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Le fascisme de la fin des temps

Naomi Klein () – Astra Taylor ()

L’idéologie dominante de l’extrême droite est devenue un survivalisme monstrueux, destructeur et suprématiste, expliquent Naomi Klein et Astra Taylor dans un article récent devenu incontournable : The rise of end times fascism (The Guardian).

Elles appellent à construire un mouvement suffisamment fort pour l’arrêter.

La revue des écologies radicales « Terrestres » a publié la traduction en français de Nicolas Haeringer que nous republions ci-dessous.


La mouvance des cités-États privées n’en croit pas ses yeux1. Pendant des années, elle a défendu l’idée radicale que les ultra-riches, rétifs à l’impôt, devraient créer leurs propres fiefs high-techs – qu’il s’agisse de pays entièrement nouveaux sur des îles artificielles dans les eaux internationales (des « implantation maritimes ») ou de « villes libres » dédiées aux affaires, telles que Próspera, une communauté fermée adossée à un spa de l’ouest sauvage sur une île du Honduras2.

Pour autant, en dépit du soutien de figures majeures du capital-risque telles que Peter Thiel et Marc Andreessen, leurs rêves libertariens radicaux ne cessaient de s’enliser : il semble que la plupart des riches qui ont un peu d’estime d’eux-mêmes ne souhaitent en réalité pas vivre sur des plateformes pétrolières flottantes, même s’ils y paieraient moins d’impôts. Quand bien même Próspera serait un lieu de villégiature agréable, propice à des « améliorations » physiques3, son statut extra-national est actuellement contesté devant les tribunaux.

Ce réseau autrefois marginal se retrouve aujourd’hui brusquement à frapper à des portes grandes ouvertes, au cœur même du pouvoir mondial.

Le premier signe que la chance tournait remonte à 2023, quand Donald Trump, alors en pleine campagne, sortait de son chapeau l’idée d’organiser une compétition, qui déboucherait sur la création de dix « villes libres » sur des terres fédérales. À l’époque, ce ballon d’essai est passé inaperçu, noyé dans le déluge quotidien de déclarations outrancières. Mais depuis que le nouveau gouvernement a pris ses fonctions, ceux qui aspirent à créer de toutes pièces de nouveaux pays mènent une campagne de lobbying intense, déterminés à ce que l’engagement de Trump devienne réalité.

« À Washington, l’ambiance est vraiment électrique », s’est récemment enthousiasmé Trey Goff, le secrétaire général de Próspera, après s’être rendu au Capitole. La législation ouvrant la voie à de nombreuses cités-États privées devrait être finalisée d’ici la fin de l’année, affirmait-il alors.

Inspirés par leur lecture tronquée du philosophe politique Albert Hirschman, des personnalités comme Goff, Thiel et l’investisseur et essayiste Balaji Srinivasan promeuvent ce qu’ils appellent « l’exit » – soit le principe selon lequel ceux qui peuvent se le permettre auraient le droit de se soustraire aux obligations de la citoyenneté, en particulier aux impôts et aux réglementations contraignantes. En remodelant et renouvelant les vieilles ambitions et les anciens privilèges des empires, ils rêvent de briser les gouvernements et de diviser le monde en havres hyper-capitalistes. Ceux-ci seraient dépourvus de démocratie, sous le contrôle exclusif des ultra-riches, protégés par des mercenaires privés, servis par des robots intelligents et financés par les cryptomonnaies.

On pourrait penser qu’il y une contradiction à ce que Trump, élu sur son programme-étendard « l’Amérique d’abord », accorde du crédit à cette vision de territoires souverains dirigés par des milliardaires rois divins. De fait, on a beaucoup parlé des luttes de pouvoir que mènent Steve Bannon, porte-parole du courant MAGA [Make America Great Again, ndt], fier populiste patriote, contre les milliardaires ralliés à Trump qu’il traite de « technoféodalistes » qui « n’ont rien à foutre de l’être humain » – et encore moins de l’État-nation. De fait, les conflits au sein de la coalition bancale et bizarroïde montée par Trump sont à l’évidence légion, et ont récemment culminé à propos des droits de douane4. Pourtant, les visions sous-jacentes ne sont pas forcément aussi incompatibles qu’elles n’en ont l’air.

Le contingent des « aspirants créateurs de pays » envisage très clairement un avenir défini par les chocs, les pénuries et l’effondrement. Leurs domaines privés, ultra-modernes, ne sont rien d’autre que des capsules de sauvetage fortifiées, conçues pour qu’une petite élite puisse profiter de tout le luxe imaginable, et bénéficie de chaque opportunité d’optimisation humaine susceptible de leur offrir, ainsi qu’à leurs enfants, un avantage décisif dans un avenir de plus en plus barbare. Pour le dire crûment, les personnes les plus puissantes au monde se préparent pour la fin du monde, une fin dont elles accélèrent frénétiquement l’arrivée.

En soi, ce n’est guère différent de la vision, plus orientée vers les masses, de « nations forteresses », qui définit la droite dure partout dans le monde, de l’Italie à Israël en passant par l’Australie et les États-Unis. À l’ère des périls permanents, les mouvements ouvertement suprémacistes de ces pays veulent transformer ces États relativement prospères en bunkers armés. Des bunkers dont ils sont déterminés à brutalement expulser et emprisonner les êtres humains indésirables (même si cela passe par un confinement à durée indéterminée dans des colonies pénitentiaires extra-nationales, à l’instar de l’île de Manus5 ou de Guantánamo). Leurs promoteurs sont également sans pitié dans leur volonté de s’accaparer violemment les terres et les ressources (eau, énergie, minerais critiques) qu’ils estiment indispensables pour absorber les chocs à venir.

Au moment où les élites de la Silicon Valley, autrefois laïques, découvrent Jésus, il est remarquable que ces deux visions – l’État-privé à pas-priorité et la nation-bunker à marché de masse – partagent tant avec l’interprétation fondamentaliste Chrétienne de l’Enlèvement biblique, soit le moment où les fidèles sont censés être élevés au paradis, vers une cité dorée, tandis que les damnés seront abandonnés ici-bas, pour endurer la bataille apocalyptique finale.

Si nous voulons être à la hauteur de ce moment critique de l’histoire, nous devons admettre que nous ne faisons pas face à des adversaires similaires à ceux que nous connaissons. Nous faisons face au fascisme de la fin des temps.

Revenant sur son enfance sous Mussolini, le romancier et philosophe Umberto Eco notait dans un article célèbre que le fascisme souffre généralement d’un « complexe d’Armageddon » : une obsession à anéantir ses ennemis lors d’une grande bataille finale. Mais le fascisme européen des années 1930 et 1940 avait aussi un horizon : la vision d’un âge d’or à venir, après le bain de sang. Un âge qui, pour ses partisans, serait pacifique, champêtre et pur. Ce n’est plus le cas.

Conscients que notre époque est marquée par des risques existentiels réels – de la catastrophe climatique à la guerre nucléaire, en passant par l’explosion des inégalités et l’IA déréglementée – mais impliqués financièrement et idéologiquement dans l’aggravation de ces menaces, les mouvements d’extrême droite contemporains n’ont aucune vision crédible d’un avenir prometteur. L’électeur moyen ne se voit offrir que les réminiscences d’un passé révolu, aux côtés du plaisir sadique de la domination sur un ensemble toujours plus vaste de semblables déshumanisés.

Ainsi de l’administration Trump, qui se voue à diffuser son flux ininterrompu de propagande (réelle ou générée par IA), dans le seul but de diffuser ces contenus obscènes. Les images de migrants pieds et poings liés embarqués dans des avions pour être expulsés, avec en fond sonore les bruits de chaînes et de menottes qui s’entrechoquent sont présentées par le compte X officiel de la Maison Blanche comme de l’« ASMR », soit un son conçu pour calmer le système nerveux. Ce même compte rapportait la détention de Mahmoud Khalil, un résident permanent américain impliqué dans le campement pro-palestinien de l’Université Columbia, avec ce commentaire extatique : « SHALOM, MAHMOUD ». Ou encore les nombreuses séances photos sadiques-chics de la secrétaire à la Sécurité intérieure Kristi Noem, qui pose tour à tour sur un cheval à la frontière américano-mexicaine, devant une cellule de prison bondée au Salvador ou brandissant une mitraillette lors de l’arrestation d’immigrants en Arizona.

Dans une époque où les catastrophes se multiplient, l’idéologie dominante de l’extrême droite a pris la forme d’un survivalisme monstrueux et suprémaciste.

Certes, ce constat est terrifiant par sa dureté. Mais il permet de dégager de puissantes perspectives pour la résistance. Parier à ce point-là contre l’avenir – tout miser sur le bunker – implique ni plus ni moins que de trahir nos devoirs envers les autres, envers les enfants que nous aimons, envers toute autre forme de vie avec laquelle nous avons la planète en partage. Ce système de croyance est intrinsèquement génocidaire, et il trahit les beautés et merveilles de ce monde. Nous sommes convaincues que plus les gens comprendront à quel point la droite a succombé à ce complexe d’Armageddon, plus ils et elles prendront conscience que tout est désormais remis en cause, et plus ils et elles seront prêt·es à résister.

Nos adversaires savent parfaitement que nous entrons dans une ère d’urgence, mais ils y répondent en optant pour des illusions aussi mortelles qu’égocentriques. Séduits par l’illusoire sécurité d’un apartheid bunkérisé, ils choisissent de laisser la Terre brûler. Notre tâche est donc de construire un mouvement aussi large que profond, aussi spirituel que politique, qui soit suffisamment puissant pour stopper ces traîtres irrationnels. Un mouvement enchâssé dans une indéfectible solidarité les unes envers les autres, au-delà de nos nombreuses différences et divergences, et envers cette planète aussi miraculeuse que singulière.

Il y a peu, seuls les fondamentalistes religieux saluaient avec enthousiasme les signes avant-coureurs de l’apocalypse, qui annonçaient l’Enlèvement tant attendu. Trump a désormais confié des rôles décisifs à des personnes qui adhèrent à cette orthodoxie, en particulier à plusieurs Chrétiens sionistes qui considèrent le recours à la violence annihilatrice par Israël pour étendre son emprise territoriale non pas comme une atrocité illégale, mais comme une preuve bienvenue que la Terre Sainte se rapproche des conditions propices au retour du Messie et à l’accession des fidèles au royaume céleste.

Mike Huckabee, le nouvel ambassadeur de Trump en Israël, est étroitement lié au sionisme chrétien, tout comme Pete Hegseth, son ministre de la Défense. Noem et Russell Vought, les architectes du Projet 20256 qui dirigent désormais l’organisme chargé de gérer les ministères et de préparer le budget, sont tous deux de fervents défenseurs du nationalisme chrétien. Même Peter Thiel, homosexuel et connu pour être un bon vivant, a récemment été entendu en train de spéculer sur l’arrivée de l’Antéchrist (spoiler : il pense qu’il s’agit de Greta Thunberg, nous y reviendrons plus bas).Pas besoin de prendre la Bible à la lettre, ni même d’être croyant, pour être un fasciste de la fin des temps. De nombreuses personnes non-croyantes ont désormais adopté la vision d’un avenir qui se déroule de manière à peu près identique : un monde qui s’effondre sous son propre poids, où une poignée d’élus survit puis prospère dans diverses arches, bunkers et « communautés libres » fermées. Dans leur article de 2019 intitulé « Left Behind : Future Fetishists, Prepping and the Abandonment of Earth », les spécialistes des sciences de la communication Sarah T. Roberts et Mél Hogan décrivaient l’attirance pour un Enlèvement séculier : « Dans l’imaginaire accélérationniste, l’avenir ne se définit pas par la réduction des risques, les limites ou la réparation ; il s’agit au contraire d’une politique qui nous mène tout droit vers un affrontement final ».

Elon Musk, dont la fortune s’est considérablement accrue aux côtés de Thiel à PayPal, incarne cet ethos de l’implosion. Nous avons affaire à quelqu’un qui, lorsqu’il regarde les merveilles du ciel étoilé, n’y décèle que des opportunités de remplir ce monde inconnu avec ses propres poubelles spatiales. Bien qu’il ait redoré sa réputation en alertant sur les dangers de la crise climatique et de l’intelligence artificielle, lui et ses sbires du soi-disant « Département de l’efficacité gouvernementale » (DOGE), passent dorénavant leur temps à aggraver ces mêmes risques (et de nombreux autres) en sapant toutes les réglementations environnementales et en taillant dans l’ensemble des agences de régulation dans le but apparent de remplacer les fonctionnaires fédéraux par des chatbots.

