En 2024, pour la première fois, la température moyenne de la Terre a dépassé 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, un seuil critique dans la crise climatique. Dans le même temps, des conflits armés majeurs continuent de faire rage en Ukraine, à Gaza, au Soudan et ailleurs.
Ce qui devient de plus en plus clair, c’est que la guerre doit désormais être comprise comme se déroulant dans le contexte de la crise climatique.
La relation entre la guerre et le changement climatique est complexe. Voici trois raisons pour lesquelles la crise climatique doit remodeler notre façon de penser la guerre.
Les guerres et le changement climatique sont inextricablement liés. Le changement climatique peut augmenter la probabilité de conflits violents en intensifiant la raréfaction des ressources et les déplacements de population, tandis que les conflits eux-mêmes accélèrent les dommages environnementaux. Cet article fait partie d’une série intitulée « War on climate », qui explore la relation entre les questions climatiques et les conflits mondiaux.
1. La guerre aggrave le changement climatique
La nature destructrice inhérente à la guerre dégrade depuis longtemps l’environnement. Mais ce n’est que récemment que nous avons pris davantage conscience de ses implications climatiques.
Cela fait suite aux efforts déployés principalement par des chercheurs et des organisations de la société civile pour comptabiliser les émissions de gaz à effet de serre résultant des combats, notamment en Ukraine et à Gaza, ainsi que pour enregistrer les émissions provenant de toutes les opérations militaires et de la reconstruction d’après-guerre.
Une étude menée par Scientists for Global Responsibility et le Conflict and Environment Observatory a estimé que l’empreinte carbone totale des armées à travers le monde est supérieure à celle de la Russie, qui occupe actuellement la quatrième place mondiale en la matière.
Les États-Unis seraient le pays dont les émissions militaires sont les plus élevées. Selon les estimations des chercheurs britanniques Benjamin Neimark, Oliver Belcher et Patrick Bigger, si l’armée américaine était un pays, elle serait le 47e plus grand émetteur de gaz à effet de serre au monde. Elle se situerait ainsi entre le Pérou et le Portugal.
Ces études reposent toutefois sur des données limitées. Les agences militaires communiquent parfois des données partielles sur les émissions, et les chercheurs doivent les compléter par leurs propres calculs à partir des chiffres officiels du gouvernement et des industries associées.
Il existe également des variations importantes d’un pays à l’autre. Certaines émissions militaires, notamment celles de la Chine et de la Russie, se sont avérées presque impossibles à évaluer.
Les guerres peuvent également mettre en péril la coopération internationale en matière de changement climatique et de transition énergétique. Depuis le début de la guerre en Ukraine, par exemple, la coopération scientifique entre l’Occident et la Russie dans l’Arctique s’est rompue. Cela a empêché la compilation de données climatiques cruciales.
Les détracteurs du militarisme affirment que la reconnaissance de la contribution de la guerre à la crise climatique devrait être le moment de la prise de conscience pour ceux qui sont trop disposés à dépenser d’énormes ressources pour maintenir et étendre leur puissance militaire. Certains pensent même que la démilitarisation est la seule issue à la catastrophe climatique.
D’autres sont moins radicaux. Mais le point crucial est que la reconnaissance des coûts climatiques de la guerre soulève de plus en plus de questions morales et pratiques sur la nécessité d’une plus grande retenue stratégique et sur la possibilité de rendre la guerre moins destructrice pour l’environnement.
2. Le changement climatique exige des réponses militaires
Avant que l’impact de la guerre sur le climat ne soit mis en évidence, les chercheurs débattaient pour savoir si la crise climatique pouvait agir comme un « multiplicateur de menaces ». Cela a conduit certains à affirmer que le changement climatique pourrait intensifier le risque de violence dans certaines régions du monde déjà soumises à des tensions liées à l’insécurité alimentaire et hydrique, aux tensions internes, à la mauvaise gouvernance et aux conflits territoriaux.
Certains conflits au Moyen-Orient et au Sahel ont déjà été qualifiés de « guerres climatiques », ce qui implique qu’ils ne se seraient peut-être pas produits sans les contraintes liées au changement climatique. D’autres chercheurs ont montré à quel point ces affirmations sont controversées. Toute décision de recourir à la violence ou de partir en guerre reste toujours un choix fait par des personnes, et non par le climat.
Il est plus difficile de contester l’observation selon laquelle la crise climatique conduit à un déploiement plus fréquent des forces armées pour aider les civils en situation d’urgence. Cela englobe un large éventail d’activités, allant de la lutte contre les incendies de forêt au renforcement des défenses contre les inondations, en passant par l’aide aux évacuations, les opérations de recherche et de sauvetage, le soutien au relèvement après une catastrophe et l’acheminement de l’aide humanitaire.
Il est impossible de prédire si la crise climatique entraînera davantage de violence et de conflits armés à l’avenir. Si tel est le cas, il faudra peut-être recourir plus fréquemment à la force militaire. Parallèlement, si l’on compte sur les forces armées pour aider à faire face à la fréquence et à l’intensité croissantes des catastrophes liées au climat, leurs ressources seront encore plus sollicitées.
Les gouvernements seront confrontés à des choix difficiles quant aux types de missions à privilégier et à l’opportunité d’augmenter les budgets militaires au détriment d’autres besoins sociétaux.
3. Les forces armées devront s’adapter
Avec l’intensification des tensions géopolitiques et l’augmentation du nombre de conflits, il semble peu probable que les appels à la démilitarisation soient entendus dans un avenir proche. Les chercheurs se retrouvent donc dans la situation inconfortable de devoir repenser la manière dont la force militaire peut – et doit – être utilisée dans un monde qui tente à la fois de s’adapter à l’accélération du changement climatique et d’échapper à sa profonde dépendance aux combustibles fossiles.
La nécessité de préparer le personnel militaire et d’adapter les bases, les équipements et autres infrastructures afin qu’ils puissent résister et fonctionner efficacement dans des conditions climatiques de plus en plus extrêmes et imprévisibles est une préoccupation croissante. En 2018, deux ouragans majeurs aux États-Unis ont causé plus de 8 milliards de dollars de dommages aux infrastructures militaires.
Mes propres recherches ont montré qu’au Royaume-Uni, du moins, certains responsables de la défense prennent de plus en plus conscience que les militaires doivent réfléchir attentivement à la manière dont ils vont gérer les changements majeurs qui se produisent dans le paysage énergétique mondial et qui sont induits par la transition énergétique.
Les forces armées sont confrontées à un choix difficile. Elles peuvent soit rester l’un des derniers grands consommateurs de combustibles fossiles dans un monde de plus en plus sobre en carbone, soit participer à une transition énergétique qui aura probablement des implications importantes sur la manière dont la force militaire est générée, déployée et maintenue.
Il apparaît clairement que l’efficacité opérationnelle dépendra de plus en plus de la prise de conscience par les forces armées des implications du changement climatique pour les opérations futures. Elle dépendra également de l’efficacité avec laquelle elles auront adapté leurs capacités pour faire face à des conditions climatiques plus extrêmes et de la mesure dans laquelle elles auront réussi à réduire leur dépendance aux combustibles fossiles.
Au début du XIXe siècle, le général prussien Carl von Clausewitz a fait valoir que si la nature de la guerre changeait rarement, son caractère évoluait presque constamment avec le temps.
Il sera essentiel de reconnaître l’ampleur et la portée de la crise climatique si nous voulons comprendre pourquoi et comment les guerres futures seront menées, ainsi que la manière dont certaines pourraient être évitées ou rendues moins destructrices.
L’opinion de Mark Lynas – deepltraduction Josette – un article de Damien Gayle paru dans The Guardian
Pourquoi la guerre nucléaire, et non la crise climatique, est la plus grande menace qui pèse sur l’humanité, selon Mark Lynas
Mark Lynas a passé des décennies à faire pression pour que l’on agisse sur les émissions de gaz à effet de serre, mais il affirme aujourd’hui que la guerre nucléaire est une menace encore plus grande.
Damien Gayle
Le dérèglement climatique est généralement présenté comme la menace la plus importante et la plus urgente que l’homme fait peser sur l’avenir de la planète aujourd’hui.
