Et si nous étions à l’automne 1939, goguenards ?

Bruno Colmant

reprise, avec l’accord de l’auteur, d’un post LinkEdIn

Si l’été est le moment du recul et de la réflexion, je suis, en vérité, pétrifié. Nous sommes face à des défis environnementaux existentiels, dont les conséquences sociales, économiques, migratoires et militaires sont d’une envergure qui nous dépasse. Cette réalité se conjugue à une anxiété sociale, qui reflète la dualisation croissante de la société. Car, ne l’oublions pas, bon pays, mauvais pays développé, la part de la population qui est sous le seuil de pauvreté dépasse 25 %. Et c’est honteusement un problème de riches, puisque 10 % de la population mondiale vit dans l’extrême pauvreté.

Tous, nous constatons que la réflexion longue a cédé le pas à la réaction immédiate, puisque le ressenti instantané prime sur la somme des savoirs. Alors, nous cherchons tous des apaisements éphémères, des images, des « likes », des étourdissements, des vertiges frivoles, des postures, bref, des futilités.

Après tout, ces scientifiques et autres moralisateurs ont peut-être raison, mais si l’avenir est aussi sombre, autant vivre et consommer intensément.

Et puis, ces intellectuels accablés sont fatigants, non ?

Mais faisons attention.

Très attention.

Pendant que nous nous réjouissons, certains façonnent notre futur.

Et ils le maquillent.

Je ne parle pas des dingues de la Silicon Valley qui veulent créer une humanité 2.0 tout en sécurisant des abris antiatomiques en Nouvelle-Zélande.

Je parle de ceux qui nous dirigent.

Et nous sommes peut-être à l’automne 1939, lors de la drôle de guerre. La mobilisation avait été décidée. Les paysans et les instituteurs, tous goguenards, attendaient leur retour aux champs et écoles.

Mais de sourdes forces furieuses s’animaient lentement, sans qu’on veuille les voir.

Alors, voilà, nous sommes peut-être en 1939. Et moi, je dis : l’Europe, la Belgique votent l’an prochain.

Et il est peut-être temps de s’impliquer.

Pas par procuration.

En action.

Stéphane Hessel avait écrit : « indignez-vous ».

Et comme un de mes amis journalistes me disait ce matin : « indignez-vous et impliquez-vous ».

références Bruno Colmant


Les Francs-Maçons belges en appellent à la prise de mesures fortes et rapides pour le climat et la biodiversité !

Une opinion d’Alain Cornet, Grand-Maître du Grand Orient de Belgique, Daniel Menschaert, Grand-Maître de Fédération belge de l’ordre maçonnique mixte international du Droit-Humain, Léon Gengoux, Grand Maître de la Grande Loge de Belgique, Raymonda Verdyck, Grande-Maîtresse de la Grande Loge Féminine de Belgique et Jan Vanherck, Président de la Confédération de Loges Lithos

Contribution externe parue dans la Libre du 15 juillet 2023

Le mercredi 12 juillet, le Parlement européen a adopté un texte de “Règlement de restauration de la nature” visant à préserver un minimum d’environnement naturel existant et à en restaurer d’autres. La préservation de ces espaces naturels est indispensable pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique et donc pour garantir la survie de l’humanité. Nous pourrions nous en réjouir mais il est inquiétant de constater que la portée du texte, adopté par l’Assemblée, a été fortement affaiblie par de nombreux amendements lesquels affectent tant son efficacité que sa mise en œuvre.

La Franc-maçonnerie n’a pas pour objet, ni pour but d’exprimer une opinion collective, mais, lorsque le respect des valeurs humaines est en péril, lorsqu’une vie digne pour tous les humains risque de ne plus être assurée, lorsque la qualité de vie des générations futures est profondément obérée, le silence n’est plus de mise.

Agir ici et maintenant

Les Francs-Maçons travaillent à la réalisation d’un développement moral, intellectuel et spirituel le meilleur pour tous. Ils sont conscients que cela n’est possible que dans le cadre d’une humanité fraternellement organisée entre les êtres humains d’une part et entre ceux-ci et la nature dans son ensemble d’autre part. Agir ici et maintenant pour atteindre cet objectif est essentiel pour la vie future sur notre planète.

Dès lors, nous estimons qu’il est de notre devoir de nous adresser à tous ceux qui ont des décisions à prendre en la matière, aux niveaux des États et de l’Europe, afin qu’ils agissent sans délai et prennent les mesures indispensables pour assurer aux générations futures une vie décente et cela sans aucune distinction et quel que soit le lieu où celles-ci vivront.

Notre conscience d’êtres humains est heurtée

Notre conscience d’êtres humains est heurtée par toute tergiversation quant à la mise en œuvre de politiques de sauvegarde de la nature qui pourrait mettre en cause la survie de l’humanité. C’est pourquoi, à la suite du débat qui a eu lieu au Parlement européen, nous joignons notre voix à celles de tous ceux qui pensent que les enfants d’aujourd’hui et de demain sont notre véritable priorité. Ensemble, avec les citoyens du futur nous faisons partie de ce que le philosophe François Ost appelle une communauté temporelle. Nous estimons également que nous sommes tout aussi responsables à l’égard des autres espèces naturelles. Pas uniquement que notre propre survie en dépend. La science nous rappelle que nous partageons avec toute la matière de l’univers une histoire commune. Tout ce qui vit participe au mécanisme de régulation des écosystèmes.

Relever un défi existentiel pour l’humanité

Le monde scientifique s’accorde également pour affirmer qu’il faut prendre d’urgence des mesures drastiques pour enrayer le réchauffement climatique et aussi la destruction de la biodiversité. Seul un équilibre harmonieux entre l’Homme et son environnement pourra assurer la survie de l’humanité.

Nous restons persuadés qu’une large majorité des députés européens et de membres des gouvernements nationaux sont conscients que ces mesures sont indispensables, sauf à condamner des pans entiers de la société à tenter de survivre dans des environnements dévastés.

Le monde traverse de nombreuses crises – dont certaines sont précisément induites par la crise climatique – mais elles ne peuvent pas être un obstacle aux actions à mener pour relever le défi existentiel que l’humanité s’est lancée à elle-même.

Le Progrès ne doit plus être responsable d’une perte de sensibilité

Nous sommes conscients que les décisions sont difficiles à prendre, elles remettent inévitablement en question nos modes de vie, nos modes de production et de consommation, voire, des éléments importants de notre système économique. Les citoyens ne l’accepteront que s’ils constatent que leurs représentants leur proposent en même temps une alternative globale et positive, un projet de société reposant sur des principes de fraternité et d’égalité, où la nature serait considérée autrement que comme une ressource inépuisable. Une société où la définition du Progrès ne serait plus responsable d’une perte de sensibilité à l’égard des autres formes de vie car la crise écologique est également une crise de la sensibilité et une crise du sens des responsabilités individuelles et collectives. D’ailleurs, un tel projet de société pourrait être largement débattu dans la société elle-même, les citoyens devenant ainsi coresponsables des décisions à prendre. La démocratie n’en sortira que renforcée et grandie.


Médias : comment (bien) parler de
l’urgence climatique ?

Michel De Muelenaere, Gil Durand

Reprise d’un article paru dans Le Soir le 22 mai 2023


La crise climatique s’accélère et la question de la transition s’invite dans les médias. Ces derniers l’ont bien compris mais ne sont néanmoins pas épargnés par la critique : trop peu présents ou, au contraire, trop militants. Alors, comment (bien) parler des changements climatiques et de leurs conséquences ?

En Belgique, plusieurs académiques ont appelé les médias « à mener en leur sein une réflexion radicale et globale sur la manière d’aborder les enjeux et questions relatives au climat et à la biodiversité ». Un message (en partie) entendu dans les rédactions, notamment au Soir. Un pôle Planète avec sept journalistes a été créé pour traiter l’environnement, la mobilité ou l’énergie de manière globale.

Mais les écoles de journalisme ne sont pas en reste et s’interrogent sur l’opportunité de modifier leurs programmes de cours pour y faire une meilleure place aux questions climatiques, environnementales et aux enjeux de la transition. Au-delà des écoles de journalisme, si les universités francophones sont à des stades différents de leur conscientisation aux questions de transition et de durabilité, toutes ont compris qu’il faudrait mettre un accent plus fort sur l’environnement.

Chapitre 1

Réchauffement climatique : dans les écoles, un journalisme en (lente) transition

La crise climatique s’accélère. La biodiversité file un très mauvais coton. Partout on parle de transition, de changement. Les médias sont exposés aux critiques. Les écoles qui forment les futurs journalistes s’ébranlent, lentement.

C’est un changement progressif. Un frémissement tardif, diront certains. Les écoles de journalisme de la Communauté française s’interrogent sur l’opportunité de modifier leurs programmes de cours pour y faire une meilleure place aux questions climatiques, environnementales et aux enjeux de la transition. Certaines ont franchi le pas, mais pas toutes : à l’UCLouvain on a choisi. Pourquoi
changer ? Outre l’urgence des enjeux, des responsables pointent les « demandes » des étudiants, « génération très conscientisée », voire un appel du « marché » : des rédactions qui seraient, elles mêmes davantage soucieuses de la problématique et demanderaient que l’on prépare mieux les futurs journalistes.

Dame, les critiques sont adressées de toutes parts aux « médias » : trop peu présents, trop catastrophistes, trop conservateurs, trop ignorants, trop enfermés dans les modèles traditionnels ou au contraire, trop militants… Il fallait agir. Reste qu’on est loin du raz-de-marée généralisé.

