Transnistrie ?

Source : transcription d’une question / réponse parue dans Le Monde (ici)


Bonjour et merci pour votre travail. Je tente ma question, bien que je ne sois pas abonné. Pouvez-vous nous donner les dimensions de la Transnistrie ? Vous présentez des cartes, vous nous dites que la population est de 500 000 habitants, c’est très bien, mais on ne voit qu’une mince bande coincée entre la Moldavie et l’Ukraine sans pouvoir estimer sa longueur et sa largeur, et donc le danger que ce territoire peut représenter pour cette dernière. Quant à la Moldavie, ils ont adopté le Roumain comme langue officielle, il y a longtemps un Roumain nous avait dit que la Moldavie était rattachée à la Roumanie avant-guerre (WW II) puis avait été annexée par Staline, mais les Moldaves n’ont-ils donc jamais demandé le rattachement à la Roumanie depuis l’éclatement de l’URSS ? Merci pour votre bienveillance envers un pauvre petit vieux non-abonné.

Transnistrie sur wikipedia (ici)


Bonjour,

Large de 45 kilomètres et longue de 450 kilomètres de long, la Transnistrie couvre un territoire d’un peu plus de 4 100 kilomètres carrés entre le fleuve Dniestr, à l’ouest, et la frontière ukrainienne, à l’est.

Pour comprendre les logiques géopolitiques à l’œuvre entre Moldavie et Transnistrie, il faut remonter avant 1992, date à laquelle la Transnistrie a fait sécession. Les frontières de l’actuelle Moldavie sont issues de la chute de l’URSS, en 1991, année où le pays a acquis son indépendance, en même temps que la plupart des autres anciennes Républiques socialistes soviétiques, dont l’Ukraine. Dans les siècles qui ont précédé, ce territoire a cependant été écartelé entre plusieurs puissances, dont les mémoires portent encore la trace.

La principauté de Moldavie, dont la population était roumanophone, existe depuis le milieu du XIVe siècle. Après avoir été vassale de l’Empire ottoman aux XVIe et XVIIe siècles, elle a été divisée en deux en 1812, lorsque l’Empire russe en a conquis la partie orientale, baptisée la Bessarabie. Les frontières de ce territoire sont proches de celle de l’actuelle Moldavie, sans la Transnistrie. Après la première guerre mondiale, la Bessarabie rejoint le royaume roumain, tandis que le territoire correspondant à la Transnistrie reste au sein de ce qui devient l’URSS. Cette dernière crée en 1924 une République autonome soviétique socialiste moldave (RASSM), qui inclut le territoire transnitrien et s’étend à l’est, dans une partie de l’actuelle Ukraine.

Il s’agissait d’une « entité modèle destinée à attirer les populations de Moldavie roumaine et des travailleurs venus de toute l’Union soviétique autour d’une nouvelle capitale, Tiraspol, et d’un projet de modernisation et d’industrialisation », selon Catherine Durandin, historienne spécialiste de la Roumanie, professeure émérite à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Une situation créant, de fait, une fracture entre un espace « moldave roumain sous contrôle de Bucarest » et la « RASSM soviétisée ».

Entre 1940 et 1944, la Bessarabie est tour à tour sous occupation soviétique, puis à nouveau intégrée à la Roumanie alliée d’Hitler, avant d’être fusionnée avec la RASSM pour devenir une république socialiste soviétique jusqu’en 1991, date de son indépendance. Si un élan proroumain a bien existé à cette période, le courant unioniste est aujourd’hui minoritaire, selon Catherine Durandin, et il n’a plus été question, pour la Moldavie, de s’unir à la Roumanie.

INFOGRAPHIE LE MONDE

Une intéressante aventure documentaire

Publiée sur Facebook, voici l’histoire de l’entrée en « documentation écologique » de Louis Schmidt.

Mise en contexte – Mon entrée dans l’écologie

Louis Schmidt

Juillet 2019. Je commence à peine ma première expérience professionnelle. Un soir, je tombe sur une vidéo d’un certain Jean-Marc Jancovici que je vois de plus en plus dans mon fil LinkedIn. C’est la première vidéo de son cours des Mines (le fameux, disponible ici). Je prends une claque. Sensibilisé à l’écologie sans m’y être intéressé de près, je comprends que je n’y comprends absolument rien. Que je n’ai pas forcément les bonnes clés de compréhension du problème.

Commence alors pour moi une odyssée passionnante à la découverte de l’écologie, sous toutes ses formes. J’y entre par le biais du climat et de l’énergie (Janco oblige…) mais je comprends rapidement que le problème – certes j’en avais entendu parlé, mais pas compris intimement – est bien plus large : biodiversité, pollutions, déchets, surpêche, plastique, finitude des ressources etc. J’en passe, et je ne parle même pas des problèmes sociaux et (géo)politiques qui vont avec, qui sont bien entendu clés pour comprendre et traiter ces enjeux.

Ce moment a marqué une vraie révolution intérieure, avec ses moments de doute, de remise en question, de colère. Des discussions houleuses avec ma famille, mes amis. Une perte de sens dans mon stage.

Qu’à cela ne tienne, le sujet me passionne et me motive tellement que je me mets à le travailler et à y réfléchir sur mon temps libre. Rapidement, j’essaye de travailler de manière structurée (merci la prépa): je prends des notes, j’enregistre ce que je lis au fur et à mesure (grâce aux fonctionnalités de LinkedIn et Facebook notamment). Alors je fais ça pendant 1 an et demis. Cela nous amène en janvier 2021.

Un petit saut dans le temps – Ma bibliothèque perso

Janvier 2021 donc. Je sors de 18 mois consécutifs de stage et j’entame 8 mois de pause, de « césure personnelle », d’année sabbatique, avant de reprendre les cours en septembre. C’est le moment où je me mets vraiment à structurer mon travail. Tous les articles que j’ai effectivement lus ou pas encore mais enregistrés comme potentiellement intéressants (l’immense majorité, malheureusement, tombe dans cette seconde catégorie…), je les rassemble, les classes, les catégorises à l’aide d’un classeur Airtable (sorte d’Excel plus ludique). Cela me prend du temps, mais je me dis que ça me servira pour la suite.

Et voilà que je me retrouve avec une bibliothèque d’environ 300 contenus (articles, vidéos, podcasts, rapports etc.) qui va me servir pour la suite, pour chercher des infos, me renseigner sur des sujets que je ne maîtrise pas encore (l’agriculture par exemple) ou creuser ceux que je maîtrise mieux (l’énergie, et oui, c’est par là que j’ai fait ma « conversion »).

Alors oui, ça fait beaucoup. Ca fait même un peu boulimique de l’information, je vous l’accorde. Mais l’idée n’est pas tant de tout lire (chose impossible pour n’importe qui de normalement constitué ou qui fait autre chose de sa vie que de lire), que d’avoir à disposition ces ressources, pour le jour où j’en aurai envie, le temps, le besoin.