Qui a besoin d’un État-nation opérationnel quand l’espace – apparemment l’obsession première d’Elon Musk – nous appelle ? Mars est devenu son arche laïque, qu’il estime être essentielle pour la survie de la civilisation humaine, par exemple grâce au transfert de la conscience vers une intelligence artificielle globale. Kim Stanley Robinson, l’auteur de la série de science-fiction La Trilogie de Mars, qui aurait pour partie inspiré Musk, ne mâche pas ses mots quant aux dangers des fantasmes du milliardaire sur la colonisation de Mars. Il s’agit, dit-il, « tout simplement d’un danger moral qui crée l’illusion que nous pouvons détruire la Terre mais nous en sortir quand-même. C’est totalement faux. »

À l’instar des croyants millénaristes qui espèrent échapper au monde physique, l’ambition de Musk de faire advenir une humanité « multiplanétaire » n’est possible qu’en raison de son incapacité à apprécier la splendeur multispécifique de notre unique maison. À l’évidence indifférent aux extraordinaires richesses qui l’entourent, ainsi qu’à la préservation d’une Terre bouillonnante de diversité, il utilise son immense fortune pour construire un futur dans lequel une poignée d’humains et de robots survivraient péniblement sur deux planètes arides – la Terre radicalement appauvrie et Mars terraformée. De fait, dans un étrange détournement du message de l’Ancien Testament, Musk et ses copains milliardaires de la tech, dotés de pouvoirs quasi divins, ne se contentent pas de construire les arches. Ils font à l’évidence de leur mieux pour provoquer le déluge. Les leaders de la droite contemporaine et leurs riches alliés ne se contentent pas de tirer profit des catastrophes, dans la lignée de la stratégie du choc et du capitalisme du désastre. Ils les provoquent et les planifient d’un même mouvement.

Qu’en est-il néanmoins de la base électorale du mouvement trumpiste MAGA ? Ils et elles ne sont pas tous-tes suffisamment croyant-es pour être honnêtement convaincu·es par l’idée de l’Enlèvement, et n’ont pour l’essentiel évidemment pas les moyens de s’offrir une place dans l’une des « villes libres », encore moins dans une fusée. Pas d’inquiétude ! Le fascisme de la fin des temps offre la promesse de nombreuses arches et de nombreux bunkers plus accessibles, largement à portée des petits soldats.

Écoutez le podcast quotidien de Steve Bannon – qui se présente comme le média privilégié du MAGA – et vous serez gavé·e d’un unique message : le monde devient un enfer, les infidèles détruisent les barricades et l’affrontement final approche. Soyez prêts. Le message prepper/survivaliste devient particulièrement explicite lorsque Bannon se met à faire la pub des produits de ses partenaires. Achetez du Birch Gold, dit Bannon à son auditoire, car l’économie américaine, surendettée, va s’effondrer et que vous ne pouvez pas faire confiance aux banques. Faites le plein de plats préparés chez My Patriot Supply (« Mon Épicerie Patriote »). Ne manquez plus votre cible en vous entraînant à tirer chez vous, grâce à ce système de guidage laser. En cas de catastrophe, rappelle-t-il, la dernière chose que vous voulez est de dépendre du gouvernement – sous-entendu : surtout maintenant que les « DOGE boys » le démantèlent pour le vendre à la découpe.

Bien sûr, Bannon ne se contente pas d’inciter son public à construire ses propres bunkers. Il défend en même temps une vision des États-Unis comme un bunker à part entière, dans lequel les agents de l’ICE [Immigration and Customs Enforcement] rôdent en ville, dans les entreprises et sur les campus, faisant disparaître toute personne considérée comme ennemie de la politique et des intérêts états-uniens. La nation bunkerisée constitue le cœur du programme MAGA et du fascisme de la fin des temps. Dans cette logique, la première chose à faire est de renforcer les frontières nationales et d’éliminer tous les ennemis, étrangers comme nationaux. Ce sale travail est désormais bien engagé, le gouvernement Trump ayant, avec l’aval de la Cour suprême, invoqué l’Alien Enemies Act pour expulser des centaines de migrants vénézuéliens vers Cecot, la tristement célèbre méga-prison située au Salvador. L’établissement, dans lequel les prisonniers sont rasés de près et où s’entassent jusqu’à 100 personnes dans une cellule remplie d’austères lits de camp, opère en vertu d’un « état d’exception » destructeur des libertés fondamentales, promulgué pour la première fois il y a plus de trois ans par Nayib Bukele (), le premier ministre chrétien sioniste fan de cryptomonnaies.

Bukele a proposé d’appliquer le même système de tarification à l’acte aux citoyens états-uniens que le gouvernement aimerait plonger dans un trou noir judiciaire. Interrogé à ce propos, Trump a récemment répondu : « J’adore ça ». Rien d’étonnant à cela : [la prison de haute sécurité] Cecot7 est le revers maléfique, mais évident, du fantasme de la « ville de la liberté » – un lieu où tout est à vendre et où aucune procédure régulière n’a droit de cité. Nous devrions nous préparer à un surcroît de sadisme de ce genre. Dans une déclaration terrifiante de franchise, le directeur par intérim de l’ICE, Todd Lyons, a déclaré lors de la Border Security Expo 2025 qu’il aimerait voir advenir une approche plus « marchande » de ces expulsions : « Comme Amazon Prime, mais avec des êtres humains ».

La surveillance policière des frontières de la nation bunkerisée est la fonction première du fascisme de la fin des temps. Mais la seconde n’est pas moins importante : le gouvernement états-unien doit s’accaparer toutes les ressources dont ses citoyens ainsi protégés pourraient avoir besoin pour faire face aux épreuves à venir. Il peut s’agir du canal de Panama. Ou les routes maritimes du Groenland, dont la banquise fond à toute vitesse. Ou les minerais essentiels de l’Ukraine. Ou l’eau douce du Canada. Nous ne devrions pas tant l’envisager comme une forme éculée d’impérialisme, que comme une méga-anticipation de type survivaliste (super-sized prepping) à l’échelle d’un État-nation. Oubliées les vieilles lubies coloniales consistant à apporter la démocratie ou la parole de Dieu – quand Trump observe le monde avec convoitise, il entend accumuler des réserves en vue de l’effondrement de la civilisation.

L’état d’esprit bunkerisé explique aussi les incursions controversées de J.D. Vance dans la théologie catholique. Le vice-président, dont la carrière politique doit beaucoup à la générosité du survivaliste en chef Peter Thiel, a raconté sur Fox News que, selon le concept chrétien médiéval de l’ordo amoris (qui se traduit à la fois par « ordre de l’amour » et « ordre de la charité »), l’amour n’est pas à ceux qui survivent à l’extérieur du bunker : « On aime sa famille, puis on aime son voisin, puis on aime sa communauté, puis les concitoyens de son propre pays. Et après cela, on peut se concentrer et donner la priorité au reste du monde. » (Ou pas, comme tend à le montrer la politique étrangère du gouvernement Trump.) Pour le dire autrement : en dehors du bunker, nous ne devons rien à qui que ce soit.

Bien que ce courant s’appuie sur des courants anciens de l’aile droite – justifier l’exclusion par la haine n’est pas vraiment nouveau sous le soleil ethno-nationaliste – nous n’avons encore jamais fait face à une tendance apocalyptique au plus haut d’un gouvernement. Les grands discours sur la « fin de l’histoire » de l’après guerre froide sont rapidement remplacés par la certitude que nous faisons vraiment face à la fin des temps. Même si le DOGE se drape d’un argument d’efficacité économique, et même si les sbires d’Elon Musk rappellent les jeunes « Chicago boys » formés aux États-Unis qui ont conçu la stratégie du choc pour la dictature d’Augusto Pinochet, il ne s’agit plus de la vieille alliance entre néolibéralisme et néoconservatisme. Il s’agit d’un nouveau fourre-tout millénariste vénérant l’argent, qui affirme qu’il faut détruire la bureaucratie et remplacer les humains par des robots afin de réduire « le gaspillage, la fraude et les abus » – et aussi parce que la fonction publique est le dernier refuge des démons qui résistent à Trump. C’est là que les « tech bros » fusionnent avec les « TheoBros », un véritable groupe de suprémacistes chrétiens hyper-patriarcaux ayant des liens avec Pete Hegseth et d’autres membres du gouvernement Trump.

Comme toujours avec le fascisme, le fantasme apocalyptique contemporain transcende les clivages de classe, et unit les milliardaires à la base MAGA. Grâce à des décennies de tensions économiques croissantes renforcées par les discours bien orchestrés opposant les travailleurs entre eux, nombreux sont ceux qui ressentent, à juste titre, qu’ils n’ont plus les moyens de se protéger contre la désintégration qui les entoure – peu importe le nombre de repas préparés qu’ils stockent. Mais on leur offre des compensations affectives : ils peuvent ainsi se réjouir de la fin des politiques dites DEI (diversité, équité et inclusion) en soutien à l’égalité des chances, s’enflammer pour les expulsions de masse, saluer le refus de soins d’affirmation de genre, conspuer les enseignant·es et les soignant·es qui prétendent en savoir plus qu’eux ou applaudir la déréglementation économique et écologique comme une manière de prendre une revanche sur les gauchistes [the libs, littéralement « les libéraux »]. Le fascisme de la fin du monde est un fatalisme sinistrement festif — le dernier refuge de ceux qui préfèrent célébrer la destruction plutôt qu’imaginer un monde sans suprématie.

C’est aussi une spirale infernale qui s’auto-entretient : les attaques féroces de Trump contre chacune des structures censées protéger le public – des maladies, des aliments néfastes ou des catastrophes – ou même simplement l’alerter lorsqu’un danger approche, ne font que renforcer la légitimité du survivalisme, aussi bien chez les élites que parmi les classes populaires, tout en ouvrant de multiples nouvelles opportunités de privatisation et de profits pour les oligarques qui alimentent et propagent le démantèlement de l’État social et régulateur.

Au début du premier mandat de Trump, The New Yorker enquêtait sur un phénomène qu’il qualifiait de « survivalisme apocalyptique pour ultra-riches ». Il était déjà clair à l’époque que, dans la Silicon Valley et à Wall Street, les survivalistes les plus sérieux parmi l’élite se préparaient aux bouleversements climatiques et à l’effondrement social en achetant de l’espace dans des bunkers souterrains sur mesure, ou en construisant des résidences de secours en altitude, dans des lieux comme Hawaï (où Mark Zuckerberg présente son abri souterrain de 1500 m2 comme un simple « petit refuge ») ou en Nouvelle-Zélande (où Peter Thiel a acquis près de 200 hectares, mais a vu son projet de complexe survivaliste de luxe rejeté en 2022 par les autorités locales, car trop disgracieux).

Ce millénarisme s’entremêle à un ensemble d’obsessions intellectuelles propres à la Silicon Valley, nourries par une vision eschatologique selon laquelle notre planète fonce droit vers un cataclysme, et qu’il serait donc temps de faire des choix difficiles quant aux parties de l’humanité qui pourront être sauvées. Le transhumanisme est l’une de ces idéologies, qui englobe aussi bien de petites « améliorations » humain-machine que la quête du transfert de l’intelligence humaine dans une intelligence artificielle générale chimérique. On y trouve aussi l’« altruisme efficace » et le « long-termisme », deux courants qui ignorent les politiques de redistribution pour venir en aide aux plus démunis ici et maintenant pour leur substituer une approche coûts-bénéfices visant à faire le « bien » à très long terme.

Bien qu’elles semblent de prime abord anodines, ces idées sont irrémédiablement imprégnées d’inquiétants biais raciaux, validistes et sexistes quant aux parties de l’humanité qui mériteraient d’être améliorées et sauvées, et celles qui pourraient au contraire être sacrifiées au nom d’un prétendu bien commun. Elles ont également en commun un désintérêt marqué pour la nécessité urgente de s’attaquer aux causes profondes de l’effondrement – un objectif pourtant responsable et rationnel, que nombre de personnalités influentes rejettent désormais ouvertement. À la place de l’« altruisme efficace », Marc Andreessen, un habitué de Mar-a-Lago, et d’autres, prônent désormais « l’accélérationnisme efficace » soit « la propulsion délibérée du développement technologique » sans aucun garde-fou.

En attendant, des philosophies encore plus sombres trouvent un écho grandissant. Parmi celles-ci, les élucubrations néoréactionnaires et monarchistes du programmeur Curtis Yarvin (une autre référence intellectuelle majeure pour Peter Thiel), l’obsession du mouvement pro-nataliste pour l’augmentation drastique du nombre de bébés « occidentaux » (une des marottes d’Elon Musk), ou encore la vision du « gourou de l’exit » Balaji Srinivasan : un San Francisco techno-sioniste, où les entreprises et la police s’allieraient pour épurer politiquement la ville de ses libéraux et faire place à un État d’apartheid en réseau.

