La prochaine frontière

La prochaine frontière de l’humanité sur cette planète

Mauricio Herrera Kahn (*)

publié le 21 oct. 2025 sur

image – pixabay – gerald


« L’avenir n’est pas un destin écrit, c’est une décision collective. »

L’humanité a franchi toutes les frontières visibles. Du feu à la roue, de la poudre à canon à la bombe atomique, de la voile au saut vers la Lune. Nous avons ouvert la croûte terrestre pour en extraire des minéraux, construit des villes qui brillent comme des étoiles artificielles, connecté la planète entière en quelques secondes, et pourtant nous sommes toujours prisonniers des mêmes guerres tribales d’il y a 3 900 ans, aujourd’hui maquillées de drones, d’algorithmes et d’ogives nucléaires.

La question n’est plus de savoir si nous pouvons continuer à conquérir des territoires. La question est de savoir quelle frontière compte vraiment désormais. Elle ne sera ni géographique ni militaire. Elle sera technologique, sociale, sanitaire, politique, environnementale, écologique, pacifique, anarchique, spirituelle, utopique et mentale. Il s’agira de décider si nous progressons vers une humanité digne ou si nous répétons l’histoire de la cupidité et du pillage.

La prochaine frontière de l’humanité ne se mesure pas en kilomètres ni en missiles. Elle se mesure en justice, en empathie et en courage collectif.

1. La frontière technologique

La technologie a toujours été l’atout majeur de notre espèce. La maîtrise du feu en a été la première étincelle ; l’intelligence artificielle est la plus récente. Aujourd’hui, nous investissons davantage dans les algorithmes que dans l’alimentation. En 2024, les dépenses mondiales consacrées à l’intelligence artificielle ont atteint 190 milliards de dollars et devraient dépasser 2 % du PIB mondial d’ici 2030. La biotechnologie poursuit son expansion : un marché qui atteindra 1 500 milliards de dollars avant la fin de la décennie, promettant de modifier les gènes, de prolonger la vie et peut-être d’éradiquer des maladies.

La frontière technologique semble infinie. La colonisation de Mars coûtera plus de 100 milliards de dollars, mais la NASA et SpaceX ont déjà fixé des dates. La Chine envisage d’établir des bases lunaires permanentes. Parallèlement, des puces implantées dans le cerveau permettent aux bras robotisés de se déplacer, et des startups de la Silicon Valley vendent des pilules de longévité.

Le risque ne réside pas dans la technologie, mais dans celui qui la contrôle. Cinq entreprises concentrent plus de 80 % des investissements mondiaux dans l’IA, et leurs conseils d’administration décident davantage de notre avenir que bien des parlements. Le rêve de prolonger la vie peut se transformer en privilège de prolonger la richesse. La biotechnologie peut nous libérer du cancer ou devenir la nouvelle frontière du profit pharmaceutique.

La frontière technologique est là, elle bat à toute vitesse. La question est de savoir si elle deviendra un outil d’émancipation collective ou une nouvelle cage dorée aux mains de quelques-uns.

2. La frontière sociale

Les inégalités sont une plaie ouverte qu’aucune technologie ne peut guérir. La planète produit suffisamment pour nourrir tout le monde, mais les richesses sont accumulées par une minorité obscène. Selon Oxfam 2024, les 1 % les plus riches possèdent 45 % des richesses mondiales, tandis que des millions de personnes restent prisonnières de la misère quotidienne.

L’Afrique, berceau de l’humanité et continent pillé pendant des siècles, continue de subir le poids de l’indifférence mondiale. Selon la Banque mondiale, 40 % de la population y vit avec moins de 2,15 dollars par jour. Ce n’est pas une statistique économique, c’est une condamnation à mort : la faim, le manque d’accès à l’eau et à l’éducation.

Le coût de l’éradication de la faim sur la planète est estimé à 330 milliards de dollars par an. Ce chiffre paraît énorme si on le compare aux dépenses militaires mondiales, qui dépassent les 2 440 milliards de dollars. Éradiquer la faim coûterait moins de 20 % de ce que l’humanité dépense en armements pour continuer à s’autodétruire.

La frontière sociale est la plus cruelle, car elle ne dépend ni de la science futuriste ni de la colonisation de planètes lointaines. Elle dépend d’une décision politique et éthique. L’humanité peut-elle accepter que, pendant qu’un milliardaire voyage dans l’espace grâce au tourisme orbital, des millions d’enfants n’aient pas de quoi manger ?

La prochaine frontière n’est pas la conquête de Mars, c’est la conquête de la dignité sur Terre.

3. La frontière sanitaire

La santé est la frontière la plus intime de l’humanité. Il ne s’agit pas de conquérir des galaxies, mais de survivre à son propre corps. Chaque année, le cancer tue 10 millions de personnes, selon l’OMS, tandis que le diabète handicape 537 millions d’adultes dans le monde (IDF). Ce n’est pas l’avenir, mais le présent qui engloutit silencieusement vies et ressources.

La science promet des thérapies géniques, l’édition CRISPR et une médecine personnalisée permettant d’anticiper les tumeurs avant leur apparition. Mais le prix de cette promesse est inaccessible pour la plupart. Le médicament le plus cher au monde, le Zolgensma, coûte 2,1 millions de dollars par dose. Une seule injection vaut plus que la vie entière de milliers de familles du Sud.

La frontière sanitaire n’est pas seulement scientifique, elle est éthique. Pouvons-nous accepter qu’un remède existe et soit refusé à cause du prix ? Aujourd’hui, plus de 50 % de la population mondiale n’a pas accès aux services de santé essentiels (OMS). Les pays pauvres représentent 93 % de la charge de morbidité, mais seulement 11 % des dépenses mondiales de santé. En Afrique, les dépenses de santé par habitant s’élèvent à peine à 150 dollars américains par an, tandis qu’aux États-Unis, elles dépassent 13 000 dollars américains.

La prochaine frontière de l’humanité se mesure en lits d’hôpitaux, en vaccins universels et en accès réel aux médicaments. Les dépenses mondiales de santé s’élèvent à 9 800 milliards de dollars par an, mais un tiers est gaspillé à cause de l’inefficacité et de la corruption (OMS). Si cette richesse était répartie équitablement, au moins 20 millions de vies pourraient être sauvées chaque année. Sans franchir cette frontière, la longévité promise par les biotechnologies restera un privilège réservé aux élites et non le droit fondamental de vivre dignement partout sur la planète.

4. La frontière politique

La politique est la frontière où l’humanité bute sans cesse. On parle de démocratie universelle, mais en pratique, seuls 24 pays sont considérés comme des démocraties à part entière selon l’Indice de démocratie 2024. La majorité d’entre eux évoluent entre démocraties défaillantes, démocraties hybrides et dictatures pures et simples. Les 59 régimes autoritaires actuels englobent 37 % de la population mondiale – des milliards d’êtres humains qui ne choisissent pas leur destin.

Le pouvoir reste aux mains des élites économiques et militaires. Aujourd’hui, on compte plus de 400 000 lobbyistes enregistrés aux États-Unis et dans l’Union européenne, qui dépensent plus de 10 milliards de dollars par an pour influencer les décisions politiques.

Soixante-dix pour cent des campagnes électorales mondiales sont financées par de grandes entreprises, et le prix d’une présidence se mesure davantage en chèques qu’en votes. L’ONU, créée pour empêcher une nouvelle guerre mondiale, est devenue un parlement impuissant où cinq puissances disposant d’un droit de veto bloquent l’avenir de huit milliards de personnes.

Le contraste est saisissant. Alors que l’humanité dépensera 2 440 milliards de dollars en armement en 2023 (SIPRI), les parlements nationaux sont tiraillés entre scandales de corruption et coupes sociales. Ce montant pourrait financer dix fois les 330 milliards de dollars nécessaires à l’éradication de la faim dans le monde ou couvrir les 4 500 milliards de dollars annuels requis par l’Agence internationale de l’énergie pour enrayer la crise climatique d’ici 2030.

La frontière politique n’est ni une carte ni une constitution. C’est la décision de redéfinir le pouvoir à l’échelle planétaire. Aujourd’hui, 59 millions de personnes sont déplacées par les guerres et les persécutions, tandis que les dirigeants débattent de frontières artificielles. Le PIB mondial avoisine les 105 000 milliards de dollars, mais moins de 1 % est consacré à la coopération internationale. La politique actuelle gère la mort ; la frontière à venir doit la transformer en art de garantir la vie. Tant que nous n’aurons pas franchi ce seuil, nous resterons prisonniers du même théâtre de drapeaux, d’urnes et d’armées qui répète l’histoire de la cupidité.

5. La frontière environnementale

La planète est entrée dans l’Anthropocène, une ère où l’empreinte humaine est devenue une force géologique. La crise climatique n’est plus une menace future : les incendies ravagent les continents, les ouragans se multiplient, les sécheresses assèchent les rivières. La perte de biodiversité est l’autre face de la catastrophe : environ 150 espèces disparaissent chaque jour, selon l’ONU. Parallèlement, 43 millions de personnes ont été déplacées pour des raisons environnementales au cours de la dernière décennie, et ce chiffre pourrait atteindre 200 millions d’ici 2050 (HCR).

Les températures mondiales ont déjà augmenté de 1,48 °C par rapport aux niveaux préindustriels (NOAA 2024). Cela peut paraître insignifiant, mais chaque dixième de hausse déclenche des tempêtes, élève le niveau de la mer et menace les cultures. Les émissions mondiales de CO₂ atteindront 37,4 milliards de tonnes en 2023, un record qui contredit tous les discours sur la transition écologique.

La frontière environnementale exige de repenser notre relation à la terre. Il ne s’agit pas d’« atténuer les dommages », mais de changer de modèle civilisationnel. L’Agence internationale de l’énergie estime que 4 500 milliards de dollars d’investissements annuels dans les énergies propres sont nécessaires d’ici 2030 pour respecter les engagements climatiques.

Aujourd’hui, à peine la moitié de ce montant est investie. Parallèlement, les subventions aux combustibles fossiles ont dépassé 1 300 milliards de dollars en 2022, soit le double du montant alloué aux énergies renouvelables.

La justice climatique est au cœur de ce défi. Les pays du Sud génèrent moins de 15 % des émissions historiques, mais subissent plus de 80 % des catastrophes climatiques. Refonder signifie abandonner la logique du pillage et reconnaître qu’il ne s’agit pas de sauver la nature, mais de nous sauver nous-mêmes avec elle.

5a. La frontière écologique

Si la frontière environnementale mesure le climat et l’énergie, la frontière écologique mesure la vie elle-même. La planète se vide de son sang en silence. Chaque année, 10 millions d’hectares de forêt disparaissent (FAO), soit une superficie équivalente à celle de l’Islande. L’Amazonie, cœur vert de la Terre, a déjà perdu 17 % de sa couverture originelle ; si elle atteint 25 %, elle atteindra un point de non-retour et deviendra une savane.

L’eau douce, essentielle à la survie de toute civilisation, est gravement menacée. 2,2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable (ONU-Eau). Plus de 1,9 milliard de personnes dépendent du recul rapide des glaciers. La fonte des glaces au Groenland et en Antarctique pourrait entraîner une élévation du niveau de la mer pouvant atteindre 2 mètres d’ici 2100, détruisant ainsi des villes côtières qui abritent actuellement plus de 600 millions de personnes.

La biodiversité s’effondre. 69 % des populations de vertébrés ont décliné depuis 1970 (Rapport Planète Vivante du WWF). Environ 150 espèces disparaissent chaque jour ; il s’agit de la plus grande crise de la vie depuis qu’une météorite a anéanti les dinosaures il y a 65 millions d’années.

La frontière écologique est aussi culturelle. Quatre-vingt pour cent de la biodiversité mondiale se concentre sur les territoires autochtones, protégés par des communautés qui ont résisté à des siècles de pillage. Elles offrent la vision la plus avancée de la durabilité : vivre avec la terre, et non contre elle.

Reconstruire cette frontière, c’est reconnaître que nous ne sommes pas propriétaires de la planète ; nous en sommes les hôtes. Si les rivières meurent, l’humanité meurt. Si les forêts se taisent, il n’y aura plus d’oxygène pour nos utopies. La frontière écologique n’est pas facultative : c’est la ligne rouge de l’existence.

6. La frontière de la paix

La guerre demeure l’échec le plus retentissant de l’humanité. Près de quatre millénaires se sont écoulés depuis les premières chroniques de conquêtes, et nous sommes restés les mêmes : villages rasés, villes incendiées, enfants réduits à l’état de chiffres. En 2024, on comptait 55 conflits armés actifs, selon le Programme de données sur les conflits d’Uppsala.

Ce ne sont pas de simples chiffres, ce sont des tragédies quotidiennes : Gaza, l’Ukraine, le Yémen, le Soudan, la Syrie, le Myanmar, le Sahel, le Congo, l’Afghanistan, la Libye, la Somalie, le Liban – chacun avec ses morts, ses déplacés, sa faim. Rien qu’en 2024, les violences politiques ont fait plus de 200 000 morts, et les personnes déplacées de force comptent désormais plus de 114 millions dans le monde.

Le paradoxe est brutal. Les dépenses militaires mondiales ont atteint 2 440 milliards de dollars en 2023 (SIPRI), tandis que l’aide humanitaire internationale atteignait à peine 46 milliards de dollars (ONU). Autrement dit, pour chaque dollar dépensé pour sauver des vies, plus de 50 sont consacrés au perfectionnement de l’industrie de la mort. La paix ne sera jamais possible tant que la balance penchera en faveur des armes.

Le business de la guerre est évident. Les fabricants d’armes multiplient leurs profits : rien qu’en 2023, les 100 plus grandes entreprises du secteur ont réalisé un chiffre d’affaires de plus de 600 milliards de dollars. Chaque missile tiré en Ukraine ou à Gaza constitue un transfert direct de ressources publiques vers des entreprises privées. Le coût de la guerre n’est pas supporté par ceux qui décident ; il est payé par la population civile en vies humaines, en faim et en ruines. La reconstruction est aussi un business : entrepreneurs, banques et fonds d’investissement se partagent des contrats de plusieurs millions de dollars sur les décombres.

L’ombre du nucléaire est toujours là, menaçant d’anéantir l’humanité en quelques secondes. On compte 12 100 ogives nucléaires actives sur la planète, dont 90 % sont aux mains des États-Unis et de la Russie. Une seule détonation suffirait à condamner la planète à un hiver nucléaire. Et pourtant, des milliards sont dépensés chaque année pour moderniser des arsenaux qui ne devraient jamais être utilisés.

Ceux qui paient la guerre sont toujours les populations. Ceux qui paient sont les enfants déplacés qui ne retourneront jamais à l’école, les mères qui enterrent leurs enfants, les personnes âgées qui fuient sans destination. Ceux qui paient aussi sont les contribuables qui financent les armées et les armes par leurs impôts. Ceux qui en profitent sont une minorité : les complexes militaires, les élites politiques qui consolident leur pouvoir, les États qui s’assurent des ressources stratégiques. Tant que cette équation ne changera pas, la paix restera la frontière la plus lointaine.

7. La frontière de l’anarchie

L’anarchie n’est pas le chaos ; c’est la possibilité d’un ordre sans maîtres. Depuis des siècles, le pouvoir nous a appris à le craindre, à le confondre avec la violence ou le désordre. Mais en pratique, un monde existe déjà, régi par des règles différentes : coopération, autogestion, entraide.

