Nous demandons justice pour le climat

Tribune parue dans Le Monde du 31 octobre 2021

Olivier de Schutter

Rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme

Alice Mogwe

Présidente de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), militante et avocate

L’urgence climatique appelle une autre urgence : celle de mettre un terme à l’impunité des entreprises responsables des émissions de gaz à effet de serre, estiment, dans une tribune au « Monde », Alice Mogwe, présidente de la Fédération internationale pour les droits humains, et Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme.

Inondations en Allemagne, en Belgique et en Chine ; mégafeux en Californie (Etats-Unis), en Grèce, en Turquie ou en Sibérie (Russie) ; records de température dans le nord-ouest du continent américain : chronique de l’urgence climatique au fil de l’été. Les populations, et parmi elles les groupes les plus vulnérables, sont en première ligne. Qui en sera tenu responsable ?

Les États ne sont pas à la hauteur, leurs engagements trop modestes. Au regard de l’objectif fixé par la communauté internationale, qui est de demeurer en deçà de la limite de 2 °C d’élévation de la température, le compte n’y est pas. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime, dans son sixième rapport, que les contributions annoncées dans le cadre de l’accord de Paris de 2015 nous placent sur une trajectoire de 2,7 °C d’ici à la fin du siècle. En outre, même peu ambitieuses, ces promesses ne sont pas tenues. Les émissions de gaz à effet de serre continuent de croître, au même rythme où se succèdent les sommets et les tribunes des scientifiques.

Devant les tribunaux

Or, il est frappant de constater qu’une poignée d’entreprises est responsable, pour une part significative, de la machine infernale mise en route. Les géants du pétrole, du gaz, du charbon et du ciment – soit environ 100 entreprises – sont à eux seuls responsables de plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre depuis le début de l’ère industrielle.

Plusieurs d’entre eux placent leur influence au service du statu quo, certains allant jusqu’à financer des « semeurs de doute », qui propagent les thèses du négationnisme climatique. En 2013, environ 900 millions de dollars (environ 773 millions d’euros) étaient consacrés à nier la réalité du changement climatique. La responsabilité de ces acteurs est considérable, mais leur impunité au regard du changement climatique demeure presque complète : c’est un angle mort des politiques environnementales.

Les juges peuvent y contribuer. L’incapacité des gouvernements à l’action décisive explique que, depuis quelques années déjà, les tribunaux entrent en scène : depuis 1986 dans le monde, plus de 1 800 contentieux judiciaires portant sur le climat ont été intentés.

Il y a peu encore, ces procès visaient principalement les États. A l’image de l’« L’Affaire du siècle » en France, de l’affaire Urgenda aux Pays-Bas, ou de l’« Affaire climat » en Belgique, des citoyens ordinaires et des associations dénoncent devant les tribunaux le manque d’ambition des mesures des gouvernants face au changement climatique, compte tenu notamment des impacts considérables du changement climatique sur les droits humains.

Inverser la logique

Un nouveau front s’ouvre à présent, qui vise désormais la responsabilité des pollueurs. Au début de l’année 2020, quatorze collectivités territoriales se joignaient à plusieurs associations, pour dénoncer l’« inaction climatique » de Total. Dans une décision historique du 26 mai, le tribunal de La Haye condamnait la pétrolière Shell à réduire les émissions de CO2 résultant non seulement de ses activités, mais aussi de ses chaînes d’approvisionnement, de manière à atteindre une réduction de 45 % en 2030, par rapport à 2019.

Il est temps d’accélérer. Le changement climatique est, par excellence, un sujet que les mécanismes politiques traditionnels sont mal outillés pour gérer. Le système politique, qui opère souvent sur le temps court en fonction des préoccupations immédiates de l’électorat, n’est pas en mesure de relever le défi qui consiste à prendre des décisions courageuses ayant des effets à moyen voire long terme. Il est temps d’inverser la logique, et de permettre aux communautés affectées par la crise environnementale de saisir la justice, partout où c’est possible, afin de responsabiliser les entreprises pour leur contribution au changement climatique.

En lançant la campagne #SeeYouInCourt, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), ses organisations membres et les communautés affectées au Chili, au Pérou, en Colombie et ailleurs, écrivent un nouveau chapitre de ce mouvement. Elles lancent une série d’actions judiciaires visant à demander des comptes aux entreprises.

En mettant les populations affectées au centre de ces actions, et en privilégiant une approche axée sur le respect des droits humains, cette campagne vise à rappeler que le changement climatique n’est pas un concept abstrait, qui ne concernerait que les générations futures : elle est une urgence pour les populations vulnérables, qui sont sur la ligne de front.

6 900 milliards de dollars nécessaires

Le droit international peut encore progresser afin d’élargir la gamme des réponses à la menace que constituent les ruptures climatiques, et les acteurs économiques qui s’en font les complices. Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies débat ces jours-ci de la reconnaissance du droit à un environnement sain en tant que droit humain internationalement reconnu, comme c’est déjà le cas dans plusieurs constitutions nationales.

Ce dimanche 31 octobre s’ouvre au Royaume-Uni la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques COP 26. Elle doit porter, notamment, sur la mobilisation du secteur financier, alors que 6 900 milliards de dollars d’investissement et de financements sont nécessaires pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris.

En lançant la campagne #SeeYouInCourt, nous affirmons que l’on ne peut plus attendre. Déjà, de Madagascar au « corridor sec » d’Amérique centrale, les sécheresses causent de l’insécurité alimentaire, et la montée des eaux et des inondations à répétition forcent des migrations de masse. Nous demandons justice pour le climat, et que les entreprises qui sont les premières responsables des ruptures climatiques, enfin, rendent des comptes.


Lire aussi les articles (réservés aux abonnés) :
Responsabilité sociale des entreprises : « Le phénomène d’autocontrôle explique le durcissement progressif de la loi »
Jean-Luc Mélenchon : « La France peut être le fer de lance d’une diplomatie du peuple humain »
Un groupe d’experts élabore une définition internationale du crime d’écocide


Les cinq couleurs du Gaz

OA - Liste
Paul Blume

Qu’on se le dise, les gaz à effet de serre sont des gaz à effet de serre. Pas des citrouilles d’Halloween.