En parallèle je lis des bouquins, suis des MOOCs, regarde toutes les vidéos du génial Reveilleur (allez-y c’est une perle de pédagogie)… Et comme je fais pas tout ça que pour moi, je mets à jour mon compte LinkedIn avec ce que j’ai fait pendant ces quelques mois.

La bibliothèque de la transition…

Au fil des mois, j’en parle avec des amis, qui me disent (certains) être intéressé par l’idée et m’en demandent l’accès. Avec plaisir ! Si je peux sensibiliser, tant mieux ! Alors je le fais.

Quelques temps plus tard, je reçois un message me demandant conseil pour se lancer (à fond) dans l’écologie. Alors j’explique rapidement ce que j’ai fait, les bouquins, la bibliothèque, les fiches… Et là, surprise : la personne me demande l’accès à la bibliothèque.

Au début je suis un peu récalcitrant. Ca m’a quand même demandé des heures et des heures de veille, de classification, d’assemblage, cette bibliothèque. Alors je trouvais ça un peu osé de me demander le fruit de mon travail, mon petit bébé, sans me connaître. Puis j’ai réfléchis 2 secondes – un poil plus mais pas beaucoup je vous jure car cela tombait sous le sens en fait – si je fais tout ça, c’est pour partager passion de l’écologie et pour sensibiliser (j’étais aussi devenu animateur de la fresque du climat en parallèle). Alors qu’à cela ne tienne, – oui, ça fait bien deux fois que j’utilise cette expression dans ce court article – je décide de partager ma bibliothèque via un post LinkedIn. Il a son petit succès : plus d’une centaine de personne la consultent.

Alors il y a quelques temps, j’ai décidé d’améliorer cette bibliothèque : autant d’un point de vue des contenus disponibles, que de la quantité disponible. Vous pouvez désormais y trouver les contenus référencés par thèmes, mais aussi par média : Articles, rapports, podcast, newsletters, livres, sources d’informations… Je vous laisse aller observer et j’espère que c’est réussi – ça m’a pris pas mal de temps je l’avoue…

Et je me suis dit qu’il serait bon d’en faire un outil collaboratif.

… un projet collaboratif

J’y ajoute même un guide d’utilisation (1re table) et je me dis : je suis certainement pas le seul à faire ce genre de choses, suivre l’actualité, regarder des rapports, des vidéos, chercher des podcasts… Alors pourquoi pas proposer aux autres de contribuer à cette bibliothèque ? Et bah allons-y !

Vous pouvez maintenant le faire (ici) via un questionnaire ; je me chargerai de trier les contributions si besoin et si un jour la charge devient trop grosse, je solliciterai peut-être votre aide !

Voilà, c’est tout pour moi, j’espère que cet article vous aura plus et que cette bibliothèque vous (nous) sera utile et n’hésitez pas à me contacter si vous avez la moindre question !


Pour accéder à la bibliothèque développée par Louis, cliquez ICI .
Pour retrouver Louis sur LinkedIn, cliquez ICI.


Climat : Scoop

Pablo Servigne

16 08 2021 – post FaceBook

Le résumé aux décideurs du troisième volet du rapport du GIEC (groupe III) a fuité cette semaine ! (Vous savez que le premier volet est paru il y a une semaine, l’info a été massive)

Le troisième volet ( = les moyens de réduire l’influence humaine sur le climat) était en relecture et de devait pas sortir avant mars 2022, mais certains scientifiques/rédacteurs l’ont fait fuiter car ils craignaient que le rapport soit édulcoré au fil des mois par les gouvernements. Comme ça, on saura exactement ce qu’ils retoucheront…

C’est un journal espagnol, CTXT, qui a relayé l’info.

https://ctxt.es/es/20210801/Politica/36900/IPCC-cambio-climatico-colapso-medioambiental-decrecimiento.htm

Puis le Guardian :

https://www.theguardian.com/environment/2021/aug/12/greenhouse-gas-emissions-must-peak-within-4-years-says-leaked-un-report

Avant d’aller plus loin, plusieurs points intéressants sur cette fuite :

  • Cela explique comment fonctionne le GIEC, qu’il existe plusieurs groupes, etc.
  • Cela montre que la communauté scientifique est nerveuse et veut crier plus fort. Et qu’ils ne veulent pas que les gouvernements retouchent le rapport.
  • Cela chauffe l’ambiance pré-COP-26 à Glasgow et les actions possibles des mouvements…

L’info est parue dans plusieurs pays : Japon, GB, Chine, Brésil, Turquie, Allemagne, Algérie, Algérie… Elle devrait bientôt se répandre en France. En attendant, voici la traduction de l’article de CTXT, suivi de celle du Guardian :


CTXT

Le GIEC considère la décroissance comme la clé de l’atténuation du changement climatique

Une autre partie du rapport le plus important du monde a été divulguée.

Le 23 juin, quelque chose de très inhabituel s’est produit. L’AFP (Agence France Presse) a divulgué une partie du contenu du résumé du Groupe II du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) à l’intention des responsables politiques – l’organe chargé d’analyser les impacts du changement climatique. La nouvelle a fait le tour du monde, et le titre le plus répété – tiré du rapport lui-même – était le suivant : « La vie sur Terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en développant de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes. L’humanité ne le peut pas. L’anomalie s’est répétée avant le cap des deux mois. Une autre brèche dans le GIEC, autrefois hermétique, une autre fuite.

CTXT a eu accès au contenu d’une autre partie du sixième rapport du GIEC, l’organe dans lequel des scientifiques du monde entier, issus de différents domaines de connaissance, collaborent volontairement et pour le prestige, dans l’un des efforts de coopération internationale les plus porteurs d’espoir qui soient. Au GIEC, ils cherchent à élaborer une série de rapports qui, en fin de compte tous les 5 ou 6 ans, mettent à jour les connaissances sur le défi le plus important auquel nous sommes confrontés, à la fois bilatéral et imbriqué : s’adapter au chaos climatique que nous avons déjà généré, et comment évoluer vers une économie et un modèle énergétique qui peuvent durer dans le temps. Ses efforts sont répartis en trois groupes pour produire des rapports interdépendants : Science (groupe I), Impacts (groupe II) et Atténuation (groupe III). Des rapports d’avancement spécifiques sont également publiés au cours de cette période.

Le contenu des résumés est filtré pour les politiciens, afin d’éviter que le rapport ne soit fortement édulcoré au cours du processus.

