Proposition : Paul Blume
En 1982, dans le cadre d’immenses mobilisations citoyennes pour la préventions des conflits nucléaires, une association de médecins (https://ampgn-belgium.be/) publie une brochure compilant les connaissances physiques et surtout médicales des impacts potentiels de l’explosion d’une charge nucléaire sur Bruxelles.
Pour retrouver l’intégralité digitalisée de la brochure « Armes nucléaires : les médecins désarmés » :
https://obsant.eu/entrees/Brochure_Ampgn_1982_alg.pdf
A l’heure où Antonio Guterres, Secrétaire des Nations-Unies, rappelle les dangers de l’utilisation potentielle d’armes nucléaires pour l’Humanité, retrouvez ci-dessous, la partie « armes et conséquences médicales » de cette brochure éditée en 1982. Les connaissances ont évolué, mais les informations reprises sont toujours d’actualité.
Le texte a été rédigé par les Docteurs Anne Résibois et Alfred Joffroy à partir de la brochure « The Medical Consequences of Nuclear Weapons » éditée en Grande-Bretagne par « Medical Campaign against Nuclear Weapons » et « Medical Association for the Prevention of War »en octobre 1981. Il doit aussi beaucoup aux travaux du 2ème Congrès de l’ IPPNW (https://www.ippnw.eu/) tenu à Cambridge du 3 au 6 avril 1982.
LES ARMES NUCLÉAIRES ET LEURS CONSÉQUENCES MÉDICALES
La puissance explosive d’une bombe est généralement exprimée en quantités équivalentes de trinitrotoluène ou TNT. Une tonne de TNT qui explose libère 1 milliard de calories. Les explosions des armes nucléaires sont si puissantes qu’elles sont exprimées en milliers (kilo-) ou en millions (méga-) de tonnes de TNT. A la fin de la seconde guerre mondiale, la bombe la plus puissante était une bombe de 10 tonnes (0,01 kilotonne) de TNT. La quantité totale des explosifs utilisés pendant toute cette guerre est évaluée à environ 5 mégatonnes de TNT. La bombe atomique qui ravagea Hiroshima avait une puissance de 13 kilotonnes et celle de Nagasaki de 22 kilotonnes.
LA BOMBE ATOMIQUE
Elle est la bombe nucléaire-type, la première qui ait été inventée. On l’appelle aussi bombe A ou bombe à fission. Une quantité énorme d’énergie est libérée en une fraction de seconde par une fission en chaîne d’Uranium-235 ou de Plutonium-239. Quand de tels atomes sont bombardés par des neutrons, ils éclatent (fission) en libérant d’autres neutrons, des isotopes radioactifs instables et beaucoup d’énergie. Les neutrons libérés attaquent les atomes voisins et si au moins un des neutrons provenant d’un événement de fission produit l’éclatement d’un autre atome,. la réaction en chaîne s’installe. Pour que ceci se produise il faut une masse critique de produit fissile ce qui limite les possibilités de ce type de bombes. Elles sont capables de donner naissance à des explosions de plusieurs dizaines de kilotonnes mais pas plus.
LA BOMBE A HYDROGÈNE
Dans la bombe H la libération d’énergie est assurée par un double processus de fission et de fusion nucléaires. Une bombe à fission y sert d' »allumette » pour fournir les quelques millions de degrés nécessaires à l’amorce de la réaction. A cette température, des isotopes lourds de l’hydrogène, le tritium et le deutérium, fusionnent pour former un noyau d’hélium. La réaction dégage de grandes quantités d’énergie et des neutrons. Elle est équivalente à ce qui se produit à l’intérieur du soleil et la quantité d’énergie qu’elle est capable de fournir est quasi illimitée. La puissance explosive de la bombe est encore augmentée si on entoure les atomes qui fusionnent par une gangue d’uranium-238. Les atomes de l’enveloppe sont séparés les uns des autres par les neutrons provenant de la réaction de fusion. Ces neutrons provoquent la fission de la couche externe d’uranium libérant une quantité considérable d’énergie et de radioactivité supplémentaire. On les appelle aussi, pour cette raison, des bombes à Fission-Fusion-Fission. Les bombes dont la puissance dépasse 100 kilotonnes sont des bombes à hydrogène.
