Des jeunes militants demandent à l’ONU de déclarer « l’urgence climatique à l’échelle du système ».

Exclusif : Greta Thunberg fait partie des jeunes qui intentent une action en justice pour que la crise climatique soit déclarée urgence mondiale de niveau 3.

Traduction Josette – article original de Miranda Bryant : Youth activists petition UN to declare ‘systemwide climate emergency’

Greta Thunberg s’est exprimée lors d’un rassemblement sur le climat à Glasgow vendredi, au cours duquel elle a qualifié la Cop26 d’ « échec » et de « festival de greenwashing ».

Greta Thunberg et de jeunes militants pour le climat du monde entier ont déposé une pétition juridique auprès du secrétaire général des Nations Unies, lui demandant de déclarer une « urgence climatique à l’échelle du système ».

Alors que la Cop26 entre dans ses derniers jours, les défenseurs du climat devaient déposer mercredi un document juridique demandant à António Guterres d’utiliser les pouvoirs d’urgence pour égaler le niveau de réponse adopté pour la pandémie de coronavirus en déclarant la crise climatique comme une urgence mondiale de niveau 3 – la catégorie la plus élevée des Nations Unies.

Outre la militante suédoise pour le climat, qui a déclaré vendredi que la Cop26 était un « échec » et un « festival de greenwashing » alors qu’elle appelait à des réductions annuelles drastiques des émissions en s’adressant aux manifestants à Glasgow, le groupe de 14 personnes comprend Ranton Anjain et Litokne Kabua des îles Marshall, Ridhima Pandey d’Inde, Alexandria Villaseñor des États-Unis et Ayakha Melithafa d’Afrique du Sud.

Ils espèrent qu’une déclaration d’urgence permettra d’envoyer rapidement des ressources et des compétences techniques aux pays les plus menacés par le réchauffement de la planète, en particulier les petits États insulaires et les pays en développement, afin de soutenir l’adaptation au changement climatique, l’analyse de la climatologie et les mesures de santé publique.

Il semblerait que l’ONU ait déjà vu une ébauche de la pétition et qu’une urgence de niveau 3 soit en cours de discussion, mais un porte-parole du bureau du secrétaire général a refusé de commenter l’éventualité de sa mise en œuvre.

Dans un avant-projet de la pétition, que le Guardian a pu consulter, les militants demandent au secrétaire général et aux autres agences des Nations Unies de « mobiliser une réponse globale des Nations Unies à l’urgence climatique ». Ils les exhortent également à nommer une équipe de gestion de crise pour « superviser une action mondiale immédiate et complète sur le climat ».

Citant les mesures prises par M. Guterres et le Comité permanent interorganisations (IASC), le forum de coordination humanitaire des Nations Unies, en réponse à la Covid-19, ils affirment : « L’urgence climatique – qui menace chaque personne sur la planète dans un avenir prévisible – est une menace au moins aussi grave qu’une pandémie mondiale et nécessite de la même manière une action internationale urgente.« 

Scott Gilmore, avocat spécialisé dans les droits de l’homme au sein du cabinet Hausfeld et principal conseiller dans cette affaire, a déclaré qu’une déclaration d’urgence pourrait conduire à la création d’un organe spécial, ou d’un « tsar du climat », chargé de coordonner les efforts entre les agences des Nations Unies.

Il a déclaré : « C’est l’une des grandes leçons que l’on a tirées de la réponse à la Covid. L’Organisation mondiale de la santé a été chargée de diriger la réponse, mais elle a reçu le soutien organisationnel et l’infrastructure nécessaires au sein des Nations Unies. Ces dernières années, le secrétaire général a vraiment pris l’initiative de pousser les États à déclarer des urgences climatiques nationales« , a-t-il ajouté. « Les Nations Unies n’ont pas encore franchi cette étape. Le point de vue des pétitionnaires dans cette affaire est que le moment est venu.« 

Cette action intervient après que le même groupe ait vu son action, dans laquelle il affirmait que les pays qui perpétuent la crise climatique violent leurs droits de l’homme, rejetée par le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies le mois dernier.

Dans leur dernière action en justice, ils affirment qu’une réponse globale des Nations Unies est nécessaire parce que « l’action climatique ne doit pas s’arrêter aux frontières des États » et pour s’attaquer aux « inégalités fondamentales du changement climatique« .

Ils affirment également que cette réponse est nécessaire pour montrer aux jeunes du monde entier que l’ONU « ne nous a pas abandonnés à un avenir sombre« .

La militante Alexandria Villaseñor, 16 ans, qui a commencé à faire grève à l’âge de 13 ans devant le siège de l’ONU à New York, a appelé à une action immédiate.

Elle a déclaré : « L’ONU nous a montré qu’elle était capable de se mobiliser contre des menaces mondiales imminentes, et la crise climatique est la plus grande menace mondiale jamais connue par l’humanité… Nous n’avons plus beaucoup de temps pour protéger les enfants et les générations futures, et nous demandons aux adultes de se mobiliser dès maintenant pour apporter une réponse mondiale critique à la crise climatique. »

Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général, a déclaré : « Le secrétaire général, en tant que président du CCS [le Conseil des chefs de secrétariat des organismes des Nations Unies pour la coordination], a clairement indiqué que l’ensemble de l’organisation est mobilisé pour faire pression en faveur d’une action climatique plus importante et vérifiable de la part des États membres et du secteur privé, ainsi que pour faire pression sur les inégalités, la désinformation et le manque de solidarité.« 


Effet des changements d’utilisation des terres par habitant sur le défrichement des forêts holocènes et les émissions de CO2


Il est un paradoxe bien connu, celui de l’œuf et de la poule : « Qu’est-ce qui est apparu en premier : l’œuf ou la poule ? ». Mais en voici un autre, qui de facto porte en germe toutes les problématiques de notre monde : « Qui est à l’origine de la croissance de l’autre ? La démographie ou l’agriculture ? »

Qu’importe la réponse finalement….

L’important, c’est qu’en filigrane, il ne reste que cette réalité : les déforestations, la perte des plaines alluviales en tant qu’écosystèmes majeurs, l’augmentation débridée du co2, étaient déjà inscrits dans notre histoire bien avant l’ère industrielle.

Signaux faibles ? Pas vraiment.. Le ver était déjà dans le fruit…


2009-12 Effet des changements d’utilisation des terres par habitant sur le défrichement des forêts et les émissions de CO2 pendant l’Holocène, William F. Ruddimana, Department of Environmental Sciences, Clark Hall, University of Virginia, Charlottesville, USA ; Erle C. Ellis, Department of Geography and Environmental Systems, University of Maryland, Baltimore County, Baltimore, USA, Quaternary Science Reviews 28(27-28):3011-3015, DOI:10.1016/j.quascirev.2009.05.022 (Effect Of Per-Capita Land Use Changes On Holocene Forest Clearance And CO2 Emissions)

Traduction par JM Poggi -(deepl) – Article original https://obsant.eu/le-flux/?iti=11079

Résumé :

La pièce maîtresse de « l’hypothèse anthropique » pourrait se résumer en une phrase : le rôle de l’humanité dans les modifications des niveaux des gaz à effet de serre remonte à des milliers d’années, en conséquence de l’émergence de l’agriculture (Ruddiman, W.F., 2003 : The anthropogenic greenhouse era began thousands of years ago. Climatic Change 61, 261–293. Ruddiman, W.F., 2007 : The early anthropogenic hypothesis: challenges and responses. Reviews of Geophysics 45 2006RG000207R)

Une réaction courante à cette affirmation est que trop peu de personnes vivaient il y a des milliers d’années pour avoir eu un effet majeur sur l’utilisation des terres, et donc les concentrations de gaz à effet de serre.

Ce point de vue sous-tend l’idée que la surface de défrichement par individu a peu changé depuis des millénaires. Or de nombreuses études de terrain ont montré que l’utilisation des terres par habitant était plus importante à l’origine, et qu’elle a diminué à mesure que la densité de population augmentait, en lien avec l’intensification de l’agriculture.

Nous avons étudié ici l’impact de l’évolution de l’utilisation des terres par habitant au cours des derniers millénaires et en concluons qu’un défrichement plus important par les premiers agriculteurs a eu un impact disproportionné sur les émissions de CO2.

Développement :

Le postulat central de « l’hypothèse de l’anthropisation » (anthropocène) (Ruddiman, 2003, 2007) est que la déforestation effectuée par les humains a inversé une tendance naturellement décroissante des niveaux de CO2 il y a 7000 ans pour aboutir au contraire a une tendance à la hausse, tandis que la culture du riz et l’élevage ont eu le même effet sur la tendance du méthane depuis 5000 ans (Fig. 1a). […]

Plusieurs modélisations se sont basées sur des mesures de l’utilisation des terres à une époque récente afin d’établir un lien entre l’utilisation « moderne » des terres et les modes d’utilisation par les populations antérieures. Certaines études ont pré-supposé des liens linéaires entre la population et l’utilisation des terres (par exemple, Klein Goldewijk, 2001 ; Pongratz et al., 2008). Les estimations de l’utilisation passée des terres qui découlent de cette hypothèse suivent inévitablement les augmentations exponentielles de la population mondiale au cours des derniers siècles. Ainsi, les reconstitutions basées sur les statistiques d’utilisation des terres disponibles (par exemple, Ramankutty et Foley, 1999) tendent à sous-estimer les surfaces cultivées au cours des premières périodes historiques, alors même que des systèmes de propriété foncière informels et des pratiques agricoles « changeantes » ne pouvaient que biaiser les résultats vers le bas (Ho, 1959).

En revanche, comme résumé ci-dessous, plusieurs études basées sur des preuves de terrain soutiennent une vision bien différente de l’utilisation des terres.

Les études anthropologiques d’un éventail de cultures contemporaines qui pratiquent les premières formes de culture itinérante, comme la culture sur brûlis, donnent un aperçu des pratiques agricoles utilisées il y a des millénaires dans des régions naturellement forestières.

Les études sur l’archéologie de l’utilisation des terres, la paléoécologie, la paléobotanique et la sédimentologie fournissent des informations sur les contraintes qui ont affectés les changements passés dans les types et étendues des systèmes agricoles, les transitions graduelles de la végétation naturelle vers les cultures domestiques, et l’érosion accrue sur les versants dégagés par la déforestation et le labourage.

Les conclusions communes de ces études de terrain convergent : l’utilisation des terres par habitant au cours des 7000 dernières années n’est pas restée constante, mais a plutôt diminué, ramené par habitant, de façon importante.

Nous analysons ici les répercussions probables de cette tendance à la baisse du défrichement par habitant et en conséquence les émissions nettes de carbone dans l’atmosphère.

Il y a des décennies, Boserup (1965) a synthétisé les résultats provenant d’études de terrain et a posé comme hypothèse que l’utilisation des terres s’est intensifiée avec l’augmentation de la population (tableau 1).

Dans la phase la plus ancienne et la moins peuplée du développement de l’agriculture (la phase de jachère forestière), les agriculteurs mettaient le feu aux forêts et plantaient des graines dans un sol enrichi en cendres. Lorsque, après un certain nombre d’années, les nutriments du sol s’épuisaient, les gens se déplaçaient vers de nouvelles parcelles, ne retournant à la parcelle d’origine qu’après une vingtaine d’années ou plus. Les premiers agriculteurs restaient effectivement le plus souvent dans les mêmes habitations (Startin, 1978), mais alternaient entre différentes parcelles cultivées.

Ce type d’agriculture nécessitait peu de travail par personne, mais la rotation continue entre les parcelles utilisait une grande quantité de terre.

Au fil du temps, l’augmentation de la densité des populations conduisant à avoir moins de terres disponibles, les agriculteurs ont été contraints de raccourcir les périodes de jachère en réutilisant les parcelles plus souvent et en plantant plus densément.

Plus tard, ils ont élaboré de nouvelles techniques pour augmenter les rendements à l’hectare, comme l’amélioration des charrues, la traction animale, l’irrigation et l’usage des engrais.

En définitive, avec l’augmentation continue de la population, les agriculteurs ont été contraints de se limiter à la même parcelle de terre chaque année (culture annuelle) et ont finalement commencé à cultiver deux ou plusieurs cultures par an sur les mêmes champs.

Certaines régions ont développé des systèmes d’irrigation sophistiqués et étendus dans le cadre de schémas d’ingénierie hydraulique contrôlés de manière centralisée.

Malgré les bénéfices offerts par différentes innovations, comme la généralisation des outils en fer, cette dernière phase de l’agriculture intensive a nécessité de grandes quantités de travail par personne pour augmenter la productivité : épandage de fumier et de compost, soin du bétail qui fournissait du fumier, élimination des mauvaises herbes et des insectes, réparation et entretien des terrasses et des canaux d’irrigation, etc.

Malgré quatre décennies de débat sur la relation de cause à effet sur long terme entre l’augmentation de la population et les innovations agricoles, les conclusions de Boserup, selon laquelle l’utilisation des terres par habitant a diminué parallèlement à la croissance de la population, ont reçu un écho positif et durable. Bien que la les analyses historiques des changements d’utilisation des terres fonction de la population puissent différer grandement d’un site à l’autre et même d’une région à l’autre (par exemple, Bogaard, 2002 ; Johnston, 2003), le modèle de Boserup qui sous-tend une diminution de l’utilisation des terres par habitant avec augmentation de la population demeure le paradigme dominant pour le changement d’utilisation des terres agricoles (Grigg, 1979 ; Netting, 1993 ; Turner et Shajaat, 1996).

Notre objectif ici est de quantifier ces séquences d’intensification sur la base d’observations (tableau 1) compilées à partir de Netting (1993, tableau 9.1 d’après Boserup, 1981) et d’autres (Turneret al., 1977 ; Seiler et Crutzen, 1980 ; Murdock et White, 2006).

Au cours du siècle dernier, la superficie cultivée par personne a varié entre 0,07 et 0,35 ha/personne (Ramankutty et al., 2002).

Ces faibles valeurs reflectent une utilisation très intensive des terres dans les pays fortement peuplés et intègrent aussi, implicitement, les déplacements continus de population des zones rurales vers les zones urbaines.

En comparaison, les valeurs par habitant pour les périodes les plus anciennes (milieu de l’Holocène) sont moins préciss. Des estimations peuvent être obtenues à partir d’études de systèmes agricoles contemporains qui utilisent encore des méthodes de culture itinérante, bien que ces cultures soient confrontées à des limitations foncières et à des forces du marché différentes des conditions dans lesquelles l’agriculture a commencé (Boserup, 1965 ; Turner et al., 1977).

Néanmoins, le défrichement de la forêt par individu dans les systèmes d’agriculture itinérante peut être évalué en tenant compte des estimations des terres cultivées par personne et par an, des cycles de culture typiques (le nombre d’années pendant lesquelles la terre est cultivée puis laissée en jachère), et des zones défrichées à d’autres fins que la culture (pâturages, bois, habitations et autres structures).

Compte tenu d’une superficie de terres cultivées annuellement par habitant de 0,2 à 0,4 ha (Seiler et Crutzen, 1980) et des durées de jachère de 7 à 25 ans typiques des systèmes d’agriculture itinérante contemporains qui utilisent des technologies très similaires à celles des premiers agriculteurs (usage de bâtons à fouir et houes en bois, sans outils métalliques ; Murdock et White, 2006 ; Turner et al., 1977), nous estimons que le défrichement rapporté au nombre d’habitant est de l’ordre de 2 à 6 ha par personne pour les premiers agriculteurs (tableau 1). Cette estimation concorde avec celle d’Olofson et Hickler (2008).

Cette estimation concorde également avec les 4 ha par personne calculés par Gregg (1988) sur la base des besoins en matière de culture, d’élevage, de bois et de peuplement d’un village européen de 30 personnes datant de la fin du Néolithique.

Gregg a supposé une configuration de jachère courte, avec une seule zone de jachère de la même taille que la zone cultivée, bien que d’autres estimations suggèrent que 5 à 10 parcelles auraient pu être en jachère dans une longue séquence de rotation (Boserup, 1965 ; Netting, 1993).

