La médecine (générale) du futur

Analyse systémique des enjeux.

Ébauche de réflexions sur les défis auxquels nous faisons face et le chemin que nous pourrions prendre.

David Hercot

19 Janvier 2020

Cet article fait suite à un exposé donné lors du congrès annuel de l’Association des Médecins Généralistes d’Ixelles le 21 septembre 2019. Il a été relu par Jean-Luc Belche et Jean Macq qui n’en portent pas la responsabilité.

Introduction

Lorsque l’on se pose la question de la médecine générale de demain, comme pour toute prévision futuriste, il semble assez logique de partir de la situation actuelle et de tenter d’imaginer les évolutions possibles au vu des éléments de contexte à notre disposition. Quelles sont les forces et difficultés du secteur médical aujourd’hui. Quels sont les grands défis auxquels nous devons faire face dans les années à venir, dans le secteur médical et plus largement dans le monde dans lequel nous vivons. Une fois le décor planté, il est alors possible de spéculer sur les évolutions de la médecine mais cela reste des spéculations.

Dans ce document l’analyse se base sur le modèle, très sommaire, « intrants-processus-résultats » (en anglais input-process-output) décrivant les modèles de production où des intrants vont alimenter un processus pour fournir un certain résultat. Ce modèle est une forte simplification d’un système de santé qui en réalité se comporte comme un système complexe adaptifi. Les résultats et les processus du système influencent les intrants à travers des boucles de rétroaction et les résultats des interventions pour modifier le système sont principalement non linéaire. Il est fait usage du modèle d’analyse du système de santé développé à l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers ii. Le sous-système de santé “médecine générale” étudié ici est une partie du système global de santé. Ils sont en interaction permanente. Pour réaliser ses objectifs, le système de santé a besoin de ressources: des personnes compétentes, des savoirs de l’information et des outils de gestion de l’information, des médicaments et consommables, des infrastructures, des financements. Les intrants se combinent à travers divers processus, par exemple la consultation interpersonnelle, la concertation multidisciplinaire ou la coordination des soinsiii, pour donner des résultats: une amélioration de la santé de la population, une protection sociale et financière, une satisfaction des usagers et des prestataires de soins. A ces quatre objectifs classiques devrait s’ajouter une empreinte environnementale limitée. Ce système évolue dans un certains contexte et est déterminé par un certain nombre de valeurs et de principes explicites ou implicites, plus ou moins universels qui donnent un cadre de ce qui est acceptable. Tous ces blocs sont en interactions permanentes entre eux et avec tous les éléments du système ‘Terre’ et ce de manière non linéaire mais nous laissons ici de côté toutes les boucles de rétroactions et la complexité inhérente.

* environmental footprint

Health System Framework

Dans ce document, il est procédé à l’analyses de ces différentes parties du système de santé, avec un focus sur la médecine générale, en partant des constats actuels avant de tenter d’identifier quelques pistes d’un futur qui se veut compatible avec les limites physiques de notre planète et la (sur)vie du plus grand nombre d’entre nous.

Population

L’âge moyen de la population belge augmenteiv. Bruxelles fait actuellement encore exception avec un âge moyen qui reste stable mais qui devrait lui aussi augmenter d’ici dix ans. Le vieillissement de la population entraine une augmentation des besoins de soins mais également une diminution du rapport entre le nombre de personnes d’âge actif et le nombre de personnes dépendantesv. Cette évolution de l’indice de dépendance de la population a des conséquences sur la capacité de l’état à récolter des recettes tout en augmentant la charge des dépenses, d’autant plus que la fiscalité est encore fortement basée sur le travailvi.

Ce vieillissement de la population s’inscrit dans un contexte social difficile. Si le nombre de chômeurs a diminué ces dernières années, c’est en partie dans un contexte de précarisation de l’emploi et au dépend d’autres catégories de personnes dépendantes, les personnes en invalidité et les personne qui bénéficient d’un revenu de remplacementvii.

De manière générale, au sein des pays de l’OCDE, depuis le baby-boom, les générations qui se succèdent sont en moyenne plus pauvre que les précédentesviii. L’âge et la pauvreté étant deux déterminants puissants de la santé,, les besoins de soins augmentent alors même que les recettes de l’état diminuent.

La progression de l’espérance de vieix se poursuit mais à un rythme moins soutenu en Belgique, le nombre d’années de vie en bonne santé est stable pour les femmes et s’est légèrement amélioré pour les hommesx. Cette espérance de vie est cependant différente selon votre position sociale. L’espérance de vie varie de plusieurs années entre le groupe de personnes avec la position sociale la moins favorable et le groupe le mieux positionnéxi.

D’un point de vue épidémiologique, les cancers sont au coude à coude avec les maladies de l’appareil circulatoire comme cause de décès parmi les femmes et le cancer est maintenant la première cause de mortalité chez les hommesxii. Au fil des dernières enquêtes de santé un accroissement du nombre de personnes porteuses d’une ou plusieurs maladies chroniques et du nombre de personnes présentant des troubles de santé mentale est observé. Le nombre de personnes affectée simultanément par des difficultés dans les trois domaines -socio-économique, de santé mentale et des maladies chroniques – augmente également. L’association de plusieurs maladies et/ou de difficultés sociales aggrave les problèmes par rapport à des situations mono-problématiques et pose des grandes difficultés de prise en chargexiii. La prévalence des maladies dites civilisationnelles (obésité, surpoids, cancers, maladies du système nerveux) augmentexiv. Au niveau de l’étiologie, en plus d’être liée à des comportements néfastes pour la santé, elles sont de plus en plus clairement liées à des polluants dans l’air, la nourriture, l’eau, le milieu dans lequel nous vivons. Au niveau des maladies liées au travail, on observe une augmentation des personnes en invalidité pour des problèmes liés à la santé mentale. Ils sont maintenant la première cause d’invalidités devant les problèmes ostéo-articulairexv reflétant un plus grand mal-être à la fois dans le milieu du travail et dans la société.

Ces différents constats, démographiques et épidémiologiques, nous mènent à conclure que nous faisons et allons faire face à une augmentation des besoins de la population en termes de santé.

Contexte

Au niveau du contexte nous aborderons les enjeux macroéconomiques à l’échelle nationale et internationale, l’impact du dérèglement climatique, la dégradation des écosystèmes et la disparition de la nature particulièrement dans les contextes urbains et la diminution des ressourcesxvi. Le développement du numérique sera lui abordé dans la partie ressource.

Au niveau macroéconomique, une tension croissante s’exerce sur les recettes de l’état et de la sécurité sociale. Outre la pression exercée sur notre économie par les délocalisations et le marché globalisé, les recettes de l’état et de la sécurité sociale restent en grande partie dépendante de l’impôt et des cotisations prélevées sur les salaires. Hors, la part des salaires dans la richesse produite chaque année diminuexvii. Comme mentionné ci-dessus, l’augmentation de l’indice de vieillissement de la population, autrement dit l’augmentation du nombre de personnes pensionnées par rapport aux personnes actives va fortement augmenter en Belgique et en Europe au cours de la prochaine décennie suite au papy-boom. Les recettes, en diminution, doivent donc être redistribuées vers plus de bénéficiaires. D’autres secteurs comme l’éducation, la justice ou les infrastructures (comme les ponts, les tunnels et les égouts) ont également besoin de moyens supplémentaires pour maintenir un service au moins équivalent. Et pourtant, la croissance économique nationale et mondiale, moteur de notre économie, ralenti au point que certains analystes prévoient une stagflation ou même une récession dans les prochaines annéesxviii. En parallèle, la Belgique a mené une politique de réduction des impôts au cours de la dernière législature, le tax shift, pour stimuler la croissance. En l’absence de mesure d’équilibrage suffisant, elle a pour conséquence une augmentation du déficit public. Déficit renforcé par l’absence de gouvernement de plein exercice au cours de l’année 2019 capable de prendre des mesures correctrices. Il va falloir être inventifs et combatifs pour protéger notre modèle de solidarité basé en grande partie sur la sécurité sociale, garant notamment du financement du système de santé et du bien-être des habitants de notre petit pays.

Outre la pression financière au niveau macro sur la sécurité sociale, une pression est ressentie au niveau interne au système de santé. La deuxième ligne de soins (les hôpitaux principalement) est sous financée et sous staffée pour remplir ses missions actuelles. Par vase communicant, c’est tout le système qui est mis sous pression pour prendre en charge les soins qui ne peuvent plus être offerts par la deuxième ligne car « trop couteux ». Ce virage ambulatoirexix souhaité par les autorités impacte la première ligne qui doit s’adapter, modifier son profil de compétences pour prendre en charge des situations plus lourdes sans augmentation significative de ses moyens. Dans un contexte de rareté des moyens, le poids des médicaments innovants et des technologies high-tech visant des améliorations marginales de la santé de la population s’est fort accru ces dernières années au détriment des besoins de financement des fonctions de base des soins de santéxx.