Dès l’année prochaine, l’Ecole de Journalisme de l’UCLouvain lancera ainsi un cours « Journalisme, transition environnementale et changement climatique » en première année de master, explique Grégoire Lits, qui en sera cotitulaire avec un professionnel du métier pour les aspects plus pratiques. « Outre l’actualité, on est confronté à pas mal de demandes aussi bien des étudiants que des médias. Là, il y a une attente, mais on trouve relativement peu de journalistes traitant des questions environnementales et scientifiques », poursuit Lits. Obligatoire, la nouvelle formation ne sera pas un enseignement sur le climat, les étudiants y auront déjà été exposés auparavant. Elle est axée sur le changement climatique, mais avec une vision élargie sur la transition systémique. »

Aucun cours spécifique en revanche du côté de l’école universitaire de journalisme de Bruxelles, détaille son directeur, David Domingo. « Nous encourageons les étudiants à suivre des cours de l’Institut de gestion de l’environnement et d’aménagement du territoire (Igeat) et à participer à la délégation de jeunes qui se rendent aux sommets sur le climat (les COP). Mais cela ne fait pas
partie du cursus officiel. Notre stratégie consiste plutôt à proposer des thématiques d’actualité sur lesquelles les étudiants travaillent pendant quatre mois, encadrés par des professeurs de journalisme et avec des conférences d’experts, pour livrer des productions journalistiques. L’an prochain, je proposerai que l’environnement soit la thématique choisie. »

Modifier la formation pour y inclure un accent plus fort sur l’environnement ? « Nous n’en avons pas discuté, indique Domingo. Pourquoi mettre l’accent spécifiquement sur cette question en laissant de côté d’autres enjeux essentiels comme l’égalité des genres ou la diversité ? Ces questions devraient être assumées dans n’importe quel cours, comme un enjeu transversal. »

La plupart des facultés de journalisme disent aborder les questions environnementales dans des cours, des ateliers ou des travaux pratiques, sous l’angle des événements d’actualité. Difficile d’ignorer cette thématique qui s’impose massivement. La parution, l’an dernier, de la charte française « pour un journalisme à hauteur de l’urgence écologique » a par ailleurs entraîné nombre de réflexions – souvent anglées sur la déontologie journalistique. Cette charte a été signée par quatorze écoles de journalisme reconnues en France ; aucune en Belgique. A l’Ecole de Journalisme de Lille, tous les étudiants sont même exposés à deux jours de formation autour des questions climatiques et environnementales. Et l’école a mis en place un « Master Pro Climat et Médias ».
A l’Ihecs (l’Institut des hautes études en communications sociales), un cours facultatif de « politique internationale de l’anthropocène », de 24 heures, est donné (en anglais) en dernière année. Il porte sur la science et la politique – le Giec, la convention des Nations unies sur le changement climatique, les COP », explique Caroline Zickgraf qui le délivre. Le rapport avec les
pratiques professionnelles ? « On demande également aux futurs journalistes de trouver des articles sur le sujet pour en discuter et ils participent à une simulation de COP ».

« Très en retard »

« Comme beaucoup d’écoles de journalistes nous sommes très en retard sur les questions environnementales, de même que sur le traitement des questions de genre, livre cependant Nordine Nabili, le très cash responsable du master en journalisme à l’Ihecs. Au-delà de petites opérations ponctuelles qui nous déculpabilisent un peu, ces questions ont assez peu infusé dans les enseignements. » Modifier la formation ? « Peut-être que le public et les étudiants eux-mêmes l’imposeront, estime-t-il. Si, au sein de l’Ihecs, des groupes d’étudiants chamboulaient les débats en imposant l’urgence climatique, il y a belle lurette que les choses auraient changé. Mais cette pression ne vient ni des étudiants, ni de l’équipe. »

« On pourrait, d’initiative, changer la formation, mais je n’ai pas le sentiment qu’il y a une demande. Si, demain, je suis assailli de coups de téléphone des patrons de presse qui, pour des services nouveaux, sont à la recherche de journalistes particulièrement préparés sur les questions environnementales et de transition, les choses changeront. Mais je ne pense pas que les écoles puissent préparer des profils qui n’ont pas leur place au sein des rédactions. » L’Institut apporte des réponses ponctuelles, dit Nabili, comme des sujets d’ateliers ou des travaux de fin d’étude. Mais sur les questions de société, il y a une sorte de ronronnement. » L’Ihecs « fait une promesse très technique aux étudiants : apprendre à filmer, tourner, monter, à faire un podcast, prendre des photos, écrire. On aimerait avoir la même ambition sur des questions de société sur le climat. »

A l’ULiège, on n’envisage pas de mettre en place un cours spécifique permettant aux futurs journalistes de mieux couvrir les questions environnementales, ajoute Dick Tomasovic, directeur de l’école de journalisme. « La thématique est abordée dans un cours de technique de journalisme en 3e bachelier qui aborde une série de sphères d’investigation, comme la politique, l’économie ou l’environnement. C’est donc un sujet d’investigation. Et, en master, de très nombreux étudiants veulent s’emparer de ces questions-là dans des enquêtes, des travaux de fin d’étude. » La faculté de journalisme complétera par ailleurs la formation « de base » en baccalauréat par un complément « orienté culture et médias ». « Ce crédit abordera les évolutions climatiques, les récits médiatiques, les éco-fictions… »

Chapitre 2

Dans les unifs, la transition pour (presque) tous

Les universités francophones sont à des stades différents de leur conscientisation aux questions de transition et de durabilité. Mais elles ont toutes compris qu’il faut changer de braquet.

La question de la durabilité et de la transition s’invite dans toutes les universités francophones du pays. Toutes les facultés, tous les enseignements sont invités à s’y ouvrir. Et la plupart ne se font pas prier. Depuis la rentrée 2022-2023, l’ULB propose, en deuxième année de baccalauréat, un cours transversal d’introduction « aux enjeux de durabilité », entame Charline Urbain, vice-rectrice au
développement durable. « Ce cours, donné en présentiel par deux professeurs de disciplines différentes, est accessible aux étudiants de toutes les facultés. En fonction de celles-ci, il est soit obligatoire soit optionnel. C’est unique en Fédération Wallonie-Bruxelles ». L’université soutient par ailleurs « les initiatives individuelles et collectives des facultés ou des enseignants qui veulent
introduire plus de durabilité dans leurs cours. C’est le cas des sciences techniques, exactes et naturelles, mais c’est aussi indispensable en sciences humaines ».

Les facultés restent libres d’organiser leur enseignement, « mais on les encourage à penser des contenus et des savoirs adaptés aux grands défis de la société. Nous sommes là pour montrer l’urgence, donner les moyens, créer les occasions, et pour faciliter les interactions entre chercheurs… »

Même volonté de plonger tôt dans le sujet à l’ULiège, sans doute pour la rentrée de 2024, explique Sibylle Mertens, conseillère de la rectrice à la transition : « L’ensemble des étudiants en bac – en droit, en économie, en journalisme ou en psycho – suivront un cours transversal en ligne accompagné de travaux sur la durabilité et la transition. L’approche est systémique : il s’agit de donner les clefs de compréhension des enjeux en lien avec les sciences du vivant, les inégalités sociales, les enjeux sociétaux… » Ce cours comprendra également une partie spécifique à chaque faculté et liée à sa spécialisation.

Des projets en formation

L’Université de Mons devrait suivre cette voie, témoigne Diane Thomas, vice-rectrice « aux transitions de développement durable et interactions avec la société ». Elle est fière de la création, l’an prochain, d’un master en génie de l’énergie en fac polytechnique qui s’ajoutera aux masters en « transition et innovation sociale » et au master en biologie et écologie. Mais « la sensibilisation doit venir plus tôt et toucher plus largement », juge Thomas. La réflexion est encore embryonnaire, mais l’idée serait – « pour la rentrée 2024-2025 », espère-t-elle –, un cours sous forme d’introduction générale « qui pourrait être constituée d’interventions d’enseignants abordant ces questions dans leurs thématiques ». En option ou obligatoire ? « C’est à voir », poursuit Diane Thomas. « Nous faisons actuellement le recensement des cours qui abordent ces sujets. En règle générale, même si beaucoup de collègues intègrent déjà le développement durable dans leur enseignement, il faudrait apprendre à nos enseignants à mieux intégrer cette dimension ».

A Namur comme à Bruxelles, on a lu attentivement un rapport remis aux autorités françaises préconisant de « former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans l’enseignement supérieur ». « Préparer tous les citoyens à la transition écologique, entendue comme la transformation de la société afin de rétablir la viabilité de la planète par la mise en œuvre des objectifs du développement durable, relève des missions de l’enseignement supérieur », disent ses auteurs. Cela implique « la mobilisation et l’évolution de tous les cursus, en formation initiale comme en formation continue ». Pas de cours obligatoire transversal à l’université de Namur, indique Laurent Schumacher, le vice-recteur « à la formation et au développement durable ».

Des formations complémentaires en matière de développement durable existent ou sont en projet. Et il y a une réflexion sur les programmes existants. « Mais il faut tenir compte de la liberté académique.

On creuse le sillon, en voulant convaincre par l’exemple. Par ailleurs, les étudiants interpellent le corps enseignant pour bénéficier d’une formation au goût du jour ». Dans l’intervalle, des enseignants ont ouvert leur cours à l’ensemble du public (étudiants ou pas), dans des « unités d’enseignement transversal ».

Chapitre 3

Le changement climatique dans la presse belge : transversalité et formations

Les médias belges ne sont pas inattentifs aux évolutions planétaires. Les urgences climatiques et environnementales sont lentement remontées « en haut de la pile ». Avec parfois des changements dans les structures et les pratiques.

Dans les médias français, 2022 a été l’année des chartes. Au début de l’été, un texte plaidant « pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique » secoue la profession. Signé par plusieurs rédactions et des centaines de journalistes – dont quelques Belges – il exhorte le milieu à effectuer un virage radical dans sa manière de traiter les enjeux climatiques. « Nous, journalistes, devons modifier notre façon de travailler pour intégrer pleinement cet enjeu dans le traitement de l’information », dit la charte. Elle invite à « traiter le climat, le vivant et la justice sociale de manière transversale. Ces sujets sont indissociables. L’écologie ne doit plus être cantonnée à une simple rubrique ; elle doit devenir un prisme au travers duquel considérer l’ensemble des sujets. »

Suivront d’autres documents, rédigés par des entreprises de presse ou des rédactions –Radio France, Ouest-France, Le Monde… Avec quelques engagements prononcés.

En Belgique, nulle charte. Dans Le Soir du 6 mars dernier, plusieurs académiques exhortent pourtant les médias « à mener en leur sein une réflexion radicale et globale sur la manière d’aborder les enjeux et questions relatives au climat et à la biodiversité ».

Message entendu ? Diversement. « La question d’une charte a été discutée en interne, indique Frédéric Gersdorff, directeur adjoint de l’information à la RTBF. Mais l’idée a été écartée. Nous craignions qu’être liés à une telle charte ouvre la porte à devoir faire de même avec les droits humains, les féminicides, le travail des enfants ou d’autres excellentes causes. Nous ne voulions pas nous démarquer sur un enjeu en particulier. » La chaîne publique n’a pas non plus créé de rédaction spécialisée, considérant que « l’environnement touche à toutes les spécialités – économie, politique belge, science, éducation, international… ». On a donc opté pour une approche plus transversale des sujets environnementaux.