L’explication de ces fuites est claire : de nombreuses personnes au sein même du GIEC sont très préoccupées par la situation d’urgence actuelle, par la tiédeur de certaines des conclusions des rapports successifs, et aussi par la difficulté évidente de traduire les mesures proposées en politique. Le GIEC fonctionne depuis 1990, et depuis cette date jusqu’à aujourd’hui, il n’y a rien eu d’autre qu’une augmentation très nette des émissions et des effets secondaires négatifs, même si cela est la responsabilité de l’inertie économique, sociale et politique. C’est pourquoi le contenu des résumés est communiqué aux responsables politiques, afin d’éviter que le rapport ne soit trop édulcoré au cours du processus et d’attirer l’attention sur lui dans une décennie où tout est en jeu.

Quelle est la situation actuelle ? En bref : des records de température extraordinaires sont enregistrés un peu partout, comme au Canada il y a un mois, où le précédent record a été battu trois jours de suite pour atteindre cinq degrés Celsius supplémentaires d’un coup, tout près de 50 degrés Celsius. Nous assistons également à des inondations incroyables, comme celles qui ont frappé l’Allemagne, la Belgique ou la Chine, avec des centaines de disparus et de morts, et bien sûr d’énormes dégâts économiques, ainsi qu’à des incendies gigantesques dans une grande partie du monde. Ces derniers jours, la Grèce et la Turquie ont été les perdants de la loterie climatique. Une loterie dans laquelle tous les pays ont plusieurs numéros et il n’y aura pas de gagnant.

Les présentations étant faites, passons au rapport. Dans le cas présent, la fuite concerne la première version du résumé du groupe III destiné aux décideurs politiques, ceux qui sont chargés d’analyser la manière de réduire les émissions, d’atténuer et de limiter les impacts. Voici quelques-unes des principales conclusions du projet de rapport, dont le contenu définitif sera publié en mars 2022 :

– « Les émissions de CO2 devraient atteindre un pic avant 2025 et un niveau net nul entre 2050 et 2075 ». Cela implique une plus grande ambition à court et moyen terme, et une accélération de l’action et de la mise en œuvre effective, qui se heurte à des obstacles politiques, économiques et sociaux. Ce qui peut être plus efficace économiquement peut être politiquement irréalisable ou éthiquement inacceptable. Et c’est là un point essentiel, les changements doivent tenir compte des inégalités pour être acceptés (voir le cas des gilets jaunes).

– « Aucune nouvelle centrale au charbon ou au gaz ne devrait être construite, et les centrales existantes devraient réduire leur durée de vie », qui est généralement de plus de 30 ans, à environ 10 ans.

– Il est reconnu qu’un certain degré de capture et de séquestration du carbone et d’élimination du carbone (CDR-CCS-BECCS) est nécessaire pour atteindre des émissions nettes nulles. Ces technologies sont loin d’être au point et représentent un nouveau coup de pouce dans la croyance que l’évolution technologique viendra toujours à la rescousse. Cela contredit complètement l’un des principes de base de la science : le principe de précaution. En outre, certaines recherches mettent en doute la capacité du sol à stocker autant de carbone. Encore plus sur une planète qui se réchauffe.

– Le changement technologique mis en œuvre jusqu’à présent au niveau mondial n’est pas suffisant pour atteindre les objectifs en matière de climat et de développement. Depuis 2010, le coût des technologies renouvelables a baissé au-delà des attentes (notamment le solaire -87%, et les batteries -85%), mais au total, le solaire et l’éolien représentent 7% de la fourniture d’électricité. » Les progrès escomptés dans d’autres technologies, telles que le captage et la séquestration du carbone, l’énergie nucléaire et l’élimination du dioxyde de carbone, ont été beaucoup moins encourageants.

-La croissance de la consommation d’énergie et de matériaux est la principale cause de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES). Le léger découplage observé entre la croissance et la consommation d’énergie [et largement dû à la délocalisation de la production] n’a pas permis de compenser l’effet de la croissance économique et démographique ». Cela montre que les développements technologiques qui permettent d’améliorer l’efficacité et de passer à des sources d’énergie à faibles émissions ne sont pas suffisants. Par conséquent, une transition très massive de la consommation de matériaux à l’échelle mondiale pourrait même, temporairement, entraîner un pic des émissions.

On espère pouvoir passer des véhicules légers à combustion aux véhicules électriques, tandis que pour les machines lourdes, il est admis que la technologie appropriée n’existe pas encore (d’où l’engagement discutable en faveur de l’hydrogène) et que des recherches supplémentaires sont nécessaires. Le risque d’épuisement des matériaux critiques des batteries est explicitement mentionné, mais tout repose sur le recyclage des matériaux.

La température moyenne de la Terre est d’environ 15 degrés Celsius. L’augmenter de deux degrés seulement reviendrait à augmenter un corps humain de près de cinq degrés.

Le réchauffement planétaire associé aux différents scénarios d’émissions publiés va de moins de 1,5°C à plus de 5°C d’ici 2100 par rapport aux niveaux préindustriels. Les scénarios de référence sans nouvelles politiques climatiques conduisent à un réchauffement moyen de la planète compris entre 3,3 et 5,4ºC. La température moyenne de la Terre est d’environ 15 degrés Celsius. L’augmenter de deux degrés seulement reviendrait à augmenter un corps humain de près de cinq degrés. Cette comparaison permet peut-être de comprendre pourquoi les fameux deux degrés suscitent tant d’inquiétude. La stabilité du climat serait impossible et le risque pour la vie serait énorme. Le problème est que la trajectoire actuelle va non seulement dépasser ces deux degrés, mais aussi déclencher encore davantage les redoutables mécanismes de rétroaction qui, si les freins d’urgence du système ne sont pas actionnés sans délai, nous conduiront à un changement climatique déjà absolument hors de contrôle. Malgré cela, nous ne devons pas être paralysés, il existe des possibilités d’éviter les pires scénarios, mais nous devons agir de manière coordonnée. Déjà.

-Il n’est pas incompatible de lutter contre la pauvreté énergétique et le changement climatique. En effet, les plus gros émetteurs sont les plus riches : les 10% les plus riches émettent dix fois plus que les 10% les plus pauvres. Ainsi, l’augmentation de la consommation des plus pauvres à des niveaux de subsistance de base n’augmenterait pas beaucoup les émissions ».

Il souligne également l’expansion de certaines activités économiques à forte intensité d’émissions, par exemple « l’aviation qui augmente de 28,5 % entre 2010 et 2020 ». Malgré cela, à ce stade, le gouvernement espagnol est heureux de donner des millions pour l’agrandissement des aéroports de Barajas et d’El Prat. Si l’on suit les rapports successifs qui seront publiés par le GIEC dans les prochains mois, ces projets devraient être considérés comme l’absurdité absolue qu’ils sont, sauf pour ceux qui en profitent. Éviter ces extensions serait un bon tournant positif, qui pourrait signifier un changement de dynamique.

