Le non-dépassement de 1,5 degré de réchauffement climatique global a toujours été une chimère
Paul Blume
Paris, décembre 2015 : objectif 2°C max. ! i
Lors de la COP21ii à Paris en décembre 2015, le Président français François Hollande, le ministre des affaires étrangères français Laurent Fabius (Président de la COP) et le secrétaire général des Nations-Unies Ban Ki-moon placent la barre de l’objectif de la conférence très haut. Il s’agit d’obtenir un accord autour d’un réchauffement contenu à + 2° maximum. Si possible à + 1,5° iii.
Le succès politique et diplomatique est sans égaliv. L’accordv sera signé.
Voici ce qu’en dit le regretté Hubert Reevesvi en 2016 :
«C’est un succès politique. Quand on sait la difficulté à se mettre d’accord dès que les participants à une discussion deviennent de plus en plus nombreux, c’est un véritable exploit que d’avoir réussi à obtenir un accord, le samedi 12 décembre 2015, des 195 États participant à la conférence. C’est donc une date historique. À la fois, contenir le réchauffement global de la planète sous le seuil de 2 °C, et surtout le maintenir à 1,5 °C, c’est un accord jugé ambitieux, et c’est un objectif irréaliste. Aucune mesure contraignante n’étant décidée, cet objectif ne pourrait être atteint que par miracle. Chacun sait que les miracles sont rarissimes. Donc croire au miracle ne suffira pas : il faudra, il faut agir.»vii
Tout est dit.
L’accord est très ambitieux. A la hauteur des enjeux. Mais l’objectif est irréaliste, dès le départ.
Dans un communiqué de l’AFP repris par la RTBF en 2016viii , on peut lire :
« La mention du 1,5°C dans l’accord a été un combat des pays les plus exposés au changement climatique, mais beaucoup d’experts doutent de sa faisabilité. »
Et aussi :
« L’accord ne comprend pas d’objectif contraignant décliné par pays, … Chaque pays s’est fixé ses propres objectifs de réduction des émissions pour 2025 ou 2030.».
« La réalisation de ces plans d’actions nationaux éviterait les catastrophiques +4/5°C prévisibles en l’absence de politiques climatiques, mais met encore la planète sur une trajectoire toujours extrêmement dangereuse de +3°C. »
« Dans l’accord, la première révision obligatoire est prévue en 2025, une date bien trop tardive pour respecter le 2°C. » (sic)
10 ans plus tard, la messe est dite.
La « première révision obligatoire » est sans appel. Après compilation des données les plus récentes, un groupe d’une soixantaine de scientifiques publie une mise à jour d’indicateurs clés du système climatiqueix.
Voici ce qu’en dit Valérie Masson-Delmottex, l’une des participantes à ces travaux :
« Le budget carbone résiduel pour limiter le réchauffement à 1,5°C avec 50% de chance s’épuise rapidement (…) et correspond à environ 3 ans d’émissions de CO2 au niveau actuel (130 Gt). C’est un rappel à la réalité des faits : les efforts engagés depuis l’Accord de Paris (il y a 10 ans) n’ont pas été suffisants pour limiter le réchauffement à 1,5°C. » xi
Si ce constat met fin à l’objectif de rester sous les 1,5° de réchauffement, il reste intéressant de se souvenir que sa faisabilité n’était pas consensuelle.
Dix années d’alertes
Et cela dès 2015xii.
Sylvestre Huetxiii écrit dans Le Monde à propos de ce qu’il appelle l’ouverture [politique] aux pays vulnérables :
« C’est probablement une erreur. Parce qu’elle ne s’appuie pas sur une analyse scientifique et débouche, pour cette raison, sur une impasse. Il n’y a rien de pire qu’un objectif chiffré et précis, mais inatteignable, dans un combat de long terme. A ne pas confondre avec une utopie mobilisatrice. Or, ce que disent les scientifiques, comme le climatologue Jean-Louis Dufresne du Laboratoire de météorologie dynamique (Institut Pierre Simon Laplace), c’est que les 1,5°C sont déjà dans l’atmosphère ».
Et de continuer par :
« Même un hara-kiri général ne permet pas de respecter 1,5°C… ».