Aux difficultés économiques s’ajoutent les dérèglements climatiques. Selon les projections du GIEC, ceux-ci vont entrainer une augmentation des périodes de sècheresse, d’inondations et du nombre de jours de canicule. Ces dérèglements mettent en danger les récoltes, l’approvisionnement en eau, la santé de millions de personnes à l’échelle mondialexxi, y compris dans notre paysxxii. En parallèle, les scientifiques nous annoncent que la sixième extinction de masse est en coursxxiii. Et il ne s’inquiètent pas des baleines ou des ours blanc qui sont certes en danger mais qui pourraient disparaitre comme d’autres grand mammifères sans nous mettre trop en danger. Ils s’inquiètent plutôt de la disparition de maillons indispensables de notre écosystème comme les insectes et les oiseaux. Un troisième élément qui vient perturber notre écosystème est la raréfaction des ressources, que ce soit le pétrolexxiv, les mineraisxxv, l’eau potablexxvi, le sable de constructionxxvii ou d’autres ressources, nos sociétés en ont tellement prélevées dans l’environnement que celles qui restent deviennent de plus en plus complexe à extraire et donc plus couteuses, au moins pour l’environnementxxviii.

Les ressources ou intrants du système de santé

Pour réaliser leurs objectifs, les soins de santé, et la médecine général en particulier, ont besoin de ressources: des personnes compétentes, des savoirs et de l’information et de plus en plus également des outils de gestion de l’information, des médicaments et consommables, des infrastructures, des financements. Certaines de ces ressources sont déjà sous tension.

Le marché des médicaments est de plus en plus sous tension. La production se concentre dans des centres plus gros et moins couteux et dans un nombre plus réduit de pays et sociétés pharmaceutiques. Le secteur pharmaceutique est un marché globalisé allant au plus offrant et contractant les couts dans les secteurs peu rentables. La plupart des produits bruts sont fabriqués en Chine et en Inde. En 2019 jusqu’à 500 médicaments ont été en rupture de stock plus ou moins temporairexxix dont certains pourtant efficaces et primordiaux mais peu rentablesxxx.

Malgré les promesses de certains producteurs, il n’y a aucune raison de croire que ces pénuries vont se résorberxxxi. La priorité du secteur pharmaceutique, comme beaucoup de secteurs industriels est de faire du profit pour rémunérer les actionnaires, pas de faire de la santé publiquexxxii.

Au niveau des consommables également la concentration et l’optimisation des couts est à l’œuvre au niveau des producteurs. Et du côté des utilisateurs, la question du cout (le prix mais aussi le temps) et de la sécurité prime sur l’éventuel impact environnemental des consommables. A titre d’illustration, il y a quelques années, dans notre pays la stérilisation du matériel était pratiquée pour la plupart des ustensiles de petite chirurgie. Aujourd’hui, des sets de petite chirurgie et de gynécologie entièrement jetables sont utilisés dans les salles d’urgence et les cabinets de consultation. Tout cela génère des montagnes de déchets non recyclable et est soumis à des chaines d’approvisionnement globalisées, hypercomplexes et donc fragiles.

L’e-santé s’est fortement développée ces dernières années. Le dossier médical informatisé et le coffre-fort de données sont des outils largement utilisés dans le secteur médical. Ceux-ci ont montré en 2019 les mêmes faiblesses que les autres consommables : une dépendance à des technologies propriétaires dont les couts augmentent et la stabilité peine à être garantie. Pour les dossiers médicaux informatisés s’y ajoute un souci de rentabilité amenant à des fusions et des situations de monopole que certains tentent de contrecarrer en lançant des initiatives plus collaboratives telles que TOPAZ ou Medispring. A côté de ces services que l’on peut qualifier de basiques dans le domaine des technologies de l’information, certains visionnaires nous promettent des solutions high-tech pour améliorer la médecine de demain dès aujourd’hui. Le Livre de Philippe Coucke, ‘La médecine du futur ces technologies qui nous sauvent déjà’ xxxiii démontre comment ces solutions technologiques pourraient révolutionner la façon de faire de la médecine à l’avenir. Stéthoscope digital, patient ou pilule connectée, exosquelette, … toutes ces innovations sont basées sur les technologies de l’information et donc sur du hardware et du software.

Est-il envisageable que ces technologies deviennent un jour accessibles à tous ceux qui en ont besoin ? Avons-nous assez de minerais pour construire tous ces appareils ? Est-il envisageable à l’instar des médicaments « essentiels » que leur cout ne soit pas un frein à l’accès ? Le cout de ces technologies dépendra de la disponibilité des ressources mais également du modèle de propriété intellectuelle – sera-t-il développé en open source ou sur base de brevets – et de son degré de protection par rapport aux lois du marché.

Le volume des données générées par ces technologies est potentiellement gigantesque. Imaginer le volume de données générées par un patient qui enregistre sa tension, son poids, son humeur, sa prise de médicaments et de repas, sa glycémie,… plusieurs fois par jour. . Pour le médecin il est probable que dans ce modèle high tech, l’intelligence artificielle permette à terme de gérer les flux gigantesques d’information sur chaque patient de manière automatisée et de restituer au soignant une information à la taille de ses capacités cognitives. Mais du point de vue des ressources matérielles, les analyses montrent que la croissance des besoins de stockage et de flux de données seront exponentiels et probablement ingérables dans un contexte ou l’énergie et les minerais sont disponibles en quantités de plus en plus limitées. Si l’on extrapole une croissance des besoins comparable à l’augmentation actuelle, nous allons faire face à des contraintes physiques réelles dans la décennie à venir. D’une part, les besoins en électricité vont exploserxxxiv. Or, aujourd’hui, seul 14% de l’énergie mondiale est produite à partir de renouvelables. Comment imaginer que l’on augmente les besoins en électricité tout en le produisant de manière « renouvelable » et respectueuse du vivant comme le demande les conclusions du GIEC.

D’autre part, les besoins en hardware vont également exploser. Rien ne permet de croire que nous serons capables d’extraire toutes ces quantités de métaux rares, à moins de labourer la terre de fond en comble pour ramener du minerai de moins en moins concentré et donc avec un cout environnemental et financier croissant. Cette fuite en avant laisserait la terre dans un état assez peu compatible avec le vivant.

La disponibilité des Soignants et ici, nous nous concentrons sur les médecins généralistes fait face à un défi majeur à court terme en Belgique et particulièrement en Communauté française. La courbe démographique des médecins généralistes en Belgique et en région bruxelloise montre que 40% des médecins généraliste ont aujourd’hui plus de 55 ans. On observe également que la population de médecins généralistes se féminise. Plus de 80% des jeunes médecins généralistes sont des femmesxxxv. Lorsque nous avons discuté avec un groupe de jeunes médecins bruxellois en 2018, 90% d’entre eux souhaitaient travailler en équipe multidisciplinaire et 80% en groupe. Presque tou-te-s aspirent à un meilleur équilibre vie privée / vie professionnelle que leurs aînésxxxvi. Selon une recherche menée par l’UCL, de l’avis des médecins généralistes, le curriculum n’est pas adapté aux nouvelles pratiques. La médecine générale reste sous valorisée au cours des études de médecine. Elle reste trop souvent un choix par défaut. Le nombre de places en assistanat de médecine générale reste insuffisant par rapport aux besoins. La profession est peu attirante car elle est moins rémunérée qu’une carrière de spécialiste, elle implique une disponibilité en dehors des heures de bureau et comporte une part importante d’administration. La diversité des fonctions exercée par les médecins généralistes dans des structures spécialisées comme l’ONE les Planning Familiaux, la médecine scolaire permet aux médecins de trouver plus de diversité et d’équilibre dans leur pratique mais diminue d’autant le nombre d’équivalents temps plein de médecins généralistes actifsxxxvii. Il est donc probable qu’à l’avenir, il y aura moins de médecins généralistes par habitant et que ceux-ci travailleront majoritairement en groupe. Certains quartiers urbains ou certaines communes rurales sont déjà confrontées à des pénuries locales. Il sera probablement nécessaire de repenser le métier de généraliste et la répartition des compétences entre métiers de la première ligne pour donner plus de place au patient d’abord comme acteur de sa santé et aux autres métiers de la première ligne comme les infirmiers et agents communautaires. Cette réorganisation est liée aux disponibilités de ces autres professions de la première ligne et doit donc être étudiée plus avant. Le travail de planification est important et doit être entrepris plusieurs années à l’avance pour avoir le temps de mettre en œuvre la formation professionnelle adaptée.

Les connaissances sur le corps humain, la psychologie humaine, les maladies et les traitements explosent. Le nombre de publications scientifiques publiées par jour ne cesse d’augmenter dans tous les domaines. Les outils de diagnostic en ligne se développent. De nombreuses spécialités restent très accessibles en premier recours même si ce n’est pas une généralité. Certains spécialistes depuis leur perspective n’hésitent pas à remettre en question la pertinence du généraliste dans leur domaine. Et en effet, le médecin généraliste qui par essence s’intéresse à son patient dans sa globalité ne peut plus suivre le volume d’information. Le savoir universel n’est plus à la portée du cerveau humain. Dans ce contexte, le généraliste peut se sentir sous pression.