Mais qu’en serait-il s’il existait une autre menace, plus grave, causée par l’homme et susceptible d’anéantir non seulement la civilisation humaine, mais aussi la quasi-totalité de la biosphère, en un clin d’œil ?
À l’heure où vous lisez ces lignes, environ 4 000 armes nucléaires sont prêtes à effectuer une première frappe dans l’hémisphère nord, soit une puissance de feu atomique suffisante pour tuer jusqu’à 700 millions de personnes rien qu’avec les explosions et les brûlures.
Et ce n’est qu’un début. Les explosions et les incendies – sans précédent sur Terre depuis la collision avec la comète qui a entraîné l’extinction massive du Crétacé – enverraient suffisamment de suie dans la stratosphère pour recouvrir le globe d’une ombre impénétrable. L’absence de lumière signifie l’absence de photosynthèse, qui est à la base des réseaux alimentaires planétaires. Sans chaleur, la surface de la Terre plongerait dans un hiver glacial qui durerait des années.
Tel est le message de Mark Lynas, un écrivain britannique qui, depuis vingt ans, s’efforce d’aider les gens à comprendre la science du dérèglement climatique tout en les incitant à prendre des mesures pour réduire les émissions de carbone. Mais après trois ans de recherche pour un nouveau livre, publié le mois dernier, il considère maintenant que la guerre nucléaire est une menace encore plus grande.
« Il n’existe aucune possibilité d’adaptation à la guerre nucléaire », a déclaré M. Lynas. « L’hiver nucléaire tuera la quasi-totalité de la population humaine. Il n’y a rien à faire pour s’y préparer et rien à faire pour s’adapter lorsqu’il survient, parce qu’il se produit en l’espace de quelques heures.
« Il s’agit d’un risque existentiel bien plus catastrophique que le changement climatique. »
M. Lynas a commencé à travailler sur la guerre nucléaire en 2022, peu après l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie. Comme beaucoup de personnes nées à l’époque de la guerre froide, il connaissait le concept de l’hiver nucléaire, c’est-à-dire l’impact environnemental probable d’un échange thermonucléaire mondial. Mais ce qui est ressorti de ses recherches est bien plus terrifiant.
Alors que le reste du monde oubliait progressivement la menace nucléaire, les chercheurs ont commencé à appliquer les nouveaux modèles de la science du climat – les mêmes que ceux utilisés pour prédire la menace croissante d’un dérèglement climatique – afin de comprendre ses implications dramatiques.
« L’incendie des villes est le mécanisme qui provoque l’hiver nucléaire », a déclaré M. Lynas. « La suie est transportée par des nuages pyrocumulonimbus – de gros nuages d’orage générés par les incendies – qui la pompent, comme une cheminée, dans la stratosphère.
« Une fois qu’elle a dépassé la tropopause, dans la stratosphère, il ne peut plus pleuvoir. Et comme elle est de couleur foncée, elle capte le soleil, se réchauffe et s’élève de plus en plus. Il fait probablement totalement noir à la surface pendant des semaines, voire des mois ».
La température descend rapidement en dessous du point de congélation. Et elle y reste pendant des années. « Il n’y aura plus jamais de récolte pour l’humanité. La nourriture ne poussera plus jamais. Le temps que le soleil réapparaisse et que les températures remontent, en l’espace d’une dizaine d’années, tout le monde sera mort. »
Quelle est la probabilité de ce scénario ? Personne ne serait assez fou que pour déclencher une guerre nucléaire ? En fait, selon M. Lynas, c’est possible. Après tout, les États-Unis ont utilisé des armes nucléaires contre des civils au Japon en 1945 et, depuis lors, le monde s’est trouvé à plusieurs reprises à quelques minutes d’une guerre nucléaire, que ce soit par accident ou par esprit de guerre.
Aujourd’hui, les États-Unis et la Russie ont adopté des doctrines de première frappe qui menacent d’utiliser des armes nucléaires même en cas d’attaques conventionnelles (la Chine, notamment, a une politique de « non-utilisation en premier »).
Pendant ce temps, les armes nucléaires continuent de proliférer. Les États-Unis et la Russie détiennent les arsenaux les plus importants, avec environ 12 000 armes à eux deux. La Chine est en train de rattraper son retard, avec un arsenal estimé à 500 armes en 2024. La Grande-Bretagne, la France, Israël, l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord sont également armés. L’Iran est apparemment sur le point de mettre au point sa propre arme, une étape que les observateurs craignent qu’il ne soit plus enclin à franchir après les attaques israéliennes de la semaine dernière. [l’article date d’avant l’opération Midnight Hammer]
Le risque d’erreur est également élevé. Si les systèmes d’alerte précoce américains se déclenchaient, la doctrine nucléaire américaine donnerait six minutes à Donald Trump pour décider s’il s’agit d’un problème (ce qui s’est déjà produit) ou pour réagir en conséquence. La Russie disposerait d’un système de « main morte » qui lancerait automatiquement des missiles balistiques au cas où ses propres structures de commande et de contrôle seraient désactivées.
Que peut-on donc faire ? Pour commencer, nous pourrions cesser de l’ignorer. M. Lynas appelle à la renaissance d’un mouvement antinucléaire d’une ampleur comparable à celle du mouvement climatique actuel, bien qu’il ait des critiques à formuler à l’égard des mouvements antérieurs de ce type.
« Du côté des réussites, il y avait des personnes très dévouées qui ont consacré toute leur vie à cette question, en très grand nombre », a-t-il déclaré. « Mais c’était aussi un mouvement politiquement très, très à gauche, très hippie, du type mouvement pour la paix – des espaces réservés aux femmes. Et ce genre de choses, bien sûr, signifie que toute personne politiquement centriste ou de droite n’est pas impliquée.
« Et si vous avez une base politique très étroite dans votre mouvement, vous aurez un taux de réussite très faible. »
Lynas rejette le désarmement nucléaire unilatéral, qu’il considère comme naïf, et soutient – contrairement aux précédents militants antinucléaires – que l’énergie nucléaire non seulement ne constitue pas une menace, mais qu’elle pourrait même être un avantage considérable pour la civilisation humaine, notamment en raison de son potentiel de production d’énergie à faible teneur en carbone.
Néanmoins, certaines de ses suggestions sont assez radicales, y compris le fait de traiter tous les membres de la chaîne de commandement des « neuf États nucléaires », depuis les dirigeants jusqu’au bas de l’échelle, comme des criminels de guerre potentiels, soumis à des restrictions légales et à des sanctions dans les États qui choisissent de ne pas détenir d’armes nucléaires.
Malgré toutes ces sombres possibilités, M. Lynas voit de l’espoir – et dans des endroits inhabituels. « Trump a le mérite de bousculer les choses d’une manière qui pourrait conduire à un résultat plus positif », a-t-il déclaré. Tout comme il a fallu un autre président républicain, Ronald Reagan, pour donner le coup d’envoi du désarmement américain et soviétique dans les années 1980, M. Trump pourrait faire ce que les démocrates, désireux de prouver leur force, ne pouvaient – ou ne voulaient – pas faire.
« Et vous savez, peut-être que sa bromance avec [Vladimir] Poutine et Kim Jong-un ou autre les amènera à la table des négociations ».
Et si la troisième guerre mondiale avait déjà commencé ?. Au travers de cette hypothèse, Albin Wagener – Professeur d’université en Sciences du langage et Sciences de l’information et de la communication – évoque l’étrange période dystopique que nous vivons en ce premier quart du 21ième siècle. Sommes-nous déjà en guerre mondiale ? Bonne lecture. ObsAnt
A première vue, vous pourrez probablement penser que l’auteur de ces lignes est soit en train de traverser un épisode de déprime passagère nourri par un doomscrolling trop intensif, soit qu’il s’aventure bien loin de ses terrains d’expertise habituels. Les deux seraient inquiétants, cela va sans dire.
Pourtant, je souhaite que nous considérions un instant cette hypothèse, mais en oubliant ce que signifient pour nous les première et deuxième guerres mondiales. En d’autres termes, il s’agit d’ôter non seulement le prisme occidentalo-centré qui nous a permis de raconter les deux premières, et également de ne pas lire la situation du vingt-et-unième siècle avec la grille de lecture du vingtième – erreur hélas trop commode pour bon nombre de sujets. En effet, nous avons changé de siècle, et le siècle dans lequel nous nous trouvons voit une explosion de concepts le qualifier : anthropocène, accélérationisme, disruption digitale, ensauvagement, techno-fascisme… autant de termes qui redéfinissent un siècle, avec une vision générale peu optimiste.
