J’en ai marre de recevoir des leçons

par Philippe DEFEYT, économiste et ancien parlementaire fédéral
31 janvier 2024

Réagissant à la présence de viandes de toutes origines dans les grandes surfaces, un ministre régional wallon vient de déclarer ceci, : « On m’a rapporté les faits et cela montre qu’il y a encore du boulot. Cela me renforce dans le fait qu’il faut un contrôle effectif de l’entrée de produits sur notre marché. Il faut une démarche qui permette de privilégier les produits européens mais il faut aussi que les commerces fassent le choix de la proximité. Je comprends l’éleveur qui habite à un jet de pierre de lieux de distribution et qui voit que la viande a traversé la moitié de la planète pour arriver jusqu’ici. C’est un non-sens d’un point de vue économique et environnemental. » C’est cette analyse qui l’amènerait à refuser (à vérifier le moment venu) le projet de Traité Mercosur.

Fort bien, qui s’opposerait à cela…, surtout pour le moment. Mais cette attitude, tout d’un coup fort répandue dans le monde politique, ne peut exonérer la quasi-totalité des parlementaires, fédéraux et européens, de leur responsabilité historique en votant des textes essentiels qui ont crée les conditions du désastre agricole et alimentaire.

On peut, par exemple, rappeler qui a voté pour (CDH et MR) et contre (ECOLO et PS) la dernière réforme de la PAC adoptée par le Parlement européen en novembre 2021. Mais il faut remonter plus loin pour trouver les racines profondes des difficultés et absurdités d’aujourd’hui.

La législature 1991-1995 du Parlement fédéral a eu à voter sur des textes majeurs, constitutifs du contexte et des règles dans lequel s’opèrent les échanges économiques aujourd’hui : le Traité de Maastricht, l’Accord instituant l’Organisation mondiale du Commerce et l’Accord sur les marchés publics. Dans les trois cas, seule la famille écologiste a voté contre, avec une argumentation transversale : ces trois textes ne permettaient pas de jouer à « armes égales » et de trouver un bon équilibre entre le social, l’économique et la vie sur terre.

Sur les textes concernant l’agriculture et le commerce de produits agricoles, il est intéressant de relire les travaux parlementaires. Extrayons ceci du rapport de la commission des relations extérieures du 20 décembre 1994.

  1. Refus de la majorité d’auditionner le ministre de l’agriculture sur le dossier agricole en général, les hormones BST et le Codex alimentaire et son application à des législations existantes ou en devenir, audition demandée par un parlementaire écologiste.
  2. Une écologiste flamande disait ceci : « Fondamentalement, rien ne change, au contraire : les denrées alimentaires continueront d’être commercialisées sur le marché international à des prix de dumping, avec toutes les conséquences qui en découleront. Des fonds publics continueront donc d’être employés pour subventionner l’achat de denrées alimentaires, mais d’une manière indirecte, en soutenant le revenu des agriculteurs. Il est faux de penser que cette baisse des prix profitera au consommateur européen : la distance entre le consommateur et le producteur est devenue telle que cette baisse n’aura aucune influence sur le prix demandé en magasin. »
  3. La même parlementaire, s’exprimant au nom du groupe commun ECOLO-Agalev (aujourd’hui Groen) proposait sa vision d’un accord alternatif
  • « Intégration régionale au lieu de l’intégration totale. Les denrées alimentaires sont d’une importance tellement capitale que les régions qui constituent une unité sur le plan géographique, économique, politique ou culturel devraient pouvoir assurer leur propre production de denrées alimentaires. Cela signifie qu’il doit être possible de protéger les marchés de denrées alimentaires. (…)
  • Le commerce mondial doit être régi par des règles et des conventions internationales fondées sur des critères écologiques et sociaux. Cet aspect est d’une importance incontestable en ce qui concerne les produits agricoles. Cela signifie que l’importation de produits ne serait possible que si des prix normaux étaient versés aux producteurs et si les denrées étaient produites dans des conditions acceptables. (…) »

« Les accords du GATT représentent un recul dans la recherche d’une société plus juste. » concluait-elle.

N’ayant reçu aucune réponse rassurante, impossible à donner d’ailleurs, le groupe ECOLO-Agalev a voté contre ces textes. Dans les partis politiques traditionnels, seul Daniel Ducarme (PRL) s’est, courageusement (il m’a fait part des pressions subies), abstenu sur les questions agricoles, pour des arguments proches de ceux des écologistes.

Je n’ai jamais regretté mes votes. J’en ai donc marre d’entendre les critiques, implicites ou explicites, sur les écologistes et leur intransigeance, leur dogmatisme, leur manque de connaissance des réalités, etc., etc. Je n’ai plus de responsabilités politiques et ne suis pas attaqué personnellement, mais je vis très mal ces leçons données par ceux qui essaient aujourd’hui de réparer un système qu’ils ont consciemment contribué à mettre en place.

