Paul Blume
Entre l’exigence de diminuer la pression de l’économie sur le vivant et les difficultés de plus en plus apparentes à garder une croissance, fut-elle « verte », le débat sur la question sociale ne peut plus être abordé de la même façon qu’au siècle passé.
Classiquement, les revendications des organisations mutuellistes, syndicales et plus largement de défense des droits sociaux reposent sur une exigence de protection des plus démunis et l’accès à plus d’égalité dans la répartition des fruits de la croissance, à plus de performance collective en termes d’accès au logement, l’alimentation, la santé, la culture, etc…
Cette histoire des luttes pour une justice sociale intègre peu d’éléments « externes » telles les conditions écologiques et environnementales ou les relations de l’humanité au vivant.
Mais le vivant se rappelle à nous. Détériorer son environnement à la vitesse de l’industrialisation moderne se paie cher. Quel que soit le modèle social en usage.
La question climatique illustre bien les contradictions de cette guerre que nous menons contre la nature.
Chaque point de croissance s’accompagne d’émissions de gaz à effet de serre supplémentaires et nous rapproche de conditions de vie insoutenables pour nous, humains, mais également pour l’ensemble du vivant.
Dans le concret, les riches émettent proportionnellement beaucoup plus que les plus démunis.
L’exigence de justice sociale n’en est donc que plus exacerbée.
De là à ne pas prendre en compte les risques systémiques qui menacent la vie elle-même, il y a une marge à ne pas franchir. Sous peine d’alimenter les feux d’une croissance mortifère.
Il est temps d’interroger le sacro-saint pouvoir d’achat. Acheter, c’est aussi participer à la mécanique consumériste qui tue.
Le pouvoir d’achat est aussi un pouvoir de nuisance.
Ce constat ne remet pas en cause l’exigence d’équité. Mais bien les moyens utilisés pour y parvenir.
Il n’est plus possible de vivre dans le paradigme du ruissellement. « Toutes et tous plus riches chaque jour » n’est plus envisageable.
Si l’on veut être équitable dans une période de déplétion, il est impératif d’établir des objectifs clairs.
Que veut-on ? Permettre à plus de ménages d’accéder aux vacances en avion ou s’attaquer enfin au sans-abrisme ?
Mettre la priorité sur l’amélioration des conditions de vie des moins nantis implique dorénavant de toucher directement à la répartition des résultats … de la décroissance. Voulue ou subie.
Ce débat reste un impensé des organisations sociales et c’est catastrophique.
Après des décennies de refus par celles-ci d’envisager des socles minimaux universels d’accès à une existence décente, nous affrontons en mauvaise posture les contraintes à la baisse sur la consommation globale.
Les multiples contradictions révélées par la crise actuelle de l’énergie mettent en exergue ces « impossibles » que la majorité des citoyens semblent ne pas vouloir prendre en compte.
L’exigence d’un maintien des prix des énergies fossiles en-dessous d’un certain seuil se comprend facilement au regard des contraintes subies par les ménages et les entreprises.
Cela n’empêche que prendre en compte le caractère inéluctable d’une sobriété croissante est indispensable.
A peine les prix se tassent-ils que certaines agglomérations envisagent de rallumer l’éclairage de nuit.
Le phénomène est le même que celui des résistances à la réduction de la vitesse au volant.
Une recherche permanente d’accroissement du « confort » que seules les contraintes économiques parviennent à ralentir.
Et pourtant nous ressentons déjà les conséquences sur nos vies du réchauffement climatique. Sans évoquer la biodiversité, la perte de capacité de production des sols, les conséquences sanitaires des pollutions multiples, etc …
Toutes ces considérations n’indiquent pas comment faire. Singulièrement dans le cadre des revendications salariales qui animent cette fin d’année.
Il est pourtant plus qu’urgent de réfléchir aux conséquences extra-économiques de nos comportements et revendications.
Nous sommes en état de guerre contre nos propres intérêts vitaux. Et le consumérisme est une arme d’autodestruction redoutable.
Il ne s’agit pas d’un conflit entre fin du mois et fin du monde. Mais d’un débat indispensable pour nos valeurs de solidarité et d’entraide à un moment de l’histoire ou la vie devient chaque jour plus difficile.
Revendiquer une croissance du pouvoir d’achat sans penser comment diminuer le pouvoir global de nuisance est contre productif.
Que faire alors ? Surtout, ne pas éluder la question.