Selon l’Alliance coopérative internationale, on compte aujourd’hui plus de 3 millions de coopératives dans le monde, représentant 1,2 milliard de personnes. Leur poids économique équivaut à près de 10 % du PIB mondial. Loin d’être une curiosité marginale, elles démontrent qu’il est possible d’organiser la production et la distribution sans dépendre des banques d’investissement ou des sociétés extractives.

Lors de la crise financière de 2008, le taux de faillite des coopératives de crédit était 70 % inférieur à celui des banques privées, ce qui démontre que l’autogestion est plus stable que le capital spéculatif.

Au Rojava, dans le nord de la Syrie, 4 millions de personnes vivent sous un système communautaire. Plus de 4 000 coopératives gèrent l’agriculture, le commerce et les services en pleine guerre, les conseils de quartier et les assemblées de femmes constituant le fondement de la vie politique. C’est la démocratie directe, pratiquée au quotidien sous la menace turque et l’indifférence de l’Occident.

Au Chiapas, les zapatistes maintiennent depuis des décennies un territoire de 300 000 habitants organisé en caracoles et en conseils de bon gouvernement. Ici, ni banques internationales ni partis politiques ne dictent les règles. Il existe des écoles autonomes, des dispensaires et des systèmes judiciaires locaux. C’est une frontière vivante qui démontre que l’autogestion peut soutenir des territoires entiers.

Le contraste est saisissant. Les dix plus grandes entreprises mondiales représentent un chiffre d’affaires équivalent à 25% du PIB mondial, mais, dans le même temps, on compte plus de 900 000 entreprises sociales qui emploient 14 millions de personnes et mobilisent plus de 150 milliards de dollars US en microfinance communautaire. Tandis que le capital s’accumule au sommet, la résistance grandit à la base.

La frontière de l’anarchie ne propose pas un vide ; elle propose une autre façon de vivre : un ordre bâti par le peuple, et non sur lui. Là où l’État échoue et où les entreprises pillent, les communautés préparent déjà l’avenir.

8. La frontière spirituelle

Le pouvoir économique des institutions religieuses est considérable. Le Vatican gère un budget annuel de 803 millions de dollars (2022), mais l’Église catholique mondiale gère des biens et des actifs évalués à des centaines de milliards de dollars. En Amérique latine, les églises évangéliques mobilisent plus de 30 milliards de dollars par an en dîmes, en projets éducatifs et en médias. Aux États-Unis, les méga-églises collectent individuellement jusqu’à 70 millions de dollars par an, et certaines rassemblent 50 000 personnes par semaine, soit plus qu’un stade de football.

Parallèlement, le nombre de ceux qui quittent l’Église s’accroît. Les personnes dites « sans appartenance » comptent aujourd’hui 1,2 milliard de personnes, soit près de 16 % de l’humanité. Dans des pays comme la Suède, la République tchèque et l’Estonie, plus de 60 % de la population se déclare sans religion. Le phénomène s’amplifie également en Amérique latine : au Chili, la proportion de personnes sans appartenance religieuse est passée de 12 % en 2002 à plus de 30 % en 2023.

La frontière spirituelle ne se situe pas entre croyants et non-croyants, mais entre les religions transformées en entreprises et les spiritualités comprises comme une éthique de vie. En Afrique, le concept d’Ubuntu guide des millions de personnes dans l’idée que « je suis parce que nous sommes ». En Amérique latine, le Buen Vivir andin inspire les politiques publiques en Bolivie et en Équateur. En Palestine, le Sumud soutient les communautés sous occupation depuis plus de 70 ans.

Le risque est évident, et lorsque les religions deviennent des machines de pouvoir, elles peuvent financer des guerres. L’Arabie saoudite a dépensé plus de 4 milliards de dollars pour exporter son idéologie wahhabite ces dernières décennies, alimentant ainsi les conflits (The Guardian, Council on Foreign Relations et Foreign Affairs). L’opportunité est également évidente : des mouvements interconfessionnels pour la paix, comme celui d’Assise en 1986, ont réussi à rassembler les dirigeants de plus de 50 confessions dans un appel commun à la non-violence.

La prochaine frontière spirituelle exige de laisser derrière soi le dieu de l’argent et de revenir à une éthique commune. Aujourd’hui, les inégalités s’expriment également dans le domaine spirituel : tandis que certains chefs religieux amassent des fortunes personnelles de plus de 50 millions de dollars, des millions de fidèles vivent dans l’extrême pauvreté. Reconstruire cette frontière spirituelle signifie placer le respect de la vie, la solidarité et la justice au cœur de nos préoccupations, car sans une âme collective qui nous unit, il n’y aura pas d’avenir possible.

9. La frontière des utopies

Les utopies étaient autrefois ridiculisées, considérées comme des rêves impossibles, mais elles s’invitent aujourd’hui dans les budgets des gouvernements et des entreprises. L’humanité investit déjà 40 milliards de dollars dans les thérapies anti-âge (Longevity Industry Reports 2024), un marché qui pourrait dépasser les 600 milliards de dollars d’ici 2030. La Silicon Valley mise sur une espérance de vie supérieure à 150 ans, et les expériences sur l’édition génétique, les cellules souches et la nanomédecine constituent le laboratoire où cette promesse est testée.

L’espérance de vie humaine la plus élevée jamais enregistrée reste celle de Jeanne Calment, avec 122 ans. Aujourd’hui, l’espérance de vie moyenne mondiale dépasse à peine 73 ans, mais dans des pays comme le Japon, elle atteint 84 ans, tandis que dans les pays africains ravagés par la famine et la guerre, elle reste inférieure ou égale à 50 ans.

La frontière de la longévité pourrait devenir une nouvelle fracture : des élites qui vivent deux siècles et des populations entières condamnées à mourir avant 60 ans.

Les villes utopiques progressent également. Plus de 250 projets de villes intelligentes sont en cours de construction dans le monde. L’Arabie saoudite planifie Neom, dont le coût est estimé à 500 milliards de dollars, conçue comme une étendue futuriste dans le désert. La Chine développe plus de 30 éco-villes promettant zéro émission. L’Afrique teste sa propre vision avec Eko Atlantic au Nigeria, une ville conçue pour résister à la montée du niveau de la mer. Mais la question demeure : seront-elles des villes heureuses ou des laboratoires de contrôle social et de surveillance numérique ?

Les utopies ne sont pas seulement urbaines ou biologiques. Des milliers d’expériences de monnaies locales, de banques éthiques et de réseaux coopératifs émergent dans l’économie. Aujourd’hui, il existe plus de 7 000 systèmes monétaires alternatifs dans le monde, conçus pour échapper à la domination des banques centrales. Parallèlement, les Objectifs de développement durable des Nations Unies exigent un investissement annuel de 5 000 à 7 000 milliards de dollars d’ici 2030, mais le déficit de financement dépasse déjà 2 500 milliards de dollars par an.

La frontière des utopies n’est pas un rêve éthéré ; c’est l’urgence d’imaginer autre chose. Vivre 200 ans, habiter des villes sans faim ni pollution, créer des économies sans usure. Tout cela est débattu aujourd’hui dans les laboratoires, les ministères et les mouvements sociaux. L’utopie n’est plus de la littérature : c’est le projet politique le plus urgent du XXIe siècle.

10. La frontière mentale

L’esprit humain est le territoire le plus vaste et le plus inconnu. Nous avons atteint Mars avec des sondes et les fonds marins avec des sous-marins, et pourtant nous restons prisonniers de la haine, de la cupidité et de la peur. La prochaine grande révolution ne sera ni technologique ni politique, elle sera mentale.

Aujourd’hui, négliger son esprit a un coût dévastateur. La dépression et l’anxiété touchent plus de 970 millions de personnes dans le monde (OMS 2023). L’impact économique des troubles mentaux est estimé à 1 000 milliards de dollars par an en perte de productivité. Pourtant, les pays consacrent en moyenne moins de 2 % de leur budget de santé à la santé mentale. La contradiction est flagrante : nous investissons dans des armes pour nous détruire, mais pas pour apaiser nos consciences.

L’esprit colonisé est toujours vivant. Les algorithmes des réseaux sociaux captent l’attention de 4,8 milliards d’utilisateurs actifs et façonnent les perceptions collectives. Chaque personne passe en moyenne sept heures par jour devant un écran (We Are Social 2024). Ce n’est pas un hasard : l’industrie numérique pèse plus de 5 500 milliards de dollars et son activité principale consiste à manipuler les désirs, à diviser les sociétés et à exploiter l’attention comme une marchandise.

Mais l’esprit peut aussi être un terrain d’émancipation. Des expériences d’éducation communautaire ont montré qu’avec seulement trois à cinq années de scolarité de qualité, les taux de violence chez les jeunes peuvent chuter jusqu’à 40 % dans les communautés vulnérables (UNESCO).

Les programmes de méditation et de santé mentale dans les écoles ont réduit les symptômes d’anxiété chez 60 % des élèves dans des pays comme l’Inde et le Canada.

La frontière mentale est la plus difficile à franchir, car aucune machine ne peut la franchir à notre place. C’est l’espace qui détermine si l’humanité se libère de la haine ou s’enferme dans de nouvelles cages numériques. Sans révolution des consciences, aucune autre frontière (technologique, sociale, sanitaire ou politique) n’aura de sens. L’avenir commence dans l’esprit de chacun, et cet esprit est aujourd’hui à saisir.

11. Des chiffres
  • Investissement mondial dans l’intelligence artificielle : 190 milliards de dollars (2024)
  • Coopératives dans le monde : 3 millions, avec 1,2 milliard de membres
  • Les 1 % les plus riches contrôlent 45 % de la richesse mondiale (Oxfam 2024)
  • Décès par cancer par an : 10 millions (OMS)
  • Diabète : 537 millions d’adultes (FID)
  • Démocraties complètes : seulement 24 pays sur la planète
  • Émissions mondiales de CO₂ : 37,4 milliards de tonnes (2023)
  • Déplacés pour des raisons environnementales : 43 millions au cours de la dernière décennie
  • Déforestation : 10 millions d’hectares de forêt perdus chaque année.
  • Eau potable : 2,2 milliards de personnes n’ont pas accès à une eau potable (ONU-Eau)
  • Dépenses militaires mondiales : 2,44 billions de dollars (2023)
  • Aide humanitaire : seulement 46 milliards de dollars
  • Armes nucléaires : 12 100 ogives, dont 90 % aux mains des États-Unis et de la Russie
  • Espérance de vie maximale : 122 ans (record humain)
  • Investissement dans la longévité : 40 milliards de dollars en thérapies
  • Projets de villes intelligentes : plus de 250 en construction
  • Population religieuse : 6,7 milliards de personnes (84 % de l’humanité)
  • Sans affiliation religieuse : 1,2 milliard de personnes
  • Impact économique de la dépression : 1 000 milliards de dollars par an
  • Temps passé devant un écran : en moyenne 7 heures par jour et par personne
La prochaine frontière ne se mesure pas en kilomètres ou en satellites, ni en murs ou en armées.

Elle se mesure à la décision de l’humanité d’abandonner la cupidité comme moteur et la guerre comme destinée. Nous avons franchi toutes les frontières matérielles : le feu, l’atome, l’espace. Il nous reste la plus difficile à franchir, celle qui est invisible sur les cartes : la frontière mentale et éthique.

Soit nous continuons à répéter l’histoire d’il y a 3 900 ans, avec des peuples dévastés et des richesses pillées, soit nous osons reconstruire la planète sur la base de la justice et de la coopération.

Nous disposons des ressources, de la science et des chiffres pour le prouver. Ce qui manque, c’est la volonté politique, la solidarité mondiale et le courage de briser la logique du pouvoir qui a gouverné jusqu’à présent.

L’avenir ne sera pas un cadeau, ce sera une conquête. La prochaine frontière ne sera pas la conquête de Mars, mais celle de la dignité sur Terre.

C’est la seule épopée qui mérite notre temps….

Références :
  • Oxfam (2024). Rapport sur les inégalités.
  • Banque mondiale (2023–2024). Indicateurs du développement dans le monde.
  • OMS (2023). Estimations de la santé mondiale.
  • Fédération internationale du diabète (2023). Atlas du diabète.
  • SIPRI (2024). Base de données sur les dépenses militaires.
  • NOAA (2024). Rapport sur l’état du climat.
  • FAO (2023). Évaluation des ressources forestières mondiales.
  • ONU Eau (2023). Rapport mondial sur la mise en valeur des ressources en eau.
  • Pew Research Center (2023). Religion et vie publique.
  • Alliance coopérative internationale (2024). Rapport mondial sur les coopératives.
  • Rapports sectoriels sur la longévité (2024). Analyse du marché mondial de la longévité.
  • WWF (2022). Rapport Planète Vivante.
  • Programme de données sur les conflits d’Uppsala (2024). Base de données sur les conflits armés.
  • Nous sommes sociaux (2024). Rapport mondial sur le numérique.
  • HCR (2024). Tendances mondiales des déplacements forcés.


Le « billet oui/non »

photo: hosnysalah

Modeste contribution à la psychologie sociale ou pourquoi ce sont toujours les mêmes qui gagnent à la fin

Thomas Gunzig

Reprise d’un texte paru le 25 sept 2025 sur FaceBook

Il y a donc eu ce billet « oui/non » sur Gaza, Israël et la Palestine (1, 2) et, comme je m’y attendais, il y a eu des réactions.

Ça a été un moment plus intéressant qu’éprouvant pour lequel j’ai eu envie de prendre un peu de temps afin de l’analyser et peut être de le comprendre. J’ai écrit ces quelques réflexions, c’est long, ce sera donc assez peu lu ou partagé, mais cela n’a pas d’importance, il s’agissait pour moi d’éclaircir mes propres idées en les mettant par écrit.

Avant tout, il faut préciser une chose, je ne tiens pas particulièrement à ces billets que je fais une fois par semaine. Ce n’est pas mon vrai métier et je n’en dépends heureusement pas pour vivre (un billet équivaut à un plein d’essence dans une petite Aygo, modèle 2001, réservoir de 30 litres). Pourquoi y mettre autant d’énergie, alors ? Aucune idée. Peut-être parce que j’aime la petite émotion naissant du direct, peut-être parce qu’au fond, j’aime le lien que cela crée avec les auditeurs. Ce sont des choses toutes simples de cet ordre.

Revenons au billet « oui/non » auquel, aujourd’hui, je ne changerais pas une ligne. Il suscita beaucoup beaucoup de réactions positives, parfois en public, parfois en privé, parfois venant de personnalités que j’aime, parfois venant de personnalités totalement inattendues.

Et puis aussi, il y eut beaucoup beaucoup de réactions négatives, toujours en public, celles-là.

Ce n’est pas spécialement traumatisant, en réalité, dès qu’on prend la parole dans un espace médiatique, c’est ce qui se passe aujourd’hui. Cela se passe comme ça quand vous parlez de la culture des radis et, forcément, cela se passe comme ça lorsqu’il s’agit d’un sujet aussi sensible que celui du Proche-Orient.

Est-ce que c’est agréable ? Non.

Est-ce que c’est attendu ? Oui.

Est-ce que c’est souhaitable ? Je ne sais pas.