Pas d’ambiguïté cependant : ces prises de positions n’ont jamais visé à fermer les frontières. L’économiste que je suis voit des vertus à des échanges internationaux à condition qu’ils reposent sur des règles économiquement et socialement équitables et protègent notre bien commun qu’est la planète.



Le mouvement climat entre activisme et vision rassuriste

Paul Blume

Depuis la dernière campagne électorale (26 mai 2019) les espoirs du mouvement climat de voir émerger des relais politiques efficaces se sont effondrés.

Les activistes qui, courageusement, continuent d’essayer d’imposer l’écocide et le climat dans les agendas médiatiques ne peuvent que le constater : l’ensemble des partis composant les actuelles majorités sacrifie l’avenir des générations futures sur l’autel des théories de la croissance à tout prix.

Aucune politique de rupture immédiate d’avec la croissance continue des émissions des gaz à effet de serre n’a été mise en place. Aucune n’est proposée à ce jour.

Au contraire, les gouvernements fédéraux et régionaux ont continué de privilégier les investissements carbonés (aéroports, automobile, énergies fossiles, technologies, …).

De fait, le lobbying Carbone a largement écrasé celui du Climat.

Cette réalité provoque logiquement une cassure dans le mouvement climat lui-même.

Avec d’un côté les activistes d’organisations diverses qui continuent à exiger la réduction conséquente et immédiate de l’usage des énergies fossiles (par exemple) et d’autres structures engoncées dans leurs relations étroites – parfois personnelles – avec des partis politiques.

Pour celles-ci, l’incapacité de placer leurs relations politiques, sociales, voire affectives, hors du champ de l’analyse proprement dite, les conduit à minimiser l’urgence, accepter des délais, tordre les constats à l’aune de récits prétendument positifs.

Cette exigence d’optimisme dans l’inaction ne peut qu’effrayer celles et ceux qui par contre ont compris que la trajectoire est continue, sans arrêts, sans retour. Et que ne pas l’admettre, c’est se priver de, sinon la maîtriser, au moins l’influencer.

La façon dont les organisations « climat » traiteront à la fois le bilan des gouvernements et les propositions des partis en lice pour le 9 juin sera indicative de leur capacité à être indépendantes, encrées dans la réalité scientifique ou non.

Nous verrons dans les semaines qui viennent qui franchira éventuellement la barrière du silence complice pour carrément soutenir l’une ou l’autre formation politique, fut-ce à demi-mots.

Affaire à suivre. De près.



Écocide, climat : voter Blanco ?

Paul Blume

vers juin2024.eu / juin2024 le Blog

Fin décembre passé est apparu une offre électorale peu conventionnelle, le parti Blanco (https://blanco2024.be/fr/ ).

Le « parti Blanco« , c’est une formation de citoyens qui se dit « sans appartenance politique« , et dont l’objectif est de permettre le vote pour un siège « non attribué » via une modification de la Constitution. Il présentera une liste dans chacune des 11 circonscriptions électorales du pays pour les élections à la Chambre, en juin prochain …

RTBF – 26 décembre 2023

Objectif du parti, visibiliser les citoyens qui ne votent pas, votent blanc ou nul.

Au-delà des débats sur la modification de la Constitution proposée (*) et d’autres questions posées par cette initiative (*), il est maintenant possible d’exprimer une forme de rejet de projets politiques communs à l’ensemble de la classe politique belge.

Il devient envisageable, et cela dès les prochaines élections, d’exprimer un refus des volontés de croissance plus ou moins affirmées. Sans devoir boycotter le processus électoral, en exprimant un vote valable lors des prochains scrutins belges.

Bémol, le processus ne permettra pas d’identifier précisément les motivations. Les potentielles élues et élus s’engageant à ne pas participer aux débats… Blanco est bien le parti d’une seule proposition (*).

Reste que tous les voyants biodiversité et climat sont au rouge vif (*). Que la communauté scientifique (Giec, IPBES,…) hurle à l’extrême urgence. Et que le vote pour les offres politiques actuellement représentées induit inexorablement un soutien aux politiques écocidaires dominantes.

Marquer une rupture d’avec les partis traditionnels sur les politiques énergétiques, environnementales et climatiques est primordial (*).

Voter pour la réduction immédiate de l’utilisation des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) n’est aujourd’hui pas possible. Aucune formation politique ne le proposant.

C’est pourtant la mère des propositions en matière de climat. L’effort indispensable tournant selon les sources à minimum 5 % de réductions annuelles ! Un litre sur 20 minimum de consommé en moins par an dès 2024…

L’effort exigé pour éviter un climat invivable est considérable (*). Continuer de l’ignorer n’est pas crédible.