Comme l’ont écrit les spécialistes de l’Intelligence Artificielle Timnit Gebru et Émile P. Torres, bien que les méthodes soient nouvelles, ce « paquet » de lubies idéologiques « descend directement de la première vague de l’eugénisme », qui voyait déjà une élite restreinte décider de quelles parties de l’humanité méritaient d’être préservées, et lesquelles devaient être éliminées, écartées ou abandonnées. Jusqu’à récemment, peu de gens y prêtaient attention. À l’image de Próspera – où l’on peut déjà expérimenter des fusions humain-machine, comme implanter la clé de sa Tesla dans sa main – ces courants de pensée semblaient n’être que les lubies marginales de quelques dilettantes fortunés de la baie de San Francisco prompts à brûler leur argent et leur sagesse. Ce n’est plus le cas.

Trois changements matériels sont venus renforcer l’attraction apocalyptique du fascisme de fin des temps. Le premier est la crise climatique. Si certaines personnalités en vue persistent à nier ou minimiser la menace, les élites mondiales, dont les propriétés en bord de mer et les centres de données sont directement menacés par la montée des eaux et la hausse des températures, connaissent parfaitement les risques en cascade d’un monde en surchauffe. Le second est le Covid19. Les modèles épidémiologiques prédisaient depuis longtemps la possibilité d’un choc sanitaire planétaire dévastateur dans notre monde en réseau. Son avènement a été interprété par de nombreux puissants comme un signal : nous sommes officiellement entrés dans « l’Ère des Conséquences », pour reprendre la terminologie des analystes militaires états-uniens. Le temps des prédictions est derrière nous : l’effondrement est en cours. Le troisième changement est le développement fulgurant de l’intelligence artificielle. L’IA a longtemps été associée à des cauchemars de science-fiction et de machines qui se retournent contre leurs créateurs avec une efficacité brutale — des peurs qu’expriment, non sans ironie, ceux-là mêmes qui conçoivent ces outils. Ces crises existentielles se superposent aux tensions croissantes entre puissances nucléaires.

Rien de cela ne peut être relégué au rang d’un délire paranoïaque. Nous sommes nombreux·ses à ressentir au plus profond de nous l’imminence de l’effondrement avec une telle acuité que nous faisons face en nous plongeant dans des histoires de bunkers post-apocalyptiques, via des séries telles que Silo sur Apple TV ou Paradise sur Hulu. Comme le rappelle l’analyste et éditorialiste britannique Richard Seymour dans son dernier ouvrage, Disaster Nationalism : « L’apocalypse n’a rien d’une simple fantaisie. Après tout, nous vivons déjà dedans, entre les virus meurtriers et l’érosion des sols, la crise économique et le chaos géopolitique. »

Le projet économique de Trump 2.0 est un monstre à la Frankenstein, assemblé à partir des industries qui alimentent toutes ces menaces : les combustibles fossiles, l’armement, les cryptomonnaies et l’intelligence artificielle insatiables en ressources énergétiques. L’ensemble des acteurs de ces secteurs savent pertinemment qu’il est impossible de construire le monde-miroir artificiel promis par l’IA sans sacrifier le monde réel : ces technologies consomment bien trop d’énergie, trop de minéraux critiques et trop d’eau pour pouvoir coexister avec la planète dans un équilibre un tant soit peu viable. En avril dernier, l’ancien dirigeant de Google, Eric Schmidt, a reconnu devant le Congrès que les besoins énergétiques « considérables » de l’IA devraient tripler dans les prochaines années et qu’ils seraient majoritairement comblés par les énergies fossiles, le nucléaire ne pouvant être déployé assez rapidement. Ce niveau de consommation, qui revient à incinérer la planète, serait à ses yeux indispensable pour permettre l’émergence d’une intelligence « supérieure » à l’humanité — une divinité numérique surgissant des cendres d’un monde abandonné.

Et ils sont inquiets — mais pas des menaces qu’ils déchaînent. Ce qui empêche les dirigeants de ces industries imbriquées les unes aux autres de dormir, c’est la possibilité d’un sursaut civilisationnel, c’est-à-dire la possibilité que les efforts coordonnés des gouvernements parviennent enfin à freiner leurs activités prédatrices avant qu’il ne soit trop tard. Car pour eux, l’apocalypse ce n’est pas l’effondrement : c’est la régulation.

Le fait que leurs profits reposent sur la destruction de la planète permet de comprendre pourquoi les discours bienveillants sont en reflux dans les sphères du pouvoir, au profit d’un mépris de plus en plus assumé pour l’idée même que nous sommes liés par des liens réciproques pour la simple raison que nous partageons une humanité commune. La Silicon Valley en a fini avec l’altruisme, qu’il soit « efficace » ou non. Mark Zuckerberg rêve d’une culture qui valorise « l’agressivité ». Alex Karp, un associé de Peter Thiel à la tête de la société de surveillance Palantir Technologies, fustige l’« auto-flagellation perdante » de ceux et celles qui remettent en question la supériorité américaine ou les mérites des armes autonomes (et donc les juteux contrats militaires qui ont fait sa fortune). Elon Musk explique à Joe Rogan que l’empathie est « la faiblesse fondamentale de la civilisation occidentale » ; et, après avoir échoué à acheter une élection pour la Cour suprême du Wisconsin, râle au motif qu’« il devient de plus en plus évident que l’humanité n’est qu’un support biologique (biological bootloader) pour la super-intelligence numérique. » Autrement dit, nous, humains, ne sommes rien de plus que du grain à moudre pour Grok, son IA. (Il nous avait prévenus : il est « dark Maga ». Et il est loin d’être le seul.)

Dans une Espagne asséchée, accablée par le stress climatique, un des collectifs appelant à un moratoire sur les nouveaux data-centrer de données est baptisé Tu Nube Seca Mi Río – en français : « ton nuage assèche mon fleuve ». Ce constat ne vaut pas que pour l’Espagne.

Un choix indicible et sinistre est en train d’être fait sous nos yeux et sans notre consentement : les machines plutôt que les humains, l’inanimé plutôt que le vivant, le profit avant tout le reste. Les mégalomanes de la tech ont discrètement renié leurs engagements vers la neutralité carbone à une vitesse effarante, pour se ranger derrière Trump, prêts à sacrifier les ressources et la créativité réelles et précieuses de ce monde sur l’autel d’un royaume virtuel et vorace. C’est le dernier grand pillage — et ils se préparent à affronter les tempêtes qu’ils convoquent eux-mêmes. Et ils tenteront de calomnier et de détruire quiconque se mettra en travers de leur route.

La récente tournée européenne de J.D. Vance en est un bon exemple : le vice-président a tancé les dirigeants mondiaux pour leur prétendue « inquiétude excessive » face aux dangers de l’IA destructrice d’emplois, tout en demandant que les discours néonazis et fascistes ne soient plus censurés sur Internet. Il a tenté une remarque censément drôle – mais qui a laissé le public de marbre : « la démocratie américaine a survécu à dix ans de remontrances de Greta Thunberg, vous pouvez donc bien supporter Elon Musk quelques mois. »

Son propos rappelle ceux de son mécène tout aussi dénué d’humour, Peter Thiel. Dans des entretiens récents portant sur les fondements théologiques de son idéologie d’extrême droite, le milliardaire chrétien a comparé à plusieurs reprises la jeune et infatigable militante climatique à l’Antéchrist — qui, selon lui, était présenté par la prophétie comme portant un message trompeur de « paix et de sécurité ». « Si Greta réussit à convaincre tout le monde sur Terre de faire du vélo, c’est peut-être une solution au changement climatique, mais cela revient à passer de la peste au choléra8 », a-t-il déclaré avec gravité.

Pourquoi Greta ? Pourquoi maintenant ? La peur apocalyptique de la régulation, qui viendrait affecter leurs super-profits, l’explique en partie. Pour Thiel, les politiques climatiques fondées sur la science, telles que Greta Thunberg et d’autres les réclament, ne pourraient être appliquées que par un « État totalitaire » — ce qui serait, à ses yeux, une menace bien plus grave que l’effondrement climatique (plus problématique encore, les impôts liés à de telles politiques seraient « très élevés »). Mais il y a peut-être autre chose qui les effraie chez Greta Thunberg : son engagement inébranlable envers cette planète, et envers toutes les formes de vie qui l’habitent — à l’opposé des simulations numériques générées par l’IA, des hiérarchies entre les vies dignes ou non de survivre, ou encore des fantasmes d’évasion extra-planétaire que nous vendent les fascistes de la fin des temps.

Elle (Greta Thunberg) est déterminée à rester, tandis que les fascistes de la fin du monde l’ont déjà quittée, au moins dans leur tête — reclus dans des abris opulents, transcendés dans l’éther numérique, ou en route pour Mars.

Peu de temps après la réélection de Trump, l’une d’entre nous a eu l’opportunité d’interviewer Anohni, l’une des rares artistes qui cherche à déployer une pratique artistique autour de cette pulsion de mort qui caractérise notre époque. Interrogée sur ce qui, selon elle, relie la volonté des puissants de laisser la planète brûler à leur obsession de contrôler le corps des femmes et des personnes trans comme elle, elle a fait référence à son éducation catholique irlandaise : « C’est un mythe très ancien que nous sommes en train de jouer et d’incarner. C’est l’accomplissement de leur Enlèvement. C’est leur fuite hors du cycle voluptueux de la création. C’est leur fuite loin de la Mère. »

Comment sortir de cette fièvre apocalyptique ? Commençons par nous entraider mutuellement pour affronter la profonde perversité que porte l’extrême droite dans chacun de nos pays. Pour avancer efficacement, nous devons comprendre une chose essentielle : nous faisons face à une idéologie qui a abandonné l’idéal et les promesses de la démocratie libérale ainsi que la possibilité même de rendre ce monde vivable – une idéologie qui a abandonné la beauté du monde, ses peuples, nos enfants, les autres espèces. Les forces que nous affrontons ont fait la paix avec les destructions de masse : elles trahissent ce monde et toutes les vies humaines et non humaines qu’il abrite.

Nous devons également opposer à leurs récits apocalyptiques une histoire bien plus forte sur la nécessité de survivre aux temps difficiles qui nous attendent, sans laisser personne de côté. Un récit capable de priver le fascisme de la fin des temps de son pouvoir horrible, et de mobiliser un mouvement prêt à tout risquer pour notre survie collective. Un récit non pas de fin, mais de renouveau ; non pas de séparation ni de suprématie, mais d’interdépendance et d’appartenance ; non pas de fuite, mais d’enracinement et de fidélité à cette réalité terrestre troublée dans laquelle nous sommes pris et liés les un·es aux autres.

Ce sentiment assez simple n’a en soi rien de nouveau. Il est au cœur des cosmologies autochtones et constitue l’essence même de l’animisme. Si l’on remonte suffisamment loin dans le temps, chaque culture et chaque foi possède sa propre tradition de respect envers le caractère sacré de l’ici, sans quête illusoire d’une terre promise toujours lointaine et inaccessible. En Europe de l’Est, avant les anéantissements fascistes et staliniens, le Bund, mouvement socialiste juif, s’organisait autour du concept yiddish de Doikayt [« hereness », que l’on peut traduire en français par « diasporisme » ou encore « la pertinence d’être là où l’on est »]. L’artiste et autrice Molly Crabapple, qui lui consacre un livre à paraître, définit le Doikayt comme le droit de « lutter pour la liberté et la sécurité là où l’on vit, envers et contre tous ceux qui souhaitent notre disparition » — plutôt que d’être forcé à chercher refuge en Palestine ou aux États-Unis.

Peut-être est-il temps de réinventer une version universelle et moderne de cette idée : un engagement envers le droit à l’« ici » de cette planète malade, envers ces corps vulnérables, envers le droit de vivre dignement où que nous soyons, même lorsque les secousses inévitables nous obligent à bouger. Cette idée peut être fluide, affranchie du nationalisme, enracinée dans la solidarité, respectueuse des droits autochtones et libérée des frontières.

