De la vanité d’une écologie sous l’échelle continentale de l’Europe.

Térence

https://www.rtbf.be/article/vinted-un-modele-de-consommation-plus-durable-ou-un-renforcement-de-la-fast-fashion-11551553


Ce qu’il se passe dans le secteur de l’économie sociale du réemploi du vêtement face aux plateformes de vente en ligne mondiale, sur fond de fast fashion, d’exportation de déchets en Afrique et de pollution aux microplastiques (fibres textiles issues du pétrole), est révélateur.

Pour nous c’est LE cas d’école actuel qui nous invite à sortir définitivement, des politiques de transition des années 2010-2020, c’est-à-dire d’une stratégie écologique individuelle (éco-citoyenneté), entrepreuneuriale (éco-entreprise) ou même de politique publique de soutien régional à la transition (subisdes, accompagnement, labels, formations, incubateurs, etc.).

Cette stratégie équivaut à gaspiller l’énergie individuelle, organisationnelle et politique. Denrée rare pour l’écologie !
Ne restent alors que les leviers structurels, systémiques, à un niveau d’action pertinent : une politique européenne d’interdiction et de taxation des activités, produits et services non soutenables (ici la fast fashion et les plateformes). 

Aucun individu, micro-entreprise ou même pays membre ne peut s’opposer seul au rouleau compresseur de l’économie mondiale insoutenable. Ils ne font pas le poids et sont broyés.

Ce n’est qu’avec l’environnement réglementaire et fiscal européen adéquat que les efforts des rouages inférieurs peuvent commencer à jouer.

Pour nous la messe est dite sur le comment économique. Les efforts des mouvements, partis et collectifs devraient s’orienter dans ce sens selon nous. Évidemment cela nécessité de gagner les élections européennes et donc d’avoir une majorité dans les pays membres.

Est-ce que nous y croyons vraiment dans la situation actuelle ? Non mais il n’y a pas d’alternative comme dirait l’autre…


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L’hyper-normalisation et le déni des effondrements sont au cœur de la condition humaine

Térence

Un article récent expose le concept « d’hyper-normalisation » et décrit un sentiment similaire à celui vécu par les soviétiques durant l’effondrement de l’URSS. « Les systèmes s’écroulent visiblement mais la vie continue. La dissonance est réelle. »
Systems are crumbling – but daily life continues. The dissonance is real | Well actually | The Guardian
“Ce que vous ressentez, c’est la déconnexion entre le fait de voir que les systèmes défaillent, que les choses ne fonctionnent pas… et pourtant que les institutions et les gens au pouvoir semblent l’ignorer et prétendent que tout va continuer à fonctionner comme avant.”


Il faut vraiment absolument bien le comprendre, c’est un fait majeur de la métaphysique et de l’ontologie (les deux disciplines qui constituent les fondations de toute la philosophie) :

L’inertie, l’adaptation inertielle et le déni de tout ce qui exige un changement sont au cœur de la condition humaine.

Comme l’Impermanence est le seul phénomène permanent dans l’Univers, c’est-à-dire LE phénomène universel principal (= le changement), c’est-à-dire le Réel lui-même (= le Réel = l’Impermanence universelle = le changement perpétuel), on peut simplifier ce constat en : 

Le déni est au cœur de la condition humaine. 

Le déni est probablement un avantage critique sélectionné par l’évolution.

Nous sommes dans le déni de tout ou presque :

  • – l’Absurde
  • – la Finitude (dont la Mort)
  • – le Tragique
  • – le Mal
  • – l’absence de deus ex machina
  • – la brièveté de la vie
  • – la Vie
  • – la Complexité
  • – le Déterminisme
  • – etc.

Ce déni existentiel fondamental est aussi un complexe (tissu) de récits culturels. La Culture (au sens le plus large = les sociétés et civilisations humaines et toute la Noosphère) est Le Grand Récit, l’Histoire que nous nous racontons à nous-mêmes, notre Cosmologie (nos cosmologies), et donc… nécessairement Le Grand Déni. La Culture est Le Grand Déni.