Dans le même temps nous faisons face à des patients vivant des situations de plus en plus complexes mêlant différents problèmes dans des contextes sociaux parfois très compliqués. Le médecin généraliste pour répondre aux besoins de la personne doit développer des compétences transversales. Il doit développer une vision des nombreux problèmes de ses patients et de leurs interactions aussi bien dans la sphère organique, psychique que sociale. Il peut y répondre à travers les différents domaines d’intervention à sa disposition : les soins curatifs, la réhabilitation, la prévention, la santé communautaire et le socialxxxviii. Au vu de cette complexité, il ne peut prétendre y répondre seul et doit pour réussir se positionner au sein d’une équipe de soins de santé primaire multidisciplinaire dont la personne aidée est partie intégrante. Cette transversalité n’est pas suffisamment enseignée, valorisée scientifiquement ni même acceptée par de nombreux spécialistes et experts de l’approche verticale orientée maladie qui a longtemps dominé l’organisation des soins.

A l’avenir, pour la gestion du savoir scientifique, il est probable que des mécanismes comme les sociétés scientifiques, les départements universitaires de médecine générale, les efforts de revue de la littérature comme Cochrane, EBMpracticenet ou minerva arrivent à canaliser et digérer l’info pour peu qu’ils reçoivent suffisamment de moyens (scientifiques, logistiques, financiers) pour jouer leur rôle mais pour la combinaison de pathologies inédites ou pour appréhender la complexité de la personne dans son ensemble, la technologie ne pourra pas tout résoudre.

Il faut donc être créatif pour apporter le meilleur soin possible au patient dans son contexte et en fonction de ses attentes. Et là, le médecin généraliste, au sein d’une équipe pluridisciplinaire mettant la personne, et non seulement le patient, au centre, reste irremplaçable.

Organisation de la médecine générale, le processus

Aujourd’hui, nous observons une sous-utilisation de la médecine générale et une croissance du recours direct aux services des urgences sans référence par un médecin, en particulier à Bruxelles. Cela résulte en partie de l’organisation de notre système de soins où l’accès à la médecine spécialisée et aux examens complémentaires est facile pour la majorité de la population. Ce manque de recours à la médecine générale est aussi, en partie, lié à un manque de visibilité et de compréhension par les bénéficiaires de la médecine générale en particulier et de la première ligne en général.

Seulement 10% de l’état de santé d’une population dépend des soins, qu’ils soient de première ou de deuxième ligne. Le reste de la santé est attribué aux conditions de vie et de travail. Pour agir sur ces déterminants puissants de la santé, la promotion de la santé développée depuis les années 1970 vise à soutenir la société et les personnes pour mettre en place une société en bonne santé. Malheureusement, la réalité est que l’on investit beaucoup plus sur les soins curatifs dans notre pays et que peu de moyens sont investis pour construire une société en bonne santé.

Au-delà de ces constats, il y a différents types d’organisations de la pratiques de médecine générale dont voici quelques archétypes :

  • Une médecine générale « entrepreneuriale », « déconventionnée », en cabinet médical, et les urgences de l’hôpital comme « première ligne » pour ceux qui n’ont pas accès à la médecine générale, payée à l’acte
  • Une médecine générale en pratique de groupe ou en « réseau » (mono ou pluridisciplinaire) qui joue le rôle de premier contact accessible à tous avec une bonne permanence
  • Une médecine générale en pratique de groupe au sein d’une équipe de soins primaire avec une logique proactive individuelle et communautaire et payée sur base forfaitaire et territoriale.

Nous ne portons pas de jugement ici sur les différents types d’organisation de pratiques. Le premier modèle est historique et reste largement dominant parmi les générations plus âgées de médecins généralistes. Mais les recherches sur la performance de la médecine et les aspirations des jeunes générations montrent un attrait croissant pour le troisième modèle, des soins de santé primaire, multidisciplinaire organisés localement pour répondre aux besoins de la personne.

Si l’on suit la tendance d’installation des jeunes médecins généralistes, demain les généralistes seront des femmes en pratique de groupe multidisciplinaire, les types 2 et 3. Mais les fonctions plus concrètes remplies par le médecin généraliste sont encore à inventer. Elles dépendront des nouveaux rapports de force au sein des équipes de première ligne, de la distribution des rôles entre citoyens, soins de santé primaire et hôpital et du contexte global dans lequel nous vivrons.

Deux tendances sont régulièrement avancée pour décrire les fonctions que remplira le médecin généraliste demain au sein de l’équipe multidisciplinairexxxix.

D’une part, le médecin généraliste expert de l’approche scientifique et technologique au sein d’un groupe pluridisciplinaire de soins primaires. Le patient est évalué en permanence et son plan de soins optimisé sur base d’algorithmes décisionnels. Il est confié au prestataire le plus adéquat. Le médecin généraliste prend en charge les patients à faible risque et oriente les autres.

D’autre part, le médecin généraliste « expert » de la complexité « bio-psycho-sociale » individuelle et communautaire au centre du système de soins. Le médecin généralistes est un prestataire de proximité faisant partie d’un “système social”. En ce sens il joue un rôle de « traverseur de frontières » et « traducteur de connaissances ». Il contribue au meilleur équilibre entre les buts de vie individuels et le renforcement de la cohésion sociale au sein de la communauté.

L’ensemble de ces blocs contribuent à l’objectif ultime de protéger ou rétablir la santé de la population. Comme décrit tout au long de la discussion, ils ne sont pas à prendre isolément. Tous le système est interrelié à lui-même et au monde extérieur. Tout changement sur un élément peut avoir des répercussions ailleurs dans le système. Les changements sont cependant nécessaires. Dans le chapitre deux, nous abordons une partie des changements possibles et dont les effets devraient être positifs pour la durabilité du système terre, de l’empreinte de l’Humain sur la planète et la survie du système de santé pour peu que ces trois attentes soient compatibles entre elles.

Chapitre 2 : Comment préparer le futur de la médecine et de la médecine générale ?

Pour faire face aux contextes environnementaux, géopolitique, démographique et épidémiologique qui se profile à l’horizon et pour faire face aux enjeux liés aux ressources concernant les médicaments, les consommables, les savoirs, les ressources humaines décrits dans la première partie de cet exposé, les soins de santé primaire ont la capacité d’apporter de nombreuses réponses mais doivent aussi évoluer.

Idéalement ils devraient se redessiner dans un modèle qui permet à la nature qui est notre condition d’existence sur cette terre de garder une place suffisante pour en retour nous permettre d’en vivre, le principe que certains appellent la durabilité forte. Dans l’attente de l’émergence d’un monde plus en phase avec la nature, nous pouvons prendre quelques mesures sans présumer qu’elles seront suffisantes ; il reste à inventer un système de santé qui n’aurait pas recours aux énergies fossiles.

Différentes expériences et évolutions en particulier au sein des soins de santé primaire sont déjà en cours ou en phase d’expérimentation. Elles méritent d’être identifiées et soutenues.

Quelques pistes pour le futur:

Aspects du contexte

  • Evolution du système de taxation pour taxer le capital et la pollution plus fortement relativement au travail.
  • Désinvestir des énergies fossiles toutes les économies des institutions de soins, des médecinsxl, des banques, …
  • Construire la solidarité. Le médecin généraliste, au sein de l’équipe de soins de santé primaire a un rôle a joué ici.
  • Investir dans la cohésion sociale, la protection de l’environnement, la sobriété,
  • Sensibiliser la population aux enjeux et rendre désirables les modèles alternatifs de société, à travers les patients que l’on rencontrexli, dans les congrès mais aussi via la presse, les écoles, les universités les différents lieux de vie. Il serait par exemple possible de multiplier les ambassadeurs du changement.
  • Soutenir l’émergence d’une ville lowtech et d’une économie de la régénérescence environnementale, locale et durablexlii.
  • par notre posture de soignants dont la fonction première est de prévenir la mauvaise santé soutenir la transition vers une société low tech, centrée sur la cohésion sociale « de proximité ».
  • Renouer avec la nature et notre lien à la terre. Construire la sensibilité au monde qui nous entourexliii.
  • Construire un imaginaire collectif d’une société favorable à la santé sur base des modèles de promotion de la santé combinée à des modèles de sortie des énergies fossiles et de retour du lien à la nature comme le concept de durabilité forte où l’environnement précède l’humain qui lui-même précède l’économique : « Il n’y a pas de travail sur une planète morte ».