Voter Blanco pourrait-il être une façon de faire passer le message de l’écologie scientifique ?

A réfléchir.



Faites entendre votre voix

Un projet des Territoires de la mémoire

Chaque élection rencontre le risque d’une émergence de partis d’extrême-droite, ce phénomène a pu s’observer ces dernières années à travers toute l’Europe… et la Belgique n’est pas épargnée. Mais au-delà de cette menace directe, chaque échéance électorale se confronte à la propagation de discours populistes, d’idées mettant à mal nos démocraties, et ce jusqu’au cœur de partis dits « classiques ».

Et puis il y a les citoyen·ne·s, parfois enthousiastes ou engagé·e·s, mais souvent désillusionné·e·s d’une représentation politique dans laquelle ils et elles ne se reconnaissent pas, d’un système qui laisse un sentiment d’impuissance.
C’est dans ce contexte que les Territoires de la Mémoire relanceront la campagne de sensibilisation Triangle Rouge, et au cœur de celle-ci, le projet Porte-Voix !

Porte-Voix ! , c’est l’envie de se faire entendre, de collecter la parole des citoyennes et des citoyens tout au long de l’année 2023 et de convertir ces paroles, nos revendications, nos exigences en quelque chose de beau.

Concrètement, les Territoires de la Mémoire souhaitent rassembler autour de ce projet une diversité de partenaires qui participeront à collecter les voix citoyennes et de les « esthétiser » par le biais d’ateliers artistiques afin qu’elles trouvent leur place dans une exposition collective qui verra le jour à l’aube des élections de 2024.

Enfin, nous souhaitons que ces voix soient réellement considérées, c’est pour cela que le projet devra s’achever sur une « phase d’influence « . En effet, nous souhaitons investir pleinement notre rôle de porte-voix en amplifiant les paroles qui nous seront confiées afin de les porter aux oreilles de nos représentant·e·s politiques et de faire vivre ces exigences citoyennes pendant et après cette période électorale.

Si vous aussi vous souhaitez participer avec vos publics à ce projet, n’hésitez pas à nous rejoindre !


Comment ?

Ci-dessous, une ébauche de la méthodologie que nous mettons en place avec nos groupes dans le cadre de ce projet.
Porte-Voix ! est un dispositif qui suscite l’expression et la créativité autour des enjeux de société, et qui s’intègre dans la Campagne Triangle Rouge.

Porte-Voix ! s’articule en 3 étapes :
  • Récolte de la parole, auprès de différents publics à travers des animations, des supports d’expressions variés, des techniques artistiques, autour de la phrase « Pour demain, j’exige… » → de février à décembre 2023
  • Création d’une exposition qui rassemble les productions écrites et créations réalisées → de mars à mai 2024 à la Cité Miroir
  • Construction d’une interpellation politique → de mars à juin 2024
Concrètement !
  • Avec les groupes, la démarche se passe en 2 étapes :

« Je m’informe, je découvre… « , à travers une exposition, une animation, un spectacle, etc. sur différentes thématiques.

« Je m’exprime autour de mes exigences pour demain… « , à travers un atelier d’écriture, un atelier créatif (typographique, collage, slam,…), des photos, des captations sons-vidéos…

  • Avec les individuels : interviews, dispositifs d’expression mobile.
Personne de contact ?

claraderhet@territoires-memoire.be ou 04/250 99 58


Vive la Récession ?

Paul Blume

Durant la législature du Parlement européen qui se termine, de la crise Covid à la guerre en Ukraine, sans oublier la gestion des aspects énergétiques, s’est confirmé un constat aujourd’hui sans appel : il n’y aura pas de découplage entre Produit Intérieur Brut (PIB) et écocide.

Progression du PIB mondial d’un coté, disparition du vivant, pollutions, dégradations de l’ensemble des conditions de vie sur terre en ce compris l’aspect climatique de l’autre, sont intimement liés (réf).

La récession est-elle inévitable ? Est-elle indispensable ?

Si, comme les soubresauts d’une agonisante, l’économie mondiale s’essaie encore aux investissements massifs dans les énergies fossiles, les résultats n’ont rien d’encourageant au regard des conséquences bien réelles et déjà ressenties de cette folle course vers l’effondrement.

Que l’on nomme l’indispensable ralentissement économique décroissance, sobriété ou récession, c’est bien d’une baisse des capacités humaines de destruction dont il est question. L’extrême urgence est dans le renversement de la courbe du PIB, de la courbe de la croissance.

La transition heureuse, elle, semble n’être qu’un mythe. Un récit inévitablement porteur de violences extrêmes.

Rien n’est pire que de promettre la lune. Si nous souhaitons reforger un consensus social minimum, partir de la réalité n’est-il pas incontournable ?

La promesse d’une transition énergétique, elle, s’envole.

