-et-francaise-en-engrais-azotes_fig1_332800086
[8] https://www.youtube.com/watch?v=_vHa_a8Mjak