Revenons à l’empirique, au quotidien : chaque jour, partout, chez tout le monde, lorsque vous-même serez un peu plus lucide que d’habitude (un peu moins dans le déni, par exemple après une heure de méditation), vous observerez le déni omniprésent et éternel des Humains. 

C’est l’attitude, la pensée, la réaction, le discours, l’action par défaut des êtres humains.

Nier la réalité, la dénier, refuser de changer, conserver l’inertie, s’adapter en changeant le minimum, par incréments, tant qu’on n’atteint pas un seuil de rupture (ce qui explique la course à la guerre, le parcours criminel, la Shoah, l’acceptation de l’esclavage et la montée lente des dictatures, chaque petit pas est le résultat de l’antagonisme entre l’Impermanence et le volant inertiel humain).

Appliqué aux grands défis de l’Humanité, cela invite à une conclusion assez cynique que le réveil est souvent tardif, incomplet, brutal, insuffisant et susceptible d’inversion, quant au changement, il ne surviendrait que contraint et forcé.

Et que l’être humain préfère souvent mourir que changer.

Et qu’il peut s’adapter à tout en conservant précieusement son inertie et son déni (l’esclavage par exemple, car se révolter sera un changement trop important).

Et qu’il passe son temps à (se) raconter des histoires pour préserver son illusion d’agentivité. (on changera demain)

Franchement, quand on lit les récits de la Shoah où certains espèrent contre vents et marées, et quand on voit les Gazaouis s’adapter à tout ou presque ce que leur fait subir Israël… On se souvient que le déni, et l’hyper-normalisation, pourraient bien constituer un « avantage évolutif ». Un mécanisme de survie pour traverser les effondrements.

Nous caricaturons ici bien-sûr en proposant un idéal-type de ce phénomène du déni et de l’hyper-normalisation, mais nous pensons qu’il s’agit d’une meilleure approximation du Réel, de la condition humaine, que les autres explications. C’est la baseline. Et après on peut regarder comment en dévier, comment éviter de rester dans ce volant inertiel humain.

Évidemment, les Humains et l’Humanité changent (ils sont partie à l’Impermanence eux aussi !) et peuvent changer vertueusement, en conscience. Un travail sur la lucidité est (encore) possible !


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Le problème de l’auto-neutralisation de la conscience engagée

Térence (*)

Une conscience élevée rend difficile l’espoir, la motivation, l’engagement dans des projets, la prise d’initiative.

On perçoit, grâce à la conscience, la perfection ou du moins le bien, on sait qu’il est possible selon les lois du Réel.

Mais la raison lucide indique clairement que le cours pratique des événements est toujours très en deçà de ce bien possible (euphémisme). Pire, les événements ne semblent pas aléatoires et moyens mais plutôt tournés vers le pire. L’Histoire, c’est surtout l’histoire du mal et de la barbarie.

Donc la raison lucide perçoit encore plus cruellement l’écart entre l’idéal et la fange des événements.

L’actualité du monde, particulièrement morose et désespérante aujourd’hui, sidère les gens de bien, semble leur indiquer que, quelques soient leurs microscopiques efforts individuels et collectifs, des forces bien plus puissantes -la guerre, la bombe nucléaire, le réchauffement climatique, l’extrême-droite, les GAFAM, …- se chargeront de les anéantir et de laisser l’Humanité en ruine. A quoi bon planter un arbre fruitier si une bombe atomique le réduit en cendre ou si le réchauffement climatique le fait mourir de soif ?

Comment garder alors la motivation d’agir dans le monde ?

Gandhi sacrifie sa vie à l’indépendance de l’Inde et à la sagesse de ses habitants, pour finir assassiné dans une guerre civile entre musulmans et hindouistes qui provoque la partition Inde-Pakistan, aujourd’hui sanctionnée par deux arsenaux nucléaires qui se menacent de destruction mutuelle assurée.

