La France à plus 4°

Météo-France a rassemblé dans un rapport une synthèse scientifique […] décrivant le futur climatique de l’Hexagone et de la Corse.

Ci-dessous, la reprise d’un post Linkedin de Jean-Marc Jancovici présentant ce travail.

Jean-Marc Jancovici

Le climat se réchauffe. Il va continuer à le faire. Alors le gouvernement français a demandé aux acteurs du pays de réfléchir à la manière de « s’adapter » à une hausse de la température moyenne en France de 4°C par rapport à l’ère préindustrielle, ce qui correspond à une hausse planétaire de +3 °C environ.

La température monte en effet plus vite sur les continents que sur les océans, et par ailleurs l’Europe se réchauffe actuellement deux fois plus vite que la moyenne planétaire.

Que peuvent signifier ces 4°C de hausse nationale si l’on essaye de devenir un peu concret ? Combien de canicules et avec quelles valeurs atteintes, de jours de sécheresse, de précipitations intenses, de risques d’incendie, etc ?

C’est à ces questions que Météo France tente de répondre dans un rapport tout juste paru (*).

Les principales conclusions sont les suivantes :
  • – en 2100 des températures supérieures à 40 °C pourront se produire tous les ans à peu près partout sur le territoire, et les 50 °C dépassés en de nombreux endroits. Il faut s’attendre à 10 fois plus de jours de vagues de chaleur.
  • – les nuits chaudes, au-delà de 20 °C, pourront se produire 120 fois par an sur le littoral méditerranéen
  • – le gel se réduira à une quinzaine de jours en moyenne sur la France. Le risque de dégâts sera important si il se produit à des stades végétatifs avancés.
  • – les pluies intenses augmenteront de +15 % en moyenne, et jusqu’à +20 % sur la moitié nord du pays.
  • – l’évapotranspiration potentielle de la végétation augmenterait de 20% en France… si la végétation est toujours là !
  • – il y aura 1 mois supplémentaire de sol sec dans la moitié nord et jusqu’à 2 mois dans la moitié sud. Les sécheresses deviendront fréquentes en été et se poursuivront souvent en automne. La sécheresse estivale de 2022 deviendra un événement ordinaire. Certains événements de sécheresse pourront même s’étaler sur plusieurs années consécutives.
  • – le risque élevé d’incendie s’étendra régulièrement à tout le territoire. Les régions de la Loire au Bassin parisien connaîtront la situation actuelle de l’arrière-pays méditerranéen.
  • – le nombre de jours de neige au sol en hiver (enneigement supérieur à 5 cm) se réduira drastiquement sur tous les massifs. Cela ne va pas contrarier que les skieurs : c’est tout le système hydrologique aval qui sera impacté.

Question : que signifie de « s’adapter » à ce contexte ? Peut-on « adapter » des forêts et des cultures (et manger reste la base de tout le reste du PIB, y compris la défense !) à des canicules estivales permanentes et un climat plus aride ?

Peut-on « adapter » notre civilisation actuelle à beaucoup moins d’eau ? A des bâtiments endommagés ?

Il est évident que cela va passer par des pertes non compensées et de très nombreuses surprises très désagréables. Mais il est tout aussi évident que plus on y pense à l’avance, et mieux on se sortira des difficultés.


Voir les références sur obsant pour :


Merci Elon …


Nous reproduisons ici un post de Susan C Pettybaker dans le groupe FB « Liz Cheney/Adam Kinzinger Against Trump »


Je n’ai pas souvent l’habitude de remercier Elon Musk

Bernie Sanders

Des nouvelles de Bernie Sanders :

Je n’ai pas souvent l’habitude de remercier Elon Musk, mais il a fait un travail exceptionnel en démontrant un point que nous avons fait depuis des années – et c’est le fait que nous vivons dans une société oligarchique dans laquelle les milliardaires dominent non seulement notre politique et les informations que nous consommons, mais notre gouvernement et la vie économique aussi.

Cela n’a jamais été aussi clair qu’aujourd’hui.

Mais étant donné les nouvelles et l’attention que M. Musk a reçue ces dernières semaines alors qu’il démantèle illégalement et inconstitutionnellement les agences gouvernementales, j’ai pensé que c’était le bon moment pour poser la question que les médias et la plupart des politiciens ne semblent pas poser : qu’est-ce que lui d’autres multimilliardaires veulent vraiment ? Quelle est leur fin de jeu ?

À mon avis, ce que Musk et ceux qui l’entourent s’efforcent agressivement n’est pas nouveau, ce n’est pas compliqué et ce n’est pas nouveau C’est ce que les classes dirigeantes à travers l’histoire ont toujours voulu et ont cru qu’elles étaient de droit : plus de pouvoir, plus de contrôle, plus de richesse. Et ils ne veulent pas que les gens ordinaires et la démocratie se mettent en travers de leur chemin.

Elon Musk et ses compagnons oligarques croient que le gouvernement et les lois sont simplement un obstacle à leurs intérêts et à ce à quoi ils ont droit.

En Amérique pré-révolutionnaire, la classe dirigeante gouvernait par le « droit divin des rois », la croyance que le roi d’Angleterre était un agent de Dieu, à ne pas être remis en question. Dans les temps modernes, les oligarques croient qu’en tant que maîtres de la technologie et en tant qu’individus à haut QI, c’est leur droit absolu de gouverner. En d’autres termes, ils sont nos rois modernes.

Et ce n’est pas seulement le pouvoir. C’est une richesse incroyable. Aujourd’hui, Musk, Bezos et Zuckerberg ont une valeur combinée de 903 milliards de dollars, soit plus que la moitié inférieure de la société américaine – 170 millions de personnes. Depuis que Trump a été élu, incroyablement, leur richesse a grimpé en flèche. Elon Musk est devenu plus riche de 138 milliards de dollars, Zuckerberg est devenu 49 milliards de dollars et Bezos est devenu 28 milliards de dollars plus riche. Ajoutez le tout et les trois hommes les plus riches d’Amérique sont devenus 215 milliards de dollars plus riches depuis le jour des élections.

Pendant ce temps, alors que les très riches deviennent beaucoup plus riches, 60 % des Américains vivent leur salaire à leur salaire, 85 millions ne sont pas assurés ou sous-assurés, 25 % des personnes âgées essaient de survivre avec 15 000 $ ou moins, 800 000 sont sans abri et nous avons le taux de pauvreté infantile le plus élevé de presque tous les grands pays sur terre.

Pensez-vous que les oligarques s’en foutent de ces gens ? Croyez-moi, ils ne le font pas. La décision de Musk de démembrer l’US AID signifie que des milliers des personnes les plus pauvres dans le monde mourront de faim ou mourront de maladies évitables.

Mais ce n’est pas seulement à l’étranger. Ici, aux États-Unis, ils vont bientôt s’attaquer aux programmes de santé, de nutrition, de logement et d’éducation qui protègent les personnes les plus vulnérables de notre pays – afin que le Congrès puisse leur accorder d’énormes allègements fiscaux et à leurs compagnons milliardaires. En tant que rois des temps modernes, qui croient avoir le droit absolu de gouverner, ils sacrifieront, sans hésitation, le bien-être des travailleurs pour protéger leurs privilèges.