Les différentes excroissances de nos sociétés, qui polluent d’une manière ou d’une autre notre rapport aux autres, aux médias, au système social et économique, ou tout simplement à nous-mêmes, semblent en réalité montrer qu’une guerre d’un tout nouveau genre a éclaté il y a quelques années déjà, et que nous n’en avons pas encore conscience – tout simplement parce que le théâtre des opérations n’a rien à voir avec les références atroces héritées du siècle dernier.
Le retournement récent des géants de la tech de la Silicon Valley, au moment où Donald Trump accédait à nouveau au pouvoir le 20 janvier 2025, constitue l’un des indices les plus importants. En effet, au moment même où le binôme de choc Trump/Musk accédait aux affaires de la première puissance mondiale, tels des Minus et Cortex sous acide et avec les codes de la valise nucléaire, Jeff Bezos et Mark Zuckerberg abandonnaient sans vergogne leur politique de diversité. Une manière éclatant de montrer que, depuis le début, les grands patrons de la tech n’ont soutenu les mouvements #BlackLivesMatter et autres #PrideMonth qu’à partir du moment où cela servait leurs intérêts commerciaux, et que ces mouvements étaient importants pour leurs clients.
Cela peut paraître évident et relativement anodin, si on le formule de cette manière. Mais en réalité, ce volte-face si abrupt, après une bonne quinzaine d’années d’engagements plus ou moins feints sur le sujet, montre tout simplement que les droits humains, le progrès social et la dignité citoyenne sont des concepts qui n’ont absolument ni intérêt, ni valeur, pour ces personnages. Le problème, c’est qu’entretemps, ces patrons nous ont rendus dépendants à leur plateforme, et se sont incrustés si profondément dans nos modes de vie et dans notre culture que nous sommes désormais cognitivement et affectivement liés à leurs produits.
Guerre cognitive
D’une certaine manière, la troisième guerre mondiale a commencé à partir du moment où nous avons laissé notre attention et notre cognition devenir le nouveau théâtre des opérations de nos agresseurs. Ces agresseurs ont toujours eu pour but de coloniser notre temps d’attention, quelle que soit notre classe sociale, notre inclinaison politique ou nos préférences. Et on aurait tort ici de ne viser que les réseaux sociaux, ce qui serait particulièrement commode.
Car évidemment, il ne s’agissait pas simplement de nous forcer à nous inscrire sur un réseau, d’y publier des photos ou de s’y faire des amis : il s’agissait de nous rendre dépendant à un tout nouveau mode de vie, entre commandes inopinées sur internet à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, discussions anodines transformées en micro-scandales et en cyber-harcèlement, nouvelles formes de séduction, captation de l’attention par des vidéos courtes conduisant à un reformatage cognitif, commandes vocales connectées colonisant nos espaces domestiques… absolument rien n’a échappé aux récents développements technologiques. Notre attention est devenue une ressource que l’on se dispute, et que nous vendons bien volontiers, pensant qu’il ne s’agit que de transactions anodines basées sur le divertissement.
Car dans ce pacte faustien, les avatars du divertissement suffisent à nous vendre n’importe quoi, à nous soumettre et à nous garder tranquilles, captifs dans ces petites bulles de facilité et de confort, qui après tout ne nous font pas réellement de mal. Et puis est-ce si grave d’offrir ainsi nos données personnelles, dont on n’avait pas réellement conscience avant cette époque ? En quoi cela pourrait-il être dangereux ?
Guerre environnementale
Tandis que nous sommes confits dans la douce quiétude de ce monde ultraconnecté aux services si agréables, et que notre terrain cognitif et affectif devenait désormais domestiqué, une autre guerre a pu ouvertement se déclencher : la guerre environnementale. Bien sûr, elle n’a pas démarré au vingt-et-unième siècle, loin s’en faut ; cela fait plusieurs décennies que les lobbies pétroliers et les politiques ultraconservateurs bataillent pour reculer les mesures permettant de lutter contre le changement climatique.
knowyourmeme.com
Mais cette fois, cela va plus loin : la guerre est menée au grand jour, à grands renforts de propos climatodénialistes ouvertement relayés dans des émissions à fort taux d’audience, alors même que les scandales sanitaires et environnementaux ne font que s’accumuler. Mais peu importe : le changement climatique est la faute des écologistes, les dégâts environnementaux sont la faute des agences chargées de surveiller l’environnement, et les catastrophes naturelles sont de la responsabilité des météorologues.
Cette guerre est menée contre ce qui nous fait vivre en tant qu’espèce et nous relie à tout le vivant : notre planète, tout simplement. Il ne s’agit pas ici que de réchauffement global, mais également de pollution environnementale ou d’agressions répétées et incessantes contre la biodiversité. Après avoir fait de notre mental leur meilleur allié, ces mêmes forces au capital important, dominantes économiquement, ont poursuivi leurs attaques contre notre monde – des attaques déjà largement entamées au moment des grandes colonisations occidentales du dix-neuvième siècle, avec le même sens aigu de l’impérialisme, du mépris pour tout ce qui n’est pas comme eux, et du goût du massacre.
Guerre médiatique
Mais pour garder captif notre espace mental, cognitif et affectif, et attaquer l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons et la terre que nous cultivons, il était bien évidemment nécessaire de contrôler les canaux d’information qui nous auraient permis d’obtenir des informations objectives et des données fiables, susceptibles de nous faire réagir. Ici aussi, la guerre remonte à loin, mais elle a fini par prendre des proportions totalement incroyables depuis le début du vingt-et-unième siècle.
Cette guerre médiatique a permis d’abord d’installer un nouveau régime de parole : le régime de l’opinion. Ce régime n’a pas démarré au moment des réseaux sociaux, qui n’ont fait que l’amplifier : il trouve en réalité sa source dans les quelques talk shows un peu grossiers de la fin du siècle dernier, puis dans l’explosion des chaînes d’information en continu, qui exigent de ses invités des punchlines plus efficaces que de longues démonstrations savantes. Ainsi, dans ce régime de l’opinion, le scientifique expert ne peut rien contre l’éditorialiste toutologue, et le second parvient alors systématiquement a donner à son propos les atours d’une parole rationnelle et fondée, même et surtout lorsqu’elle n’est basée sur rien.
Outre cette reconfiguration des régimes de parole dans l’espace public, médiatique et donc démocratique, d’autres grandes fortunes ont décidé de faire main basse sur plusieurs titres et chaînes de télé, constituant d’immenses groupes de presse qui finissent par soutenir une idéologie dominante, capable de défendre les intérêts financiers, fiscaux et idéologiques des patrons en question. Ainsi, dans ce cas de figure, nous nous retrouvons face à une information qui n’est non pas savamment construite pour nous manipuler de manière grossière, mais qui est plutôt là pour diffuser une petite musique thématique incessante à laquelle nous finissons par nous habituer puis nous conformer, avec des avis sur l’actualité partagés par une majorité si large d’éditorialistes qu’ils doivent forcément avoir raison.
Guerre sociale
La guerre se joue également sur le terrain social. Pendant que nous sommes occupés à nous plonger dans le nid douillet de notre confort cognitif, que nous continuons à adopter des habitudes qui agressent notre environnement, et que nous cédons aux opinions dominantes de certains médias, les mêmes coupables démantèlent, avec plus ou moins de zèle et de subtilité, nos Etats – ou à tout le moins nos régimes de protection et de redistribution, qui permettent aux citoyens de vivre dignement et d’être de véritables acteurs de la démocratie.
https://www.coe.int/fr/web/compass/poverty
Car bien évidemment, il serait illusoire de penser que les patrons des lobbies pétroliers, les patrons des groupes de presse et les patrons de la tech n’aient pas les mêmes objectifs, à savoir : conserver un maximum de richesse de leur côté, les accumuler de manière toujours plus éhontée, année après année – et s’assurer qu’aucun Etat ni aucune politique trop humaniste ne viendra mettre son nez dans cette belle affaire. Ainsi, il faut donc peser suffisamment dans la vie politique des Etats, soit en finançant les programmes de ceux qui promettent de maintenir un système législatif et judiciaire suffisamment permissifs pour maintenir le grand déséquilibre capitaliste, soit désormais en prenant le contrôle de ces Etats – comme c’est le cas avec Elon Musk aux Etats-Unis.