Des peuplements denses de jeunes arbres repoussent sur les zones laissées en jachère pendant une vingtaine d’années, mais leur biomasse et leur carbone ne s’approchent pas des niveaux typiques d’une forêt primaire (Ramankutty et al., 2007).

Si le bétail est amené à brouter les jeunes pousses, la récupération de la biomasse est d’autant plus réduite (Boserup, 1965).

Au début de la période holocène (il y a 7000-6000 ans), de nombreux individus n’étaient pas encore des agriculteurs. La prise en compte de ce fait réduirait les estimations de l’utilisation des terres par habitant pendant la première phase de jachère forestière.

D’autre part, les premiers peuples agricoles (et même pré-agricoles) usaient couramment du feu pour défricher de grandes zones afin d’attirer le gibier et de favoriser la croissance des baies et autres aliments naturels (Pyne, 2000 ; Williams, 2003 ; Bliege Bird et al., 20 08). Le défrichement par le feu n’était pas limitant.

En outre, il y a 5000 ans, les principales cultures étaient déjà cultivées dans les régions les plus peuplées du monde ; le blé et l’orge dans toute l’Europe (Zohary et Hopf, 1993) ; le millet et le riz dans une grande partie de la Chine (Ruddiman et al., 2008 ; Fuller et Qin, 2009), et le maïs (corn) en Méso-Amérique (Grigg, 1974 ; MacNeish, 1992).

En raison du succès de ces sources alimentaires primaires, les populations de ces régions ont augmenté rapidement et ont supplanté les peuples qui pratiquaient encore la chasse et la cueillette.

Après les premiers développements basés sur les jachères sur zones initialement forestières puis d’alternance entre différentes parcelles cultivées, Boserup a suggéré que des augmentations successives de la densité de population ont nécessité une culture en jachère avec des rotations plus courtes (« bush fallow »), puis une culture annuelle, et finalement des cultures multiples sur chaque parcelle (Tableau 1 ; Kates et al., 1993 ; Netting, 1993), bien que certaines régions puissent ne pas avoir suivi la séquence complète indiquée dans le Tableau 1.

Ainsi la riziculture humide dans le sud de la Chine était probablement relativement intensive même dans sa phase initiale il y a 6000-5000 ans. Il y a 2000 ans, les zones rizicoles les plus densément peuplées des deltas de la Chine méridionale et d’autres régions d’Asie avaient déjà atteint la phase de culture annuelle avec 1 ha de terres cultivées par personne.

Cependant, même dans ces régions, une augmentation de l’intensification (cultures multiples, fumure, désherbage) a fait chuter la surface cultivée par personne à seulement 0,1-0,2 ha vers 1800 (Chao, 1986 ; Ellis et Wang, 1997).

Parallèlement, les régions moins densément peuplées ont continué à pratiquer une culture itinérante et certaines ont peut-être adopté la culture annuelle beaucoup plus tard (quand elles l’ont fait).

En résumé, malgré des variations considérables d’une région à l’autre et d’une culture à l’autre, l’utilisation moyenne des terres par personne semble être passée de plusieurs hectares par personne pendant l’Holocène moyen à seulement quelques dixièmes d’hectares vers le début de l’ère industrielle, soit une baisse d’un ordre de grandeur complet.

Sur la base de ces éléments, la figure 2a présente des trajectoires de l’évolution de l’utilisation des terres par habitant au cours de l’Holocène.

Il y a 7000 ans, la plupart des agriculteurs utilisaient des jachères avec rotations longues, nous supposons une utilisation des terres par habitant de 4 ha (+/-2 ha). À l’autre extrême, juste avant l’ère industrielle, l’utilisation des terres par habitant est d’environ 0,4 ha (+/-0,2 ha) par personne, une valeur légèrement supérieure de celle du siècle dernier.

Naturellement, tenter de quantifier une tendance « moyenne mondiale » en matière d’utilisation des terres par habitant au cours de l’Holocène est évidemment une tâche compliquée qui devrait prendre en compte les populations, les cultures et les méthodes agricoles très différentes qui ont coexisté dans différentes régions au cours de chaque intervalle.

Pour tenter de refléter une partie de cette incertitude, nous montrons sur la figure 2a trois trajectoires possibles. La tendance « concave » suppose que les premières réductions d’utilisation des terres par habitant étaient plus importantes que les suivantes. La tendance « linéaire » suppose des taux constants de réduction de l’utilisation des terres au fil du temps. La tendance « convexe » suppose que les réductions d’utilisation des terres ont été plus importantes plus tard dans la chronologie.

Ceci dit, cette dernière tendance est cohérente avec l’ensemble des données qui montrent une intensification agricole accélérée au cours de l’ère « historique » (récente) (Boserup, 1965 ; Grubler, 1994).

La combinaison de la population mondiale (Fig. 1b) et des trois trajectoires possibles de l’utilisation moyenne des terres par habitant (Fig. 2a) conduit à trois estimations du défrichement mondial (Fig. 2b).

Compte tenu des incertitudes décrites ci-dessus, ces tendances ne sont pas censées être des estimations exhaustives de l’ampleur de la déforestation préindustrielle.

Elles visent plutôt à fournir une évaluation de la mesure dans laquelle l’intensification de l’utilisation des terres aurait pu modifier les estimations de l’utilisation des terres à l’échelle mondiale par rapport aux estimations basées sur les liens linéaires avec la population (ligne pointillée dans la Fig. 2b).

Dans tous les cas, les tendances au défrichement augmentent rapidement jusqu’à il y a 2000 ans (Fig. 2b).

Puis les tendances issues des cas linéaires et concaves restent relativement stables entre 2000 et 1000 ans, puis repartent à la hausse en réponse au fort accroissement de la population dans les siècles précédant l’ère industrielle.

La tendance basée sur la trajectoire convexe montre une tendance au défrichement contenue mais persistante depuis 2000-1500 ans.

Deux facteurs contribuent au ralentissement de l’utilisation estimée des terres depuis 2000 ans dans ces scénarios. La perte de dizaines de millions de personnes pendant les grandes pandémies et les périodes de troubles ont joué un rôle important. Au cours des épisodes les plus graves (200-600 après J.-C. et 1200-1700 après J.-C.), la mortalité « excédentaire » s’est élevée aux environs de 12 à 18% de la population mondiale (McEvedy et Jones, 1978 ; Denevan, 1992).

Mais le principal facteur justifiant ces tendances est la diminution de l’utilisation des terres par habitant (Fig. 2a).

Pour les cas « concave » et « linéaire », cette diminution a été suffisante pour compenser l’augmentation de la population entre 2000 et 1000 ans, mais pas après, d’où un rattrapage. Pour le cas « convexe », la diminution exponentielle de l’utilisation des terres a permis de contrebalancer l’augmentation exponentielle de la population au cours des derniers siècles.

La culture à grande échelle des prairies et steppes n’a pas eu lieu avant le début des années 1800, ce pourquoi la plupart des terres qui ont été défrichées pour l’agriculture à l’époque préindustrielle étaient encore boisées avant cette période.

Ainsi, avant la combustion des combustibles fossiles de l’ère industrielle, le défrichement des forêts a été la principale source anthropique d’augmentation du CO2 (Houghton, 1999).

Bien que l’augmentation exponentielle de la population mondiale (Fig. 1b) ne soit pas en lien direct avec l’augmentation précoce du CO2 (Fig. 1a), la prise en compte pendant l’holocène de la tendance vers une utilisation des terres par habitant plus faible (Fig. 2a) permet de lier les estimations de l’utilisation des terres (Fig. 2b) à l’augmentation du CO2 (Fig. 1a).

Dans ce cadre, les augmentations des concentrations de CO2 atmosphérique sont à appréhender en lien avec le taux de défrichement par habitant plutôt qu’avec le défrichement total. Les changements d’utilisation des terres par millénaire calculés à partir des tendances de la Fig. 2b sont présentés à la Fig. 2c.

Comme pour la tendance constatée pour le CO2 (Fig. 1a), les trois taux de défrichement montrent des taux de croissance plus rapides avant 2000 ans, suivies d’une stabilisation puis d’une diminution relative.

Par ailleurs, comme les premières exploitations agricoles étaient concentrées dans des vallées alluviales aux sols humides et fertiles, les forêts défrichées dans ces zones étaient plus riches en carbone que celles situées sur les flancs de collines et les pentes de montagnes, qui ont été défrichées ultérieurement.

Ainsi la prise en compte des variations de la densité du carbone dans les calculs conduirait à encore augmenter les émissions de CO2 au début de l’Holocène.

Une modélisation consolidée des tendances d’émissions de CO2 pendant l’Holocène nécessiterait d’effectuer des estimations exhaustives des changements d’utilisation des terres aux niveaux régionaux, comme celles de effectuées par Kaplan et al. (2009) pour l’Europe.

Ces modélisations nécessiteraient également des évaluations précises des liens entre les densités de population préindustrielles et le défrichement (et la récupération), les facteurs régionaux tels que le climat, la qualité des sols et la topographie (plaines alluviales vs versants), les facteurs culturels tels que les préférences en matière d’élevage, et les facteurs historiques tels que les échanges de variétés de cultures et de technologies découlant des premières rencontres coloniales.

En outre, l’évaluation de l’estimation des émissions et des concentrations de CO2 dans l’atmosphère en conséquence des changements d’utilisation des terres doit tenir compte du long temps de résidence du CO2 dans l’atmosphère (Joos et al., 2004 ; Archer, 2008).

En résumé, les tentatives précédentes d’analyse à posteriori du défrichement préindustriel fondées sur l’hypothèse de liens linéaires ou quasi-linéaires avec les populations passées sont susceptibles de sous-estimer l’impact des déforestations précoces.

Les estimations des défrichements passés doivent intégrer à minima la diminution importante et continue de l’utilisation des terres par habitant avant l’ère préindustrielle.

Sur la base de nos résultats, les historiques de défrichement qui intègrent les processus d’intensification de l’utilisation des terres offrent des estimations du rôle du défrichement précoce, et des émissions de CO2 liés, et donc de la trajectoire observée du CO2 préindustriel dans l’atmosphère, pertinents.


Nous remercions Dorian Fuller et Navin Ramankutty pour leurs commentaires sur une version antérieure, Robert Smith pour les graphiques, et Stephanie Pulley pour son aide dans les recherches d’archives. Le programme Paléoclimat de la division des sciences atmosphériques de la National Science Foundation a financé ce travail.


Pesticides et invertébrés du sol : Une évaluation des risques

Ci-dessous l’une des plus exhaustive étude sur les pesticides et micro-organismes invertébrés des sols, publiée par Frontiers in Environmental Science, évoquée récemment par Sébastien Lauwers, que je viens de traduire, et vous engage à lire jusqu’au bout. Édifiant, comme d’hab…

JM Poggi – Facebook – groupe Transition 2030 – 4 octobre 2021

Article original en Anglais : https://obsant.eu/veille/?iti=11009

Les sols sont sans doute les écosystèmes les plus complexes et les plus riches en biodiversité sur terre, contenant près d’un quart de la diversité de la planète (Ram, 2019).

Une poignée de terre contient environ de 10 à 100 millions d’organismes appartenant à plus de 5.000 taxons [espèces et/ou familles spécifiques] (Ramirez et al., 2015), dont seul un petit pourcentage a été décrit (Adams et Wall, 2000).

Une communauté fonctionnelle typique de micro-organismes du sol comprend des centaines à des milliers d’espèces de macroinvertébrés et nématodes, ainsi qu’une vaste abondance de micro-organismes, dont des centaines d’espèces fongiques et des milliers d’espèces bactériennes (Bardgett et van der Putten, 2014 ; Ram, 2019 ; Singh et al., 2019).

Les invertébrés du sol rendent une variété de services écosystémiques différents, essentiels à la durabilité de l’agriculture. La biodiversité du sol permet des fonctions écosystémiques auto-perpétuées qui alimentent des processus spécialisés tels que le maintien de la structure du sol, le cycle des nutriments, les transformations du carbone et la régulation des parasites et des maladies (Balvanera et al., 2006 ; Perrings et al., 2006 ; Kibblewhite et al., 2008 ; Chagnon et al., 2015). L’activité de fouissement des organismes du sol modifie la porosité du sol en augmentant l’aération, l’infiltration et la rétention d’eau, et en réduisant le compactage (Pisa et al., 2015 ; Ram, 2019).

Les vers de terre peuvent à eux seuls construire jusqu’à 8.900 km de canaux par hectare, diminuant l’érosion du sol de 50% via l’augmentation de la porosité du sol et de l’infiltration de l’eau (Blouin et al., 2013 ; Gaupp-Berghausen et al., 2015).

Les nutriments voyagent à travers les multiples couches du sol par le biais de butineuses, de tunneliers et d’insectes nichant au sol, notamment les coléoptères, les abeilles nichant au sol, les fourmis et les termites (Stork et Eggleton, 1992 ; Willis Chan et al, 2019), et les détritivores comme les nématodes, les collemboles, les vers de terre, les mille-pattes et les cloportes, transforment les matières en décomposition et les minéraux en formes utilisables, organisent le cycle des nutriments et augmentent la fertilité du sol (Stork et Eggleton, 1992 ; Kibblewhite et al., 2008 ; Ram, 2019).

Par exemple, les nématodes et les acariens permettent la minéralisation de l’azote en se nourrissant des racines fongiques et en stimulant et régulant l’activité microbienne (Stork et Eggleton, 1992). Les invertébrés morts se décomposent et ajoutent de l’azote au sol (Stork et Eggleton, 1992). Les invertébrés du sol forment également jusqu’à la moitié de tous les agrégats du sol en décomposant la litière et en libérant des plâtres et des fèces riches en éléments organiques (Stork et Eggleton, 1992).

La formation de ces grands agrégats du sol permet une plus grande séquestration du carbone du sol, et ces ingénieurs de l’écosystème jouent donc un rôle dans la compensation des émissions de combustibles fossiles et la lutte contre le changement climatique (Lal, 2004a, b ; Lavelle et al., 2006 ; Dirzo et al., 2014).

De nombreux invertébrés du sol jouent également un rôle dans la lutte contre les ravageurs agricoles. Les nématodes et les acariens sont utilisés pour cibler les bactéries liées aux maladies dans les cultures (Stork et Eggleton, 1992 ; Kibblewhite et al., 2008 ; Ram, 2019).

Les prédateurs et les parasitoïdes, tels que les coléoptères et les guêpes parasites, s’attaquent aux arthropodes qui nuisent à la production agricole (Stork et Eggleton, 1992 ; Gill et al., 2016), et les insectes herbivores du sol peuvent manger les graines des plantes indésirables de manière sélective par rapport aux graines des cultures, réduisant ainsi la propagation des mauvaises herbes agressives (Honek et al., 2003).

L’augmentation de la conversion des terres et l’intensification de l’agriculture accélèrent la perte de la biodiversité du sol et, par conséquent, ont contribué à la réduction d’environ 60% des services écosystémiques du sol (Díaz et al., 2006 ; Veresoglou et al., 2015 ; Singh et al., 2019).

De nombreux insectes qui dépendent du sol pour certaines parties de leur cycle de vie, comme les carabes et les abeilles nichant au sol, ainsi que les insectes et acariens terrestres en Amérique du Nord, ont fortement diminué au cours des dernières décennies (Forister et al., 2019 ; Sánchez-Bayo et Wyckhuys, 2019 ; van Klink et al., 2020 ; Sullivan et Ozman-Sullivan, 2021).

La perte d’habitat due à l’intensification de l’agriculture et à la pollution, principalement en conséquence des pesticides et des engrais agricoles de synthèse, est considérée comme le principal facteur déterminant du déclin récent des insectes et constitue une menace croissante (Hallmann et al., 2017 ; Forister et al., 2019 ; Seibold et al., 2019 ; Sánchez-Bayo et Wyckhuys, 2019 ; Miličić et al., 2020).