Depuis un moment, des émissions sous de nombreux formats et styles ont vu le jour en plusieurs lieux de la grille de programmes, dont « Alors on change », présentée par Gwenaëlle Dekegeleer produite par la cellule « Impact » de la RTBF, mais aussi plus récemment des podcasts (Déclic Le Tournant, d’Arnaud Ruyssen), une page « Ensemble pour la Planète » sur le site internet, des opérations spéciales comme le prime time sur Tipik, l’an dernier, « Il n’y a pas de planète B » ou la « Yourte » , sorte « d’éco-télé-réalité » campagnarde.

Plus de transversalité

Pas de charte mais plus de transversalité, c’est aussi le mot d’ordre à La Libre Belgique, dont le rédacteur en chef Dorian de Meeûs rappelle l’existence d’un service Planète, fusionné récemment avec le service Monde. « Notre volonté est de faire remonter davantage de reportages sur le changement climatique de nos correspondants », indique-t-il. Par ailleurs, « il importe de s’assurer
que les questions environnementales ne soient pas limitées à un service mais que chaque journaliste à son niveau l’intègre dans son travail – la géostratégie, l’économie, l’industrie ou les débats ».

A la RTBF, un « pôle interrédaction », selon les mots de Gersdorff – réseaux d’échange entre journalistes intéressés – fait circuler les infos et les idées. « Ça bouge beaucoup plus qu’avant, constate Dekegeleer. Les choses évoluent, je sens une volonté. » Ici, une formation s’annonce, au profit de tous les journalistes, présentateurs ou éditeurs intéressés, proposée par la cellule Impact en collaboration avec Johanne Montay, la responsable éditoriale sciences-santé-innovation.

De formation, il en est également question à L’Echo, raconte Paul Gérard, son rédacteur en chef. Le quotidien a déjà proposé trois modules de formation de trois jours à 24 de ses journalistes. « Nous devions travailler cette question-là, dit-il. Les enjeux climatiques et leurs impacts, ce ne sont pas des sujets qui font partie intégrante de la formation des journalistes, même des jeunes.

Nous ne sommes clairement pas assez équipés. Certains travaillent sur la matière, d’autres sont plus sensibilisés pour
des raisons personnelles. » Insuffisant, pour le patron du quotidien économique et financier : « Le sujet est devenu incontournable et doit traverser toutes nos pages, toutes les rubriques. Pour cela, il est nécessaire d’être mieux outillés. » Les journalistes ayant participé aux formations sont revenus « très enthousiastes », affirme Gérard. Qui songe à étendre la formation à l’ensemble des
journalistes et annonce, pour la suite, « un travail d’intelligence collective : une charte maison ? Des nouvelles rubriques ? D’autres pratiques qui n’existent pas encore ? C’est à discuter… »

A des degrés divers et avec des moyens parfois limités, ça bouge dans la presse belge. Et les nouvelles sont contrastées : la formation continue sur « la couverture du réchauffement climatique » proposée par l’Association des journalistes professionnels pour octobre prochain n’a séduit qu’une poignée de journalistes. La question de son maintien est posée.

Entretien

Pourquoi « Le Soir » crée un pôle Planète

Comment donner une meilleure place aux questions climatiques, environnementales et aux enjeux de la transition, alors que les médias sont tantôt perçus comme trop peu présents, tantôt trop catastrophistes ?
Christophe Berti, rédacteur en chef du «Soir», explique le positionnement de la rédaction.

Alors que la crise climatique s’accélère, comment Le Soir s’organise-t-il pour mieux répondre aux enjeux de la transition ?

Christophe Berti : Après la crise du covid, la rédaction s’est interrogée sur ses pratiques et sur la bonne façon de traiter les thématiques qui traversaient nos sociétés. On s’est rendu compte que des sujets comme le covid, mais aussi la guerre en Ukraine ou la crise climatique, devaient être traités de manière plus transversale. Si on regarde ces thématiques avec un seul spectre (uniquement comme un sujet santé, politique, économique…), on passe à côté d’une partie de l’information.

Après un travail collectif, qui a impliqué l’ensemble de la rédaction, on a décidé de transformer nos services en pôles, pour partir des contenus, en se demandant : « Qui peut apporter de la valeur ajoutée sur ces sujets », peu importe sa place dans la rédaction.

Ça, c’est fondamental, c’est le vrai changement de cette réforme.

Cette réforme a-t-elle permis de donner une meilleure place aux questions environnementales ?

Nous n’avons pas attendu cette transformation pour traiter des sujets liés au changement climatique, bien évidemment, mais dans la réflexion commune, cette thématique a émergé naturellement et s’est imposée dans notre nouvelle organisation. Il nous semblait dès lors important de dégager des moyens adéquats : nous avons donc créé un pôle Planète avec sept journalistes qui vont travailler ensemble sur ces matières. L’environnement, la mobilité ou l’énergie vont être traitées de manière globale, pas uniquement d’un point de vue économie ou politique…

Les sujets liés à la crise climatique seront donc traités par le pôle Planète

Mais pas seulement : il ne faut pas réserver la question climatique aux journalistes Planète mais que celles et ceux qui suivent la politique, l’économie, le sport ou la culture soient aussi concernés et impliqués dans ces thématiques. Au-delà du pôle Planète, ce qu’on a mis en place à la rédaction, c’est un travail de transversalité entre les pôles.

C’est une manière de répondre aux lecteurs qui estiment que Le Soir n’en fait pas assez ?

C’est avant tout la rédaction au Soir qui décide de ce qu’elle fait. On ne fait pas ça pour répondre à des critiques ou pour faire du marketing. L’urgence climatique s’est imposée dans notre traitement de l’actualité. Nous avons une responsabilité journalistique et sociale de davantage nous intéresser à ces matières et de les traiter avec déontologie. Si certains pensent qu’on en fait trop ou d’autres pas assez, c’est sans doute bon signe…

En France, plusieurs médias ont publié une charte pour encadrer leurs pratiques. Y a-t-il une démarche similaire au Soir ?

Je pense que le premier travail qu’on doit faire, c’est d’améliorer notre expertise sur le fond. Après, on jugera, au Soir, si on a besoin de fixer des règles au sein de la rédaction, de l’entreprise ou d’une charte pour faire encore mieux notre travail d’information.



Intelligences artificielles, valeur ajoutée, impôts et sécurité sociale

Les EMMERDEMENTS COMMENCENT…

Publié le 25 mars 2023 sur LinKedIn par

Bruno Colmant

J’ai acquis une conviction : les intelligences artificielles vont transformer tout et partout.

Cela veut dire que la valeur ajoutée de nombreux métiers va (très) brutalement se modifier. Certains vont l’accroître, d’autres, plus nombreux, vont la perdre.

Cela veut dire qu’à isopérimètre social, une partie importante des travailleurs à faible/moyenne valeur ajoutée dans l’économie des services vont voir leur métier ou sa rémunération être altéré. Mais ce n’est pas tout : certains diplômes et formations de très haut vol vont être dissous.

En vérité, tout se passe comme si une partie de la productivité était aspirée par les intelligences artificielles, qui ne génèrent, à ce stade, aucun salaire et ne payent pas d’impôt ni de cotisation sociale.

Cela pourrait profondément bouleverser les finances publiques et les recettes de la sécurité sociale qui sont essentiellement fondées sur un prélèvement sur le travail.

Donc les ennuis vont commencer.

Car quelle sera la base élargie de l’impôt et des cotisations sur le travail ? Peut-être l’impôt des sociétés… sauf que les fondateurs de cette intelligence artificielle sont hors de portée de nos souverainetés et qu’ils argumenteront qu’ils apportent de la valeur ajoutée à ceux qui sauront s’en emparer pour augmenter les gains de productivité. Ce ne sera pas le cas de tous les pays, à commencer pas ceux qui n’ont pas compris l’envergure du bouleversement sociétal.

Ceci n’est pas sans faire écho à l’économiste suisse Jean de Sismondi (1773-1842), qui théorisa ce basculement vers la mécanisation en argumentant qu’il profitait au patronat. Selon sa vision, la machine est un moyen privilégié d’accumulation de capital parce qu’elle n’a pas besoin de salaire. Il suggéra l’idée que tout individu remplacé par une machine reçoive à vie une rente perçue sur la richesse entraînée par la mécanisation de son emploi. En d’autres termes, le propriétaire ou le gestionnaire du processus devrait s’acquitter d’un impôt correspondant à une partie des gains de productivité qu’il soustrait à la sphère marchande collective.

Il faut impérativement réfléchir à tout ceci.

voir les références Bruno Colmant

Listing références intelligence artificielle


Climat, fin de partie ?

Cédric Chevalier

Reprise de l’article « Dire la vérité aux gens sur les risques existentiels qui pèsent sur l’humanité » paru sur le blog de Paul Jorion.

Nous voudrions vous relayer cet article paru dans PNAS, une prestigieuse revue scientifique américaine, ce 1er août 2022 : https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2108146119

Sa liste de coauteurs ne laissera pas indifférents ceux qui suivent l’actualité climatique :
Luke Kemp, Joanna Depledge, Kristie L. Ebi, Goodwin Gibbins, Timothy A. Kohler, Johan Rockström, Marten Scheffer, Hans Joachim Schellnhuber, Will Steffen, Timothy M. Lenton.

Présentation de l’article :

Une gestion prudente des risques exige la prise en compte de scénarios allant du moins bon au pire. Or, dans le cas du changement climatique, ces futurs potentiels sont mal connus. Le changement climatique anthropique pourrait-il entraîner l’effondrement de la société mondiale, voire l’extinction de l’humanité ? À l’heure actuelle, il s’agit d’un sujet dangereusement sous-exploré.

Pourtant, il existe de nombreuses raisons de penser que le changement climatique pourrait entraîner une catastrophe mondiale. L’analyse des mécanismes à l’origine de ces conséquences extrêmes pourrait contribuer à galvaniser l’action, à améliorer la résilience et à informer les politiques, y compris les réponses d’urgence.

Nous exposons les connaissances actuelles sur la probabilité d’un changement climatique extrême, expliquons pourquoi il est vital de comprendre les cas les plus défavorables, exposons les raisons de s’inquiéter des résultats catastrophiques, définissons les termes clés et proposons un programme de recherche.