Aujourd’hui, un Premier indien, Modi, d’extrême droite populiste, préside aux destinées du pays de la méditation, alors que Gandhi était de gauche.

Le bilan historique de l’engagement des individus et des collectifs est amer.

J’en conclus que la sagesse supérieure implique un grain de folie pour rendre possible l’engagement dans le monde.

En dépit de la raison pessimiste (avec raison !), une volonté optimiste doit animer l’âme du sage.

Mais plus largement, ce grain de sagesse-folie existentiel doit animer les âmes des femmes et hommes politiques, des militants, des activistes, des fonctionnaires, des entrepreneurs, de tous ceux qui prennent des initiatives et se lancent dans des projets, malgré les démentis historiques du Réel.

La condition humaine impose aux êtres humains de ne pas succomber à leur raison pessimiste, pour prendre le risque de faire le bien, malgré tout.



Trump, la paille et la poutre de la toute puissance

Térence (*)

Ces microdétails dans le panorama plus large ont souvent plus de valeur pour l’évaluation de notre situation, que certains macrophénomènes.

On ne peut « feindre » la suppression de l’interdiction des pailles en plastique, ce n’est pas une « erreur », un « hasard », un « oubli », un « automatisme », un « événement surdéterminé par le Réel », etc.

Non, pour attirer l’attention, la réflexion, la détermination, l’action du POTUS (*), il faut bien que la microscopique paille en plastique reflète intimement ce qui est à l’œuvre, le conatus qui déploie sa puissance d’agir.

C’est donc un signal faible infalsifiable, il exprime exactement ce qu’il veut exprimer. Il nous donne une porte d’entrée directe dans l’esprit de Trump et tous ses soutiens, donc de la majorité des citoyens américains et partant, d’une large partie de la population mondiale qui vote/adhère aux mêmes idées.

Notons en passant qu’on peut boire sans paille (sauf condition médicale). Et qu’on peut boire uniquement de l’eau (sauf nourrissons et condition médicale). Donc si on retire tout le gras, on conclut immédiatement que la paille est superflue à l’Humanité dans 99% des situations. Qu’elle soit en papier ou en inox, elle reste largement superflue (c’est bien de rappeler les fondamentaux du sujet en passant).

Donc on a un signal faible infalsifiable. Il reste à l’interpréter, à la fois sur son processus et sur son intention. Sur le processus, je le répète, on a le POTUS qui utilise du temps de cerveau disponible là-dessus. Cela reflète une intention spontanée (il a vraiment une haine propre de l’interdiction des pailles en plastique) et/ou une intelligence politicienne du sujet (« la paille », c’est quasi 100% de l’électorat qui est concerné). Ici, ce n’est pas un petit élu républicain MAGA du Midwest qui lance une pétition pour rétablir la paille en plastique dans le pays.

Sur l’intention plus générale, je reste assez convaincu de cette hypothèse, qu’il faudrait sans doute préciser :

Ce qui intéresse Donald Trump, c’est la toute puissance. Il conçoit la toute puissance comme la capacité à faire ce qu’il veut selon sa vision du monde, à être au centre de l’attention, à déclencher chez autrui le sentiment que son existence dépend de Trump, à changer la marche du monde (peu importe la direction au fond, ce qu’il veut, c’est être à lui tout seul une force historique, voire tellurique).

C’est le bébé qui fait s’écrouler une tour en blocs de bois. 

Il y a là un fondement anthropologique majeur : le plaisir intrinsèque que l’homo sapiens conçoit dans la conscience de sa propre puissance (je « fais ça » et il se produit quelque chose de significatif : du bruit, de la lumière, une explosion, des rires, des applaudissements, du plaisir corporel, etc.).

Rien de neuf, c’est Spinoza-compatible.

Certains se contentent de jouir de leur puissance à une échelle limitée, ils mènent une vie normale.

D’autres veulent des shoots plus importants, ils veulent plus de puissance pour plus de plaisir, ils veulent même accéder à la toute puissance.