LA BOMBE A NEUTRONS
La bombe à neutrons est une petite bombe à hydrogène dépourvue de l’enveloppe supplémentaire d’uranium-238. C’est donc un engin à Fission-Fusion. Dans ces conditions, les neutrons nés de la fusion des isotopes de l’hydrogène sont libérés et le pouvoir ionisant est fortement augmenté par rapport aux autres formes d’énergie libérées. On peut en faire des obus de faible puissance (!) qui seraient utilisés dans les opérations militaires sur le terrain. Leur but est de tuer l’ennemi par irradiation tout en faisant peu de dégâts aux constructions. Un obus à neutrons d’une kilotonne émet autant de radiations qu’une bombe à fission-fusion-fission de 10 kilotonnes.
Depuis 35 ans les armes nucléaires n’ont cessé de se répandre et de se perfectionner. Cinq nations en possèdent officiellement et plusieurs autres sont sans doute en train d’en acquérir. De toute façon, l’arsenal des deux superpuissances l’emporte de loin sur tout le reste. Il totalise plus de 40.000 têtes nucléaires. Les plus puissantes des armes nucléaires existantes ont une puissance de 60 mégatonnes.
Outre les deux explosions ayant eu lieu en 1945 dans des régions fortement peuplées, plus d’un millier d’explosions expérimentales ont été réalisées. Nous possédons par conséquent une bonne connaissance tant des effets immédiats des explosions que de leurs conséquences à plus long terme.
Le texte qui suit décrit surtout les effets d’une bombe d’une mégatonne. Dans les tableaux sont comparés ceux des divers types d’armes nucléaires actuellement « sur le marché » : les armes dites « tactiques » (1 kilotonne), celles de puissance moyenne (75 kilotonnes) et celles dites « stratégiques » (1 et 10 mégatonnes).
EFFETS DES ARMES
Tout corps suffisamment chaud émet des rayonnements lumineux visibles ou non. Au contact de l’explosion nucléaire l’air ambiant est porté à si haute température qu’il devient lumineux, formant la boule de feu visible pendant les secondes qui suivent la réaction en chaîne (figure 2). Immédiatement après sa formation, la boule de feu grandit en même temps qu’elle se refroidit et cesse d’émettre de la lumière. En son sein, la température atteint plusieurs milliers de degrés. Son diamètre dépend de la puissance de la bombe : la boule de feu d’une bombe d’l mégatonne a un rayon de 1.200 mètres au moment où elle est la plus brillante. Si elle ne touche pas le sol, l’explosion est dite aérienne ou en altitude. Si elle l’atteint, comme c’est le cas après les explosions au sol ou à basse altitude, elle vaporise littéralement tout ce qu’elle touche. Les vents violents de succion qui la suivent aspirent les débris vaporisés dans le champignon en formation (figure 2). Ceci creuse un cratère qui peut avoir plusieurs centaines de mètres de diamètre.
FIGURE 2 : Explosion en altitude d’une bombe d’une mégatonne au-dessus de Bruxelles. Après 15 secondes, la surpression au niveau de l’onde de choc, véritable mur d’air comprimé en déplacement, (flèche), est de 1 atmosphère. Elle vaut 0,3 atmosphère après 30 secondes et 0,1 atmosphère après 75 secondes. A ce moment, le front de l’onde est situé à 21 km. du centre de la ville.
Une explosion nucléaire libère brutalement l’énergie sous trois formes différentes :
1. une onde de choc ou souffle qui représente 50 % de l’énergie totale,
2. un rayonnement de chaleur intense (35 % de l’énergie totale),
3. des radiations ionisantes (15 % de l’énergie totale).
Ces chiffres, vrais pour les bombes à fission et à fission-fusion-fission, sont différents dans le cas des bombes à neutrons : l’énergie libérée sous forme de radiations ionisantes atteint 35 % du total.