Il est une chose sur laquelle tout le monde sera d’accord, le monde va plutôt mal. La démocratie qui a toujours été en crise semble vivre ses dernières heures, l’Europe affaiblie est coincée entre des États-Unis en marche vers une autocratie réactionnaire et une Russie qui se rêve impériale. À l’intérieur de leurs frontières, les pays sont secoués par des pulsions xénophobes et illibérales que rien ne semble pouvoir arrêter. Le fond de ma pensée c’est que c’est fichu. Le climat ne sera jamais sauvé, les inégalités vont se creuser jusqu’à l’absurde et, au Moyen-Orient, Israël exterminera ou chassera les Gazaouis. À terme, il occupera l’entièreté de la Cisjordanie, le business plan de la « riviera » est déjà conclu. C’est comme ça que ça va se passer. On aura beau manifester, lancer des cailloux, casser des trucs, hurler, mettre des autocollants sur sa voiture, suspendre des drapeaux à ses fenêtres, ça ne servira à rien. Tout est perdu.

Tout est perdu d’abord parce « les autres » sont très forts. Ils ont l’argent, ils ont le pouvoir, ils ont les armes, ils ont les outils numériques et les algorithmes qui vont avec. Mais si tout est perdu, c’est surtout parce que ceux et celles qui voudraient la révolution sont désespérément incapables de s’organiser, d’unir leurs forces et de parvenir à identifier où se trouve la vraie menace.

Il y a ce mystère : pourquoi toutes les révolutions (ou presque) ont-elles échoué ? Pourquoi ont-elles été interrompues par la répression ou bien se sont-elles transformées, après un bain de sang, en un nouveau système aussi injuste que celui qu’elles voulaient remplacer ?

Je regarde vers le passé : la Révolution française a dégénéré en Terreur. Les divisions internes entre factions ont mené à des purges, on s’accusait mutuellement « d’impureté idéologique ». Qui devait-on considérer comme un vrai révolutionnaire ? On ne savait plus trop. Et voilà que, au lieu de se concentrer sur la défense externe et les réformes, on se déchire sur des questions de loyauté idéologique. L’historien Hippolyte Taine (qualifiez-le de réac si vous voulez, ce serait un peu con, c’était au XIXe) a eu une phrase que j’aime bien (je la sors de son contexte comme un vrai salaud, mais elle résonne jusqu’à aujourd’hui) : «Rien de plus dangereux qu’une idée générale dans des cerveaux étroits et vides : comme ils sont vides, elle n’y rencontre aucun savoir qui lui fasse obstacle ; comme ils sont étroits, elle ne tarde pas à les occuper tout entiers. »

Pendant la guerre d’Espagne, au lieu de s’unir contre Franco, voilà que les forces républicaines se déchirent entre socialistes, communistes, anarchistes et les marxistes anti-staliniens (il faut lire « Pour qui sonne le glas » de Hemingway, il y fait un joli portrait d’un chef communiste doctrinaire, Aragon ne le lui a jamais pardonné, on ne touche pas au communisme). Qui est un vrai révolutionnaire ? Le stalinien ? Le trotskyste ? L’anarchiste ? Là encore, des purges internes ont affaibli l’unité et conduit à la défaite.

En mai 68, l’histoire se répète encore. Les tentatives de révolution ne débouchent sur rien. Tout le monde rejette le capitalisme (et le gaullisme), mais voilà que le mouvement s’éparpille dans d’interminables affrontements internes et entre les étudiants d’un côté, les syndicats de l’autre (qui les trouvaient « petit bourgeois »).

Cette « spirale de pureté » est la malédiction des mouvements révolutionnaires ou des milieux militants. Il s’agit de cette escalade bizarre, ridicule et stérile dans laquelle les membres du mouvement rivalisent entre eux pour démontrer une adhésion de plus en plus extrême à leur idéologie.

Si, en chimie, il existe une définition claire de la pureté, en matière politique non, il n’y a pas de limite supérieure. De cette manière, la surenchère morale peut être infinie. Il y a alors une espèce de compétition pour savoir qui montera le plus haut sur la haute échelle de l’orthodoxie, une dynamique grotesque dans laquelle les opinions les plus radicales sont récompensées, admirées, suivies (plus de partages, plus de like, plus « d’engagement », comme dit le langage des réseaux sociaux) tandis que les nuances et les débats sont écartés dans une grande fiesta sanguinaire de frénésie morale.

C’est l’escalade idéologique, la quête de la conformité absolue.

Le scénario est alors classique, celui des purges internes, celui où l’on s’éloigne progressivement des buts originaux. La réalité n’a plus d’importance, seul compte un idéal de pureté fantasmé au nom duquel tout est permis.

C’est le moment de l’orthodoxie et pour la Révolution, c’est la fin. C’est le moment où elle ne s’intéressera à plus rien d’autre qu’elle-même.

L’orthodoxie se détourne de la complexité et donc de l’humain. Elle ne tolère que ce qui lui ressemble radicalement.

L’orthodoxie est parfaitement sûre de son fait. Et c’est bien ce qui la rend dangereuse. C’est toujours l’orthodoxie qui tue et elle peut le faire parce qu’elle estime qu’elle en a le droit, qu’en tuant, elle œuvre pour le bien. Le sniper israélien tuant un civil palestinien pense faire quelque chose de bien, le militant du Hamas égorgeant un israélien pense faire le bien, un militaire argentin jetant un homme à la mer depuis un hélicoptère, un officier nazi gazant des juifs, le hutu passant un tutsi à la machette… Tous pensent très sincèrement œuvrer pour le bien. Jamais un esprit rempli de doute, cherchant à comprendre, demandant qu’on lui explique une deuxième fois, n’a tué qui que ce soit.

Si l’orthodoxie déteste tout ce qui est différent d’elle, ce qu’elle hait le plus au monde, c’est bien la réflexion. Et le drame, évidemment c’est que la réflexion sera toujours perdante. La réflexion c’est un livre à lire, l’orthodoxie c’est un slogan. La réflexion demande du temps, de la maturation exige de remettre en cause ses certitudes, l’orthodoxie est immédiate, sexy, simple, énergique. Elle est instantanément valorisée. On like plus volontiers la formule que le développement. Enfin, comme l’orthodoxie voit dans la réflexion son ennemie, elle va tenter de la disqualifier en l’accusant de « faire le jeu » de l’ennemi, voire d’être son complice. Les techniques de disqualification sont toujours plus ou moins les mêmes : on interrompt, on ridiculise, on insulte, on déforme, on sous-entend, et, bien entendu, on menace.

Les réactions négatives à mon billet ont toutes rassemblé ces caractéristiques. Il y eut bien entendu, derrière les émoji nausée ou vomi, le geste classique du virtue signaling, cet acte consistant à afficher en public ses valeurs morales (ou supposées telles) afin d’améliorer son image sociale sans qu’il y ait forcément, derrière l’émoji, de convictions profondes. Il y a eu la dévalorisation par le mépris en soulignant mon « inculture », il y eut l’accusation d’être un « collabo » parce que mon texte serait d’une « neutralité qui ferait le jeu» (la citation Desmond Tutu revint pas mal de fois comme un mantra). Il y eut des critiques plus floues, en creux, de personnes déclarant s’être senties « mal à l’aise » non par ce que je disais, mais par ce que je ne disais pas, ce qui, selon elles, constituait un parti pris condamnable. Il y eut des réactions plus modernes en mode « instagrammeur » avec du décorticage face caméra expliquant pourquoi tel mot, tel terme, telle question n’était pas à sa place et pourquoi, dès lors, ce billet était mauvais. Dans un total abandon de la pensée, certains allèrent jusqu’à faire analyser le texte par ChatGPT pour faire démontrer par l’IA qu’il était « dangereux ». Très symptomatique aussi de cette tendance dans laquelle l’opinion précède la réflexion, il y eut cette personne qui vint me dire que la neutralité qu’elle avait cru percevoir dans le billet était scandaleuse tout en déclarant, avec fierté, qu’elle ne l’écouterait pas parce que ce « qu’on lui en avait dit lui suffisait ». Il y eut aussi du recadrage idéologique en bonne et due forme avec un texte à charge lu, keffieh sur les épaules sur fond de musique dramatique. Souvent aussi, on utilisa (sans le savoir) le stratagème 32 de l’art d’avoir toujours raison de Schopenhauer : « le principe de l’association dégradante », faisant de moi un salaud parce que je parlais de complexité alors que des « enfants meurent sous les bombes » (j’ai mit des guillemets parce que c’est de cette manière que ce fut formulé). Bien entendu, il y eu toutes sortes d’insultes (« pourriture sioniste ») et de menaces, parfois floues (« on ne t’oubliera pas ») parfois rigolotes (« t’es bon pour la CPI »). Il y eut aussi la condamnation par raccourcis : ce billet est mauvais parce que «Gunzig travaille pour une radio de collabo (la RTBF) » ou parce que « il a signé une carte blanche avec untel » (nom d’une personnalité ayant tenu des propos franchement révisionnistes sur Gaza). Un message affirma qu’il y avait « conflit d’intérêts » parce que « Gunzig est Israélien » (je n’ai osé y voir une distorsion de la perception déduisant de la judéité de mon père belge mon hypothétique nationalité israélienne). On utilisa aussi, en guise de disqualification, le terme « bourgeois » dont on sait qu’il ne signifie pas grand-chose et qu’il est, de ce fait, bien utile pour se débarrasser de quelqu’un (durant la grande terreur de la dékoulakisation, vous étiez un bourgeois bon pour la Sibérie si vous possédiez une chèvre). Il y eut, enfin, l’utilisation du terme « problématique » que l’on retrouve souvent dans d’autres débats. Un terme assez crapuleux dans la manière qu’il a d’être à la fois vague (il suggère) et définitif (il condamne).

Il est un point intéressant, c’est que, sur l’essentiel, j’étais et je suis toujours d’accord avec tous ceux dont émanaient ces commentaires : Israël commet des crimes de guerre, il y a un génocide en cours, il faut des sanctions contre Israël, il faut un état palestinien. Affirmer cela, lorsqu’on connait l’importance de ces questions et des réponses qu’on peut leur apporter, ne ressemble pas vraiment à de la neutralité. Mais si, sur l’essentiel et le plus important, nous étions d’accord, c’est donc le reste qui me valut la shitstorm. Dans mon texte, certaines réponses, l’absence de certaines questions, la manière de présenter tel ou tel point ont déplu à une partie du monde militant qui s’est déchainé dans ce qui ressemblait à une ivresse messianique, avec la rage des gardiens du temple à l’égard de quelqu’un qui serait rentré chez eux sans s’essuyer les pieds.

Cela m’a rappelé une soirée passée, il y a quelques années, à l’invitation d’une association belgo-palestinienne (j’ai oublié son nom, mea-culpa). J’étais parti en Cisjordanie en compagnie d’un écrivain et d’un cinéaste, il s’agissait de nous faire rencontrer des écrivains, des artistes et des intellectuels palestiniens. Au terme de ce voyage, j’avais écrit un texte que j’avais lu à l’occasion de cette soirée, un texte joyeux dans lequel je parlais de la beauté du pays, des fêtes que nous y avions faites, de ce que nous avions bu et mangé en compagnie de ceux que nous avions rencontrés. Dans l’assistance, composée de militants belges, ce fut la stupéfaction et la colère. Mon texte ne parlait pas assez de la souffrance, de la violence de l’occupation ou de la menace des colonies. En fin de soirée, Leïla Shahid qui était présente, était venue vers moi et m’avait dit « c’est de ça qu’il faut parler, de cette joie qui existe là-bas ». Bien entendu, c’était une autre époque. Le désespoir y était moins absolu, la violence n’avait pas encore atteint le niveau d’apocalypse que nous connaissons aujourd’hui, mais cet exemple illustre à merveille la raideur idéologique dont peuvent faire preuve ceux qui s’emparent d’une cause dont ils estiment être les uniques propriétaires.

Et pendant que tous ceux qui voudraient que les bombes cessent de tomber se chamaillent, s’épuisent sur des éléments de langage, sur des divergences de vues, sur la manière de qualifier les choses, sur l’importance de tel ou tel repère historique, hé bien… les bombes ne cessent de tomber et ceux qui les lancent doivent être ravis du spectacle que nous leur donnons. Quand le génocide a-t-il commencé ? Est-ce un état colonial ? Comment le définir exactement ? À combien de pourcent Israël est-il responsable ? Et la formule « from the river to the sea », bien ou mal ? Et les artistes israéliens, boycott ou non ? Voilà de quoi nous discutons pendant qu’avec détermination, avec régularité, Trump, Poutine, Netanyahou qui n’en ont absolument rien à faire de ces cheveux coupés en quatre, règlent le problème à leur façon.

Parce qu’en face de la dynamique progressiste, il y a la dynamique réactionnaire. Et cette dynamique-là est dotée d’un tube digestif beaucoup plus solide que celui de la gauche (au sens large). Cette dynamique-là est capable d’agréger dans son ventre à peu près n’importe quoi, du raciste de base à l’incel, du catho tradi au néo nazi, de l’antivax au pro-russe, du juif millénariste à l’islamophobe, du climatosceptique au chef d’entreprise qui se dit que ce sera bon pour ses affaires.

Il y a cet exemple que j’aime beaucoup et il me servira de conclusion, celui de la rupture entre Antonin Artaud et André Breton. André Breton était pointilleux et doctrinaire. Il voulait avancer dans son projet de « révolution surréaliste ». Antonin Artaud avait quitté l’affaire sachant que, si l’humain ne commençait pas par faire sa révolution intérieure, il n’y aurait pas de révolution du tout.

La Révolution surréaliste n’eut jamais lieu.

Et de son côté Artaud est mort seul et fou.

Signe probable qu’il avait raison.



L’Acétamipride ? Non merci !

Reprise d’un post LinkedIn d’Hélène Grosbois – titre obsant

Une grande partie des pesticides de synthèse sont des perturbateurs endocriniens

Hélène Grosbois

Une grande partie des pesticides de synthèse sont des perturbateurs endocriniens. Ils en représentent l’immense majorité de notre exposition puisque l’on mange trois fois par jours, tous les jours de sa vie et même déjà au cours de la vie intra utérine pendant laquelle ils sont particulièrement toxiques.

En effet, les premiers mois de vie intra-utérine sont cruciaux et déterminent de façon majeure la santé future, car c’est à ce moment que tout se met en place, notamment sous l’action de la thyroïde qui a un rôle essentiel de « coordination » de la croissance, des cellules, du métabolisme, de système nerveux, de l’ensemble du système endocrinien et immunitaire.

Les pesticides dits halogénés, c’est à dire avec du chlore, du fluor ou du brome, n’ont pas d’effet de seuil et sont toxiques dès la première exposition, à des doses infinitésimales, en plus d’être eux-mêmes ou leurs métabolites très persistants.

Ils ont une structure chimique extrêmement proche des hormones thyroïdiennes dont ils prennent immédiatement la place dans le cerveau.

Ce qui signifie que la phrase de Paracelse: « c’est la dose qui fait le poison » est totalement obsolète dans le cadre de la très grande majorité des pesticides de synthèse. On dit donc qu’ils ont des effets NON-MONOTONIQUES. Cela signifie que leurs effets sont imprévisibles et qu’ils peuvent être plus toxiques à faible doses qu’a forte dose.