De plus, ils utiliseront les énormes opérations médiatiques qu’ils possèdent pour détourner l’attention de l’impact de leurs politiques pendant qu’ils « nous divertissent à ” Ils mentiront, mentiront et mentiront. Ils continueront à dépenser des sommes énormes pour acheter des politiciens dans les deux grands partis politiques.

Ils mènent une guerre contre la classe ouvrière de ce pays, et c’est une guerre qu’ils veulent gagner.

Je ne vais pas me moquer de vous – les problèmes auxquels ce pays est confronté en ce moment sont sérieux et ils ne sont pas faciles à résoudre. L’économie est truquée, notre système de financement de campagne est corrompu et nous luttons pour contrôler le changement climatique – entre autres questions.

Mais c’est ce que je sais :

La pire crainte de la classe dirigeante dans ce pays est que les Américains – Noirs, Blancs, Latino, urbains et ruraux, homosexuels et hétéros – se réunissent pour exiger un gouvernement qui nous représente tous, pas seulement les riches.

Leur cauchemar est que nous ne nous laisserons pas diviser par la race, la religion, l’orientation sexuelle ou le pays d’origine et que nous aurons ensemble le courage de les assumer.

Est-ce que ce sera facile ? Bien sûr que non.

La classe dirigeante de ce pays vous rappellera constamment qu’elle a tout le pouvoir. Ils contrôlent le gouvernement, ils possèdent les médias. « Vous voulez nous affronter ? Bonne chance,” diront-ils. « Il n’y a rien que vous puissiez y faire. ”

Mais notre travail aujourd’hui est de ne pas oublier les grands luttes et sacrifices que des millions de personnes ont menés au cours des siècles pour créer une société plus démocratique, plus juste et plus humaine :

* Renverser le roi d’Angleterre pour créer une nouvelle nation et auto-gouverner. C’est impossible.

* Établissement du suffrage universel. C’est impossible.

* Mettre fin à l’esclavage et à la ségrégation. C’est impossible.

* Accordant aux travailleurs le droit de former des syndicats et de mettre fin au travail des enfants. C’est impossible.

* Donnant aux femmes le contrôle de leur propre corps. C’est impossible.

* Passage de lois visant à instaurer la sécurité sociale, l’assurance-maladie, Medicaid, un salaire minimum, l’air pur et les normes C’est impossible.

En ces temps difficiles le désespoir n’est pas une option. Nous devons nous battre de toutes les façons possibles.

Nous devons nous impliquer dans le processus politique – nous présenter aux élections, nous connecter avec nos législateurs locaux, étatiques et fédéraux, faire des dons aux candidats qui vont se battre pour la classe ouvrière de ce pays. Nous devons créer de nouveaux canaux de communication et de partage d’informations. Nous devons faire du bénévolat non seulement politiquement, mais aussi construire une communauté locale.

Tout ce que nous pouvons faire, c’est ce que nous devons faire.

Inutile de dire que j’ai l’intention de faire ma part – à la fois à l’intérieur du périphérique et à travers le pays – pour défendre la classe ouvrière de ce pays. Dans les jours, les semaines et les mois à venir, j’espère que vous me rejoindrez dans cette lutte.

Solidaire,

Bernie Sanders



3ieme guerre mondiale ?


Et si la troisième guerre mondiale avait déjà commencé ?. Au travers de cette hypothèse, Albin Wagener – Professeur d’université en Sciences du langage et Sciences de l’information et de la communication – évoque l’étrange période dystopique que nous vivons en ce premier quart du 21ième siècle. Sommes-nous déjà en guerre mondiale ?
Bonne lecture. ObsAnt

Reprise – texte publié le 3 février ici


Et si la troisième guerre mondiale avait déjà commencé ?

Albin Wagener (*)

A première vue, vous pourrez probablement penser que l’auteur de ces lignes est soit en train de traverser un épisode de déprime passagère nourri par un doomscrolling trop intensif, soit qu’il s’aventure bien loin de ses terrains d’expertise habituels. Les deux seraient inquiétants, cela va sans dire.

Pourtant, je souhaite que nous considérions un instant cette hypothèse, mais en oubliant ce que signifient pour nous les première et deuxième guerres mondiales. En d’autres termes, il s’agit d’ôter non seulement le prisme occidentalo-centré qui nous a permis de raconter les deux premières, et également de ne pas lire la situation du vingt-et-unième siècle avec la grille de lecture du vingtième – erreur hélas trop commode pour bon nombre de sujets. En effet, nous avons changé de siècle, et le siècle dans lequel nous nous trouvons voit une explosion de concepts le qualifier : anthropocène, accélérationisme, disruption digitale, ensauvagement, techno-fascisme… autant de termes qui redéfinissent un siècle, avec une vision générale peu optimiste.

Les différentes excroissances de nos sociétés, qui polluent d’une manière ou d’une autre notre rapport aux autres, aux médias, au système social et économique, ou tout simplement à nous-mêmes, semblent en réalité montrer qu’une guerre d’un tout nouveau genre a éclaté il y a quelques années déjà, et que nous n’en avons pas encore conscience – tout simplement parce que le théâtre des opérations n’a rien à voir avec les références atroces héritées du siècle dernier.

Source : https://cheezburger.com/9421135872/yeah-so-helpful

Le retournement récent des géants de la tech de la Silicon Valley, au moment où Donald Trump accédait à nouveau au pouvoir le 20 janvier 2025, constitue l’un des indices les plus importants. En effet, au moment même où le binôme de choc Trump/Musk accédait aux affaires de la première puissance mondiale, tels des Minus et Cortex sous acide et avec les codes de la valise nucléaire, Jeff Bezos et Mark Zuckerberg abandonnaient sans vergogne leur politique de diversité. Une manière éclatant de montrer que, depuis le début, les grands patrons de la tech n’ont soutenu les mouvements #BlackLivesMatter et autres #PrideMonth qu’à partir du moment où cela servait leurs intérêts commerciaux, et que ces mouvements étaient importants pour leurs clients.

Cela peut paraître évident et relativement anodin, si on le formule de cette manière. Mais en réalité, ce volte-face si abrupt, après une bonne quinzaine d’années d’engagements plus ou moins feints sur le sujet, montre tout simplement que les droits humains, le progrès social et la dignité citoyenne sont des concepts qui n’ont absolument ni intérêt, ni valeur, pour ces personnages. Le problème, c’est qu’entretemps, ces patrons nous ont rendus dépendants à leur plateforme, et se sont incrustés si profondément dans nos modes de vie et dans notre culture que nous sommes désormais cognitivement et affectivement liés à leurs produits.