C’est en cas d’explosion aérienne de la bombe que l’onde de choc et la chaleur sont propagées le plus loin. En cas d’explosion au sol ou à très basse altitude, par contre, les destructions et les retombées radioactives locales seront plus importantes. Les débris vaporisés du cratère montent dans le champignon, s’ionisent, et comme ils sont lourds, retombent très vite sur le sol alors qu’ils sont encore très radioactifs. Enfin, les explosions sous-marines créent des raz-de-marée et des nuages de gouttelettes radioactives.
L’ONDE DE CHOC
L’expansion rapide des gaz à partir du point de détonation crée une onde de choc qui se propage tout d’abord à vitesse supersonique (figure 2). Son pouvoir destructeur est dû à la surpression, à sa vitesse de propagation et aux vents violents qui la suivent. La surpression est la différence entre la pression de l’air dans l’onde de choc et la pression atmosphérique.
Au point de déflagration (hypocentre ou point zéro), la surpression est énorme : l’explosion au sol d’une bombe d’l mégatonne crée, dans un rayon de 660 mètres, une surpression de 40 atmosphères, soit 40 kg. au cm2. Au fur et à mesure de la propagation de l’onde de choc sa surpression diminue (tableau 1). Ainsi, après l’explosion aérienne d’une bombe d’l mégatonne, la surpression de l’onde de choc est supérieure à l’atmosphère dans un rayon de 4 km. Elle est comprise entre 1 et 0,5 atmosphère entre 4 et 7 km. et sera encore de 0,2 atmosphère à 11 km. de distance et de 0,1 atmosphère à 21 km. du point d’impact.
FIGURE 3 : Effet de l’onde de choc résultant de l’explosion en altitude d’une bombe d’une mégatonne au dessus de Bruxelles.
Zone 1 : Surpression supérieure à une atmosphère. 98% de morts, 2% de blessés.
Zone 2 : Surpression comprise entre 0,4 et 1 atmosphère. 50% de morts, 40% de blessés, 10% indemnes.
Zone 3 : Surpression comprise entre 0,2 et 0,4 atmosphère. 5% de morts, 45% de blessés, 50% indemnes.
Zone 4 : Surpression comprise entre 0,1 et 0,2 atmosphère. 25% de blessés.
Ces chiffres ne tiennent compte que des victimes de l’onde de choc. Le report sur cette carte des données du tableau 4 permet de constater que la limite de la zone 3 correspond à la distance jusqu’à laquelle l’onde thermique brûle au 3e degré les surfaces de la peau qui y sont exposées.
En combinant les tableaux 1, 2 et 3 et une carte géographique il devient possible de prévoir les dégâts attendus après une explosion atomique sur une ville donnée ; la figure 3 montre les dégâts que causerait à Bruxelles l’onde de choc d’une bombe d’l mégatonne.
Les bâtiments
Les bâtiments ne résistent pas à de telles surpressions et le tableau 2 donne une idée de l’importance des dégâts en fonction du niveau de la surpression. A une atmosphère, quasi rien ne résiste. A 0,1 atmosphère, les dégâts restent considérables et par exemple toutes les vitres sont soufflées. De plus, le déplacement à grande vitesse de l’onde de choc crée des vents violents: 520 km./heure pour une surpression de 1 atmosphère, 250 km./heure pour 0,5 atmosphère. Un vent de 108 km./heure correspond à la définition météorologique de la tempête et chacun sait les dégâts que peut causer celle-ci.
Et les hommes ?
Le corps humain résiste bien aux surpressions sauf si elles sont très élevées. Brutalement exposés à 2,5 atmosphères, 50 % des gens meurent d’éclatement pulmonaire, d’embolie gazeuse ou de perforation des viscères. Mais ceci ne se produira que très près du point zéro et par conséquent la majorité des décès et des traumatismes ne sera pas due à l’action directe de la surpression. Le drame provient en fait de l’interaction des hommes qui sont projetés au hasard et des bâtiments qui s’écroulent autour d’eux. Dans les zones quasi entièrement détruites il n’y aura guère de survivants. Dans les zones moins endommagées, morts et blessés seront nombreux, victimes de la projection de débris divers et de l’effondrement des maisons. Le tableau 3 résume les pertes prévisibles dans les différentes zones de surpression.