En conséquence, toute la régulation qui porte sur des doses qui serait « admissibles » n’a absolument aucun sens alors que les effets non-monotoniques des pesticides ont été démontrés il y a bien longtemps.

Comment fonctionne l’acétamipride ?

L’acétamipride est un pesticide organochloré qui dégrade le système nerveux par l’inhibition de l’activité de l’acétylcholinestérase, un neurotransmetteur responsable de la dégradation de l’acétylcholine (ACh), ce qui cause l’accumulation de l’ACh au niveau synaptique, avec une hyperstimulation du système cholinergique.

Qu’est-ce que ça veut dire?

Qu’il s’agit d’un neurotoxique aux conséquences nombreuses quand on sait l’importance des neurotransmetteurs (en même temps il a été inventé pour tuer des animaux) :

  • SLUDGE/BBB : acronyme qui englobe des pathologies autours la salivation, larmoiement, urination, diarrhée, douleurs gastro-intestinales, vomissements, la bronchorrhée, bronchospasme, hypotension et bradycardie,
  • des maladies neurodégénératives : telles que la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson,
  • des handicaps intellectuels ou trouble du développement intellectuel,
  • des troubles de l’attention (AH, TDAH) : déficit de l’attention, impulsivité, hyperactivité,
  • des troubles de la communication : du langage, de la fondation, sociale, de la fluidité verbale,
  • des troubles du spectre de l’autisme (TSA),
  • des troubles de l’ apprentissage : dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, dysphasie, dyspraxie.

Pour les abeilles, quant il ne les tue pas directement, il les désoriente les empêchant de retrouver leur ruche.




Le fascisme de la fin des temps

Naomi Klein () – Astra Taylor ()

L’idéologie dominante de l’extrême droite est devenue un survivalisme monstrueux, destructeur et suprématiste, expliquent Naomi Klein et Astra Taylor dans un article récent devenu incontournable : The rise of end times fascism (The Guardian).

Elles appellent à construire un mouvement suffisamment fort pour l’arrêter.

La revue des écologies radicales « Terrestres » a publié la traduction en français de Nicolas Haeringer que nous republions ci-dessous.


La mouvance des cités-États privées n’en croit pas ses yeux1. Pendant des années, elle a défendu l’idée radicale que les ultra-riches, rétifs à l’impôt, devraient créer leurs propres fiefs high-techs – qu’il s’agisse de pays entièrement nouveaux sur des îles artificielles dans les eaux internationales (des « implantation maritimes ») ou de « villes libres » dédiées aux affaires, telles que Próspera, une communauté fermée adossée à un spa de l’ouest sauvage sur une île du Honduras2.

Pour autant, en dépit du soutien de figures majeures du capital-risque telles que Peter Thiel et Marc Andreessen, leurs rêves libertariens radicaux ne cessaient de s’enliser : il semble que la plupart des riches qui ont un peu d’estime d’eux-mêmes ne souhaitent en réalité pas vivre sur des plateformes pétrolières flottantes, même s’ils y paieraient moins d’impôts. Quand bien même Próspera serait un lieu de villégiature agréable, propice à des « améliorations » physiques3, son statut extra-national est actuellement contesté devant les tribunaux.

Ce réseau autrefois marginal se retrouve aujourd’hui brusquement à frapper à des portes grandes ouvertes, au cœur même du pouvoir mondial.

Le premier signe que la chance tournait remonte à 2023, quand Donald Trump, alors en pleine campagne, sortait de son chapeau l’idée d’organiser une compétition, qui déboucherait sur la création de dix « villes libres » sur des terres fédérales. À l’époque, ce ballon d’essai est passé inaperçu, noyé dans le déluge quotidien de déclarations outrancières. Mais depuis que le nouveau gouvernement a pris ses fonctions, ceux qui aspirent à créer de toutes pièces de nouveaux pays mènent une campagne de lobbying intense, déterminés à ce que l’engagement de Trump devienne réalité.

« À Washington, l’ambiance est vraiment électrique », s’est récemment enthousiasmé Trey Goff, le secrétaire général de Próspera, après s’être rendu au Capitole. La législation ouvrant la voie à de nombreuses cités-États privées devrait être finalisée d’ici la fin de l’année, affirmait-il alors.

Inspirés par leur lecture tronquée du philosophe politique Albert Hirschman, des personnalités comme Goff, Thiel et l’investisseur et essayiste Balaji Srinivasan promeuvent ce qu’ils appellent « l’exit » – soit le principe selon lequel ceux qui peuvent se le permettre auraient le droit de se soustraire aux obligations de la citoyenneté, en particulier aux impôts et aux réglementations contraignantes. En remodelant et renouvelant les vieilles ambitions et les anciens privilèges des empires, ils rêvent de briser les gouvernements et de diviser le monde en havres hyper-capitalistes. Ceux-ci seraient dépourvus de démocratie, sous le contrôle exclusif des ultra-riches, protégés par des mercenaires privés, servis par des robots intelligents et financés par les cryptomonnaies.

On pourrait penser qu’il y une contradiction à ce que Trump, élu sur son programme-étendard « l’Amérique d’abord », accorde du crédit à cette vision de territoires souverains dirigés par des milliardaires rois divins. De fait, on a beaucoup parlé des luttes de pouvoir que mènent Steve Bannon, porte-parole du courant MAGA [Make America Great Again, ndt], fier populiste patriote, contre les milliardaires ralliés à Trump qu’il traite de « technoféodalistes » qui « n’ont rien à foutre de l’être humain » – et encore moins de l’État-nation. De fait, les conflits au sein de la coalition bancale et bizarroïde montée par Trump sont à l’évidence légion, et ont récemment culminé à propos des droits de douane4. Pourtant, les visions sous-jacentes ne sont pas forcément aussi incompatibles qu’elles n’en ont l’air.

Le contingent des « aspirants créateurs de pays » envisage très clairement un avenir défini par les chocs, les pénuries et l’effondrement. Leurs domaines privés, ultra-modernes, ne sont rien d’autre que des capsules de sauvetage fortifiées, conçues pour qu’une petite élite puisse profiter de tout le luxe imaginable, et bénéficie de chaque opportunité d’optimisation humaine susceptible de leur offrir, ainsi qu’à leurs enfants, un avantage décisif dans un avenir de plus en plus barbare. Pour le dire crûment, les personnes les plus puissantes au monde se préparent pour la fin du monde, une fin dont elles accélèrent frénétiquement l’arrivée.

En soi, ce n’est guère différent de la vision, plus orientée vers les masses, de « nations forteresses », qui définit la droite dure partout dans le monde, de l’Italie à Israël en passant par l’Australie et les États-Unis. À l’ère des périls permanents, les mouvements ouvertement suprémacistes de ces pays veulent transformer ces États relativement prospères en bunkers armés. Des bunkers dont ils sont déterminés à brutalement expulser et emprisonner les êtres humains indésirables (même si cela passe par un confinement à durée indéterminée dans des colonies pénitentiaires extra-nationales, à l’instar de l’île de Manus5 ou de Guantánamo). Leurs promoteurs sont également sans pitié dans leur volonté de s’accaparer violemment les terres et les ressources (eau, énergie, minerais critiques) qu’ils estiment indispensables pour absorber les chocs à venir.

Au moment où les élites de la Silicon Valley, autrefois laïques, découvrent Jésus, il est remarquable que ces deux visions – l’État-privé à pas-priorité et la nation-bunker à marché de masse – partagent tant avec l’interprétation fondamentaliste Chrétienne de l’Enlèvement biblique, soit le moment où les fidèles sont censés être élevés au paradis, vers une cité dorée, tandis que les damnés seront abandonnés ici-bas, pour endurer la bataille apocalyptique finale.

Si nous voulons être à la hauteur de ce moment critique de l’histoire, nous devons admettre que nous ne faisons pas face à des adversaires similaires à ceux que nous connaissons. Nous faisons face au fascisme de la fin des temps.

Revenant sur son enfance sous Mussolini, le romancier et philosophe Umberto Eco notait dans un article célèbre que le fascisme souffre généralement d’un « complexe d’Armageddon » : une obsession à anéantir ses ennemis lors d’une grande bataille finale. Mais le fascisme européen des années 1930 et 1940 avait aussi un horizon : la vision d’un âge d’or à venir, après le bain de sang. Un âge qui, pour ses partisans, serait pacifique, champêtre et pur. Ce n’est plus le cas.

Conscients que notre époque est marquée par des risques existentiels réels – de la catastrophe climatique à la guerre nucléaire, en passant par l’explosion des inégalités et l’IA déréglementée – mais impliqués financièrement et idéologiquement dans l’aggravation de ces menaces, les mouvements d’extrême droite contemporains n’ont aucune vision crédible d’un avenir prometteur. L’électeur moyen ne se voit offrir que les réminiscences d’un passé révolu, aux côtés du plaisir sadique de la domination sur un ensemble toujours plus vaste de semblables déshumanisés.

Ainsi de l’administration Trump, qui se voue à diffuser son flux ininterrompu de propagande (réelle ou générée par IA), dans le seul but de diffuser ces contenus obscènes. Les images de migrants pieds et poings liés embarqués dans des avions pour être expulsés, avec en fond sonore les bruits de chaînes et de menottes qui s’entrechoquent sont présentées par le compte X officiel de la Maison Blanche comme de l’« ASMR », soit un son conçu pour calmer le système nerveux. Ce même compte rapportait la détention de Mahmoud Khalil, un résident permanent américain impliqué dans le campement pro-palestinien de l’Université Columbia, avec ce commentaire extatique : « SHALOM, MAHMOUD ». Ou encore les nombreuses séances photos sadiques-chics de la secrétaire à la Sécurité intérieure Kristi Noem, qui pose tour à tour sur un cheval à la frontière américano-mexicaine, devant une cellule de prison bondée au Salvador ou brandissant une mitraillette lors de l’arrestation d’immigrants en Arizona.

Dans une époque où les catastrophes se multiplient, l’idéologie dominante de l’extrême droite a pris la forme d’un survivalisme monstrueux et suprémaciste.

Certes, ce constat est terrifiant par sa dureté. Mais il permet de dégager de puissantes perspectives pour la résistance. Parier à ce point-là contre l’avenir – tout miser sur le bunker – implique ni plus ni moins que de trahir nos devoirs envers les autres, envers les enfants que nous aimons, envers toute autre forme de vie avec laquelle nous avons la planète en partage. Ce système de croyance est intrinsèquement génocidaire, et il trahit les beautés et merveilles de ce monde. Nous sommes convaincues que plus les gens comprendront à quel point la droite a succombé à ce complexe d’Armageddon, plus ils et elles prendront conscience que tout est désormais remis en cause, et plus ils et elles seront prêt·es à résister.

Nos adversaires savent parfaitement que nous entrons dans une ère d’urgence, mais ils y répondent en optant pour des illusions aussi mortelles qu’égocentriques. Séduits par l’illusoire sécurité d’un apartheid bunkérisé, ils choisissent de laisser la Terre brûler. Notre tâche est donc de construire un mouvement aussi large que profond, aussi spirituel que politique, qui soit suffisamment puissant pour stopper ces traîtres irrationnels. Un mouvement enchâssé dans une indéfectible solidarité les unes envers les autres, au-delà de nos nombreuses différences et divergences, et envers cette planète aussi miraculeuse que singulière.

Il y a peu, seuls les fondamentalistes religieux saluaient avec enthousiasme les signes avant-coureurs de l’apocalypse, qui annonçaient l’Enlèvement tant attendu. Trump a désormais confié des rôles décisifs à des personnes qui adhèrent à cette orthodoxie, en particulier à plusieurs Chrétiens sionistes qui considèrent le recours à la violence annihilatrice par Israël pour étendre son emprise territoriale non pas comme une atrocité illégale, mais comme une preuve bienvenue que la Terre Sainte se rapproche des conditions propices au retour du Messie et à l’accession des fidèles au royaume céleste.

Mike Huckabee, le nouvel ambassadeur de Trump en Israël, est étroitement lié au sionisme chrétien, tout comme Pete Hegseth, son ministre de la Défense. Noem et Russell Vought, les architectes du Projet 20256 qui dirigent désormais l’organisme chargé de gérer les ministères et de préparer le budget, sont tous deux de fervents défenseurs du nationalisme chrétien. Même Peter Thiel, homosexuel et connu pour être un bon vivant, a récemment été entendu en train de spéculer sur l’arrivée de l’Antéchrist (spoiler : il pense qu’il s’agit de Greta Thunberg, nous y reviendrons plus bas).Pas besoin de prendre la Bible à la lettre, ni même d’être croyant, pour être un fasciste de la fin des temps. De nombreuses personnes non-croyantes ont désormais adopté la vision d’un avenir qui se déroule de manière à peu près identique : un monde qui s’effondre sous son propre poids, où une poignée d’élus survit puis prospère dans diverses arches, bunkers et « communautés libres » fermées. Dans leur article de 2019 intitulé « Left Behind : Future Fetishists, Prepping and the Abandonment of Earth », les spécialistes des sciences de la communication Sarah T. Roberts et Mél Hogan décrivaient l’attirance pour un Enlèvement séculier : « Dans l’imaginaire accélérationniste, l’avenir ne se définit pas par la réduction des risques, les limites ou la réparation ; il s’agit au contraire d’une politique qui nous mène tout droit vers un affrontement final ».

Elon Musk, dont la fortune s’est considérablement accrue aux côtés de Thiel à PayPal, incarne cet ethos de l’implosion. Nous avons affaire à quelqu’un qui, lorsqu’il regarde les merveilles du ciel étoilé, n’y décèle que des opportunités de remplir ce monde inconnu avec ses propres poubelles spatiales. Bien qu’il ait redoré sa réputation en alertant sur les dangers de la crise climatique et de l’intelligence artificielle, lui et ses sbires du soi-disant « Département de l’efficacité gouvernementale » (DOGE), passent dorénavant leur temps à aggraver ces mêmes risques (et de nombreux autres) en sapant toutes les réglementations environnementales et en taillant dans l’ensemble des agences de régulation dans le but apparent de remplacer les fonctionnaires fédéraux par des chatbots.

Qui a besoin d’un État-nation opérationnel quand l’espace – apparemment l’obsession première d’Elon Musk – nous appelle ? Mars est devenu son arche laïque, qu’il estime être essentielle pour la survie de la civilisation humaine, par exemple grâce au transfert de la conscience vers une intelligence artificielle globale. Kim Stanley Robinson, l’auteur de la série de science-fiction La Trilogie de Mars, qui aurait pour partie inspiré Musk, ne mâche pas ses mots quant aux dangers des fantasmes du milliardaire sur la colonisation de Mars. Il s’agit, dit-il, « tout simplement d’un danger moral qui crée l’illusion que nous pouvons détruire la Terre mais nous en sortir quand-même. C’est totalement faux. »

À l’instar des croyants millénaristes qui espèrent échapper au monde physique, l’ambition de Musk de faire advenir une humanité « multiplanétaire » n’est possible qu’en raison de son incapacité à apprécier la splendeur multispécifique de notre unique maison. À l’évidence indifférent aux extraordinaires richesses qui l’entourent, ainsi qu’à la préservation d’une Terre bouillonnante de diversité, il utilise son immense fortune pour construire un futur dans lequel une poignée d’humains et de robots survivraient péniblement sur deux planètes arides – la Terre radicalement appauvrie et Mars terraformée. De fait, dans un étrange détournement du message de l’Ancien Testament, Musk et ses copains milliardaires de la tech, dotés de pouvoirs quasi divins, ne se contentent pas de construire les arches. Ils font à l’évidence de leur mieux pour provoquer le déluge. Les leaders de la droite contemporaine et leurs riches alliés ne se contentent pas de tirer profit des catastrophes, dans la lignée de la stratégie du choc et du capitalisme du désastre. Ils les provoquent et les planifient d’un même mouvement.