-Reconnaissance du fait qu’il existe un problème non résolu avec les plastiques.

-L’acceptation implicite que les scénarios d’atténuation impliquent des pertes de PIB. Fondamentalement, elle accepte ce que l’Agence européenne pour l’environnement a elle-même déclaré : la préservation de l’environnement n’est pas compatible avec la croissance économique. En fait, le rapport note : « Dans les scénarios où la demande d’énergie est réduite, les défis de l’atténuation sont considérablement réduits, avec une moindre dépendance à l’égard de l’élimination du CO2 (CDR), une moindre pression sur les terres et des prix du carbone plus bas. Ces scénarios n’impliquent pas une diminution du bien-être, mais la fourniture de meilleurs services. » Il s’agit littéralement d’un scénario d’adaptation à la décroissance.

En ce qui concerne les mesures et les étapes à franchir, le rapport souligne qu’il n’existe pas de mécanisme politique ou de système de gouvernance unique qui puisse à lui seul accélérer la transition nécessaire. Une combinaison de ces éléments sera nécessaire, qui sera différente dans chaque contexte.

Parmi les exemples de mécanismes, citons la législation, qui peut inciter à l’atténuation en fournissant des signaux clairs aux différents acteurs, par la fixation d’objectifs, ou la création d’institutions et de mécanismes de marché, comme la fixation d’un prix pour le carbone, pour autant que la justice sociale soit prise en compte. D’autres facteurs qui peuvent aider seraient les mouvements sociaux climatiques – le GIEC reconnaît le travail des grèves climatiques – qui contribuent à la montée d’un autre facteur clé : un pourcentage élevé de personnes engagées. Il est également souligné que les mesures permettant d’obtenir des réductions doivent être des changements de comportement social : moins de transports, délocalisation du travail, régimes alimentaires plus végétariens, etc.

Et voici l’une des clés, il n’y a aucune mention claire du changement radical indispensable d’un système économique dont le fonctionnement pervers d’accumulation et de reproduction du capital à perpétuité nous a amenés au point critique actuel. Un point où il est déjà difficile de cacher l’évidence qu’un autre point, le point de non-retour, est, pour le moins, très proche. Comme cela s’est déjà produit pour l’Amazonie, qui émet plus de carbone qu’elle n’en absorbe, ou pour le Groenland, qui a battu des records de température et de déversement d’eau fraîche et froide dans l’océan, augmentant ainsi le risque de ralentissement et d’effondrement du courant thermohalin, la courroie de transmission essentielle à la stabilité de notre système climatique. Son effondrement aurait des conséquences incalculables.

Si les freins d’urgence du système n’étaient pas actionnés sans délai, nous nous dirigerions vers un changement climatique qui s’est déjà emballé.

C’est là que l’on peut entrevoir le petit/grand défaut de l’organisme, qui par définition semble difficile à résoudre et qui fera que ces fuites continueront à se produire : le GIEC fonctionne en recherchant un large consensus, ce qui rend difficile la prise en compte des positions les plus audacieuses dans le rapport final, et nous ne parlons pas de scientifiques radicaux isolés : outre l’Agence européenne pour l’environnement, Nature, l’une des revues académiques les plus prestigieuses au monde, a déjà publié des études montrant que la seule « solution », tant pour la transition énergétique que pour l’urgence climatique, est de partir du principe que continuer à croître sans causer plus de dommages est évidemment impossible, et qu’il faut donc prévoir une stabilisation et/ou une diminution dans la sphère matérielle. Partager pour bien vivre, mais dans certaines limites.

Récemment, le baromètre français de la consommation responsable a montré que l’opinion publique est plus ouverte que ce que beaucoup voudraient nous faire croire. 52% des Français estiment que le modèle fondé sur le mythe de la croissance infinie doit être totalement abandonné. Ainsi, l’espoir de travailler dans le sens d’une acceptation du problème et en même temps d’un travail pour y remédier globalement de la manière la plus équitable possible s’accroît, alors que nos chances de continuer à croître sans s’écraser dans la tentative diminuent.

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*Nous tenons à remercier les membres du collectif Scientist Rebellion pour leur collaboration dans l’envoi de la fuite. Au scientifique du CSIC, Antonio Turiel, pour ses conseils sur la préparation de cet article. Et à certaines femmes scientifiques qui ne souhaitent pas être nommées – afin de ne pas courir de risques professionnels – qui ont également apporté leur aide. Ils savent qui ils sont.

*La conférence de presse pour présenter le rapport final du groupe I aura lieu le lundi 9 août.

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Juan Bordera est scénariste, journaliste et militant d’Extinction Rebellion et de València en Transició.

Fernando Prieto est titulaire d’un doctorat en écologie, de l’Observatoire de la durabilité.


THE GUARDIAN

Les émissions de gaz à effet de serre doivent atteindre leur maximum d’ici quatre ans, selon un rapport des Nations unies qui a fait l’objet d’une fuite.

Un groupe de scientifiques publie le projet de rapport du GIEC, craignant qu’il ne soit édulcoré par les gouvernements.

Fiona Harvey et Giles Tremlett

Les émissions globales de gaz à effet de serre doivent atteindre un pic dans les quatre prochaines années, les centrales électriques au charbon et au gaz doivent fermer au cours de la prochaine décennie et des changements de mode de vie et de comportement seront nécessaires pour éviter un effondrement du climat, selon le projet de rapport qui a fait l’objet d’une fuite et qui émane de la principale autorité mondiale en matière de climatologie.

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Les riches de tous les pays sont, dans leur grande majorité, plus responsables du réchauffement de la planète que les pauvres, les SUV et la consommation de viande étant pointés du doigt. La future croissance économique intensive en carbone est également remise en question.

La fuite provient de la troisième partie du rapport historique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, dont la première partie a été publiée lundi et qui met en garde contre des changements climatiques sans précédent, dont certains sont irréversibles. Le document, appelé sixième rapport d’évaluation, est divisé en trois parties : la science physique du changement climatique, les impacts et les moyens de réduire l’influence humaine sur le climat.

La troisième partie ne devrait pas être publiée avant mars prochain, mais un petit groupe de scientifiques a décidé de faire fuiter le projet via la branche espagnole de Scientist Rebellion, une émanation du mouvement Extinction Rebellion. Elle a été publiée pour la première fois par le journaliste Juan Bordera dans le magazine en ligne espagnol CTXT.

Bordera a déclaré au Guardian que la fuite reflétait l’inquiétude de certaines personnes ayant participé à la rédaction du document, qui craignaient que leurs conclusions ne soient édulcorées avant leur publication en 2022. Les gouvernements ont le droit d’apporter des modifications au « résumé pour les décideurs ».