Bien sûr, la brutalité face aux exploités n’a hélas pas attendu le vingt-et-unième siècle ; mais cette brutalité va s’accélérer, avec l’explosion des inégalités, de l’appauvrissement graduel de nos populations, et du sentiment de déclassement des classes moyennes supérieures – que l’on retournera facilement contre les classes qui se trouvent en-dessous d’elles. Et comme nous pouvons déjà le voir aux Etats-Unis, toutes les communautés les plus vulnérables en souffriront encore plus : femmes, personnes trans, enfants, personnes racisées, communautés LGBTQIA+ dans leurs ensemble, personnes handicapées – et je pourrais continuer tant la liste est longue. Ces discriminations vont s’accompagner d’une paupérisation grandissante et de l’articulation de fragmentations de plus en plus grandes entre ces communautés – alors que celles-ci auraient tout intérêt à s’unir pour se retourner contre leurs véritables ennemis.
La 3ème guerre mondiale a déjà commencé
Cette guerre s’attaque à 4 terrains distincts, de manière coordonnée : le terrain de l’intime (via la guerre cognitive), le terrain planétaire (via la guerre environnementale), le terrain de la circulation de l’information (via la guerre médiatique) et le terrain des structures sociales (via la guerre sociale). En d’autres termes, si nous ne repolitisons pas l’ensemble de ces espaces, et que nous théorisons et mettons en mouvement une lutte politique méthodique et intellectuellement fournie, nous risquons toujours de tomber dans les mêmes pièges et les mêmes écueils.
Car nous n’avons pas la puissance financière – et donc, de ce fait, pas la puissance d’influence capable de faire basculer un pays, une loi, une ligne éditoriale ou un code pour une nouvelle application. Si cette troisième guerre mondiale a déjà commencé, ce n’est pas tant par ses thématiques (dont certaines sont relativement anciennes) que par la concaténation de l’ensemble de ces terrains : nous sommes attaqués partout, en même temps, et cette guerre se joue désormais à un niveau trans-continental jamais atteints. Elle est menée par un tout petit pourcentage de la population mondiale contre l’intégralité de l’espèce humaine – et contre l’intégralité des espèces vivantes présentes sur la planète, cela va sans dire.
Dans cette guerre, nous n’avons pas vraiment d’alliés, mis à part nous mêmes. Nous sommes des milliards, certes, mais nous sommes faciles à berner, car l’intégralité des structures qui nous relient les uns aux autres, ainsi qu’à nous-mêmes, se retrouvent corrompues de manière brutale, insidieuse et indigne par des individus qui n’ont pour nous ni considération, ni reconnaissance, ni respect. Nous ne sommes que des instruments dans l’accroissement de leurs richesses. Nous sommes les munitions des armes qu’ils dirigent contre nous, comme les réseaux sociaux par exemple – au sein desquels nous sommes si prompts à nous diriger les uns contre les autres, au détour d’un commentaires, d’une republication ou d’un émoji mal placé.
Nous devons pouvoir faire autrement. Mais cela implique, entre autres, de faire probablement des choix radicaux sur l’ensemble de ces quatre théâtres d’opération. Des choix qui demandent sevrage, courage, et probablement une théorisation claire qui permet d’expliciter, de parler, de donner à comprendre et à apprendre auprès de nos pairs. Nous devons relier l’ensemble de ces problématiques, car en face, c’est donc bel et bien un fascisme d’un nouveau genre qui se dresse face à nous – une forme de radicalité violente, inhumaine et discriminatoire qui va désormais chercher, coûte que coûte, à nous imposer un ordre brutal.
Ils le feront en nous mettant en situation de surcharge mentale, en laissant brûler notre planète, en nous abreuvant d’informations fausses et en détruisant ce qui fait de nos sociétés, déjà si imparfaites et passablement injustes, des espaces de solidarité et de dignité. Bien sûr, il ne s’agit pas de dire que cette troisième guerre mondiale doive évacuer de l’esprit les guerres réelles et leurs atrocités qui se multiplient à travers le monde ; mais toutes ces guerres sont liées. Et dans tous ces cas de figure, des personnes réelles peuvent se retrouver privées de droit, en danger pour leur vie ou celle de leurs proches, obligées de survivre dans des situations de vulnérabilité inimaginables.
Cette guerre, c’est probablement l’enjeu de ce siècle. Parce que nous n’avons jamais aussi clairement vu nos ennemis. Ils ne sont jamais aussi clairement sortis du bois, préférant laisser les Etats en faillite au lieu de participer à leur sauvegarde – parce que leur but n’a jamais été l’équilibre économique des Etats, contrairement à ce que la bonne doxa néolibérale souhaite faire penser. Le but est de brûler l’intégralité de ce qu’ils peuvent brûler, tant qu’ils le peuvent encore, et d’amasser jusqu’aux derniers grammes de profit matériel, de l’ôter de nos mains, jusqu’à ce que nous ayons suffisamment de rage pour nous entretuer, mais pas assez d’énergie pour nous liguer contre eux.
Bibliographie
Delpech, Thérèse (2005). L’ensauvagement. Le retour de la barbarie au XXIè siècle. Grasset/Fasquelle.
Eco, Umberto (2017). Reconnaître le fascisme. Grasset.
Ertzscheid, Olivier (2017). L’appétit des géants. Pouvoir des algorithmes, ambitions des plateformes. C&F Editions.
Henschke, Adam (2025). Cognitive Warfare. Grey Matters in Contemporary Political Conflict. Routledge.
Malm, Andreas (2021). How to Blow Up a Pipeline : Learning to Fight in a World on Fire. Verso.
Piketty, Thomas (2013). Le Capital au XXIè siècle. Seuil.
Prévost, Thibault (2024). Les prophètes de l’IA. Pourquoi la Silicon Valley nous vend l’apocalypse. Lux.
Rosa, Hartmut (2005). Beschleunigung. Die Veränderung der Zeitstrukturen in der Moderne. Suhrkamp.
Stiegler, Bernard (2016). Dans la disruption. Comment ne pas devenir fou ? Les Liens qui libèrent.
Swartz, Aaron (2016). The Boy Who Could Change the World : The Writings of Aaron Swartz. The New Press.
Taylor, Mark C. (2014). Speed Limits. Where Time Went and Why We Have So Little Left. Yale University Press.
Traverso, Enzo (2017). Les nouveaux visages du fascisme. Textuel.
Wagener, Albin (2019). Système et discours. Peter Lang.
Wallenhorst, Nathanaël (2023). Acritical theory for the anthropocene. Springer.
Zuboff, Shoshana (2019). The Age of Surveillance Capitalism: The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power. PublicAffairs.
En 1982, dans le cadre d’immenses mobilisations citoyennes pour la préventions des conflits nucléaires, une association de médecins (https://ampgn-belgium.be/) publie une brochure compilant les connaissances physiques et surtout médicales des impacts potentiels de l’explosion d’une charge nucléaire sur Bruxelles. Pour retrouver l’intégralité digitalisée de la brochure « Armes nucléaires : les médecins désarmés » : https://obsant.eu/entrees/Brochure_Ampgn_1982_alg.pdf
A l’heure où Antonio Guterres, Secrétaire des Nations-Unies, rappelle les dangers de l’utilisation potentielle d’armes nucléaires pour l’Humanité, retrouvez ci-dessous, la partie « armes et conséquences médicales » de cette brochure éditée en 1982. Les connaissances ont évolué, mais les informations reprises sont toujours d’actualité.
Le texte a été rédigé par les Docteurs Anne Résibois et Alfred Joffroy à partir de la brochure « The Medical Consequences of Nuclear Weapons » éditée en Grande-Bretagne par « Medical Campaign against Nuclear Weapons » et « Medical Association for the Prevention of War »en octobre 1981. Il doit aussi beaucoup aux travaux du 2ème Congrès de l’ IPPNW (https://www.ippnw.eu/) tenu à Cambridge du 3 au 6 avril 1982.