Les blessures sont les mêmes que celles causées en temps de paix par les accidents : fractures du crâne, de la colonne, des membres, écrasements thoraciques, ruptures d’organes abdominaux. Un grand nombre de victimes seraient sans doute porteuses de plusieurs de ces lésions.
L’ONDE DE CHALEUR
La boule de feu d’une explosion nucléaire ressemble à un soleil de petite taille qui irradierait pendant un temps bref de l’énergie sous forme de rayons X, d’ultra-violets, de lumière visible et d’infra-rouges. Elle apparaît à un observateur situé à 80 km. comme plus aveuglante que le soleil de midi. Son intensité est telle qu’une bombe d’l mégatonne cause un aveuglement passager, parfois plus durable, dans un rayon de 21 km. en plein jour et de 85 km. la nuit. Des brûlures rétiniennes produisant une cécité permanente peuvent se voir dans les 50 km. qui entourent le point zéro, mais elles sont moins probables parce qu’elles nécessitent que le regard soit dirigé par hasard dans la direction de la déflagration.
Des brûlures par flash
L’intense chaleur irradiée provoque des brûlures par rayonnement sur les régions de la peau qu’elle frappe (figure 4). Le degré de brûlure dépend de la pigmentation de la peau, de la longueur d’onde du rayonnement, de la durée de son émission. La distance de propagation de la chaleur est affectée par les conditions météorologiques et diminue en cas de mauvaise visibilité. Le tableau 4 résume les degrés de brûlures observables par temps clair à la suite d’explosions aériennes de bombes de diverses puissances. Le nombre de gens brûlés par rayonnement dépendra bien sûr du nombre de personnes se trouvant à l’extérieur au moment de l’explosion puisque seules sont atteintes les parties du corps directement exposées.
Les brûlures du second degré détruisent partiellement la peau. Il se forme des cloques et les probabilités de surinfection sont grandes. Le troisième degré correspond à une destruction complète de la peau. Dans les deux cas la perte importante de liquides et de protéines au niveau des brûlures peut entraîner la mort si la surface touchée dépasse 40 % de celle du corps. Le traitement des brûlés est basé sur la restitution correcte des liquides perdus et la prévention des infections. Non infectées, les brûlures du second degré guérissent en général spontanément ; la cicatrisation d’une brûlure du troisième degré est difficile, très lente et nécessite des greffes cutanées.
Des incendies
Circonstance aggravante, la chaleur intense de l’onde thermique enflamme instantanément les matériaux combustibles comme les papiers, les’tissus, les plastiques, etc Joint à la destruction par l’onde de choc d’installations de chauffage, de conduites de gaz, de circuits électriques, ceci provoquera des incendies qui augmenteront considérablement le nombre des brûlés.
Les brûlures causées par les incendies sont souvent associées à des lésions pulmonaires et à des intoxications par les fumées toxiques. Ces troubles surajoutés sont la cause majeure des décès immédiats dans les incendies au cours desquels les gens se retrouvent piégés dans les immeubles en flamme.
L’explosion aérienne d’une bombe d’l mégatonne provoque des incendies dans un rayon de 13 km. par temps clair et de 8 km. par mauvais temps: le rayon de l’agglomération bruxelloise est de 9 km., tandis que ceux de Liège (y compris Seraing et Herstal), Charleroi, Namur et Mons sont respectivement de 6 km., 7 km., 2 km. et 4 km.
En fait, chaleur intense et vents violents risquent de déclencher une tempête de feu semblable à celles observées à Hiroshima ou même à Hambourg et Dresde après les bombardements « conventionnels » de ces villes : l’asphyxie et l’élévation de température y tuent tous les habitants, même ceux réfugiés dans les abris. Ce risque est considéré comme faible dans les villes occidentales vu la densité des habitants et le type de matériaux utilisé dans les constructions. Toutefois, la quantité de carburants (essence des voitures, mazout de chauffage, gaz de ville) ne permet pas d’écarter le risque.