D’abord, d’abord, … il y a le Noir.

La couleur du charbon, du pétrole brut.

Des paysages d’Alberta où l’on extrait le gaz de schiste. Des sables bitumineux.

Celle des marées destructrices de paysages côtiers, d’oiseaux englués, des pollutions impayables et non payées par leurs pollueurs.

Celle des percées dramatiques dans les poumons de la Terre. De l’Amazonie ravagée.

Le noir, couleur de climato-sceptiques célèbres. L’un était Président. Un autre l’est encore. D’autres jouent la comédie…

Et puis, il y a l’autre… le Bleu.

La couleur de l’Europe, du Libéralisme, de l’innovation technologique, des fables consuméristes.

Pâle comme le peu de crédibilité d’une croissance économique décarbonée.

Foncé, lisse comme les costumes des communicants spécialisés en Greenwashing.

Bleu comme la promesse d’un nouveau gaz, sans gaz à effet de serre.

Un gaz sécurisant, abondant comme celui de Gazprom …

Bleu comme les océans qui se meurent.

Et puis, il y a les autres … dont le Rouge

A la fibre solidaire, prompt à la révolte sociale, la révolution mondiale.

International dans ses solidarités, aveugle des contraintes environnementales.

Le gaz des sans fins de mois, des démunis, des retraités. L’indispensable gaz de chauffage. Celui de l’électricité pour les déplacements, du fonctionnement des hôpitaux « bien sûr », des aérogares pour la croissance « à partager ».

Le rouge du sang des mammifères disparus.

Des incendies, de la colère des sinistrés.

Sans oublier … le Vert.

Celui du déni, de la trahison. Le vert de la colère des penseurs d’une écologie scientifique.

Vert comme le feu vert donné par deux femmes ministres belges à l’utilisation du gaz … Bleu.

Le vert des environnements qui disparaissent, mais aussi des zones que l’on protège enfin.

Le vert de la collaboration à la croissance mortifère, mais aussi des expériences dites de transition.

Et puis, et puis… il y a le blanc

Le blanc du deuil des autres autres couleurs. Le blanc comme somme des autres couleurs.

Le blanc des abstentions qui préviennent.

Le blanc de la lumière qui viendra, qui vient.

Le blanc violent des soleils trop présents.

Le blanc du drapeau à lever dans cette guerre que nous menons contre la vie.


filtre:
Libération


Merci pour la clarification !

Paul Blume

Le dimanche 10 octobre à Bruxelles, des dizaines de milliers de manifestantes et manifestants – d’horizons parfois très éloignés – se sont mobilisés pour rappeler l’urgence climatique et la faiblesse des agendas politiques.

Au-delà de la réussite de cette mobilisation, la question de la signification précise des revendications reste pendante.

Le plan européen et sa déclinaison Gazière belge font-ils partie de la solution ou du problème ?

La « manif » pouvait-elle être comprise comme un soutien au gouvernement fédéral en matière de politique climatique ?

Ce lendemain de manifestation, une occupation pacifique de locaux d’Ecolo / Groen est venue rappeler qu’en physique, le gaz reste du gaz, quels que soient les accords de majorité politique.

Que quand on brûle du gaz, on favorise les risques climatiques en ajoutant du CO2 au CO2. Alors que nous devrions faire l’inverse.

La mise au point est donc claire en ce qui concerne le plan Gaz de la ministre Tinne van der Straeten (Groen), mais également quant à la politique fédérale climat défendue par la ministre Zakia Khattabi (Ecolo).

Nous verrons, dans les jours et semaines à venir, comment cette clarification sera entendue. Et par qui …

Mi-septembre déjà, un collectif rappelait sur ce blog que L’heure de vérité avait sonné.


Voir les infos sur l’occupation pacifique : ici


Effet des changements d’utilisation des terres par habitant sur le défrichement des forêts holocènes et les émissions de CO2


Il est un paradoxe bien connu, celui de l’œuf et de la poule : « Qu’est-ce qui est apparu en premier : l’œuf ou la poule ? ». Mais en voici un autre, qui de facto porte en germe toutes les problématiques de notre monde : « Qui est à l’origine de la croissance de l’autre ? La démographie ou l’agriculture ? »

Qu’importe la réponse finalement….

L’important, c’est qu’en filigrane, il ne reste que cette réalité : les déforestations, la perte des plaines alluviales en tant qu’écosystèmes majeurs, l’augmentation débridée du co2, étaient déjà inscrits dans notre histoire bien avant l’ère industrielle.

Signaux faibles ? Pas vraiment.. Le ver était déjà dans le fruit…


2009-12 Effet des changements d’utilisation des terres par habitant sur le défrichement des forêts et les émissions de CO2 pendant l’Holocène, William F. Ruddimana, Department of Environmental Sciences, Clark Hall, University of Virginia, Charlottesville, USA ; Erle C. Ellis, Department of Geography and Environmental Systems, University of Maryland, Baltimore County, Baltimore, USA, Quaternary Science Reviews 28(27-28):3011-3015, DOI:10.1016/j.quascirev.2009.05.022 (Effect Of Per-Capita Land Use Changes On Holocene Forest Clearance And CO2 Emissions)

Traduction par JM Poggi -(deepl) – Article original https://obsant.eu/le-flux/?iti=11079

Résumé :

La pièce maîtresse de « l’hypothèse anthropique » pourrait se résumer en une phrase : le rôle de l’humanité dans les modifications des niveaux des gaz à effet de serre remonte à des milliers d’années, en conséquence de l’émergence de l’agriculture (Ruddiman, W.F., 2003 : The anthropogenic greenhouse era began thousands of years ago. Climatic Change 61, 261–293. Ruddiman, W.F., 2007 : The early anthropogenic hypothesis: challenges and responses. Reviews of Geophysics 45 2006RG000207R)

Une réaction courante à cette affirmation est que trop peu de personnes vivaient il y a des milliers d’années pour avoir eu un effet majeur sur l’utilisation des terres, et donc les concentrations de gaz à effet de serre.