Aspects des ressources

  • Appliquer à la santé le principe des 4R : refuse, reduce, reuse, recycle.
  • Relocaliser la production, des médicaments et des consommables essentiels
  • Utilisation raisonnée des médicaments, consommables, examens complémentaires
  • Réintroduire la stérilisation, la réutilisation, les préparations magistrales,
  • Recourir au paiement par population de référence, par territoire, par capitation et autres incitants financiers permettant de soigner en fonction des besoins, des objectifs ou des résultats mais pas de l’acte.
  • Utilisation raisonnée des technologies numériques en favorisant le fonctionnement et la stabilité des fonctions essentielles. Penser la sobriété du système et maintenir les alternatives « papier ».
  • Favoriser l’entretien de l’existant et l’innovation sociale et low tech par opposition à la fuite en avant du neuf et de l’innovation high tech.
  • Développer les métiers des soins de santé primaire
  • Développer les modèle de promotion de la santé et de soins s’appuyant sur l’action communautaire.

Aspects organisationnels

  • Réfléchir aux conséquences et aux modalités organisationnelles du virage ambulatoire
  • Réduire le nombre de lits hospitaliers
  • Rééquilibrer le pouvoir et les priorités entre les SSP d’une part et les soins de deuxième ligne et les soins ambulatoires spécialisés d’autre part. Avancer dans la réflexion sur le travail partagé entre médecins, infirmiers, et autres acteurs de la première ligne (Coming… et après). Cela nécessite de modifier les équilibres de pouvoir entre les différents métiers des soins de santé primaire.
  • Renforcer le rôle de point d’accès aux soins de l’équipe de première ligne et le rôle de pivot du médecin généraliste dans la coordination du trajet de soins bio-psycho-social du patient à travers les lignes de soins.
  • Réfléchir à l’organisation de l’accueil des patients en dehors des heures de consultation et à l’équilibre entre renvoi au lendemain, postes de garde, salle d’urgence et gardes à domicile.
  • Promouvoir la relation des personnes avec les prestataires actifs à proximité de leur lieu de vie.
  • Développer le lien entre la pratique de médecine générale et la communauté dans laquelle elle intervient. Pouvoir s’appuyer sur un réseau local de citoyens et de prestataires de l’aide et du soins. Favoriser l’inscription à une équipe de SSP qui est responsable à la fois du soins, de la prévention et de la promotion de la santé.
  • Introduire l’échelonnement. Celui-ci peut compenser une partie des biais du système de deuxième ligne qui tend à s’autoentretenir pour assurer sa survie.
  • Donner plus de place à la promotion et la prévention dans le système de santé
  • Apporter une plus grande attention à la responsabilité sociale du médecin généraliste
  • Donner une meilleure visibilité à l’innovation sociale dans les soins de santé
  • Développer les soins communautaires dans tous les domaines en promotion de la santé, en santé mentale, en revalidation, en maintien à domicile,… .
  • Développer la prévention quaternaire. Voir par exemple la campagne « choosing wisely ».
  • Aborder les questions de la fin de vie et des attentes des patients
  • Tirer les leçons des projets pilotes de soins intégrés et de maintien à domicile en cours ou terminés avec une lecture orientée sur la construction d’un modèle résilient.
  • Rester humble et garder à l’esprit que le système de santé ne contribue que pour 10% de l’état de santé d’une population. Le reste dépend des déterminants de la santé : les conditions de vie, les relations, le sens de la vie, le travail,…

Pour avancer

Différentes initiatives et lieux d’expérimentation et de recherche existent déjà et contribuent à faire émerger le nouveau modèle de société et de soins de santé plus compatible avec la vie sur terre :la chaire de première ligne financée par la Fondation Roi Baudouin Be-Hive, la campagne de prévention quaternaire « Choosing Wisely », Les initiatives de médecins pour le climat et l’environnement, tel que docs for climate, les élections syndicales, le projet fairfin qui vise le désinvestissement des fonds de pension de énergies fossiles, health care without harm europe, wheels of care. Des initiatives en dehors de la santé contribuent à faire advenir un monde vivant et terrestre : Terre en vue, terre de lien, réseau transition, , Observatoire de l’Anthropocène, l’institut momentum, …

Pour conclure

Le modèle théorique des soins de santé primaire a déjà été validé depuis la conférence d’Alma Ata en 1976, A peine quatre ans après le rapport de Donella Meadows et al. au club de Rome sur les limites à la croissance. Les soins de santé primaire restent notre meilleure modèle de soins de santé pour faire face à la descente énergétique et au dérèglement du monde :

Une équipe multidisciplinaire, généraliste, de proximité prenant en charge l’essentiel des besoins bio-psycho-sociaux des personnes vivant sur le territoire dont ils ont la responsabilité. L’équipe est payée sur base d’un financement qui décourage la surconsommation de soins et encourage la prévention et la promotion de la santé tel que le financement par habitant. Elle utilise les ressources locales, renouvelables. Elle veille à ne pas nuire de par ses actions.

Il n’en reste pas moins que les intrants primaires que sont les médicaments essentiels et les consommables que nous utilisons aujourd’hui sont extrêmement dépendants d’un marché mondial, aveuglé par le profit, polluant et fragile. Des solutions pour diminuer la fragilité des approvisionnements, réduire la pollution et plus encore pour relocaliser la production des médicaments et intrants essentiels doivent être recherchées.

Des changements radicaux de notre modèle social sont nécessaires ou s’imposeront à nous. La promotion de la santé propose un modèle de ce qui fait santé. Elle doit encore être adaptée pour remettre la nature et notre environnement en priorité. La place du soins dans cette société radicalement différente doit encore être pensée.

Postface

Ce document a été finalisé juste avant l’émergence du COVID19 et est resté en jachère depuis lors. De nombreuses initiatives et réflexions sont en cours actuellement autour de la santé planétaire en France, de la transition en santé en Belgiquexliv et en Francexlv, de l’organisation de la première ligne en Belgiquexlvi, de l’empreinte du système de santé un peu partout en Europe. Ce document pourra donc bénéficier dans les prochains mois d’une mise à jour et mise en perspective face à l’évolution des enjeux et des pistes de solutions.


i Paina, L., Peters, D.H., 2012. Understanding pathways for scaling up health services through the lens of complex adaptive systems. Health Policy Plan 27, 365–373. https://doi.org/10.1093/heapol/czr054

ii Van Olmen, J., Criel, B., Van Damme, W., Marchal, B., Van Belle, S., Van Dormael, M., Hoerée, T., Pirard, M., Kegels, G., 2012. Analysing Health System Dynamics – A framework (No. 28), Studies in Health Services Organization & Policy. Antwerp.

iii une étude renseigne que 66% du temps d’un « interne » est consacré à des soins indirects (documentation et révision d’un dossier) JAMA Intern Med 2019

iv Des certitudes : le vieillissement de la population belge et une augmentation des ménages d’une personne.

La génération du babyboom sort progressivement de la population d’âge actif. Associé à une espérance de vie qui augmente, le vieillissement de la population est une certitude. Dans le scénario retenu, la part des 67 ans et plus grimpe de 16 % en 2018 á 23 % en 2070. Actuellement, la Belgique compte 1 personne de 67 ans et plus pour 3,8 personnes âgées entre 18 et 66 ans. En 2070, ce rapport est de 1 pour 2,5. La génération du babyboom accélère le vieillissement de la population jusqu’en 2040. Par la suite, le vieillissement se stabilise. La part des 67 ans et plus est supérieure à celle des 17 ans et moins dès 2030. En outre, la part des ménages d’une personne augmente sensiblement (de 34 % en 2017 à 42 % en 2070), cette évolution étant entre autres liée au vieillissement de la population.

La Région de Bruxelles-Capitale, poumon jeune de la Belgique : Du fait de sa population relativement jeune, la Région de Bruxelles-Capitale est affectée dans une moindre mesure par le vieillissement. Ce dernier stoppe néanmoins le rajeunissement actuel de la population bruxelloise. La part des 67 ans et plus passe de 11 % en 2018 à 16 % en 2070. De même, la Région de Bruxelles-Capitale compte actuellement 1 personne de 67 ans et plus pour 5,5 personnes âgées entre 18 et 66. En 2070, ce rapport est de 1 personne de 67 ans et plus pour 3,8 personnes âgées entre 18 et 6 ans. La part des 0-17 ans reste supérieure à celle des 67 ans et plus sur l’ensemble de la période de projection, ce qui n’est pas le cas dans les deux autres régions du pays. Le nombre de ménages d’une personne dans la Région de Bruxelles-Capitale reste stable en projection. In https://statbel.fgov.be/fr/themes/population/perspectives-de-la-population le 19 09 2019

v Coefficient de dépendance (67+/18-66) 2018 et 2070 Belgique 26 % 40 % Bxl 18 % 26 % ibid

vi Tim Jackson prospérité sans croissance par exemple

vii« Un cinquième de la population bruxelloise de 18 à 64 ans perçoit une allocation d’aide sociale ou un revenu de remplacement. ». Observatoire de la Santé et du Social Bruxelles, Baromètre social 2018.