Dans une enquête menée en 2019 auprès des pays membres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la surutilisation des mécanismes de contrôle chimique (par exemple, les pesticides, les antibiotiques, etc.) a été identifiée comme la pratique la plus impactante à l’origine de la perte de biodiversité du sol au cours des dix dernières années (FAO, 2020).

De 1992 à 2014, DiBartolomeis et al. ont constaté que l’utilisation accrue d’insecticides néonicotinoïdes et la persistance de ces insecticides dans l’environnement ont entraîné une augmentation, respectivement, de 48 et 4 fois de la charge de toxicité orale et de contact, pour les insectes dans les environnements agricoles en utilisant l’abeille européenne Apis mellifera L. comme espèce de substitution (DiBartolomeis et al., 2019).

L’étude s’est concentrée sur les abeilles domestiques car elles sont l’insecte non ciblé le plus étudié au sein des agroécosystèmes des États-Unis ; en fait, elles sont le seul invertébré terrestre pour lequel l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA) exige des tests lors de l’enregistrement des pesticides (Legal Information Institute, 2020). Cependant, les résultats de cette étude indiquent également une menace croissante pour l’ensemble des invertébrés du sol.

Les insecticides néonicotinoïdes ont représenté 92% de l’augmentation de la charge toxique pour les invertébrés (DiBartolomeis et al., 2019), et 60% de l’utilisation des néonicotinoïdes se fait par le biais de traitements de semences et d’applications au sol en 2011 (Jeschke et al., 2011).

On estime que les traitements de semences aux néonicotinoïdes sont utilisés dans plus de la moitié des surfaces de soja et dans quasi tout le maïs non biologique cultivé aux États-Unis (Douglas et Tooker, 2015 ; Mourtzinis et al., 2019). Étant donné que 80% ou plus des ingrédients actifs des traitements de semences aux néonicotinoïdes restent dans le sol (Sur et Stork, 2003 ; Alford et Krupke, 2017), les organismes du sol dans ces systèmes sont susceptibles d’être exposés à des doses élevées de ces insecticides.

Par ailleurs, l’utilisation à grande échelle de fongicides appliqués sur les semences présente un autre risque, car quasi tout le maïs des États-Unis est également traité avec des fongicides appliqués sur les semences (Lamichhane et al., 2019).

Outre les pesticides actuellement sur le marché, plusieurs nouvelles matières actives de pesticides appliqués sur les semences et sur les terres sont en cours d’homologation aux États-Unis, comme le fongicide pyrazolecarboxamide inpyrfluxam (U.S. EPA, 2020a), l’insecticide diamide tétraniliprole (U.S. EPA, 2020d) et le nouvel insecticide broflanilide (U.S. EPA, 2020c).

La tendance à une utilisation plus large des pesticides – à la fois individuellement et en combinaison avec d’autres ingrédients actifs – va probablement continuer à se développer. Si les organismes du sol sont particulièrement menacés par l’exposition via les applications directes sur les sols, ils peuvent également être exposés aux pesticides par d’autres voies, comme la dispersion des pulvérisations foliaires (Sánchez-Bayo, 2011), l’inclusion de pesticides dans l’eau d’irrigation (Sánchez-Bayo, 2011) ou l’absorption de pesticides dans les tissus végétaux qui finissent par retourner dans le sol par la sénescence des résidus de culture (Doublet et al., 2009).

Comme cette menace pour les organismes du sol augmente, il est important de s’efforcer d’avoir une compréhension plus complète des impacts de tous les pesticides sur les invertébrés du sol.

Le mot « pesticide » est un terme générique utilisé pour décrire un agent qui cible un ravageur – dans l’agriculture végétale, un ravageur est défini comme un organisme qui cause des dommages aux cultures par des dommages directs ou par la compétition pour les nutriments et l’eau – et comprend les insecticides, herbicides, fongicides et bactéricides, entre autres.

La plupart des articles de synthèse évaluant les impacts des pesticides sur les organismes du sol se sont concentrés sur les risques environnementaux de classes spécifiques de pesticides (Biondi et al., 2012 ; Pisa et al., 2015 ; Douglas et Tooker, 2016 ; Wood et Goulson, 2017), concernant des taxons spécifiques (da Silva Souza et al, 2014 ; Pelosi et al., 2014 ; Römbke et al., 2017), ou n’ont analysé que des données de laboratoire (Frampton et al., 2006), ou de terrain (Jänsch et al., 2006), ce qui complique la possibilité d’avoir une vision globale de la situation et des dangers, qui pourrait servir de guide à une politique générale en matière de pesticides.

À notre connaissance, il n’y a eu qu’une étude offrant un aperçu relativement complet des effets des pesticides sur une grande variété d’organismes du sol (Puglisi, 2012), qui s’est concentrée sur les micro-organismes du sol, en particulier bactéries et champignons.

Ici, notre objectif a été d’offrir un aperçu des effets d’un large type de pesticides sur les invertébrés du sol.

Compte tenu de la portée d’une telle étude, une attention particulière a été également accordée aux effets spécifiques parmi les différentes classes de pesticides, taxons et paramètres, ainsi qu’aux lacunes dans les données qui devraient être comblées.

Compte tenu des services écosystémiques clés rendus par les invertébrés du sol et de l’augmentation de l’utilisation de pesticides appliqués sur les semences et les sols, l’un de nos objectifs a été d’offrir un aperçu globalisant du danger global que représentent les pesticides pour les invertébrés du sol afin de déterminer s’il convient de les inclure dans l’évaluation réglementaire des risques écotoxicologiques pour garantir une estimation adéquate des dommages environnementaux. […]

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2021-05-04 Pesticides et invertébrés des terres : Une évaluation des risques, Tari Gunstone1, Tara Cornelisse1, Kendra Klein2, Aditi Dubey3 et Nathan Donley1, Frontiers in Environmental Science

1 Center for Biological Diversity, Portland, OR, États-Unis ; 2 Friends of the Earth US, Berkeley, CA, États-Unis ; 3 Département d’entomologie, Université du Maryland, College Park, College Park, MD, États-Unis.

Présentation

L’utilisation de pesticides agricoles et les dommages environnementaux qui y sont associés sont très répandus dans la majeure partie du monde. Les efforts visant à atténuer ces dommages ont été largement axés sur la réduction de la contamination de l’eau et de l’air par les pesticides, car le ruissellement et la dispersion dans l’air des pesticides sont les sources les plus importantes de diffusion des pesticides hors site.

Reste que la contamination du sol par les pesticides peut également avoir des conséquences néfastes sur l’environnement de manière plus générale.

Les pesticides sont souvent appliqués directement sur les terres sous forme de liquides et de granulés, mais aussi sous forme d’enrobages de semences, d’où l’importance de comprendre l’impact des pesticides sur les écosystèmes des terres.

Les sols contiennent une abondance d’organismes biologiquement diversifiés qui remplissent de nombreuses fonctions importantes, définissent le cycle des nutriments, le maintien de la structure du sol, la transformation du carbone et la régulation des parasites et des maladies.

De nombreux invertébrés terrestres ont décliné au cours des dernières décennies. La perte d’habitat et la pollution agrochimique due à l’intensification de l’agriculture ont été identifiées comme des facteurs majeurs.

Nous avons effectué ici une méta-analyse basée sur près de 400 études sur les effets des pesticides sur les micro-organismes invertébrés non ciblés, y compris en développement : œufs, larves ou espèces immatures dans le sol.

Cette étude englobe 275 espèces ou familles spécifiques de micro-organismes invertébrés du sol [nommés dans la suite de l’étude « taxons »] et 284 ingrédients actifs de pesticides différents et/ou combinaisons spécifiques d’ingrédients actifs.

Nous avons identifié et extrait les données pertinentes relatives aux paramètres suivants : mortalité, abondance, biomasse, comportement, reproduction, biomarqueurs biochimiques, croissance, richesse et diversité, et changements structurels. Il en est résulté une analyse de plus de 2.800 « paramètres testés » distincts, mesurés en tant que changement d’un paramètre spécifique suite à l’exposition d’un organisme spécifique à un pesticide spécifique. […]

En outre, nous discutons des tendances générales des effets parmi les classes de pesticides, taxons et paramètres. […] Notre examen indique que les pesticides de tous types présentent un danger évident pour les invertébrés du sol.

Les effets négatifs sont évidents dans les études de laboratoire et de terrain, pour toutes les classes de pesticides étudiées, et pour une grande variété d’organismes du sol et de paramètres.

La prévalence des effets négatifs dans nos résultats souligne la nécessité de prendre en compte les organismes du sol dans toute analyse de risque d’un pesticide susceptible de contaminer le sol, et d’atténuer tout risque significatif de manière à réduire spécifiquement les dommages causés aux organismes du sol et aux nombreux services écosystémiques importants qu’ils fournissent.

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Discussion

En examinant 394 études sur l’impact des pesticides sur les invertébrés du sol, nous avons constaté que les effets négatifs dominaient, avec 70,5% des 2.842 paramètres totaux testés entre les études de laboratoire et de terrain identifiant un impact négatif sur les organismes du sol en raison de l’exposition aux pesticides.

L’ensemble des autres classes de pesticides les plus étudiées (au nombre de 12, figure 2), autres que les herbicides synthétiques auxiniques, ont eu un effet négatif sur plus de 50% des paramètres testés qui ont été analysés.

Ces résultats indiquent qu’une grande variété d’invertébrés vivant dans le sol sont sensibles à tous les types de pesticides et confirment la nécessité pour les organismes de réglementation des pesticides de tenir compte des risques que ces derniers représentent pour les invertébrés et les écosystèmes du sol.

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Impacts par type de pesticide

Les insecticides étaient de loin le type de pesticide le plus étudié et, sans surprise, puisqu’ils sont conçus pour cibler les invertébrés, ils ont eu le plus grand impact négatif sur les invertébrés du sol de tous les types de pesticides analysés.

Nous avons constaté que les insecticides avaient systématiquement un effet négatif sur environ 60 à 85% de tous les paramètres testés parmi les taxons étudiés (tableau 1).

Les bourdons (Bombus spp.) et les taxons mixtes du sol constituaient les exceptions notables, mais ils étaient tout de même affectés négativement par les insecticides dans 54,2% et 40,9% des cas, respectivement.

Les herbicides et les fongicides, cependant, variaient considérablement en fonction du produit chimique, du taxon et de l’effet étudié, entraînant des effets négatifs sur 5% à 100% des paramètres testés dans les études examinées.

Une partie de cette variabilité est probablement due au fait que les études sur les impacts des herbicides et des fongicides sont moins nombreuses que celles effectuées sur les insecticides et que, par conséquent, très peu de paramètres ont été testés pour certains taxons (tableau 1).

Ces résultats indiquent qu’en général, les invertébrés du sol réagissent avec une plus grande variabilité dans leur sensibilité aux fongicides et aux herbicides qu’aux insecticides.

Les études répondant à nos critères de recherche se sont révélées être insuffisamment nombreuses pour permettre de dégager des tendances claires concernant l’impact des bactéricides sur les invertébrés du sol, probablement parce que nous n’avons pas inclus les recherches sur les micro-organismes comme les bactéries ou les champignons.

Les pourcentages d’effets négatifs des mélanges de pesticides varient entre 33,3% et 100%, la plupart ayant un impact négatif pour 40 à 60% des paramètres testés pour tous les taxons.

Nous avons constaté que les effets positifs étaient rares (1,4% dans l’ensemble) mais qu’ils se produisaient le plus souvent dans des études de terrain insistant sur l’application d’insecticides plus que d’autres types de pesticides. Ainsi un effet positif indique un avantage pour un organisme du sol qui se fait au détriment d’autres taxons du sol ou du fonctionnement de l’écosystème du sol. Par exemple, l’abondance de certains taxons du sol pourrait augmenter si un pesticide réduit les concurrents ou prédateurs, soit par mortalité, soit par émigration du secteur.

En conséquence, si certains effets ont été désignés comme « positifs » pour une espèce ou un taxon dans cette analyse, cela n’indique pas, ni n’est probable, que les pesticides ont eu un effet positif sur l’écosystème dans son ensemble.

Nos critères de recherche n’ont permis d’identifier que trois études qui ont testé la sensibilité des invertébrés du sol aux fumigants du sol couramment utilisés, notamment le 1,3-D, le dazomet, la chloropicrine et le métam-sodium. La plupart des études que nous avons trouvées sur les fumigants étudiaient la sensibilité d’organismes microbiens/fongiques ou d’organismes nuisibles cibles tels que les nématodes parasites des plantes et n’entraient pas dans le cadre de cet examen. Sur les neuf paramètres testés impliquant des fumigants, sept ont entraîné des effets négatifs sur les invertébrés du sol non ciblés. Le manque d’études disponibles sur les effets néfastes des fumigants appliqués au sol sur les invertébrés non ciblés indique qu’il s’agit d’un domaine qui nécessite davantage de recherches.

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Mélanges ou ingrédients actifs individuels

Peu d’études mesurent les effets des mélanges de pesticides par rapport aux ingrédients actifs individuels, bien que la recherche montre que les mélanges de résidus de pesticides dans le sol sont la règle plutôt que l’exception (Silva et al., 2019).

Quasi tout le maïs cultivé aux États-Unis est traité avec plusieurs pesticides (Douglas et Tooker, 2015 ; Lamichhane et al., 2019) et les mélanges de pesticides ont le potentiel d’augmenter la toxicité en raison d’interactions chimiques (Sgolastra et al., 2016).

Nous avons inclus des études sur les mélanges de pesticides dans notre analyse, qui, étonnamment, présentaient moins d’effets négatifs globaux que des pesticides uniques. Cela s’explique probablement par le fait que les études sur les mélanges ont été réalisées en grande majorité sur le terrain ou en milieu semi-naturel plutôt qu’en laboratoire. Cependant, parmi les études réalisées uniquement sur le terrain/semi-naturel, les mélanges de pesticides avaient dans nombre de cas un pourcentage d’effets négatifs plus élevé que toutes les classes de pesticides, à l’exception des insecticides (figure 1).

D’autres variables pourraient également contribuer au pourcentage d’effets négatifs globalement plus faible des mélanges. Par exemple, les études de mélanges sont souvent réalisées avec des concentrations de composants individuels dont on sait qu’ils ne produisent pas d’effet individuellement, afin de maximiser la capacité à identifier les effets interactifs (Kortenkamp, 2007). En outre, les résultats des expériences de mélange varient considérablement en fonction du type de pesticide analysé (voir la section Résultats).

Par conséquent, nous mettons en garde contre la comparaison du pourcentage d’effets négatifs pour les études de mélange avec ceux des types de pesticides individuels dans cette analyse.

En fin de compte, si l’on considère que l’exposition environnementale à des combinaisons de pesticides est la règle et non l’exception, le déficit de recherches sur les combinaisons de pesticides est une lacune importante dans la littérature scientifique qui, nous l’espérons, recevra une attention particulière à l’avenir.

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Études en laboratoire et sur le terrain

Dans l’ensemble, nous avons trouvé moins d’impacts négatifs des pesticides dans les études sur le terrain que dans les études en laboratoire.

L’une des raisons probables de ce résultat est que les concentrations de pesticides utilisées dans les études en laboratoire étaient généralement plus élevées, alors que les études sur le terrain appliquaient souvent des concentrations égales ou inférieures au taux d’utilisation recommandé.

Les concentrations plus élevées de pesticides sont plus souvent associées à des effets négatifs sur les organismes du sol (Puglisi, 2012). Par exemple, une étude sur les effets du pyriméthanil sur les Enchytraeids menée à travers deux laboratoires au Portugal et en Allemagne a trouvé des résultats contrastés en fonction de la concentration de pesticide testée (Bandow et al., 2016). En raison de la portée de cette revue, nous n’avons pas identifié les concentrations censées être rencontrées dans l’environnement pour chaque pesticide utilisé dans chaque étude.