Ce point de vue sous-tend l’idée que la surface de défrichement par individu a peu changé depuis des millénaires. Or de nombreuses études de terrain ont montré que l’utilisation des terres par habitant était plus importante à l’origine, et qu’elle a diminué à mesure que la densité de population augmentait, en lien avec l’intensification de l’agriculture.

Nous avons étudié ici l’impact de l’évolution de l’utilisation des terres par habitant au cours des derniers millénaires et en concluons qu’un défrichement plus important par les premiers agriculteurs a eu un impact disproportionné sur les émissions de CO2.

Développement :

Le postulat central de « l’hypothèse de l’anthropisation » (anthropocène) (Ruddiman, 2003, 2007) est que la déforestation effectuée par les humains a inversé une tendance naturellement décroissante des niveaux de CO2 il y a 7000 ans pour aboutir au contraire a une tendance à la hausse, tandis que la culture du riz et l’élevage ont eu le même effet sur la tendance du méthane depuis 5000 ans (Fig. 1a). […]

Plusieurs modélisations se sont basées sur des mesures de l’utilisation des terres à une époque récente afin d’établir un lien entre l’utilisation « moderne » des terres et les modes d’utilisation par les populations antérieures. Certaines études ont pré-supposé des liens linéaires entre la population et l’utilisation des terres (par exemple, Klein Goldewijk, 2001 ; Pongratz et al., 2008). Les estimations de l’utilisation passée des terres qui découlent de cette hypothèse suivent inévitablement les augmentations exponentielles de la population mondiale au cours des derniers siècles. Ainsi, les reconstitutions basées sur les statistiques d’utilisation des terres disponibles (par exemple, Ramankutty et Foley, 1999) tendent à sous-estimer les surfaces cultivées au cours des premières périodes historiques, alors même que des systèmes de propriété foncière informels et des pratiques agricoles « changeantes » ne pouvaient que biaiser les résultats vers le bas (Ho, 1959).

En revanche, comme résumé ci-dessous, plusieurs études basées sur des preuves de terrain soutiennent une vision bien différente de l’utilisation des terres.

Les études anthropologiques d’un éventail de cultures contemporaines qui pratiquent les premières formes de culture itinérante, comme la culture sur brûlis, donnent un aperçu des pratiques agricoles utilisées il y a des millénaires dans des régions naturellement forestières.

Les études sur l’archéologie de l’utilisation des terres, la paléoécologie, la paléobotanique et la sédimentologie fournissent des informations sur les contraintes qui ont affectés les changements passés dans les types et étendues des systèmes agricoles, les transitions graduelles de la végétation naturelle vers les cultures domestiques, et l’érosion accrue sur les versants dégagés par la déforestation et le labourage.

Les conclusions communes de ces études de terrain convergent : l’utilisation des terres par habitant au cours des 7000 dernières années n’est pas restée constante, mais a plutôt diminué, ramené par habitant, de façon importante.

Nous analysons ici les répercussions probables de cette tendance à la baisse du défrichement par habitant et en conséquence les émissions nettes de carbone dans l’atmosphère.

Il y a des décennies, Boserup (1965) a synthétisé les résultats provenant d’études de terrain et a posé comme hypothèse que l’utilisation des terres s’est intensifiée avec l’augmentation de la population (tableau 1).

Dans la phase la plus ancienne et la moins peuplée du développement de l’agriculture (la phase de jachère forestière), les agriculteurs mettaient le feu aux forêts et plantaient des graines dans un sol enrichi en cendres. Lorsque, après un certain nombre d’années, les nutriments du sol s’épuisaient, les gens se déplaçaient vers de nouvelles parcelles, ne retournant à la parcelle d’origine qu’après une vingtaine d’années ou plus. Les premiers agriculteurs restaient effectivement le plus souvent dans les mêmes habitations (Startin, 1978), mais alternaient entre différentes parcelles cultivées.

Ce type d’agriculture nécessitait peu de travail par personne, mais la rotation continue entre les parcelles utilisait une grande quantité de terre.

Au fil du temps, l’augmentation de la densité des populations conduisant à avoir moins de terres disponibles, les agriculteurs ont été contraints de raccourcir les périodes de jachère en réutilisant les parcelles plus souvent et en plantant plus densément.

Plus tard, ils ont élaboré de nouvelles techniques pour augmenter les rendements à l’hectare, comme l’amélioration des charrues, la traction animale, l’irrigation et l’usage des engrais.

En définitive, avec l’augmentation continue de la population, les agriculteurs ont été contraints de se limiter à la même parcelle de terre chaque année (culture annuelle) et ont finalement commencé à cultiver deux ou plusieurs cultures par an sur les mêmes champs.

Certaines régions ont développé des systèmes d’irrigation sophistiqués et étendus dans le cadre de schémas d’ingénierie hydraulique contrôlés de manière centralisée.

Malgré les bénéfices offerts par différentes innovations, comme la généralisation des outils en fer, cette dernière phase de l’agriculture intensive a nécessité de grandes quantités de travail par personne pour augmenter la productivité : épandage de fumier et de compost, soin du bétail qui fournissait du fumier, élimination des mauvaises herbes et des insectes, réparation et entretien des terrasses et des canaux d’irrigation, etc.

Malgré quatre décennies de débat sur la relation de cause à effet sur long terme entre l’augmentation de la population et les innovations agricoles, les conclusions de Boserup, selon laquelle l’utilisation des terres par habitant a diminué parallèlement à la croissance de la population, ont reçu un écho positif et durable. Bien que la les analyses historiques des changements d’utilisation des terres fonction de la population puissent différer grandement d’un site à l’autre et même d’une région à l’autre (par exemple, Bogaard, 2002 ; Johnston, 2003), le modèle de Boserup qui sous-tend une diminution de l’utilisation des terres par habitant avec augmentation de la population demeure le paradigme dominant pour le changement d’utilisation des terres agricoles (Grigg, 1979 ; Netting, 1993 ; Turner et Shajaat, 1996).