Guerre cognitive

D’une certaine manière, la troisième guerre mondiale a commencé à partir du moment où nous avons laissé notre attention et notre cognition devenir le nouveau théâtre des opérations de nos agresseurs. Ces agresseurs ont toujours eu pour but de coloniser notre temps d’attention, quelle que soit notre classe sociale, notre inclinaison politique ou nos préférences. Et on aurait tort ici de ne viser que les réseaux sociaux, ce qui serait particulièrement commode.

https://medium.com/mind-talk/the-mental-tug-of-war-a-study-of-cognitive-dissonance-and-its-consequences-e709db3d5d61

Car évidemment, il ne s’agissait pas simplement de nous forcer à nous inscrire sur un réseau, d’y publier des photos ou de s’y faire des amis : il s’agissait de nous rendre dépendant à un tout nouveau mode de vie, entre commandes inopinées sur internet à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, discussions anodines transformées en micro-scandales et en cyber-harcèlement, nouvelles formes de séduction, captation de l’attention par des vidéos courtes conduisant à un reformatage cognitif, commandes vocales connectées colonisant nos espaces domestiques… absolument rien n’a échappé aux récents développements technologiques. Notre attention est devenue une ressource que l’on se dispute, et que nous vendons bien volontiers, pensant qu’il ne s’agit que de transactions anodines basées sur le divertissement.

Car dans ce pacte faustien, les avatars du divertissement suffisent à nous vendre n’importe quoi, à nous soumettre et à nous garder tranquilles, captifs dans ces petites bulles de facilité et de confort, qui après tout ne nous font pas réellement de mal. Et puis est-ce si grave d’offrir ainsi nos données personnelles, dont on n’avait pas réellement conscience avant cette époque ? En quoi cela pourrait-il être dangereux ?

Guerre environnementale

Tandis que nous sommes confits dans la douce quiétude de ce monde ultraconnecté aux services si agréables, et que notre terrain cognitif et affectif devenait désormais domestiqué, une autre guerre a pu ouvertement se déclencher : la guerre environnementale. Bien sûr, elle n’a pas démarré au vingt-et-unième siècle, loin s’en faut ; cela fait plusieurs décennies que les lobbies pétroliers et les politiques ultraconservateurs bataillent pour reculer les mesures permettant de lutter contre le changement climatique.

knowyourmeme.com

Mais cette fois, cela va plus loin : la guerre est menée au grand jour, à grands renforts de propos climatodénialistes ouvertement relayés dans des émissions à fort taux d’audience, alors même que les scandales sanitaires et environnementaux ne font que s’accumuler. Mais peu importe : le changement climatique est la faute des écologistes, les dégâts environnementaux sont la faute des agences chargées de surveiller l’environnement, et les catastrophes naturelles sont de la responsabilité des météorologues.

Cette guerre est menée contre ce qui nous fait vivre en tant qu’espèce et nous relie à tout le vivant : notre planète, tout simplement. Il ne s’agit pas ici que de réchauffement global, mais également de pollution environnementale ou d’agressions répétées et incessantes contre la biodiversité. Après avoir fait de notre mental leur meilleur allié, ces mêmes forces au capital important, dominantes économiquement, ont poursuivi leurs attaques contre notre monde – des attaques déjà largement entamées au moment des grandes colonisations occidentales du dix-neuvième siècle, avec le même sens aigu de l’impérialisme, du mépris pour tout ce qui n’est pas comme eux, et du goût du massacre.

Guerre médiatique

Mais pour garder captif notre espace mental, cognitif et affectif, et attaquer l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons et la terre que nous cultivons, il était bien évidemment nécessaire de contrôler les canaux d’information qui nous auraient permis d’obtenir des informations objectives et des données fiables, susceptibles de nous faire réagir. Ici aussi, la guerre remonte à loin, mais elle a fini par prendre des proportions totalement incroyables depuis le début du vingt-et-unième siècle.

Cette guerre médiatique a permis d’abord d’installer un nouveau régime de parole : le régime de l’opinion. Ce régime n’a pas démarré au moment des réseaux sociaux, qui n’ont fait que l’amplifier : il trouve en réalité sa source dans les quelques talk shows un peu grossiers de la fin du siècle dernier, puis dans l’explosion des chaînes d’information en continu, qui exigent de ses invités des punchlines plus efficaces que de longues démonstrations savantes. Ainsi, dans ce régime de l’opinion, le scientifique expert ne peut rien contre l’éditorialiste toutologue, et le second parvient alors systématiquement a donner à son propos les atours d’une parole rationnelle et fondée, même et surtout lorsqu’elle n’est basée sur rien.

Outre cette reconfiguration des régimes de parole dans l’espace public, médiatique et donc démocratique, d’autres grandes fortunes ont décidé de faire main basse sur plusieurs titres et chaînes de télé, constituant d’immenses groupes de presse qui finissent par soutenir une idéologie dominante, capable de défendre les intérêts financiers, fiscaux et idéologiques des patrons en question. Ainsi, dans ce cas de figure, nous nous retrouvons face à une information qui n’est non pas savamment construite pour nous manipuler de manière grossière, mais qui est plutôt là pour diffuser une petite musique thématique incessante à laquelle nous finissons par nous habituer puis nous conformer, avec des avis sur l’actualité partagés par une majorité si large d’éditorialistes qu’ils doivent forcément avoir raison.

Guerre sociale

La guerre se joue également sur le terrain social. Pendant que nous sommes occupés à nous plonger dans le nid douillet de notre confort cognitif, que nous continuons à adopter des habitudes qui agressent notre environnement, et que nous cédons aux opinions dominantes de certains médias, les mêmes coupables démantèlent, avec plus ou moins de zèle et de subtilité, nos Etats – ou à tout le moins nos régimes de protection et de redistribution, qui permettent aux citoyens de vivre dignement et d’être de véritables acteurs de la démocratie.

https://www.coe.int/fr/web/compass/poverty

Car bien évidemment, il serait illusoire de penser que les patrons des lobbies pétroliers, les patrons des groupes de presse et les patrons de la tech n’aient pas les mêmes objectifs, à savoir : conserver un maximum de richesse de leur côté, les accumuler de manière toujours plus éhontée, année après année – et s’assurer qu’aucun Etat ni aucune politique trop humaniste ne viendra mettre son nez dans cette belle affaire. Ainsi, il faut donc peser suffisamment dans la vie politique des Etats, soit en finançant les programmes de ceux qui promettent de maintenir un système législatif et judiciaire suffisamment permissifs pour maintenir le grand déséquilibre capitaliste, soit désormais en prenant le contrôle de ces Etats – comme c’est le cas avec Elon Musk aux Etats-Unis.

Bien sûr, la brutalité face aux exploités n’a hélas pas attendu le vingt-et-unième siècle ; mais cette brutalité va s’accélérer, avec l’explosion des inégalités, de l’appauvrissement graduel de nos populations, et du sentiment de déclassement des classes moyennes supérieures – que l’on retournera facilement contre les classes qui se trouvent en-dessous d’elles. Et comme nous pouvons déjà le voir aux Etats-Unis, toutes les communautés les plus vulnérables en souffriront encore plus : femmes, personnes trans, enfants, personnes racisées, communautés LGBTQIA+ dans leurs ensemble, personnes handicapées – et je pourrais continuer tant la liste est longue. Ces discriminations vont s’accompagner d’une paupérisation grandissante et de l’articulation de fragmentations de plus en plus grandes entre ces communautés – alors que celles-ci auraient tout intérêt à s’unir pour se retourner contre leurs véritables ennemis.