Qu’en est-il néanmoins de la base électorale du mouvement trumpiste MAGA ? Ils et elles ne sont pas tous-tes suffisamment croyant-es pour être honnêtement convaincu·es par l’idée de l’Enlèvement, et n’ont pour l’essentiel évidemment pas les moyens de s’offrir une place dans l’une des « villes libres », encore moins dans une fusée. Pas d’inquiétude ! Le fascisme de la fin des temps offre la promesse de nombreuses arches et de nombreux bunkers plus accessibles, largement à portée des petits soldats.

Écoutez le podcast quotidien de Steve Bannon – qui se présente comme le média privilégié du MAGA – et vous serez gavé·e d’un unique message : le monde devient un enfer, les infidèles détruisent les barricades et l’affrontement final approche. Soyez prêts. Le message prepper/survivaliste devient particulièrement explicite lorsque Bannon se met à faire la pub des produits de ses partenaires. Achetez du Birch Gold, dit Bannon à son auditoire, car l’économie américaine, surendettée, va s’effondrer et que vous ne pouvez pas faire confiance aux banques. Faites le plein de plats préparés chez My Patriot Supply (« Mon Épicerie Patriote »). Ne manquez plus votre cible en vous entraînant à tirer chez vous, grâce à ce système de guidage laser. En cas de catastrophe, rappelle-t-il, la dernière chose que vous voulez est de dépendre du gouvernement – sous-entendu : surtout maintenant que les « DOGE boys » le démantèlent pour le vendre à la découpe.

Bien sûr, Bannon ne se contente pas d’inciter son public à construire ses propres bunkers. Il défend en même temps une vision des États-Unis comme un bunker à part entière, dans lequel les agents de l’ICE [Immigration and Customs Enforcement] rôdent en ville, dans les entreprises et sur les campus, faisant disparaître toute personne considérée comme ennemie de la politique et des intérêts états-uniens. La nation bunkerisée constitue le cœur du programme MAGA et du fascisme de la fin des temps. Dans cette logique, la première chose à faire est de renforcer les frontières nationales et d’éliminer tous les ennemis, étrangers comme nationaux. Ce sale travail est désormais bien engagé, le gouvernement Trump ayant, avec l’aval de la Cour suprême, invoqué l’Alien Enemies Act pour expulser des centaines de migrants vénézuéliens vers Cecot, la tristement célèbre méga-prison située au Salvador. L’établissement, dans lequel les prisonniers sont rasés de près et où s’entassent jusqu’à 100 personnes dans une cellule remplie d’austères lits de camp, opère en vertu d’un « état d’exception » destructeur des libertés fondamentales, promulgué pour la première fois il y a plus de trois ans par Nayib Bukele (), le premier ministre chrétien sioniste fan de cryptomonnaies.

Bukele a proposé d’appliquer le même système de tarification à l’acte aux citoyens états-uniens que le gouvernement aimerait plonger dans un trou noir judiciaire. Interrogé à ce propos, Trump a récemment répondu : « J’adore ça ». Rien d’étonnant à cela : [la prison de haute sécurité] Cecot7 est le revers maléfique, mais évident, du fantasme de la « ville de la liberté » – un lieu où tout est à vendre et où aucune procédure régulière n’a droit de cité. Nous devrions nous préparer à un surcroît de sadisme de ce genre. Dans une déclaration terrifiante de franchise, le directeur par intérim de l’ICE, Todd Lyons, a déclaré lors de la Border Security Expo 2025 qu’il aimerait voir advenir une approche plus « marchande » de ces expulsions : « Comme Amazon Prime, mais avec des êtres humains ».

La surveillance policière des frontières de la nation bunkerisée est la fonction première du fascisme de la fin des temps. Mais la seconde n’est pas moins importante : le gouvernement états-unien doit s’accaparer toutes les ressources dont ses citoyens ainsi protégés pourraient avoir besoin pour faire face aux épreuves à venir. Il peut s’agir du canal de Panama. Ou les routes maritimes du Groenland, dont la banquise fond à toute vitesse. Ou les minerais essentiels de l’Ukraine. Ou l’eau douce du Canada. Nous ne devrions pas tant l’envisager comme une forme éculée d’impérialisme, que comme une méga-anticipation de type survivaliste (super-sized prepping) à l’échelle d’un État-nation. Oubliées les vieilles lubies coloniales consistant à apporter la démocratie ou la parole de Dieu – quand Trump observe le monde avec convoitise, il entend accumuler des réserves en vue de l’effondrement de la civilisation.

L’état d’esprit bunkerisé explique aussi les incursions controversées de J.D. Vance dans la théologie catholique. Le vice-président, dont la carrière politique doit beaucoup à la générosité du survivaliste en chef Peter Thiel, a raconté sur Fox News que, selon le concept chrétien médiéval de l’ordo amoris (qui se traduit à la fois par « ordre de l’amour » et « ordre de la charité »), l’amour n’est pas à ceux qui survivent à l’extérieur du bunker : « On aime sa famille, puis on aime son voisin, puis on aime sa communauté, puis les concitoyens de son propre pays. Et après cela, on peut se concentrer et donner la priorité au reste du monde. » (Ou pas, comme tend à le montrer la politique étrangère du gouvernement Trump.) Pour le dire autrement : en dehors du bunker, nous ne devons rien à qui que ce soit.

Bien que ce courant s’appuie sur des courants anciens de l’aile droite – justifier l’exclusion par la haine n’est pas vraiment nouveau sous le soleil ethno-nationaliste – nous n’avons encore jamais fait face à une tendance apocalyptique au plus haut d’un gouvernement. Les grands discours sur la « fin de l’histoire » de l’après guerre froide sont rapidement remplacés par la certitude que nous faisons vraiment face à la fin des temps. Même si le DOGE se drape d’un argument d’efficacité économique, et même si les sbires d’Elon Musk rappellent les jeunes « Chicago boys » formés aux États-Unis qui ont conçu la stratégie du choc pour la dictature d’Augusto Pinochet, il ne s’agit plus de la vieille alliance entre néolibéralisme et néoconservatisme. Il s’agit d’un nouveau fourre-tout millénariste vénérant l’argent, qui affirme qu’il faut détruire la bureaucratie et remplacer les humains par des robots afin de réduire « le gaspillage, la fraude et les abus » – et aussi parce que la fonction publique est le dernier refuge des démons qui résistent à Trump. C’est là que les « tech bros » fusionnent avec les « TheoBros », un véritable groupe de suprémacistes chrétiens hyper-patriarcaux ayant des liens avec Pete Hegseth et d’autres membres du gouvernement Trump.

Comme toujours avec le fascisme, le fantasme apocalyptique contemporain transcende les clivages de classe, et unit les milliardaires à la base MAGA. Grâce à des décennies de tensions économiques croissantes renforcées par les discours bien orchestrés opposant les travailleurs entre eux, nombreux sont ceux qui ressentent, à juste titre, qu’ils n’ont plus les moyens de se protéger contre la désintégration qui les entoure – peu importe le nombre de repas préparés qu’ils stockent. Mais on leur offre des compensations affectives : ils peuvent ainsi se réjouir de la fin des politiques dites DEI (diversité, équité et inclusion) en soutien à l’égalité des chances, s’enflammer pour les expulsions de masse, saluer le refus de soins d’affirmation de genre, conspuer les enseignant·es et les soignant·es qui prétendent en savoir plus qu’eux ou applaudir la déréglementation économique et écologique comme une manière de prendre une revanche sur les gauchistes [the libs, littéralement « les libéraux »]. Le fascisme de la fin du monde est un fatalisme sinistrement festif — le dernier refuge de ceux qui préfèrent célébrer la destruction plutôt qu’imaginer un monde sans suprématie.

C’est aussi une spirale infernale qui s’auto-entretient : les attaques féroces de Trump contre chacune des structures censées protéger le public – des maladies, des aliments néfastes ou des catastrophes – ou même simplement l’alerter lorsqu’un danger approche, ne font que renforcer la légitimité du survivalisme, aussi bien chez les élites que parmi les classes populaires, tout en ouvrant de multiples nouvelles opportunités de privatisation et de profits pour les oligarques qui alimentent et propagent le démantèlement de l’État social et régulateur.

Au début du premier mandat de Trump, The New Yorker enquêtait sur un phénomène qu’il qualifiait de « survivalisme apocalyptique pour ultra-riches ». Il était déjà clair à l’époque que, dans la Silicon Valley et à Wall Street, les survivalistes les plus sérieux parmi l’élite se préparaient aux bouleversements climatiques et à l’effondrement social en achetant de l’espace dans des bunkers souterrains sur mesure, ou en construisant des résidences de secours en altitude, dans des lieux comme Hawaï (où Mark Zuckerberg présente son abri souterrain de 1500 m2 comme un simple « petit refuge ») ou en Nouvelle-Zélande (où Peter Thiel a acquis près de 200 hectares, mais a vu son projet de complexe survivaliste de luxe rejeté en 2022 par les autorités locales, car trop disgracieux).

Ce millénarisme s’entremêle à un ensemble d’obsessions intellectuelles propres à la Silicon Valley, nourries par une vision eschatologique selon laquelle notre planète fonce droit vers un cataclysme, et qu’il serait donc temps de faire des choix difficiles quant aux parties de l’humanité qui pourront être sauvées. Le transhumanisme est l’une de ces idéologies, qui englobe aussi bien de petites « améliorations » humain-machine que la quête du transfert de l’intelligence humaine dans une intelligence artificielle générale chimérique. On y trouve aussi l’« altruisme efficace » et le « long-termisme », deux courants qui ignorent les politiques de redistribution pour venir en aide aux plus démunis ici et maintenant pour leur substituer une approche coûts-bénéfices visant à faire le « bien » à très long terme.

Bien qu’elles semblent de prime abord anodines, ces idées sont irrémédiablement imprégnées d’inquiétants biais raciaux, validistes et sexistes quant aux parties de l’humanité qui mériteraient d’être améliorées et sauvées, et celles qui pourraient au contraire être sacrifiées au nom d’un prétendu bien commun. Elles ont également en commun un désintérêt marqué pour la nécessité urgente de s’attaquer aux causes profondes de l’effondrement – un objectif pourtant responsable et rationnel, que nombre de personnalités influentes rejettent désormais ouvertement. À la place de l’« altruisme efficace », Marc Andreessen, un habitué de Mar-a-Lago, et d’autres, prônent désormais « l’accélérationnisme efficace » soit « la propulsion délibérée du développement technologique » sans aucun garde-fou.

En attendant, des philosophies encore plus sombres trouvent un écho grandissant. Parmi celles-ci, les élucubrations néoréactionnaires et monarchistes du programmeur Curtis Yarvin (une autre référence intellectuelle majeure pour Peter Thiel), l’obsession du mouvement pro-nataliste pour l’augmentation drastique du nombre de bébés « occidentaux » (une des marottes d’Elon Musk), ou encore la vision du « gourou de l’exit » Balaji Srinivasan : un San Francisco techno-sioniste, où les entreprises et la police s’allieraient pour épurer politiquement la ville de ses libéraux et faire place à un État d’apartheid en réseau.

Comme l’ont écrit les spécialistes de l’Intelligence Artificielle Timnit Gebru et Émile P. Torres, bien que les méthodes soient nouvelles, ce « paquet » de lubies idéologiques « descend directement de la première vague de l’eugénisme », qui voyait déjà une élite restreinte décider de quelles parties de l’humanité méritaient d’être préservées, et lesquelles devaient être éliminées, écartées ou abandonnées. Jusqu’à récemment, peu de gens y prêtaient attention. À l’image de Próspera – où l’on peut déjà expérimenter des fusions humain-machine, comme implanter la clé de sa Tesla dans sa main – ces courants de pensée semblaient n’être que les lubies marginales de quelques dilettantes fortunés de la baie de San Francisco prompts à brûler leur argent et leur sagesse. Ce n’est plus le cas.

Trois changements matériels sont venus renforcer l’attraction apocalyptique du fascisme de fin des temps. Le premier est la crise climatique. Si certaines personnalités en vue persistent à nier ou minimiser la menace, les élites mondiales, dont les propriétés en bord de mer et les centres de données sont directement menacés par la montée des eaux et la hausse des températures, connaissent parfaitement les risques en cascade d’un monde en surchauffe. Le second est le Covid19. Les modèles épidémiologiques prédisaient depuis longtemps la possibilité d’un choc sanitaire planétaire dévastateur dans notre monde en réseau. Son avènement a été interprété par de nombreux puissants comme un signal : nous sommes officiellement entrés dans « l’Ère des Conséquences », pour reprendre la terminologie des analystes militaires états-uniens. Le temps des prédictions est derrière nous : l’effondrement est en cours. Le troisième changement est le développement fulgurant de l’intelligence artificielle. L’IA a longtemps été associée à des cauchemars de science-fiction et de machines qui se retournent contre leurs créateurs avec une efficacité brutale — des peurs qu’expriment, non sans ironie, ceux-là mêmes qui conçoivent ces outils. Ces crises existentielles se superposent aux tensions croissantes entre puissances nucléaires.

Rien de cela ne peut être relégué au rang d’un délire paranoïaque. Nous sommes nombreux·ses à ressentir au plus profond de nous l’imminence de l’effondrement avec une telle acuité que nous faisons face en nous plongeant dans des histoires de bunkers post-apocalyptiques, via des séries telles que Silo sur Apple TV ou Paradise sur Hulu. Comme le rappelle l’analyste et éditorialiste britannique Richard Seymour dans son dernier ouvrage, Disaster Nationalism : « L’apocalypse n’a rien d’une simple fantaisie. Après tout, nous vivons déjà dedans, entre les virus meurtriers et l’érosion des sols, la crise économique et le chaos géopolitique. »

Le projet économique de Trump 2.0 est un monstre à la Frankenstein, assemblé à partir des industries qui alimentent toutes ces menaces : les combustibles fossiles, l’armement, les cryptomonnaies et l’intelligence artificielle insatiables en ressources énergétiques. L’ensemble des acteurs de ces secteurs savent pertinemment qu’il est impossible de construire le monde-miroir artificiel promis par l’IA sans sacrifier le monde réel : ces technologies consomment bien trop d’énergie, trop de minéraux critiques et trop d’eau pour pouvoir coexister avec la planète dans un équilibre un tant soit peu viable. En avril dernier, l’ancien dirigeant de Google, Eric Schmidt, a reconnu devant le Congrès que les besoins énergétiques « considérables » de l’IA devraient tripler dans les prochaines années et qu’ils seraient majoritairement comblés par les énergies fossiles, le nucléaire ne pouvant être déployé assez rapidement. Ce niveau de consommation, qui revient à incinérer la planète, serait à ses yeux indispensable pour permettre l’émergence d’une intelligence « supérieure » à l’humanité — une divinité numérique surgissant des cendres d’un monde abandonné.