Étant donné que les taux d’utilisation des pesticides et les méthodes d’application approuvées peuvent différer d’un pays à l’autre et d’une région à l’autre dans un même pays, une concentration de pesticide « pertinente sur le terrain » dans une région peut être sur- ou sous-représentative de celle attendue dans une autre région. Par conséquent, cette étude tient compte de la grande variété de concentrations d’exposition trouvées dans la littérature et se concentre sur l’identification des dangers, pas nécessairement des risques.

En outre, les variables environnementales non contrôlées et confondantes pourraient fournir une certaine capacité tampon pour les effets des pesticides dans les études sur le terrain et en condition semi-naturelle. Les conditions climatiques et les diverses variations saisonnières ou annuelles du milieu agricole en dehors de l’application des pesticides, comme les changements de système de culture ou l’irrigation, rendent difficile une évaluation exhaustive des effets des pesticides dans le cadre d’essais à court terme (Ewald et al., 2015 ; Pelosi et al., 2015).

Par exemple, l’imidaclopride appliqué sur du gazon en plaques sans irrigation a eu un impact significatif sur l’effet du pesticide sur les bourdons en quête de nourriture, alors que l’imidaclopride appliqué avec irrigation n’a pas eu d’impact (Gels et al., 2002).

Des différences significatives dans la structure de la communauté microbienne du sol ont été observées lorsque le pyriméthanil a été appliqué lors de fortes pluies par rapport à des conditions de sécheresse (Ng et al., 2014), et l’humidité a augmenté la sensibilité des collemboles à la lambda-cyhalothrine (Bandow et al., 2014).

Des substrats différents peuvent également déterminer la variation de la réponse des organismes au traitement pesticide (Velki et Ečimović, 2015), illustrée par les effets du phenmedipham sur la reproduction des Enchytraeid qui variaient fortement entre 18 sols différents testés (Amorim et al., 2005a). Alors que les études en laboratoire utilisent souvent un sol artificiel ou « naturel standardisé », les environnements de sols agricoles varient considérablement en termes de facteurs tels que la matière organique, la capacité de rétention d’eau et le pH (Amorim et al., 2005b)

En outre, les tests d’écotoxicologie en laboratoire peuvent utiliser du papier filtre de contact au lieu de sols, dans les quels les organismes du sol montrent généralement une sensibilité beaucoup plus élevée aux pesticides. Par exemple, la CL50 des vers de terre traités à la cyperméthrine dans du sol artificiels était de 9,83 mg/kg alors qu’elle était de 0,30 mg/kg sur du papier filtre de contact, qui n’est utilisé que pour les tests en laboratoire (Saxena et al., 2014).

Malgré l’avantage majeur des études sur le terrain qui sont menées dans des conditions plus réalistes que les études en laboratoire, il existe certains inconvénients à s’y fier exclusivement.

Comme la logistique complexe et la nature coûteuse des expériences sur le terrain peuvent conduire à des tailles d’échantillon plus faibles et à des situations moins aisément reproductibles, elles conduisent souvent à ne pas faire preuve d’une puissance statistique élevée. Cela peut conduire à des résultats statistiques très variables d’une étude à l’autre, même lorsque les effets globaux sont plus ou moins cohérents, ce qui amène les chercheurs à opter pour des interprétations mesurées (« conservatrices ») des résultats non significatifs dans les études de terrain à faible échelle (Douglas et Tooker, 2016).

Certains paramètres – comme la reproduction ou la croissance individuelle – ou des organismes plus petits ou moins abondants peuvent être difficiles à étudier sur le terrain. De plus, étant donné que les pesticides sont généralement approuvés pour une utilisation dans différentes régions dont les pratiques agricoles, la géographie, les précipitations, la température, la qualité de l’air, la contamination de fond du sol, la teneur en minéraux du sol, le pH et la matière organique sont très variables, les études de terrain réalisées dans une région peuvent ne pas être représentatives des effets dans une autre région.

Or la majorité des études de terrain que nous avons trouvées ont eu lieu en Europe et aux États-Unis, tandis que très peu d’études de terrain ont été menées dans d’autres pays et continents.

Les données provenant de ces régions tempérées pourraient surestimer ou au contraire sous-estimer le risque des pesticides pour les organismes du sol dans d’autres régions du monde, voire dans des sous-régions des pays étudiés.

Il peut être utile de contrôler en laboratoire un grand nombre de variables fluctuantes que l’on trouve dans les essais sur le terrain, et les deux types d’études doivent être considérés comme utiles pour identifier les dommages potentiels qui pourraient résulter de l’utilisation de pesticides dans ou près du sol.

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Critères d’évaluation

La catégorie des paramètres les plus sujets à effets sont les changements structurels, suivie de près par les biomarqueurs biochimiques, puis la reproduction, la mortalité, le comportement, la croissance, la richesse et la diversité, l’abondance et, enfin, la biomasse (tableau 2).

Tous les effets observables dans les micro-organismes sont précédés d’événements subcellulaires qui peuvent être mesurés par des tests de biomarqueurs biochimiques, mais tous les événements subcellulaires ne conduiront pas nécessairement à ces conséquences plus importantes. Par conséquent, on s’attendait à ce que le pourcentage d’effets négatifs des paramètres testés diminue progressivement, passant des effets biochimiques aux effets sublétaux, puis aux effets létaux et enfin aux changements plus importants (comme la perte de richesse et de diversité).

Ainsi, si la mortalité est largement étudiée, elle est souvent le paramètre le moins directement significatif ; par exemple, les tests de mortalité aiguë n’ont pas fourni les estimations de risque les plus sensibles pour les vers de terre dans 95% des cas (Frampton et al., 2006).

Au contraire, lorsqu’un organisme est engagé dans un processus de détoxification des polluants afin d’assurer sa survie, les fonctions normales telles que la reproduction, la croissance et les comportements d’alimentation ou de fouissement sont susceptibles de souffrir (Pelosi et al., 2014).

Par exemple, des vers de terre exposés à des fongicides à base de cuivre sont entrés en quiescence – une période pendant laquelle le développement est suspendu – afin de résister à la contamination, ce qui a entraîné une réduction significative de la biomasse (Bart et al., 2017).

La plupart des paramètres étudiés pour les organismes du sol ont fourni une indication claire de la nocivité, tandis que d’autres, comme le comportement d’évitement, nous informent de la réponse d’un organisme qui pourrait indiquer d’autres effets négatifs soit pour l’organisme, soit pour l’écosystème (Niemeyer et al., 2018).

Comportement clé dans les tests, les stratégies d’évitement des micro-organismes ont prouvé une forte réactivité et un seuil de sensibilité plus faible que les autres paramètres et ont été suggéré pour détecter la contamination du sol (Loureiro et al., 2005 ; Natal-da-Luz et al., 2008 ; Novais et al., 2010).

L’évitement représente 35% des paramètres de réaction dans notre analyse, et l’exposition aux pesticides a conduit à une augmentation des stratégies d’évitement dans 77% des 135 paramètres testés.

L’observation de l’évitement peut expliquer une réduction de l’abondance ou de la richesse des espèces dans un secteur donné.

En revanche, pour les taxons qui ne peuvent éviter les sols traités aux pesticides, les réductions d’abondance peuvent résulter d’une mortalité plus élevée.

Il peut également y avoir des faux négatifs dans les tests d’évitement ; par exemple, le diméthoate n’a pas provoqué de comportement d’évitement chez Folsomia candida, mais a provoqué un stress et/ou une paralysie qui a empêché tout mouvement (Pereira et al., 2013).

Par ailleurs, certains taxons comme les annélides et les isopodes possèdent des récepteurs chimiques qui leur permettent de détecter les pesticides et donc d’y répondre plus facilement que d’autres taxons (Loureiro et al., 2005 ; Amorim et al., 2008 ; Marques et al., 2009).

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Effets indirects

La recherche en toxicologie du sol a tendance à se concentrer sur les impacts de l’exposition directe et ignore largement les effets indirects sur les écosystèmes lorsque les organismes du sol sont touchés. Ainsi, notre étude n’a pu prendre en compte que les dommages directs et mesurés aux organismes du sol et ne tient pas compte des dommages supplémentaires causés aux écosystèmes par les effets indirects.

Par exemple, les herbicides ont eu un effet négatif plus important sur la dynamique des populations de petits arthropodes en modifiant la complexité structurelle, la composition et la nutrition de la litière de surface qu’en raison d’une toxicité directe (House et al., 1987).

En outre, les effets directs des pesticides sur les organismes du sol peuvent avoir des conséquences indirectes sur le fonctionnement de l’écosystème à plus grande échelle, notamment en contaminant ou en réduisant les sources de nourriture pour les vertébrés terrestres tels que les oiseaux (Hallmann et al., 2014 ; Gibbons et al., 2015), et en diminuant le rendement des cultures en perturbant les services de pollinisation (Reilly et al., 2020) et le contrôle biologique des ravageurs cibles (Douglas et al., 2015).

À titre d’exemple, la prédation des limaces par le coléoptère Chlaenius tricolor (Dejean) a été réduite de 33% après une exposition au thiaméthoxam, entraînant une augmentation de 67% de l’activité et de la densité des limaces, ce qui a entraîné une diminution de 19% et 5% de la densité et du rendement des cultures de soja, respectivement (Douglas et al., 2015).

L’importance de ces effets indirects des pesticides est sous-estimée et, lorsqu’ils ne sont pas pris en compte, peuvent entraîner une sous-estimation du risque posé par l’utilisation des pesticides.

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Persistance, utilisation récurrente et récupération

La persistance des pesticides dans le sol varie considérablement selon les conditions environnementales, comme le type de sol ou la température, et entre les différents pesticides, certaines classes particulières comme les néonicotinoïdes (Gibbons et al., 2015) et les triazines (Jablonowski et al., 2011) ayant des demi-vies dans le sol constamment longues.

Les taxons terriers du sol et ceux qui se développent dans le sol sont susceptibles d’être plus vulnérables aux effets des pesticides persistants dans le sol et aux conditions qui contribuent à leur persistance.

Certaines études de notre analyse ont montré que les invertébrés du sol se remettaient des effets négatifs après avoir été retirés du sol contaminé ou après une seule application de pesticide. Nous avons choisi de ne pas tenir compte de la récupération dans nos données car cela aurait considérablement augmenté la complexité de notre analyse, et sa pertinence dans le cadre de pratiques agricoles typiques est discutable compte tenu de la pratique répandue de traitements récurrents.

Par exemple, les champs agricoles de Grande-Bretagne ont reçu en moyenne 17,4 applications de pesticides par an en 2015 (Goulson et al., 2018). Le ministère de l’Agriculture des États-Unis estime que les pommes de Washington sont traitées avec une moyenne de 51 pesticides différents pour un total de 6 à 17 applications par an (USDA, 2016). Les pommes de la côte Est sont également traitées de 15 à 25 fois avec des pesticides tout au long d’une année (USDA, 2016).

Comme certains pesticides persistent dans le sol pendant des mois ou des années et que la perspective d’applications récurrentes de pesticides pendant la saison de croissance dans de nombreux champs est bien réelle, les organismes du sol ont une forte probabilité de ne pas se rétablir complètement comme ils pourraient le faire en laboratoire ou après une seule application dans un champ.

L’évolution des méthodes d’application des pesticides entraîne également une augmentation du risque de contamination du sol.

En raison des méfaits généralisés associés aux pesticides, des mesures d’atténuation sont de plus en plus adoptées aux États-Unis pour réduire la diffusion atmosphérique des pesticides. Il s’agit notamment de mesures susceptibles d’augmenter les dépôts effectifs sur les sols dans un secteur précis, comme l’augmentation de la taille des gouttelettes de pulvérisation, l’ajout d’adjuvants antidérive aux formulations et l’abaissement de la hauteur des rampes (U.S. EPA, 2016a).

En conjonction avec d’autres méthodes d’application de pesticides qui ont considérablement augmenté, comme le traitement des semences avec des pesticides (Hitaj et al., 2020), les sols agricoles sont de plus en plus exposés aux pesticides à des niveaux plus élevés. La tendance à délaisser les applications foliaires de pesticides au profit d’applications de pesticides dans les sols/les semences augmentera également l’exposition du sol tout au long de la saison de croissance.

Il a été établi que le rétablissement de la communauté des invertébrés du sol est lent et peut prendre plus de 15 ans (Menta, 2012). Par conséquent, si la récupération de certains de ces effets négatifs sublétaux est possible, elle dépend nécessairement de l’élimination rapide des pesticide dans les sols, suivie d’une période suffisante pour que la récupération puisse avoir lieu avant une autre application. Cela variera probablement considérablement d’un champ à l’autre.

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Représentation des organismes du sol

En observant les effets des pesticides sur les organismes du sol, les scientifiques et les organismes de réglementation ont eu tendance à se concentrer sur une poignée d’espèces de substitution qui sont propices à l’étude en laboratoire ou sur le terrain (Frampton et al., 2006 ; Banks et al., 2014).

La sélection des organismes du sol pour les études écotoxicologiques repose généralement sur l’aptitude d’un organisme à être étudié en laboratoire et sur sa valeur en tant que bioindicateur (Cortet et al., 1999). Un examen de Jänsch et al. (2006) a révélé que les études sur les pesticides concernant les invertébrés du sol sont fortement orientées vers les essais en laboratoire et que les organismes du sol sont choisis en fonction de leur facilité d’adaptation aux environnements d’essai plutôt que de leur pertinence écologique (Jänsch et al., 2006). Les vers de terre sont les organismes du sol les plus étudiés en écotoxicologie, en partie en raison de leur omniprésence dans les sols, de leur rôle central en tant qu’ingénieurs de l’écosystème et de la facilité avec laquelle ils sont étudiés (Luo et al., 1999 ; Jänsch et al., 2006 ; Bart et al., 2018).

Les Eisenia spp. sont particulièrement fréquentes dans les études ; cependant, elles ne sont pas naturellement présentes dans les agroécosystèmes et sont souvent moins sensibles aux pesticides que d’autres vers de terre, comme les Apporectodea spp. (Pelosi et al., 2013 ; Bart et al., 2018). Et les vers de terre sont moins sensibles aux pesticides que d’autres invertébrés du sol en général (Frampton et al., 2006 ; Jänsch et al., 2006 ; Daam et al., 2011), de sorte que des méthodes d’essai normalisées ont été développées pour différents taxons se prêtant également à des études en laboratoire : Folsomia candida (collembole), Enchytraeus albidus (ver de terre : Enchytraeidae), et Hypoaspis aculeifer (acarien : Acari) (Kula et Larink, 1997 ; Frampton et al., 2006 ; Jänsch et al., 2006).

Les études de terrain s’intéressent généralement à diverses communautés du sol, en se concentrant souvent sur les prédateurs bénéfiques comme les carabes (Carabidae) et les staphylins (Staphylinidae), des taxons plus grands qui sont plus faciles à capturer et à identifier. Néanmoins, la sensibilité des coléoptères varie fortement, souvent en fonction de leur taille et des variations saisonnières de leur cycle de vie. Par exemple, le diméthoate appliqué à des doses plus faibles a nui à des espèces plus petites comme les Carabidés, Agonum dorsale (Pontoppidan) et Bembidion sp, et le staphylinidé Tachyporus hypnorum F., tout en n’affectant pas les plus grands carabes comme Pterostichus melanarius (Illiger) et Calathus erratus (Sahlberg), et en ayant généralement des effets plus nocifs sur les coléoptères en automne qu’en été (Gyldenkñrne et al., 2000).

En général, les Protura, Diplura, Pseudoscorpionida, Symphyla et Pauropoda, plus petits et plus cryptiques, sont les taxons du sol les moins étudiés (Menta et Remelli, 2020).