« …, même si, hypothèse d’école, totalement farfelue et irréaliste, les hommes cessaient demain matin d’émettre tout gaz à effet de serre – pour cela il faudrait que nous passions tous de vie à trépas sans délai – la température de la planète continuerait de s’élever de quelques trois dixièmes de degré. »xiv.
2018 – Parution du rapport GIEC sur les impacts et les trajectoiresxv
La parution en 2018 du rapport du GIEC sur les effets d’un réchauffement de 1,5 °C des températures mondiales [re] montre la taille des enjeuxxvi et déjà premiers les manquements aux engagementsxvii tombent.
Pour certains « Il est encore possible de faire le nécessaire pour rester en dessous, ou en tout cas de le dépasser à peine puis d’y revenir »xviii, d’autres évoquent « l’illusion démobilisatrice du scénario à 1,5°C »xix.
En 2020, cinq années à peine après les accords de Paris, émane du monde académique une inquiétude fondamentale avec une lettre publique explicite :
« Seule une discussion sur l’effondrement permettra de s’y préparer »xx.
« En tant que scientifiques et universitaires du monde entier, nous appelons les décideurs politiques à s’engager ouvertement face au risque de perturbation, voire d’effondrement, de nos sociétés. Cinq ans après l’accord de Paris sur le climat, nous n’avons pas réussi à réduire nos émissions de carbone, et nous devons maintenant en tirer les conséquences. »
Toujours en 2020, la baisse des activités humaines liée au Covid19 entraîne réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) qui ne durera pas.
« Ça y est, le monde est de retour à l’avant-Covid-19 pour les émissions de GES »xxi écrit Yohan Demeure au début de l’année suivante.
En 2021, des scientifiques de renom mettent en garde contre « l’effroyable avenir au niveau de l’extinction de masse » et le dérèglement climatiquexxii.
Et d’affirmer :
« que le monde ne saisit pas l’ampleur des menaces que constituent la perte de biodiversité et la crise climatique. La planète est confrontée à un « avenir épouvantable d’extinction de masse, de déclin sanitaire et de bouleversements climatiques », qui menacent la survie de l’humanité en raison de l’ignorance et de l’inaction… ».
« … les gens n’ont toujours pas saisi l’urgence des crises de la biodiversité et du climat. »
Le 1er août 2022, dans une revue scientifique américainexxiii un collectif des climatologues réputés affirme :
« …il existe de nombreuses raisons de penser que le changement climatique pourrait entraîner une catastrophe mondiale. L’analyse des mécanismes à l’origine de ces conséquences extrêmes pourrait contribuer à galvaniser l’action, à améliorer la résilience et à informer les politiques, y compris les réponses d’urgence. »xxiv.
Toujours en 2022, des chercheurs identifient « 425 « bombes carbone » qui pourraient réduire à néant la lutte contre le dérèglement climatique »xxv. Selon ces travauxxxvi, ces projets, s’ils étaient menés à terme, pourraient à eux seuls dépenser le budget carbone déterminé à la conférence de Paris.
En 2023, James Hansenxxvii, figure emblématique de la recherche sur le climat aux États-Unis, prévient déjà du dépassement inévitable des 1,5° degrèsxxviii.
Ce qu’évoque également Xavier Fettweisxxix :
« Pour la première fois depuis l’ère préindustrielle (1850-1900), le fameux seuil de +1.5°C a été atteint ou presque (+1.48°C signalé par Copernicus (*) à l’échelle globale pulvérisant le précédent record (2017) de +0.17°C. Depuis juillet 2023, c’est en fait tous les jours ou presque que la température bat les précédents records journaliers avec des anomalies à l’échelle globale atteignant parfois les +2°C ces derniers mois. »xxx.
La dichotomie entre les discours volontaristes (on y arrivera) et réalistes (on n’en fait pas assez) continuera et prendra une tournure politique en 2023 en France avec le plan d’adaptation à un réchauffement de 4° à la fin du siècle.
Sur le blog du think tank « Terra Nova », Marine Braudxxxi questionne :
« Adapter la France à +4°C : lubie politique ou nécessité fondée sur la science ? ».
Et d’évoquer les réactions :
« Scandale chez certains dans l’opposition qui reprochent au ministre d’abandonner l’atténuation, incompréhension chez quelques partenaires internationaux qui s’interrogent sur ce que cela signifie des ambitions de la France dans la baisse des émissions de gaz à effet de serre, mais… large soutien de la sphère environnementale, des ONG aux scientifiques. Ils considèrent en effet que la responsabilité du Gouvernement est bien de regarder en face la réalité du changement climatique et de préparer le pays à affronter ses conséquences, tout en faisant tout pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et limiter ainsi le réchauffement que nous aurons à subir. »xxxii.