Notre objectif ici est de quantifier ces séquences d’intensification sur la base d’observations (tableau 1) compilées à partir de Netting (1993, tableau 9.1 d’après Boserup, 1981) et d’autres (Turneret al., 1977 ; Seiler et Crutzen, 1980 ; Murdock et White, 2006).

Au cours du siècle dernier, la superficie cultivée par personne a varié entre 0,07 et 0,35 ha/personne (Ramankutty et al., 2002).

Ces faibles valeurs reflectent une utilisation très intensive des terres dans les pays fortement peuplés et intègrent aussi, implicitement, les déplacements continus de population des zones rurales vers les zones urbaines.

En comparaison, les valeurs par habitant pour les périodes les plus anciennes (milieu de l’Holocène) sont moins préciss. Des estimations peuvent être obtenues à partir d’études de systèmes agricoles contemporains qui utilisent encore des méthodes de culture itinérante, bien que ces cultures soient confrontées à des limitations foncières et à des forces du marché différentes des conditions dans lesquelles l’agriculture a commencé (Boserup, 1965 ; Turner et al., 1977).

Néanmoins, le défrichement de la forêt par individu dans les systèmes d’agriculture itinérante peut être évalué en tenant compte des estimations des terres cultivées par personne et par an, des cycles de culture typiques (le nombre d’années pendant lesquelles la terre est cultivée puis laissée en jachère), et des zones défrichées à d’autres fins que la culture (pâturages, bois, habitations et autres structures).

Compte tenu d’une superficie de terres cultivées annuellement par habitant de 0,2 à 0,4 ha (Seiler et Crutzen, 1980) et des durées de jachère de 7 à 25 ans typiques des systèmes d’agriculture itinérante contemporains qui utilisent des technologies très similaires à celles des premiers agriculteurs (usage de bâtons à fouir et houes en bois, sans outils métalliques ; Murdock et White, 2006 ; Turner et al., 1977), nous estimons que le défrichement rapporté au nombre d’habitant est de l’ordre de 2 à 6 ha par personne pour les premiers agriculteurs (tableau 1). Cette estimation concorde avec celle d’Olofson et Hickler (2008).

Cette estimation concorde également avec les 4 ha par personne calculés par Gregg (1988) sur la base des besoins en matière de culture, d’élevage, de bois et de peuplement d’un village européen de 30 personnes datant de la fin du Néolithique.

Gregg a supposé une configuration de jachère courte, avec une seule zone de jachère de la même taille que la zone cultivée, bien que d’autres estimations suggèrent que 5 à 10 parcelles auraient pu être en jachère dans une longue séquence de rotation (Boserup, 1965 ; Netting, 1993).

Des peuplements denses de jeunes arbres repoussent sur les zones laissées en jachère pendant une vingtaine d’années, mais leur biomasse et leur carbone ne s’approchent pas des niveaux typiques d’une forêt primaire (Ramankutty et al., 2007).

Si le bétail est amené à brouter les jeunes pousses, la récupération de la biomasse est d’autant plus réduite (Boserup, 1965).

Au début de la période holocène (il y a 7000-6000 ans), de nombreux individus n’étaient pas encore des agriculteurs. La prise en compte de ce fait réduirait les estimations de l’utilisation des terres par habitant pendant la première phase de jachère forestière.

D’autre part, les premiers peuples agricoles (et même pré-agricoles) usaient couramment du feu pour défricher de grandes zones afin d’attirer le gibier et de favoriser la croissance des baies et autres aliments naturels (Pyne, 2000 ; Williams, 2003 ; Bliege Bird et al., 20 08). Le défrichement par le feu n’était pas limitant.

En outre, il y a 5000 ans, les principales cultures étaient déjà cultivées dans les régions les plus peuplées du monde ; le blé et l’orge dans toute l’Europe (Zohary et Hopf, 1993) ; le millet et le riz dans une grande partie de la Chine (Ruddiman et al., 2008 ; Fuller et Qin, 2009), et le maïs (corn) en Méso-Amérique (Grigg, 1974 ; MacNeish, 1992).

En raison du succès de ces sources alimentaires primaires, les populations de ces régions ont augmenté rapidement et ont supplanté les peuples qui pratiquaient encore la chasse et la cueillette.

Après les premiers développements basés sur les jachères sur zones initialement forestières puis d’alternance entre différentes parcelles cultivées, Boserup a suggéré que des augmentations successives de la densité de population ont nécessité une culture en jachère avec des rotations plus courtes (« bush fallow »), puis une culture annuelle, et finalement des cultures multiples sur chaque parcelle (Tableau 1 ; Kates et al., 1993 ; Netting, 1993), bien que certaines régions puissent ne pas avoir suivi la séquence complète indiquée dans le Tableau 1.

Ainsi la riziculture humide dans le sud de la Chine était probablement relativement intensive même dans sa phase initiale il y a 6000-5000 ans. Il y a 2000 ans, les zones rizicoles les plus densément peuplées des deltas de la Chine méridionale et d’autres régions d’Asie avaient déjà atteint la phase de culture annuelle avec 1 ha de terres cultivées par personne.

Cependant, même dans ces régions, une augmentation de l’intensification (cultures multiples, fumure, désherbage) a fait chuter la surface cultivée par personne à seulement 0,1-0,2 ha vers 1800 (Chao, 1986 ; Ellis et Wang, 1997).

Parallèlement, les régions moins densément peuplées ont continué à pratiquer une culture itinérante et certaines ont peut-être adopté la culture annuelle beaucoup plus tard (quand elles l’ont fait).

En résumé, malgré des variations considérables d’une région à l’autre et d’une culture à l’autre, l’utilisation moyenne des terres par personne semble être passée de plusieurs hectares par personne pendant l’Holocène moyen à seulement quelques dixièmes d’hectares vers le début de l’ère industrielle, soit une baisse d’un ordre de grandeur complet.

Sur la base de ces éléments, la figure 2a présente des trajectoires de l’évolution de l’utilisation des terres par habitant au cours de l’Holocène.