La 3ème guerre mondiale a déjà commencé

Cette guerre s’attaque à 4 terrains distincts, de manière coordonnée : le terrain de l’intime (via la guerre cognitive), le terrain planétaire (via la guerre environnementale), le terrain de la circulation de l’information (via la guerre médiatique) et le terrain des structures sociales (via la guerre sociale). En d’autres termes, si nous ne repolitisons pas l’ensemble de ces espaces, et que nous théorisons et mettons en mouvement une lutte politique méthodique et intellectuellement fournie, nous risquons toujours de tomber dans les mêmes pièges et les mêmes écueils.

Car nous n’avons pas la puissance financière – et donc, de ce fait, pas la puissance d’influence capable de faire basculer un pays, une loi, une ligne éditoriale ou un code pour une nouvelle application. Si cette troisième guerre mondiale a déjà commencé, ce n’est pas tant par ses thématiques (dont certaines sont relativement anciennes) que par la concaténation de l’ensemble de ces terrains : nous sommes attaqués partout, en même temps, et cette guerre se joue désormais à un niveau trans-continental jamais atteints. Elle est menée par un tout petit pourcentage de la population mondiale contre l’intégralité de l’espèce humaine – et contre l’intégralité des espèces vivantes présentes sur la planète, cela va sans dire.

Dans cette guerre, nous n’avons pas vraiment d’alliés, mis à part nous mêmes. Nous sommes des milliards, certes, mais nous sommes faciles à berner, car l’intégralité des structures qui nous relient les uns aux autres, ainsi qu’à nous-mêmes, se retrouvent corrompues de manière brutale, insidieuse et indigne par des individus qui n’ont pour nous ni considération, ni reconnaissance, ni respect. Nous ne sommes que des instruments dans l’accroissement de leurs richesses. Nous sommes les munitions des armes qu’ils dirigent contre nous, comme les réseaux sociaux par exemple – au sein desquels nous sommes si prompts à nous diriger les uns contre les autres, au détour d’un commentaires, d’une republication ou d’un émoji mal placé.

https://outrider.org/climate-change/articles/climate-change-memes-are-helping-people-cope-eco-anxiety

Nous devons pouvoir faire autrement. Mais cela implique, entre autres, de faire probablement des choix radicaux sur l’ensemble de ces quatre théâtres d’opération. Des choix qui demandent sevrage, courage, et probablement une théorisation claire qui permet d’expliciter, de parler, de donner à comprendre et à apprendre auprès de nos pairs. Nous devons relier l’ensemble de ces problématiques, car en face, c’est donc bel et bien un fascisme d’un nouveau genre qui se dresse face à nous – une forme de radicalité violente, inhumaine et discriminatoire qui va désormais chercher, coûte que coûte, à nous imposer un ordre brutal.

Ils le feront en nous mettant en situation de surcharge mentale, en laissant brûler notre planète, en nous abreuvant d’informations fausses et en détruisant ce qui fait de nos sociétés, déjà si imparfaites et passablement injustes, des espaces de solidarité et de dignité. Bien sûr, il ne s’agit pas de dire que cette troisième guerre mondiale doive évacuer de l’esprit les guerres réelles et leurs atrocités qui se multiplient à travers le monde ; mais toutes ces guerres sont liées. Et dans tous ces cas de figure, des personnes réelles peuvent se retrouver privées de droit, en danger pour leur vie ou celle de leurs proches, obligées de survivre dans des situations de vulnérabilité inimaginables.

Cette guerre, c’est probablement l’enjeu de ce siècle. Parce que nous n’avons jamais aussi clairement vu nos ennemis. Ils ne sont jamais aussi clairement sortis du bois, préférant laisser les Etats en faillite au lieu de participer à leur sauvegarde – parce que leur but n’a jamais été l’équilibre économique des Etats, contrairement à ce que la bonne doxa néolibérale souhaite faire penser. Le but est de brûler l’intégralité de ce qu’ils peuvent brûler, tant qu’ils le peuvent encore, et d’amasser jusqu’aux derniers grammes de profit matériel, de l’ôter de nos mains, jusqu’à ce que nous ayons suffisamment de rage pour nous entretuer, mais pas assez d’énergie pour nous liguer contre eux.

Bibliographie

Delpech, Thérèse (2005). L’ensauvagement. Le retour de la barbarie au XXIè siècle. Grasset/Fasquelle.

Eco, Umberto (2017). Reconnaître le fascisme. Grasset.

Ertzscheid, Olivier (2017). L’appétit des géants. Pouvoir des algorithmes, ambitions des plateformes. C&F Editions.

Henschke, Adam (2025). Cognitive Warfare. Grey Matters in Contemporary Political Conflict. Routledge.

Malm, Andreas (2021). How to Blow Up a Pipeline : Learning to Fight in a World on Fire. Verso.

Piketty, Thomas (2013). Le Capital au XXIè siècle. Seuil.

Prévost, Thibault (2024). Les prophètes de l’IA. Pourquoi la Silicon Valley nous vend l’apocalypse. Lux.

Rosa, Hartmut (2005). Beschleunigung. Die Veränderung der Zeitstrukturen in der Moderne. Suhrkamp.

Stiegler, Bernard (2016). Dans la disruption. Comment ne pas devenir fou ? Les Liens qui libèrent.

Swartz, Aaron (2016). The Boy Who Could Change the World : The Writings of Aaron Swartz. The New Press.

Taylor, Mark C. (2014). Speed Limits. Where Time Went and Why We Have So Little Left. Yale University Press.

Traverso, Enzo (2017). Les nouveaux visages du fascisme. Textuel.

Wagener, Albin (2019). Système et discours. Peter Lang.

Wallenhorst, Nathanaël (2023). A critical theory for the anthropocene. Springer.

Zuboff, Shoshana (2019). The Age of Surveillance Capitalism: The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power. PublicAffairs.




D’où viennent nos esclaves énergétiques ?

Jean-Marc Jancovici

Reprise d’un post Linkedin – original ici

D’où viennent nos esclaves énergétiques ? Pour rafraîchir la mémoire de tout le mode en ce début d’année, la mienne y compris, je vous propose ci-dessous un petit graphique qui donne, sur un peu plus d’un siècle et demi (la dernière année est 2023), l’approvisionnement énergétique par personne en moyenne mondiale, exprimé en kWh.

Pour les sources purement électriques (hydro, éolien, solaire, géothermique & biomasse) la convention est de compter l’énergie qu’il faudrait utiliser dans une centrale électrique thermique pour avoir la même quantité d’électricité (c’est une convention classique pour comparer les énergies entre elles, et elle est bien sûr discutable comme toutes les conventions).