Ce futur impliquerait sa propre apocalypse, sa propre fin du monde et sa propre révélation — bien différente, toutefois. Car, comme l’a fait remarquer la chercheuse spécialiste de la police Robyn Maynard : « Pour rendre possible la survie planétaire sur Terre, certaines versions de ce monde doivent disparaître. »

Nous sommes arrivés à un moment clef : la question n’est plus de savoir si l’apocalypse aura lieu, mais quelle forme elle prendra. Les sœurs activistes Adrienne Maree et Autumn Brown l’expliquent dans un récent épisode de leur podcast au nom prophétique : « How to Survive the End of the World » (« Comment survivre à la fin du monde »). Alors que le fascisme de la fin des temps mène une guerre totale sur tous les fronts, de nouvelles alliances sont indispensables. Plutôt que de nous demander : « Partageons-nous tous et toutes la même vision du monde ? », Adrienne nous invite à poser une autre question : « Ton cœur bat-il, et as-tu l’intention de vivre ? Alors viens, et nous réglerons le reste ensemble, de l’autre côté. »

Pour avoir la moindre chance de tenir tête aux fascistes de l’apocalypse — avec leurs cercles concentriques étouffants d’« amour ordonné » — nous devrons construire un mouvement indiscipliné animé par un amour fervent pour la Terre : fidèle à cette planète, à ses peuples, à ses créatures, et à la possibilité d’un avenir vivable pour toutes et tous. Fidèle à l’ici. Ou, pour reprendre les mots d’Anohni, cette fois en parlant de la déesse en laquelle elle place désormais sa foi : « T’es-tu demandé un instant si ce n’était pas là sa meilleure idée ? »


Notes

  1. Cités-États privées traduit « corporate city states » dans la version originale. Les autrices parlent ensuite de « freedom cities », traduit ici par « villes libres ». Toutes les notes sont du traducteur.[]
  2. Próspera est une enclave libertarienne privée, située au nord du Honduras sur l’île de Roatan.[]
  3. « Body upgrade » en anglais, qui emprunte au champ lexical des logiciels (« mise à jour corporelle »).[]
  4. Pour rappel, l’article original a été publié le 13 avril 2025.[]
  5. Île de Papouasie Nouvelle-Guinée sur laquelle l’Australie avait installé un camp de réfugiés.[]
  6. Il s’agit du programme préparé par la Heritage Foundation pour préparer l’élection de Donald Trump et s’assurer que son second mandat permettre de durablement transformer l’administration et la société étatsuniennes.[]
  7. Pour Centro de Confinamiento del Terrorismo, « centre de confinement du terrorisme ».[]
  8. L’expression originale est « out of the frying pan into the fire », soit passer d’une situation horrible à une situation pire encore.[]

pour voyager dans le texte

Climat : l’heure est grave

James Hansen

L’heure est grave : un des plus grands climatologues du monde, le docteur James Hansen, lance un cri d’alarme.

reprise d’un post paru sur le profil Facebook de Jean-Marc Jancovici rédigé par Adrien Couzinier


Texte original : A Formula to Keep the Science Flame Burning

8 juillet 2025, James Hansen

Les scientifiques qui voient et comprennent la menace doivent s’exprimer

Sensibilité climatique

Les trois méthodes d’analyse – paléoclimat, observations satellites et modélisation climatique – indiquent une sensibilité climatique nettement plus élevée que la meilleure estimation du GIEC de 3 degrés Celsius ; notre meilleure estimation est de 4,5 degrés Celsius.

Remarque : 4,5 °C se situe dans la plage très probable définie par le GIEC. « Sur la base de multiples sources de preuve, la plage très probable de la sensibilité climatique à l’équilibre est comprise entre 2 °C et 5 °C » (GIEC AR6 WG1 SPM A.4.4).

Inaction gouvernementale

Mes interactions avec le gouvernement révèlent des décennies d’échec pour prendre des mesures sensées, peu coûteuses, et efficaces pour répondre aux besoins énergétiques et au changement climatique. Le problème vient des intérêts financiers particuliers, notamment l’industrie des combustibles fossiles et le complexe militaro-industriel, qui influencent les politiques.

Militarisme

Le militarisme tend à créer des ennemis permanents et empêche la coopération mondiale nécessaire pour faire face au changement climatique.

La science elle-même est menacée aujourd’hui, d’une manière que je pensais désormais impossible : la tentative du président Trump de fermer les laboratoires climatiques et d’arrêter la collecte des données climatiques constitue une nouvelle menace qui mérite une attention particulière.

Les scientifiques qui voient et comprennent la menace doivent s’exprimer.

Expliquer ce cri d’alarme est simple : dépasser les +1,5°C va créer beaucoup, beaucoup de malheurs et monter au-delà va les augmenter pour chaque dixième de degré en +.

Avec une sensibilité climatique + élevée, ce franchissement de niveau de malheur supplémentaire va se faire assez rapidement.

De plus, il est très peu probable que nous puissions revenir en arrière. Cet état délabré risque donc de durer des siècles : nous devons l’éviter à tout prix.

(Extraits : par adrien Couzinier)


L’article original


Références


Le GIEC est-il trop optimiste ?

Reprise d’un post LinkedIn d’Hélène Grosbois – titre obsant

Comment expliquer que les scénarios du GIEC soient si en retard et si en dessous de la réalité ?

Hélène Grosbois

Les modèles climatiques utilisés par le GIEC, même les plus avancés tels CMIP6, intègrent les puits de carbone, mais le font de manière très incomplète et largement idéalisée.

Ces modèles incluent des composantes biogéochimiques du sol et océaniques qui simulent le cycle du carbone dans les océans à travers des processus tels que la photosynthèse du phytoplancton, la respiration, la reminéralisation, la sédimentation, et la circulation océanique profonde.

Cependant, ils s’appuient le plus souvent sur des paramètres calibrés à partir de moyennes historiques, en supposant une stabilité fonctionnelle du plancton océanique et de ses capacités de fixation du carbone. Ce qui est malheureusement faux.

Depuis plus d’un demi-siècle, des recherches scientifiques ont pourtant démontré un déclin massif et continu de la biomasse du sol et phytoplanctonique mondiale, avec une perte estimée en moyenne à 1% par an depuis les années 1950, comme l’a démontré l’étude de Boyce et al. publiée dans Nature en 2010, soit 70% en 70 ans, rien d’étonnant puisque ces ordres de grandeurs sont observés aussi sur la terre ferme pour les vertébrés et les invertébrés.

Ce déclin en lien avec les pesticides (*) est pourtant parfaitement connu et documenté depuis les années 70 (et avant en réalité). Les poisons toxiques que sont les pesticides, atteignent les milieux marins par ruissellement, transport atmosphérique, et affectent non seulement le Vivant qui fait du sol un puit de carbone, mais aussi la productivité du phytoplancton, et également la biodiversité et la dynamique du zooplancton qui en dépend autrement dit, pratiquement l’intégralité de la vie océanique.

Malgré la connaissance de ces effets dans certains rapports du GIEC, notamment le Rapport spécial sur l’océan et la cryosphère (SROCC, 2019), la dégradation continue de la pompe biologique à carbone n’est pas intégrée quantitativement dans les modèles climatiques globaux.

Autrement dit, les simulations utilisées pour établir les trajectoires climatiques futures reposent implicitement sur l’hypothèse que le puits océanique fonctionnera de manière relativement stable à moyen et long terme. Il n’existe à ce jour, dans les modèles de scénarisation du GIEC, aucun couplage dynamique explicite entre l’usage global des pesticides et la dégradation progressive du réseau trophique planctonique et du sol. Cela conduit à une surestimation de la capacité d’absorption des sols et des océans en CO₂ anthropique, et donc à une sous-estimation du réchauffement et/ou des risques de rétroactions.

Ainsi, l’extermination globale de la biodiversité et de ses puits de carbone associés par les pesticides n’est pas prise en compte.
Parce que, dois-je le préciser, exterminer le Vivant, c’est exterminer le climat.

Tout comme le Vivant est malade, nous sommes malades et les puits de carbone aussi sont malades, empoisonnés par les pesticides.




Climat : croire au miracle ne suffit pas

Le non-dépassement de 1,5 degré de réchauffement climatique global a toujours été une chimère

Paul Blume

Paris, décembre 2015 : objectif 2°C max. ! i

Lors de la COP21ii à Paris en décembre 2015, le Président français François Hollande, le ministre des affaires étrangères français Laurent Fabius (Président de la COP) et le secrétaire général des Nations-Unies Ban Ki-moon placent la barre de l’objectif de la conférence très haut. Il s’agit d’obtenir un accord autour d’un réchauffement contenu à + 2° maximum. Si possible à + 1,5° iii.

Le succès politique et diplomatique est sans égaliv. L’accordv sera signé.

Voici ce qu’en dit le regretté Hubert Reevesvi en 2016 :

«C’est un succès politique. Quand on sait la difficulté à se mettre d’accord dès que les participants à une discussion deviennent de plus en plus nombreux, c’est un véritable exploit que d’avoir réussi à obtenir un accord, le samedi 12 décembre 2015, des 195 États participant à la conférence. C’est donc une date historique. À la fois, contenir le réchauffement global de la planète sous le seuil de 2 °C, et surtout le maintenir à 1,5 °C, c’est un accord jugé ambitieux, et c’est un objectif irréaliste. Aucune mesure contraignante n’étant décidée, cet objectif ne pourrait être atteint que par miracle. Chacun sait que les miracles sont rarissimes. Donc croire au miracle ne suffira pas : il faudra, il faut agir.»vii

Tout est dit.

L’accord est très ambitieux. A la hauteur des enjeux. Mais l’objectif est irréaliste, dès le départ.

Dans un communiqué de l’AFP repris par la RTBF en 2016viii , on peut lire :

« La mention du 1,5°C dans l’accord a été un combat des pays les plus exposés au changement climatique, mais beaucoup d’experts doutent de sa faisabilité. »

Et aussi :

« L’accord ne comprend pas d’objectif contraignant décliné par pays, … Chaque pays s’est fixé ses propres objectifs de réduction des émissions pour 2025 ou 2030.».

« La réalisation de ces plans d’actions nationaux éviterait les catastrophiques +4/5°C prévisibles en l’absence de politiques climatiques, mais met encore la planète sur une trajectoire toujours extrêmement dangereuse de +3°C. »

« Dans l’accord, la première révision obligatoire est prévue en 2025, une date bien trop tardive pour respecter le 2°C. » (sic)

10 ans plus tard, la messe est dite.

La « première révision obligatoire » est sans appel. Après compilation des données les plus récentes, un groupe d’une soixantaine de scientifiques publie une mise à jour d’indicateurs clés du système climatiqueix.

Voici ce qu’en dit Valérie Masson-Delmottex, l’une des participantes à ces travaux :

« Le budget carbone résiduel pour limiter le réchauffement à 1,5°C avec 50% de chance s’épuise rapidement (…) et correspond à environ 3 ans d’émissions de CO2 au niveau actuel (130 Gt). C’est un rappel à la réalité des faits : les efforts engagés depuis l’Accord de Paris (il y a 10 ans) n’ont pas été suffisants pour limiter le réchauffement à 1,5°C. » xi

Si ce constat met fin à l’objectif de rester sous les 1,5° de réchauffement, il reste intéressant de se souvenir que sa faisabilité n’était pas consensuelle.

Dix années d’alertes

Et cela dès 2015xii.

Sylvestre Huetxiii écrit dans Le Monde à propos de ce qu’il appelle l’ouverture [politique] aux pays vulnérables :

« C’est probablement une erreur. Parce qu’elle ne s’appuie pas sur une analyse scientifique et débouche, pour cette raison, sur une impasse. Il n’y a rien de pire qu’un objectif chiffré et précis, mais inatteignable, dans un combat de long terme. A ne pas confondre avec une utopie mobilisatrice. Or, ce que disent les scientifiques, comme le climatologue Jean-Louis Dufresne du Laboratoire de météorologie dynamique (Institut Pierre Simon Laplace), c’est que les 1,5°C sont déjà dans l’atmosphère ».

Et de continuer par :

« Même un hara-kiri général ne permet pas de respecter 1,5°C… ».

« …, même si, hypothèse d’école, totalement farfelue et irréaliste, les hommes cessaient demain matin d’émettre tout gaz à effet de serre – pour cela il faudrait que nous passions tous de vie à trépas sans délai – la température de la planète continuerait de s’élever de quelques trois dixièmes de degré. »xiv.

2018Parution du rapport GIEC sur les impacts et les trajectoiresxv

La parution en 2018 du rapport du GIEC sur les effets d’un réchauffement de 1,5 °C des températures mondiales [re] montre la taille des enjeuxxvi et déjà premiers les manquements aux engagementsxvii tombent.

Pour certains « Il est encore possible de faire le nécessaire pour rester en dessous, ou en tout cas de le dépasser à peine puis d’y revenir »xviii, d’autres évoquent « l’illusion démobilisatrice du scénario à 1,5°C »xix.

En 2020, cinq années à peine après les accords de Paris, émane du monde académique une inquiétude fondamentale avec une lettre publique explicite :

« Seule une discussion sur l’effondrement permettra de s’y préparer »xx.

« En tant que scientifiques et universitaires du monde entier, nous appelons les décideurs politiques à s’engager ouvertement face au risque de perturbation, voire d’effondrement, de nos sociétés. Cinq ans après l’accord de Paris sur le climat, nous n’avons pas réussi à réduire nos émissions de carbone, et nous devons maintenant en tirer les conséquences. »

Toujours en 2020, la baisse des activités humaines liée au Covid19 entraîne réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) qui ne durera pas.

« Ça y est, le monde est de retour à l’avant-Covid-19 pour les émissions de GES »xxi écrit Yohan Demeure au début de l’année suivante.