Et ils sont inquiets — mais pas des menaces qu’ils déchaînent. Ce qui empêche les dirigeants de ces industries imbriquées les unes aux autres de dormir, c’est la possibilité d’un sursaut civilisationnel, c’est-à-dire la possibilité que les efforts coordonnés des gouvernements parviennent enfin à freiner leurs activités prédatrices avant qu’il ne soit trop tard. Car pour eux, l’apocalypse ce n’est pas l’effondrement : c’est la régulation.

Le fait que leurs profits reposent sur la destruction de la planète permet de comprendre pourquoi les discours bienveillants sont en reflux dans les sphères du pouvoir, au profit d’un mépris de plus en plus assumé pour l’idée même que nous sommes liés par des liens réciproques pour la simple raison que nous partageons une humanité commune. La Silicon Valley en a fini avec l’altruisme, qu’il soit « efficace » ou non. Mark Zuckerberg rêve d’une culture qui valorise « l’agressivité ». Alex Karp, un associé de Peter Thiel à la tête de la société de surveillance Palantir Technologies, fustige l’« auto-flagellation perdante » de ceux et celles qui remettent en question la supériorité américaine ou les mérites des armes autonomes (et donc les juteux contrats militaires qui ont fait sa fortune). Elon Musk explique à Joe Rogan que l’empathie est « la faiblesse fondamentale de la civilisation occidentale » ; et, après avoir échoué à acheter une élection pour la Cour suprême du Wisconsin, râle au motif qu’« il devient de plus en plus évident que l’humanité n’est qu’un support biologique (biological bootloader) pour la super-intelligence numérique. » Autrement dit, nous, humains, ne sommes rien de plus que du grain à moudre pour Grok, son IA. (Il nous avait prévenus : il est « dark Maga ». Et il est loin d’être le seul.)

Dans une Espagne asséchée, accablée par le stress climatique, un des collectifs appelant à un moratoire sur les nouveaux data-centrer de données est baptisé Tu Nube Seca Mi Río – en français : « ton nuage assèche mon fleuve ». Ce constat ne vaut pas que pour l’Espagne.

Un choix indicible et sinistre est en train d’être fait sous nos yeux et sans notre consentement : les machines plutôt que les humains, l’inanimé plutôt que le vivant, le profit avant tout le reste. Les mégalomanes de la tech ont discrètement renié leurs engagements vers la neutralité carbone à une vitesse effarante, pour se ranger derrière Trump, prêts à sacrifier les ressources et la créativité réelles et précieuses de ce monde sur l’autel d’un royaume virtuel et vorace. C’est le dernier grand pillage — et ils se préparent à affronter les tempêtes qu’ils convoquent eux-mêmes. Et ils tenteront de calomnier et de détruire quiconque se mettra en travers de leur route.

La récente tournée européenne de J.D. Vance en est un bon exemple : le vice-président a tancé les dirigeants mondiaux pour leur prétendue « inquiétude excessive » face aux dangers de l’IA destructrice d’emplois, tout en demandant que les discours néonazis et fascistes ne soient plus censurés sur Internet. Il a tenté une remarque censément drôle – mais qui a laissé le public de marbre : « la démocratie américaine a survécu à dix ans de remontrances de Greta Thunberg, vous pouvez donc bien supporter Elon Musk quelques mois. »

Son propos rappelle ceux de son mécène tout aussi dénué d’humour, Peter Thiel. Dans des entretiens récents portant sur les fondements théologiques de son idéologie d’extrême droite, le milliardaire chrétien a comparé à plusieurs reprises la jeune et infatigable militante climatique à l’Antéchrist — qui, selon lui, était présenté par la prophétie comme portant un message trompeur de « paix et de sécurité ». « Si Greta réussit à convaincre tout le monde sur Terre de faire du vélo, c’est peut-être une solution au changement climatique, mais cela revient à passer de la peste au choléra8 », a-t-il déclaré avec gravité.

Pourquoi Greta ? Pourquoi maintenant ? La peur apocalyptique de la régulation, qui viendrait affecter leurs super-profits, l’explique en partie. Pour Thiel, les politiques climatiques fondées sur la science, telles que Greta Thunberg et d’autres les réclament, ne pourraient être appliquées que par un « État totalitaire » — ce qui serait, à ses yeux, une menace bien plus grave que l’effondrement climatique (plus problématique encore, les impôts liés à de telles politiques seraient « très élevés »). Mais il y a peut-être autre chose qui les effraie chez Greta Thunberg : son engagement inébranlable envers cette planète, et envers toutes les formes de vie qui l’habitent — à l’opposé des simulations numériques générées par l’IA, des hiérarchies entre les vies dignes ou non de survivre, ou encore des fantasmes d’évasion extra-planétaire que nous vendent les fascistes de la fin des temps.

Elle (Greta Thunberg) est déterminée à rester, tandis que les fascistes de la fin du monde l’ont déjà quittée, au moins dans leur tête — reclus dans des abris opulents, transcendés dans l’éther numérique, ou en route pour Mars.

Peu de temps après la réélection de Trump, l’une d’entre nous a eu l’opportunité d’interviewer Anohni, l’une des rares artistes qui cherche à déployer une pratique artistique autour de cette pulsion de mort qui caractérise notre époque. Interrogée sur ce qui, selon elle, relie la volonté des puissants de laisser la planète brûler à leur obsession de contrôler le corps des femmes et des personnes trans comme elle, elle a fait référence à son éducation catholique irlandaise : « C’est un mythe très ancien que nous sommes en train de jouer et d’incarner. C’est l’accomplissement de leur Enlèvement. C’est leur fuite hors du cycle voluptueux de la création. C’est leur fuite loin de la Mère. »

Comment sortir de cette fièvre apocalyptique ? Commençons par nous entraider mutuellement pour affronter la profonde perversité que porte l’extrême droite dans chacun de nos pays. Pour avancer efficacement, nous devons comprendre une chose essentielle : nous faisons face à une idéologie qui a abandonné l’idéal et les promesses de la démocratie libérale ainsi que la possibilité même de rendre ce monde vivable – une idéologie qui a abandonné la beauté du monde, ses peuples, nos enfants, les autres espèces. Les forces que nous affrontons ont fait la paix avec les destructions de masse : elles trahissent ce monde et toutes les vies humaines et non humaines qu’il abrite.

Nous devons également opposer à leurs récits apocalyptiques une histoire bien plus forte sur la nécessité de survivre aux temps difficiles qui nous attendent, sans laisser personne de côté. Un récit capable de priver le fascisme de la fin des temps de son pouvoir horrible, et de mobiliser un mouvement prêt à tout risquer pour notre survie collective. Un récit non pas de fin, mais de renouveau ; non pas de séparation ni de suprématie, mais d’interdépendance et d’appartenance ; non pas de fuite, mais d’enracinement et de fidélité à cette réalité terrestre troublée dans laquelle nous sommes pris et liés les un·es aux autres.

Ce sentiment assez simple n’a en soi rien de nouveau. Il est au cœur des cosmologies autochtones et constitue l’essence même de l’animisme. Si l’on remonte suffisamment loin dans le temps, chaque culture et chaque foi possède sa propre tradition de respect envers le caractère sacré de l’ici, sans quête illusoire d’une terre promise toujours lointaine et inaccessible. En Europe de l’Est, avant les anéantissements fascistes et staliniens, le Bund, mouvement socialiste juif, s’organisait autour du concept yiddish de Doikayt [« hereness », que l’on peut traduire en français par « diasporisme » ou encore « la pertinence d’être là où l’on est »]. L’artiste et autrice Molly Crabapple, qui lui consacre un livre à paraître, définit le Doikayt comme le droit de « lutter pour la liberté et la sécurité là où l’on vit, envers et contre tous ceux qui souhaitent notre disparition » — plutôt que d’être forcé à chercher refuge en Palestine ou aux États-Unis.

Peut-être est-il temps de réinventer une version universelle et moderne de cette idée : un engagement envers le droit à l’« ici » de cette planète malade, envers ces corps vulnérables, envers le droit de vivre dignement où que nous soyons, même lorsque les secousses inévitables nous obligent à bouger. Cette idée peut être fluide, affranchie du nationalisme, enracinée dans la solidarité, respectueuse des droits autochtones et libérée des frontières.

Ce futur impliquerait sa propre apocalypse, sa propre fin du monde et sa propre révélation — bien différente, toutefois. Car, comme l’a fait remarquer la chercheuse spécialiste de la police Robyn Maynard : « Pour rendre possible la survie planétaire sur Terre, certaines versions de ce monde doivent disparaître. »

Nous sommes arrivés à un moment clef : la question n’est plus de savoir si l’apocalypse aura lieu, mais quelle forme elle prendra. Les sœurs activistes Adrienne Maree et Autumn Brown l’expliquent dans un récent épisode de leur podcast au nom prophétique : « How to Survive the End of the World » (« Comment survivre à la fin du monde »). Alors que le fascisme de la fin des temps mène une guerre totale sur tous les fronts, de nouvelles alliances sont indispensables. Plutôt que de nous demander : « Partageons-nous tous et toutes la même vision du monde ? », Adrienne nous invite à poser une autre question : « Ton cœur bat-il, et as-tu l’intention de vivre ? Alors viens, et nous réglerons le reste ensemble, de l’autre côté. »

Pour avoir la moindre chance de tenir tête aux fascistes de l’apocalypse — avec leurs cercles concentriques étouffants d’« amour ordonné » — nous devrons construire un mouvement indiscipliné animé par un amour fervent pour la Terre : fidèle à cette planète, à ses peuples, à ses créatures, et à la possibilité d’un avenir vivable pour toutes et tous. Fidèle à l’ici. Ou, pour reprendre les mots d’Anohni, cette fois en parlant de la déesse en laquelle elle place désormais sa foi : « T’es-tu demandé un instant si ce n’était pas là sa meilleure idée ? »


Notes

  1. Cités-États privées traduit « corporate city states » dans la version originale. Les autrices parlent ensuite de « freedom cities », traduit ici par « villes libres ». Toutes les notes sont du traducteur.[]
  2. Próspera est une enclave libertarienne privée, située au nord du Honduras sur l’île de Roatan.[]
  3. « Body upgrade » en anglais, qui emprunte au champ lexical des logiciels (« mise à jour corporelle »).[]
  4. Pour rappel, l’article original a été publié le 13 avril 2025.[]
  5. Île de Papouasie Nouvelle-Guinée sur laquelle l’Australie avait installé un camp de réfugiés.[]
  6. Il s’agit du programme préparé par la Heritage Foundation pour préparer l’élection de Donald Trump et s’assurer que son second mandat permettre de durablement transformer l’administration et la société étatsuniennes.[]
  7. Pour Centro de Confinamiento del Terrorismo, « centre de confinement du terrorisme ».[]
  8. L’expression originale est « out of the frying pan into the fire », soit passer d’une situation horrible à une situation pire encore.[]

pour voyager dans le texte

Climat : l’heure est grave

James Hansen

L’heure est grave : un des plus grands climatologues du monde, le docteur James Hansen, lance un cri d’alarme.

reprise d’un post paru sur le profil Facebook de Jean-Marc Jancovici rédigé par Adrien Couzinier


Texte original : A Formula to Keep the Science Flame Burning

8 juillet 2025, James Hansen

Les scientifiques qui voient et comprennent la menace doivent s’exprimer

Sensibilité climatique

Les trois méthodes d’analyse – paléoclimat, observations satellites et modélisation climatique – indiquent une sensibilité climatique nettement plus élevée que la meilleure estimation du GIEC de 3 degrés Celsius ; notre meilleure estimation est de 4,5 degrés Celsius.

Remarque : 4,5 °C se situe dans la plage très probable définie par le GIEC. « Sur la base de multiples sources de preuve, la plage très probable de la sensibilité climatique à l’équilibre est comprise entre 2 °C et 5 °C » (GIEC AR6 WG1 SPM A.4.4).

Inaction gouvernementale

Mes interactions avec le gouvernement révèlent des décennies d’échec pour prendre des mesures sensées, peu coûteuses, et efficaces pour répondre aux besoins énergétiques et au changement climatique. Le problème vient des intérêts financiers particuliers, notamment l’industrie des combustibles fossiles et le complexe militaro-industriel, qui influencent les politiques.

Militarisme

Le militarisme tend à créer des ennemis permanents et empêche la coopération mondiale nécessaire pour faire face au changement climatique.

La science elle-même est menacée aujourd’hui, d’une manière que je pensais désormais impossible : la tentative du président Trump de fermer les laboratoires climatiques et d’arrêter la collecte des données climatiques constitue une nouvelle menace qui mérite une attention particulière.

Les scientifiques qui voient et comprennent la menace doivent s’exprimer.

Expliquer ce cri d’alarme est simple : dépasser les +1,5°C va créer beaucoup, beaucoup de malheurs et monter au-delà va les augmenter pour chaque dixième de degré en +.

Avec une sensibilité climatique + élevée, ce franchissement de niveau de malheur supplémentaire va se faire assez rapidement.

De plus, il est très peu probable que nous puissions revenir en arrière. Cet état délabré risque donc de durer des siècles : nous devons l’éviter à tout prix.

(Extraits : par adrien Couzinier)


L’article original


Références


Le GIEC est-il trop optimiste ?

Reprise d’un post LinkedIn d’Hélène Grosbois – titre obsant

Comment expliquer que les scénarios du GIEC soient si en retard et si en dessous de la réalité ?

Hélène Grosbois

Les modèles climatiques utilisés par le GIEC, même les plus avancés tels CMIP6, intègrent les puits de carbone, mais le font de manière très incomplète et largement idéalisée.

Ces modèles incluent des composantes biogéochimiques du sol et océaniques qui simulent le cycle du carbone dans les océans à travers des processus tels que la photosynthèse du phytoplancton, la respiration, la reminéralisation, la sédimentation, et la circulation océanique profonde.

Cependant, ils s’appuient le plus souvent sur des paramètres calibrés à partir de moyennes historiques, en supposant une stabilité fonctionnelle du plancton océanique et de ses capacités de fixation du carbone. Ce qui est malheureusement faux.

Depuis plus d’un demi-siècle, des recherches scientifiques ont pourtant démontré un déclin massif et continu de la biomasse du sol et phytoplanctonique mondiale, avec une perte estimée en moyenne à 1% par an depuis les années 1950, comme l’a démontré l’étude de Boyce et al. publiée dans Nature en 2010, soit 70% en 70 ans, rien d’étonnant puisque ces ordres de grandeurs sont observés aussi sur la terre ferme pour les vertébrés et les invertébrés.

Ce déclin en lien avec les pesticides (*) est pourtant parfaitement connu et documenté depuis les années 70 (et avant en réalité). Les poisons toxiques que sont les pesticides, atteignent les milieux marins par ruissellement, transport atmosphérique, et affectent non seulement le Vivant qui fait du sol un puit de carbone, mais aussi la productivité du phytoplancton, et également la biodiversité et la dynamique du zooplancton qui en dépend autrement dit, pratiquement l’intégralité de la vie océanique.

Malgré la connaissance de ces effets dans certains rapports du GIEC, notamment le Rapport spécial sur l’océan et la cryosphère (SROCC, 2019), la dégradation continue de la pompe biologique à carbone n’est pas intégrée quantitativement dans les modèles climatiques globaux.