LES ARMES NUCLÉAIRES ET LEURS CONSÉQUENCES MÉDICALES
La puissance explosive d’une bombe est généralement exprimée en quantités équivalentes de trinitrotoluène ou TNT. Une tonne de TNT qui explose libère 1 milliard de calories. Les explosions des armes nucléaires sont si puissantes qu’elles sont exprimées en milliers (kilo-) ou en millions (méga-) de tonnes de TNT. A la fin de la seconde guerre mondiale, la bombe la plus puissante était une bombe de 10 tonnes (0,01 kilotonne) de TNT. La quantité totale des explosifs utilisés pendant toute cette guerre est évaluée à environ 5 mégatonnes de TNT. La bombe atomique qui ravagea Hiroshima avait une puissance de 13 kilotonnes et celle de Nagasaki de 22 kilotonnes.
LA BOMBE ATOMIQUE
Elle est la bombe nucléaire-type, la première qui ait été inventée. On l’appelle aussi bombe A ou bombe à fission. Une quantité énorme d’énergie est libérée en une fraction de seconde par une fission en chaîne d’Uranium-235 ou de Plutonium-239. Quand de tels atomes sont bombardés par des neutrons, ils éclatent (fission) en libérant d’autres neutrons, des isotopes radioactifs instables et beaucoup d’énergie. Les neutrons libérés attaquent les atomes voisins et si au moins un des neutrons provenant d’un événement de fission produit l’éclatement d’un autre atome,. la réaction en chaîne s’installe. Pour que ceci se produise il faut une masse critique de produit fissile ce qui limite les possibilités de ce type de bombes. Elles sont capables de donner naissance à des explosions de plusieurs dizaines de kilotonnes mais pas plus.
LA BOMBE A HYDROGÈNE
Dans la bombe H la libération d’énergie est assurée par un double processus de fission et de fusion nucléaires. Une bombe à fission y sert d' »allumette » pour fournir les quelques millions de degrés nécessaires à l’amorce de la réaction. A cette température, des isotopes lourds de l’hydrogène, le tritium et le deutérium, fusionnent pour former un noyau d’hélium. La réaction dégage de grandes quantités d’énergie et des neutrons. Elle est équivalente à ce qui se produit à l’intérieur du soleil et la quantité d’énergie qu’elle est capable de fournir est quasi illimitée. La puissance explosive de la bombe est encore augmentée si on entoure les atomes qui fusionnent par une gangue d’uranium-238. Les atomes de l’enveloppe sont séparés les uns des autres par les neutrons provenant de la réaction de fusion. Ces neutrons provoquent la fission de la couche externe d’uranium libérant une quantité considérable d’énergie et de radioactivité supplémentaire. On les appelle aussi, pour cette raison, des bombes à Fission-Fusion-Fission. Les bombes dont la puissance dépasse 100 kilotonnes sont des bombes à hydrogène.
LA BOMBE A NEUTRONS
La bombe à neutrons est une petite bombe à hydrogène dépourvue de l’enveloppe supplémentaire d’uranium-238. C’est donc un engin à Fission-Fusion. Dans ces conditions, les neutrons nés de la fusion des isotopes de l’hydrogène sont libérés et le pouvoir ionisant est fortement augmenté par rapport aux autres formes d’énergie libérées. On peut en faire des obus de faible puissance (!) qui seraient utilisés dans les opérations militaires sur le terrain. Leur but est de tuer l’ennemi par irradiation tout en faisant peu de dégâts aux constructions. Un obus à neutrons d’une kilotonne émet autant de radiations qu’une bombe à fission-fusion-fission de 10 kilotonnes.
Depuis 35 ans les armes nucléaires n’ont cessé de se répandre et de se perfectionner. Cinq nations en possèdent officiellement et plusieurs autres sont sans doute en train d’en acquérir. De toute façon, l’arsenal des deux superpuissances l’emporte de loin sur tout le reste. Il totalise plus de 40.000 têtes nucléaires. Les plus puissantes des armes nucléaires existantes ont une puissance de 60 mégatonnes.
Outre les deux explosions ayant eu lieu en 1945 dans des régions fortement peuplées, plus d’un millier d’explosions expérimentales ont été réalisées. Nous possédons par conséquent une bonne connaissance tant des effets immédiats des explosions que de leurs conséquences à plus long terme.
Le texte qui suit décrit surtout les effets d’une bombe d’une mégatonne. Dans les tableaux sont comparés ceux des divers types d’armes nucléaires actuellement « sur le marché » : les armes dites « tactiques » (1 kilotonne), celles de puissance moyenne (75 kilotonnes) et celles dites « stratégiques » (1 et 10 mégatonnes).
EFFETS DES ARMES
Tout corps suffisamment chaud émet des rayonnements lumineux visibles ou non. Au contact de l’explosion nucléaire l’air ambiant est porté à si haute température qu’il devient lumineux, formant la boule de feu visible pendant les secondes qui suivent la réaction en chaîne (figure 2). Immédiatement après sa formation, la boule de feu grandit en même temps qu’elle se refroidit et cesse d’émettre de la lumière. En son sein, la température atteint plusieurs milliers de degrés. Son diamètre dépend de la puissance de la bombe : la boule de feu d’une bombe d’l mégatonne a un rayon de 1.200 mètres au moment où elle est la plus brillante. Si elle ne touche pas le sol, l’explosion est dite aérienne ou en altitude. Si elle l’atteint, comme c’est le cas après les explosions au sol ou à basse altitude, elle vaporise littéralement tout ce qu’elle touche. Les vents violents de succion qui la suivent aspirent les débris vaporisés dans le champignon en formation (figure 2). Ceci creuse un cratère qui peut avoir plusieurs centaines de mètres de diamètre.
FIGURE 2 : Explosion en altitude d’une bombe d’une mégatonne au-dessus de Bruxelles. Après 15 secondes, la surpression au niveau de l’onde de choc, véritable mur d’air comprimé en déplacement, (flèche), est de 1 atmosphère. Elle vaut 0,3 atmosphère après 30 secondes et 0,1 atmosphère après 75 secondes. A ce moment, le front de l’onde est situé à 21 km. du centre de la ville.
Une explosion nucléaire libère brutalement l’énergie sous trois formes différentes :
1. une onde de choc ou souffle qui représente 50 % de l’énergie totale,
2. un rayonnement de chaleur intense (35 % de l’énergie totale),
3. des radiations ionisantes (15 % de l’énergie totale).
Ces chiffres, vrais pour les bombes à fission et à fission-fusion-fission, sont différents dans le cas des bombes à neutrons : l’énergie libérée sous forme de radiations ionisantes atteint 35 % du total.
C’est en cas d’explosion aérienne de la bombe que l’onde de choc et la chaleur sont propagées le plus loin. En cas d’explosion au sol ou à très basse altitude, par contre, les destructions et les retombées radioactives locales seront plus importantes. Les débris vaporisés du cratère montent dans le champignon, s’ionisent, et comme ils sont lourds, retombent très vite sur le sol alors qu’ils sont encore très radioactifs. Enfin, les explosions sous-marines créent des raz-de-marée et des nuages de gouttelettes radioactives.
L’ONDE DE CHOC
L’expansion rapide des gaz à partir du point de détonation crée une onde de choc qui se propage tout d’abord à vitesse supersonique (figure 2). Son pouvoir destructeur est dû à la surpression, à sa vitesse de propagation et aux vents violents qui la suivent. La surpression est la différence entre la pression de l’air dans l’onde de choc et la pression atmosphérique.
Au point de déflagration (hypocentre ou point zéro), la surpression est énorme : l’explosion au sol d’une bombe d’l mégatonne crée, dans un rayon de 660 mètres, une surpression de 40 atmosphères, soit 40 kg. au cm2. Au fur et à mesure de la propagation de l’onde de choc sa surpression diminue (tableau 1). Ainsi, après l’explosion aérienne d’une bombe d’l mégatonne, la surpression de l’onde de choc est supérieure à l’atmosphère dans un rayon de 4 km. Elle est comprise entre 1 et 0,5 atmosphère entre 4 et 7 km. et sera encore de 0,2 atmosphère à 11 km. de distance et de 0,1 atmosphère à 21 km. du point d’impact.