viii OECD 2019 Under Pressure: The Squeezed Middle Class, may 2019, http://www.oecd.org/social/under-pressure-the-squeezed-middle-class-689afed1-en.htm

ixEn Belgique, en 2018, l’espérance de vie à la naissance s’élève à 81,5 ans pour l’ensemble de la population, soit 83,7 ans pour les femmes et 79,2 ans pour les hommes. C’est ce qui ressort des nouvelles données de Statbel, l’office belge de statistique. La hausse de l’espérance de vie à la naissance par rapport à 2017 pour la population totale est de 0,1 an. https://statbel.fgov.be/fr/themes/population/mortalite-et-esperance-de-vie/tables-de-mortalite-et-esperance-de-vie

xhttp://www.eurohex.eu/pdf/CountryReports_Issue11/Belgium_Issue11.pdf

xi En région bruxelloise, sur la période 2011-2015, l’espérance de vie d’un nouveau-né à Saint-Josse-ten-Noode est moins élevée de cinq ans par rapport à Woluwe-Saint-Pierre. In : Missinne S., Avalosse H. Luyten S., 2019. Tous égaux face à la santé à Bruxelles ? Données récentes et cartographie sur les inégalités sociales de santé. Observatoire de la Santé et du Social

xii Observatoire de la santé et du social

xiii On parle alors de syndémie. Voir par exemple : The Lancet, 2017. Syndemics: health in context. The Lancet 389, 881. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(17)30640-2

xiv https://hisia.wiv-isp.be/

xv Mazina D., Hercot D., Englert M., Verduyckt P., Deguerry M. Tableau de bord de la santé en Région bruxelloise – Invalidité. Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale. Commission communautaire commune. Bruxelles 2016

xvi Ripple et al, 2019. World Scientists’ Warning of a Climate Emergency. Bioscience. https://academic.oup.com/bioscience/advance-article/doi/10.1093/biosci/biz088/5610806

xvii Jackson T., Prosperity without growth, second edition, 2018

xviiiDurant les dernières années, le taux d’endettement a augmenté plus rapidement en Belgique que dans la plupart des autres pays. Le secteur privé affiche aujourd’hui une dette équivalente à 190% du PIB, alors qu’une limite de 133% est considérée comme acceptable par la Commission européenne, notent les deux quotidiens. Le soir 2017 11 15 https://plus.lesoir.be/124348/article/2017-11-15/la-dette-totale-de-la-belgique-frise-les-300-du-pib et https://surplusenergyeconomics.wordpress.com/2018/08/15/132-the-revenge-of-the-spider/

xix Le virage ambulatoire est le transfert du lieu de soins de l’hôpital et de la médecine spécialisée au domicile et aux prestataires de la première ligne dans le but de diminuer les couts et d’augmenter la qualité perçue par le patients. C’est dans le même ordre d’idée que le gouvernement met la pression tout doucement pour que les MS transfèrent une partie de leurs tâches aux MG, dans le principe de subsidiarité ; ex : gynécologues. Ce virage a néanmoins un cout financier et humain qui n’est que partiellement pris en charge par la sécurité sociale. La population paie une plus grande part des soins et les travailleurs de l’ambulatoire doivent prendre en charge des pathologies plus lourdes pour lesquelles ils ont besoin de nouvelles compétences. Il met le système de deuxième ligne en déficit financier par rapport à ses besoins actuels en personnel et en infrastructures faute de stratégie d’ensemble et de mesures d’accompagnement du changement.

xx Ringot, C. 2019. De l’humain ou de la technique pour nos hôpitaux de demain ? Paris. Libération 7 janvier 2020 https://www.liberation.fr/auteur/15432-corentin-ringot consulté le 17 janvier 2020

xxi The Lancet, The 2018 report of the Lancet Countdown on health and climate change: shaping the health of nations for centuries to come https://www.thelancet.com/climate-and-health

xxii https://www.sciensano.be/fr/coin-presse/3-periodes-de-surmortalite-pendant-lete-2019

xxiii https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/zoologie-sixieme-extinction-masse-animaux-sous-estimee-58704/?fbclid=IwAR1R0pIoRLumM7KlAWcDlx4YeVDVCvHSQ4VYuJssLlPo_iTjG_BYxoiZiZA

xxiv https://www.lemonde.fr/blog/petrole/2019/02/04/pic-petrolier-probable-dici-a-2025-selon-lagence-internationale-de-lenergie/

xxv http://www.seuil.com/ouvrage/l-age-des-low-tech-philippe-bihouix/9782021160727

xxvi https://www.neonmag.fr/eau-de-montagne-19-milliard-de-personnes-sont-menacees-par-une-penurie-mondiale-545606.html

xxvii Sachs, J. 2008. Commonwealth: Economics for a Crowded Planet. Penguin

xxviii https://fr.wikipedia.org/wiki/Taux_de_retour_%C3%A9nerg%C3%A9tique; Par exemple : https://jancovici.com/transition-energetique/petrole/a-quand-le-pic-de-production-mondial-pour-le-petrole/

xxix https://plus.lesoir.be/236531/article/2019-07-15/la-penurie-de-medicaments-atteint-des-sommets

xxx GRAS. 2011. Action n°126 : DISPARITIONS INQUIETANTES : Qui décide de la politique du médicament ? http://www.gras-asbl.be/spip.php?article341 consulté le 12/01/2020.

xxxi https://www.lejournaldumedecin.com/actualite/penurie-de-medicaments-le-secteur-offre-un-sac-de-noeuds-au-parlement/article-normal-42645.html

xxxii Observatoire des multinationales. 2019. http://multinationales.org/Pharma-Papers-volet-4-comment-les-labos-sont-devenus-des-monstres-financiers

xxxiii Coucke, Ph. 2019. La médecine du futur ces technologies qui nous sauvent déjà. Mardaga https://www.editionsmardaga.com/catalogue/la-medecine-du-futur/

xxxivhttps://www.mckinsey.com/industries/oil-and-gas/our-insights/energy-2050-insights-from-the-ground-up

xxxv Observatoire de la Santé et du Social, 2018, L’offre de médecins généralistes en Région bruxelloise.

xxxvi CCFFMG https://orbi.uliege.be/handle/2268/209355

xxxvii Vignes et al.

xxxviii Medical Generalism. Why expertise in whole person medicine matters, Royal College of General Practitioners – London: RCGP, 2012

https://www.cfp.ca/content/65/12/869

xxxix Vignes et al.

xl https://duurzaam-pensioen.be/fr/

xli Par exemple le groupe de travail ad hoc de docsforclimate.be ou artsenvoorduurzaamheid.be

xlii Socialter. 2019. Les Low Techs, éditorial de Ph. Bihouix dans le Hors-série N°6 : L’avenir sera Low-tech

xliii Par exemple https://www.terreetconscience.be/formations/formation-ecopsychologie-ancrer-ecopratiques-se-relier-a-soi-aux-autres-a-nature

xliv Berquin Anne, 2021, Soins de santé et environnement : quels défis pour le futur ? | Etopia

xlv Lesimple, H., 2021. « Décarboner la Santé pour soigner durablement » : le Shift publie son rapport final. The Shift Project. URL https://theshiftproject.org/article/decarboner-sante-rapport-2021/.

xlvi Vandenbroeck Franck, 2023, Vers un new deal pour le médecin généraliste.


Armes nucléaires & conséquences médicales

Proposition : Paul Blume

En 1982, dans le cadre d’immenses mobilisations citoyennes pour la préventions des conflits nucléaires, une association de médecins (https://ampgn-belgium.be/) publie une brochure compilant les connaissances physiques et surtout médicales des impacts potentiels de l’explosion d’une charge nucléaire sur Bruxelles.
Pour retrouver l’intégralité digitalisée de la brochure « Armes nucléaires : les médecins désarmés » :
https://obsant.eu/entrees/Brochure_Ampgn_1982_alg.pdf

A l’heure où Antonio Guterres, Secrétaire des Nations-Unies, rappelle les dangers de l’utilisation potentielle d’armes nucléaires pour l’Humanité, retrouvez ci-dessous, la partie « armes et conséquences médicales » de cette brochure éditée en 1982. Les connaissances ont évolué, mais les informations reprises sont toujours d’actualité.

Le texte a été rédigé par les Docteurs Anne Résibois et Alfred Joffroy à partir de la brochure « The Medical Consequences of Nuclear Weapons » éditée en Grande-Bretagne par « Medical Campaign against Nuclear Weapons » et « Medical Association for the Prevention of War »en octobre 1981. Il doit aussi beaucoup aux travaux du 2ème Congrès de l’ IPPNW (https://www.ippnw.eu/) tenu à Cambridge du 3 au 6 avril 1982.