Le programme proposé couvre quatre questions principales :

1) Quel est le potentiel du changement climatique à provoquer des événements d’extinction massive ?
2) Quels sont les mécanismes qui pourraient entraîner une mortalité et une morbidité massives chez l’homme ?
3) Quelles sont les vulnérabilités des sociétés humaines aux cascades de risques déclenchées par le climat, comme les conflits, l’instabilité politique et les risques financiers systémiques ?
4) Comment ces multiples éléments de preuve – ainsi que d’autres dangers mondiaux – peuvent-ils être utilement synthétisés dans une « évaluation intégrée des catastrophes » ?

Il est temps pour la communauté scientifique de relever le défi d’une meilleure compréhension du changement climatique catastrophique.

Commentaires Cédric Chevalier

Il semble impératif de prendre conscience de la situation d’urgence écologique absolue, de la reconnaître publiquement et surtout de gouverner la société en conséquence. Cela nécessite d’inclure les risques existentiels parmi les scénarios pris en compte. Nous le martelons depuis notre carte blanche collective du 6 septembre 2018 et la pétition de 40.000 signatures qui a suivi, remise à la Chambre de la Belgique. Les scénarios « catastrophes » ne sont pas des « excentricités douteuses » auxquelles les décideurs et scientifiques sérieux ne devraient pas attacher d’importance mais, au contraire, le point de départ, la pierre de touche, à partir duquel on peut seulement paramétrer ses efforts politiques et scientifiques. Dans l’histoire de la Terre, il y a déjà eu des changements d’ampleur « catastrophique », et il peut encore s’en produire, au détriment de certaines espèces, dont la nôtre. Et il ne peut y avoir de politique que lorsque l’existence de la communauté humaine est préservée.

L’éventuelle faible probabilité (sous-estimée peut-être à tort) de certains de ces scénarios (probabilité qui augmente à mesure que dure l’inertie, étant donnée l’existence des effets de seuil), n’est jamais une excuse pour ne pas les traiter. A partir du moment où ces scénarios impliquent la perte d’un grand nombre de vies et d’autres éléments d’importance existentielle, même pour une probabilité infime, ils doivent être pris en compte. Quand le risque sur l’espèce humaine toute entière ne peut être écarté, on fait face à la catégorie la plus élevée des risques existentiels.

Cet article invite donc à se demander si une partie de la communauté scientifique, avec sa culture de prudence et de modération adoptée par crainte de perdre sa crédibilité, n’a pas produit une pensée, un langage, des travaux et une priorisation de la recherche qui nous ont rendu collectivement aveugles sur la réalité effective des risques existentiels.

« Pourquoi se concentrer sur un réchauffement inférieur et des analyses de risque simples ? L’une des raisons est le point de référence des objectifs internationaux : l’objectif de l’accord de Paris de limiter le réchauffement bien en dessous de 2 °C, avec une aspiration à 1,5 °C. Une autre raison est la culture de la science climatique qui consiste à « pécher par excès de prudence », à ne pas être alarmiste, ce qui peut être aggravé par les processus de consensus du GIEC. Les évaluations complexes des risques, bien que plus réalistes, sont également plus difficiles à réaliser.
Cette prudence est compréhensible, mais elle n’est pas adaptée aux risques et aux dommages potentiels posés par le changement climatique. Nous savons que l’augmentation de la température a des « queues de distribution de probabilités épaisses » : des résultats extrêmes à faible probabilité et à fort impact. Les dommages causés par le changement climatique seront probablement non linéaires et entraîneront une queue de distribution de probabilité encore plus épaisse. Les enjeux sont trop importants pour s’abstenir d’examiner des scénarios à fort impact et à faible probabilité. »

Préférant se situer, par ethos scientifique, en deçà du risque probable, alors que l’éthique intellectuelle préconisait de se situer au-delà du risque probable, au niveau du risque maximal. La modération est au cœur de l’ethos scientifique, mais l’éthique des risques existentiels exige une forme d’exagération vertueuse, comme méthode de gouvernement. Le scientifique doit rester modéré, mais l’intellectuel qui sommeille en lui doit sans aucun doute hurler l’urgence, sans attendre d’en avoir toutes les preuves. Et surtout, le politique doit gouverner en ayant le scénario du pire à l’esprit, en permanence.

C’était le message, malheureusement mal compris, du philosophe Hans Jonas dans son ouvrage majeur, « Le Principe Responsabilité », de considérer que la femme ou l’homme d’État devait gouverner selon une « heuristique de la peur », en considérant les plus grands risques existentiels. Avec pour maxime « d’agir de telle façon que nos actions soient compatibles avec la permanence d’une vie authentique sur la Terre ». Le philosophe Jean-Pierre Dupuy a complété cette réflexion par le « catastrophisme éclairé », nous invitant à considérer que « le pire est certain », à un iota près, ce qui justement permet d’agir collectivement pour l’éviter.

Ce Principe Responsabilité, contrairement aux critiques, n’a jamais été un principe irréaliste et paralysant, mais au contraire, un principe raisonnable et d’action. On peut même penser qu’il est le fondement de la relation de responsabilité qui existe entre un parent et un enfant, et entre un politicien et les citoyens.

On comprend que s’il avait été mis effectivement en œuvre, jamais l’humanité n’aurait libéré dans la biosphère autant de substances polluantes, en ce compris les gaz à effet de serre, à partir du moment où l’impact catastrophique potentiel fut jugé plausible. C’était il y a environ 50 ans déjà selon certaines archives déclassifiées de la présidence américaine de Jimmy Carter, notamment, où les mots « the Possibility of Catastrophic Climate Change » figurent.

C’est en partie ce qui autorise le philosophe Stephen Gardiner de parler d’une « perfect moral storm », et de corruption morale, lorsqu’on ne tire pas les conséquences de ce que l’on sait, car on ne veut pas le croire, en s’abritant derrière la « complexité du problème » :

« En conclusion, la présence du problème de la corruption morale révèle un autre sens dans lequel le changement climatique peut être une tempête morale parfaite. C’est que sa complexité peut s’avérer parfaitement commode pour nous, la génération actuelle, et en fait pour chaque génération qui nous succède. D’une part, elle fournit à chaque génération la justification qui lui permet de donner l’impression de prendre le problème au sérieux – en négociant des accords mondiaux timides et sans substance, par exemple, puis en les présentant comme de grandes réalisations – alors qu’en réalité, elle ne fait qu’exploiter sa position temporelle. Par ailleurs, tout cela peut se produire sans que la génération qui exploite n’ait à reconnaître que c’est elle qui le fait. En évitant un comportement trop ouvertement égoïste, une génération antérieure peut profiter de l’avenir en évitant de devoir l’admettre – que ce soit aux autres ou, ce qui est peut-être plus important, à elle-même. »

La critique adressée aux scientifiques du climat s’étend donc à l’entièreté des forces qui œuvrent pour défendre l’habitabilité de notre biosphère pour tous les êtres vivants. La modération et le refus d’évoquer publiquement les scénarios du pire dans le chef des activistes, des associations, des syndicats, des entreprises, des pouvoirs publics, des partis et des mandataires politiques est contraire au respect du Principe Responsabilité. A force de ne pas vouloir évoquer le pire, de ne pas vouloir « faire peur », il est impossible pour la population de comprendre l’enjeu existentiel, et on ne peut pas s’étonner ensuite que l’inertie demeure.

N’y a-t-il pas une forme de faillite morale, pour certains, à refuser de parler ouvertement, publiquement, de manière concrète, de la possibilité de ces scénarios catastrophiques ?

L’article fait cette analogie historique :

« Connaître les pires cas peut inciter à l’action, comme l’idée de « l’hiver nucléaire » en 1983 a galvanisé l’inquiétude du public et les efforts de désarmement nucléaire. L’exploration des risques graves et des scénarios de températures plus élevées pourrait cimenter un réengagement en faveur de la barrière de sécurité de 1,5 °C à 2 °C comme l’option « la moins rébarbative » ».


Transnistrie ?

Source : transcription d’une question / réponse parue dans Le Monde (ici)


Bonjour et merci pour votre travail. Je tente ma question, bien que je ne sois pas abonné. Pouvez-vous nous donner les dimensions de la Transnistrie ? Vous présentez des cartes, vous nous dites que la population est de 500 000 habitants, c’est très bien, mais on ne voit qu’une mince bande coincée entre la Moldavie et l’Ukraine sans pouvoir estimer sa longueur et sa largeur, et donc le danger que ce territoire peut représenter pour cette dernière. Quant à la Moldavie, ils ont adopté le Roumain comme langue officielle, il y a longtemps un Roumain nous avait dit que la Moldavie était rattachée à la Roumanie avant-guerre (WW II) puis avait été annexée par Staline, mais les Moldaves n’ont-ils donc jamais demandé le rattachement à la Roumanie depuis l’éclatement de l’URSS ? Merci pour votre bienveillance envers un pauvre petit vieux non-abonné.

Transnistrie sur wikipedia (ici)


Bonjour,

Large de 45 kilomètres et longue de 450 kilomètres de long, la Transnistrie couvre un territoire d’un peu plus de 4 100 kilomètres carrés entre le fleuve Dniestr, à l’ouest, et la frontière ukrainienne, à l’est.

Pour comprendre les logiques géopolitiques à l’œuvre entre Moldavie et Transnistrie, il faut remonter avant 1992, date à laquelle la Transnistrie a fait sécession. Les frontières de l’actuelle Moldavie sont issues de la chute de l’URSS, en 1991, année où le pays a acquis son indépendance, en même temps que la plupart des autres anciennes Républiques socialistes soviétiques, dont l’Ukraine. Dans les siècles qui ont précédé, ce territoire a cependant été écartelé entre plusieurs puissances, dont les mémoires portent encore la trace.

La principauté de Moldavie, dont la population était roumanophone, existe depuis le milieu du XIVe siècle. Après avoir été vassale de l’Empire ottoman aux XVIe et XVIIe siècles, elle a été divisée en deux en 1812, lorsque l’Empire russe en a conquis la partie orientale, baptisée la Bessarabie. Les frontières de ce territoire sont proches de celle de l’actuelle Moldavie, sans la Transnistrie. Après la première guerre mondiale, la Bessarabie rejoint le royaume roumain, tandis que le territoire correspondant à la Transnistrie reste au sein de ce qui devient l’URSS. Cette dernière crée en 1924 une République autonome soviétique socialiste moldave (RASSM), qui inclut le territoire transnitrien et s’étend à l’est, dans une partie de l’actuelle Ukraine.