En 2021, des scientifiques de renom mettent en garde contre « l’effroyable avenir au niveau de l’extinction de masse » et le dérèglement climatiquexxii.

Et d’affirmer :

« que le monde ne saisit pas l’ampleur des menaces que constituent la perte de biodiversité et la crise climatique. La planète est confrontée à un « avenir épouvantable d’extinction de masse, de déclin sanitaire et de bouleversements climatiques », qui menacent la survie de l’humanité en raison de l’ignorance et de l’inaction… ».

« les gens n’ont toujours pas saisi l’urgence des crises de la biodiversité et du climat. »

Le 1er août 2022, dans une revue scientifique américainexxiii un collectif des climatologues réputés affirme :

« …il existe de nombreuses raisons de penser que le changement climatique pourrait entraîner une catastrophe mondiale. L’analyse des mécanismes à l’origine de ces conséquences extrêmes pourrait contribuer à galvaniser l’action, à améliorer la résilience et à informer les politiques, y compris les réponses d’urgence. »xxiv.

Toujours en 2022, des chercheurs identifient « 425 « bombes carbone » qui pourraient réduire à néant la lutte contre le dérèglement climatique »xxv. Selon ces travauxxxvi, ces projets, s’ils étaient menés à terme, pourraient à eux seuls dépenser le budget carbone déterminé à la conférence de Paris.

En 2023, James Hansenxxvii, figure emblématique de la recherche sur le climat aux États-Unis, prévient déjà du dépassement inévitable des 1,5° degrèsxxviii.

Ce qu’évoque également Xavier Fettweisxxix :

« Pour la première fois depuis l’ère préindustrielle (1850-1900), le fameux seuil de +1.5°C a été atteint ou presque (+1.48°C signalé par Copernicus (*) à l’échelle globale pulvérisant le précédent record (2017) de +0.17°C. Depuis juillet 2023, c’est en fait tous les jours ou presque que la température bat les précédents records journaliers avec des anomalies à l’échelle globale atteignant parfois les +2°C ces derniers mois. »xxx.

La dichotomie entre les discours volontaristes (on y arrivera) et réalistes (on n’en fait pas assez) continuera et prendra une tournure politique en 2023 en France avec le plan d’adaptation à un réchauffement de 4° à la fin du siècle.

Sur le blog du think tank « Terra Nova », Marine Braudxxxi questionne :

« Adapter la France à +4°C : lubie politique ou nécessité fondée sur la science ? ».

Et d’évoquer les réactions :

« Scandale chez certains dans l’opposition qui reprochent au ministre d’abandonner l’atténuation, incompréhension chez quelques partenaires internationaux qui s’interrogent sur ce que cela signifie des ambitions de la France dans la baisse des émissions de gaz à effet de serre, mais… large soutien de la sphère environnementale, des ONG aux scientifiques. Ils considèrent en effet que la responsabilité du Gouvernement est bien de regarder en face la réalité du changement climatique et de préparer le pays à affronter ses conséquences, tout en faisant tout pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et limiter ainsi le réchauffement que nous aurons à subir. »xxxii.

Mais, que pense la communauté scientifique de l’avenir climatique? C’est la question que The Guardianxxxiii a posé à 380 climatologues de renom.

« Terrifiés mais déterminés à continuer à se battre »xxxiv écrit Damian Carrington en mai 2024.

Toujours sous la plume de Damian Carrington dans The Guardianxxxv des experts affirment « … que de nombreux signes vitaux de la Terre ont atteint des records extrêmes […] l’avenir de l’humanité est en jeu ! »xxxvi.

Avons-nous atteint « Le Point de Non-Retour » ? C’est la question que pose Bill McGuirexxxvii dans un article intitulé : « À quel point le Monde est-il proche d’un changement climatique irréversible ? »xxxviii.

On peut y lire : « Notre compréhension des points de basculement climatiques a considérablement évolué au cours des deux dernières décennies. Il y a vingt ans, ils n’étaient considérés comme des menaces sérieuses que si et quand un réchauffement global non atténué augmentait la température moyenne de la planète (par rapport à l’ère préindustrielle) de 4°C ou plus. Aujourd’hui, nous savons que des éléments essentiels du système climatique pourraient basculer à la suite d’une augmentation de la température mondiale d’un peu plus de 1°C… »

Chaque dixième de degré compte

Notre avenir climatique pourrait être comparé à une épreuve de saut en hauteur.

Quels que soient les efforts fournis, si la barre tombe, l’essai est recalé.

Mais, au lieu de descendre la barre pour le saut suivant, la hauteur de la barre (la taille de l’effort à réaliser) est relevée ! L’objectif suivant devient le dixième de degré supérieur.

Et plus le temps passe, plus la taille de l’effort augmente pour des résultats escomptés – en terme de viabilité planétaire – de moindre qualité.

Les « limites planétaires » sont biens réelles ! xxxix

2025, l’année Trump …

Sauf à vivre en dehors de toute information, il est difficile de ne pas se rendre compte que l’année a mal commencé.

Dès janvier « Donald Trump a amorcé … une marche arrière toute dans la lutte contre le changement climatique, mettant en péril les efforts mondiaux pour le freiner. »xl.

Parmi les mesures prises, celles qui s’attaquent directement à la science en général, à celle du climat en particulier.

« L’administration Trump supprime le soutien à la recherche scientifique aux États-Unis et à l’étranger qui contient un mot qu’elle trouve particulièrement gênant, à savoir « climat « », écrit Oliver Milman dans The Guardianxli dès le mois de février.

et de la désinformation

Et comme si l’ensemble du panorama n’était pas déjà fort sombre, il faut compter avec une désinformation de taille XXL. Contre laquelle « la résistance s’organise enfin », écrit Eva Morel fin mars : « Au Brésil, à quelques mois de la COP30, la naissance d’une coalition mondiale de lutte contre la désinformation climatique » xlii.

Non, croire au miracle ne suffira pas.

A l’évidence, les efforts à consentir pour limiter le réchauffement ne sont pas à l’agenda.

Une réelle limitation des activités économiques fortement génératrices de gaz à effet de serre ne fait partie d’aucun business plan, d’aucun programme politique.

L’assise électorale des causes environnementales s’est rétrécie.

L’émergence d’une conscience collective suffisamment large des enjeux se fait attendre.

SUV, voyages en avion, intelligence artificielle, … les consommations non-indispensables explosent.

En 2023, James Hansen, déclarait :

« Les vagues de chaleur record qui ont frappé les États-Unis, l’Europe, la Chine et d’autres pays ces dernières semaines ont renforcé « le sentiment de déception que nous, scientifiques, n’ayons pas communiqué plus clairement et que nous n’ayons pas élu des dirigeants capables d’une réponse plus intelligente ».

« Cela signifie que nous sommes de sacrés imbéciles », a déclaré M. Hansen à propos de la lenteur de la réponse de l’humanité à la crise climatique. « Nous devons y goûter pour y croire « .xliii

Difficile de lui donner tort.


i https://obsant.eu/entrees/20150922paris2degre.pdf

ii https://fr.wikipedia.org/wiki/Conf%C3%A9rence_de_Paris_de_2015_sur_les_changements_climatiques

iii https://www.lemonde.fr/planete/article/2015/06/05/rechauffement-le-seuil-limite-des-2-c-est-trop-eleve_4647811_3244.html

iv https://obsant.eu/entrees/20151214_2015tournant.pdf

v https://obsant.eu/entrees/20151212cop21accordasignerFR.pdf

vi https://obsant.eu/une-signature/?aut=Hubert%20Reeves

vii https://obsant.eu/entrees/20160513reeves.pdf

viii https://www.rtbf.be/article/climat-a-quoi-s-engagent-les-signataires-de-l-accord-de-paris-9447343

ix https://www.earth-system-science-data.net/about/news_and_press/2025-06-19_indicators-of-global-climate-change-2024-annual-update-of-key-indicators-of-the-state-of-the-climate-system-and-human-influence.html

x https://obsant.eu/valerie-masson-delmotte/

xi https://www.linkedin.com/posts/val%C3%A9rie-masson-delmotte-b03926206_bonjour-avec-60-scientifiques-de-54-institutions-ugcPost-7341428396897271809-qYrd/

xii https://obsant.eu/entrees/20131202cop21limiterhorsportee.pdf

xiii https://obsant.eu/sylvestre-huet/

xiv https://obsant.eu/entrees/20151204_cop21_2ou1_5.pdf

xv https://obsant.eu/entrees/20181024giec.pdf

xvi https://obsant.eu/entrees/20181008giec5.pdf

xvii https://obsant.eu/entrees/20181102europe.pdf

xviii https://obsant.eu/entrees/20181010giec6.pdf

xix https://obsant.eu/entrees/20181102giec.pdf

xx https://obsant.eu/blog/2020/12/08/seule-une-discussion-sur-leffondrement-permettra-de-sy-preparer/

xxi https://sciencepost.fr/ca-y-est-le-monde-est-de-retour-a-lavant-covid-19-pour-les-emissions-de-ges/

xxii https://obsant.eu/blog/2021/01/19/des-scientifiques-de-renom-mettent-en-garde/

xxiii https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2108146119

xxiv https://obsant.eu/blog/2022/08/03/climate-endgame/

xxv https://obsant.eu/entrees/20220515co2.pdf

xxvi https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0301421522001756?via%3Dihub

xxvii https://obsant.eu/james-hansen/

xxviii https://obsant.eu/blog/2024/01/12/le-rechauffement-de-la-planete-depassera-le-seuil-de-15c-cette-annee-selon-un-ancien-scientifique-de-la-nasa/

xxix https://obsant.eu/xavier-fettweis/

xxx https://obsant.eu/blog/2024/04/15/2023-records-climatiques/

xxxi https://tnova.fr/contributeurs/marine-braud/

xxxii https://tnova.fr/ecologie/climat/adapter-la-france-a-4-c-lubie-politique-ou-necessite-fondee-sur-la-science/

xxxiii https://www.theguardian.com/environment/ng-interactive/2024/may/08/hopeless-and-broken-why-the-worlds-top-climate-scientists-are-in-despair

xxxiv https://obsant.eu/blog/2024/05/14/terrifies-mais-determines/

xxxv https://www.theguardian.com/environment/2024/oct/08/earths-vital-signs-show-humanitys-future-in-balance-say-climate-experts

xxxvi https://obsant.eu/blog/2024/10/15/signes-vitaux/

xxxvii https://billmcguire.substack.com/p/the-point-of-no-return-how-close

xxxviii https://obsant.eu/blog/2024/10/25/le-point-de-non-retour/

xxxix https://sciencepost.fr/le-point-de-rupture-de-la-septieme-limite-planetaire-a-ete-frole/

xl https://www.connaissancedesenergies.org/afp/trump-annonce-une-marche-arriere-toute-sur-laction-climatique-250120-0

xli https://obsant.eu/blog/2025/02/26/trump-casse-le-climat/

xlii https://vert.eco/articles/au-bresil-a-quelques-mois-de-la-cop30-la-naissance-dune-coalition-mondiale-de-lutte-contre-la-desinformation-climatique

xliii https://obsant.eu/blog/2023/07/20/nous-sommes-des-imbeciles/



Guerre nucléaire versus réchauffement climatique

L’opinion de Mark Lynas – deepltraduction Josette – un article de Damien Gayle paru dans The Guardian

Pourquoi la guerre nucléaire, et non la crise climatique, est la plus grande menace qui pèse sur l’humanité, selon Mark Lynas

Mark Lynas a passé des décennies à faire pression pour que l’on agisse sur les émissions de gaz à effet de serre, mais il affirme aujourd’hui que la guerre nucléaire est une menace encore plus grande.

Damien Gayle

Le dérèglement climatique est généralement présenté comme la menace la plus importante et la plus urgente que l’homme fait peser sur l’avenir de la planète aujourd’hui.

Mais qu’en serait-il s’il existait une autre menace, plus grave, causée par l’homme et susceptible d’anéantir non seulement la civilisation humaine, mais aussi la quasi-totalité de la biosphère, en un clin d’œil ?

À l’heure où vous lisez ces lignes, environ 4 000 armes nucléaires sont prêtes à effectuer une première frappe dans l’hémisphère nord, soit une puissance de feu atomique suffisante pour tuer jusqu’à 700 millions de personnes rien qu’avec les explosions et les brûlures.

Et ce n’est qu’un début. Les explosions et les incendies – sans précédent sur Terre depuis la collision avec la comète qui a entraîné l’extinction massive du Crétacé – enverraient suffisamment de suie dans la stratosphère pour recouvrir le globe d’une ombre impénétrable. L’absence de lumière signifie l’absence de photosynthèse, qui est à la base des réseaux alimentaires planétaires. Sans chaleur, la surface de la Terre plongerait dans un hiver glacial qui durerait des années.