LES RADIATIONS IONISANTES
Les réactions de fission produisent une grande quantité de radioactivité pendant la minute qui suit la détonation. C’est la radioactivité initiale. Elle représente environ un tiers de la radioactivité totale produite et est due surtout à une libération de neutrons
rapides et de rayons gamma (voir appendice 1). Après l’explosion d’une bombe très puissante, l’effet mortel du souffle et de la chaleur est tel qu’il l’emporte largement sur celui des radiations ; c’est l’inverse dans le cas des petites bombes, surtout si elles sont du type « bombes à neutrons ».
Les retombées, plus tardives, sont affectées par quantité de facteurs et plus difficiles à quantifier vraiment. Toutes les bombes nucléaires donnent lieu à des retombées radioactives mais leur nocivité dépend de l’altitude à laquelle l’explosion se produit.
Lors des explosions en altitude, les produits de fission gazéifiés montent avec la boule de feu, prennent part à la formation du nuage radioactif et gagnent de très hautes altitudes. Ces particules se condensent en se refroidissant mais restent très légères. Elles sont donc dispersées par le vent, redescendent très lentement et peuvent mettre plusieurs mois à rejoindre le sol. A ce moment, leur taux de radioactivité est en général devenu très faible.
Par contre, si l’explosion a eu lieu suffisamment bas pour que la boule de feu touche le sol, de grandes quantités de terre et de débris vaporisés sont attirés dans le champignon et entrent en contact avec les quelque 300 isotopes instables nés de la fission (appendice 2). Ils deviennent radioactifs et comme ils sont lourds, retombent en quelques jours sur terre, alors qu’ils sont encore en pleine activité. Ils contamineront ainsi une zone de plusieurs centaines de km2 avoisinant le lieu de l’explosion.
Les particules radioactives qui touchent le sol pendant les premières 24 heures sont les plus nocives; elles constituent les retombées précoces et sont responsables de 60 % de la radioactivité totale des retombées.
Calcul du risque lié aux retombées
Pour calculer les risques auxquels est soumise une population, il faut connaître la surface qui sera couverte par les retombées précoces, l’intensité de la radioactivité en chaque point de cette surface et la vitesse avec laquelle la radioactivité initiale diminuera. Ainsi, l’on pourra avoir une estimation grossière de la dose totale accumulée pendant un laps de temps donné. C’est cette dose cumulée qui est médicalement importante. On l’exprime en rads (voir annexe 1). Quant à l’intensité de la radioactivité elle-même, elle est exprimée en dose par unité de temps ou rads/heure.
L’intensité de la radioactivité initiale décroît vite. La règle est connue : elle diminue d’un facteur 10 chaque fois que le temps augmente d’un facteur 7. Cela veut dire qu’au bout d’une semaine elle vaut un dixième de ce qu’elle valait le premier jour, au bout de 7 semaines un centième et ainsi de suite. Si l’on connaît la radioactivité présente localement au début du processus, on pourra aisément calculer le taux total de rayonnement auquel sera soumise la population locale.
La surface atteinte est plus difficile à déterminer parce qu’elle dépend de pas mal de données changeantes: la vitesse des vents, leurs changements de direction, le relief, etc … Théoriquement, la surface est très allongée à partir du point d’impact. Elle a la forme d’un cigare dont le grand axe est dirigé dans le sens des vents dominants. La figure 5 montre d’une part le diagramme théorique des retombées précoces d’une bombe de 10 mégatonnes et d’autre part les doses de radioactivité cumulées qu’on a relevées pendant les 96 heures qui ont suivi l’explosion au sol d’une bombe de 15 mégatonnes dans l’Archipel des Iles Marshall (Essai « Bravo » de l’armée américaine en 1954). Ces doses étaient nettement supérieures à tout ce qu’on avait prévu.