Autrement dit, les simulations utilisées pour établir les trajectoires climatiques futures reposent implicitement sur l’hypothèse que le puits océanique fonctionnera de manière relativement stable à moyen et long terme. Il n’existe à ce jour, dans les modèles de scénarisation du GIEC, aucun couplage dynamique explicite entre l’usage global des pesticides et la dégradation progressive du réseau trophique planctonique et du sol. Cela conduit à une surestimation de la capacité d’absorption des sols et des océans en CO₂ anthropique, et donc à une sous-estimation du réchauffement et/ou des risques de rétroactions.

Ainsi, l’extermination globale de la biodiversité et de ses puits de carbone associés par les pesticides n’est pas prise en compte.
Parce que, dois-je le préciser, exterminer le Vivant, c’est exterminer le climat.

Tout comme le Vivant est malade, nous sommes malades et les puits de carbone aussi sont malades, empoisonnés par les pesticides.




La France à plus 4°

Météo-France a rassemblé dans un rapport une synthèse scientifique […] décrivant le futur climatique de l’Hexagone et de la Corse.

Ci-dessous, la reprise d’un post Linkedin de Jean-Marc Jancovici présentant ce travail.

Jean-Marc Jancovici

Le climat se réchauffe. Il va continuer à le faire. Alors le gouvernement français a demandé aux acteurs du pays de réfléchir à la manière de « s’adapter » à une hausse de la température moyenne en France de 4°C par rapport à l’ère préindustrielle, ce qui correspond à une hausse planétaire de +3 °C environ.

La température monte en effet plus vite sur les continents que sur les océans, et par ailleurs l’Europe se réchauffe actuellement deux fois plus vite que la moyenne planétaire.

Que peuvent signifier ces 4°C de hausse nationale si l’on essaye de devenir un peu concret ? Combien de canicules et avec quelles valeurs atteintes, de jours de sécheresse, de précipitations intenses, de risques d’incendie, etc ?

C’est à ces questions que Météo France tente de répondre dans un rapport tout juste paru (*).

Les principales conclusions sont les suivantes :
  • – en 2100 des températures supérieures à 40 °C pourront se produire tous les ans à peu près partout sur le territoire, et les 50 °C dépassés en de nombreux endroits. Il faut s’attendre à 10 fois plus de jours de vagues de chaleur.
  • – les nuits chaudes, au-delà de 20 °C, pourront se produire 120 fois par an sur le littoral méditerranéen
  • – le gel se réduira à une quinzaine de jours en moyenne sur la France. Le risque de dégâts sera important si il se produit à des stades végétatifs avancés.
  • – les pluies intenses augmenteront de +15 % en moyenne, et jusqu’à +20 % sur la moitié nord du pays.
  • – l’évapotranspiration potentielle de la végétation augmenterait de 20% en France… si la végétation est toujours là !
  • – il y aura 1 mois supplémentaire de sol sec dans la moitié nord et jusqu’à 2 mois dans la moitié sud. Les sécheresses deviendront fréquentes en été et se poursuivront souvent en automne. La sécheresse estivale de 2022 deviendra un événement ordinaire. Certains événements de sécheresse pourront même s’étaler sur plusieurs années consécutives.
  • – le risque élevé d’incendie s’étendra régulièrement à tout le territoire. Les régions de la Loire au Bassin parisien connaîtront la situation actuelle de l’arrière-pays méditerranéen.
  • – le nombre de jours de neige au sol en hiver (enneigement supérieur à 5 cm) se réduira drastiquement sur tous les massifs. Cela ne va pas contrarier que les skieurs : c’est tout le système hydrologique aval qui sera impacté.

Question : que signifie de « s’adapter » à ce contexte ? Peut-on « adapter » des forêts et des cultures (et manger reste la base de tout le reste du PIB, y compris la défense !) à des canicules estivales permanentes et un climat plus aride ?

Peut-on « adapter » notre civilisation actuelle à beaucoup moins d’eau ? A des bâtiments endommagés ?

Il est évident que cela va passer par des pertes non compensées et de très nombreuses surprises très désagréables. Mais il est tout aussi évident que plus on y pense à l’avance, et mieux on se sortira des difficultés.


Voir les références sur obsant pour :


Merci Elon …


Nous reproduisons ici un post de Susan C Pettybaker dans le groupe FB « Liz Cheney/Adam Kinzinger Against Trump »


Je n’ai pas souvent l’habitude de remercier Elon Musk

Bernie Sanders

Des nouvelles de Bernie Sanders :

Je n’ai pas souvent l’habitude de remercier Elon Musk, mais il a fait un travail exceptionnel en démontrant un point que nous avons fait depuis des années – et c’est le fait que nous vivons dans une société oligarchique dans laquelle les milliardaires dominent non seulement notre politique et les informations que nous consommons, mais notre gouvernement et la vie économique aussi.

Cela n’a jamais été aussi clair qu’aujourd’hui.

Mais étant donné les nouvelles et l’attention que M. Musk a reçue ces dernières semaines alors qu’il démantèle illégalement et inconstitutionnellement les agences gouvernementales, j’ai pensé que c’était le bon moment pour poser la question que les médias et la plupart des politiciens ne semblent pas poser : qu’est-ce que lui d’autres multimilliardaires veulent vraiment ? Quelle est leur fin de jeu ?

À mon avis, ce que Musk et ceux qui l’entourent s’efforcent agressivement n’est pas nouveau, ce n’est pas compliqué et ce n’est pas nouveau C’est ce que les classes dirigeantes à travers l’histoire ont toujours voulu et ont cru qu’elles étaient de droit : plus de pouvoir, plus de contrôle, plus de richesse. Et ils ne veulent pas que les gens ordinaires et la démocratie se mettent en travers de leur chemin.

Elon Musk et ses compagnons oligarques croient que le gouvernement et les lois sont simplement un obstacle à leurs intérêts et à ce à quoi ils ont droit.

En Amérique pré-révolutionnaire, la classe dirigeante gouvernait par le « droit divin des rois », la croyance que le roi d’Angleterre était un agent de Dieu, à ne pas être remis en question. Dans les temps modernes, les oligarques croient qu’en tant que maîtres de la technologie et en tant qu’individus à haut QI, c’est leur droit absolu de gouverner. En d’autres termes, ils sont nos rois modernes.

Et ce n’est pas seulement le pouvoir. C’est une richesse incroyable. Aujourd’hui, Musk, Bezos et Zuckerberg ont une valeur combinée de 903 milliards de dollars, soit plus que la moitié inférieure de la société américaine – 170 millions de personnes. Depuis que Trump a été élu, incroyablement, leur richesse a grimpé en flèche. Elon Musk est devenu plus riche de 138 milliards de dollars, Zuckerberg est devenu 49 milliards de dollars et Bezos est devenu 28 milliards de dollars plus riche. Ajoutez le tout et les trois hommes les plus riches d’Amérique sont devenus 215 milliards de dollars plus riches depuis le jour des élections.

Pendant ce temps, alors que les très riches deviennent beaucoup plus riches, 60 % des Américains vivent leur salaire à leur salaire, 85 millions ne sont pas assurés ou sous-assurés, 25 % des personnes âgées essaient de survivre avec 15 000 $ ou moins, 800 000 sont sans abri et nous avons le taux de pauvreté infantile le plus élevé de presque tous les grands pays sur terre.

Pensez-vous que les oligarques s’en foutent de ces gens ? Croyez-moi, ils ne le font pas. La décision de Musk de démembrer l’US AID signifie que des milliers des personnes les plus pauvres dans le monde mourront de faim ou mourront de maladies évitables.

Mais ce n’est pas seulement à l’étranger. Ici, aux États-Unis, ils vont bientôt s’attaquer aux programmes de santé, de nutrition, de logement et d’éducation qui protègent les personnes les plus vulnérables de notre pays – afin que le Congrès puisse leur accorder d’énormes allègements fiscaux et à leurs compagnons milliardaires. En tant que rois des temps modernes, qui croient avoir le droit absolu de gouverner, ils sacrifieront, sans hésitation, le bien-être des travailleurs pour protéger leurs privilèges.

De plus, ils utiliseront les énormes opérations médiatiques qu’ils possèdent pour détourner l’attention de l’impact de leurs politiques pendant qu’ils « nous divertissent à ” Ils mentiront, mentiront et mentiront. Ils continueront à dépenser des sommes énormes pour acheter des politiciens dans les deux grands partis politiques.

Ils mènent une guerre contre la classe ouvrière de ce pays, et c’est une guerre qu’ils veulent gagner.

Je ne vais pas me moquer de vous – les problèmes auxquels ce pays est confronté en ce moment sont sérieux et ils ne sont pas faciles à résoudre. L’économie est truquée, notre système de financement de campagne est corrompu et nous luttons pour contrôler le changement climatique – entre autres questions.

Mais c’est ce que je sais :

La pire crainte de la classe dirigeante dans ce pays est que les Américains – Noirs, Blancs, Latino, urbains et ruraux, homosexuels et hétéros – se réunissent pour exiger un gouvernement qui nous représente tous, pas seulement les riches.

Leur cauchemar est que nous ne nous laisserons pas diviser par la race, la religion, l’orientation sexuelle ou le pays d’origine et que nous aurons ensemble le courage de les assumer.

Est-ce que ce sera facile ? Bien sûr que non.

La classe dirigeante de ce pays vous rappellera constamment qu’elle a tout le pouvoir. Ils contrôlent le gouvernement, ils possèdent les médias. « Vous voulez nous affronter ? Bonne chance,” diront-ils. « Il n’y a rien que vous puissiez y faire. ”

Mais notre travail aujourd’hui est de ne pas oublier les grands luttes et sacrifices que des millions de personnes ont menés au cours des siècles pour créer une société plus démocratique, plus juste et plus humaine :

* Renverser le roi d’Angleterre pour créer une nouvelle nation et auto-gouverner. C’est impossible.

* Établissement du suffrage universel. C’est impossible.

* Mettre fin à l’esclavage et à la ségrégation. C’est impossible.

* Accordant aux travailleurs le droit de former des syndicats et de mettre fin au travail des enfants. C’est impossible.

* Donnant aux femmes le contrôle de leur propre corps. C’est impossible.

* Passage de lois visant à instaurer la sécurité sociale, l’assurance-maladie, Medicaid, un salaire minimum, l’air pur et les normes C’est impossible.

En ces temps difficiles le désespoir n’est pas une option. Nous devons nous battre de toutes les façons possibles.

Nous devons nous impliquer dans le processus politique – nous présenter aux élections, nous connecter avec nos législateurs locaux, étatiques et fédéraux, faire des dons aux candidats qui vont se battre pour la classe ouvrière de ce pays. Nous devons créer de nouveaux canaux de communication et de partage d’informations. Nous devons faire du bénévolat non seulement politiquement, mais aussi construire une communauté locale.

Tout ce que nous pouvons faire, c’est ce que nous devons faire.

Inutile de dire que j’ai l’intention de faire ma part – à la fois à l’intérieur du périphérique et à travers le pays – pour défendre la classe ouvrière de ce pays. Dans les jours, les semaines et les mois à venir, j’espère que vous me rejoindrez dans cette lutte.

Solidaire,

Bernie Sanders



3ieme guerre mondiale ?


Et si la troisième guerre mondiale avait déjà commencé ?. Au travers de cette hypothèse, Albin Wagener – Professeur d’université en Sciences du langage et Sciences de l’information et de la communication – évoque l’étrange période dystopique que nous vivons en ce premier quart du 21ième siècle. Sommes-nous déjà en guerre mondiale ?
Bonne lecture. ObsAnt

Reprise – texte publié le 3 février ici


Et si la troisième guerre mondiale avait déjà commencé ?

Albin Wagener (*)

A première vue, vous pourrez probablement penser que l’auteur de ces lignes est soit en train de traverser un épisode de déprime passagère nourri par un doomscrolling trop intensif, soit qu’il s’aventure bien loin de ses terrains d’expertise habituels. Les deux seraient inquiétants, cela va sans dire.

Pourtant, je souhaite que nous considérions un instant cette hypothèse, mais en oubliant ce que signifient pour nous les première et deuxième guerres mondiales. En d’autres termes, il s’agit d’ôter non seulement le prisme occidentalo-centré qui nous a permis de raconter les deux premières, et également de ne pas lire la situation du vingt-et-unième siècle avec la grille de lecture du vingtième – erreur hélas trop commode pour bon nombre de sujets. En effet, nous avons changé de siècle, et le siècle dans lequel nous nous trouvons voit une explosion de concepts le qualifier : anthropocène, accélérationisme, disruption digitale, ensauvagement, techno-fascisme… autant de termes qui redéfinissent un siècle, avec une vision générale peu optimiste.

Les différentes excroissances de nos sociétés, qui polluent d’une manière ou d’une autre notre rapport aux autres, aux médias, au système social et économique, ou tout simplement à nous-mêmes, semblent en réalité montrer qu’une guerre d’un tout nouveau genre a éclaté il y a quelques années déjà, et que nous n’en avons pas encore conscience – tout simplement parce que le théâtre des opérations n’a rien à voir avec les références atroces héritées du siècle dernier.

Source : https://cheezburger.com/9421135872/yeah-so-helpful

Le retournement récent des géants de la tech de la Silicon Valley, au moment où Donald Trump accédait à nouveau au pouvoir le 20 janvier 2025, constitue l’un des indices les plus importants. En effet, au moment même où le binôme de choc Trump/Musk accédait aux affaires de la première puissance mondiale, tels des Minus et Cortex sous acide et avec les codes de la valise nucléaire, Jeff Bezos et Mark Zuckerberg abandonnaient sans vergogne leur politique de diversité. Une manière éclatant de montrer que, depuis le début, les grands patrons de la tech n’ont soutenu les mouvements #BlackLivesMatter et autres #PrideMonth qu’à partir du moment où cela servait leurs intérêts commerciaux, et que ces mouvements étaient importants pour leurs clients.

Cela peut paraître évident et relativement anodin, si on le formule de cette manière. Mais en réalité, ce volte-face si abrupt, après une bonne quinzaine d’années d’engagements plus ou moins feints sur le sujet, montre tout simplement que les droits humains, le progrès social et la dignité citoyenne sont des concepts qui n’ont absolument ni intérêt, ni valeur, pour ces personnages. Le problème, c’est qu’entretemps, ces patrons nous ont rendus dépendants à leur plateforme, et se sont incrustés si profondément dans nos modes de vie et dans notre culture que nous sommes désormais cognitivement et affectivement liés à leurs produits.

Guerre cognitive

D’une certaine manière, la troisième guerre mondiale a commencé à partir du moment où nous avons laissé notre attention et notre cognition devenir le nouveau théâtre des opérations de nos agresseurs. Ces agresseurs ont toujours eu pour but de coloniser notre temps d’attention, quelle que soit notre classe sociale, notre inclinaison politique ou nos préférences. Et on aurait tort ici de ne viser que les réseaux sociaux, ce qui serait particulièrement commode.

https://medium.com/mind-talk/the-mental-tug-of-war-a-study-of-cognitive-dissonance-and-its-consequences-e709db3d5d61

Car évidemment, il ne s’agissait pas simplement de nous forcer à nous inscrire sur un réseau, d’y publier des photos ou de s’y faire des amis : il s’agissait de nous rendre dépendant à un tout nouveau mode de vie, entre commandes inopinées sur internet à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, discussions anodines transformées en micro-scandales et en cyber-harcèlement, nouvelles formes de séduction, captation de l’attention par des vidéos courtes conduisant à un reformatage cognitif, commandes vocales connectées colonisant nos espaces domestiques… absolument rien n’a échappé aux récents développements technologiques. Notre attention est devenue une ressource que l’on se dispute, et que nous vendons bien volontiers, pensant qu’il ne s’agit que de transactions anodines basées sur le divertissement.