Dans notre analyse, Protura, Pauropoda et Tardigrada n’ont été analysés chacun que dans une seule étude (Peck, 2009 ; Carrascosa et al., 2014 ; Vaj et al., 2014), et Symphyla et Diplura n’ont été analysés que dans le contexte de groupes d’organismes mixtes (Al-Haifi et al., 2006 ; Atwood et al., 2018). En outre, il y avait moins de 20 paramètres testés pour les guêpes parasites, les termites et les Myriapodes, y compris les mille-pattes et les centipèdes.

Les bourdons étaient couramment représentés dans les études de notre analyse, et pourtant comparativement moins négativement impactés par les insecticides que les autres taxons du sol. Cela peut s’expliquer par le fait qu’il y avait un plus grand nombre d’études de terrain sur les bourdons que sur les autres taxons du sol et, comme nous l’avons vu plus haut, les études de terrain ont tendance à révéler moins d’effets négatifs. Les pesticides, dominés par les insecticides et, en particulier, les néonicotinoïdes, ont eu un effet négatif sur environ 50 à 60% des paramètres testés chez les bourdons, notamment la survie, la reproduction, la fonction neurale et le comportement. Les bourdons sont l’un des rares taxons de notre analyse à passer une grande partie de leur vie au-dessus du sol, à nicher parfois au-dessus du sol et à être eusociaux.

Ainsi, le potentiel d’exposition dans les études sur les bourdons peut différer de celui des autres organismes du sol (Gradish et al., 2019). Les abeilles non-bombus nichant au sol, bien que moins étudiées, ont subi un impact négatif des néonicotinoïdes et d’autres insecticides à un taux plus typique des autres taxons dans notre analyse (c’est-à-dire 75-90%), ce qui suggère que les bourdons ne sont pas de bons substituts aux abeilles nichant au sol et les organismes du sol en général.

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La substitution dans la réglementation des pesticides

L’abeille européenne (Apis mellifera) est le seul invertébré terrestre pour lequel l’EPA (2018) exige des tests de toxicité des pesticides, et uniquement sur la base d’une exposition aiguë par contact (Legal Information Institute, 2020).

C’est le cas même pour les pesticides qui sont appliqués directement sur le sol. Lorsque des dommages aux pollinisateurs sont attendus, l’agence exigera souvent des études supplémentaires sur la toxicité chronique pour les abeilles domestiques et/ou des études sur les abeilles domestiques adultes et larvaires (U.S. EPA, 2016b). Des tests sur d’autres espèces d’abeilles (souvent Bombus terrestris L.) ou des études sur le terrain ou semi-terrain sont parfois, mais rarement, demandés (U.S. EPA, 2019b). Les abeilles domestiques ont des histoires de vie et des comportements uniques qui entraînent un risque d’exposition aux pesticides très différent de celui de la plupart des invertébrés, même si on les compare aux bourdons, membres de la même famille taxonomique qui partagent le trait très rare d’être eusociaux. Alors que les colonies de bourdons sont souvent constituées de < 500 individus nichant sous terre, les colonies d’abeilles domestiques de > 10.000 individus sont généralement maintenues dans des boîtes artificielles tel un animal agricole domestiqué (Gradish et al., 2019).

Par conséquent, le risque lié aux pesticides pour tous les invertébrés du sol aux États-Unis est essentiellement estimé par les dommages causés à une espèce qui n’entre généralement pas en contact avec le sol et ne partage aucune des mêmes voies d’exposition. Par exemple, la plupart des enrobages de graines de néonicotinoïdes finissent dans le sol, et les concentrations de néonicotinoïdes peuvent être radicalement plus élevées dans le sol que dans le pollen (Goulson, 2015 ; Willis Chan et al., 2019 ; Dubey et al., 2020 ; Main et al., 2020).

Non seulement A. mellifera est une espèce hautement spécialisée dont la sensibilité aux facteurs de stress chimiques n’est généralement pas représentative d’autres invertébrés terrestres (Hardstone et Scott, 2010), mais d’autres arthropodes diffèrent des abeilles mellifères dans leur calendrier saisonnier d’émergence, leur durée de vie, leur degré de socialité, leur comportement de nidification et de recherche de nourriture, et sont donc soumis à des voies et des niveaux d’exposition aux pesticides différents de ceux des abeilles mellifères – comme par le contact avec la cuticule ou la consommation de proies couvertes de sol. Par exemple, les bourdons dans les nids souterrains subissent une exposition par contact via les résidus sur les sols, y compris pour les larves en développement et les reines en hibernation (Gradish et al., 2019). Plus de 80% des abeilles, dont la grande majorité sont solitaires, nichent au sol (Anderson et Harmon-Threatt, 2019) et sont très exposées aux pesticides, car les femelles adultes passent la majeure partie de leur cycle de vie à construire des nids dans le sol (Willis Chan et al., 2019).

Ainsi, même pour les invertébrés du sol de la même superfamille que les abeilles domestiques, l’exposition aux résidus de pesticides dans le sol et l’eau des cellules du sol, et les dommages qu’ils causent, ne sont pas estimés de manière adéquate dans les évaluations actuelles des risques écologiques des pesticides de l’EPA.

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Implications pour la réglementation

Il ressort de ces données que, en tant qu’ensemble de poisons chimiques, les pesticides présentent un danger évident pour les invertébrés du sol. Une étude précédente a identifié des dangers similaires pour les microorganismes du sol (Puglisi, 2012).

Chaque pesticide individuel présente un profil de risque unique pour chaque espèce vivant dans le sol qui est exposée, en fonction de son potentiel d’exposition et de sa sensibilité. Cette étude confirme la nécessité d’utiliser des paramètres de santé du sol dans l’évaluation des risques réglementaires des pesticides afin d’évaluer la probabilité que l’utilisation des pesticides ait un impact négatif sur ces écosystèmes.

En raison du nombre considérable d’espèces et de paramètres qui peuvent être affectés par l’utilisation de pesticides et de la capacité limitée des chercheurs à tester toutes les situations, l’évaluation des risques liés aux pesticides dépend fortement des espèces de substitution qui sont utilisées pour évaluer de manière généralisable la toxicité à travers les taxons et, dans le cas du sol, à travers des écosystèmes entiers. […]

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Conclusion

Cet article constitue une revue complète des impacts des pesticides agricoles sur les invertébrés du sol. Nous avons constaté que l’exposition aux pesticides avait un impact négatif sur les invertébrés du sol pour 70,5% des 2.842 paramètres testés dans 394 études examinées.

Nous avons également identifié plusieurs grandes tendances et orientations pour les recherches futures.

Les insecticides ont été le type de pesticide le plus étudié et ont généralement eu des impacts négatifs plus importants sur les invertébrés du sol que les herbicides, les fongicides et les autres types de pesticides.

Les herbicides et les fongicides présentaient encore une forte proportion de résultats négatifs, mais les effets négatifs variaient beaucoup plus entre les différentes classes de pesticides et les taxons étudiés que pour les insecticides.

Moins d’études ont évalué les effets des mélanges de pesticides. Étant donné que les mélanges de pesticides sont plus souvent présents dans les sols agricoles que les ingrédients actifs individuels, il s’agit d’une lacune dans la littérature qui devrait être comblée.

Les études évaluant les impacts des pesticides utilisent souvent une gamme étroite d’espèces de substitution faciles à élever, à identifier ou à étudier, alors que les organismes plus petits et plus cryptiques sont rarement analysés. Dans certains cas, les organismes qui sont les plus étudiés sont connus pour être moins sensibles aux pesticides que d’autres organismes, ce qui suggère que nous avons une connaissance limitée de l’étendue des dommages causés par les pesticides.

La prévalence des effets négatifs dans nos résultats souligne la nécessité de représenter les organismes du sol dans toute analyse des risques d’un pesticide susceptible de contaminer le sol, et d’atténuer tout risque significatif de manière à réduire spécifiquement les dommages causés aux organismes du sol qui assurent d’importants services écosystémiques. L’Agence américaine de protection de l’environnement ne dispose pas d’exigences suffisantes en matière de tests ni d’outils pour quantifier le risque pour les organismes vivant dans le sol.

L’abeille européenne est le seul invertébré terrestre inclus dans les tests écotoxicologiques obligatoires des pesticides. La pratique consistant à utiliser l’abeille comme substitut sous-estime les dommages causés à de nombreux taxons et aboutit souvent à des efforts limités pour atténuer les effets des pesticides uniquement sur les abeilles et autres pollinisateurs, et non sur les organismes du sol.

Cette étude présente de nombreuses preuves que les pesticides constituent une menace sérieuse pour les invertébrés du sol et les services écosystémiques essentiels qu’ils fournissent.

Compte tenu de l’adoption généralisée et croissante des pesticides appliqués sur les semences et le sol, qui constituent une menace particulière pour les organismes du sol, nous soutenons fermement l’inclusion d’une analyse de la santé du sol dans le processus d’évaluation des risques des pesticides aux États-Unis.

Traduction : Jmp (base DeepL)

De pandemie en de historische overstromingen vereisen zo snel mogelijk nieuwe verkiezingen

Paul Blume (co-animateur de l’Observatoire de l’Anthropocène) – Dominique Bruyère – Corentin Crutzen – Laurent Lievens (Dr. Maitre de conférence UCL) – Michel Rabinowicz (Résiliences Métamorphoses) – Geneviève Warland (professeure) – Jonathan Guévorts (professeur de science)

Vertaling : Josette – texte Fr

De staat heeft tot taak de rechten en vrijheden van de burgers te waarborgen: recht op leven, gezondheid en een veilige en gezonde omgeving, vrijheid om een waardig en authentiek menselijk leven te leiden. In ruil voor deze burgerlijke vrijheden geven de burgers hun absolute vrijheid op en krijgen ze de plicht de wetten en de bevelen van de staat te gehoorzamen. Het is de naleving van dit sociaal contract, dat bestaat uit wederzijdse rechten en verantwoordelijkheden, die de basis vormt voor de legitimiteit van de uitoefening van het gezag van de staat over de burgers. De politici staan hiervoor garant. Als de staat of de burgers in hun wederzijdse plichten falen, stort het gezag van de staat in. Het soevereine volk, van wie alle machten uitgaan, heeft de plicht om van regering te veranderen om zo het sociale contract te herstellen.

Overal ter wereld zijn de rampen veroorzaakt door onze niet-duurzame economie en levensstijl niet meer te tellen. Dat is voor iedereen duidelijk. We weten nu allemaal dat onze staat weinig of niets doet om onze samenleving duurzaam te maken. Te weinig, te laat, verkeerde aanpak en soms zelfs olie op het vuur gooien. We worden meegesleurd door de golven van de ecocide die momenteel aan de gang is. In België, na de hittegolven die in één zomer in ons land al aan 1.400 mensen het leven hebben gekost, na een aanvankelijk rampzalige aanpak van een pandemie die meer dan 25.000 doden heeft veroorzaakt -zonder ook maar een dag van nationale rouw!-, werden de voorbije 48 uur huizen, voertuigen, menselijke en dierlijke slachtoffers meegesleurd door het kolkende water van de overstromingen. De balans van de schade moet nog worden opgemaakt. In 48 uur tijd kan nu al een politieke conclusie worden getrokken die identiek is aan die welke voor de pandemie geldt: de totale onvoorbereidheid van onze staat. In de laatste 48 uur werd nogmaals het bewijs geleverd dat onze staat, zoals hij is samengesteld, zoals zijn openbare instellingen zijn opgevat en zoals hij vandaag wordt bestuurd door de politieke klasse die nu aan de macht is, niet in staat is om de urgenties van de 21e eeuw aan te pakken. Onlangs werd de Belgische staat door de rechtbank veroordeeld voor zijn gebrek aan actie op het vlak van klimaat. We weten nu wat het vreselijke resultaat is van deze misdadige inertie.

Vandaag beschermt de staat niet langer ons leven als burgers. Vandaag respecteert de staat niet langer het sociale contract dat ons aan hem bindt. Vandaag is het gezag van de staat, dat van de executieven die aan de macht zijn, niet langer legitiem. We hebben het recht om in opstand te komen en betere regeringen te eisen.

De meerderheden die aan de macht zijn, alsook hun regeringsakkoorden, zijn achterhaald omdat ze niet in staat zijn om gepast te reageren op de noodsituaties van de 21e eeuw. Partijvoorzitters, leiders van de executieven en regeringsploegen zijn collectief verantwoordelijk voor de herhaaldelijke rampen die ons land teisteren en voor de duizenden slachtoffers die blijven vallen.

Reeds meer dan 50 jaar hameren wetenschappers, intellectuelen en activisten op dezelfde boodschap. De voorbije drie jaar trekken ze zelfs aan de alarmbel, hierin maar zwakjes bijgestaan door de pers. Voor hen is de wetenschap duidelijk: zonder een totale hervorming van de manier waarop ons bestuur, onze instellingen, onze economie, ons grondgebied en onze levensstijl functioneren, zal de ernst van de rampen alleen maar toenemen en zal het jaarlijks aantal slachtoffers dramatisch oplopen.
België is niet aangepast aan de 21e eeuw. Het land is niet veerkrachtig, is niet voorbereid: het is dodelijk kwetsbaar, door het gebrek aan actie en de inertie van de staat.

We moeten de ecologische noodtoestand afkondigen alsook de algemene mobilisatie van de burgers en de overheid. Alles moet opnieuw worden bekeken: huisvesting, stadsplanning, ruimtelijke ordening, milieu- en waterbeleid, landbouwbeleid, mobiliteit en transport, energie, lokaal en regionaal bestuur, civiele bescherming, hulpdiensten, de capaciteit van de media om
de 21e eeuw te begrijpen. Elke vertraging in de ecologische, sociale, economische en democratische transitie en veerkracht komt vandaag overeen met een exponentiële en ongetwijfelde toename van het aantal doden in ons land in de komende 50 jaar.

Daarom moeten de Belgische regeringen aftreden en moeten er na een breed maatschappelijk debat nieuwe verkiezingen worden gehouden om zo nieuwe coalities te smeden op basis van nieuwe regeringsakkoorden die de ecologische urgentie van de 21e eeuw eindelijk ernstig nemen. Een grondwetgevende vergadering moet de Belgische staat hervormen en de burgers de gelegenheid geven om deel te nemen aan het politiek debat. De overheid moet in staat worden gesteld om de
openbare dienst te verzekeren en moet voldoende middelen krijgen om de transitie te begeleiden.
De pers moet stoppen met de ernst van de situatie te verbloemen.
De burgers moeten hun verantwoordelijkheid opnemen en van de staat het respect eisen
dat ze verdienen.

20 07 2021


Nous avons eu des campagnes d’information sur le Brexit et la Covid. Qu’en est-il du climat ?

George Marshall

05 mai 2021 – traduit (deepl version gratuite) de https://www.theguardian.com/commentisfree/2021/may/04/information-campaigns-brexit-covid-climate-crisis-cop26


A l’approche de la Cop26, les connaissances du public sur la crise sont superficielles, et peu comprennent l’ampleur de la menace.

Les gouvernements ont lamentablement échoué à informer ou à consulter leurs citoyens sur la crise climatique.

L’une des principales leçons de la pandémie de Covid-19 est que des politiques fortes nécessitent un engagement public fort : les gens devaient comprendre la nature du virus avant d’accepter des contraintes au niveau de leur vie ou de donner au gouvernement un mandat pour agir.

Pourtant, le monde est confronté à un autre problème majeur qui transforme déjà les économies, les infrastructures et les modes de vie : la crise climatique. Et dans ce cas, les gouvernements ont lamentablement échoué à informer ou à consulter leurs citoyens. Aucune des nations les plus polluantes présentes au sommet sur le climat organisé par Joe Biden la semaine dernière ne dispose d’une stratégie cohérente ou d’un budget national dédié à l’engagement public.

Les citoyens ignorent en grande partie que nous avons le « droit de savoir » en ce qui concerne la crise climatique : l’article 6 de la convention de Rio sur le climat (1992) engage les gouvernements à informer, éduquer et consulter leurs citoyens. Cet engagement contraignant a été repris, presque mot pour mot, dans l’accord de Paris de 2015.