LES ARMES NUCLÉAIRES ET LEURS CONSÉQUENCES MÉDICALES

La puissance explosive d’une bombe est généralement exprimée en quantités équivalentes de trinitrotoluène ou TNT. Une tonne de TNT qui explose libère 1 milliard de calories. Les explosions des armes nucléaires sont si puissantes qu’elles sont exprimées en milliers (ki­lo-) ou en millions (méga-) de tonnes de TNT. A la fin de la seconde guerre mondiale, la bombe la plus puissan­te était une bombe de 10 tonnes (0,01 kilotonne) de TNT. La quantité totale des explosifs utilisés pendant toute cette guerre est évaluée à environ 5 mégatonnes de TNT. La bombe atomique qui ravagea Hiroshima avait une puis­sance de 13 kilotonnes et celle de Nagasaki de 22 kilo­tonnes.

LA BOMBE ATOMIQUE

Elle est la bombe nucléaire-type, la première qui ait été inventée. On l’appelle aussi bombe A ou bombe à fission. Une quantité énorme d’énergie est libérée en une fraction de seconde par une fission en chaîne d’Uranium-235 ou de Plutonium-239. Quand de tels atomes sont bombardés par des neutrons, ils éclatent (fission) en libérant d’autres neutrons, des isotopes radioactifs instables et beaucoup d’énergie. Les neutrons libérés attaquent les atomes voisins et si au moins un des neu­trons provenant d’un événement de fission produit l’éclatement d’un autre atome,. la réaction en chaîne s’installe. Pour que ceci se produise il faut une masse critique de produit fissile ce qui limite les possibili­tés de ce type de bombes. Elles sont capables de donner naissance à des explosions de plusieurs dizaines de kilotonnes mais pas plus.

LA BOMBE A HYDROGÈNE

Dans la bombe H la libération d’énergie est assurée par un double processus de fission et de fusion nucléaires. Une bombe à fission y sert d' »allumette » pour four­nir les quelques millions de degrés nécessaires à l’amorce de la réaction. A cette température, des isoto­pes lourds de l’hydrogène, le tritium et le deutérium, fusionnent pour former un noyau d’hélium. La réaction dégage de grandes quantités d’énergie et des neutrons. Elle est équivalente à ce qui se produit à l’intérieur du soleil et la quantité d’énergie qu’elle est capable de fournir est quasi illimitée. La puissance explosive de la bombe est encore augmentée si on entoure les atomes qui fusionnent par une gangue d’uranium-238. Les atomes de l’enveloppe sont séparés les uns des autres par les neutrons provenant de la réaction de fusion. Ces neu­trons provoquent la fission de la couche externe d’ura­nium libérant une quantité considérable d’énergie et de radioactivité supplémentaire. On les appelle aussi, pour cette raison, des bombes à Fission-Fusion-Fission. Les bombes dont la puissance dépasse 100 kilotonnes sont des bombes à hydrogène.

LA BOMBE A NEUTRONS

La bombe à neutrons est une petite bombe à hydro­gène dépourvue de l’enveloppe supplémentaire d’uranium-238. C’est donc un engin à Fission-Fusion. Dans ces con­ditions, les neutrons nés de la fusion des isotopes de l’hydrogène sont libérés et le pouvoir ionisant est for­tement augmenté par rapport aux autres formes d’énergie libérées. On peut en faire des obus de faible puissance (!) qui seraient utilisés dans les opérations militaires sur le terrain. Leur but est de tuer l’ennemi par irra­diation tout en faisant peu de dégâts aux constructions. Un obus à neutrons d’une kilotonne émet autant de radia­tions qu’une bombe à fission-fusion-fission de 10 kilo­tonnes.

Depuis 35 ans les armes nucléaires n’ont cessé de se répandre et de se perfectionner. Cinq nations en possèdent officiellement et plusieurs autres sont sans doute en train d’en acquérir. De toute façon, l’arsenal des deux superpuissances l’emporte de loin sur tout le reste. Il totalise plus de 40.000 têtes nucléaires. Les plus puissantes des armes nucléaires existantes ont une puissance de 60 mégatonnes.

Outre les deux explosions ayant eu lieu en 1945 dans des régions fortement peuplées, plus d’un millier d’explosions expérimentales ont été réalisées. Nous pos­sédons par conséquent une bonne connaissance tant des effets immédiats des explosions que de leurs conséquen­ces à plus long terme.

Le texte qui suit décrit surtout les effets d’une bombe d’une mégatonne. Dans les tableaux sont comparés ceux des divers types d’armes nucléaires actuellement « sur le marché  » : les armes dites « tactiques  » (1 kilo­tonne), celles de puissance moyenne (75 kilotonnes) et celles dites « stratégiques  » (1 et 10 mégatonnes).

EFFETS DES ARMES

Tout corps suffisamment chaud émet des rayonnements lumineux visibles ou non. Au contact de l’explosion nucléaire l’air ambiant est porté à si haute température qu’il devient lumineux, formant la boule de feu visible pendant les secondes qui suivent la réaction en chaîne (figure 2). Immédiatement après sa formation, la boule de feu grandit en même temps qu’elle se refroidit et cesse d’émettre de la lumière. En son sein, la tempéra­ture atteint plusieurs milliers de degrés. Son diamètre dépend de la puissance de la bombe : la boule de feu d’une bombe d’l mégatonne a un rayon de 1.200 mètres au moment où elle est la plus brillante. Si elle ne tou­che pas le sol, l’explosion est dite aérienne ou en al­titude. Si elle l’atteint, comme c’est le cas après les explosions au sol ou à basse altitude, elle vaporise littéralement tout ce qu’elle touche. Les vents violents de succion qui la suivent aspirent les débris vaporisés dans le champignon en formation (figure 2). Ceci creuse un cratère qui peut avoir plusieurs centaines de mètres de diamètre.

FIGURE 2 : Explosion en altitude d’une bombe d’une méga­tonne au-dessus de Bruxelles. Après 15 secondes, la sur­pression au niveau de l’onde de choc, véritable mur d’air comprimé en déplacement, (flèche), est de 1 atmos­phère. Elle vaut 0,3 atmosphère après 30 secondes et 0,1 atmosphère après 75 secondes. A ce moment, le front de l’onde est situé à 21 km. du centre de la ville.

Une explosion nucléaire libère brutalement l’énergie sous trois formes différentes :

1. une onde de choc ou souffle qui représente 50 % de l’énergie totale,

2. un rayonnement de chaleur intense (35 % de l’énergie totale),

3. des radiations ionisantes (15 % de l’énergie totale).

Ces chiffres, vrais pour les bombes à fission et à fis­sion-fusion-fission, sont différents dans le cas des bombes à neutrons : l’énergie libérée sous forme de radiations ionisantes atteint 35 % du total.

C’est en cas d’explosion aérienne de la bombe que l’onde de choc et la chaleur sont propagées le plus loin. En cas d’explosion au sol ou à très basse altitude, par contre, les destructions et les retombées radioactives locales seront plus importantes. Les débris vaporisés du cratère montent dans le champignon, s’ionisent, et comme ils sont lourds, retombent très vite sur le sol alors qu’ils sont encore très radioactifs. Enfin, les explosions sous-marines créent des raz-de-marée et des nuages de gouttelettes radioactives.

L’ONDE DE CHOC

L’expansion rapide des gaz à partir du point de détonation crée une onde de choc qui se propage tout d’abord à vitesse supersonique (figure 2). Son pouvoir destructeur est dû à la surpression, à sa vitesse de propagation et aux vents violents qui la suivent. La surpression est la différence entre la pression de l’air dans l’onde de choc et la pression atmosphérique.

Au point de déflagration (hypocentre ou point zéro), la surpression est énorme : l’explosion au sol d’une bombe d’l mégatonne crée, dans un rayon de 660 mètres, une surpression de 40 atmosphères, soit 40 kg. au cm2. Au fur et à mesure de la propagation de l’onde de choc sa surpression diminue (tableau 1). Ainsi, après l’ex­plosion aérienne d’une bombe d’l mégatonne, la surpres­sion de l’onde de choc est supérieure à l’atmosphère dans un rayon de 4 km. Elle est comprise entre 1 et 0,5 atmosphère entre 4 et 7 km. et sera encore de 0,2 atmos­phère à 11 km. de distance et de 0,1 atmosphère à 21 km. du point d’impact.

FIGURE 3 : Effet de l’onde de choc résultant de l’ex­plosion en altitude d’une bombe d’une mégatonne au des­sus de Bruxelles.

Zone 1 : Surpression supérieure à une atmosphère. 98% de morts, 2% de blessés.

Zone 2 : Surpression comprise entre 0,4 et 1 atmosphère. 50% de morts, 40% de blessés, 10% indemnes.

Zone 3 : Surpression comprise entre 0,2 et 0,4 atmosphère. 5% de morts, 45% de blessés, 50% indemnes.

Zone 4 : Surpression comprise entre 0,1 et 0,2 atmosphère. 25% de blessés.