C’est le cas de Trump et Musk, mais aussi Poutine, et vous pouvez compléter la liste vous-mêmes. Certains ne paient pas de mine, ils travaillent dans des labos sur la fusion nucléaire. Mais le désir de toute-puissance est tout à fait le même au fond. 

Je pense que chaque homo sapiens peut déraper et verser dans la toute puissance, à son propre détriment et celui d’autrui.

La puissance est en soi bonne. Tandis que l’impuissance et la toute puissance sont mauvaises. La vie bonne est atteinte via une puissance d’agir humaine/humanisée/écologisée. C’est tout à fait honorable de savoir se nourrir en cultivant sa nourriture (une forme de puissance d’agir). Savoir fabriquer et manier l’outil. Savoir soigner quelqu’un. Savoir palabrer et négocier, savoir décider, savoir se défendre, savoir coopérer, etc. Tout cela c’est la puissance d’agir vertueuse.

Mais Trump se situe dans la toute puissance en termes de psychologie individuelle (comme bien d’autres avant lui : Napoléon, César, Alexandre…) mais aussi dans un cadre, une vision de la puissance qui est typiquement celle qui domine le monde aujourd’hui, et qui est une vision de la puissance comme toute puissance. C’est le délire prométhéen.

Il est évident que l’écologie, c’est l’institution de la Limite, de la Limite face à l’hubris prométhéen, quel qu’il soit (pas seulement environnemental, mais aussi politique : la démocratie et l’autonomie comme valeurs centrales).

Donc ce que veut Trump, c’est le retour, et l’accentuation, de l’ordre de la puissance comme toute puissance. Et tout ce qui va avec : la bombe nucléaire, la grosse armée, le gros pickup, la grosse maison ,le gros gratte-ciel, MAGA ça dit bien ce que ça veut dire, il faut viser la toute puissance.

Et l’interdiction de la paille en plastique, c’est bien l’institution de la Limite, donc c’est l’ennemi que veut abattre Trump. Il veut qu’on continue à produire des tonnes de paille en plastique, qu’on en consomme une par boisson, qu’on la jette, et ainsi de suite car c’est l’expression du « je fais ce que je veux ici, c’est MA planète, JE suis le ROI du MONDE, aucune limite ne s’impose à moi, je suis TOUT PUISSANT ».

De là, on peut reproduire l’analyse à des macro-sujets, comme Gaza, la guerre en Ukraine, le climat, la démocratie US, etc. On ne pourra jamais coincer Trump dans une ligne idéologique claire et bien univoque. Non, il lui importe plus de FAIRE ce qu’il VEUT quand il VEUT et avec qui il VEUT. 

Et il incarne un mouvement très important et majoritaire aux USA qui pense comme lui, qui aspire à la toute puissance.

« On ne discute pas avec le dictateur nord-coréen » –> « Si, moi Trump, je peux le faire ! Car je fais ce que je veux. »

« On ne négocie pas avec Poutine le dépeçage de l’Ukraine » –> Si, moi Trump, je peux le faire… etc. vous avez compris…

Interdisez-lui quelque chose, il le fera.

Il n’a pas de considération pour les limites : l’Autre, la Vie, le Bien commun, la Démocratie, etc. Ces institutions/réalités limitent sa toute puissance, elles devront se plier à sa volonté.

Pourquoi interdire la paille ? Parce qu’elle exprime bien l’institution de la Limite (on peut le faire mais on décide en âme et conscience de ne PAS le faire), c’est le « non du père » des psychanalystes, c’est le père Biden, c’est tout ce que la société essaie de m’empêcher de faire, moi Trump et mes MAGA’s, et donc je fais péter tout ça.

Je pense que l’homo sapiens jouit universellement de sa puissance et encore plus lorsqu’il s’agit d’une puissance excessive/interdite/maléfique.

D’où notre fascination interposée pour les méchants personnages de fiction, ils nous permettent de libérer nos pulsions inavouables à peu de frais (et c’est bien).

On les aime parce qu’ils sont dans la toute puissance (et que nous voudrions bien l’être aussi, plus ou moins secrètement).