Les 10 % des émetteurs mondiaux les plus riches contribuent entre 36 et 45 % des émissions, soit 10 fois plus que les 10 % les plus pauvres, qui ne sont responsables que de 3 à 5 % environ, selon le rapport. « Les modes de consommation des consommateurs aux revenus les plus élevés sont associés à des empreintes carbone importantes. Les principaux émetteurs dominent les émissions dans des secteurs clés, par exemple les 1 % les plus riches sont responsables de 50 % des émissions de l’aviation », indique le résumé.

Le rapport souligne les changements de mode de vie qui seront nécessaires, notamment dans les pays riches et parmi les personnes aisées au niveau mondial. S’abstenir de surchauffer ou de surrefroidir les habitations, marcher et faire du vélo, réduire les voyages en avion et utiliser moins d’appareils énergivores sont autant de mesures qui peuvent contribuer de manière significative aux réductions d’émissions nécessaires, selon le rapport.

Les habitudes alimentaires dans de nombreuses régions du monde riche devront également changer. « Un passage à des régimes alimentaires comportant une part plus importante de protéines végétales dans les régions où la consommation de calories et d’aliments d’origine animale est excessive peut entraîner des réductions substantielles des émissions, tout en offrant des avantages pour la santé… Les régimes à base de plantes peuvent réduire les émissions jusqu’à 50 % par rapport au régime alimentaire occidental moyen à forte intensité d’émissions », indique le rapport.

Fournir de l’énergie moderne à tous ceux qui en sont actuellement privés (800 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité) aurait un effet « négligeable » sur l’augmentation des émissions, indique le rapport.

La réduction des émissions au cours de la prochaine décennie sera cruciale pour tout espoir de maintenir le réchauffement de la planète à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, au-delà desquels les effets du dérèglement climatique provoqueront une dévastation généralisée. « Une action plus faible à court terme mettrait hors de portée la limitation du réchauffement à ces niveaux, car elle impliquerait des hypothèses sur l’accélération ultérieure de l’élaboration des politiques et du développement et du déploiement des technologies, incompatibles avec les preuves et les projections de la littérature évaluée », avertit le rapport.

Le rapport réaffirme la nécessité de réduire de moitié les émissions au cours de la prochaine décennie pour ne pas dépasser 1,5 °C et atteindre des émissions nettes nulles d’ici à 2050.

Les investissements nécessaires pour faire passer l’économie mondiale sur une base à faible émission de carbone font également défaut. Selon le rapport, les investissements actuels sont inférieurs à ce qui est nécessaire « par un facteur de cinq », même pour maintenir le réchauffement à la limite supérieure de 2°C. Environ 546 milliards de dollars ont été consacrés à la réduction des gaz à effet de serre et au renforcement de la résilience aux impacts de la crise climatique en 2018.

« Les infrastructures et les investissements existants et planifiés, l’inertie institutionnelle et un parti pris social en faveur du statu quo entraînent un risque de verrouillage des émissions futures qui peuvent être coûteuses ou difficiles à réduire », indiquent les scientifiques.

Les actifs échoués seront un problème croissant, car les centrales électriques au charbon et au gaz, dont la durée de vie se mesure généralement en décennies, devront être mises hors service dans les neuf à douze ans suivant leur construction, selon le rapport. Les scientifiques se font l’écho de l’avis récent de l’Agence internationale de l’énergie selon lequel aucune nouvelle exploitation de combustibles fossiles ne peut avoir lieu si l’on veut que le monde ne dépasse pas 1,5°C de réchauffement.

« Les impacts économiques combinés des ressources et des capitaux de combustibles fossiles bloqués pourraient s’élever à des milliers de milliards de dollars », indique le rapport. Ce risque pourrait être réduit en orientant les investissements vers des biens et services à faible teneur en carbone.

Les technologies permettant de capter et de stocker le dioxyde de carbone n’ont pas encore progressé assez rapidement pour jouer un rôle majeur, selon le rapport, mais des technologies permettant d’éliminer le dioxyde de carbone de l’atmosphère seraient presque certainement nécessaires pour limiter le réchauffement à 1,5°C.

Le rapport note qu’il existe des raisons d’être optimiste. Les énergies solaire et éolienne et la technologie des batteries sont désormais bien moins chères, grâce aux politiques qui ont encouragé leur utilisation. La réduction des émissions de méthane contribuerait également à freiner la hausse des températures.

Prendre davantage soin des forêts et des terres, qui constituent d’importants puits de carbone, contribuerait également à limiter l’augmentation de la température, mais il ne faut pas trop y compter. Ces mesures sont relativement peu coûteuses, mais elles ne peuvent compenser la lenteur de la réduction des émissions dans d’autres secteurs, selon le rapport.

CTXT, la publication espagnole qui a divulgué le projet de rapport, a déclaré qu’il montrait que l’économie mondiale devait s’écarter rapidement de la croissance conventionnelle du PIB, mais que le rapport sous-estime cet aspect. « Le changement radical indispensable d’un système économique dont le fonctionnement pervers d’accumulation et de reproduction du capital à perpétuité nous a amenés au point critique actuel n’est pas clairement mentionné », écrit CTXT.

Le GIEC a déclaré qu’il ne commentait pas les fuites et que l’objectif du processus de rédaction était de donner aux scientifiques le temps et la tranquillité nécessaires pour élaborer leur évaluation sans commentaire extérieur. Jonathan Lynn, responsable de la communication du GIEC, a déclaré : « Une grande partie du texte cité ici – apparemment tiré de la première version du résumé à l’intention des décideurs dans le projet de deuxième ordre du Groupe de travail III diffusé aux gouvernements et aux experts examinateurs en janvier – a déjà changé dans la dernière version interne du résumé à l’intention des décideurs actuellement examinée par les auteurs. »


Climat : panser nos plaies, penser la catastrophe et repenser nos sociétés

Nicolas van Nuffel
Président de la Coalition climat

Après un mois de juillet émaillé par les catastrophes en Belgique et ailleurs dans le monde, le premier chapitre du sixième rapport du GIEC est venu ajouter ce lundi des éléments d’explication scientifique au drame que nous avons vécu. Côté politique, si les lignes ont bougé depuis quelques années, l’heure n’est certainement pas à l’autosatisfaction : il va nous falloir agir plus vite, plus fort et plus solidairement pour traverser le siècle qui vient en garantissant une vie digne à chacune et chacun. L’heure est venue de sonner la mobilisation générale. La Coalition Climat a déposé une centaine de propositions sur la table du monde politique, qui n’attendent que d’être mises en débat, pour passer, enfin, à l’action.

41 personnes ayant perdu la vie en Belgique, près de 200 ailleurs en Europe. Des milliers d’autres ayant tout perdu ou presque : maison, lieu de travail, investissements de toute une vie, souvenirs personnels. Des régions entières sinistrées, pour longtemps. C’est le bilan tout provisoire d’un été 2021 qui restera dans l’histoire comme celui où le dérèglement climatique a, pour la première fois, frappé notre pays de façon aussi spectaculaire.