Il y a 7000 ans, la plupart des agriculteurs utilisaient des jachères avec rotations longues, nous supposons une utilisation des terres par habitant de 4 ha (+/-2 ha). À l’autre extrême, juste avant l’ère industrielle, l’utilisation des terres par habitant est d’environ 0,4 ha (+/-0,2 ha) par personne, une valeur légèrement supérieure de celle du siècle dernier.

Naturellement, tenter de quantifier une tendance « moyenne mondiale » en matière d’utilisation des terres par habitant au cours de l’Holocène est évidemment une tâche compliquée qui devrait prendre en compte les populations, les cultures et les méthodes agricoles très différentes qui ont coexisté dans différentes régions au cours de chaque intervalle.

Pour tenter de refléter une partie de cette incertitude, nous montrons sur la figure 2a trois trajectoires possibles. La tendance « concave » suppose que les premières réductions d’utilisation des terres par habitant étaient plus importantes que les suivantes. La tendance « linéaire » suppose des taux constants de réduction de l’utilisation des terres au fil du temps. La tendance « convexe » suppose que les réductions d’utilisation des terres ont été plus importantes plus tard dans la chronologie.

Ceci dit, cette dernière tendance est cohérente avec l’ensemble des données qui montrent une intensification agricole accélérée au cours de l’ère « historique » (récente) (Boserup, 1965 ; Grubler, 1994).

La combinaison de la population mondiale (Fig. 1b) et des trois trajectoires possibles de l’utilisation moyenne des terres par habitant (Fig. 2a) conduit à trois estimations du défrichement mondial (Fig. 2b).

Compte tenu des incertitudes décrites ci-dessus, ces tendances ne sont pas censées être des estimations exhaustives de l’ampleur de la déforestation préindustrielle.

Elles visent plutôt à fournir une évaluation de la mesure dans laquelle l’intensification de l’utilisation des terres aurait pu modifier les estimations de l’utilisation des terres à l’échelle mondiale par rapport aux estimations basées sur les liens linéaires avec la population (ligne pointillée dans la Fig. 2b).

Dans tous les cas, les tendances au défrichement augmentent rapidement jusqu’à il y a 2000 ans (Fig. 2b).

Puis les tendances issues des cas linéaires et concaves restent relativement stables entre 2000 et 1000 ans, puis repartent à la hausse en réponse au fort accroissement de la population dans les siècles précédant l’ère industrielle.

La tendance basée sur la trajectoire convexe montre une tendance au défrichement contenue mais persistante depuis 2000-1500 ans.

Deux facteurs contribuent au ralentissement de l’utilisation estimée des terres depuis 2000 ans dans ces scénarios. La perte de dizaines de millions de personnes pendant les grandes pandémies et les périodes de troubles ont joué un rôle important. Au cours des épisodes les plus graves (200-600 après J.-C. et 1200-1700 après J.-C.), la mortalité « excédentaire » s’est élevée aux environs de 12 à 18% de la population mondiale (McEvedy et Jones, 1978 ; Denevan, 1992).

Mais le principal facteur justifiant ces tendances est la diminution de l’utilisation des terres par habitant (Fig. 2a).

Pour les cas « concave » et « linéaire », cette diminution a été suffisante pour compenser l’augmentation de la population entre 2000 et 1000 ans, mais pas après, d’où un rattrapage. Pour le cas « convexe », la diminution exponentielle de l’utilisation des terres a permis de contrebalancer l’augmentation exponentielle de la population au cours des derniers siècles.

La culture à grande échelle des prairies et steppes n’a pas eu lieu avant le début des années 1800, ce pourquoi la plupart des terres qui ont été défrichées pour l’agriculture à l’époque préindustrielle étaient encore boisées avant cette période.

Ainsi, avant la combustion des combustibles fossiles de l’ère industrielle, le défrichement des forêts a été la principale source anthropique d’augmentation du CO2 (Houghton, 1999).

Bien que l’augmentation exponentielle de la population mondiale (Fig. 1b) ne soit pas en lien direct avec l’augmentation précoce du CO2 (Fig. 1a), la prise en compte pendant l’holocène de la tendance vers une utilisation des terres par habitant plus faible (Fig. 2a) permet de lier les estimations de l’utilisation des terres (Fig. 2b) à l’augmentation du CO2 (Fig. 1a).

Dans ce cadre, les augmentations des concentrations de CO2 atmosphérique sont à appréhender en lien avec le taux de défrichement par habitant plutôt qu’avec le défrichement total. Les changements d’utilisation des terres par millénaire calculés à partir des tendances de la Fig. 2b sont présentés à la Fig. 2c.

Comme pour la tendance constatée pour le CO2 (Fig. 1a), les trois taux de défrichement montrent des taux de croissance plus rapides avant 2000 ans, suivies d’une stabilisation puis d’une diminution relative.

Par ailleurs, comme les premières exploitations agricoles étaient concentrées dans des vallées alluviales aux sols humides et fertiles, les forêts défrichées dans ces zones étaient plus riches en carbone que celles situées sur les flancs de collines et les pentes de montagnes, qui ont été défrichées ultérieurement.

Ainsi la prise en compte des variations de la densité du carbone dans les calculs conduirait à encore augmenter les émissions de CO2 au début de l’Holocène.

Une modélisation consolidée des tendances d’émissions de CO2 pendant l’Holocène nécessiterait d’effectuer des estimations exhaustives des changements d’utilisation des terres aux niveaux régionaux, comme celles de effectuées par Kaplan et al. (2009) pour l’Europe.

Ces modélisations nécessiteraient également des évaluations précises des liens entre les densités de population préindustrielles et le défrichement (et la récupération), les facteurs régionaux tels que le climat, la qualité des sols et la topographie (plaines alluviales vs versants), les facteurs culturels tels que les préférences en matière d’élevage, et les facteurs historiques tels que les échanges de variétés de cultures et de technologies découlant des premières rencontres coloniales.

En outre, l’évaluation de l’estimation des émissions et des concentrations de CO2 dans l’atmosphère en conséquence des changements d’utilisation des terres doit tenir compte du long temps de résidence du CO2 dans l’atmosphère (Joos et al., 2004 ; Archer, 2008).