Non seulement rien ne vient actuellement corroborer la possibilité d’une substitution globale des énergies fossiles par des alternatives non-émettrices de gaz à effet de serre, mais le doute s’installe de plus en plus quant à la possibilité même de réaliser une quelconque transition énergétique (réf).

Sans oublier que la finalité n’est pas l’économie, mais la Vie.

Garder le taux actuel de recours à quelque forme d’énergie que ce soit implique de continuer de produire, consommer, détruire, polluer… De mener la guerre contre le vivant.

La « bête » humaine devrait fortement et rapidement se replier dans un cadre économique et social compatible avec la perpétuation de l’ensemble des vivants, y compris non-humains. Sous peine d’une réelle disparition.

La question sociale, enjeu crucial.

L’inévitable contraction des activités humaines ne se fera, à l’évidence, pas sans douleur.

Certes, des utopies existent pour guider nos chemins vers des horizons les moins sombres possibles, mais éluder la question des impacts catastrophiques du partage d’un gâteau amoindri année après année serait incompréhensible.

C’est donc à tous les étages du scrutin de juin 2024 que nous devrons être attentifs aux propositions des programmes politiques en matière d’équité sociale.

Le consensus social actuel, né après la deuxième guerre mondiale, se fissure fortement. Ce débat doit être remis en haut des priorités. On ne gère pas les inégalités, la santé collective, l’accès aux ressources vitales de la même façon en temps de disette qu’en temps d’abondance.

Revenus de remplacement, retraites, sécurité sociale risquent de ne pas tenir le choc sans de profonds aménagements.

Écologistes, mutuellistes, syndicalistes, monde associatif et culturel, citoyennes et citoyens, nous avons tous un intérêt vital à exercer des pressions sur la confection des programmes politiques qui seront présentés à nos suffrages en juin 2024.

L’absence d’alternative unique, simple, agréable ne doit pas nous freiner. L’important réside dans la réouverture d’un débat public sur les finalités même de nos sociétés.

C’est de la multiplicité et de la variété des points de vue qui seront échangés que naîtront potentiellement nos nouvelles modalités de gestion des « communs ». Dans l’intérêt du plus grand nombre, en minimisant au maximum les risques vitaux. Sur une base commune la moins inéquitable possible.

Il nous reste un an pour influencer les dernières législatures avant l’année 2030. Cette année qui figure dans tellement de textes, de rapports, comme échéance indicative d’engagements à tenir. Une étape à ne pas rater.



Contribution zéro

Juin 2024 – Contribution Zéro

vers juin2024.eu / juin2024 le Blog

En juin 2024 se dérouleront les élections pour le renouvellement du Parlement européen ainsi que pour le renouvellement de la Chambre des Représentants et du Sénat fédéral de Belgique, sans oublier les parlements régionaux.

* L’Observatoire de l’Anthropocène et le média LIMIT lancent le projet « Juin 2024 ».

Avec comme objectif de rendre visibles les idées, pensées, contributions, débats alternatifs aux politiques menées ces dernières années en matière de lutte contre les effets systémiques liés aux activités humaines, à l’érosion rapide de la biodiversité, aux changements climatiques, à la destruction de notre environnement.

* Nous constatons les insuffisances voire les inerties sociétales face aux catastrophes et urgences écologiques.

A l’évidence, les politiques menées depuis les accords de Paris sur le Climat, loin d’avoir programmé des réductions sur base annuelle du recours aux énergies fossiles, permettent aujourd’hui la relance d’investissements dans de nouvelles exploitations entraînant nos sociétés vers un avenir de plus en plus sombre.

A l’échelon des instances qui gèrent les décisions quotidiennes, force est de constater qu’aucune force politique actuellement impliquée dans la gestion de notre pays n’a souhaité ou osé aborder ce qui s’annonce incontournable : une forme de décroissance, de sobriété, choisie ou subie.

* Pour contribuer au débat public francophone sur l’urgence écologique, la décroissance et la résilience, nous invitons citoyennes et citoyens engagés, activistes, scientifiques, journalistes, intellectuels, cadres des organisations sociales politiques à exprimer leurs points de vue.

Analyses globales ou contributions ciblées, nous souhaitons susciter des échanges à tous les niveaux de notre maison commune. Dans le respect des différences de convictions, d’appréciations, d’engagements.

Pas pour essayer de construire une nouvelle pensée unique, mais pour faire vivre la défense du vivant dans la multiplicité des implications personnelles et collectives.

* Concrètement, nous mettons nos ressources (site internet, blog, agenda, outils de communication,…) à disposition de celles et ceux qui le souhaitent pour exprimer une opinion, diffuser interviews, témoignages ou billets d’humeur, organiser des rencontres citoyennes, rédiger des interpellations, etc …

La page web du projet :
https://obsant.eu/juin-2024/

contact : contact[AT]juin2024.eu