JMJ 01 2025

Plusieurs constats intéressants peuvent être faits au vu de ce graphique :

  • les trois énergies qui arrivent en tête, encore aujourd’hui, sont de très loin le pétrole, le charbon et le gaz
  • le gaz par personne n’a jamais été aussi haut qu’aujourd’hui (ce qui veut dire que sa production a continûment augmenté plus vite que la population), et pour le charbon nous n’en sommes pas loin
  • les Trente Glorieuses, c’est l’explosion du pétrole par personne, et cela n’est arrivé qu’une fois dans l’histoire de l’humanité
  • les chocs pétroliers, ce n’est pas juste une affaire de prix : c’est avant tout la fin de la croissance physique du pétrole par personne, puis le début de sa décroissance, à une époque où le climat n’avait aucune espèce d’existence dans les politiques publiques. C’est donc purement l’impossibilité physique de continuer à faire croître la production au même rythme qui a joué (une première limite planétaire, déjà !)
  • pour le gaz et le charbon, on ne voit malheureusement aucune inflexion qui pourrait être liée à une « prise de conscience climatique planétaire » (rappelons que le Sommet de la Terre, où a été signée la Convention Climat, date de 1992)
  • il y a un siècle et demi, la biomasse représentait presque autant d’énergie par personne que le charbon aujourd’hui ! Mais l’efficacité de son usage (et donc les services que l’on pouvait en retirer) était évidemment considérablement moindre
  • la première des énergies renouvelables purement électriques en 2023 était l’hydroélectricité, même si l’éolien augmentait bien plus vite, et faisait jeu égal avec le nucléaire

Au total, l’approvisionnement énergétique par Terrien représente un peu plus de 22000 kWh par personne en 2023. C’est « juste » 10% de plus que le total de 1979, il y a donc presque 45 ans, alors que pendant les 45 ans qui ont précédé 1979 l’augmentation avait été de plus de 130%.

La question à 100 euros est évidemment de savoir si, en quelques décennies, les 3 courbes du haut peuvent disparaître avec un approvisionnement par personne qui baisse peu.

Le pari le plus fréquent dans les politiques publiques est que oui, mais il serait bon d’avoir un plan B si ce n’est pas le cas, et pour le moment ce plan B intéresse peu de monde en haut lieu !



Combien de temps ?

Julien Devaureix

reprise d’un post de l’auteur sur LinKedIn

Combien de temps faudra-t-il à l’économie pour doubler de taille à un rythme de croissance de 3% par an ? Il existe une équation simple à connaitre…

La « règle des 70 » nous indique que quelque chose va doubler en X années, où 70/Y = X, et Y est le taux de croissance. Ainsi, si le taux de croissance est de 5 %, une chose doublera en 70/5 = 14 ans.

Si nous devions faire croître l’économie mondiale de 3 % par an, comme le prévoient la plupart des institutions et gouvernements, il faudrait donc 23 ans et des poussières pour que la taille du l’économie double. (70/3 = 23.33, je vous laisse vérifier).

Dit comme ça, on ne voit pas le problème.

Sauf que concrètement nous utiliserions à peu près autant d’énergie et de matériaux au cours des trente prochaines années qu’au cours des 10.000 dernières années (c’est un ordre d’idée).

Le PIB et la consommation d’énergie sont corrélés empiriquement à plus de 99%. L’utilisation des minéraux/matériaux et le PIB (au niveau mondial) sont corrélés à 100 % dans le temps. Autrement dit, si l’énergie et les ressources disponibles baissent, l’économie suit.

Et si l’économie croit, la consommation de ressource croit donc en corrélation.

À ce rythme pourtant apparemment raisonnable de 3 % par an, il faudra que l’on puisse capter et utiliser l’équivalent de la totalité de l’énergie solaire qui arrive sur Terre (et donc recouvrir de panneaux toute la surface du globe, ce qui fait tout de même beaucoup de panneaux) d’ici à 400 ans.

Et dans 1 400 ans, nous aurons besoin de ce que les passionnés de science-fiction appellent une sphère de Dyson autour du Soleil : une structure entourant l’étoile et permettant d’en capter toute l’énergie. Évidemment, pour la construire, il faudrait bien plus de matière qu’il n’y en a sur notre planète entière, mais d’ici là, nous aurons sûrement trouvé une solution…;)

Le défi sur lequel tout le monde est d’accord est celui-ci : nous voulons doubler la taille de notre économie et en même temps diminuer drastiquement notre utilisation d’énergies fossiles. En 2050, nous serons ainsi deux fois plus riches et nous ne brûlerons plus rien (net zéro !).

Comment ? Grâce à la « transition énergétique » bien sûr.

On réalise mal la taille de la montagne devant nous : il faut remplacer ce qui constitue plus de 80 % de notre consommation primaire actuelle par de l’énergie renouvelable.

Regardons ce que cela implique de faire :

  • Mettre à l’arrêt la totalité des transports à moteur thermique et créer autre chose à la place.
  • Produire de l’acier, du ciment, du plastique autrement, ou s’en passer.
  • Se débarrasser du gaz, du charbon et du pétrole dans le mix de production électrique (passer donc de 63 % à 0 %).

Le projet est-il réaliste ? C’est un sujet sur lesquels les spécialistes se disputent…

Extrait de mon livre “Le Monde change et on n’y comprend rien”.


références sur : ObsAnt



Médias : comment (bien) parler de
l’urgence climatique ?

Michel De Muelenaere, Gil Durand

Reprise d’un article paru dans Le Soir le 22 mai 2023


La crise climatique s’accélère et la question de la transition s’invite dans les médias. Ces derniers l’ont bien compris mais ne sont néanmoins pas épargnés par la critique : trop peu présents ou, au contraire, trop militants. Alors, comment (bien) parler des changements climatiques et de leurs conséquences ?

En Belgique, plusieurs académiques ont appelé les médias « à mener en leur sein une réflexion radicale et globale sur la manière d’aborder les enjeux et questions relatives au climat et à la biodiversité ». Un message (en partie) entendu dans les rédactions, notamment au Soir. Un pôle Planète avec sept journalistes a été créé pour traiter l’environnement, la mobilité ou l’énergie de manière globale.

Mais les écoles de journalisme ne sont pas en reste et s’interrogent sur l’opportunité de modifier leurs programmes de cours pour y faire une meilleure place aux questions climatiques, environnementales et aux enjeux de la transition. Au-delà des écoles de journalisme, si les universités francophones sont à des stades différents de leur conscientisation aux questions de transition et de durabilité, toutes ont compris qu’il faudrait mettre un accent plus fort sur l’environnement.

Chapitre 1

Réchauffement climatique : dans les écoles, un journalisme en (lente) transition

La crise climatique s’accélère. La biodiversité file un très mauvais coton. Partout on parle de transition, de changement. Les médias sont exposés aux critiques. Les écoles qui forment les futurs journalistes s’ébranlent, lentement.