Il s’agissait d’une « entité modèle destinée à attirer les populations de Moldavie roumaine et des travailleurs venus de toute l’Union soviétique autour d’une nouvelle capitale, Tiraspol, et d’un projet de modernisation et d’industrialisation », selon Catherine Durandin, historienne spécialiste de la Roumanie, professeure émérite à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Une situation créant, de fait, une fracture entre un espace « moldave roumain sous contrôle de Bucarest » et la « RASSM soviétisée ».

Entre 1940 et 1944, la Bessarabie est tour à tour sous occupation soviétique, puis à nouveau intégrée à la Roumanie alliée d’Hitler, avant d’être fusionnée avec la RASSM pour devenir une république socialiste soviétique jusqu’en 1991, date de son indépendance. Si un élan proroumain a bien existé à cette période, le courant unioniste est aujourd’hui minoritaire, selon Catherine Durandin, et il n’a plus été question, pour la Moldavie, de s’unir à la Roumanie.

INFOGRAPHIE LE MONDE

Une intéressante aventure documentaire

Publiée sur Facebook, voici l’histoire de l’entrée en « documentation écologique » de Louis Schmidt.

Mise en contexte – Mon entrée dans l’écologie

Louis Schmidt

Juillet 2019. Je commence à peine ma première expérience professionnelle. Un soir, je tombe sur une vidéo d’un certain Jean-Marc Jancovici que je vois de plus en plus dans mon fil LinkedIn. C’est la première vidéo de son cours des Mines (le fameux, disponible ici). Je prends une claque. Sensibilisé à l’écologie sans m’y être intéressé de près, je comprends que je n’y comprends absolument rien. Que je n’ai pas forcément les bonnes clés de compréhension du problème.

Commence alors pour moi une odyssée passionnante à la découverte de l’écologie, sous toutes ses formes. J’y entre par le biais du climat et de l’énergie (Janco oblige…) mais je comprends rapidement que le problème – certes j’en avais entendu parlé, mais pas compris intimement – est bien plus large : biodiversité, pollutions, déchets, surpêche, plastique, finitude des ressources etc. J’en passe, et je ne parle même pas des problèmes sociaux et (géo)politiques qui vont avec, qui sont bien entendu clés pour comprendre et traiter ces enjeux.

Ce moment a marqué une vraie révolution intérieure, avec ses moments de doute, de remise en question, de colère. Des discussions houleuses avec ma famille, mes amis. Une perte de sens dans mon stage.

Qu’à cela ne tienne, le sujet me passionne et me motive tellement que je me mets à le travailler et à y réfléchir sur mon temps libre. Rapidement, j’essaye de travailler de manière structurée (merci la prépa): je prends des notes, j’enregistre ce que je lis au fur et à mesure (grâce aux fonctionnalités de LinkedIn et Facebook notamment). Alors je fais ça pendant 1 an et demis. Cela nous amène en janvier 2021.

Un petit saut dans le temps – Ma bibliothèque perso

Janvier 2021 donc. Je sors de 18 mois consécutifs de stage et j’entame 8 mois de pause, de « césure personnelle », d’année sabbatique, avant de reprendre les cours en septembre. C’est le moment où je me mets vraiment à structurer mon travail. Tous les articles que j’ai effectivement lus ou pas encore mais enregistrés comme potentiellement intéressants (l’immense majorité, malheureusement, tombe dans cette seconde catégorie…), je les rassemble, les classes, les catégorises à l’aide d’un classeur Airtable (sorte d’Excel plus ludique). Cela me prend du temps, mais je me dis que ça me servira pour la suite.

Et voilà que je me retrouve avec une bibliothèque d’environ 300 contenus (articles, vidéos, podcasts, rapports etc.) qui va me servir pour la suite, pour chercher des infos, me renseigner sur des sujets que je ne maîtrise pas encore (l’agriculture par exemple) ou creuser ceux que je maîtrise mieux (l’énergie, et oui, c’est par là que j’ai fait ma « conversion »).

Alors oui, ça fait beaucoup. Ca fait même un peu boulimique de l’information, je vous l’accorde. Mais l’idée n’est pas tant de tout lire (chose impossible pour n’importe qui de normalement constitué ou qui fait autre chose de sa vie que de lire), que d’avoir à disposition ces ressources, pour le jour où j’en aurai envie, le temps, le besoin.

En parallèle je lis des bouquins, suis des MOOCs, regarde toutes les vidéos du génial Reveilleur (allez-y c’est une perle de pédagogie)… Et comme je fais pas tout ça que pour moi, je mets à jour mon compte LinkedIn avec ce que j’ai fait pendant ces quelques mois.

La bibliothèque de la transition…

Au fil des mois, j’en parle avec des amis, qui me disent (certains) être intéressé par l’idée et m’en demandent l’accès. Avec plaisir ! Si je peux sensibiliser, tant mieux ! Alors je le fais.

Quelques temps plus tard, je reçois un message me demandant conseil pour se lancer (à fond) dans l’écologie. Alors j’explique rapidement ce que j’ai fait, les bouquins, la bibliothèque, les fiches… Et là, surprise : la personne me demande l’accès à la bibliothèque.

Au début je suis un peu récalcitrant. Ca m’a quand même demandé des heures et des heures de veille, de classification, d’assemblage, cette bibliothèque. Alors je trouvais ça un peu osé de me demander le fruit de mon travail, mon petit bébé, sans me connaître. Puis j’ai réfléchis 2 secondes – un poil plus mais pas beaucoup je vous jure car cela tombait sous le sens en fait – si je fais tout ça, c’est pour partager passion de l’écologie et pour sensibiliser (j’étais aussi devenu animateur de la fresque du climat en parallèle). Alors qu’à cela ne tienne, – oui, ça fait bien deux fois que j’utilise cette expression dans ce court article – je décide de partager ma bibliothèque via un post LinkedIn. Il a son petit succès : plus d’une centaine de personne la consultent.

Alors il y a quelques temps, j’ai décidé d’améliorer cette bibliothèque : autant d’un point de vue des contenus disponibles, que de la quantité disponible. Vous pouvez désormais y trouver les contenus référencés par thèmes, mais aussi par média : Articles, rapports, podcast, newsletters, livres, sources d’informations… Je vous laisse aller observer et j’espère que c’est réussi – ça m’a pris pas mal de temps je l’avoue…

Et je me suis dit qu’il serait bon d’en faire un outil collaboratif.

… un projet collaboratif

J’y ajoute même un guide d’utilisation (1re table) et je me dis : je suis certainement pas le seul à faire ce genre de choses, suivre l’actualité, regarder des rapports, des vidéos, chercher des podcasts… Alors pourquoi pas proposer aux autres de contribuer à cette bibliothèque ? Et bah allons-y !

Vous pouvez maintenant le faire (ici) via un questionnaire ; je me chargerai de trier les contributions si besoin et si un jour la charge devient trop grosse, je solliciterai peut-être votre aide !

Voilà, c’est tout pour moi, j’espère que cet article vous aura plus et que cette bibliothèque vous (nous) sera utile et n’hésitez pas à me contacter si vous avez la moindre question !


Pour accéder à la bibliothèque développée par Louis, cliquez ICI .
Pour retrouver Louis sur LinkedIn, cliquez ICI.


Climat : Scoop

Pablo Servigne

16 08 2021 – post FaceBook

Le résumé aux décideurs du troisième volet du rapport du GIEC (groupe III) a fuité cette semaine ! (Vous savez que le premier volet est paru il y a une semaine, l’info a été massive)

Le troisième volet ( = les moyens de réduire l’influence humaine sur le climat) était en relecture et de devait pas sortir avant mars 2022, mais certains scientifiques/rédacteurs l’ont fait fuiter car ils craignaient que le rapport soit édulcoré au fil des mois par les gouvernements. Comme ça, on saura exactement ce qu’ils retoucheront…

C’est un journal espagnol, CTXT, qui a relayé l’info.

https://ctxt.es/es/20210801/Politica/36900/IPCC-cambio-climatico-colapso-medioambiental-decrecimiento.htm

Puis le Guardian :

https://www.theguardian.com/environment/2021/aug/12/greenhouse-gas-emissions-must-peak-within-4-years-says-leaked-un-report

Avant d’aller plus loin, plusieurs points intéressants sur cette fuite :

  • Cela explique comment fonctionne le GIEC, qu’il existe plusieurs groupes, etc.
  • Cela montre que la communauté scientifique est nerveuse et veut crier plus fort. Et qu’ils ne veulent pas que les gouvernements retouchent le rapport.
  • Cela chauffe l’ambiance pré-COP-26 à Glasgow et les actions possibles des mouvements…

L’info est parue dans plusieurs pays : Japon, GB, Chine, Brésil, Turquie, Allemagne, Algérie, Algérie… Elle devrait bientôt se répandre en France. En attendant, voici la traduction de l’article de CTXT, suivi de celle du Guardian :


CTXT

Le GIEC considère la décroissance comme la clé de l’atténuation du changement climatique

Une autre partie du rapport le plus important du monde a été divulguée.

Le 23 juin, quelque chose de très inhabituel s’est produit. L’AFP (Agence France Presse) a divulgué une partie du contenu du résumé du Groupe II du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) à l’intention des responsables politiques – l’organe chargé d’analyser les impacts du changement climatique. La nouvelle a fait le tour du monde, et le titre le plus répété – tiré du rapport lui-même – était le suivant : « La vie sur Terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en développant de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes. L’humanité ne le peut pas. L’anomalie s’est répétée avant le cap des deux mois. Une autre brèche dans le GIEC, autrefois hermétique, une autre fuite.

CTXT a eu accès au contenu d’une autre partie du sixième rapport du GIEC, l’organe dans lequel des scientifiques du monde entier, issus de différents domaines de connaissance, collaborent volontairement et pour le prestige, dans l’un des efforts de coopération internationale les plus porteurs d’espoir qui soient. Au GIEC, ils cherchent à élaborer une série de rapports qui, en fin de compte tous les 5 ou 6 ans, mettent à jour les connaissances sur le défi le plus important auquel nous sommes confrontés, à la fois bilatéral et imbriqué : s’adapter au chaos climatique que nous avons déjà généré, et comment évoluer vers une économie et un modèle énergétique qui peuvent durer dans le temps. Ses efforts sont répartis en trois groupes pour produire des rapports interdépendants : Science (groupe I), Impacts (groupe II) et Atténuation (groupe III). Des rapports d’avancement spécifiques sont également publiés au cours de cette période.