Tel est le message de Mark Lynas, un écrivain britannique qui, depuis vingt ans, s’efforce d’aider les gens à comprendre la science du dérèglement climatique tout en les incitant à prendre des mesures pour réduire les émissions de carbone. Mais après trois ans de recherche pour un nouveau livre, publié le mois dernier, il considère maintenant que la guerre nucléaire est une menace encore plus grande.

« Il n’existe aucune possibilité d’adaptation à la guerre nucléaire », a déclaré M. Lynas. « L’hiver nucléaire tuera la quasi-totalité de la population humaine. Il n’y a rien à faire pour s’y préparer et rien à faire pour s’adapter lorsqu’il survient, parce qu’il se produit en l’espace de quelques heures.

« Il s’agit d’un risque existentiel bien plus catastrophique que le changement climatique. »

M. Lynas a commencé à travailler sur la guerre nucléaire en 2022, peu après l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie. Comme beaucoup de personnes nées à l’époque de la guerre froide, il connaissait le concept de l’hiver nucléaire, c’est-à-dire l’impact environnemental probable d’un échange thermonucléaire mondial. Mais ce qui est ressorti de ses recherches est bien plus terrifiant.

Alors que le reste du monde oubliait progressivement la menace nucléaire, les chercheurs ont commencé à appliquer les nouveaux modèles de la science du climat – les mêmes que ceux utilisés pour prédire la menace croissante d’un dérèglement climatique – afin de comprendre ses implications dramatiques.

« L’incendie des villes est le mécanisme qui provoque l’hiver nucléaire », a déclaré M. Lynas. « La suie est transportée par des nuages pyrocumulonimbus – de gros nuages d’orage générés par les incendies – qui la pompent, comme une cheminée, dans la stratosphère.

« Une fois qu’elle a dépassé la tropopause, dans la stratosphère, il ne peut plus pleuvoir. Et comme elle est de couleur foncée, elle capte le soleil, se réchauffe et s’élève de plus en plus. Il fait probablement totalement noir à la surface pendant des semaines, voire des mois ».

La température descend rapidement en dessous du point de congélation. Et elle y reste pendant des années. « Il n’y aura plus jamais de récolte pour l’humanité. La nourriture ne poussera plus jamais. Le temps que le soleil réapparaisse et que les températures remontent, en l’espace d’une dizaine d’années, tout le monde sera mort. »

Quelle est la probabilité de ce scénario ? Personne ne serait assez fou que pour déclencher une guerre nucléaire ? En fait, selon M. Lynas, c’est possible. Après tout, les États-Unis ont utilisé des armes nucléaires contre des civils au Japon en 1945 et, depuis lors, le monde s’est trouvé à plusieurs reprises à quelques minutes d’une guerre nucléaire, que ce soit par accident ou par esprit de guerre.

Aujourd’hui, les États-Unis et la Russie ont adopté des doctrines de première frappe qui menacent d’utiliser des armes nucléaires même en cas d’attaques conventionnelles (la Chine, notamment, a une politique de « non-utilisation en premier »).

Pendant ce temps, les armes nucléaires continuent de proliférer. Les États-Unis et la Russie détiennent les arsenaux les plus importants, avec environ 12 000 armes à eux deux. La Chine est en train de rattraper son retard, avec un arsenal estimé à 500 armes en 2024. La Grande-Bretagne, la France, Israël, l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord sont également armés. L’Iran est apparemment sur le point de mettre au point sa propre arme, une étape que les observateurs craignent qu’il ne soit plus enclin à franchir après les attaques israéliennes de la semaine dernière. [l’article date d’avant l’opération Midnight Hammer]

Le risque d’erreur est également élevé. Si les systèmes d’alerte précoce américains se déclenchaient, la doctrine nucléaire américaine donnerait six minutes à Donald Trump pour décider s’il s’agit d’un problème (ce qui s’est déjà produit) ou pour réagir en conséquence. La Russie disposerait d’un système de « main morte » qui lancerait automatiquement des missiles balistiques au cas où ses propres structures de commande et de contrôle seraient désactivées.

Que peut-on donc faire ? Pour commencer, nous pourrions cesser de l’ignorer. M. Lynas appelle à la renaissance d’un mouvement antinucléaire d’une ampleur comparable à celle du mouvement climatique actuel, bien qu’il ait des critiques à formuler à l’égard des mouvements antérieurs de ce type.

« Du côté des réussites, il y avait des personnes très dévouées qui ont consacré toute leur vie à cette question, en très grand nombre », a-t-il déclaré. « Mais c’était aussi un mouvement politiquement très, très à gauche, très hippie, du type mouvement pour la paix – des espaces réservés aux femmes. Et ce genre de choses, bien sûr, signifie que toute personne politiquement centriste ou de droite n’est pas impliquée.

« Et si vous avez une base politique très étroite dans votre mouvement, vous aurez un taux de réussite très faible. »

Lynas rejette le désarmement nucléaire unilatéral, qu’il considère comme naïf, et soutient – contrairement aux précédents militants antinucléaires – que l’énergie nucléaire non seulement ne constitue pas une menace, mais qu’elle pourrait même être un avantage considérable pour la civilisation humaine, notamment en raison de son potentiel de production d’énergie à faible teneur en carbone.

Néanmoins, certaines de ses suggestions sont assez radicales, y compris le fait de traiter tous les membres de la chaîne de commandement des « neuf États nucléaires », depuis les dirigeants jusqu’au bas de l’échelle, comme des criminels de guerre potentiels, soumis à des restrictions légales et à des sanctions dans les États qui choisissent de ne pas détenir d’armes nucléaires.

Malgré toutes ces sombres possibilités, M. Lynas voit de l’espoir – et dans des endroits inhabituels. « Trump a le mérite de bousculer les choses d’une manière qui pourrait conduire à un résultat plus positif », a-t-il déclaré. Tout comme il a fallu un autre président républicain, Ronald Reagan, pour donner le coup d’envoi du désarmement américain et soviétique dans les années 1980, M. Trump pourrait faire ce que les démocrates, désireux de prouver leur force, ne pouvaient – ou ne voulaient – pas faire.

« Et vous savez, peut-être que sa bromance avec [Vladimir] Poutine et Kim Jong-un ou autre les amènera à la table des négociations ».


documentation obsant :



Le Jumeau maléfique 2

L’acidification des océans, souvent appelée le « jumeau maléfique » de la crise climatique …

Comment le « jumeau maléfique » de la crise climatique menace nos océans

Dans les mers du monde entier, les niveaux de pH diminuent et les scientifiques sont de plus en plus frustrés par le fait que le problème n’est pas suffisamment pris au sérieux.

Lisa Bachelor

Traduction DeeplJosette – Article original paru dans The Guardian

Par temps clair, la marina de Plymouth offre une vue sur le port, au-delà de l’île de Drake – nommée d’après le fils le plus célèbre de la ville, Francis Drake – jusqu’à la Manche. Il est souvent possible d’apercevoir une multitude de navires, qu’il s’agisse de navires de la marine, de ferries, de petits bateaux de pêche ou de yachts. Ce que vous ne verrez peut-être pas à cette distance, c’est une grande bouée jaune qui oscille dans l’eau à environ six miles de la côte.

Cette bouée de données – L4 – est l’une des nombreuses bouées appartenant au Plymouth Marine Laboratory (PML), un centre de recherche du Devon dédié aux sciences marines. Par une agréable matinée calme de mai, le professeur James Fishwick, responsable des technologies et de l’autonomie marines au PML, se trouve sur la bouée et vérifie qu’elle n’est pas endommagée par les intempéries ou d’autres facteurs. « Cette bouée est l’une des plus sophistiquées au monde », explique-t-il en grimpant l’échelle qui mène au sommet. « Elle est équipée d’instruments et de capteurs capables de tout mesurer, de la température à la salinité, en passant par l’oxygène dissous, la lumière et les niveaux d’acidité. »

Ce sont les enregistrements horaires de cette dernière mesure, le pH de l’eau, qui viennent s’ajouter à un tableau local et mondial qui préoccupe de plus en plus les scientifiques.

Les résultats montrent que l’acidification des océans progresse, et ce à un rythme alarmant. L’acidification des océans, souvent appelée le « jumeau maléfique » de la crise climatique, est causée par l’absorption rapide du dioxyde de carbone dans l’océan, où il réagit avec les molécules d’eau, entraînant une baisse du pH de l’eau de mer.

Un article publié lundi par des scientifiques du PML, de la National Oceanic and Atmospheric Administration (Noaa) des États-Unis et de Cimers (Oregon State University) montre que l’acidification des océans progresse plus rapidement qu’on ne le pensait.

La difficulté pour les scientifiques d’attirer l’attention du monde entier sur ce problème réside en partie dans le fait que vous ne pouvez pas voir les niveaux de pH dans la mer sur la plage près de chez vous, alors comment savoir que cela se produit ?

« C’est difficile parce qu’il n’y a pas de véritable preuve irréfutable », déclare le professeur Steve Widdicombe, directeur scientifique du PML et l’un des principaux acteurs mondiaux dans le domaine de l’acidification des océans. « Il est difficile de voir les effets biologiques parce qu’il faudra beaucoup de temps pour qu’ils se produisent, et le fait de différencier les effets de l’acidification des océans d’éléments tels que la température, les pressions de la pêche et la pollution rend vraiment difficile de donner aux décideurs et aux responsables politiques l’impulsion et l’élan nécessaires pour s’attaquer sérieusement à ce problème ».

Prof Steve Widdicombe, expert on ocean acidification, on the deck of a research ship.

Prof Steve Widdicombe, director of science at PML and an expert on ocean acidification, on the deck of the ship used by the team. Photograph: Karen Robinson/The Guardian

Pour ceux qui veulent se faire une idée immédiate de son impact, la Noaa a réalisé une vidéo très efficace qui montre un ptéropode nageant dans une eau dont le pH est normal, et une autre où le ptéropode a été soumis à des niveaux élevés de CO2 pendant deux semaines. Dans la première vidéo, la créature marine a une coquille claire et nage activement. Dans la seconde, la coquille est partiellement dissoute et fissurée et le ptéropode a du mal à se déplacer dans l’eau. Des images comme celle-ci aident les scientifiques à sensibiliser le public à ce problème, mais elles ne suffiront jamais à elles seules.

Ce manque de visibilité et de compréhension des impacts de l’acidification a conduit les scientifiques à se concentrer sur la constitution d’un corpus de travaux montrant clairement les corrélations statistiques entre l’augmentation des niveaux d’acidité dans les océans et les changements dans les processus biologiques de la flore et de la faune marines dans différentes régions du monde.

Le nord-ouest des États-Unis en est un bon exemple. Vers 2010, le secteur de l’ostréiculture, qui représente des millions de dollars, a failli s’effondrer après que la production d’huîtres a semblé connaître une chute vertigineuse.

Le professeur Helen Findlay, du PML, explique ce qui se passe sur le plan scientifique : « Sur la côte ouest, on observe une remontée des eaux profondes, qui contiennent naturellement plus de CO2. À cela s’ajoute l’effet d’acidification de l’atmosphère, qui amplifie l’effet de remontée des eaux. Il s’est avéré, après quelques recherches, que les conduites d’admission reliées aux écloseries apportaient cette eau acidifiée, qui s’était amplifiée au fil des ans ».

Closeup of oysters in oyster cage with gloved hands in background

High levels of acidity affect how oysters develop, so hatcheries monitor and control the pH of the water as required. Photograph: Cavan Images/Getty Images/Cavan Images RF

Le niveau d’acidité de l’eau avait atteint un point tel que les huîtres étaient bloquées à l’état larvaire et incapables de développer les coquilles dont elles avaient besoin pour se développer. Les écloseries ont alors installé des capteurs pour mesurer le pH de l’eau et ont ajouté des produits chimiques dans les bassins d’écloserie pour neutraliser l’eau si nécessaire.

Les scientifiques espèrent que la sensibilisation à des initiatives telles que les écloseries d’huîtres du nord-ouest des États-Unis, combinée à un financement public, encouragera d’autres pays à prendre des mesures adaptées à leur problème particulier d’acidification. Mais une grande partie du monde n’a pas accès aux informations dont elle a besoin pour commencer à planifier ses actions.

Les pays sont tenus de s’attaquer à l’acidification des océans en vertu d’accords internationaux, dont le plus récent est le cadre mondial pour la biodiversité, qui vise à enrayer et à inverser la perte de biodiversité. Cependant, alors que les décideurs manquent de ressources pour s’attaquer au problème ou se tournent les pouces pour mettre en œuvre un plan, les opérateurs commerciaux interviennent pour proposer des solutions alternatives.