Le tableau 5 montre quelles seraient les surfaces soumises à différentes doses de radiation cumulées au cours des deux semaines suivant l’explosion d’une bombe d’l mégatonne au sol. Dans la figure 6 ces chiffres ont été reportés sur une carte de Belgique.
Ajoutons que la Commission Internationale de Radioprotection estime à 5 rads par an (25 fois le taux de la radioactivité naturelle) la limite maximale d’irradiation tolérable pour les travailleurs en contact avec les produits radioactifs.
Les risques liés à des attaques nucléaires multiples et relativement proches deviennent vraiment très difficiles à calculer. Les zones contaminées se recouvrent, leurs taux de contamination s’additionnent et des conditions insupportables pour les habitants de territoires extrêmement étendus s’en suivraient sans aucun doute.
Enfin, la destruction d’une centrale nucléaire ou d’un dépôt de déchets radioactifs par une arme nucléaire aggrave infiniment l’impact des retombées de l’arme. Les isotopes de la cible détruite sont aspirés dans le nuage et viennent s’ajouter aux produits de fission.
Or leur durée de vie est beaucoup plus longue que celle des isotopes de la bombe et les régions touchées par .les retombées resteront contaminées beaucoup plus longtemps. La quantité totale d’isotopes étant plus grande, la zone touchée sera beaucoup plus étendue.
Il peut sembler exagérément dramatique d’envisager une telle possibilité mais elle n’est nullement exclue vu l’importance stratégique des sources d’énergie et le rôle des réacteurs nucléaires dans la fabrication des ogives des missiles (ils sont la principale source de plutonium-239). De plus, dans l’Europe surpeuplée, les centrales nucléaires peuvent être voisines d’installations militaires. Le risque est donc certain.
PATHOLOGIE DES RADIATIONS
Les effets sur l’organisme
Les radiations provoquent de nombreuses lésions dans notre organisme ; elles touchent principalement le système nerveux et les cellules qui se reproduisent vite : par exemple, celles qui renouvellent la surface de l’intestin et celles qui fabriquent de nouveaux globules blancs et rouges au sein de la moelle osseuse. Une irradiation totale, brutale ou étalée sur un certain nombre de jours, provoque la maladie des rayons qui sera bénigne, sévère ou mortelle selon la dose de rayons reçue. Une dose de 450 rads entraîne la mort de la moitié des jeunes adultes qui y sont exposés : on l’appelle dose létale 50 % ou DL 50.
La maladie des rayons
Il existe trois formes de la maladie des rayons: une forme neurologique toujours mortelle, une forme gastro-intestinale très grave et une forme médullaire (touchant la moelle osseuse) curable dans de bonnes conditions hospitalières (voir figure 7).
Forme neurologique. Une irradiation vraiment massive (5000 rads et plus) entraîne des convulsions, un coma et la mort en quelques heures. A dose plus basse (1.500 à 4.500 rads) une léthargie s’installe et évolue en quelques jours vers le coma et la mort. Il n’y a aucune thérapeutique connue.
Forme intestinale. Elle s’observe pour une irradiation comprise entre 400 et 1.500 rads et s’installe en une semaine. Liée à la destruction de l’épithélium qui recouvre le tube digestif, elle se caractérise par une déshydratation intense due à une diarrhée profuse. Les risques de septicémie sont élevés puisqu’il n’existe plus de barrière valable entre le contenu de l’intestin et le reste de l’individu. La mort survient en général à moins qu’une thérapeutique d’urgence soit instaurée très vite.
Ces soins d’urgence sont basés sur la restitution des liquides perdus et l’emploi massif d’antibiotiques pour lutter contre l’infection. Il va sans dire que la désorganisation du système sanitaire en cas de conflit nucléaire et le nombre de cas à traiter rendrait problématique l’instauration de telles mesures.
Ceux des patients qui survivraient à leurs lésions intestinales présenteraient une semaine plus tard la 3e forme de la maladie des rayons, liée à la destruction de la moelle osseuse.