C’est un changement progressif. Un frémissement tardif, diront certains. Les écoles de journalisme de la Communauté française s’interrogent sur l’opportunité de modifier leurs programmes de cours pour y faire une meilleure place aux questions climatiques, environnementales et aux enjeux de la transition. Certaines ont franchi le pas, mais pas toutes : à l’UCLouvain on a choisi. Pourquoi
changer ? Outre l’urgence des enjeux, des responsables pointent les « demandes » des étudiants, « génération très conscientisée », voire un appel du « marché » : des rédactions qui seraient, elles mêmes davantage soucieuses de la problématique et demanderaient que l’on prépare mieux les futurs journalistes.

Dame, les critiques sont adressées de toutes parts aux « médias » : trop peu présents, trop catastrophistes, trop conservateurs, trop ignorants, trop enfermés dans les modèles traditionnels ou au contraire, trop militants… Il fallait agir. Reste qu’on est loin du raz-de-marée généralisé.

Dès l’année prochaine, l’Ecole de Journalisme de l’UCLouvain lancera ainsi un cours « Journalisme, transition environnementale et changement climatique » en première année de master, explique Grégoire Lits, qui en sera cotitulaire avec un professionnel du métier pour les aspects plus pratiques. « Outre l’actualité, on est confronté à pas mal de demandes aussi bien des étudiants que des médias. Là, il y a une attente, mais on trouve relativement peu de journalistes traitant des questions environnementales et scientifiques », poursuit Lits. Obligatoire, la nouvelle formation ne sera pas un enseignement sur le climat, les étudiants y auront déjà été exposés auparavant. Elle est axée sur le changement climatique, mais avec une vision élargie sur la transition systémique. »

Aucun cours spécifique en revanche du côté de l’école universitaire de journalisme de Bruxelles, détaille son directeur, David Domingo. « Nous encourageons les étudiants à suivre des cours de l’Institut de gestion de l’environnement et d’aménagement du territoire (Igeat) et à participer à la délégation de jeunes qui se rendent aux sommets sur le climat (les COP). Mais cela ne fait pas
partie du cursus officiel. Notre stratégie consiste plutôt à proposer des thématiques d’actualité sur lesquelles les étudiants travaillent pendant quatre mois, encadrés par des professeurs de journalisme et avec des conférences d’experts, pour livrer des productions journalistiques. L’an prochain, je proposerai que l’environnement soit la thématique choisie. »

Modifier la formation pour y inclure un accent plus fort sur l’environnement ? « Nous n’en avons pas discuté, indique Domingo. Pourquoi mettre l’accent spécifiquement sur cette question en laissant de côté d’autres enjeux essentiels comme l’égalité des genres ou la diversité ? Ces questions devraient être assumées dans n’importe quel cours, comme un enjeu transversal. »

La plupart des facultés de journalisme disent aborder les questions environnementales dans des cours, des ateliers ou des travaux pratiques, sous l’angle des événements d’actualité. Difficile d’ignorer cette thématique qui s’impose massivement. La parution, l’an dernier, de la charte française « pour un journalisme à hauteur de l’urgence écologique » a par ailleurs entraîné nombre de réflexions – souvent anglées sur la déontologie journalistique. Cette charte a été signée par quatorze écoles de journalisme reconnues en France ; aucune en Belgique. A l’Ecole de Journalisme de Lille, tous les étudiants sont même exposés à deux jours de formation autour des questions climatiques et environnementales. Et l’école a mis en place un « Master Pro Climat et Médias ».
A l’Ihecs (l’Institut des hautes études en communications sociales), un cours facultatif de « politique internationale de l’anthropocène », de 24 heures, est donné (en anglais) en dernière année. Il porte sur la science et la politique – le Giec, la convention des Nations unies sur le changement climatique, les COP », explique Caroline Zickgraf qui le délivre. Le rapport avec les
pratiques professionnelles ? « On demande également aux futurs journalistes de trouver des articles sur le sujet pour en discuter et ils participent à une simulation de COP ».

« Très en retard »

« Comme beaucoup d’écoles de journalistes nous sommes très en retard sur les questions environnementales, de même que sur le traitement des questions de genre, livre cependant Nordine Nabili, le très cash responsable du master en journalisme à l’Ihecs. Au-delà de petites opérations ponctuelles qui nous déculpabilisent un peu, ces questions ont assez peu infusé dans les enseignements. » Modifier la formation ? « Peut-être que le public et les étudiants eux-mêmes l’imposeront, estime-t-il. Si, au sein de l’Ihecs, des groupes d’étudiants chamboulaient les débats en imposant l’urgence climatique, il y a belle lurette que les choses auraient changé. Mais cette pression ne vient ni des étudiants, ni de l’équipe. »

« On pourrait, d’initiative, changer la formation, mais je n’ai pas le sentiment qu’il y a une demande. Si, demain, je suis assailli de coups de téléphone des patrons de presse qui, pour des services nouveaux, sont à la recherche de journalistes particulièrement préparés sur les questions environnementales et de transition, les choses changeront. Mais je ne pense pas que les écoles puissent préparer des profils qui n’ont pas leur place au sein des rédactions. » L’Institut apporte des réponses ponctuelles, dit Nabili, comme des sujets d’ateliers ou des travaux de fin d’étude. Mais sur les questions de société, il y a une sorte de ronronnement. » L’Ihecs « fait une promesse très technique aux étudiants : apprendre à filmer, tourner, monter, à faire un podcast, prendre des photos, écrire. On aimerait avoir la même ambition sur des questions de société sur le climat. »

A l’ULiège, on n’envisage pas de mettre en place un cours spécifique permettant aux futurs journalistes de mieux couvrir les questions environnementales, ajoute Dick Tomasovic, directeur de l’école de journalisme. « La thématique est abordée dans un cours de technique de journalisme en 3e bachelier qui aborde une série de sphères d’investigation, comme la politique, l’économie ou l’environnement. C’est donc un sujet d’investigation. Et, en master, de très nombreux étudiants veulent s’emparer de ces questions-là dans des enquêtes, des travaux de fin d’étude. » La faculté de journalisme complétera par ailleurs la formation « de base » en baccalauréat par un complément « orienté culture et médias ». « Ce crédit abordera les évolutions climatiques, les récits médiatiques, les éco-fictions… »

Chapitre 2

Dans les unifs, la transition pour (presque) tous

Les universités francophones sont à des stades différents de leur conscientisation aux questions de transition et de durabilité. Mais elles ont toutes compris qu’il faut changer de braquet.

La question de la durabilité et de la transition s’invite dans toutes les universités francophones du pays. Toutes les facultés, tous les enseignements sont invités à s’y ouvrir. Et la plupart ne se font pas prier. Depuis la rentrée 2022-2023, l’ULB propose, en deuxième année de baccalauréat, un cours transversal d’introduction « aux enjeux de durabilité », entame Charline Urbain, vice-rectrice au
développement durable. « Ce cours, donné en présentiel par deux professeurs de disciplines différentes, est accessible aux étudiants de toutes les facultés. En fonction de celles-ci, il est soit obligatoire soit optionnel. C’est unique en Fédération Wallonie-Bruxelles ». L’université soutient par ailleurs « les initiatives individuelles et collectives des facultés ou des enseignants qui veulent
introduire plus de durabilité dans leurs cours. C’est le cas des sciences techniques, exactes et naturelles, mais c’est aussi indispensable en sciences humaines ».