À première vue, le manque d’engagement pourrait ne pas sembler être un problème. Après tout, des majorités importantes et croissantes à travers le monde se disent préoccupées et perçoivent la dégradation du climat comme une menace. Toutefois, cette prise de conscience est superficielle, et peu de gens comprennent la rapidité et l’ampleur de la menace. Les recherches effectuées par le gouvernement montrent qu’environ la moitié seulement des Britanniques acceptent que l’activité humaine soit la principale cause du dérèglement climatique. Et selon un rapport de 2019, seul un tiers des personnes comprend qu’il existe un consensus partagé par la grande majorité des scientifiques.

Cela représente de multiples défis pour les décideurs politiques. Comment peuvent-ils s’attendre à ce qu’une décarbonisation rapide soit acceptée par des citoyens qui ne comprennent pas pleinement les preuves qui sous-tendent ces politiques ? Comment peuvent-ils s’attendre à ce que les gens acceptent l’impératif de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C alors que, selon un sondage britannique, la plupart des gens pensaient que cela ne deviendrait dangereux qu’à huit degrés ?

Et comment s’étonner que les gens s’opposent et résistent à des politiques pour lesquelles aucun mandat n’a jamais été demandé ou obtenu ? Comme nous l’avons constaté avec la Covid-19, lorsque les gens sont peu engagés, le déni et la méfiance peuvent se propager à travers les conversations dans la vie réelle et les médias sociaux. En 2014, la résistance à la tarification du carbone en Australie a fait tomber le gouvernement. Le président Macron a été contraint de retirer une taxe climatique sur les carburants après l’irruption des manifestations des « gilets jaunes » dans les rues françaises en 2018. En l’absence d’une compréhension nationale partagée de la crise climatique, ces politiques légères en matière de changement climatique – bien plus faibles que celles requises pour atteindre les nouveaux objectifs climatiques – sont facilement devenues une procuration pour le désenchantement social et la polarisation politique.

Ce qui est le plus préoccupant, c’est que les populations les plus vulnérables du monde sont encore extrêmement mal préparées à l’impact de la dégradation du climat. Deux années de recherches menées à travers l’Afrique du Nord par Climate Outreach, dont je suis l’un des directeurs fondateurs, ont révélé que la plupart des gens pouvaient parler avec éloquence des changements qu’ils avaient déjà subis – tels que les sécheresses et les températures record – mais qu’ils ne comprenaient pas, ou très peu, la vitesse ou la gravité des impacts futurs ou ce qu’ils étaient susceptibles de signifier pour leurs communautés. Le manque d’informations dans cette région est un multiplicateur de menaces, réduisant la capacité des gens à prendre des décisions en connaissance de cause ou à se préparer à l’avance à des événements météorologiques extrêmes.

Il est temps pour les gouvernements de lancer un dialogue durable et éclairé avec leurs citoyens.

Si le gouvernement britannique acceptait de relever ce défi – après tout, il est avide d’occasions de montrer son leadership en matière de climat – il devrait appliquer le même niveau d’investissement qu’il a régulièrement appliqué à d’autres questions prioritaires, comme les 8 millions de livres sterling qu’il a dépensés en 2004 pour envoyer à chaque foyer un dépliant de 22 pages sur les dangers du terrorisme, les 100 millions de livres sterling qu’il a budgétisés pour la campagne « Get Ready for Brexit » ou les 184 millions de livres sterling qu’il a dépensés tout au long de 2020 pour mobiliser les citoyens à propos de la Covid-19.

Cependant, cette expérience récente avec la Covid-19 nous rappelle également que de nombreuses personnes, en particulier dans les groupes les plus sceptiques, sont profondément méfiantes à l’égard des politiciens et des messages bien ficelés. Les gouvernements doivent résister à l’envie instinctive d’engloutir des budgets dans des campagnes éphémères de publicité, de soutien de célébrités et de slogans politiques. Une certaine publicité de fond est précieuse, mais nos recherches montrent que la communication sur la crise climatique nécessite également une approche plus durable : recruter des vrais communicateurs dignes de confiance, former des scientifiques pour qu’ils s’expriment avec habileté, adapter les messages aux valeurs des différents publics et atteindre les gens par le biais de leurs communautés, de leurs lieux de travail et de leurs réseaux confessionnels. Après tout, l’objectif est de construire une compréhension commune, et non de vendre un produit.

Whitehall ferait bien de regarder au nord de la frontière. Au cours des 13 dernières années, le gouvernement écossais a soutenu de manière discrète et permanente des organisations communautaires afin d’initier des conversations locales sur le climat avec un budget annuel modeste de 8,5 millions de livres. Nous savons ce qu’il faut faire, mais il faut le faire à plus grande échelle.

Enfin, le gouvernement doit accepter que la construction d’un mandat collectif exige qu’il touche tout le monde, en accordant une attention particulière à ceux qui sont sceptiques, marginalisés et désengagés. Il existe d’excellents modèles issus des campagnes de santé, de lutte contre la toxicomanie et d’alphabétisation qui fournissent des stratégies, des objectifs et des mesures de réussite clairs. À l’heure actuelle, l’engagement climatique n’a rien de tout cela.

À l’approche de la conférence sur le climat de la COP26, nous devons remettre en question la culture technocratique qui suppose que les objectifs en matière de carbone peuvent être atteints uniquement grâce à une ingénierie intelligente et à des feuilles de calcul. Nous entendons beaucoup parler de leadership, mais le leadership n’a pas de sens s’il n’y a pas d’adeptes, et l’ambition est un fantasme si elle n’est pas largement partagée et soutenue. L’engagement public n’est pas de la poudre aux yeux, c’est le fondement essentiel de toute politique.


George Marshall est le directeur fondateur de Climate Outreach et l’auteur de « Don’t Even Think About It : Why Our Brains Are Wired to Ignore Climate Change ».


Les systèmes alimentaires responsables d’un « tiers » des émissions d’origine humaine

Ayesha Tandon (*)

12 mars 2021 – traduit (deepl version gratuite) de Food systems responsible for ‘one third’ of human-caused emissions

Selon de nouvelles recherches, « les systèmes alimentaires » étaient responsables de 34% de toutes les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine en 2015.

L’étude, publiée dans Nature Food, présente EDGAR-FOOD – la première base de données à décomposer les émissions de chaque étape de la chaîne alimentaire pour chaque année de 1990 à 2015. La base de données détaille également les émissions par secteur, par gaz à effet de serre et par pays. 

Selon l’étude, 71 % des émissions alimentaires en 2015 provenaient de l’agriculture et des « activités associées à l’utilisation des terres et au changement d’affectation des terres » (UTCAT), le reste provenant de la vente au détail, du transport, de la consommation, de la production de carburant, de la gestion des déchets, des processus industriels et des emballages.

L’étude révèle que le CO2 représente environ la moitié des émissions liées à l’alimentation, tandis que le méthane (CH4) en constitue 35 % – principalement issus de la production de bétail, de l’agriculture et du traitement des déchets.

Selon l’étude, les émissions du secteur de la vente au détail sont en hausse et ont été multipliées par 3 ou 4 en Europe et aux États-Unis entre 1990 et 2015.

Les auteurs constatent également que les « kilomètres alimentaires » contribuent moins aux émissions alimentaires que les emballages. Les auteurs ajoutent que 96 % des émissions liées au transport des aliments proviennent du transport local ou régional par route et par rail, plutôt que du transport international.

« Une excellente base de données »

Si nourrir la population mondiale de près de 8 milliards d’habitants est une tâche fondamentale, cet aspect a un coût élevé pour le climat. La production alimentaire utilise la moitié des terres habitables de la Terre et un rapport de 2019 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a estimé qu’entre 21 et 37 % des émissions mondiales proviennent des systèmes alimentaires. 

(L’année dernière, Carbon Brief a produit une série d’articles d’une semaine, discutant des impacts climatiques de la viande et des produits laitiers, soulignant comment l’évolution des régimes alimentaires devrait affecter le climat, et demandant comment nous pouvons changer nos habitudes alimentaires pour minimiser notre empreinte carbone).

La nouvelle étude présente EDGAR-FOOD – la première base de données couvrant chaque étape de la chaîne alimentaire pour tous les pays, fournissant des données pour chaque année entre 1990 et 2015. La base de données estime les émissions de CO2, de CH4, d’oxyde nitreux (N2O) et de gaz fluorés pour chaque étape du système alimentaire, ainsi que par pays.

Le Dr John Lynch, de l’Université d’Oxford, qui étudie l’impact de l’alimentation sur le climat et n’a pas participé à l’étude, explique à Carbon Brief qu’il « a souvent été difficile d’obtenir une couverture détaillée de l’ensemble du système alimentaire » et que ce nouveau document est une « excellente ressource ».

Le Dr Sonja Vermeulen, directrice des programmes du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR), qui n’a pas non plus participé à l’étude, ajoute qu’il s’agit d’une « excellente base de données et d’un ensemble d’outils analytiques pour indiquer la voie à suivre pour l’alimentation ».

Mme Vermeulen rappelle qu’elle a publié « peut-être la première estimation des émissions totales des systèmes alimentaires » il y a une dizaine d’années, estimant que ces derniers étaient responsables d’un tiers des émissions. Il s’agit de la même estimation que celle de la nouvelle base de données, note-t-elle, mais elle ajoute que son chiffre était « basé sur des données et des calculs beaucoup plus grossiers » que la nouvelle évaluation et « il est formidable de voir que le chiffre est fondé sur des preuves et des détails beaucoup plus solides ».

Émissions alimentaires mondiales

L’étude révèle que la production alimentaire mondiale a augmenté de 40 % entre 1990 et 2015, et que les émissions annuelles du système alimentaire sont passées de 16 milliards de tonnes de CO2e (GtCO2e) à 18GtCO2e. 

Toutefois, elle ajoute que, sur une base individuelle, les émissions liées à l’alimentation par habitant ont diminué, passant d’une moyenne de 3 tonnes de CO2e en 1990 à 2,4tCO2e en 2015.

De plus, selon le document, la contribution des systèmes alimentaires au total des émissions d’origine humaine a en fait chuté de 44 % à 34 % pendant cette période. Cela est dû à l’augmentation globale des émissions provenant d’autres secteurs, précise le document. Selon M. Lynch, cette constatation souligne la nécessité de décarboniser : 

« En tant que fraction des émissions totales de gaz à effet de serre, les émissions alimentaires sont en fait en baisse, car nous augmentons les émissions encore plus rapidement dans d’autres secteurs – en grande partie en brûlant des combustibles fossiles pour obtenir plus d’énergie. Donc, même s’il est formidable que l’on s’intéresse de plus en plus aux impacts environnementaux du système alimentaire, cela souligne que la décarbonisation doit rester notre priorité climatique. »

En 2015, 27 % des émissions liées à l’alimentation provenaient des « pays industrialisés », indique le document, les 73 % restants provenant des « pays en développement » – au sein desquels les chercheurs incluent la Chine. Les six économies qui émettent le plus d’émissions liées au système alimentaire sont composées d’un mélange de pays « industrialisés » et « développés », selon le rapport :

Tableau indiquant les six économies dont les systèmes alimentaires produisent le plus d’émissions. Source : Crippa et al (2021).

L’étude note que la part des émissions d’un pays qui provient de son système alimentaire varie de 14 % à 92 %. Dans les pays industrialisés, environ 24 % des émissions totales des pays proviennent de leur système alimentaire – un chiffre qui est resté relativement stable entre 1990 et 2015, selon l’étude.

Toutefois, les chercheurs constatent que la part des émissions provenant de l’alimentation dans les pays en développement a diminué, passant d’environ 68 % en 1990 à 38 % en 2015. Cela est dû aux « très fortes augmentations des émissions non alimentaires », précisent les auteurs, ainsi qu’à une « réduction significative des émissions terrestres » – principalement grâce à une réduction de la déforestation.

L’étude ajoute que l’Asie est le principal contributeur aux émissions alimentaires mondiales lorsqu’elles sont mesurées par continent – produisant 35 % des émissions du système alimentaire mondial en 1990 et 49 % en 2015.

La carte ci-dessous montre les émissions du système alimentaire en proportion des émissions totales de chaque pays, pour 1990 (à gauche) et 2015 (à droite). Par exemple, le vert foncé indique les pays où les émissions liées à l’alimentation représentent plus de la moitié de leurs émissions totales.

légende carte : La part des émissions de gaz à effet de serre provenant des systèmes alimentaires en tant que fraction des émissions totales pour chaque pays en 1990 (à gauche) et en 2015 (à droite). Source : Crippa et al (2021).

Vermeulen était commissaire au sein de la commission EAT-Lancet sur les régimes alimentaires sains issus de systèmes alimentaires durables. Elle déclare à Carbon Brief qu’il est possible de bien manger et de prendre soin de la planète, mais que cela demandera des efforts :

« Il est théoriquement possible, même avec la croissance démographique, que chaque personne dans le monde ait une alimentation saine et culturellement appropriée sans transgresser les limites planétaires pour le carbone, la biodiversité, l’azote, le phosphore et l’eau. Mais cela demandera beaucoup d’efforts, tant sur le plan technique que politique.« 

La nouvelle étude souligne que nous avons besoin d’un « mélange de solutions techniques et politiques », ajoute-t-elle :

« Leur analyse renforce le fait qu’il n’y a pas de solution miracle unique – si nous nous concentrons uniquement sur une alimentation plus végétale, ou uniquement sur l’amélioration des pratiques agricoles, ou uniquement sur les secteurs de l’énergie et des transports, nous n’arriverons pas là où nous devons être – nous avons besoin des trois.« 

Les étapes de la production

Les auteurs répartissent également les émissions selon les différentes étapes du système alimentaire. Pour 2015, ils constatent que les premières étapes de la production alimentaire – celles qui amènent les denrées alimentaires à la « porte de la ferme », y compris la pêche, l’aquaculture, l’agriculture et les émissions liées aux intrants tels que les engrais – ont contribué à 39 % des émissions totales du système alimentaire.

L’UTCAT est le deuxième contributeur le plus important, avec un tiers des émissions totales du système alimentaire. Selon l’étude, cela est dû principalement aux pertes de carbone dues à la déforestation et à la dégradation des sols, notamment des tourbières.

Les auteurs notent que la plupart des émissions de l’UTCAT proviennent des pays en développement – en 2015, par exemple, l’agriculture et l’UTCAT représentaient 73 % des émissions alimentaires des pays en développement. Cependant, ils notent qu’entre 1990 et 2015, la part des émissions alimentaires provenant de la production agricole et de l’UTCAT a diminué de 13 % et de 26 % dans les pays en développement, respectivement.

Le transport, l’emballage, la vente au détail, la transformation, la consommation et l’élimination en fin de vie ont constitué les 29 % d’émissions restantes en 2015, indiquent les auteurs. Selon l’étude, cette valeur a augmenté depuis 1990 tant dans les pays industrialisés que dans les pays en développement.

La part mondiale des émissions alimentaires qui proviennent du secteur de l’énergie a augmenté de 31% sur la période 1990-2015, constate l’étude. Elle ajoute qu’en 2015, les secteurs « liés à l’énergie » – y compris l’industrie et les déchets – représentaient plus de la moitié des émissions alimentaires dans les pays industrialisés.

Les auteurs constatent également que les « kilomètres alimentaires » contribuent légèrement moins aux émissions alimentaires que les emballages. Les emballages ont contribué à environ 5,4 % des émissions alimentaires – principalement en raison de l’industrie des pâtes et papiers – tandis que le transport n’était responsable que de 4,8 %.

Comment les émissions alimentaires évoluent-elles ?

Les auteurs analysent également la contribution des différents gaz à effet de serre dans le système alimentaire. Par exemple, ils ont constaté que le CO2 représente environ la moitié des émissions du système alimentaire.

Le diagramme de Sankey ci-dessous montre la contribution des différentes activités et des différents types de gaz à effet de serre aux émissions globales du système alimentaire.