Le contenu des résumés est filtré pour les politiciens, afin d’éviter que le rapport ne soit fortement édulcoré au cours du processus.

L’explication de ces fuites est claire : de nombreuses personnes au sein même du GIEC sont très préoccupées par la situation d’urgence actuelle, par la tiédeur de certaines des conclusions des rapports successifs, et aussi par la difficulté évidente de traduire les mesures proposées en politique. Le GIEC fonctionne depuis 1990, et depuis cette date jusqu’à aujourd’hui, il n’y a rien eu d’autre qu’une augmentation très nette des émissions et des effets secondaires négatifs, même si cela est la responsabilité de l’inertie économique, sociale et politique. C’est pourquoi le contenu des résumés est communiqué aux responsables politiques, afin d’éviter que le rapport ne soit trop édulcoré au cours du processus et d’attirer l’attention sur lui dans une décennie où tout est en jeu.

Quelle est la situation actuelle ? En bref : des records de température extraordinaires sont enregistrés un peu partout, comme au Canada il y a un mois, où le précédent record a été battu trois jours de suite pour atteindre cinq degrés Celsius supplémentaires d’un coup, tout près de 50 degrés Celsius. Nous assistons également à des inondations incroyables, comme celles qui ont frappé l’Allemagne, la Belgique ou la Chine, avec des centaines de disparus et de morts, et bien sûr d’énormes dégâts économiques, ainsi qu’à des incendies gigantesques dans une grande partie du monde. Ces derniers jours, la Grèce et la Turquie ont été les perdants de la loterie climatique. Une loterie dans laquelle tous les pays ont plusieurs numéros et il n’y aura pas de gagnant.

Les présentations étant faites, passons au rapport. Dans le cas présent, la fuite concerne la première version du résumé du groupe III destiné aux décideurs politiques, ceux qui sont chargés d’analyser la manière de réduire les émissions, d’atténuer et de limiter les impacts. Voici quelques-unes des principales conclusions du projet de rapport, dont le contenu définitif sera publié en mars 2022 :

– « Les émissions de CO2 devraient atteindre un pic avant 2025 et un niveau net nul entre 2050 et 2075 ». Cela implique une plus grande ambition à court et moyen terme, et une accélération de l’action et de la mise en œuvre effective, qui se heurte à des obstacles politiques, économiques et sociaux. Ce qui peut être plus efficace économiquement peut être politiquement irréalisable ou éthiquement inacceptable. Et c’est là un point essentiel, les changements doivent tenir compte des inégalités pour être acceptés (voir le cas des gilets jaunes).

– « Aucune nouvelle centrale au charbon ou au gaz ne devrait être construite, et les centrales existantes devraient réduire leur durée de vie », qui est généralement de plus de 30 ans, à environ 10 ans.

– Il est reconnu qu’un certain degré de capture et de séquestration du carbone et d’élimination du carbone (CDR-CCS-BECCS) est nécessaire pour atteindre des émissions nettes nulles. Ces technologies sont loin d’être au point et représentent un nouveau coup de pouce dans la croyance que l’évolution technologique viendra toujours à la rescousse. Cela contredit complètement l’un des principes de base de la science : le principe de précaution. En outre, certaines recherches mettent en doute la capacité du sol à stocker autant de carbone. Encore plus sur une planète qui se réchauffe.

– Le changement technologique mis en œuvre jusqu’à présent au niveau mondial n’est pas suffisant pour atteindre les objectifs en matière de climat et de développement. Depuis 2010, le coût des technologies renouvelables a baissé au-delà des attentes (notamment le solaire -87%, et les batteries -85%), mais au total, le solaire et l’éolien représentent 7% de la fourniture d’électricité. » Les progrès escomptés dans d’autres technologies, telles que le captage et la séquestration du carbone, l’énergie nucléaire et l’élimination du dioxyde de carbone, ont été beaucoup moins encourageants.

-La croissance de la consommation d’énergie et de matériaux est la principale cause de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES). Le léger découplage observé entre la croissance et la consommation d’énergie [et largement dû à la délocalisation de la production] n’a pas permis de compenser l’effet de la croissance économique et démographique ». Cela montre que les développements technologiques qui permettent d’améliorer l’efficacité et de passer à des sources d’énergie à faibles émissions ne sont pas suffisants. Par conséquent, une transition très massive de la consommation de matériaux à l’échelle mondiale pourrait même, temporairement, entraîner un pic des émissions.

On espère pouvoir passer des véhicules légers à combustion aux véhicules électriques, tandis que pour les machines lourdes, il est admis que la technologie appropriée n’existe pas encore (d’où l’engagement discutable en faveur de l’hydrogène) et que des recherches supplémentaires sont nécessaires. Le risque d’épuisement des matériaux critiques des batteries est explicitement mentionné, mais tout repose sur le recyclage des matériaux.

La température moyenne de la Terre est d’environ 15 degrés Celsius. L’augmenter de deux degrés seulement reviendrait à augmenter un corps humain de près de cinq degrés.

Le réchauffement planétaire associé aux différents scénarios d’émissions publiés va de moins de 1,5°C à plus de 5°C d’ici 2100 par rapport aux niveaux préindustriels. Les scénarios de référence sans nouvelles politiques climatiques conduisent à un réchauffement moyen de la planète compris entre 3,3 et 5,4ºC. La température moyenne de la Terre est d’environ 15 degrés Celsius. L’augmenter de deux degrés seulement reviendrait à augmenter un corps humain de près de cinq degrés. Cette comparaison permet peut-être de comprendre pourquoi les fameux deux degrés suscitent tant d’inquiétude. La stabilité du climat serait impossible et le risque pour la vie serait énorme. Le problème est que la trajectoire actuelle va non seulement dépasser ces deux degrés, mais aussi déclencher encore davantage les redoutables mécanismes de rétroaction qui, si les freins d’urgence du système ne sont pas actionnés sans délai, nous conduiront à un changement climatique déjà absolument hors de contrôle. Malgré cela, nous ne devons pas être paralysés, il existe des possibilités d’éviter les pires scénarios, mais nous devons agir de manière coordonnée. Déjà.

-Il n’est pas incompatible de lutter contre la pauvreté énergétique et le changement climatique. En effet, les plus gros émetteurs sont les plus riches : les 10% les plus riches émettent dix fois plus que les 10% les plus pauvres. Ainsi, l’augmentation de la consommation des plus pauvres à des niveaux de subsistance de base n’augmenterait pas beaucoup les émissions ».

Il souligne également l’expansion de certaines activités économiques à forte intensité d’émissions, par exemple « l’aviation qui augmente de 28,5 % entre 2010 et 2020 ». Malgré cela, à ce stade, le gouvernement espagnol est heureux de donner des millions pour l’agrandissement des aéroports de Barajas et d’El Prat. Si l’on suit les rapports successifs qui seront publiés par le GIEC dans les prochains mois, ces projets devraient être considérés comme l’absurdité absolue qu’ils sont, sauf pour ceux qui en profitent. Éviter ces extensions serait un bon tournant positif, qui pourrait signifier un changement de dynamique.

-Reconnaissance du fait qu’il existe un problème non résolu avec les plastiques.

-L’acceptation implicite que les scénarios d’atténuation impliquent des pertes de PIB. Fondamentalement, elle accepte ce que l’Agence européenne pour l’environnement a elle-même déclaré : la préservation de l’environnement n’est pas compatible avec la croissance économique. En fait, le rapport note : « Dans les scénarios où la demande d’énergie est réduite, les défis de l’atténuation sont considérablement réduits, avec une moindre dépendance à l’égard de l’élimination du CO2 (CDR), une moindre pression sur les terres et des prix du carbone plus bas. Ces scénarios n’impliquent pas une diminution du bien-être, mais la fourniture de meilleurs services. » Il s’agit littéralement d’un scénario d’adaptation à la décroissance.

En ce qui concerne les mesures et les étapes à franchir, le rapport souligne qu’il n’existe pas de mécanisme politique ou de système de gouvernance unique qui puisse à lui seul accélérer la transition nécessaire. Une combinaison de ces éléments sera nécessaire, qui sera différente dans chaque contexte.

Parmi les exemples de mécanismes, citons la législation, qui peut inciter à l’atténuation en fournissant des signaux clairs aux différents acteurs, par la fixation d’objectifs, ou la création d’institutions et de mécanismes de marché, comme la fixation d’un prix pour le carbone, pour autant que la justice sociale soit prise en compte. D’autres facteurs qui peuvent aider seraient les mouvements sociaux climatiques – le GIEC reconnaît le travail des grèves climatiques – qui contribuent à la montée d’un autre facteur clé : un pourcentage élevé de personnes engagées. Il est également souligné que les mesures permettant d’obtenir des réductions doivent être des changements de comportement social : moins de transports, délocalisation du travail, régimes alimentaires plus végétariens, etc.

Et voici l’une des clés, il n’y a aucune mention claire du changement radical indispensable d’un système économique dont le fonctionnement pervers d’accumulation et de reproduction du capital à perpétuité nous a amenés au point critique actuel. Un point où il est déjà difficile de cacher l’évidence qu’un autre point, le point de non-retour, est, pour le moins, très proche. Comme cela s’est déjà produit pour l’Amazonie, qui émet plus de carbone qu’elle n’en absorbe, ou pour le Groenland, qui a battu des records de température et de déversement d’eau fraîche et froide dans l’océan, augmentant ainsi le risque de ralentissement et d’effondrement du courant thermohalin, la courroie de transmission essentielle à la stabilité de notre système climatique. Son effondrement aurait des conséquences incalculables.

Si les freins d’urgence du système n’étaient pas actionnés sans délai, nous nous dirigerions vers un changement climatique qui s’est déjà emballé.