Et ce cas est loin d’être isolé : partout dans le monde, les indices se multiplient, plus spectaculaires les uns que les autres. Au début de l’été, ce sont 700 personnes qui sont décédées au Canada des suites du dôme de chaleur qui a poussé les températures à près de 50°C ; au Groenland, des températures records entraînent actuellement une fonte record de la calotte glaciaire ; en Méditerranée, les incendies se multiplient, et ont déjà fait près de 100 victimes rien qu’en Grèce ; à Madagascar, 400 000 personnes souffrent actuellement d’une famine liée à une sécheresse exceptionnellement prononcée. De plus, derrière les chiffres des catastrophes visibles, ce sont des centaines de millions de personnes vivant dans les zones semi-désertiques, les deltas des grands fleuves ou, tout simplement, les paysannes et paysans du monde entier, dont les conditions de subsistance sont, lentement mais sûrement, mise en danger par le réchauffement climatique. Des zones entières s’apprêtent à devenir tout simplement inhabitables, et l’on ne parle pas uniquement du cas emblématiques des petits Etats insulaires : la ville de Lagos, deuxième du continent africain, pourrait être submergée d’ici 2100. Avec pour conséquence la multiplication des personnes déplacées ou réfugiées.

Bien entendu, comme on le répète à chaque événement extrême, il n’est pas possible d’établir un lien de causalité absolu entre le réchauffement climatique et une inondation, une canicule, un typhon en particulier. Pas plus que l’on ne peut que difficilement établir de lien individuel entre la consommation de tabac ou de pesticides et l’apparition d’un cancer. Mais les rapports nous en avertissent depuis trois décennies : le réchauffement de notre atmosphère s’accompagne d’une exacerbation des phénomènes météorologiques extrêmes, avec comme conséquence une multiplication des catastrophes. A ce titre, le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) vient renforcer les conclusions portées depuis trente ans : selon ce rapport, l’influence de l’activité humaine sur le réchauffement de l’atmosphère des océans et des terres est désormais « sans équivoque ». Quant aux conséquences de ce réchauffement, le degré de certitude quant à leur attribution est variable, mais en augmentation constante.

Est-il trop tard pour agir ?

L’été que nous vivons le démontre, il est trop tard pour éviter des conséquences graves pour les sociétés humaines ; cependant, il est encore temps pour éviter que celles-ci deviennent irréversibles. Et, à ce titre, chaque dixième de degré comptera. Le rapport publié par le GIEC en 2018 nous permet de garder une lueur d’espoir, et celui dont la parution a démarré ce 9 août le confirme : il est encore possible de maintenir le réchauffement aux alentours de la barre des 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle, mais à la stricte condition d’opérer des changements sociétaux d’une ampleur inconnue depuis ladite Révolution industrielle. Sans quoi, dans le pire des scénarios, le réchauffement pourrait s’élever, au XXIIe siècle, à 4,4°C (voire 5,7°C, selon l’estimation la plus pessimiste). C’est donc bien à un chantier totalement inédit que nous devons nous atteler et ce, d’autant plus que la crise climatique vient s’ajouter à une crise tout aussi menaçante liée à l’effondrement de notre biodiversité.

Alors que faire ?

A court terme, il nous faut bien sûr panser les plaies. La solidarité incroyable à laquelle on a assisté dans les jours qui ont suivi la catastrophe de juillet doit se poursuivre dans la durée. Au-delà des initiatives individuelles, c’est en tant que société que nous devons trouver des solutions durables pour toutes les personnes sinistrées : logements salubres, vêtements, meubles, nourriture font partie des besoins de première nécessité, ainsi que l’appui aux entreprises sinistrées et aux travailleurs et travailleuses dont les emplois sont en danger. A plus long terme, il nous faudra reconstruire autrement et pour ce faire, nous avons besoin de donner à l’Etat, notre principal outil d’action collective, les moyens de faire face et de garantir la justice sociale. Les inondations du mois de juillet l’ont montré en touchant avant tout les quartiers populaires : justices sociale et climatique sont désormais profondément intriquées, les deux dimensions devant être abordées comme les deux faces d’une même pièce.

Mais panser ne suffit pas, il nous faudra aussi prendre le temps de penser la catastrophe et de repenser notre société.

Premièrement, en prenant les mesures nécessaires pour accompagner les indispensables changements de comportements, ainsi qu’en accélérant les investissements visant à mettre fin à l’économie du carbone bien avant 2050, pour cesser d’alimenter la principale source du dérèglement climatique. A la suite des impressionnantes mobilisations des années 2018 et 2019, on a assisté à une première évolution de la part du monde politique : du Green Deal européen au plan belge de reconstruction post-Covid-19 en passant par les accords de gouvernement aux différents niveaux de pouvoir, la promesse d’une plus grande ambition est enfin au rendez-vous. Mais les promesses ne suffisent plus : il va falloir faire plus vite, plus fort et plus solidaire si nous voulons respecter l’Accord de Paris. Des moyens plus importants doivent être libérés, de manière à réaliser dès aujourd’hui les investissements massifs permettant de rendre la transition écologique et sociale irréversible dans les dix ans qui viennent.

Deuxièmement, il nous faut prendre acte du fait qu’atténuer le réchauffement ne suffit pas : les dernières semaines nous montrent que nous entrons désormais dans le temps de l’adaptation. Quels que soient nos efforts pour en limiter l’impact, nous devons désormais vivre avec ce dérèglement, en cherchant à en diminuer au maximum les conséquences sociales. Cela demande, entre autres, de repenser notre urbanisme en profondeur, de manière à prévenir les catastrophes : mettre en place une gestion intégrée du cycle de l’eau, limiter la bétonisation, mais aussi isoler massivement nos logements, en commençant par ceux des personnes les plus vulnérables, de manière non seulement à diminuer la consommation énergétique, mais à limiter les effets des vagues de chaleur qui se multiplieront dans les décennies à venir.

Troisièmement, la solidarité ne peut s’arrêter à nos frontières. Par respect pour les droits humains mais aussi pour permettre à nos enfants de traverser le siècle qui vient dans un monde plus sûr, il nous faut absolument éviter que le dérèglement ne prenne des proportions irréparables dans les pays les plus affectés, qui sont aussi les plus pauvres. La solidarité internationale n’est ni un luxe, ni un acte de charité, elle est aujourd’hui une condition indispensable pour faire face à la crie que nous affrontons. La Belgique doit donc, enfin, se montrer à la hauteur de ses engagements internationaux, en dégageant les moyens nécessaires à l’aide publique au développement et au financement climatique prévus dans l’Accord de Paris. Ceci d’autant plus qu’aux dimensions de limitation des émissions et d’adaptation vient s’en ajouter une autre : celle de l’indemnisation des pertes et préjudices des victimes de catastrophes, qui fera l’objet de débats lors de la COP de Glasgow en novembre prochain.