Forme médullaire. La moelle osseuse est partiellement détruite par un taux de rayonnement supérieur à 150 rads (1). Une courte période de nausées et de vomissements est suivie d’une dizaine de jours asymptomatiques. Vers la fin de la deuxième semaine, les cellules sanguines sont suffisamment réduites en nombre pour être incapables d’assumer leur rôle physiologique : des infections généralisées surviennent par manque de globules blancs et des hémorragies apparaissent un peu partout par insuffisance de plaquettes. Ou la mort survient au bout d’un mois environ ou le sujet atteint guérit lentement au fur et à mesure que les cellules mères restées vivantes repeuplent la moelle et le sang.
(1) Rappelons qu’après l’explosion au sol d’une bombe de 1 mégatonne
une dose de 150 rads est accumulée par tous ceux qui séjournent sans protection pendant 2 semaines dans un territoire voisin d’environ 5.000 km2.
A nouveau une thérapeutique existe mise en chambre stérile, transfusions, et utilisation massive des antibiotiques pour lutter contre les infections et, dans les cas les plus graves, greffe de moelle osseuse. Ceci bien sûr ne sera pas réalisable en situation de guerre.
Les conséquences tardives
L’irradiation du fœtus in utero. Irradiation immédiate et retombées affectent le développement du fœtus in utero. La plupart des mères japonaises enceintes depuis moins de 15 semaines au moment de l’explosion des bombes et ayant reçu une dose de rayonnement supérieure à 200 rads ont mis au monde des enfants malformés. Les troubles du développement du cerveau ont été le plus souvent observés. Parmi ceux qui ont survécu, 44 % présentaient une microcéphalie parfois accompagnée de débilité mentale et 16 % furent de profonds arriérés mentaux. Les mères dont la grossesse était plus avancée mirent au monde un nombre anormalement élevé d’enfants mort-nés ou qui moururent avant l’âge d’un an.
A plus long terme, les effets résultent des conséquences tardives de l’irradiation primaire ou d’un séjour plus ou moins long dans une zone contaminée par les retombées. Les isotopes entrent dans le corps par la bouche, les poumons ou éventuellement la peau. Les aliments dans lesquels des produits radioactifs ont été incorporés – le lait par exemple – sont une source importante de contamination. Les données que nous possédons à ce sujet dérivent des études faites sur les survivants des bombardements japonais, sur les malades ayant reçu des doses importantes de rayons X à des fins diagnostiques ou thérapeutiques et sur les travailleurs exposés aux radiations.
Les cancers. Il est prouvé que les radiations augmentent le taux des cancers et des leucémies. L’incidence de toutes les leucémies augmente, sauf celle de la leucémie lymphoïde chronique. Au Japon, c’est 6 ans plus tard qu’il en apparut le plus.
La période de latence des cancers est plus longue, 20 à 25 ans. L’excès par rapport à la population normale est net pour les cancers du sein, du poumon, de la thyroïde et des os.
Il n’est pas facile de chiffrer exactement les risques d’apparition d’une tumeur radio-induite et les avis des experts divergent. La conclusion de la Commission Internationale de Radioprotection est résumée dans le tableau 6. Le risque global de décès par tumeur induite est d’environ 1/10.000 par rad reçu. Le risque d’apparition d’une tumeur maligne est deux à trois fois plus élevé. Pour calculer le nombre de rads reçus, il faut évidemment faire le total de l’irradiation subie pendant toute la durée de l’exposition.
Les anomalies génétiques. En général, une anomalie génétique ou mutation, ne se manifeste que chez les enfants dont les deux parents sont des porteurs sains de la même altération. Ceci n’apparaîtra que rarement, au hasard des rencontres. Pour que les conséquences néfastes des mutations se manifestent au Japon, il faudra sans doute attendre plusieurs générations. Le fait que rien n’ait été observé à ce jour est normal, et non pas rassurant. Tout ce que nous savons de l’action des rayons X sur l’animal ou les cellules humaines en culture prouve qu’ils augmentent le taux de mutation proportionnellement à la dose reçue. Or tout ce qui augmente les mutations est considéré comme néfaste à la survie de l’espèce, ces mutations étant pour la plupart neutres ou défavorables.