C’est là que l’on peut entrevoir le petit/grand défaut de l’organisme, qui par définition semble difficile à résoudre et qui fera que ces fuites continueront à se produire : le GIEC fonctionne en recherchant un large consensus, ce qui rend difficile la prise en compte des positions les plus audacieuses dans le rapport final, et nous ne parlons pas de scientifiques radicaux isolés : outre l’Agence européenne pour l’environnement, Nature, l’une des revues académiques les plus prestigieuses au monde, a déjà publié des études montrant que la seule « solution », tant pour la transition énergétique que pour l’urgence climatique, est de partir du principe que continuer à croître sans causer plus de dommages est évidemment impossible, et qu’il faut donc prévoir une stabilisation et/ou une diminution dans la sphère matérielle. Partager pour bien vivre, mais dans certaines limites.

Récemment, le baromètre français de la consommation responsable a montré que l’opinion publique est plus ouverte que ce que beaucoup voudraient nous faire croire. 52% des Français estiment que le modèle fondé sur le mythe de la croissance infinie doit être totalement abandonné. Ainsi, l’espoir de travailler dans le sens d’une acceptation du problème et en même temps d’un travail pour y remédier globalement de la manière la plus équitable possible s’accroît, alors que nos chances de continuer à croître sans s’écraser dans la tentative diminuent.

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*Nous tenons à remercier les membres du collectif Scientist Rebellion pour leur collaboration dans l’envoi de la fuite. Au scientifique du CSIC, Antonio Turiel, pour ses conseils sur la préparation de cet article. Et à certaines femmes scientifiques qui ne souhaitent pas être nommées – afin de ne pas courir de risques professionnels – qui ont également apporté leur aide. Ils savent qui ils sont.

*La conférence de presse pour présenter le rapport final du groupe I aura lieu le lundi 9 août.

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Juan Bordera est scénariste, journaliste et militant d’Extinction Rebellion et de València en Transició.

Fernando Prieto est titulaire d’un doctorat en écologie, de l’Observatoire de la durabilité.


THE GUARDIAN

Les émissions de gaz à effet de serre doivent atteindre leur maximum d’ici quatre ans, selon un rapport des Nations unies qui a fait l’objet d’une fuite.

Un groupe de scientifiques publie le projet de rapport du GIEC, craignant qu’il ne soit édulcoré par les gouvernements.

Fiona Harvey et Giles Tremlett

Les émissions globales de gaz à effet de serre doivent atteindre un pic dans les quatre prochaines années, les centrales électriques au charbon et au gaz doivent fermer au cours de la prochaine décennie et des changements de mode de vie et de comportement seront nécessaires pour éviter un effondrement du climat, selon le projet de rapport qui a fait l’objet d’une fuite et qui émane de la principale autorité mondiale en matière de climatologie.

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Les riches de tous les pays sont, dans leur grande majorité, plus responsables du réchauffement de la planète que les pauvres, les SUV et la consommation de viande étant pointés du doigt. La future croissance économique intensive en carbone est également remise en question.

La fuite provient de la troisième partie du rapport historique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, dont la première partie a été publiée lundi et qui met en garde contre des changements climatiques sans précédent, dont certains sont irréversibles. Le document, appelé sixième rapport d’évaluation, est divisé en trois parties : la science physique du changement climatique, les impacts et les moyens de réduire l’influence humaine sur le climat.

La troisième partie ne devrait pas être publiée avant mars prochain, mais un petit groupe de scientifiques a décidé de faire fuiter le projet via la branche espagnole de Scientist Rebellion, une émanation du mouvement Extinction Rebellion. Elle a été publiée pour la première fois par le journaliste Juan Bordera dans le magazine en ligne espagnol CTXT.

Bordera a déclaré au Guardian que la fuite reflétait l’inquiétude de certaines personnes ayant participé à la rédaction du document, qui craignaient que leurs conclusions ne soient édulcorées avant leur publication en 2022. Les gouvernements ont le droit d’apporter des modifications au « résumé pour les décideurs ».

Les 10 % des émetteurs mondiaux les plus riches contribuent entre 36 et 45 % des émissions, soit 10 fois plus que les 10 % les plus pauvres, qui ne sont responsables que de 3 à 5 % environ, selon le rapport. « Les modes de consommation des consommateurs aux revenus les plus élevés sont associés à des empreintes carbone importantes. Les principaux émetteurs dominent les émissions dans des secteurs clés, par exemple les 1 % les plus riches sont responsables de 50 % des émissions de l’aviation », indique le résumé.

Le rapport souligne les changements de mode de vie qui seront nécessaires, notamment dans les pays riches et parmi les personnes aisées au niveau mondial. S’abstenir de surchauffer ou de surrefroidir les habitations, marcher et faire du vélo, réduire les voyages en avion et utiliser moins d’appareils énergivores sont autant de mesures qui peuvent contribuer de manière significative aux réductions d’émissions nécessaires, selon le rapport.

Les habitudes alimentaires dans de nombreuses régions du monde riche devront également changer. « Un passage à des régimes alimentaires comportant une part plus importante de protéines végétales dans les régions où la consommation de calories et d’aliments d’origine animale est excessive peut entraîner des réductions substantielles des émissions, tout en offrant des avantages pour la santé… Les régimes à base de plantes peuvent réduire les émissions jusqu’à 50 % par rapport au régime alimentaire occidental moyen à forte intensité d’émissions », indique le rapport.

Fournir de l’énergie moderne à tous ceux qui en sont actuellement privés (800 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité) aurait un effet « négligeable » sur l’augmentation des émissions, indique le rapport.

La réduction des émissions au cours de la prochaine décennie sera cruciale pour tout espoir de maintenir le réchauffement de la planète à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, au-delà desquels les effets du dérèglement climatique provoqueront une dévastation généralisée. « Une action plus faible à court terme mettrait hors de portée la limitation du réchauffement à ces niveaux, car elle impliquerait des hypothèses sur l’accélération ultérieure de l’élaboration des politiques et du développement et du déploiement des technologies, incompatibles avec les preuves et les projections de la littérature évaluée », avertit le rapport.

Le rapport réaffirme la nécessité de réduire de moitié les émissions au cours de la prochaine décennie pour ne pas dépasser 1,5 °C et atteindre des émissions nettes nulles d’ici à 2050.

Les investissements nécessaires pour faire passer l’économie mondiale sur une base à faible émission de carbone font également défaut. Selon le rapport, les investissements actuels sont inférieurs à ce qui est nécessaire « par un facteur de cinq », même pour maintenir le réchauffement à la limite supérieure de 2°C. Environ 546 milliards de dollars ont été consacrés à la réduction des gaz à effet de serre et au renforcement de la résilience aux impacts de la crise climatique en 2018.

« Les infrastructures et les investissements existants et planifiés, l’inertie institutionnelle et un parti pris social en faveur du statu quo entraînent un risque de verrouillage des émissions futures qui peuvent être coûteuses ou difficiles à réduire », indiquent les scientifiques.

Les actifs échoués seront un problème croissant, car les centrales électriques au charbon et au gaz, dont la durée de vie se mesure généralement en décennies, devront être mises hors service dans les neuf à douze ans suivant leur construction, selon le rapport. Les scientifiques se font l’écho de l’avis récent de l’Agence internationale de l’énergie selon lequel aucune nouvelle exploitation de combustibles fossiles ne peut avoir lieu si l’on veut que le monde ne dépasse pas 1,5°C de réchauffement.

« Les impacts économiques combinés des ressources et des capitaux de combustibles fossiles bloqués pourraient s’élever à des milliers de milliards de dollars », indique le rapport. Ce risque pourrait être réduit en orientant les investissements vers des biens et services à faible teneur en carbone.

Les technologies permettant de capter et de stocker le dioxyde de carbone n’ont pas encore progressé assez rapidement pour jouer un rôle majeur, selon le rapport, mais des technologies permettant d’éliminer le dioxyde de carbone de l’atmosphère seraient presque certainement nécessaires pour limiter le réchauffement à 1,5°C.

Le rapport note qu’il existe des raisons d’être optimiste. Les énergies solaire et éolienne et la technologie des batteries sont désormais bien moins chères, grâce aux politiques qui ont encouragé leur utilisation. La réduction des émissions de méthane contribuerait également à freiner la hausse des températures.

Prendre davantage soin des forêts et des terres, qui constituent d’importants puits de carbone, contribuerait également à limiter l’augmentation de la température, mais il ne faut pas trop y compter. Ces mesures sont relativement peu coûteuses, mais elles ne peuvent compenser la lenteur de la réduction des émissions dans d’autres secteurs, selon le rapport.

CTXT, la publication espagnole qui a divulgué le projet de rapport, a déclaré qu’il montrait que l’économie mondiale devait s’écarter rapidement de la croissance conventionnelle du PIB, mais que le rapport sous-estime cet aspect. « Le changement radical indispensable d’un système économique dont le fonctionnement pervers d’accumulation et de reproduction du capital à perpétuité nous a amenés au point critique actuel n’est pas clairement mentionné », écrit CTXT.

Le GIEC a déclaré qu’il ne commentait pas les fuites et que l’objectif du processus de rédaction était de donner aux scientifiques le temps et la tranquillité nécessaires pour élaborer leur évaluation sans commentaire extérieur. Jonathan Lynn, responsable de la communication du GIEC, a déclaré : « Une grande partie du texte cité ici – apparemment tiré de la première version du résumé à l’intention des décideurs dans le projet de deuxième ordre du Groupe de travail III diffusé aux gouvernements et aux experts examinateurs en janvier – a déjà changé dans la dernière version interne du résumé à l’intention des décideurs actuellement examinée par les auteurs. »


Climat : panser nos plaies, penser la catastrophe et repenser nos sociétés

Nicolas van Nuffel
Président de la Coalition climat

Après un mois de juillet émaillé par les catastrophes en Belgique et ailleurs dans le monde, le premier chapitre du sixième rapport du GIEC est venu ajouter ce lundi des éléments d’explication scientifique au drame que nous avons vécu. Côté politique, si les lignes ont bougé depuis quelques années, l’heure n’est certainement pas à l’autosatisfaction : il va nous falloir agir plus vite, plus fort et plus solidairement pour traverser le siècle qui vient en garantissant une vie digne à chacune et chacun. L’heure est venue de sonner la mobilisation générale. La Coalition Climat a déposé une centaine de propositions sur la table du monde politique, qui n’attendent que d’être mises en débat, pour passer, enfin, à l’action.