FIGURE 3 : Effet de l’onde de choc résultant de l’explosion en altitude d’une bombe d’une mégatonne au dessus de Bruxelles.
Zone 1 : Surpression supérieure à une atmosphère. 98% de morts, 2% de blessés.
Zone 2 : Surpression comprise entre 0,4 et 1 atmosphère. 50% de morts, 40% de blessés, 10% indemnes.
Zone 3 : Surpression comprise entre 0,2 et 0,4 atmosphère. 5% de morts, 45% de blessés, 50% indemnes.
Zone 4 : Surpression comprise entre 0,1 et 0,2 atmosphère. 25% de blessés.
Ces chiffres ne tiennent compte que des victimes de l’onde de choc. Le report sur cette carte des données du tableau 4 permet de constater que la limite de la zone 3 correspond à la distance jusqu’à laquelle l’onde thermique brûle au 3e degré les surfaces de la peau qui y sont exposées.
En combinant les tableaux 1, 2 et 3 et une carte géographique il devient possible de prévoir les dégâts attendus après une explosion atomique sur une ville donnée ; la figure 3 montre les dégâts que causerait à Bruxelles l’onde de choc d’une bombe d’l mégatonne.
Les bâtiments
Les bâtiments ne résistent pas à de telles surpressions et le tableau 2 donne une idée de l’importance des dégâts en fonction du niveau de la surpression. A une atmosphère, quasi rien ne résiste. A 0,1 atmosphère, les dégâts restent considérables et par exemple toutes les vitres sont soufflées. De plus, le déplacement à grande vitesse de l’onde de choc crée des vents violents: 520 km./heure pour une surpression de 1 atmosphère, 250 km./heure pour 0,5 atmosphère. Un vent de 108 km./heure correspond à la définition météorologique de la tempête et chacun sait les dégâts que peut causer celle-ci.
Et les hommes ?
Le corps humain résiste bien aux surpressions sauf si elles sont très élevées. Brutalement exposés à 2,5 atmosphères, 50 % des gens meurent d’éclatement pulmonaire, d’embolie gazeuse ou de perforation des viscères. Mais ceci ne se produira que très près du point zéro et par conséquent la majorité des décès et des traumatismes ne sera pas due à l’action directe de la surpression. Le drame provient en fait de l’interaction des hommes qui sont projetés au hasard et des bâtiments qui s’écroulent autour d’eux. Dans les zones quasi entièrement détruites il n’y aura guère de survivants. Dans les zones moins endommagées, morts et blessés seront nombreux, victimes de la projection de débris divers et de l’effondrement des maisons. Le tableau 3 résume les pertes prévisibles dans les différentes zones de surpression.
Les blessures sont les mêmes que celles causées en temps de paix par les accidents : fractures du crâne, de la colonne, des membres, écrasements thoraciques, ruptures d’organes abdominaux. Un grand nombre de victimes seraient sans doute porteuses de plusieurs de ces lésions.
L’ONDE DE CHALEUR
La boule de feu d’une explosion nucléaire ressemble à un soleil de petite taille qui irradierait pendant un temps bref de l’énergie sous forme de rayons X, d’ultra-violets, de lumière visible et d’infra-rouges. Elle apparaît à un observateur situé à 80 km. comme plus aveuglante que le soleil de midi. Son intensité est telle qu’une bombe d’l mégatonne cause un aveuglement passager, parfois plus durable, dans un rayon de 21 km. en plein jour et de 85 km. la nuit. Des brûlures rétiniennes produisant une cécité permanente peuvent se voir dans les 50 km. qui entourent le point zéro, mais elles sont moins probables parce qu’elles nécessitent que le regard soit dirigé par hasard dans la direction de la déflagration.
Des brûlures par flash
L’intense chaleur irradiée provoque des brûlures par rayonnement sur les régions de la peau qu’elle frappe (figure 4). Le degré de brûlure dépend de la pigmentation de la peau, de la longueur d’onde du rayonnement, de la durée de son émission. La distance de propagation de la chaleur est affectée par les conditions météorologiques et diminue en cas de mauvaise visibilité. Le tableau 4 résume les degrés de brûlures observables par temps clair à la suite d’explosions aériennes de bombes de diverses puissances. Le nombre de gens brûlés par rayonnement dépendra bien sûr du nombre de personnes se trouvant à l’extérieur au moment de l’explosion puisque seules sont atteintes les parties du corps directement exposées.
Les brûlures du second degré détruisent partiellement la peau. Il se forme des cloques et les probabilités de surinfection sont grandes. Le troisième degré correspond à une destruction complète de la peau. Dans les deux cas la perte importante de liquides et de protéines au niveau des brûlures peut entraîner la mort si la surface touchée dépasse 40 % de celle du corps. Le traitement des brûlés est basé sur la restitution correcte des liquides perdus et la prévention des infections. Non infectées, les brûlures du second degré guérissent en général spontanément ; la cicatrisation d’une brûlure du troisième degré est difficile, très lente et nécessite des greffes cutanées.
Des incendies
Circonstance aggravante, la chaleur intense de l’onde thermique enflamme instantanément les matériaux combustibles comme les papiers, les’tissus, les plastiques, etc Joint à la destruction par l’onde de choc d’installations de chauffage, de conduites de gaz, de circuits électriques, ceci provoquera des incendies qui augmenteront considérablement le nombre des brûlés.
Les brûlures causées par les incendies sont souvent associées à des lésions pulmonaires et à des intoxications par les fumées toxiques. Ces troubles surajoutés sont la cause majeure des décès immédiats dans les incendies au cours desquels les gens se retrouvent piégés dans les immeubles en flamme.
L’explosion aérienne d’une bombe d’l mégatonne provoque des incendies dans un rayon de 13 km. par temps clair et de 8 km. par mauvais temps: le rayon de l’agglomération bruxelloise est de 9 km., tandis que ceux de Liège (y compris Seraing et Herstal), Charleroi, Namur et Mons sont respectivement de 6 km., 7 km., 2 km. et 4 km.
En fait, chaleur intense et vents violents risquent de déclencher une tempête de feu semblable à celles observées à Hiroshima ou même à Hambourg et Dresde après les bombardements « conventionnels » de ces villes : l’asphyxie et l’élévation de température y tuent tous les habitants, même ceux réfugiés dans les abris. Ce risque est considéré comme faible dans les villes occidentales vu la densité des habitants et le type de matériaux utilisé dans les constructions. Toutefois, la quantité de carburants (essence des voitures, mazout de chauffage, gaz de ville) ne permet pas d’écarter le risque.
LES RADIATIONS IONISANTES
Les réactions de fission produisent une grande quantité de radioactivité pendant la minute qui suit la détonation. C’est la radioactivité initiale. Elle représente environ un tiers de la radioactivité totale produite et est due surtout à une libération de neutrons
rapides et de rayons gamma (voir appendice 1). Après l’explosion d’une bombe très puissante, l’effet mortel du souffle et de la chaleur est tel qu’il l’emporte largement sur celui des radiations ; c’est l’inverse dans le cas des petites bombes, surtout si elles sont du type « bombes à neutrons ».
Les retombées, plus tardives, sont affectées par quantité de facteurs et plus difficiles à quantifier vraiment. Toutes les bombes nucléaires donnent lieu à des retombées radioactives mais leur nocivité dépend de l’altitude à laquelle l’explosion se produit.
Lors des explosions en altitude, les produits de fission gazéifiés montent avec la boule de feu, prennent part à la formation du nuage radioactif et gagnent de très hautes altitudes. Ces particules se condensent en se refroidissant mais restent très légères. Elles sont donc dispersées par le vent, redescendent très lentement et peuvent mettre plusieurs mois à rejoindre le sol. A ce moment, leur taux de radioactivité est en général devenu très faible.
Par contre, si l’explosion a eu lieu suffisamment bas pour que la boule de feu touche le sol, de grandes quantités de terre et de débris vaporisés sont attirés dans le champignon et entrent en contact avec les quelque 300 isotopes instables nés de la fission (appendice 2). Ils deviennent radioactifs et comme ils sont lourds, retombent en quelques jours sur terre, alors qu’ils sont encore en pleine activité. Ils contamineront ainsi une zone de plusieurs centaines de km2 avoisinant le lieu de l’explosion.