(diagramme) Émissions de gaz à effet de serre du système alimentaire en 2015

Les émissions totales de gaz à effet de serre en provenance du système alimentaire étaient de 18GtCO2e par an en 2015.

Diagramme de Sankey illustrant la répartition des émissions du système alimentaire mondial en 2015. Les données sont présentées – de gauche à droite – par gaz, secteur, étape, catégorie, puis à nouveau par gaz. Passez la souris sur les différentes sections pour voir les données en pourcentages. Données de Crippa et al (2021). Graphique réalisé par Carbon Brief à l’aide de Highcharts.

Les auteurs notent que le CH4 représente 35 % des émissions totales du système alimentaire. Cela est principalement dû à la production de bétail, à l’agriculture et au traitement des déchets. Toutefois, les auteurs notent également que le riz – l’une des principales cultures alimentaires – est une « source principale » d’émissions de méthane.

L’étude constate que, bien que les émissions de gaz fluorés (gaz-F) ne représentent que 2 % des émissions, leur utilisation a doublé entre 1990 et 2015. Les gaz fluorés sont principalement utilisés dans la réfrigération, expliquent les auteurs, et comme les pays en développement augmentent leur réfrigération industrielle et domestique, « l’importance de la réfrigération dans les émissions totales de gaz à effet de serre est susceptible d’augmenter ».

Les auteurs notent que la Chine est à l’origine de bon nombre des tendances du système alimentaire dans les pays en développement. Alors que les émissions liées à l’alimentation ont augmenté en moyenne de 14 % entre 1990 et 2015, celles de la Chine ont augmenté de 41 %. Néanmoins, la part des émissions liées à l’alimentation dans les émissions totales de la Chine est passée de 51 % en 1990 à 19 % en 2015, en raison de l’augmentation des émissions due à l’industrialisation du pays.

En outre, les émissions de la Chine liées à la gestion des déchets jouent un rôle important dans l’augmentation de 50 % enregistrée dans les pays en développement, indique l’étude. Dans le même temps, les émissions liées à la gestion des déchets – y compris la gestion des déchets solides et des eaux usées – ont diminué en moyenne dans les pays industrialisés.

L’étude note que les émissions liées à l’utilisation de l’énergie – électricité, chaleur et carburants – dans l’agriculture ont augmenté de 15 % entre 1990 et 2015 en raison de la mécanisation de la production, avec une augmentation de 50 % en Afrique, en Amérique latine et en Asie.

À l’inverse, l’introduction de « progrès agronomiques et de restrictions environnementales » dans les pays industrialisés a entraîné une diminution de 28 % des émissions de l’agriculture entre 1990 et 2015, ajoute l’étude.

Parallèlement, entre 1990 et 2015, la contribution de la vente au détail, de l’emballage, du transport et de la transformation aux émissions totales du système alimentaire a augmenté de 33 % à 300 % sur la période 1990-2015.

Le Dr Marco Springmann, chercheur au Nuffield Department of Population Health, qui n’a pas participé à l’étude, déclare qu’actuellement, « de nombreux inventaires d’émissions ne représentent pas de manière adéquate les émissions du système alimentaire » et affirme que cette base de données constitue « une amélioration bienvenue de la comptabilisation des émissions ». Il déclare à Carbon Brief :

« Bien que de nombreux résultats aient été rapportés dans d’autres études spécialisées, l’intégration d’une optique de système alimentaire dans une base de données d’émissions normalisée et mise à jour annuellement représente une avancée majeure d’une ressource publique qui profitera à la communauté scientifique, aux ONG, aux décideurs politiques et aux autres parties intéressées.« 

La recherche montre également que « les émissions du système alimentaire se retrouvent dans tous les secteurs d’émissions et incluent tous les principaux gaz à effet de serre », ajoute-t-il. Cependant, il note que « la différenciation des émissions par groupe d’aliments » n’est pas incluse dans la base de données, et déclare à Carbon Brief que ce serait une bonne prochaine étape pour la recherche :

« Une désagrégation plus poussée des catégories d’émissions d’EDGAR-FOOD dans les groupes alimentaires sous-jacents aurait élargi l’utilité de la base de données pour informer des politiques d’atténuation concrètes et bien ciblées pour le système alimentaire. Espérons que l’ajout de ce détail crucial figure sur la liste des choses à faire pour la prochaine mise à jour.« 


Le Green Deal européen menacé d’échec

Michael Bloss

04 mars 2021 – traduit (deepl version gratuite) de Der Green Deal droht zu scheitern

Aujourd’hui marque le premier anniversaire de la législation européenne sur le changement climatique. Bien que le temps presse, les États membres de l’UE bloquent toute avancée dans les négociations sur la loi. Pourtant, une nouvelle analyse montre que des objectifs climatiques forts sont un moteur pour l’économie et peuvent créer plus d’un million de nouveaux emplois.

Pour comprendre l’élaboration des politiques européennes, il faut remonter dans le temps. Fin 2019, la nouvelle Commission de l’UE sous la présidence d’Ursula von der Leyen a présenté son « European Green Deal ». L’UE doit devenir neutre sur le plan climatique – d’ici 2050.

La pièce maîtresse de cet accord vert devait être la loi européenne sur le changement climatique, et tout devait se dérouler très rapidement.

Début mars 2020 – environ quatre mois après l’annonce du Green Deal – la Commission a présenté une « loi européenne sur le changement climatique ».

Douze pages devaient ainsi déterminer les 30 prochaines années de politique climatique dans le plus grand marché unique au monde. Douze pages, inévitablement, quelque chose allait manquer…

Le cœur du projet de loi était l’objectif climatique pour 2030 avec une réduction prudente des émissions de CO2 de 50 à 55 % par rapport à 1990 ainsi que la fixation d’un objectif de « neutralité climatique 2050 ». La question épineuse était de savoir dans quelle mesure les États membres de l’UE étaient prêts à s’engager.

On se plait à applaudir la politique climatique, mais on réchigne à la mise en œuvre. Et c’est le cas ici aussi, de beaux discours, peu de substance. La peur règne parmi les États membres, une peur qui a été exacerbée par la crise économique causée par le Corona. Mais cette panique est mal placée.

Tout d’abord, le Parlement européen a adopté la loi et négocié une étape importante de la politique climatique : en octobre 2020, un objectif climatique pour 2030 de moins 60 % a été adopté en évitant les artifices de calcul, ainsi que d’autres dispositifs climatiques tels qu’un budget pour les gaz à effet de serre ou une interdiction des subventions pour les énergies fossiles.

L’évaluation économique soutient l’objectif de 60 pour cent.

Une nouvelle étude d’évaluation publiée aujourd’hui par le cabinet de conseil en gestion Cambridge Econometrics pour le compte du groupe parlementaire des Verts soutient la décision de 60 % du Parlement européen. Selon l’étude, l’élimination progressive du charbon d’ici 2030 permettrait non seulement de réduire massivement les émissions, mais aussi d’assurer une forte croissance économique – grâce à une augmentation significative des investissements dans les énergies renouvelables et l’efficacité. Plus d’un million d’emplois pourraient alors être créés, surtout dans le secteur des énergies renouvelables.

La révolution des transports pourrait aussi enfin se produire. Parce que les transports deviendraient électriques d’ici 2030 et apporteraient la clarté que VW, Daimler et Cie souhaitent. Fin de la valse hésitation autour de la question des moteurs: la course est lancée, la voiture du futur sera électrique.

Non seulement le patron de VW, M. Diess, le dit, mais aussi le Parlement européen. Cet investissement peut être stimulé si l’attitude de blocage actuelle du Conseil des ministres, la représentation des 27 États membres, est résolue et si la décision du Parlement est adoptée – indique l’étude.

Mais il n’y a pas que l’étude de Cambridge Econometrics qui montre à quel point une forte protection du climat est précieuse pour l’économie européenne et, bien sûr, pour le climat. La protection du climat et l’économie – ce ne sont plus des pôles opposés. Les deux vont de pair.

L’Institut allemand de recherche économique, le groupe de réflexion Agora Energiewende, l’Agence fédérale allemande pour l’environnement – tous prônent depuis longtemps une expansion massive des énergies renouvelables, une vague de rénovation, une révolution de la mobilité. Cela nécessite un cadre fourni par les objectifs climatiques.

Les citoyens européens le réclament aussi depuis longtemps et soutiennent le renouveau de l’économie, comme le montrent les enquêtes. Mais alors que les États-Unis sont de retour sur la scène climatique, que l’économie réclame de la clarté et soutient des objectifs climatiques ambitieux, peu de choses se sont passées jusqu’à présent dans l’UE.

Par la ruse et le pinaillage, les 27 États membres de l’UE se sont mis d’accord en décembre dernier sur une réduction nette de 55 % des gaz à effet de serre. Selon les experts, cela signifie une réduction réelle de 52 %. Enfin, les négociations pouvaient commencer.

Mais près de cinq mois après la décision parlementaire, la question se pose de plus en plus : où en est la loi sur le climat ?

Les États membres de l’UE bloquent

Eh bien, il est coincé dans les arcanes des négociations de l’UE. En d’autres termes : les États de l’UE ne veulent pas faire grand chose des propositions du Parlement. Ni sur l’interdiction des subventions aux énergies fossiles, ni sur le droit à la protection du climat, le Conseil des ministres ne voit la nécessité d’agir.

En ce qui concerne l’objectif climatique de 2030, le silence est déprimant. La proposition de conseil scientifique du climat est une véritable épine dans le pied pour les États membres et, en ce qui concerne le budget des gaz à effet de serre, ils posent plus de questions qu’ils ne peuvent répondre. Pourtant, tout était censé se dérouler rapidement.

Les négociations risquent d’échouer, l’accord vert d’Ursula von der Leyen, son méga-projet, d’échouer – alors qu’en dehors de cela, la crise climatique continue de s’accélérer.

Malheureusement, l’hésitation du Conseil des ministres de l’UE n’est guère surprenante. Alors que le Parlement prend au sérieux les voix de la science, de la société civile et des citoyens et répond à l’urgence climatique, des négociations en coulisses par le Conseil nous mènent à des accords funestes.

En pleine crise du Covid et du climat, l’économie européenne est en fort déclin, des millions de personnes ont perdu leur emploi ou sont en chômage partiel. Les investissements sont reportés, ce qui accélère la spirale descendante. Bien que les émissions de gaz à effet de serre aient diminué à la suite de la crise du Covid, cet effet menace de s’estomper à nouveau avec le développement de l’industrie des combustibles fossiles.

Pourtant, la situation de départ est parfaite. L’UE a mis en place un paquet Corona de 1,8 trillion d’euros. 40 % de l’argent est destiné aux investissements climatiques. Idéalement, cette somme devrait être utilisée pour financer l’expansion des énergies renouvelables, une plus grande efficacité énergétique et d’autres projets liés au climat. L’argent est donc là, mais l’angoisse règne autour des objectifs climatiques.

Ce ne devrait pas être le cas, comme le montre la nouvelle étude. La peur est toujours mauvaise conseillère, en particulier pour quelque chose de neuf. C’est pourquoi il est temps de faire enfin preuve de courage, de hisser le drapeau climatique, de faire face à la crise climatique et à la crise du Covid et d’aborder la transformation de l’économie vers la neutralité climatique avec un objectif climatique fort pour 2030.


Michael Bloss est le négociateur des Verts au Parlement européen pour le projet de loi sur le climat de l’UE. En 2019, Bloss a été élu au Parlement européen. Son domaine est la politique climatique, notamment en tant que membre de la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie. Auparavant, le natif de Stuttgart a travaillé dans le domaine de la politique de développement international, notamment pour les Nations unies, après avoir effectué des études en la matière à Dresde et à Londres.

Écosocialisme contre décroissance : un faux dilemme

Giacomo D’Alisa

Traduction – source : Ecosocialism versus degrowth: a false dilemma – février 2021

Les écosocialistes et les décroissants doivent cartographier les nombreux points communs entre leurs points de vue afin d’améliorer l’efficacité de leur lutte commune pour un monde écologiquement sain et socialement équitable, libéré de l’héritage patriarcal, racial et colonial.

Dans un article récent, Michael Löwy se demande si la gauche écologique doit adopter le « drapeau » écosocialiste ou celui de la décroissance, une préoccupation qui n’est pas totalement nouvelle. Löwy est un philosophe marxiste franco-brésilien et un éminent écosocialiste. Avec Joël Kovel, un sociologue et psychiatre américain, il a rédigé en 2001 le Manifeste écosocialiste international, document fondateur pour plusieurs organisations politiques dans le monde. Ainsi, entamer une discussion avec Löwy n’est pas un simple caprice académique, mais une exigence que se posent de nombreuses personnes politiquement engagées de la gauche écologique.

Récemment, les membres d’un groupe écosocialiste au sein de « Catalogne en commun », qui fait partie de Unidas Podemos (elle-même membre de la coalition de centre-gauche qui gouverne l’Espagne), m’ont invité à débattre de la fin du paradigme de la croissance économique. Cela laisse entendre que les écosocialistes s’intéressent à la vision et aux propositions de décroissance. D’autre part, au cours des conférences, des discours et des discussions auxquels j’ai participé, j’ai également constaté que les projets écosocialistes intriguent et inspirent de nombreux décroissants. En effet, les membres des deux groupements ont le sentiment d’être des mouvements frères. La réflexion qui suit est une première et humble contribution au rapprochement entre les deux.

Dans l’article cité ci-dessus, Löwy soutient une alliance entre les écosocialistes et les décroissants, et je ne peux qu’être d’accord avec cette conclusion. Cependant, avant de justifier cette tentative stratégique, il ressent le besoin d’expliquer pourquoi la décroissance montre des lacunes en tant que vision politique. Il ramène son évaluation critique à trois questions. Premièrement, Löwy soutient que la décroissance en tant que concept est insuffisante pour exprimer clairement un programme alternatif. Deuxièmement, les décroissants et leurs discours ne sont pas explicitement anticapitalistes. Enfin, pour lui, les décroissants ne sont pas capables de faire la distinction entre les activités qui doivent être réduites et celles qui peuvent continuer à prospérer.

Concernant la première critique, Löwy soutient que le mot « décroissance » n’est pas convaincant ; il ne traduit pas le projet progressif et émancipateur de transformation sociétale dont il fait partie ; cette remarque fait écho à un vieux débat non résolu pour beaucoup. Une discussion que Löwy devrait connaître, ainsi que celles qui ont suivi la dernière décennie de débat sur la décroissance. Une critique sophistiquée a mobilisé l’étude du linguiste cognitif et philosophe américain George Lakoff sur le cadrage. Kate Rowarth, par exemple, a suggéré aux décroissants d’apprendre de Lakoff que personne ne peut gagner une lutte politique ou une élection s’ils continuent à utiliser le cadre de leur adversaire ; et la décroissance a en elle-même sa vision antagonique : la croissance. Des économistes écologiques ont soutenu le même argument de manière plus articulée, suggérant que pour cette raison, la décroissance se retourne contre elle-même.

En 2015, mon compagnon intellectuel Giorgos Kallis, a quant à lui cité neuf raisons claires pour lesquelles la décroissance est un mot qui s’impose. Je voudrais y ajouter une raison supplémentaire. En observant les tendances de recherche sur Google, on constate qu’après dix ans, la décroissance continue à susciter plus d’intérêt dans le monde que l’écosocialisme. L’écosocialisme peut peut-être donner des résultats plus clairs en un coup d’œil. Néanmoins, cela ne signifie pas que la population sera immédiatement convaincue. En effet, le concept d’écosocialisme présente également des problèmes de cadrage similaires, voire pires, étant donné l’aversion post-soviétique pour le « socialisme », mais cela ne signifie pas que nous devons abandonner le terme. Le récent regain de popularité aux États-Unis du « socialisme démocratique » suggère que l’association négative d’un terme peut être surmontée.

Google trends of degrowth and ecosocialism. Source: Author’s elaboration.