41 personnes ayant perdu la vie en Belgique, près de 200 ailleurs en Europe. Des milliers d’autres ayant tout perdu ou presque : maison, lieu de travail, investissements de toute une vie, souvenirs personnels. Des régions entières sinistrées, pour longtemps. C’est le bilan tout provisoire d’un été 2021 qui restera dans l’histoire comme celui où le dérèglement climatique a, pour la première fois, frappé notre pays de façon aussi spectaculaire.

Et ce cas est loin d’être isolé : partout dans le monde, les indices se multiplient, plus spectaculaires les uns que les autres. Au début de l’été, ce sont 700 personnes qui sont décédées au Canada des suites du dôme de chaleur qui a poussé les températures à près de 50°C ; au Groenland, des températures records entraînent actuellement une fonte record de la calotte glaciaire ; en Méditerranée, les incendies se multiplient, et ont déjà fait près de 100 victimes rien qu’en Grèce ; à Madagascar, 400 000 personnes souffrent actuellement d’une famine liée à une sécheresse exceptionnellement prononcée. De plus, derrière les chiffres des catastrophes visibles, ce sont des centaines de millions de personnes vivant dans les zones semi-désertiques, les deltas des grands fleuves ou, tout simplement, les paysannes et paysans du monde entier, dont les conditions de subsistance sont, lentement mais sûrement, mise en danger par le réchauffement climatique. Des zones entières s’apprêtent à devenir tout simplement inhabitables, et l’on ne parle pas uniquement du cas emblématiques des petits Etats insulaires : la ville de Lagos, deuxième du continent africain, pourrait être submergée d’ici 2100. Avec pour conséquence la multiplication des personnes déplacées ou réfugiées.

Bien entendu, comme on le répète à chaque événement extrême, il n’est pas possible d’établir un lien de causalité absolu entre le réchauffement climatique et une inondation, une canicule, un typhon en particulier. Pas plus que l’on ne peut que difficilement établir de lien individuel entre la consommation de tabac ou de pesticides et l’apparition d’un cancer. Mais les rapports nous en avertissent depuis trois décennies : le réchauffement de notre atmosphère s’accompagne d’une exacerbation des phénomènes météorologiques extrêmes, avec comme conséquence une multiplication des catastrophes. A ce titre, le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) vient renforcer les conclusions portées depuis trente ans : selon ce rapport, l’influence de l’activité humaine sur le réchauffement de l’atmosphère des océans et des terres est désormais « sans équivoque ». Quant aux conséquences de ce réchauffement, le degré de certitude quant à leur attribution est variable, mais en augmentation constante.

Est-il trop tard pour agir ?

L’été que nous vivons le démontre, il est trop tard pour éviter des conséquences graves pour les sociétés humaines ; cependant, il est encore temps pour éviter que celles-ci deviennent irréversibles. Et, à ce titre, chaque dixième de degré comptera. Le rapport publié par le GIEC en 2018 nous permet de garder une lueur d’espoir, et celui dont la parution a démarré ce 9 août le confirme : il est encore possible de maintenir le réchauffement aux alentours de la barre des 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle, mais à la stricte condition d’opérer des changements sociétaux d’une ampleur inconnue depuis ladite Révolution industrielle. Sans quoi, dans le pire des scénarios, le réchauffement pourrait s’élever, au XXIIe siècle, à 4,4°C (voire 5,7°C, selon l’estimation la plus pessimiste). C’est donc bien à un chantier totalement inédit que nous devons nous atteler et ce, d’autant plus que la crise climatique vient s’ajouter à une crise tout aussi menaçante liée à l’effondrement de notre biodiversité.

Alors que faire ?

A court terme, il nous faut bien sûr panser les plaies. La solidarité incroyable à laquelle on a assisté dans les jours qui ont suivi la catastrophe de juillet doit se poursuivre dans la durée. Au-delà des initiatives individuelles, c’est en tant que société que nous devons trouver des solutions durables pour toutes les personnes sinistrées : logements salubres, vêtements, meubles, nourriture font partie des besoins de première nécessité, ainsi que l’appui aux entreprises sinistrées et aux travailleurs et travailleuses dont les emplois sont en danger. A plus long terme, il nous faudra reconstruire autrement et pour ce faire, nous avons besoin de donner à l’Etat, notre principal outil d’action collective, les moyens de faire face et de garantir la justice sociale. Les inondations du mois de juillet l’ont montré en touchant avant tout les quartiers populaires : justices sociale et climatique sont désormais profondément intriquées, les deux dimensions devant être abordées comme les deux faces d’une même pièce.

Mais panser ne suffit pas, il nous faudra aussi prendre le temps de penser la catastrophe et de repenser notre société.

Premièrement, en prenant les mesures nécessaires pour accompagner les indispensables changements de comportements, ainsi qu’en accélérant les investissements visant à mettre fin à l’économie du carbone bien avant 2050, pour cesser d’alimenter la principale source du dérèglement climatique. A la suite des impressionnantes mobilisations des années 2018 et 2019, on a assisté à une première évolution de la part du monde politique : du Green Deal européen au plan belge de reconstruction post-Covid-19 en passant par les accords de gouvernement aux différents niveaux de pouvoir, la promesse d’une plus grande ambition est enfin au rendez-vous. Mais les promesses ne suffisent plus : il va falloir faire plus vite, plus fort et plus solidaire si nous voulons respecter l’Accord de Paris. Des moyens plus importants doivent être libérés, de manière à réaliser dès aujourd’hui les investissements massifs permettant de rendre la transition écologique et sociale irréversible dans les dix ans qui viennent.

Deuxièmement, il nous faut prendre acte du fait qu’atténuer le réchauffement ne suffit pas : les dernières semaines nous montrent que nous entrons désormais dans le temps de l’adaptation. Quels que soient nos efforts pour en limiter l’impact, nous devons désormais vivre avec ce dérèglement, en cherchant à en diminuer au maximum les conséquences sociales. Cela demande, entre autres, de repenser notre urbanisme en profondeur, de manière à prévenir les catastrophes : mettre en place une gestion intégrée du cycle de l’eau, limiter la bétonisation, mais aussi isoler massivement nos logements, en commençant par ceux des personnes les plus vulnérables, de manière non seulement à diminuer la consommation énergétique, mais à limiter les effets des vagues de chaleur qui se multiplieront dans les décennies à venir.

Troisièmement, la solidarité ne peut s’arrêter à nos frontières. Par respect pour les droits humains mais aussi pour permettre à nos enfants de traverser le siècle qui vient dans un monde plus sûr, il nous faut absolument éviter que le dérèglement ne prenne des proportions irréparables dans les pays les plus affectés, qui sont aussi les plus pauvres. La solidarité internationale n’est ni un luxe, ni un acte de charité, elle est aujourd’hui une condition indispensable pour faire face à la crie que nous affrontons. La Belgique doit donc, enfin, se montrer à la hauteur de ses engagements internationaux, en dégageant les moyens nécessaires à l’aide publique au développement et au financement climatique prévus dans l’Accord de Paris. Ceci d’autant plus qu’aux dimensions de limitation des émissions et d’adaptation vient s’en ajouter une autre : celle de l’indemnisation des pertes et préjudices des victimes de catastrophes, qui fera l’objet de débats lors de la COP de Glasgow en novembre prochain.

Enfin, ces différentes dimensions n’ont de sens que dans une approche systémique, qui cesse de traiter la question climatique comme un silo parmi d’autres, mais fasse de celle-ci l’opportunité pour repenser nos sociétés en profondeur afin de réconcilier les dimensions économique, sociale et environnementale, toutes indispensables à la construction de sociétés durables. Il nous faut accepter de mettre en route un changement majeur de nos modes de production et de consommation, et donc par définition de nos modes de vie. Ceci impliquera sans doute des inconforts à court terme, mais est aussi l’occasion d’améliorer notre qualité de vie. La Coalition Climat appelle depuis des mois à la mise en chantier d’un Green New Deal au niveau belge et international et a déposé une centaine de propositions en ce sens, dont le sérieux a été salué par tous les bords politiques.

Qu’attend-on ?

Les rapports scientifiques montrent à la fois l’urgence d’agir, la possibilité de trouver des solutions et les opportunités que celles-ci représentent pour nous permettre de réinventer notre prospérité. L’heure est venue de sonner la mobilisation générale face à ce qui représente le chantier du siècle. En tant que citoyennes et citoyens, nous serons au rendez-vous. Le 10 octobre, nous descendrons dans la rue, en amont du prochain sommet mondial pour le climat, pour rendre hommage aux victimes de l’été et appeler à l’action. Nous espérons y être en nombre, mais nous espérons aussi et surtout, dès aujourd’hui, que notre message soit enfin entendu. Pour que l’été de deuil que nous sommes en train de vivre marque le début du basculement vers un monde plus juste et plus durable.

Article republié avec l’accord de l’auteur – original


Économique ou social, faut-il choisir ?

Témoignage : Céline Nieuwenhuys

La pandémie qui nous accompagne depuis le début de l’année 2020 a tragiquement bousculé bien des vies, secoué des pans entiers de l’organisation sociale, plombé l’économie.

Les familles endeuillées. Les malades, les médecins et le système de santé. Les allocataires sociaux et les plus précarisés. Le monde de la culture dans sa globalité. Les familles, les jeunes, étudiants ou non. Les indépendants et le petit commerce. L’enseignement, le sport. Les entreprises et les travailleurs… La liste semble pouvoir s’allonger sans fin.

Ce que l’on appelle la « crise sanitaire » est sans doute bien plus que cela. Toute la société en est impactée. N’est-ce qu’une crise, d’ailleurs ?

Céline Nieuwenhuys – secrétaire nationale de la fédération des services sociaux
nous permet d’entrevoir comment se vit la gestion de la covid au sein des sénacles où se confrontent politiques et experts.

Acceptant en quelques instants la tâche de représenter un secteur dont la culture, les pensées, les intérêts sont à l’antipode des lobbys économiques, elle sera confrontée à une expérience qu’elle nous partage dans un entretien fort, riche en informations.

La vidéo ci-dessous montre la dureté des confrontations d’intérêts, l’absolue méconnaissance du vécu des plus fragiles, certains mécanismes de la machine politique, la puissance du lobbying productiviste.

Et aussi : la complexité des débats ; l’importance d’être représenté par des personnes compétentes ; la richesse humaine de celles et ceux qui travaillent dans le secteur social.

Merci à Céline Nieuwenhuys pour ce témoignage publié sur https://zintv.org/outil/abecedaire/

Durée : 30 minutes.