Les particules radioactives qui touchent le sol pendant les premières 24 heures sont les plus nocives; elles constituent les retombées précoces et sont responsables de 60 % de la radioactivité totale des retombées.
Calcul du risque lié aux retombées
Pour calculer les risques auxquels est soumise une population, il faut connaître la surface qui sera couverte par les retombées précoces, l’intensité de la radioactivité en chaque point de cette surface et la vitesse avec laquelle la radioactivité initiale diminuera. Ainsi, l’on pourra avoir une estimation grossière de la dose totale accumulée pendant un laps de temps donné. C’est cette dose cumulée qui est médicalement importante. On l’exprime en rads (voir annexe 1). Quant à l’intensité de la radioactivité elle-même, elle est exprimée en dose par unité de temps ou rads/heure.
L’intensité de la radioactivité initiale décroît vite. La règle est connue : elle diminue d’un facteur 10 chaque fois que le temps augmente d’un facteur 7. Cela veut dire qu’au bout d’une semaine elle vaut un dixième de ce qu’elle valait le premier jour, au bout de 7 semaines un centième et ainsi de suite. Si l’on connaît la radioactivité présente localement au début du processus, on pourra aisément calculer le taux total de rayonnement auquel sera soumise la population locale.
La surface atteinte est plus difficile à déterminer parce qu’elle dépend de pas mal de données changeantes: la vitesse des vents, leurs changements de direction, le relief, etc … Théoriquement, la surface est très allongée à partir du point d’impact. Elle a la forme d’un cigare dont le grand axe est dirigé dans le sens des vents dominants. La figure 5 montre d’une part le diagramme théorique des retombées précoces d’une bombe de 10 mégatonnes et d’autre part les doses de radioactivité cumulées qu’on a relevées pendant les 96 heures qui ont suivi l’explosion au sol d’une bombe de 15 mégatonnes dans l’Archipel des Iles Marshall (Essai « Bravo » de l’armée américaine en 1954). Ces doses étaient nettement supérieures à tout ce qu’on avait prévu.
Le tableau 5 montre quelles seraient les surfaces soumises à différentes doses de radiation cumulées au cours des deux semaines suivant l’explosion d’une bombe d’l mégatonne au sol. Dans la figure 6 ces chiffres ont été reportés sur une carte de Belgique.
Ajoutons que la Commission Internationale de Radioprotection estime à 5 rads par an (25 fois le taux de la radioactivité naturelle) la limite maximale d’irradiation tolérable pour les travailleurs en contact avec les produits radioactifs.
Les risques liés à des attaques nucléaires multiples et relativement proches deviennent vraiment très difficiles à calculer. Les zones contaminées se recouvrent, leurs taux de contamination s’additionnent et des conditions insupportables pour les habitants de territoires extrêmement étendus s’en suivraient sans aucun doute.
Enfin, la destruction d’une centrale nucléaire ou d’un dépôt de déchets radioactifs par une arme nucléaire aggrave infiniment l’impact des retombées de l’arme. Les isotopes de la cible détruite sont aspirés dans le nuage et viennent s’ajouter aux produits de fission.
Or leur durée de vie est beaucoup plus longue que celle des isotopes de la bombe et les régions touchées par .les retombées resteront contaminées beaucoup plus longtemps. La quantité totale d’isotopes étant plus grande, la zone touchée sera beaucoup plus étendue.
Il peut sembler exagérément dramatique d’envisager une telle possibilité mais elle n’est nullement exclue vu l’importance stratégique des sources d’énergie et le rôle des réacteurs nucléaires dans la fabrication des ogives des missiles (ils sont la principale source de plutonium-239). De plus, dans l’Europe surpeuplée, les centrales nucléaires peuvent être voisines d’installations militaires. Le risque est donc certain.
PATHOLOGIE DES RADIATIONS
Les effets sur l’organisme
Les radiations provoquent de nombreuses lésions dans notre organisme ; elles touchent principalement le système nerveux et les cellules qui se reproduisent vite : par exemple, celles qui renouvellent la surface de l’intestin et celles qui fabriquent de nouveaux globules blancs et rouges au sein de la moelle osseuse. Une irradiation totale, brutale ou étalée sur un certain nombre de jours, provoque la maladie des rayons qui sera bénigne, sévère ou mortelle selon la dose de rayons reçue. Une dose de 450 rads entraîne la mort de la moitié des jeunes adultes qui y sont exposés : on l’appelle dose létale 50 % ou DL 50.
La maladie des rayons
Il existe trois formes de la maladie des rayons: une forme neurologique toujours mortelle, une forme gastro-intestinale très grave et une forme médullaire (touchant la moelle osseuse) curable dans de bonnes conditions hospitalières (voir figure 7).
Forme neurologique. Une irradiation vraiment massive (5000 rads et plus) entraîne des convulsions, un coma et la mort en quelques heures. A dose plus basse (1.500 à 4.500 rads) une léthargie s’installe et évolue en quelques jours vers le coma et la mort. Il n’y a aucune thérapeutique connue.
Forme intestinale. Elle s’observe pour une irradiation comprise entre 400 et 1.500 rads et s’installe en une semaine. Liée à la destruction de l’épithélium qui recouvre le tube digestif, elle se caractérise par une déshydratation intense due à une diarrhée profuse. Les risques de septicémie sont élevés puisqu’il n’existe plus de barrière valable entre le contenu de l’intestin et le reste de l’individu. La mort survient en général à moins qu’une thérapeutique d’urgence soit instaurée très vite.
Ces soins d’urgence sont basés sur la restitution des liquides perdus et l’emploi massif d’antibiotiques pour lutter contre l’infection. Il va sans dire que la désorganisation du système sanitaire en cas de conflit nucléaire et le nombre de cas à traiter rendrait problématique l’instauration de telles mesures.
Ceux des patients qui survivraient à leurs lésions intestinales présenteraient une semaine plus tard la 3e forme de la maladie des rayons, liée à la destruction de la moelle osseuse.
Forme médullaire. La moelle osseuse est partiellement détruite par un taux de rayonnement supérieur à 150 rads (1). Une courte période de nausées et de vomissements est suivie d’une dizaine de jours asymptomatiques. Vers la fin de la deuxième semaine, les cellules sanguines sont suffisamment réduites en nombre pour être incapables d’assumer leur rôle physiologique : des infections généralisées surviennent par manque de globules blancs et des hémorragies apparaissent un peu partout par insuffisance de plaquettes. Ou la mort survient au bout d’un mois environ ou le sujet atteint guérit lentement au fur et à mesure que les cellules mères restées vivantes repeuplent la moelle et le sang.
(1) Rappelons qu’après l’explosion au sol d’une bombe de 1 mégatonne
une dose de 150 rads est accumulée par tous ceux qui séjournent sans protection pendant 2 semaines dans un territoire voisin d’environ 5.000 km2.
A nouveau une thérapeutique existe mise en chambre stérile, transfusions, et utilisation massive des antibiotiques pour lutter contre les infections et, dans les cas les plus graves, greffe de moelle osseuse. Ceci bien sûr ne sera pas réalisable en situation de guerre.
Les conséquences tardives
L’irradiation du fœtus in utero. Irradiation immédiate et retombées affectent le développement du fœtus in utero. La plupart des mères japonaises enceintes depuis moins de 15 semaines au moment de l’explosion des bombes et ayant reçu une dose de rayonnement supérieure à 200 rads ont mis au monde des enfants malformés. Les troubles du développement du cerveau ont été le plus souvent observés. Parmi ceux qui ont survécu, 44 % présentaient une microcéphalie parfois accompagnée de débilité mentale et 16 % furent de profonds arriérés mentaux. Les mères dont la grossesse était plus avancée mirent au monde un nombre anormalement élevé d’enfants mort-nés ou qui moururent avant l’âge d’un an.