Ces chiffres ne tiennent compte que des victimes de l’onde de choc. Le report sur cette carte des données du tableau 4 permet de constater que la limite de la zone 3 correspond à la distance jusqu’à laquelle l’onde thermique brûle au 3e degré les surfaces de la peau qui y sont exposées.

En combinant les tableaux 1, 2 et 3 et une carte géographique il devient possible de prévoir les dégâts attendus après une explosion atomique sur une ville don­née ; la figure 3 montre les dégâts que causerait à Bruxelles l’onde de choc d’une bombe d’l mégatonne.

Les bâtiments

Les bâtiments ne résistent pas à de telles surpres­sions et le tableau 2 donne une idée de l’importance des dégâts en fonction du niveau de la surpression. A une atmosphère, quasi rien ne résiste. A 0,1 atmosphère, les dégâts restent considérables et par exemple toutes les vitres sont soufflées. De plus, le déplacement à grande vitesse de l’onde de choc crée des vents violents: 520 km./heure pour une surpression de 1 atmosphère, 250 km./heure pour 0,5 atmosphère. Un vent de 108 km./heure correspond à la définition météorologique de la tempête et chacun sait les dégâts que peut causer celle-ci.

Et les hommes ?

Le corps humain résiste bien aux surpressions sauf si elles sont très élevées. Brutalement exposés à 2,5 atmosphères, 50 % des gens meurent d’éclatement pulmo­naire, d’embolie gazeuse ou de perforation des viscères. Mais ceci ne se produira que très près du point zéro et par conséquent la majorité des décès et des trauma­tismes ne sera pas due à l’action directe de la surpres­sion. Le drame provient en fait de l’interaction des hommes qui sont projetés au hasard et des bâtiments qui s’écroulent autour d’eux. Dans les zones quasi entière­ment détruites il n’y aura guère de survivants. Dans les zones moins endommagées, morts et blessés seront nombreux, victimes de la projection de débris divers et de l’effondrement des maisons. Le tableau 3 résume les pertes prévisibles dans les différentes zones de surpression.

Les blessures sont les mêmes que celles causées en temps de paix par les accidents : fractures du crâne, de la colonne, des membres, écrasements thoraciques, ruptures d’organes abdominaux. Un grand nombre de victimes seraient sans doute por­teuses de plusieurs de ces lésions.

L’ONDE DE CHALEUR

La boule de feu d’une explosion nucléaire ressemble à un soleil de petite taille qui irradierait pendant un temps bref de l’énergie sous forme de rayons X, d’ultra-violets, de lumière visible et d’infra-rouges. Elle apparaît à un observateur situé à 80 km. comme plus aveuglante que le soleil de midi. Son intensité est tel­le qu’une bombe d’l mégatonne cause un aveuglement pas­sager, parfois plus durable, dans un rayon de 21 km. en plein jour et de 85 km. la nuit. Des brûlures réti­niennes produisant une cécité permanente peuvent se voir dans les 50 km. qui entourent le point zéro, mais elles sont moins probables parce qu’elles nécessitent que le regard soit dirigé par hasard dans la direction de la déflagration.

Des brûlures par flash

L’intense chaleur irradiée provoque des brûlures par rayonnement sur les régions de la peau qu’elle frap­pe (figure 4). Le degré de brûlure dépend de la pigmen­tation de la peau, de la longueur d’onde du rayonnement, de la durée de son émission. La distance de propagation de la chaleur est affectée par les conditions météorolo­giques et diminue en cas de mauvaise visibilité. Le ta­bleau 4 résume les degrés de brûlures observables par temps clair à la suite d’explosions aériennes de bombes de diverses puissances. Le nombre de gens brûlés par rayonnement dépendra bien sûr du nombre de personnes se trouvant à l’extérieur au moment de l’explosion puis­que seules sont atteintes les parties du corps directe­ment exposées.

Les brûlures du second degré détruisent partielle­ment la peau. Il se forme des cloques et les proba­bilités de surinfection sont grandes. Le troisième degré correspond à une destruction complète de la peau. Dans les deux cas la perte importante de liquides et de protéines au niveau des brûlures peut entraîner la mort si la surface touchée dépas­se 40 % de celle du corps. Le traitement des brûlés est basé sur la restitution correcte des liquides perdus et la prévention des infections. Non infec­tées, les brûlures du second degré guérissent en général spontanément ; la cicatrisation d’une brû­lure du troisième degré est difficile, très lente et nécessite des greffes cutanées.

Des incendies

Circonstance aggravante, la chaleur intense de l’onde thermique enflamme instantanément les matériaux combustibles comme les papiers, les’tissus, les plasti­ques, etc Joint à la destruction par l’onde de choc d’installations de chauffage, de conduites de gaz, de circuits électriques, ceci provoquera des incendies qui augmenteront considérablement le nombre des brûlés.

Les brûlures causées par les incendies sont souvent associées à des lésions pulmonaires et à des into­xications par les fumées toxiques. Ces troubles surajoutés sont la cause majeure des décès immé­diats dans les incendies au cours desquels les gens se retrouvent piégés dans les immeubles en flamme.

L’explosion aérienne d’une bombe d’l mégatonne pro­voque des incendies dans un rayon de 13 km. par temps clair et de 8 km. par mauvais temps: le rayon de l’ag­glomération bruxelloise est de 9 km., tandis que ceux de Liège (y compris Seraing et Herstal), Charleroi, Na­mur et Mons sont respectivement de 6 km., 7 km., 2 km. et 4 km.

En fait, chaleur intense et vents violents risquent de déclencher une tempête de feu semblable à celles observées à Hiroshima ou même à Hambourg et Dresde après les bombardements « conventionnels » de ces villes : l’as­phyxie et l’élévation de température y tuent tous les habitants, même ceux réfugiés dans les abris. Ce risque est considéré comme faible dans les villes occidentales vu la densité des habitants et le type de matériaux utilisé dans les constructions. Toutefois, la quantité de carburants (essence des voitures, mazout de chauffage, gaz de ville) ne permet pas d’écarter le risque.

LES RADIATIONS IONISANTES

Les réactions de fission produisent une grande quantité de radioactivité pendant la minute qui suit la détonation. C’est la radioactivité initiale. Elle représente environ un tiers de la radioactivité totale produite et est due surtout à une libération de neutrons

rapides et de rayons gamma (voir appendice 1). Après l’explosion d’une bombe très puissante, l’effet mortel du souffle et de la chaleur est tel qu’il l’emporte lar­gement sur celui des radiations ; c’est l’inverse dans le cas des petites bombes, surtout si elles sont du type « bombes à neutrons ».

Les retombées, plus tardives, sont affectées par quantité de facteurs et plus difficiles à quantifier vraiment. Toutes les bombes nucléaires donnent lieu à des retombées radioactives mais leur nocivité dépend de l’altitude à laquelle l’explosion se produit.

Lors des explosions en altitude, les produits de fission gazéifiés montent avec la boule de feu, prennent part à la formation du nuage radioactif et gagnent de très hautes altitudes. Ces particules se condensent en se refroidissant mais restent très légères. Elles sont donc dispersées par le vent, redescendent très lentement et peuvent mettre plusieurs mois à rejoindre le sol. A ce moment, leur taux de radioactivité est en général devenu très faible.

Par contre, si l’explosion a eu lieu suffisamment bas pour que la boule de feu touche le sol, de grandes quantités de terre et de débris vaporisés sont attirés dans le champignon et entrent en contact avec les quel­que 300 isotopes instables nés de la fission (appendice 2). Ils deviennent radioactifs et comme ils sont lourds, retombent en quelques jours sur terre, alors qu’ils sont encore en pleine activité. Ils contamineront ainsi une zone de plusieurs centaines de km2 avoisinant le lieu de l’explosion.

Les particules radioactives qui touchent le sol pendant les premières 24 heures sont les plus nocives; elles constituent les retombées précoces et sont respon­sables de 60 % de la radioactivité totale des retombées.

Calcul du risque lié aux retombées

Pour calculer les risques auxquels est soumise une population, il faut connaître la surface qui sera cou­verte par les retombées précoces, l’intensité de la radioactivité en chaque point de cette surface et la vitesse avec laquelle la radioactivité initiale diminue­ra. Ainsi, l’on pourra avoir une estimation grossière de la dose totale accumulée pendant un laps de temps donné. C’est cette dose cumulée qui est médicalement importante. On l’exprime en rads (voir annexe 1). Quant à l’intensité de la radioactivité elle-même, elle est exprimée en dose par unité de temps ou rads/heure.

L’intensité de la radioactivité initiale décroît vite. La règle est connue : elle diminue d’un facteur 10 chaque fois que le temps augmente d’un facteur 7. Cela veut dire qu’au bout d’une semaine elle vaut un dixième de ce qu’elle valait le premier jour, au bout de 7 semaines un centième et ainsi de suite. Si l’on connaît la radioactivité présente localement au début du processus, on pourra aisément calculer le taux total de rayonnement auquel sera soumise la population locale.