La géo-ingénierie des océans est en passe de devenir une activité commerciale importante. Les entreprises se concentrent sur différents moyens d’origine humaine pour éliminer le carbone des mers, le plus développé étant sans doute l’augmentation de l’alcalinité des océans. Il s’agit d’ajouter une solution alcaline à l’eau de mer pour en augmenter le pH. Cette méthode peut s’avérer efficace lorsqu’elle est appliquée à un niveau contrôlé et très local, comme dans les bassins des écloseries d’huîtres. Mais de nombreux scientifiques craignent que l’industrie de la géo-ingénierie des océans ne se développe beaucoup trop rapidement.

« Nous ne devrions pas nous engager plus avant dans cette voie sans disposer de preuves », déclare M. Widdicombe. Imaginez que vous alliez voir votre médecin et qu’il vous dise : « J’ai un médicament qui va vous guérir ». Si le médecin vous dit ensuite que nous ne l’avons pas vraiment testé et que nous ne sommes pas sûrs de ses effets secondaires, seriez-vous quand même heureux de le prendre ? »

Jessie Turner, directrice exécutive de l’Ocean Acidification Alliance, craint que la géo-ingénierie ne fasse perdre de vue l’évidence. « Bien qu’il soit important d’explorer un programme de recherche sur les interventions de géo-ingénierie, la principale solution d’origine humaine à l’acidification des océans consiste à réduire nos émissions de CO2 », déclare-t-elle. « J’espère que nous ne perdons pas de vue l’urgence de cette solution. Si les gouvernements n’accordent pas plus d’attention à l’acidification des océans, le secteur privé a la possibilité de prendre les devants. »

Outre l’objectif principal de réduction du CO2, d’autres mesures peuvent être prises pour lutter contre l’acidification des océans, notamment la limitation de la pollution organique dans l’eau, souvent relativement facile à mettre en œuvre au niveau local, et la création d’habitats marins plus résistants autour de nos côtes.

Il est toutefois évident que les scientifiques travaillant dans ce domaine sont de plus en plus frustrés par le manque d’urgence accordée au problème. Nombre d’entre eux espèrent que la conférence des Nations unies sur les océans, qui se tiendra cette semaine en France, sera l’occasion de discuter du problème avec les chefs d’État et de l’inscrire plus fermement à l’ordre du jour des gouvernements.

« En fin de compte, nous savons que le CO2 augmente et que le pH diminue, et c’est un problème urgent dont les gens ne parlent pas », déclare M. Turner. « Il s’agit d’une conséquence négligée du carbone dans nos océans que les gouvernements ne peuvent plus se permettre d’ignorer dans les programmes politiques généraux, et le temps presse pour s’y attaquer. »




Le Jumeau maléfique 1

L’acidification des océans, souvent appelée le « jumeau maléfique » de la crise climatique …

« Une bombe à retardement » : l’acidité des mers a atteint des niveaux critiques, menaçant des écosystèmes entiers, selon une étude

L’acidification des océans a déjà franchi un seuil crucial pour la santé de la planète, affirment des scientifiques dans une découverte inattendue.

Lisa Bachelor

Traduction DeeplJosette – Article original paru dans The Guardian

Les scientifiques ont déclaré aujourd’hui que les océans de la planète sont en plus mauvaise santé qu’on ne le pensait, tout en avertissant qu’une mesure clé montre que nous « manquons de temps » pour protéger les écosystèmes marins.

L’acidification des océans, souvent appelée le « jumeau maléfique » de la crise climatique, est causée par l’absorption rapide du dioxyde de carbone par les océans, où il réagit avec les molécules d’eau, entraînant une baisse du pH de l’eau de mer. Elle endommage les récifs coralliens et d’autres habitats océaniques et, dans les cas extrêmes, peut dissoudre les coquilles des créatures marines.

Jusqu’à présent, l’acidification des océans n’avait pas été considérée comme ayant franchi sa « limite planétaire ». Les limites planétaires sont les limites naturelles des principaux systèmes mondiaux, tels que le climat, l’eau et la diversité de la faune et de la flore, au-delà desquelles leur capacité à maintenir une planète en bonne santé risque de s’effondrer. Six des neuf limites ont déjà été franchies, ont déclaré les scientifiques l’année dernière.

Toutefois, une nouvelle étude réalisée par le laboratoire marin de Plymouth (PML) au Royaume-Uni, la National Oceanic and Atmospheric Administration de Washington et le Co-operative Institute for Marine Resources Studies de l’université d’État de l’Oregon a révélé que la « limite » de l’acidification des océans a également été atteinte il y a environ cinq ans.

« L’acidification des océans n’est pas seulement une crise environnementale, c’est une bombe à retardement pour les écosystèmes marins et les économies côtières », a déclaré le professeur Steve Widdicombe, du PML, qui est également coprésident du réseau mondial d’observation de l’acidification des océans.

L’étude s’est appuyée sur des mesures physiques et chimiques nouvelles et historiques provenant de carottes de glace, combinées à des modèles informatiques avancés et à des études de la vie marine, qui ont permis aux scientifiques d’obtenir une évaluation globale des 150 dernières années.

Elle a révélé qu’en 2020, l’état moyen des océans dans le monde était déjà très proche de la limite planétaire de l’acidification des océans, voire au-delà dans certaines régions. On parle d’acidification lorsque la concentration de carbonate de calcium dans l’eau de mer est inférieure de plus de 20 % aux niveaux préindustriels.

Selon les scientifiques, les résultats sont d’autant plus mauvais que l’on descend dans l’océan. À 200 mètres de profondeur, 60 % des eaux mondiales ont dépassé la limite « sûre » d’acidification.

« La plupart des espèces océaniques ne vivent pas uniquement à la surface », explique le professeur Helen Findlay, du PML. « Les eaux profondes abritent de nombreux autres types de plantes et d’animaux. Étant donné que ces eaux profondes subissent des changements considérables, les effets de l’acidification des océans pourraient être bien plus graves que nous ne le pensions ».

Elle a ajouté que cela avait d’énormes implications pour d’importants écosystèmes sous-marins tels que les récifs coralliens tropicaux et même les récifs coralliens en eau profonde, qui constituent des habitats essentiels et des zones de reproduction pour les jeunes de nombreuses espèces.

Lorsque le pH diminue, les espèces calcifiantes telles que les coraux, les huîtres, les moules et les minuscules mollusques connus sous le nom de papillons de mer peinent à maintenir leurs structures protectrices, ce qui se traduit par des coquilles plus fragiles, une croissance plus lente, une reproduction réduite et des taux de survie moindres.

Les auteurs ont souligné que la réduction des émissions de CO2 était le seul moyen de lutter contre l’acidification à l’échelle mondiale, mais que les mesures de conservation pouvaient et devaient se concentrer sur les régions et les espèces les plus vulnérables.

Jessie Turner, directrice de l’Alliance internationale de lutte contre l’acidification des océans, qui n’a pas participé à l’étude, a déclaré : « Ce rapport le montre clairement : le temps nous est compté et ce que nous faisons – ou ne faisons pas – aujourd’hui détermine déjà notre avenir. »

« Nous devons faire face à une menace existentielle tout en étant confrontés à la difficile réalité qu’une grande partie de l’habitat approprié pour les espèces clés a déjà été perdue. Il est clair que les gouvernements ne peuvent plus se permettre de négliger l’acidification dans les programmes politiques généraux », a-t-elle déclaré.




L’insoutenable abondance

Philippe Bihouix

reprise d’un post Linkedin

[ Actualité éditoriale ! ]

Notre rapport à la « tech » a pris tous les codes d’une religion messianique, mêlant respect, fascination, légère crainte de l’avenir – ainsi des conséquences de l’intelligence artificielle – et promesse d’un monde meilleur, où l’abondance matérielle régnera.

On trouve ainsi les lieux saints (Silicon Valley), les grands-messes où les adeptes se retrouvent avec excitation (Consumer Electronics Show de Las Vegas), les figures béatifiées ou canonisées (R.I.P. Steve Jobs), les gourous bien vivants dont chaque parole, délivrée sur réseaux sociaux, en interview ou en keynote devant un parterre d’« élus », est décortiquée, com­mentée, interprétée comme un oracle.

N’oublions pas les promesses de salut – les milliardaires de la tech investissent dans des entreprises travaillant à « tuer » la mort – et même de rédemption : non seulement la croissance (industrielle) future sera verte, décarbonée, bio-inspirée, circulaire et/ou dématérialisée, mais on « réparera » aussi climat et planète – grâce à l’IA, la géo-ingénierie, les bactéries dépolluantes, etc.

Avons-nous les moyens matériels des innovations à venir, les ressources pour nourrir cette future croissance « verte » ? Rien n’est moins sûr.

Devons-nous continuer à croire – ou faire semblant de croire – les bonimenteurs de la tech, les techno-illusionnistes ? Certes, nous avons été élevés dans un monde irrigué des prédictions les plus folles et de prophéties autoréalisatrices. Dans la science-fiction, tout a déjà été exploré, des implants neuronaux avec vies virtuelles en multivers à la conquête galactique, en passant par les robots-esclaves en révolte. Les détenteurs du pouvoir économique et symbolique poursuivent leurs rêves puérils, nos chercheurs et nos ingénieurs courent la prétantaine technologique, inven­tant des choses qui ne servent a priori à rien, mais aux­quelles on trouvera bien un usage (tarifé) prochain.

Quel autre choix s’offre à nous ? Celui d’une trajectoire à reprendre en main. Cela ne sera pas simple, bien sûr. Elle n’est ni écrite, ni garantie ; mais elle pourrait offrir bien des avantages, bien des fiertés, bien des plaisirs plus concrets, plus accessibles, plus réalistes, plus véridiques, plus humains que le bonheur futuriste de la conquête de Mars de Musk, du métavers de Zuckerberg ou de la conscience artificielle d’Altman : le renforcement du lien social contre le délite­ment individualiste, la résilience locale au lieu de la dépen­dance à des chaînes de valeur mondiales exposées au chaos géopolitique, l’augmentation de l’autonomie plutôt que le combat pour les ressources et, qui sait, le temps retrouvé hors de l’emprise numérique.

« Dans le silence des premières années de l’Empire, au milieu de cette étrange stupeur faite d’épouvante et de las­situde, il entendait monter un sourd réveil. » (Emile Zola, Son Excellence Eugène Rougon)

Merci aux Editions Gallimard, à Alban Cerisier et Vincent Perriot, mon complice sur la BD Ressources (CASTERMAN).



Les références de obsant.eu :



L’histoire profonde de la Terre

Pourquoi les 485 derniers millions d’années de la planète constituent une alerte climatique

Une nouvelle étude révèle l’histoire des températures profondes de la Terre et montre à quel point le dioxyde de carbone a toujours contrôlé le climat.

Silvia Pineda-Munoz (*)

Traduction DeeplJosette – Article original paru sur Medium

Lorsque j’ai rejoint la Smithsonian Institution en tant que post-doctorante, l’exposition Deep Time commençait tout juste à prendre forme. On pouvait en sentir le poids : cet effort massif pour donner vie à l’histoire profonde de la Terre. Les modèles d’écosystèmes anciens arrivaient dans des caisses, les montages de fossiles grandissaient lentement dans le hall et les conservateurs se demandaient où placer les dinosaures.

Aujourd’hui, à chaque visite, j’aime toujours autant regarder les visiteurs arriver, les yeux écarquillés et pleins de questions. Mais ce qui me surprend le plus, ce n’est pas la fascination pour les dinosaures. C’est la curiosité sincère que suscite l’évolution du climat de la Terre.

Et c’est précisément cette curiosité que cette étude met en évidence.

Publiée dans Science en septembre 2024, l’étude propose une reconstruction globale de la température à la surface de la Terre au cours des 485 millions d’années écoulées, soit l’ensemble de l’histoire de la vie complexe. Pour la première fois, nous disposons d’une courbe de température statistiquement robuste pour l’ensemble de l’éon.Cela signifie que nous pouvons retracer la température moyenne à la surface du globe (TMSG) depuis l’apparition des premières forêts jusqu’à l’apparition des mammifères. Et, ce qui est peut-être plus important encore, nous pouvons voir à quel point le climat de la Terre a changé et quels ont été les moteurs de ces changements.

Température de surface moyenne mondiale de PhanDA au cours des 485 derniers millions d’années. Les nuances de gris correspondent à différents niveaux de confiance, et la ligne noire représente la solution moyenne. Les bandes colorées le long du sommet reflètent l’état du climat. Les couleurs les plus froides correspondent à des climats de glacière (coolhouse et coldhouse), les couleurs les plus chaudes à des climats de serre (warmhouse et hothouse), et le gris représente un état transitoire – Judd et al. 2024.