A plus long terme, les effets résultent des conséquences tardives de l’irradiation primaire ou d’un séjour plus ou moins long dans une zone contaminée par les retombées. Les isotopes entrent dans le corps par la bouche, les poumons ou éventuellement la peau. Les aliments dans lesquels des produits radioactifs ont été incorporés – le lait par exemple – sont une source importante de contamination. Les données que nous possédons à ce sujet dérivent des études faites sur les survivants des bombardements japonais, sur les malades ayant reçu des doses importantes de rayons X à des fins diagnostiques ou thérapeutiques et sur les travailleurs exposés aux radiations.
Les cancers. Il est prouvé que les radiations augmentent le taux des cancers et des leucémies. L’incidence de toutes les leucémies augmente, sauf celle de la leucémie lymphoïde chronique. Au Japon, c’est 6 ans plus tard qu’il en apparut le plus.
La période de latence des cancers est plus longue, 20 à 25 ans. L’excès par rapport à la population normale est net pour les cancers du sein, du poumon, de la thyroïde et des os.
Il n’est pas facile de chiffrer exactement les risques d’apparition d’une tumeur radio-induite et les avis des experts divergent. La conclusion de la Commission Internationale de Radioprotection est résumée dans le tableau 6. Le risque global de décès par tumeur induite est d’environ 1/10.000 par rad reçu. Le risque d’apparition d’une tumeur maligne est deux à trois fois plus élevé. Pour calculer le nombre de rads reçus, il faut évidemment faire le total de l’irradiation subie pendant toute la durée de l’exposition.
Les anomalies génétiques. En général, une anomalie génétique ou mutation, ne se manifeste que chez les enfants dont les deux parents sont des porteurs sains de la même altération. Ceci n’apparaîtra que rarement, au hasard des rencontres. Pour que les conséquences néfastes des mutations se manifestent au Japon, il faudra sans doute attendre plusieurs générations. Le fait que rien n’ait été observé à ce jour est normal, et non pas rassurant. Tout ce que nous savons de l’action des rayons X sur l’animal ou les cellules humaines en culture prouve qu’ils augmentent le taux de mutation proportionnellement à la dose reçue. Or tout ce qui augmente les mutations est considéré comme néfaste à la survie de l’espèce, ces mutations étant pour la plupart neutres ou défavorables.
Zaporijjia est la plus grande centrale nucléaire d’Europe (*). Elle est au centre des combats entre Russes et Ukrainiens dans la région (*). Comme le fut la centrale de Tchernobyl au printemps passé (*)
Les risques que des activités militaires dans le périmètre proche de centrales nucléaires font peser sur la région sont énormes. Ce qui a amené le Secrétaire des Nations-Unies, Antonio Guterres, à tirer une nouvelle fois la sonnette d’alarme : « Toute attaque contre des centrales nucléaires est une chose suicidaire » (*).
En 1986, l’ensemble de l’Europe a été polluée à des degrés divers par les émanations radioactives issues de l’accident de la centrale de Tchernobyl (*).
A Zaporijjia, aujourd’hui, qui serait impacté par un « accident » ? Quelles seraient les conséquences sanitaires pour le continent ? Quelle ampleur pourrait prendre un tel scénario ?
Lors d’incidents industriels majeurs, et certainement nucléaires, vitesse et précision des interventions sont primordiales.
En 1986, ce sont les responsables de ce qui était l’URSS (*) qui étaient à la manœuvre pour gérer cette catastrophe civile.
Aujourd’hui à Zaporijjia, qui organiserait les secours en pleine zone de guerre ? Qui seraient les « liquidateurs » ? (*)
Cet été 2022 est vraiment très « chaud ». Dans tous les sens du terme.
Source : transcription d’une question / réponse parue dans Le Monde (ici)
Bonjour et merci pour votre travail. Je tente ma question, bien que je ne sois pas abonné. Pouvez-vous nous donner les dimensions de la Transnistrie ? Vous présentez des cartes, vous nous dites que la population est de 500 000 habitants, c’est très bien, mais on ne voit qu’une mince bande coincée entre la Moldavie et l’Ukraine sans pouvoir estimer sa longueur et sa largeur, et donc le danger que ce territoire peut représenter pour cette dernière. Quant à la Moldavie, ils ont adopté le Roumain comme langue officielle, il y a longtemps un Roumain nous avait dit que la Moldavie était rattachée à la Roumanie avant-guerre (WW II) puis avait été annexée par Staline, mais les Moldaves n’ont-ils donc jamais demandé le rattachement à la Roumanie depuis l’éclatement de l’URSS ? Merci pour votre bienveillance envers un pauvre petit vieux non-abonné.
Large de 45 kilomètres et longue de 450 kilomètres de long, la Transnistrie couvre un territoire d’un peu plus de 4 100 kilomètres carrés entre le fleuve Dniestr, à l’ouest, et la frontière ukrainienne, à l’est.
Pour comprendre les logiques géopolitiques à l’œuvre entre Moldavie et Transnistrie, il faut remonter avant 1992, date à laquelle la Transnistrie a fait sécession. Les frontières de l’actuelle Moldavie sont issues de la chute de l’URSS, en 1991, année où le pays a acquis son indépendance, en même temps que la plupart des autres anciennes Républiques socialistes soviétiques, dont l’Ukraine. Dans les siècles qui ont précédé, ce territoire a cependant été écartelé entre plusieurs puissances, dont les mémoires portent encore la trace.
La principauté de Moldavie, dont la population était roumanophone, existe depuis le milieu du XIVe siècle. Après avoir été vassale de l’Empire ottoman aux XVIe et XVIIe siècles, elle a été divisée en deux en 1812, lorsque l’Empire russe en a conquis la partie orientale, baptisée la Bessarabie. Les frontières de ce territoire sont proches de celle de l’actuelle Moldavie, sans la Transnistrie. Après la première guerre mondiale, la Bessarabie rejoint le royaume roumain, tandis que le territoire correspondant à la Transnistrie reste au sein de ce qui devient l’URSS. Cette dernière crée en 1924 une République autonome soviétique socialiste moldave (RASSM), qui inclut le territoire transnitrien et s’étend à l’est, dans une partie de l’actuelle Ukraine.
Il s’agissait d’une « entité modèle destinée à attirer les populations de Moldavie roumaine et des travailleurs venus de toute l’Union soviétique autour d’une nouvelle capitale, Tiraspol, et d’un projet de modernisation et d’industrialisation », selon Catherine Durandin, historienne spécialiste de la Roumanie, professeure émérite à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Une situation créant, de fait, une fracture entre un espace « moldave roumain sous contrôle de Bucarest » et la « RASSM soviétisée ».
Entre 1940 et 1944, la Bessarabie est tour à tour sous occupation soviétique, puis à nouveau intégrée à la Roumanie alliée d’Hitler, avant d’être fusionnée avec la RASSM pour devenir une république socialiste soviétique jusqu’en 1991, date de son indépendance. Si un élan proroumain a bien existé à cette période, le courant unioniste est aujourd’hui minoritaire, selon Catherine Durandin, et il n’a plus été question, pour la Moldavie, de s’unir à la Roumanie.
La poutine est un plat de la cuisine québécoise composé, dans sa forme classique, de trois éléments …
L’invasion par la Russie de l’Ukraine marque une étape importante dans un processus d’amplification rapide des risques d’effondrement de nos sociétés industrielles.
Si ce constat évoqué par quelques observateurs de notre anthropocène n’est pas la préoccupation immédiate la plus importante, les implications systémiques de ce conflit font malgré tout déjà l’objet de fortes inquiétudes.
Les marchés de l’énergie, déjà fortement secoués par les impacts de plus en plus visibles des contradictions de la « transition énergétique »1, seront sans aucun doute impactés pour longtemps par cette guerre aux portes de l’Europe.
Sans oublier les marchés de toute une série de ressources diverses dont les céréales, mais pas que…2
Pour l’instant, il semblerait que tout scénario d’utilisation d’armes nucléaires soit écarté.3 C’est déjà ça.
Comme lors d’autres conflits, des actions se mettent en place pour aider les populations ukrainiennes. On ne désespère pas de voir celles-ci s’amplifier.
Reste la question de « la solidarité entre les peuples ». Débat qui dans sa formulation peut paraître dater d’une autre époque, mais qui pourrait bien devenir une des clefs de l’adaptation aux événements dramatiques qu’annoncent les politiques énergétiques et climatiques dans le monde. 4
Pour rappel, le prochain rapport du Giec sort lundi prochain…