Les facultés restent libres d’organiser leur enseignement, « mais on les encourage à penser des contenus et des savoirs adaptés aux grands défis de la société. Nous sommes là pour montrer l’urgence, donner les moyens, créer les occasions, et pour faciliter les interactions entre chercheurs… »

Même volonté de plonger tôt dans le sujet à l’ULiège, sans doute pour la rentrée de 2024, explique Sibylle Mertens, conseillère de la rectrice à la transition : « L’ensemble des étudiants en bac – en droit, en économie, en journalisme ou en psycho – suivront un cours transversal en ligne accompagné de travaux sur la durabilité et la transition. L’approche est systémique : il s’agit de donner les clefs de compréhension des enjeux en lien avec les sciences du vivant, les inégalités sociales, les enjeux sociétaux… » Ce cours comprendra également une partie spécifique à chaque faculté et liée à sa spécialisation.

Des projets en formation

L’Université de Mons devrait suivre cette voie, témoigne Diane Thomas, vice-rectrice « aux transitions de développement durable et interactions avec la société ». Elle est fière de la création, l’an prochain, d’un master en génie de l’énergie en fac polytechnique qui s’ajoutera aux masters en « transition et innovation sociale » et au master en biologie et écologie. Mais « la sensibilisation doit venir plus tôt et toucher plus largement », juge Thomas. La réflexion est encore embryonnaire, mais l’idée serait – « pour la rentrée 2024-2025 », espère-t-elle –, un cours sous forme d’introduction générale « qui pourrait être constituée d’interventions d’enseignants abordant ces questions dans leurs thématiques ». En option ou obligatoire ? « C’est à voir », poursuit Diane Thomas. « Nous faisons actuellement le recensement des cours qui abordent ces sujets. En règle générale, même si beaucoup de collègues intègrent déjà le développement durable dans leur enseignement, il faudrait apprendre à nos enseignants à mieux intégrer cette dimension ».

A Namur comme à Bruxelles, on a lu attentivement un rapport remis aux autorités françaises préconisant de « former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans l’enseignement supérieur ». « Préparer tous les citoyens à la transition écologique, entendue comme la transformation de la société afin de rétablir la viabilité de la planète par la mise en œuvre des objectifs du développement durable, relève des missions de l’enseignement supérieur », disent ses auteurs. Cela implique « la mobilisation et l’évolution de tous les cursus, en formation initiale comme en formation continue ». Pas de cours obligatoire transversal à l’université de Namur, indique Laurent Schumacher, le vice-recteur « à la formation et au développement durable ».

Des formations complémentaires en matière de développement durable existent ou sont en projet. Et il y a une réflexion sur les programmes existants. « Mais il faut tenir compte de la liberté académique.

On creuse le sillon, en voulant convaincre par l’exemple. Par ailleurs, les étudiants interpellent le corps enseignant pour bénéficier d’une formation au goût du jour ». Dans l’intervalle, des enseignants ont ouvert leur cours à l’ensemble du public (étudiants ou pas), dans des « unités d’enseignement transversal ».

Chapitre 3

Le changement climatique dans la presse belge : transversalité et formations

Les médias belges ne sont pas inattentifs aux évolutions planétaires. Les urgences climatiques et environnementales sont lentement remontées « en haut de la pile ». Avec parfois des changements dans les structures et les pratiques.

Dans les médias français, 2022 a été l’année des chartes. Au début de l’été, un texte plaidant « pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique » secoue la profession. Signé par plusieurs rédactions et des centaines de journalistes – dont quelques Belges – il exhorte le milieu à effectuer un virage radical dans sa manière de traiter les enjeux climatiques. « Nous, journalistes, devons modifier notre façon de travailler pour intégrer pleinement cet enjeu dans le traitement de l’information », dit la charte. Elle invite à « traiter le climat, le vivant et la justice sociale de manière transversale. Ces sujets sont indissociables. L’écologie ne doit plus être cantonnée à une simple rubrique ; elle doit devenir un prisme au travers duquel considérer l’ensemble des sujets. »

Suivront d’autres documents, rédigés par des entreprises de presse ou des rédactions –Radio France, Ouest-France, Le Monde… Avec quelques engagements prononcés.

En Belgique, nulle charte. Dans Le Soir du 6 mars dernier, plusieurs académiques exhortent pourtant les médias « à mener en leur sein une réflexion radicale et globale sur la manière d’aborder les enjeux et questions relatives au climat et à la biodiversité ».

Message entendu ? Diversement. « La question d’une charte a été discutée en interne, indique Frédéric Gersdorff, directeur adjoint de l’information à la RTBF. Mais l’idée a été écartée. Nous craignions qu’être liés à une telle charte ouvre la porte à devoir faire de même avec les droits humains, les féminicides, le travail des enfants ou d’autres excellentes causes. Nous ne voulions pas nous démarquer sur un enjeu en particulier. » La chaîne publique n’a pas non plus créé de rédaction spécialisée, considérant que « l’environnement touche à toutes les spécialités – économie, politique belge, science, éducation, international… ». On a donc opté pour une approche plus transversale des sujets environnementaux.

Depuis un moment, des émissions sous de nombreux formats et styles ont vu le jour en plusieurs lieux de la grille de programmes, dont « Alors on change », présentée par Gwenaëlle Dekegeleer produite par la cellule « Impact » de la RTBF, mais aussi plus récemment des podcasts (Déclic Le Tournant, d’Arnaud Ruyssen), une page « Ensemble pour la Planète » sur le site internet, des opérations spéciales comme le prime time sur Tipik, l’an dernier, « Il n’y a pas de planète B » ou la « Yourte » , sorte « d’éco-télé-réalité » campagnarde.

Plus de transversalité

Pas de charte mais plus de transversalité, c’est aussi le mot d’ordre à La Libre Belgique, dont le rédacteur en chef Dorian de Meeûs rappelle l’existence d’un service Planète, fusionné récemment avec le service Monde. « Notre volonté est de faire remonter davantage de reportages sur le changement climatique de nos correspondants », indique-t-il. Par ailleurs, « il importe de s’assurer
que les questions environnementales ne soient pas limitées à un service mais que chaque journaliste à son niveau l’intègre dans son travail – la géostratégie, l’économie, l’industrie ou les débats ».

A la RTBF, un « pôle interrédaction », selon les mots de Gersdorff – réseaux d’échange entre journalistes intéressés – fait circuler les infos et les idées. « Ça bouge beaucoup plus qu’avant, constate Dekegeleer. Les choses évoluent, je sens une volonté. » Ici, une formation s’annonce, au profit de tous les journalistes, présentateurs ou éditeurs intéressés, proposée par la cellule Impact en collaboration avec Johanne Montay, la responsable éditoriale sciences-santé-innovation.