L’équipe à l’origine de l’étude, composée de collègues de la Smithsonian Institution, de l’université de l’Arizona, de l’université de Davis et de l’université de Bristol, a utilisé une technique appelée « assimilation de données ». C’est comme mélanger des milliers de pièces de puzzle provenant de deux boîtes très différentes : les modèles climatiques et les données de température basées sur les fossiles.

Alors que les modèles nous donnent des projections théoriques, les archives fossiles nous donnent les empreintes chimiques des océans anciens. En intégrant plus de 150 000 points de données à 850 simulations climatiques, les chercheurs ont produit ce qu’ils appellent la courbe PhanDA (voir ci-dessus), une reconstruction de la température moyenne de la Terre sur près d’un demi-milliard d’années.

Qu’ont-ils constaté ?

Tout d’abord, la température de la Terre a fluctué de manière beaucoup plus importante qu’on ne le pensait auparavant. Au cours de l’ère phanérozoïque, la température moyenne de la Terre a varié entre 11 °C et 36 °C. C’est comme si l’on passait plusieurs fois d’une ère glaciaire à un sauna. Le plus frappant, c’est que la planète a passé plus de temps dans des états de serre (chauds et sans glace) que dans notre état actuel de serre froide. La moyenne actuelle d’environ 15°C est relativement froide dans un contexte de temps profond.

Données de proxy et de modèle utilisées pour la reconstruction PhanDA. Distribution temporelle (A) et spatiale (B) des données proxy moyennées par étape utilisées dans l’assimilation. © Plage (bande grise) et médiane (ligne noire) des TMSG dans l’ensemble de modèles antérieurs pour chaque étape assimilée – Judd et al.

2024

Deuxièmement, le CO₂ est la vedette du spectacle. La nouvelle courbe montre une forte corrélation entre les niveaux de dioxyde de carbone atmosphérique et la TMSG. Comme le dit la paléoclimatologue Jessica Tierney, l’un des auteurs : Cela peut sembler évident, mais le confirmer sur 485 millions d’années n’est pas une mince affaire.

Troisièmement, l’étude révèle quelque chose d’encore plus inattendu : la relation entre le CO₂ et la température semble remarquablement stable. Les chercheurs estiment qu’un doublement des niveaux de CO₂ a entraîné une augmentation historique de la TMSG d’environ 8 °C. Ce chiffre est supérieur à de nombreuses estimations modernes de la sensibilité du climat et suggère que le système climatique de la Terre a toujours réagi au dioxyde de carbone de manière puissante, que le monde soit couvert de glaciers ou de forêts tropicales.

Les chercheurs ont également découvert quelque chose de curieux à propos des tropiques. La question de savoir si les températures tropicales ont un plafond naturel, une sorte de thermostat planétaire, a longtemps été débattue. Or, pendant les périodes de serre, les océans tropicaux atteignaient jusqu’à 42 °C. C’est plus chaud que ce que la plupart des espèces vivantes peuvent tolérer aujourd’hui.

La conséquence ? La vie n’a pas évité ces régions ; elle s’y est probablement adaptée. Les archives fossiles en témoignent, mais nous ne comprenons pas encore parfaitement comment les écosystèmes ont supporté une telle chaleur. Plus important encore, nous ne savons pas quelles espèces ont été touchées et se sont éteintes.

Historique des températures au Phanérozoïque. Reconstruction par PhanDA de la TMSG pour les 485 millions d’années écoulées. La ligne noire indique la médiane, l’ombrage correspond au percentile de l’ensemble. Les rectangles bleus indiquent l’étendue latitudinale maximale des glaces, et les lignes pointillées orange indiquent la chronologie des cinq principales extinctions massives du Phanérozoïque – Judd et al. 2024.

Du point de vue de la conservation, l’aspect le plus frappant est la rapidité avec laquelle nous changeons les choses aujourd’hui. La Terre a déjà été plus chaude, c’est vrai. Mais ces changements se sont produits sur des centaines de milliers, voire des millions d’années.

Nous comprimons en quelques siècles des changements qui ont pris des éons (*) .

Le communiqué de presse accompagnant l’étude présente bien la situation : « L’homme et les espèces avec lesquelles il partage la planète sont adaptés à un climat froid. Il est dangereux de nous placer rapidement dans un climat plus chaud ».

Il y a quelques années, alors que je me trouvais dans l’exposition « Deep Time », entouré de l’histoire de notre planète gravée dans les fossiles et les dioramas, j’ai ressenti un étrange mélange d’émerveillement et d’urgence. Cette étude fait ressortir ces deux aspects avec plus d’acuité.

Elle ne se contente pas de nous donner une image plus claire du passé ; elle affine notre vision de ce qui nous attend et nous rappelle que le climat, comme l’évolution, n’attend pas que nous le rattrapions.



Le mouvement Extinction Rebellion s’est peut-être calmé, mais la protestation contre le changement climatique va reprendre de plus belle.

Oliver Haynes

Traduction DeeplJosette – Article original paru dans The Guardian

La pandémie et les lois sévères ont étouffé les mouvements climatiques tels que nous les connaissions. Préparez-vous à un nouveau type d’action.


Le 21 avril 2019, je me trouvais sur le pont de Waterloo à Londres avec mes jeunes frères et sœurs. Autour de nous, il y avait des jardinières remplies de fleurs là où il y avait autrefois des voitures, et des gens qui chantaient. Il s’agissait de l’édition printanière d‘Extinction Rebellion, au cours de laquelle quatre ponts de Londres ont été occupés par des manifestants. Mes frères et sœurs, alors âgés de 14 ans, avaient fait une grève scolaire inspirée par Greta Thunberg et voulaient la voir parler.

Nous y sommes restés moins d’une journée, mais les occupations de ponts et autres blocages ont duré 11 jours. Des dizaines de milliers de personnes se sont mobilisées au Royaume-Uni ce printemps-là. On estime à 500 000 le nombre de personnes touchées par les fermetures imposées par le mouvement sur les réseaux routiers du centre de Londres, et plus de 1 000 manifestants ont été arrêtés dans le cadre de ce qui était alors un élément officiel de la stratégie de XR.

Le mouvement a remporté des victoires impressionnantes. Sa première exigence, « dire la vérité », a été essentiellement honorée lorsque le Royaume-Uni est devenu le premier pays au monde à déclarer officiellement une urgence climatique, quelques jours après la fin de la rébellion d’avril. Le mouvement a également suscité un sentiment d’urgence parmi le public. Des sondages ont révélé qu’après les actions d’avril, 24 % des gens plaçaient la crise climatique parmi leurs principales préoccupations, ce qui la plaçait à peu près au même niveau que l’immigration et l’économie, soit une augmentation significative par rapport aux trois mois qui ont précédé les manifestations.

En 2025, cependant, le sentiment d’urgence s’est estompé. Les principales préoccupations des citoyens interrogés sont l’économie, l’immigration et la santé. Et les mobilisations de masse autour du dérèglement climatique semblent avoir cessé. En même temps, ce n’est pas comme si le problème de la dégradation du climat avait été résolu. Où est donc passée toute cette énergie ?

Selon Douglas Rogers, organisateur au sein de XR entre 2018 et 2021, le début de la pandémie a été un point d’inflexion. Selon lui, les choses « ralentissaient déjà » alors que le mouvement luttait pour obtenir des fonds. Rogers et d’autres personnes espéraient réinvestir du temps dans des groupes locaux qui pourraient chacun expérimenter de nouvelles stratégies, avant de refaire surface à nouveau.

Mais il y a eu des tensions. L’un des principaux points de désaccord concernait l’action de Canning Town à Londres – où les manifestants ont tenté de perturber les transports publics – et le degré d’utilité d’une perturbation agressive. Mais bientôt, tout cela n’aurait plus d’importance. Le virus et le confinement ont entraîné une démobilisation totale de la société, ce qui a été dévastateur pour un mouvement fondé sur la mobilisation de masse.

Certains dirigeants de XR ont créé de nouvelles organisations adoptant une approche qui pouvait être réalisée avec un plus petit nombre d’activistes engagés. Insulate Britain et Just Stop Oil ont mené des actions directes plus risquées, parfois à la limite de la légalité. Ces actions les ont rendus célèbres dans le monde entier : le New York Times a publié de nombreux articles sur le groupe et la sitcom It’s Always Sunny in Philadelphia a parodié leurs tactiques.

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An Extinction Rebellion protest in front of the Bank of England calling on the insurance industry to stop insuring fossil fuel, 28 October 2024. Photograph: Adrian Dennis/AFP/Getty Images

Ce succès n’a pas été sans inconvénients pour le mouvement climatique. L’État britannique a commencé à adapter sa législation pour contenir la dissidence des manifestants pour le climat, par exemple en érigeant en infraction pénale le fait de posséder un équipement permettant de « s’accrocher » à un élément d’infrastructure. Il est aujourd’hui l’un des leaders mondiaux de la répression des activistes climatiques et a utilisé les nouvelles lois anti-manifestation contre d’autres groupes, comme ceux qui contestent l’implication de la Grande-Bretagne dans le génocide en Palestine.

Outre la nouvelle législation, la nouvelle approche du mouvement Just Stop Oil s’est avérée trop difficile pour les militants les moins engagés. Graeme Hayes, lecteur en sociologie politique à l’université d’Aston, me dit que ces mouvements sont « à court d’activistes qui considèrent trois ans de prison comme un résultat raisonnable ». M. Hayes ajoute que le recours accru à l’accusation de complot permet au ministère public et à la police de cibler non seulement ceux qui mènent une action directe particulière, mais aussi ceux qui aident à la planifier.

Bien que XR n’adopte plus des tactiques telles que briser des vitres et privilégie « la présence plutôt que les arrestations », elle s’est orientée vers des actions non violentes ciblées menées par de petits groupes contre des cibles spécifiques telles que les compagnies d’assurance qui soutiennent l’industrie des combustibles fossiles. Il est peu probable que l’ère des manifestations de masse revienne, car l’énergie publique est absorbée par les manifestations pour la Palestine, et la coalition de groupes et de personnes qui a contribué à donner une telle ampleur aux actions initiales n’est plus d’accord sur la stratégie à adopter.

La diminution relative de XR au fil des ans a entraîné une fragmentation du mouvement climatique au sens large, les anciens s’étant tournés vers de nouveaux projets. Au cours de notre entretien, M. Rogers utilise à plusieurs reprises l’adjectif « post-XR » pour décrire diverses initiatives locales. En Écosse, où Rogers est basé, l’énergie se trouve dans le Climate Camp, qui organise des camps de protestation périodiques sur les sites d’infrastructures de combustibles fossiles. Le mouvement de masse des manifestants peu engagés a cédé la place à des sous-groupes d’activistes engagés. Lors des conversations que j’ai eues avec des militants pour cet article, j’ai eu l’impression que c’était en partie pour ne pas faire dérailler l’élan des manifestations de masse pour la Palestine qui se déroulaient régulièrement, et en partie parce qu’il n’y a pas encore de stratégie sur la façon dont un nouveau mouvement de masse pour le climat essaierait d’atteindre ses objectifs.

D’autres, comme Gail Bradbrook, cofondatrice de XR, tentent d’appliquer les principes de l’adaptation profonde et de la collapsologie – en bref, des formes de préparation collective à l’apocalypse. Des projets tels que Cooperation Hull, Just Collapse et Lifehouse tentent de mettre en place les réseaux, les cultures démocratiques locales et l’infrastructure sociale qui permettraient aux communautés de faire face à l’effondrement de la société sans sombrer dans la barbarie. Ces efforts reposent sur l’hypothèse qu’une action climatique radicale ne se produira pas ou constituent un exercice de minimisation des risques au cas où elle ne se produirait pas. Dans les franges les plus radicales de l’action climatique, on observe également une adhésion au sabotage dans la lutte contre la crise climatique, bien que cela semble confiné à de très petits groupes.

Hayes et Rogers ont tous deux parlé de la fin d’un « cycle de protestation ». La fin de ce cycle a de nombreuses causes, de l’épuisement des militants à la répression croissante des manifestations par le gouvernement britannique, en passant par la croissance d’autres mouvements s’organisant contre la crise du coût de la vie et le génocide à Gaza. Mais XR a réussi à amener des centaines de milliers de personnes, voire des millions au niveau international, à militer pour le climat, et la myriade de petits groupes – parfois plus radicaux – qui ont émergé dans son sillage doivent beaucoup à ses mobilisations de masse. Le dérèglement climatique continue de s’aggraver et les preuves de son impact sur le coût de la vie et de son lien avec la violence impériale deviennent de plus en plus évidentes. XR a commencé par une petite campagne et a explosé pour devenir ce qu’elle est devenue.

Quelqu’un, quelque part, est probablement en train de préparer le terrain pour l’avenir de la politique climatique – la question est donc de savoir quelle forme prendra la prochaine vague.

  • Oliver Haynes est journaliste et co-animateur du podcast Flep24.