Car dans ce pacte faustien, les avatars du divertissement suffisent à nous vendre n’importe quoi, à nous soumettre et à nous garder tranquilles, captifs dans ces petites bulles de facilité et de confort, qui après tout ne nous font pas réellement de mal. Et puis est-ce si grave d’offrir ainsi nos données personnelles, dont on n’avait pas réellement conscience avant cette époque ? En quoi cela pourrait-il être dangereux ?

Guerre environnementale

Tandis que nous sommes confits dans la douce quiétude de ce monde ultraconnecté aux services si agréables, et que notre terrain cognitif et affectif devenait désormais domestiqué, une autre guerre a pu ouvertement se déclencher : la guerre environnementale. Bien sûr, elle n’a pas démarré au vingt-et-unième siècle, loin s’en faut ; cela fait plusieurs décennies que les lobbies pétroliers et les politiques ultraconservateurs bataillent pour reculer les mesures permettant de lutter contre le changement climatique.

knowyourmeme.com

Mais cette fois, cela va plus loin : la guerre est menée au grand jour, à grands renforts de propos climatodénialistes ouvertement relayés dans des émissions à fort taux d’audience, alors même que les scandales sanitaires et environnementaux ne font que s’accumuler. Mais peu importe : le changement climatique est la faute des écologistes, les dégâts environnementaux sont la faute des agences chargées de surveiller l’environnement, et les catastrophes naturelles sont de la responsabilité des météorologues.

Cette guerre est menée contre ce qui nous fait vivre en tant qu’espèce et nous relie à tout le vivant : notre planète, tout simplement. Il ne s’agit pas ici que de réchauffement global, mais également de pollution environnementale ou d’agressions répétées et incessantes contre la biodiversité. Après avoir fait de notre mental leur meilleur allié, ces mêmes forces au capital important, dominantes économiquement, ont poursuivi leurs attaques contre notre monde – des attaques déjà largement entamées au moment des grandes colonisations occidentales du dix-neuvième siècle, avec le même sens aigu de l’impérialisme, du mépris pour tout ce qui n’est pas comme eux, et du goût du massacre.

Guerre médiatique

Mais pour garder captif notre espace mental, cognitif et affectif, et attaquer l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons et la terre que nous cultivons, il était bien évidemment nécessaire de contrôler les canaux d’information qui nous auraient permis d’obtenir des informations objectives et des données fiables, susceptibles de nous faire réagir. Ici aussi, la guerre remonte à loin, mais elle a fini par prendre des proportions totalement incroyables depuis le début du vingt-et-unième siècle.

Cette guerre médiatique a permis d’abord d’installer un nouveau régime de parole : le régime de l’opinion. Ce régime n’a pas démarré au moment des réseaux sociaux, qui n’ont fait que l’amplifier : il trouve en réalité sa source dans les quelques talk shows un peu grossiers de la fin du siècle dernier, puis dans l’explosion des chaînes d’information en continu, qui exigent de ses invités des punchlines plus efficaces que de longues démonstrations savantes. Ainsi, dans ce régime de l’opinion, le scientifique expert ne peut rien contre l’éditorialiste toutologue, et le second parvient alors systématiquement a donner à son propos les atours d’une parole rationnelle et fondée, même et surtout lorsqu’elle n’est basée sur rien.

Outre cette reconfiguration des régimes de parole dans l’espace public, médiatique et donc démocratique, d’autres grandes fortunes ont décidé de faire main basse sur plusieurs titres et chaînes de télé, constituant d’immenses groupes de presse qui finissent par soutenir une idéologie dominante, capable de défendre les intérêts financiers, fiscaux et idéologiques des patrons en question. Ainsi, dans ce cas de figure, nous nous retrouvons face à une information qui n’est non pas savamment construite pour nous manipuler de manière grossière, mais qui est plutôt là pour diffuser une petite musique thématique incessante à laquelle nous finissons par nous habituer puis nous conformer, avec des avis sur l’actualité partagés par une majorité si large d’éditorialistes qu’ils doivent forcément avoir raison.

Guerre sociale

La guerre se joue également sur le terrain social. Pendant que nous sommes occupés à nous plonger dans le nid douillet de notre confort cognitif, que nous continuons à adopter des habitudes qui agressent notre environnement, et que nous cédons aux opinions dominantes de certains médias, les mêmes coupables démantèlent, avec plus ou moins de zèle et de subtilité, nos Etats – ou à tout le moins nos régimes de protection et de redistribution, qui permettent aux citoyens de vivre dignement et d’être de véritables acteurs de la démocratie.

https://www.coe.int/fr/web/compass/poverty

Car bien évidemment, il serait illusoire de penser que les patrons des lobbies pétroliers, les patrons des groupes de presse et les patrons de la tech n’aient pas les mêmes objectifs, à savoir : conserver un maximum de richesse de leur côté, les accumuler de manière toujours plus éhontée, année après année – et s’assurer qu’aucun Etat ni aucune politique trop humaniste ne viendra mettre son nez dans cette belle affaire. Ainsi, il faut donc peser suffisamment dans la vie politique des Etats, soit en finançant les programmes de ceux qui promettent de maintenir un système législatif et judiciaire suffisamment permissifs pour maintenir le grand déséquilibre capitaliste, soit désormais en prenant le contrôle de ces Etats – comme c’est le cas avec Elon Musk aux Etats-Unis.

Bien sûr, la brutalité face aux exploités n’a hélas pas attendu le vingt-et-unième siècle ; mais cette brutalité va s’accélérer, avec l’explosion des inégalités, de l’appauvrissement graduel de nos populations, et du sentiment de déclassement des classes moyennes supérieures – que l’on retournera facilement contre les classes qui se trouvent en-dessous d’elles. Et comme nous pouvons déjà le voir aux Etats-Unis, toutes les communautés les plus vulnérables en souffriront encore plus : femmes, personnes trans, enfants, personnes racisées, communautés LGBTQIA+ dans leurs ensemble, personnes handicapées – et je pourrais continuer tant la liste est longue. Ces discriminations vont s’accompagner d’une paupérisation grandissante et de l’articulation de fragmentations de plus en plus grandes entre ces communautés – alors que celles-ci auraient tout intérêt à s’unir pour se retourner contre leurs véritables ennemis.

La 3ème guerre mondiale a déjà commencé

Cette guerre s’attaque à 4 terrains distincts, de manière coordonnée : le terrain de l’intime (via la guerre cognitive), le terrain planétaire (via la guerre environnementale), le terrain de la circulation de l’information (via la guerre médiatique) et le terrain des structures sociales (via la guerre sociale). En d’autres termes, si nous ne repolitisons pas l’ensemble de ces espaces, et que nous théorisons et mettons en mouvement une lutte politique méthodique et intellectuellement fournie, nous risquons toujours de tomber dans les mêmes pièges et les mêmes écueils.

Car nous n’avons pas la puissance financière – et donc, de ce fait, pas la puissance d’influence capable de faire basculer un pays, une loi, une ligne éditoriale ou un code pour une nouvelle application. Si cette troisième guerre mondiale a déjà commencé, ce n’est pas tant par ses thématiques (dont certaines sont relativement anciennes) que par la concaténation de l’ensemble de ces terrains : nous sommes attaqués partout, en même temps, et cette guerre se joue désormais à un niveau trans-continental jamais atteints. Elle est menée par un tout petit pourcentage de la population mondiale contre l’intégralité de l’espèce humaine – et contre l’intégralité des espèces vivantes présentes sur la planète, cela va sans dire.

Dans cette guerre, nous n’avons pas vraiment d’alliés, mis à part nous mêmes. Nous sommes des milliards, certes, mais nous sommes faciles à berner, car l’intégralité des structures qui nous relient les uns aux autres, ainsi qu’à nous-mêmes, se retrouvent corrompues de manière brutale, insidieuse et indigne par des individus qui n’ont pour nous ni considération, ni reconnaissance, ni respect. Nous ne sommes que des instruments dans l’accroissement de leurs richesses. Nous sommes les munitions des armes qu’ils dirigent contre nous, comme les réseaux sociaux par exemple – au sein desquels nous sommes si prompts à nous diriger les uns contre les autres, au détour d’un commentaires, d’une republication ou d’un émoji mal placé.

https://outrider.org/climate-change/articles/climate-change-memes-are-helping-people-cope-eco-anxiety

Nous devons pouvoir faire autrement. Mais cela implique, entre autres, de faire probablement des choix radicaux sur l’ensemble de ces quatre théâtres d’opération. Des choix qui demandent sevrage, courage, et probablement une théorisation claire qui permet d’expliciter, de parler, de donner à comprendre et à apprendre auprès de nos pairs. Nous devons relier l’ensemble de ces problématiques, car en face, c’est donc bel et bien un fascisme d’un nouveau genre qui se dresse face à nous – une forme de radicalité violente, inhumaine et discriminatoire qui va désormais chercher, coûte que coûte, à nous imposer un ordre brutal.

Ils le feront en nous mettant en situation de surcharge mentale, en laissant brûler notre planète, en nous abreuvant d’informations fausses et en détruisant ce qui fait de nos sociétés, déjà si imparfaites et passablement injustes, des espaces de solidarité et de dignité. Bien sûr, il ne s’agit pas de dire que cette troisième guerre mondiale doive évacuer de l’esprit les guerres réelles et leurs atrocités qui se multiplient à travers le monde ; mais toutes ces guerres sont liées. Et dans tous ces cas de figure, des personnes réelles peuvent se retrouver privées de droit, en danger pour leur vie ou celle de leurs proches, obligées de survivre dans des situations de vulnérabilité inimaginables.

Cette guerre, c’est probablement l’enjeu de ce siècle. Parce que nous n’avons jamais aussi clairement vu nos ennemis. Ils ne sont jamais aussi clairement sortis du bois, préférant laisser les Etats en faillite au lieu de participer à leur sauvegarde – parce que leur but n’a jamais été l’équilibre économique des Etats, contrairement à ce que la bonne doxa néolibérale souhaite faire penser. Le but est de brûler l’intégralité de ce qu’ils peuvent brûler, tant qu’ils le peuvent encore, et d’amasser jusqu’aux derniers grammes de profit matériel, de l’ôter de nos mains, jusqu’à ce que nous ayons suffisamment de rage pour nous entretuer, mais pas assez d’énergie pour nous liguer contre eux.

Bibliographie

Delpech, Thérèse (2005). L’ensauvagement. Le retour de la barbarie au XXIè siècle. Grasset/Fasquelle.

Eco, Umberto (2017). Reconnaître le fascisme. Grasset.

Ertzscheid, Olivier (2017). L’appétit des géants. Pouvoir des algorithmes, ambitions des plateformes. C&F Editions.

Henschke, Adam (2025). Cognitive Warfare. Grey Matters in Contemporary Political Conflict. Routledge.

Malm, Andreas (2021). How to Blow Up a Pipeline : Learning to Fight in a World on Fire. Verso.

Piketty, Thomas (2013). Le Capital au XXIè siècle. Seuil.

Prévost, Thibault (2024). Les prophètes de l’IA. Pourquoi la Silicon Valley nous vend l’apocalypse. Lux.

Rosa, Hartmut (2005). Beschleunigung. Die Veränderung der Zeitstrukturen in der Moderne. Suhrkamp.

Stiegler, Bernard (2016). Dans la disruption. Comment ne pas devenir fou ? Les Liens qui libèrent.

Swartz, Aaron (2016). The Boy Who Could Change the World : The Writings of Aaron Swartz. The New Press.

Taylor, Mark C. (2014). Speed Limits. Where Time Went and Why We Have So Little Left. Yale University Press.

Traverso, Enzo (2017). Les nouveaux visages du fascisme. Textuel.

Wagener, Albin (2019). Système et discours. Peter Lang.

Wallenhorst, Nathanaël (2023). A critical theory for the anthropocene. Springer.

Zuboff, Shoshana (2019). The Age of Surveillance Capitalism: The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power. PublicAffairs.




D’où viennent nos esclaves énergétiques ?

Jean-Marc Jancovici

Reprise d’un post Linkedin – original ici

D’où viennent nos esclaves énergétiques ? Pour rafraîchir la mémoire de tout le mode en ce début d’année, la mienne y compris, je vous propose ci-dessous un petit graphique qui donne, sur un peu plus d’un siècle et demi (la dernière année est 2023), l’approvisionnement énergétique par personne en moyenne mondiale, exprimé en kWh.

Pour les sources purement électriques (hydro, éolien, solaire, géothermique & biomasse) la convention est de compter l’énergie qu’il faudrait utiliser dans une centrale électrique thermique pour avoir la même quantité d’électricité (c’est une convention classique pour comparer les énergies entre elles, et elle est bien sûr discutable comme toutes les conventions).

JMJ 01 2025

Plusieurs constats intéressants peuvent être faits au vu de ce graphique :

  • les trois énergies qui arrivent en tête, encore aujourd’hui, sont de très loin le pétrole, le charbon et le gaz
  • le gaz par personne n’a jamais été aussi haut qu’aujourd’hui (ce qui veut dire que sa production a continûment augmenté plus vite que la population), et pour le charbon nous n’en sommes pas loin
  • les Trente Glorieuses, c’est l’explosion du pétrole par personne, et cela n’est arrivé qu’une fois dans l’histoire de l’humanité
  • les chocs pétroliers, ce n’est pas juste une affaire de prix : c’est avant tout la fin de la croissance physique du pétrole par personne, puis le début de sa décroissance, à une époque où le climat n’avait aucune espèce d’existence dans les politiques publiques. C’est donc purement l’impossibilité physique de continuer à faire croître la production au même rythme qui a joué (une première limite planétaire, déjà !)
  • pour le gaz et le charbon, on ne voit malheureusement aucune inflexion qui pourrait être liée à une « prise de conscience climatique planétaire » (rappelons que le Sommet de la Terre, où a été signée la Convention Climat, date de 1992)
  • il y a un siècle et demi, la biomasse représentait presque autant d’énergie par personne que le charbon aujourd’hui ! Mais l’efficacité de son usage (et donc les services que l’on pouvait en retirer) était évidemment considérablement moindre
  • la première des énergies renouvelables purement électriques en 2023 était l’hydroélectricité, même si l’éolien augmentait bien plus vite, et faisait jeu égal avec le nucléaire

Au total, l’approvisionnement énergétique par Terrien représente un peu plus de 22000 kWh par personne en 2023. C’est « juste » 10% de plus que le total de 1979, il y a donc presque 45 ans, alors que pendant les 45 ans qui ont précédé 1979 l’augmentation avait été de plus de 130%.

La question à 100 euros est évidemment de savoir si, en quelques décennies, les 3 courbes du haut peuvent disparaître avec un approvisionnement par personne qui baisse peu.

Le pari le plus fréquent dans les politiques publiques est que oui, mais il serait bon d’avoir un plan B si ce n’est pas le cas, et pour le moment ce plan B intéresse peu de monde en haut lieu !