En résumé, les tentatives précédentes d’analyse à posteriori du défrichement préindustriel fondées sur l’hypothèse de liens linéaires ou quasi-linéaires avec les populations passées sont susceptibles de sous-estimer l’impact des déforestations précoces.

Les estimations des défrichements passés doivent intégrer à minima la diminution importante et continue de l’utilisation des terres par habitant avant l’ère préindustrielle.

Sur la base de nos résultats, les historiques de défrichement qui intègrent les processus d’intensification de l’utilisation des terres offrent des estimations du rôle du défrichement précoce, et des émissions de CO2 liés, et donc de la trajectoire observée du CO2 préindustriel dans l’atmosphère, pertinents.


Nous remercions Dorian Fuller et Navin Ramankutty pour leurs commentaires sur une version antérieure, Robert Smith pour les graphiques, et Stephanie Pulley pour son aide dans les recherches d’archives. Le programme Paléoclimat de la division des sciences atmosphériques de la National Science Foundation a financé ce travail.


Pesticides et invertébrés du sol : Une évaluation des risques

Ci-dessous l’une des plus exhaustive étude sur les pesticides et micro-organismes invertébrés des sols, publiée par Frontiers in Environmental Science, évoquée récemment par Sébastien Lauwers, que je viens de traduire, et vous engage à lire jusqu’au bout. Édifiant, comme d’hab…

JM Poggi – Facebook – groupe Transition 2030 – 4 octobre 2021

Article original en Anglais : https://obsant.eu/veille/?iti=11009

Les sols sont sans doute les écosystèmes les plus complexes et les plus riches en biodiversité sur terre, contenant près d’un quart de la diversité de la planète (Ram, 2019).

Une poignée de terre contient environ de 10 à 100 millions d’organismes appartenant à plus de 5.000 taxons [espèces et/ou familles spécifiques] (Ramirez et al., 2015), dont seul un petit pourcentage a été décrit (Adams et Wall, 2000).

Une communauté fonctionnelle typique de micro-organismes du sol comprend des centaines à des milliers d’espèces de macroinvertébrés et nématodes, ainsi qu’une vaste abondance de micro-organismes, dont des centaines d’espèces fongiques et des milliers d’espèces bactériennes (Bardgett et van der Putten, 2014 ; Ram, 2019 ; Singh et al., 2019).

Les invertébrés du sol rendent une variété de services écosystémiques différents, essentiels à la durabilité de l’agriculture. La biodiversité du sol permet des fonctions écosystémiques auto-perpétuées qui alimentent des processus spécialisés tels que le maintien de la structure du sol, le cycle des nutriments, les transformations du carbone et la régulation des parasites et des maladies (Balvanera et al., 2006 ; Perrings et al., 2006 ; Kibblewhite et al., 2008 ; Chagnon et al., 2015). L’activité de fouissement des organismes du sol modifie la porosité du sol en augmentant l’aération, l’infiltration et la rétention d’eau, et en réduisant le compactage (Pisa et al., 2015 ; Ram, 2019).

Les vers de terre peuvent à eux seuls construire jusqu’à 8.900 km de canaux par hectare, diminuant l’érosion du sol de 50% via l’augmentation de la porosité du sol et de l’infiltration de l’eau (Blouin et al., 2013 ; Gaupp-Berghausen et al., 2015).

Les nutriments voyagent à travers les multiples couches du sol par le biais de butineuses, de tunneliers et d’insectes nichant au sol, notamment les coléoptères, les abeilles nichant au sol, les fourmis et les termites (Stork et Eggleton, 1992 ; Willis Chan et al, 2019), et les détritivores comme les nématodes, les collemboles, les vers de terre, les mille-pattes et les cloportes, transforment les matières en décomposition et les minéraux en formes utilisables, organisent le cycle des nutriments et augmentent la fertilité du sol (Stork et Eggleton, 1992 ; Kibblewhite et al., 2008 ; Ram, 2019).

Par exemple, les nématodes et les acariens permettent la minéralisation de l’azote en se nourrissant des racines fongiques et en stimulant et régulant l’activité microbienne (Stork et Eggleton, 1992). Les invertébrés morts se décomposent et ajoutent de l’azote au sol (Stork et Eggleton, 1992). Les invertébrés du sol forment également jusqu’à la moitié de tous les agrégats du sol en décomposant la litière et en libérant des plâtres et des fèces riches en éléments organiques (Stork et Eggleton, 1992).

La formation de ces grands agrégats du sol permet une plus grande séquestration du carbone du sol, et ces ingénieurs de l’écosystème jouent donc un rôle dans la compensation des émissions de combustibles fossiles et la lutte contre le changement climatique (Lal, 2004a, b ; Lavelle et al., 2006 ; Dirzo et al., 2014).

De nombreux invertébrés du sol jouent également un rôle dans la lutte contre les ravageurs agricoles. Les nématodes et les acariens sont utilisés pour cibler les bactéries liées aux maladies dans les cultures (Stork et Eggleton, 1992 ; Kibblewhite et al., 2008 ; Ram, 2019).

Les prédateurs et les parasitoïdes, tels que les coléoptères et les guêpes parasites, s’attaquent aux arthropodes qui nuisent à la production agricole (Stork et Eggleton, 1992 ; Gill et al., 2016), et les insectes herbivores du sol peuvent manger les graines des plantes indésirables de manière sélective par rapport aux graines des cultures, réduisant ainsi la propagation des mauvaises herbes agressives (Honek et al., 2003).

L’augmentation de la conversion des terres et l’intensification de l’agriculture accélèrent la perte de la biodiversité du sol et, par conséquent, ont contribué à la réduction d’environ 60% des services écosystémiques du sol (Díaz et al., 2006 ; Veresoglou et al., 2015 ; Singh et al., 2019).

De nombreux insectes qui dépendent du sol pour certaines parties de leur cycle de vie, comme les carabes et les abeilles nichant au sol, ainsi que les insectes et acariens terrestres en Amérique du Nord, ont fortement diminué au cours des dernières décennies (Forister et al., 2019 ; Sánchez-Bayo et Wyckhuys, 2019 ; van Klink et al., 2020 ; Sullivan et Ozman-Sullivan, 2021).