Mais, que pense la communauté scientifique de l’avenir climatique? C’est la question que The Guardianxxxiii a posé à 380 climatologues de renom.
« Terrifiés mais déterminés à continuer à se battre »xxxiv écrit Damian Carrington en mai 2024.

Toujours sous la plume de Damian Carrington dans The Guardianxxxv des experts affirment « … que de nombreux signes vitaux de la Terre ont atteint des records extrêmes […] l’avenir de l’humanité est en jeu ! »xxxvi.
Avons-nous atteint « Le Point de Non-Retour » ? C’est la question que pose Bill McGuirexxxvii dans un article intitulé : « À quel point le Monde est-il proche d’un changement climatique irréversible ? »xxxviii.
On peut y lire : « Notre compréhension des points de basculement climatiques a considérablement évolué au cours des deux dernières décennies. Il y a vingt ans, ils n’étaient considérés comme des menaces sérieuses que si et quand un réchauffement global non atténué augmentait la température moyenne de la planète (par rapport à l’ère préindustrielle) de 4°C ou plus. Aujourd’hui, nous savons que des éléments essentiels du système climatique pourraient basculer à la suite d’une augmentation de la température mondiale d’un peu plus de 1°C… »
Chaque dixième de degré compte
Notre avenir climatique pourrait être comparé à une épreuve de saut en hauteur.
Quels que soient les efforts fournis, si la barre tombe, l’essai est recalé.
Mais, au lieu de descendre la barre pour le saut suivant, la hauteur de la barre (la taille de l’effort à réaliser) est relevée ! L’objectif suivant devient le dixième de degré supérieur.
Et plus le temps passe, plus la taille de l’effort augmente pour des résultats escomptés – en terme de viabilité planétaire – de moindre qualité.
Les « limites planétaires » sont biens réelles ! xxxix
2025, l’année Trump …
Sauf à vivre en dehors de toute information, il est difficile de ne pas se rendre compte que l’année a mal commencé.
Dès janvier « Donald Trump a amorcé … une marche arrière toute dans la lutte contre le changement climatique, mettant en péril les efforts mondiaux pour le freiner. »xl.
Parmi les mesures prises, celles qui s’attaquent directement à la science en général, à celle du climat en particulier.
« L’administration Trump supprime le soutien à la recherche scientifique aux États-Unis et à l’étranger qui contient un mot qu’elle trouve particulièrement gênant, à savoir « climat « », écrit Oliver Milman dans The Guardianxli dès le mois de février.
… et de la désinformation
Et comme si l’ensemble du panorama n’était pas déjà fort sombre, il faut compter avec une désinformation de taille XXL. Contre laquelle « la résistance s’organise enfin », écrit Eva Morel fin mars : « Au Brésil, à quelques mois de la COP30, la naissance d’une coalition mondiale de lutte contre la désinformation climatique » xlii.
Non, croire au miracle ne suffira pas.
A l’évidence, les efforts à consentir pour limiter le réchauffement ne sont pas à l’agenda.
Une réelle limitation des activités économiques fortement génératrices de gaz à effet de serre ne fait partie d’aucun business plan, d’aucun programme politique.
L’assise électorale des causes environnementales s’est rétrécie.
L’émergence d’une conscience collective suffisamment large des enjeux se fait attendre.
SUV, voyages en avion, intelligence artificielle, … les consommations non-indispensables explosent.
En 2023, James Hansen, déclarait :
« Les vagues de chaleur record qui ont frappé les États-Unis, l’Europe, la Chine et d’autres pays ces dernières semaines ont renforcé « le sentiment de déception que nous, scientifiques, n’ayons pas communiqué plus clairement et que nous n’ayons pas élu des dirigeants capables d’une réponse plus intelligente ».