De formation, il en est également question à L’Echo, raconte Paul Gérard, son rédacteur en chef. Le quotidien a déjà proposé trois modules de formation de trois jours à 24 de ses journalistes. « Nous devions travailler cette question-là, dit-il. Les enjeux climatiques et leurs impacts, ce ne sont pas des sujets qui font partie intégrante de la formation des journalistes, même des jeunes.

Nous ne sommes clairement pas assez équipés. Certains travaillent sur la matière, d’autres sont plus sensibilisés pour
des raisons personnelles. » Insuffisant, pour le patron du quotidien économique et financier : « Le sujet est devenu incontournable et doit traverser toutes nos pages, toutes les rubriques. Pour cela, il est nécessaire d’être mieux outillés. » Les journalistes ayant participé aux formations sont revenus « très enthousiastes », affirme Gérard. Qui songe à étendre la formation à l’ensemble des
journalistes et annonce, pour la suite, « un travail d’intelligence collective : une charte maison ? Des nouvelles rubriques ? D’autres pratiques qui n’existent pas encore ? C’est à discuter… »

A des degrés divers et avec des moyens parfois limités, ça bouge dans la presse belge. Et les nouvelles sont contrastées : la formation continue sur « la couverture du réchauffement climatique » proposée par l’Association des journalistes professionnels pour octobre prochain n’a séduit qu’une poignée de journalistes. La question de son maintien est posée.

Entretien

Pourquoi « Le Soir » crée un pôle Planète

Comment donner une meilleure place aux questions climatiques, environnementales et aux enjeux de la transition, alors que les médias sont tantôt perçus comme trop peu présents, tantôt trop catastrophistes ?
Christophe Berti, rédacteur en chef du «Soir», explique le positionnement de la rédaction.

Alors que la crise climatique s’accélère, comment Le Soir s’organise-t-il pour mieux répondre aux enjeux de la transition ?

Christophe Berti : Après la crise du covid, la rédaction s’est interrogée sur ses pratiques et sur la bonne façon de traiter les thématiques qui traversaient nos sociétés. On s’est rendu compte que des sujets comme le covid, mais aussi la guerre en Ukraine ou la crise climatique, devaient être traités de manière plus transversale. Si on regarde ces thématiques avec un seul spectre (uniquement comme un sujet santé, politique, économique…), on passe à côté d’une partie de l’information.

Après un travail collectif, qui a impliqué l’ensemble de la rédaction, on a décidé de transformer nos services en pôles, pour partir des contenus, en se demandant : « Qui peut apporter de la valeur ajoutée sur ces sujets », peu importe sa place dans la rédaction.

Ça, c’est fondamental, c’est le vrai changement de cette réforme.

Cette réforme a-t-elle permis de donner une meilleure place aux questions environnementales ?

Nous n’avons pas attendu cette transformation pour traiter des sujets liés au changement climatique, bien évidemment, mais dans la réflexion commune, cette thématique a émergé naturellement et s’est imposée dans notre nouvelle organisation. Il nous semblait dès lors important de dégager des moyens adéquats : nous avons donc créé un pôle Planète avec sept journalistes qui vont travailler ensemble sur ces matières. L’environnement, la mobilité ou l’énergie vont être traitées de manière globale, pas uniquement d’un point de vue économie ou politique…

Les sujets liés à la crise climatique seront donc traités par le pôle Planète

Mais pas seulement : il ne faut pas réserver la question climatique aux journalistes Planète mais que celles et ceux qui suivent la politique, l’économie, le sport ou la culture soient aussi concernés et impliqués dans ces thématiques. Au-delà du pôle Planète, ce qu’on a mis en place à la rédaction, c’est un travail de transversalité entre les pôles.

C’est une manière de répondre aux lecteurs qui estiment que Le Soir n’en fait pas assez ?

C’est avant tout la rédaction au Soir qui décide de ce qu’elle fait. On ne fait pas ça pour répondre à des critiques ou pour faire du marketing. L’urgence climatique s’est imposée dans notre traitement de l’actualité. Nous avons une responsabilité journalistique et sociale de davantage nous intéresser à ces matières et de les traiter avec déontologie. Si certains pensent qu’on en fait trop ou d’autres pas assez, c’est sans doute bon signe…

En France, plusieurs médias ont publié une charte pour encadrer leurs pratiques. Y a-t-il une démarche similaire au Soir ?

Je pense que le premier travail qu’on doit faire, c’est d’améliorer notre expertise sur le fond. Après, on jugera, au Soir, si on a besoin de fixer des règles au sein de la rédaction, de l’entreprise ou d’une charte pour faire encore mieux notre travail d’information.



Intelligences artificielles, valeur ajoutée, impôts et sécurité sociale

Les EMMERDEMENTS COMMENCENT…

Publié le 25 mars 2023 sur LinKedIn par

Bruno Colmant

J’ai acquis une conviction : les intelligences artificielles vont transformer tout et partout.

Cela veut dire que la valeur ajoutée de nombreux métiers va (très) brutalement se modifier. Certains vont l’accroître, d’autres, plus nombreux, vont la perdre.

Cela veut dire qu’à isopérimètre social, une partie importante des travailleurs à faible/moyenne valeur ajoutée dans l’économie des services vont voir leur métier ou sa rémunération être altéré. Mais ce n’est pas tout : certains diplômes et formations de très haut vol vont être dissous.

En vérité, tout se passe comme si une partie de la productivité était aspirée par les intelligences artificielles, qui ne génèrent, à ce stade, aucun salaire et ne payent pas d’impôt ni de cotisation sociale.

Cela pourrait profondément bouleverser les finances publiques et les recettes de la sécurité sociale qui sont essentiellement fondées sur un prélèvement sur le travail.

Donc les ennuis vont commencer.

Car quelle sera la base élargie de l’impôt et des cotisations sur le travail ? Peut-être l’impôt des sociétés… sauf que les fondateurs de cette intelligence artificielle sont hors de portée de nos souverainetés et qu’ils argumenteront qu’ils apportent de la valeur ajoutée à ceux qui sauront s’en emparer pour augmenter les gains de productivité. Ce ne sera pas le cas de tous les pays, à commencer pas ceux qui n’ont pas compris l’envergure du bouleversement sociétal.

Ceci n’est pas sans faire écho à l’économiste suisse Jean de Sismondi (1773-1842), qui théorisa ce basculement vers la mécanisation en argumentant qu’il profitait au patronat. Selon sa vision, la machine est un moyen privilégié d’accumulation de capital parce qu’elle n’a pas besoin de salaire. Il suggéra l’idée que tout individu remplacé par une machine reçoive à vie une rente perçue sur la richesse entraînée par la mécanisation de son emploi. En d’autres termes, le propriétaire ou le gestionnaire du processus devrait s’acquitter d’un impôt correspondant à une partie des gains de productivité qu’il soustrait à la sphère marchande collective.

Il faut impérativement réfléchir à tout ceci.

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