La perte d’habitat due à l’intensification de l’agriculture et à la pollution, principalement en conséquence des pesticides et des engrais agricoles de synthèse, est considérée comme le principal facteur déterminant du déclin récent des insectes et constitue une menace croissante (Hallmann et al., 2017 ; Forister et al., 2019 ; Seibold et al., 2019 ; Sánchez-Bayo et Wyckhuys, 2019 ; Miličić et al., 2020).

Dans une enquête menée en 2019 auprès des pays membres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la surutilisation des mécanismes de contrôle chimique (par exemple, les pesticides, les antibiotiques, etc.) a été identifiée comme la pratique la plus impactante à l’origine de la perte de biodiversité du sol au cours des dix dernières années (FAO, 2020).

De 1992 à 2014, DiBartolomeis et al. ont constaté que l’utilisation accrue d’insecticides néonicotinoïdes et la persistance de ces insecticides dans l’environnement ont entraîné une augmentation, respectivement, de 48 et 4 fois de la charge de toxicité orale et de contact, pour les insectes dans les environnements agricoles en utilisant l’abeille européenne Apis mellifera L. comme espèce de substitution (DiBartolomeis et al., 2019).

L’étude s’est concentrée sur les abeilles domestiques car elles sont l’insecte non ciblé le plus étudié au sein des agroécosystèmes des États-Unis ; en fait, elles sont le seul invertébré terrestre pour lequel l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA) exige des tests lors de l’enregistrement des pesticides (Legal Information Institute, 2020). Cependant, les résultats de cette étude indiquent également une menace croissante pour l’ensemble des invertébrés du sol.

Les insecticides néonicotinoïdes ont représenté 92% de l’augmentation de la charge toxique pour les invertébrés (DiBartolomeis et al., 2019), et 60% de l’utilisation des néonicotinoïdes se fait par le biais de traitements de semences et d’applications au sol en 2011 (Jeschke et al., 2011).

On estime que les traitements de semences aux néonicotinoïdes sont utilisés dans plus de la moitié des surfaces de soja et dans quasi tout le maïs non biologique cultivé aux États-Unis (Douglas et Tooker, 2015 ; Mourtzinis et al., 2019). Étant donné que 80% ou plus des ingrédients actifs des traitements de semences aux néonicotinoïdes restent dans le sol (Sur et Stork, 2003 ; Alford et Krupke, 2017), les organismes du sol dans ces systèmes sont susceptibles d’être exposés à des doses élevées de ces insecticides.

Par ailleurs, l’utilisation à grande échelle de fongicides appliqués sur les semences présente un autre risque, car quasi tout le maïs des États-Unis est également traité avec des fongicides appliqués sur les semences (Lamichhane et al., 2019).

Outre les pesticides actuellement sur le marché, plusieurs nouvelles matières actives de pesticides appliqués sur les semences et sur les terres sont en cours d’homologation aux États-Unis, comme le fongicide pyrazolecarboxamide inpyrfluxam (U.S. EPA, 2020a), l’insecticide diamide tétraniliprole (U.S. EPA, 2020d) et le nouvel insecticide broflanilide (U.S. EPA, 2020c).

La tendance à une utilisation plus large des pesticides – à la fois individuellement et en combinaison avec d’autres ingrédients actifs – va probablement continuer à se développer. Si les organismes du sol sont particulièrement menacés par l’exposition via les applications directes sur les sols, ils peuvent également être exposés aux pesticides par d’autres voies, comme la dispersion des pulvérisations foliaires (Sánchez-Bayo, 2011), l’inclusion de pesticides dans l’eau d’irrigation (Sánchez-Bayo, 2011) ou l’absorption de pesticides dans les tissus végétaux qui finissent par retourner dans le sol par la sénescence des résidus de culture (Doublet et al., 2009).

Comme cette menace pour les organismes du sol augmente, il est important de s’efforcer d’avoir une compréhension plus complète des impacts de tous les pesticides sur les invertébrés du sol.

Le mot « pesticide » est un terme générique utilisé pour décrire un agent qui cible un ravageur – dans l’agriculture végétale, un ravageur est défini comme un organisme qui cause des dommages aux cultures par des dommages directs ou par la compétition pour les nutriments et l’eau – et comprend les insecticides, herbicides, fongicides et bactéricides, entre autres.

La plupart des articles de synthèse évaluant les impacts des pesticides sur les organismes du sol se sont concentrés sur les risques environnementaux de classes spécifiques de pesticides (Biondi et al., 2012 ; Pisa et al., 2015 ; Douglas et Tooker, 2016 ; Wood et Goulson, 2017), concernant des taxons spécifiques (da Silva Souza et al, 2014 ; Pelosi et al., 2014 ; Römbke et al., 2017), ou n’ont analysé que des données de laboratoire (Frampton et al., 2006), ou de terrain (Jänsch et al., 2006), ce qui complique la possibilité d’avoir une vision globale de la situation et des dangers, qui pourrait servir de guide à une politique générale en matière de pesticides.

À notre connaissance, il n’y a eu qu’une étude offrant un aperçu relativement complet des effets des pesticides sur une grande variété d’organismes du sol (Puglisi, 2012), qui s’est concentrée sur les micro-organismes du sol, en particulier bactéries et champignons.

Ici, notre objectif a été d’offrir un aperçu des effets d’un large type de pesticides sur les invertébrés du sol.

Compte tenu de la portée d’une telle étude, une attention particulière a été également accordée aux effets spécifiques parmi les différentes classes de pesticides, taxons et paramètres, ainsi qu’aux lacunes dans les données qui devraient être comblées.