Les écosocialistes, tout comme les décroissants, doivent continuer à expliquer le contenu réel de leur rêve politique car l’étiquette ne suffit pas à tout expliquer. Notre mission est inachevée ; il est vrai que dans certains contextes, l’écosocialisme aboutira à un message plus direct, mais dans d’autres, la décroissance pourrait se révéler plus convaincante. Pour la gauche écologique, plus de cadres pourraient être plus efficaces qu’un seul ; et, utiliser le plus approprié dans différents contextes et géographies est très probablement la meilleure stratégie.

Il convient de noter que ces différents cadres partagent des arguments et des stratégies de base. Permettez-moi donc de passer à la deuxième critique de Löwy, la prétendue divergence entre les écosocialistes et les décroissants à propos du capitalisme. Selon Löwy, les décroissants ne sont pas suffisamment ou explicitement anticapitalistes. Je ne peux pas nier que tous les décroissants ne se définissent pas comme des anticapitalistes et que pour certains d’entre eux, le fait de se déclarer en tant que tel n’est pas une priorité. Cependant, comme Kallis l’a déjà précisé, les spécialistes de la décroissance fondent de plus en plus leurs recherches et leurs politiques sur une critique des forces et des relations du capital. De plus, Dennis et Schmelzer ont montré que les décroissants partagent largement la conviction qu’une société décroissante est incompatible avec le capitalisme. Et Stefania Barca a expliqué comment l’articulation de la « décroissance et de la politique du travail vers une conscience de classe écologique » est la voie à suivre pour une société de décroissance écosocialiste.

À ces arguments, je voudrais ajouter une observation. Dans leur manifeste écosocialiste de 2001, Löwy et Kovel ont affirmé que pour résoudre le problème écologique, il est nécessaire de fixer des limites à l’accumulation. Ils poursuivent en précisant que cela n’est pas possible tant que le capitalisme continue de régner sur le monde. En effet, comme ils l’affirment, ainsi que d’autres écosocialistes éminents, le capitalisme doit croître ou mourir. Ce slogan efficace est probablement la phrase anticapitaliste la plus explicite écrite dans le manifeste écosocialiste, et je ne doute pas que la plupart des décroissants signeraient cette déclaration sans hésiter – d’autant plus en ces temps de pandémie, lorsque le système capitaliste existant semble être basé sur le slogan : nous (les capitalistes) croissons et vous mourez ! En effet, il est de plus en plus évident qu’au cours de cette pandémie l’inégalité n’a cessé de croître de façon spectaculaire. Si ces observations sont exactes, alors les décroissants et les écosocialistes sont plus d’accord que pas d’accord et, comme beaucoup d’autres dans le camp de la gauche écologique, ils partagent le même bon sens : un système écologique et social sain au-delà de la pandémie n’est pas compatible avec le capitalisme.

La dernière critique de Löwy est que les décroissants n’arrivent pas à faire la différence entre les caractéristiques quantitatives et qualitatives de la croissance. À première vue, cela semble un retour en arrière par rapport à la discussion animée des années 1980 sur la différence entre croissance et développement. Cependant, je suis sûr que Löwy et d’autres écosocialistes sont bien conscients de l’évaluation critique que de nombreux penseurs d’Amérique latine ont faite du développement et de son héritage colonial. Je vais donc interpréter cette critique en termes plus généraux : il est essentiel d’être sélectif en matière de croissance et de préciser les secteurs qui doivent croître et ceux qui doivent décroître ou même disparaître. Rien de nouveau sous le soleil, je pourrais dire. En 2012, alors qu’il développait des scénarios de croissance nulle pour faire face à la menace du changement climatique, Peter Victor a discuté du scénario de croissance sélective montrant ses effets modestes et à court terme pour atténuer le changement climatique. Dans son livre « Petit traité de la décroissance sereine », publié en 2007, Serge Latouche a fait valoir que la décision concernant la décroissance sélective ne peut être laissée aux forces du marché. Et Kallis a expliqué que la croissance est un processus complexe et intégré, et qu’il est donc erroné de penser en termes de ce qui doit augmenter et de ce qui doit diminuer.

C’est une erreur d’utiliser la décroissance comme synonyme de diminution (comme Timothée Parrique en a longuement parlé), et de penser que ce qui est considéré comme « bon » (hôpitaux, énergie renouvelable, vélos, etc.) doit augmenter sans limite comme le commande l’imaginaire de la croissance. Ceux qui perpétuent cette logique, comme semble le faire Löwy, restent dans le camp de la croissance. Ce faisant, Löwy n’a pas suivi sa suggestion d’accorder plus d’attention à une transformation qualitative.

Dans une société écosocialiste, orienter la production vers plus d’hôpitaux et de transports publics, comme le suggère Löwy, n’implique pas de surmonter la logique de croissance et ses difficultés. Une société de décroissance, avec un mode de vie plus sain et des soins plus écologiques, n’aurait probablement pas besoin d’autant d’hôpitaux supplémentaires. En effet, comme Luzzati et ses collègues l’ont constaté, l’augmentation du revenu par habitant est en corrélation significative avec l’augmentation de la morbidité et de la mortalité liées au cancer. Dans une société de décroissance, les gens prendraient beaucoup moins l’avion, ce qui pourrait contribuer à réduire la vitesse des contagions pandémiques. Les systèmes agro-écologiques empiéteront sur moins d’habitats ; ces deux changements qualitatifs dans l’organisation de la société pourraient réduire la nécessité d’augmenter le nombre d’unités de soins intensifs.

D’autre part, l’augmentation d’un nombre croissant de « bonnes choses », comme les vélos en ville, n’est pas entièrement positive : comme dans le cas d’Amsterdam, où les piétons ont ressenti un manque d’espace en raison du nombre considérable de vélos dans l’espace public, ou de la Chine, où des dizaines de milliers de vélos ont été jetés parce que la perspective de la croissance du vélo partagé dans les villes a entraîné des problèmes sociaux et écologiques, le conseiller municipal ayant décidé de plafonner la croissance du vélo et de réglementer les secteurs partagés. En résumé, l’idée d’une (dé)croissance sélective n’aide pas à désapprendre la logique de croissance qui persiste encore chez beaucoup dans le camp de la gauche écologique. Ce qu’il faut, en effet, c’est un changement qualitatif de notre esprit, de notre logique et de nos actes performatifs.

Écosocialistes et décroissants sont moins éloignés les uns des autres que ne le laisse entendre l’article de Löwy. Les deux visions avancent sur le même chemin, apprenant l’une de l’autre au passage. Discuter de certaines thèses ou politiques que l’un ou l’autre propose permettra d’améliorer et de clarifier leurs visions, et de les rendre moins discutables aux yeux des sceptiques et des indifférents. Un dialogue constructif nous aidera à faire en sorte que nos arguments et nos pratiques soient largement conformes au bon sens. Les écologistes de gauche n’ont pas à décider quel est le meilleur et le plus complet des discours entre l’écosocialisme et la décroissance. Ces visions, que j’ai essayé d’exposer ci-dessus, partagent en effet des arguments de base, et contribuent toutes deux à la construction d’un discours persuasif et d’actions performatives.

A bicycle graveyard in Wuhan in 2018. Photo: Wu Guoyong. Source: South China Morning Post

Au contraire, créer un faux dilemme n’est pas très utile pour nos luttes quotidiennes. En 2015, avec certains collègues, nous avons suggéré d’explorer la redondance de six cadres différents (croissance, organisations de mouvements communautaires durables, territorialisme, biens communs, résilience sociale et actions sociales directes) pour relancer des initiatives plus solides et plus complètes contre l’expansion continue du capitalisme et les injustices environnementales. Nous avons conclu que le fait de favoriser la redondance plus que la nuance devrait motiver les défenseurs de ces approches lorsque l’objectif général est de relancer efficacement des alternatives au capitalisme qui soient solides et moins aléatoires. En d’autres termes, nous demandons que l’on se concentre sur la consolidation de ce que toutes ces approches ont en commun plutôt que de se concentrer sur leurs divergences. Cette suggestion est également valable pour les écosocialistes et les décroissants.

Il est sans aucun doute crucial que les écosocialistes et les décroissants continuent à affiner leurs discours, leurs pratiques et leurs politiques pour avancer vers un monde écologiquement sain et socialement juste, libéré de l’héritage patriarcal, racial et colonial. Néanmoins, il est tout aussi important qu’ils cartographient les redondances de leurs points de vue pour améliorer l’efficacité de leur lutte commune à différentes échelles.

Giacomo D’Alisa est chercheur post-doctorat (FCT) au Centre d’études sociales de l’Université de Coimbra, au Portugal, où il fait partie du groupe de travail « Écologie et société ». D’Alisa est membre fondateur du collectif Recherche & Décroissance à Barcelone, en Espagne.


Des scientifiques de renom mettent en garde…

Traduction

Article paru dans The Guardian le 13 01 2021:
Top scientists warn of ‘ghastly future of mass extinction’ and climate disruption


Des scientifiques de renom mettent en garde contre « l’effroyable avenir au niveau de l’extinction de masse » et le dérèglement climatique.

Un nouveau rapport qui donne à réfléchir affirme que le monde ne saisit pas l’ampleur des menaces que constituent la perte de biodiversité et la crise climatique. La planète est confrontée à un « avenir épouvantable d’extinction de masse, de déclin sanitaire et de bouleversements climatiques », qui menacent la survie de l’humanité en raison de l’ignorance et de l’inaction, selon un groupe international de scientifiques. Ces derniers avertissent que les gens n’ont toujours pas saisi l’urgence des crises de la biodiversité et du climat.

Les 17 experts, dont le professeur Paul Ehrlich de l’université de Stanford, auteur de « La Bombe P » (The Population Bomb), et des scientifiques du Mexique, d’Australie et des États-Unis, affirment que la planète est dans un état bien pire que ce que la plupart des gens – même les scientifiques – pensent.

« L’ampleur des menaces qui pèsent sur la biosphère et toutes ses formes de vie – y compris l’humanité – est en fait si grande qu’elle est difficile à saisir, même pour des experts bien informés », écrivent-ils dans un rapport publié dans Frontiers in Conservation Science, qui fait référence à plus de 150 études détaillant les principaux défis environnementaux mondiaux.

Le délai entre la destruction du monde naturel et les impacts de ces actions signifie que les gens ne reconnaissent pas l’ampleur du problème, affirme le document. « [Le] courant dominant a du mal à saisir l’ampleur de cette perte, malgré l’érosion constante du tissu de la civilisation humaine ».

Le rapport avertit que les migrations de masse induites par le climat, les nouvelles pandémies et les conflits concernant les ressources seront inévitables si des mesures urgentes ne sont pas prises.

Nous n’appelons pas à la capitulation. Notre objectif est de fournir aux dirigeants une « douche froide » réaliste sur l’état de la planète, essentielle pour éviter un avenir horrible, ajoute le rapport.

Pour faire face à l’énormité du problème, il faut apporter des changements profonds au capitalisme mondial, à l’éducation et à l’égalité, indique le document. Il s’agit notamment d’abandonner l’idée d’une croissance économique perpétuelle, d’évaluer correctement les externalités environnementales, de mettre un terme à l’utilisation des combustibles fossiles, de limiter le lobbying des entreprises et d’autonomiser les femmes, affirment les chercheurs.

Le rapport est publié quelques mois après que le monde ait échoué à atteindre un seul objectif d’Aichi pour la biodiversité de l’ONU, créés pour enrayer la destruction du monde naturel. Il s’agit de la deuxième fois consécutive que les gouvernements ne réussissent pas à atteindre leurs objectifs de biodiversité sur dix ans. Cette semaine, une coalition de plus de 50 pays s’est engagée à protéger près d’un tiers de la planète d’ici 2030.

Selon un récent rapport des Nations Unies, un million d’espèces sont menacées d’extinction, dont beaucoup d’ici quelques décennies.

« La détérioration de l’environnement est infiniment plus menaçante pour la civilisation que le trumpisme ou la Covid-19 », a déclaré Paul Ehrlich au Guardian.

Dans « La Bombe P » (The Population Bomb), publié en 1968, Ehrlich met en garde contre l’explosion démographique imminente et les centaines de millions de personnes qui mourront de faim. Bien qu’il ait reconnu certaines erreurs au niveau du timing, il a déclaré qu’il s’en tenait à son message fondamental, à savoir que la croissance démographique et les niveaux élevés de consommation des nations prospères mènent à la destruction.

Il a déclaré au Guardian : « La croissancemania est la maladie fatale de la civilisation – elle doit être remplacée par des campagnes qui font de l’équité et du bien-être les objectifs de la société. Il faut arrêter de consommer de la merde. »

Les populations importantes et leur croissance continue entraînent la dégradation des sols et la perte de biodiversité, met en garde le nouveau document. « Plus de gens signifie que l’on fabrique plus de composés synthétiques et de plastiques jetables dangereux, dont beaucoup contribuent à la toxification croissante de la Terre. Cela augmente également les risques de pandémies qui alimentent des chasses toujours plus désespérées aux ressources rares ».

Les effets de l’urgence climatique sont plus évidents que la perte de biodiversité, mais la société ne parvient toujours pas à réduire les émissions, affirme le document. Si les gens comprenaient l’ampleur des crises, les changements politiques et les politiques menées pourraient répondre à la gravité de la menace.

« Notre point principal est qu’une fois que l’on réalise l’ampleur et l’imminence du problème, il devient clair que nous avons besoin de bien plus que des actions individuelles comme utiliser moins de plastique, manger moins de viande ou prendre moins l’avion. Notre point de vue est que nous avons besoin de grands changements systématiques et cela rapidement », a déclaré au Guardian le professeur Daniel Blumstein de l’Université de Californie à Los Angeles, qui a participé à la rédaction du document.

Le document cite un certain nombre de rapports clés publiés ces dernières années, à savoir :

  • le rapport du Forum économique mondial en 2020, qui a désigné la perte de biodiversité comme l’une des principales menaces pour l’économie mondiale ; (En)
  • le rapport d’évaluation globale de l’IPBES en 2019, qui indique que 70 % de la planète a été altérée par l’homme ; (En)
  • le rapport Planète vivante 2020 du WWF, qui indique que la population moyenne de vertébrés a diminué de 68 % au cours des cinq dernières décennies ; (En)
  • un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de 2018, qui indique que l’humanité a déjà dépassé le réchauffement climatique de 1°C par rapport aux niveaux préindustriels et qu’elle devrait atteindre un réchauffement de 1,5°C entre 2030 et 2052. (En)

Le rapport fait suite à des années d’avertissements sévères sur l’état de la planète de la part des plus grands scientifiques du monde, notamment une déclaration de 11.000 scientifiques en 2019 selon laquelle les gens seront confrontés à « des souffrances indicibles dues à la crise climatique » si des changements majeurs ne sont pas apportés. En 2016, plus de 150 climatologues australiens ont écrit une lettre ouverte au Premier ministre de l’époque, Malcolm Turnbull, pour demander des mesures immédiates de réduction des émissions. La même année, 375 scientifiques – dont 30 Prix Nobel – ont écrit une lettre ouverte au monde entier pour exprimer leur frustration face à l’inaction politique en matière de changement climatique.

Le professeur Tom Oliver, écologiste à l’Université de Reading, qui n’a pas participé au rapport, a déclaré qu’il s’agissait d’un résumé effrayant mais crédible des graves menaces qui pèsent sur la société si l’on continue comme si de rien n’était. « Les scientifiques doivent maintenant aller au-delà de la simple documentation du déclin environnemental et trouver les moyens les plus efficaces de catalyser l’action », a-t-il déclaré.

Le professeur Rob Brooker, responsable des sciences écologiques à l’Institut James Hutton, qui n’a pas participé à l’étude, a déclaré que celle-ci soulignait clairement la nature urgente des défis.

« Nous ne devrions certainement pas douter de l’ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés et des changements que nous devons apporter pour les relever », a-t-il déclaré.