Enfin, ces différentes dimensions n’ont de sens que dans une approche systémique, qui cesse de traiter la question climatique comme un silo parmi d’autres, mais fasse de celle-ci l’opportunité pour repenser nos sociétés en profondeur afin de réconcilier les dimensions économique, sociale et environnementale, toutes indispensables à la construction de sociétés durables. Il nous faut accepter de mettre en route un changement majeur de nos modes de production et de consommation, et donc par définition de nos modes de vie. Ceci impliquera sans doute des inconforts à court terme, mais est aussi l’occasion d’améliorer notre qualité de vie. La Coalition Climat appelle depuis des mois à la mise en chantier d’un Green New Deal au niveau belge et international et a déposé une centaine de propositions en ce sens, dont le sérieux a été salué par tous les bords politiques.

Qu’attend-on ?

Les rapports scientifiques montrent à la fois l’urgence d’agir, la possibilité de trouver des solutions et les opportunités que celles-ci représentent pour nous permettre de réinventer notre prospérité. L’heure est venue de sonner la mobilisation générale face à ce qui représente le chantier du siècle. En tant que citoyennes et citoyens, nous serons au rendez-vous. Le 10 octobre, nous descendrons dans la rue, en amont du prochain sommet mondial pour le climat, pour rendre hommage aux victimes de l’été et appeler à l’action. Nous espérons y être en nombre, mais nous espérons aussi et surtout, dès aujourd’hui, que notre message soit enfin entendu. Pour que l’été de deuil que nous sommes en train de vivre marque le début du basculement vers un monde plus juste et plus durable.

Article republié avec l’accord de l’auteur – original


Économique ou social, faut-il choisir ?

Témoignage : Céline Nieuwenhuys

La pandémie qui nous accompagne depuis le début de l’année 2020 a tragiquement bousculé bien des vies, secoué des pans entiers de l’organisation sociale, plombé l’économie.

Les familles endeuillées. Les malades, les médecins et le système de santé. Les allocataires sociaux et les plus précarisés. Le monde de la culture dans sa globalité. Les familles, les jeunes, étudiants ou non. Les indépendants et le petit commerce. L’enseignement, le sport. Les entreprises et les travailleurs… La liste semble pouvoir s’allonger sans fin.

Ce que l’on appelle la « crise sanitaire » est sans doute bien plus que cela. Toute la société en est impactée. N’est-ce qu’une crise, d’ailleurs ?

Céline Nieuwenhuys – secrétaire nationale de la fédération des services sociaux
nous permet d’entrevoir comment se vit la gestion de la covid au sein des sénacles où se confrontent politiques et experts.

Acceptant en quelques instants la tâche de représenter un secteur dont la culture, les pensées, les intérêts sont à l’antipode des lobbys économiques, elle sera confrontée à une expérience qu’elle nous partage dans un entretien fort, riche en informations.

La vidéo ci-dessous montre la dureté des confrontations d’intérêts, l’absolue méconnaissance du vécu des plus fragiles, certains mécanismes de la machine politique, la puissance du lobbying productiviste.

Et aussi : la complexité des débats ; l’importance d’être représenté par des personnes compétentes ; la richesse humaine de celles et ceux qui travaillent dans le secteur social.

Merci à Céline Nieuwenhuys pour ce témoignage publié sur https://zintv.org/outil/abecedaire/

Durée : 30 minutes.


2021, l’Anthropocène absolu ?

Dans le Journal de l’Économie du 7 janvier dernier, Philippe Cahen ( Conférencier prospectiviste) nous propose la notion d’Anthropocène absolu.

Un article passionnant qui correspond bien à ce ressenti collectif : il y aura un avant et un après 2020.

Bonne lecture.


Pourquoi le XXIe siècle – l’Anthropocène absolu – commence en 2021


Lien vers l’article sur JDE :
https://www.journaldeleconomie.fr/Pourquoi-le-XXIe-siecle-l-Anthropocene-absolu-commence-en-2021_a9563.html


Je ne sais pas par qui et quand le Moyen-Age a été daté entre la chute de l’Empire romain en 476, et la redécouverte de l’Amérique ou de l’imprimerie en 1492. Ces dates sociales, technologiques et politiques ont marqué le temps. En France, 1515, 1610, 1715, 1815, ont marqué les siècles par des faits politiques, technologiques, philosophiques. Ces dates sont arbitraires, mais elles aident à jalonner le temps, à le mémoriser. Elles organisent l’Histoire à partir des histoires.
1815-1914 est le XIXe siècle ; 1914-2020 le XXe siècle. Le XXIe siècle commence aujourd’hui. Voici pourquoi.

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1818-1914. XIXe siècle : les temps modernes

Certains datent les temps modernes à 1789. C’est l’exploitation industrielle de la machine à vapeur qui marque les temps modernes : premier train expérimental 1804 en Angleterre par Richard Trevithick sur 14 kilomètres, 1823 première concession française d’état pour la ligne Saint-Étienne à Andrézieux sur 23 kilomètres.

Avec la machine à vapeur, pour la première fois de son histoire l’Homme se déplace plus vite que le cheval, grâce au train, puis grâce à la voiture (1875), se déplace plus longtemps grâce aux péniches motorisées et aux bateaux à vapeur (1803). Il rejoint les oiseaux en 1903 avec le Wright Flyer, le premier avion. La première pile électrique date de 1800 (Volta), et surtout Thomas Edison crée l’ampoule électrique en 1879. Le bois, le charbon, le pétrole (1855/56 en Pennsylvanie) et l’électricité ont été les sources d’énergie, pour l’essentiel des sources locales.

Corrélativement, et par la création de l’industrie, les hommes ont commencé à quitter la campagne, dépendant des saisons et du temps, pour aller vers la ville et avoir des revenus plus réguliers sans les aléas météorologiques. La ville se crée avec de nouveaux matériaux (Eiffel), une nouvelle organisation (Haussmann à partir de 1852), une nouvelle classe sociale : la bourgeoisie. Les communications s’améliorent avec Morse (1843), puis le télégraphe public en France en 1851. Les empires coloniaux atteignent leur maximum. Les arts (musique, peinture, sculpture …) et la réflexion économique et sociale font des bonds gigantesques marquant la libéralisation des esprits. Une première mondialisation des échanges (canal de Suez 1869, canal de Panama 1914) se terminera avec 1914.