« Cela signifie que nous sommes de sacrés imbéciles », a déclaré M. Hansen à propos de la lenteur de la réponse de l’humanité à la crise climatique. « Nous devons y goûter pour y croire « .xliii
Difficile de lui donner tort.
i https://obsant.eu/entrees/20150922paris2degre.pdf
ii https://fr.wikipedia.org/wiki/Conf%C3%A9rence_de_Paris_de_2015_sur_les_changements_climatiques
iii https://www.lemonde.fr/planete/article/2015/06/05/rechauffement-le-seuil-limite-des-2-c-est-trop-eleve_4647811_3244.html
iv https://obsant.eu/entrees/20151214_2015tournant.pdf
v https://obsant.eu/entrees/20151212cop21accordasignerFR.pdf
vi https://obsant.eu/une-signature/?aut=Hubert%20Reeves
vii https://obsant.eu/entrees/20160513reeves.pdf
viii https://www.rtbf.be/article/climat-a-quoi-s-engagent-les-signataires-de-l-accord-de-paris-9447343
ix https://www.earth-system-science-data.net/about/news_and_press/2025-06-19_indicators-of-global-climate-change-2024-annual-update-of-key-indicators-of-the-state-of-the-climate-system-and-human-influence.html
x https://obsant.eu/valerie-masson-delmotte/
xi https://www.linkedin.com/posts/val%C3%A9rie-masson-delmotte-b03926206_bonjour-avec-60-scientifiques-de-54-institutions-ugcPost-7341428396897271809-qYrd/
xii https://obsant.eu/entrees/20131202cop21limiterhorsportee.pdf
xiii https://obsant.eu/sylvestre-huet/
xiv https://obsant.eu/entrees/20151204_cop21_2ou1_5.pdf
xv https://obsant.eu/entrees/20181024giec.pdf
xvi https://obsant.eu/entrees/20181008giec5.pdf
xvii https://obsant.eu/entrees/20181102europe.pdf
xviii https://obsant.eu/entrees/20181010giec6.pdf
xix https://obsant.eu/entrees/20181102giec.pdf
xx https://obsant.eu/blog/2020/12/08/seule-une-discussion-sur-leffondrement-permettra-de-sy-preparer/
xxi https://sciencepost.fr/ca-y-est-le-monde-est-de-retour-a-lavant-covid-19-pour-les-emissions-de-ges/
xxii https://obsant.eu/blog/2021/01/19/des-scientifiques-de-renom-mettent-en-garde/
xxiii https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2108146119
xxiv https://obsant.eu/blog/2022/08/03/climate-endgame/
xxv https://obsant.eu/entrees/20220515co2.pdf
xxvi https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0301421522001756?via%3Dihub
xxvii https://obsant.eu/james-hansen/
xxviii https://obsant.eu/blog/2024/01/12/le-rechauffement-de-la-planete-depassera-le-seuil-de-15c-cette-annee-selon-un-ancien-scientifique-de-la-nasa/
xxix https://obsant.eu/xavier-fettweis/
xxx https://obsant.eu/blog/2024/04/15/2023-records-climatiques/
xxxi https://tnova.fr/contributeurs/marine-braud/
xxxii https://tnova.fr/ecologie/climat/adapter-la-france-a-4-c-lubie-politique-ou-necessite-fondee-sur-la-science/
xxxiii https://www.theguardian.com/environment/ng-interactive/2024/may/08/hopeless-and-broken-why-the-worlds-top-climate-scientists-are-in-despair
xxxiv https://obsant.eu/blog/2024/05/14/terrifies-mais-determines/
xxxv https://www.theguardian.com/environment/2024/oct/08/earths-vital-signs-show-humanitys-future-in-balance-say-climate-experts
xxxvi https://obsant.eu/blog/2024/10/15/signes-vitaux/
xxxvii https://billmcguire.substack.com/p/the-point-of-no-return-how-close
xxxviii https://obsant.eu/blog/2024/10/25/le-point-de-non-retour/
xxxix https://sciencepost.fr/le-point-de-rupture-de-la-septieme-limite-planetaire-a-ete-frole/
xl https://www.connaissancedesenergies.org/afp/trump-annonce-une-marche-arriere-toute-sur-laction-climatique-250120-0
xli https://obsant.eu/blog/2025/02/26/trump-casse-le-climat/
xlii https://vert.eco/articles/au-bresil-a-quelques-mois-de-la-cop30-la-naissance-dune-coalition-mondiale-de-lutte-contre-la-desinformation-climatique
xliii https://obsant.eu/blog/2023/07/20/nous-sommes-des-imbeciles/