La surface atteinte est plus difficile à déterminer parce qu’elle dépend de pas mal de données changeantes: la vitesse des vents, leurs changements de direction, le relief, etc … Théoriquement, la surface est très allongée à partir du point d’impact. Elle a la forme d’un cigare dont le grand axe est dirigé dans le sens des vents dominants. La figure 5 montre d’une part le diagramme théorique des retombées précoces d’une bombe de 10 mégatonnes et d’autre part les doses de radioac­tivité cumulées qu’on a relevées pendant les 96 heures qui ont suivi l’explosion au sol d’une bombe de 15 méga­tonnes dans l’Archipel des Iles Marshall (Essai « Bravo  » de l’armée américaine en 1954). Ces doses étaient nette­ment supérieures à tout ce qu’on avait prévu.

Le tableau 5 montre quelles seraient les surfaces soumises à différentes doses de radiation cumulées au cours des deux semaines suivant l’explosion d’une bombe d’l mégatonne au sol. Dans la figure 6 ces chiffres ont été reportés sur une carte de Belgique.

Ajoutons que la Commission Internationale de Radio­protection estime à 5 rads par an (25 fois le taux de la radioactivité naturelle) la limite maximale d’irra­diation tolérable pour les travailleurs en contact avec les produits radioactifs.

Les risques liés à des attaques nucléaires multi­ples et relativement proches deviennent vraiment très difficiles à calculer. Les zones contaminées se recou­vrent, leurs taux de contamination s’additionnent et des conditions insupportables pour les habitants de ter­ritoires extrêmement étendus s’en suivraient sans aucun doute.

Enfin, la destruction d’une centrale nucléaire ou d’un dépôt de déchets radioactifs par une arme nucléaire aggrave infiniment l’impact des retombées de l’arme. Les isotopes de la cible détruite sont aspirés dans le nuage et viennent s’ajouter aux produits de fission.

Or leur durée de vie est beaucoup plus longue que celle des isotopes de la bombe et les régions touchées par .les retombées resteront contaminées beaucoup plus long­temps. La quantité totale d’isotopes étant plus grande, la zone touchée sera beaucoup plus étendue.

Il peut sembler exagérément dramatique d’envisager une telle possibilité mais elle n’est nullement exclue vu l’importance stratégique des sources d’énergie et le rôle des réacteurs nucléaires dans la fabrication des ogives des missiles (ils sont la principale source de plutonium-239). De plus, dans l’Europe surpeuplée, les centrales nucléaires peuvent être voisines d’instal­lations militaires. Le risque est donc certain.

PATHOLOGIE DES RADIATIONS

Les effets sur l’organisme

Les radiations provoquent de nombreuses lésions dans notre organisme ; elles touchent principalement le système nerveux et les cellules qui se reproduisent vite : par exemple, celles qui renouvellent la surface de l’intestin et celles qui fabriquent de nouveaux glo­bules blancs et rouges au sein de la moelle osseuse. Une irradiation totale, brutale ou étalée sur un certain nombre de jours, provoque la maladie des rayons qui sera bénigne, sévère ou mortelle selon la dose de rayons reçue. Une dose de 450 rads entraîne la mort de la moi­tié des jeunes adultes qui y sont exposés : on l’appelle dose létale 50 % ou DL 50.

La maladie des rayons

Il existe trois formes de la maladie des rayons: une forme neurologique toujours mortelle, une forme gastro-intestinale très grave et une forme médullaire (touchant la moelle osseuse) curable dans de bonnes con­ditions hospitalières (voir figure 7).

Forme neurologique. Une irradiation vraiment massive (5000 rads et plus) entraîne des convulsions, un coma et la mort en quelques heures. A dose plus basse (1.500 à 4.500 rads) une léthargie s’installe et évolue en quelques jours vers le coma et la mort. Il n’y a aucune thérapeutique connue.

Forme intestinale. Elle s’observe pour une irradiation comprise entre 400 et 1.500 rads et s’installe en une semaine. Liée à la destruction de l’épithélium qui re­couvre le tube digestif, elle se caractérise par une déshydratation intense due à une diarrhée profuse. Les risques de septicémie sont élevés puisqu’il n’existe plus de barrière valable entre le contenu de l’intestin et le reste de l’individu. La mort survient en général à moins qu’une thérapeutique d’urgence soit instaurée très vite.

Ces soins d’urgence sont basés sur la restitution des liquides perdus et l’emploi massif d’antibioti­ques pour lutter contre l’infection. Il va sans dire que la désorganisation du système sanitaire en cas de conflit nucléaire et le nombre de cas à traiter rendrait problématique l’instauration de telles mesures.

Ceux des patients qui survivraient à leurs lésions intestinales présenteraient une semaine plus tard la 3e forme de la maladie des rayons, liée à la destruction de la moelle osseuse.

Forme médullaire. La moelle osseuse est partiellement détruite par un taux de rayonnement supérieur à 150 rads (1). Une courte période de nausées et de vomissements est suivie d’une dizaine de jours asymptomatiques. Vers la fin de la deuxième semaine, les cellules sanguines sont suffisamment réduites en nombre pour être incapa­bles d’assumer leur rôle physiologique : des infections généralisées surviennent par manque de globules blancs et des hémorragies apparaissent un peu partout par insuffisance de plaquettes. Ou la mort survient au bout d’un mois environ ou le sujet atteint guérit lentement au fur et à mesure que les cellules mères restées vivan­tes repeuplent la moelle et le sang.

(1) Rappelons qu’après l’explosion au sol d’une bombe de 1 mégatonne

une dose de 150 rads est accumulée par tous ceux qui séjournent sans protection pendant 2 semaines dans un territoire voisin d’environ 5.000 km2.

A nouveau une thérapeutique existe mise en chambre stérile, transfusions, et utilisation massive des antibiotiques pour lutter contre les infections et, dans les cas les plus graves, greffe de moelle osseuse. Ceci bien sûr ne sera pas réalisable en situation de guerre.

Les conséquences tardives

L’irradiation du fœtus in utero. Irradiation immédiate et retombées affectent le développement du fœtus in utero. La plupart des mères japonaises encein­tes depuis moins de 15 semaines au moment de l’explosion des bombes et ayant reçu une dose de rayonnement supé­rieure à 200 rads ont mis au monde des enfants malformés. Les troubles du développement du cerveau ont été le plus souvent observés. Parmi ceux qui ont survécu, 44 % pré­sentaient une microcéphalie parfois accompagnée de débi­lité mentale et 16 % furent de profonds arriérés mentaux. Les mères dont la grossesse était plus avancée mirent au monde un nombre anormalement élevé d’enfants mort-nés ou qui moururent avant l’âge d’un an.

A plus long terme, les effets résultent des consé­quences tardives de l’irradiation primaire ou d’un séjour plus ou moins long dans une zone contaminée par les retombées. Les isotopes entrent dans le corps par la bouche, les poumons ou éventuellement la peau. Les aliments dans lesquels des produits radioactifs ont été incorporés – le lait par exemple – sont une source importante de contamination. Les données que nous possé­dons à ce sujet dérivent des études faites sur les survivants des bombardements japonais, sur les malades ayant reçu des doses importantes de rayons X à des fins diagnostiques ou thérapeutiques et sur les travailleurs exposés aux radiations.

Les cancers. Il est prouvé que les radiations augmentent le taux des cancers et des leucémies. L’inci­dence de toutes les leucémies augmente, sauf celle de la leucémie lymphoïde chronique. Au Japon, c’est 6 ans plus tard qu’il en apparut le plus.

La période de latence des cancers est plus longue, 20 à 25 ans. L’excès par rapport à la population normale est net pour les cancers du sein, du poumon, de la thy­roïde et des os.

Il n’est pas facile de chiffrer exactement les risques d’apparition d’une tumeur radio-induite et les avis des experts divergent. La conclusion de la Commis­sion Internationale de Radioprotection est résumée dans le tableau 6. Le risque global de décès par tumeur induite est d’environ 1/10.000 par rad reçu. Le risque d’apparition d’une tumeur maligne est deux à trois fois plus élevé. Pour calculer le nombre de rads reçus, il faut évidemment faire le total de l’irradiation subie pendant toute la durée de l’exposition.

Les anomalies génétiques. En général, une anomalie génétique ou mutation, ne se manifeste que chez les enfants dont les deux parents sont des porteurs sains de la même altération. Ceci n’apparaîtra que rarement, au hasard des rencontres. Pour que les conséquences néfastes des mutations se manifestent au Japon, il fau­dra sans doute attendre plusieurs générations. Le fait que rien n’ait été observé à ce jour est normal, et non pas rassurant. Tout ce que nous savons de l’action des rayons X sur l’animal ou les cellules humaines en cultu­re prouve qu’ils augmentent le taux de mutation propor­tionnellement à la dose reçue. Or tout ce qui augmente les mutations est considéré comme néfaste à la survie de l’espèce, ces mutations étant pour la plupart neutres ou défavorables.