1914-2020. XXe siècle : le siècle des guerres, libéralisme, nationalisme, technologie

Si le XIXe siècle a été la naissance des puissances, il s’est terminé sur des guerres idéologiques intellectuelles. Le XXe siècle est marqué par la victoire du libéralisme, la victoire des nationalismes, la victoire de la technologie dans des temps asynchrones qui ont vu parmi les plus grands massacres de l’histoire de l’humanité, le plus grand nombre de renversements de grandes puissances jamais observé en si peu de temps, une explosion technologique jamais constatée. Les compétences locales ont été remplacées par des compétences mondiales.

Le libéralisme économique est sorti victorieux des différents courants de pensée qui ont marqué la fin du siècle précédent, dont le marxisme (sous sa forme de communisme soviétique), la liberté de conscience, et ce qui est devenu le fascisme. Aujourd’hui, on parle de capitalisme libéral, au siècle précédent on parlait de paternalisme, il s’agit en fait d’un équilibre entre l’initiative personnelle et le bien-être des salariés ou les équipes. La protection sociale et les droits sociaux sont acquis : santé, famille, retraite, travail, chômage, dépendance.

La victoire des nationalismes signe la revendication d’indépendance des États-nations et des peuples, encore inachevée en 2020. Mais y a-t-il une fin ? Les 51 états fondateurs de l’ONU en 1945 sont devenus 197. Au long de la seconde partie de ce siècle, deux formes supranationales ont cependant atténué la victoire des nationalismes : la première est le groupement d’états par zones géographiques avec une visée économique, mais aussi culturelle (Union européenne) avec la libre circulation des personnes et donc des idées. Le second est le retour des religions (islam, catholicisme, évangélisme, etc.) et le développement de la religiosité.
Enfin la victoire de la technologie dans une progression exponentielle (nanotechnologie, biotechnologie, information et connaissance : NBIC) facilitée par la communication (Internet), le bas coût de l’énergie et la rapidité de calcul (Artificial Intelligence). Sa progression semble se faire sans limites. Il y a pourtant une limite : celui qui a la connaissance, la data, gagne la bataille. Celle-ci est en cours et l’issue est indécise, mêlant états et entreprises tentaculaires.

De ces trois victoires il faut retenir pour l’Humain que jamais le savoir n’a été autant partagé, jamais la santé des humains n’a été aussi bonne, jamais l’humain n’a disposé autant de temps autre que pour travailler.
Trois nouvelles puissances sont nées à l’issue de ce siècle qui peuvent déséquilibrer le monde : l’argent, GAFA et BATX, « notre maison brûle … ». Voir XXIe siècle.

La Covid-19 (19, car c’est l’année de découverte de la maladie, on devrait dire que le siècle se termine ou commence en 2019) résume la fin du XXe siècle qui avait débuté par la Grippe espagnole : une zoonose (maladie transmise de l’animal à l’Homme, ici un virus) se transmet en quelques semaines quasiment aux 7,8 milliards de Terriens. Un vaccin est imaginé, testé et industrialisé en 11 mois pour vacciner des milliards de Terriens. Ce qui se passait localement au début du siècle est mondial à sa fin. Le monde est devenu un village.

2020 : Début du XXIe siècle : l’anthropocène absolu

Pour certains, l’anthropocène est arrivé avec la machine à vapeur. Pour d’autres, c’est l’agriculture en marquant la fin du chasseur-cueilleur, il y a environ 10.000 ans, qui a initié l’anthropocène. Dans l’anthropocène absolu, la Nature est soumise à l’Homme. C’est ce qui se passe depuis les années 90.

La Covid-19 interroge sur la première bataille des temps à venir. C’est « notre maison brûle et nous la regardons brûler » de Jacques Chirac (2002 à Johannesburg). Avec les disparitions des milieux naturels (déforestation, mais aussi pollution des océans) les pandémies vont se multiplier, c’est ce qui se constate depuis une vingtaine d’années. Or la puissance de destruction est immense d’autant que plus de la moitié des Terriens vivent en ville, donc dépendent d’un système alimentaire industrialisé (mais aussi d’un système social) et soumis à de plus fortes exigences, car les humains sont de plus en plus nombreux (tout au moins jusqu’au mi-temps du siècle, 9 à 10 milliards) et en désir de plus manger qu’antérieurement. C’est la première facette de la bataille existentielle de ce nouveau siècle. Comment concilier l’Homme et la Nature, la Nature et l’Homme.

La seconde bataille de ce nouveau siècle est l’argent ou plutôt le trop-plein d’argent ou plutôt le manque d’argent. C’est un retour aux siècles précédents le XIXe siècle : la rémunération du capital se fait à un taux supérieur à celui du travail. Aux États-Unis, on considère que l’américain moyen n’a pas amélioré son pouvoir d’achat depuis plus de quarante ans. De l’autre côté du spectre, la finance est de plus en plus rémunératrice à tel point que les millionnaires et milliardaires se multiplient malgré la crise en cours. Or là aussi, la Covid-19 a mis en avant le déséquilibre en développant dans de nombreux pays des aides financières prenant la forme des prémices d’un revenu universel tandis que les riches devenaient plus riches. Un exemple simple : le tourisme est à l’arrêt et représente environ 15% des actifs mondiaux sans travail, officiel ou pas. Comment aider ces gens, comme d’autres ? Comment assurer que notamment la ville permette à l’Homme d’y vivre selon les aléas de la société ou de sa vie ?

La troisième bataille appelée à tort « GAFA BATX », représente des unités économiques sans état, l’Entreprise Sans Etat (ESA) par analogie avec Vers une société sans état de David Friedman (1973, paru en France en 1992). Il faut y ajouter les cryptomonnaies et toutes formes économiques qui détachent des entreprises ou organismes d’un pays ou des pays en accélération avec la 6G attendue pour 2030. Le numérique est un moteur prodigieux de ces systèmes. La multiplication des constellations de satellites ne pourra que les multiplier. Là aussi, la Covid-19 et la crise économique et sociale qui touche chaque pays, met en avant l’insolent succès de ces entités.

Si les États-Unis entament pour certains la mise en route de la loi antitrust, la Chine exerce une pression similaire sur l’empire d’Alibaba. Certains pays seront tentés de les héberger, la leçon de la fin des paradis fiscaux du siècle précédent devrait les en dissuader. Comment concilier des États et des entités ou organismes sans nécessité de base physique et éventuellement mondialisée ? Le monde devient-il un village virtuel ?

La Covid-19 accélère la mutation en cours. La Nature, l’Homme et l’Entreprise Sans Etat sont les trois batailles principales de ce début de XXIe siècle, le siècle de l’anthropocène absolu. Ce nom – Anthropocène absolu – sera-t-il retenu au long et à la fin de ce siècle ?

Je repars en plongée …

Philippe Cahen – Conférencier prospectiviste – dernier livre : « Méthode & Pratiques de la prospective par les signaux faibles  », éd. Kawa)