Compte tenu des services écosystémiques clés rendus par les invertébrés du sol et de l’augmentation de l’utilisation de pesticides appliqués sur les semences et les sols, l’un de nos objectifs a été d’offrir un aperçu globalisant du danger global que représentent les pesticides pour les invertébrés du sol afin de déterminer s’il convient de les inclure dans l’évaluation réglementaire des risques écotoxicologiques pour garantir une estimation adéquate des dommages environnementaux. […]

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2021-05-04 Pesticides et invertébrés des terres : Une évaluation des risques, Tari Gunstone1, Tara Cornelisse1, Kendra Klein2, Aditi Dubey3 et Nathan Donley1, Frontiers in Environmental Science

1 Center for Biological Diversity, Portland, OR, États-Unis ; 2 Friends of the Earth US, Berkeley, CA, États-Unis ; 3 Département d’entomologie, Université du Maryland, College Park, College Park, MD, États-Unis.

Présentation

L’utilisation de pesticides agricoles et les dommages environnementaux qui y sont associés sont très répandus dans la majeure partie du monde. Les efforts visant à atténuer ces dommages ont été largement axés sur la réduction de la contamination de l’eau et de l’air par les pesticides, car le ruissellement et la dispersion dans l’air des pesticides sont les sources les plus importantes de diffusion des pesticides hors site.

Reste que la contamination du sol par les pesticides peut également avoir des conséquences néfastes sur l’environnement de manière plus générale.

Les pesticides sont souvent appliqués directement sur les terres sous forme de liquides et de granulés, mais aussi sous forme d’enrobages de semences, d’où l’importance de comprendre l’impact des pesticides sur les écosystèmes des terres.

Les sols contiennent une abondance d’organismes biologiquement diversifiés qui remplissent de nombreuses fonctions importantes, définissent le cycle des nutriments, le maintien de la structure du sol, la transformation du carbone et la régulation des parasites et des maladies.

De nombreux invertébrés terrestres ont décliné au cours des dernières décennies. La perte d’habitat et la pollution agrochimique due à l’intensification de l’agriculture ont été identifiées comme des facteurs majeurs.

Nous avons effectué ici une méta-analyse basée sur près de 400 études sur les effets des pesticides sur les micro-organismes invertébrés non ciblés, y compris en développement : œufs, larves ou espèces immatures dans le sol.

Cette étude englobe 275 espèces ou familles spécifiques de micro-organismes invertébrés du sol [nommés dans la suite de l’étude « taxons »] et 284 ingrédients actifs de pesticides différents et/ou combinaisons spécifiques d’ingrédients actifs.

Nous avons identifié et extrait les données pertinentes relatives aux paramètres suivants : mortalité, abondance, biomasse, comportement, reproduction, biomarqueurs biochimiques, croissance, richesse et diversité, et changements structurels. Il en est résulté une analyse de plus de 2.800 « paramètres testés » distincts, mesurés en tant que changement d’un paramètre spécifique suite à l’exposition d’un organisme spécifique à un pesticide spécifique. […]

En outre, nous discutons des tendances générales des effets parmi les classes de pesticides, taxons et paramètres. […] Notre examen indique que les pesticides de tous types présentent un danger évident pour les invertébrés du sol.

Les effets négatifs sont évidents dans les études de laboratoire et de terrain, pour toutes les classes de pesticides étudiées, et pour une grande variété d’organismes du sol et de paramètres.

La prévalence des effets négatifs dans nos résultats souligne la nécessité de prendre en compte les organismes du sol dans toute analyse de risque d’un pesticide susceptible de contaminer le sol, et d’atténuer tout risque significatif de manière à réduire spécifiquement les dommages causés aux organismes du sol et aux nombreux services écosystémiques importants qu’ils fournissent.

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Discussion

En examinant 394 études sur l’impact des pesticides sur les invertébrés du sol, nous avons constaté que les effets négatifs dominaient, avec 70,5% des 2.842 paramètres totaux testés entre les études de laboratoire et de terrain identifiant un impact négatif sur les organismes du sol en raison de l’exposition aux pesticides.

L’ensemble des autres classes de pesticides les plus étudiées (au nombre de 12, figure 2), autres que les herbicides synthétiques auxiniques, ont eu un effet négatif sur plus de 50% des paramètres testés qui ont été analysés.

Ces résultats indiquent qu’une grande variété d’invertébrés vivant dans le sol sont sensibles à tous les types de pesticides et confirment la nécessité pour les organismes de réglementation des pesticides de tenir compte des risques que ces derniers représentent pour les invertébrés et les écosystèmes du sol.

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Impacts par type de pesticide

Les insecticides étaient de loin le type de pesticide le plus étudié et, sans surprise, puisqu’ils sont conçus pour cibler les invertébrés, ils ont eu le plus grand impact négatif sur les invertébrés du sol de tous les types de pesticides analysés.

Nous avons constaté que les insecticides avaient systématiquement un effet négatif sur environ 60 à 85% de tous les paramètres testés parmi les taxons étudiés (tableau 1).

Les bourdons (Bombus spp.) et les taxons mixtes du sol constituaient les exceptions notables, mais ils étaient tout de même affectés négativement par les insecticides dans 54,2% et 40,9% des cas, respectivement.

Les herbicides et les fongicides, cependant, variaient considérablement en fonction du produit chimique, du taxon et de l’effet étudié, entraînant des effets négatifs sur 5% à 100% des paramètres testés dans les études examinées.

Une partie de cette variabilité est probablement due au fait que les études sur les impacts des herbicides et des fongicides sont moins nombreuses que celles effectuées sur les insecticides et que, par conséquent, très peu de paramètres ont été testés pour certains taxons (tableau 1).

Ces résultats indiquent qu’en général, les invertébrés du sol réagissent avec une plus grande variabilité dans leur sensibilité aux fongicides et aux herbicides qu’aux insecticides.

Les études répondant à nos critères de recherche se sont révélées être insuffisamment nombreuses pour permettre de dégager des tendances claires concernant l’impact des bactéricides sur les invertébrés du sol, probablement parce que nous n’avons pas inclus les recherches sur les micro-organismes comme les bactéries ou les champignons.

Les pourcentages d’effets négatifs des mélanges de pesticides varient entre 33,3% et 100%, la plupart ayant un impact négatif pour 40 à 60% des paramètres testés pour tous les taxons.

Nous avons constaté que les effets positifs étaient rares (1,4% dans l’ensemble) mais qu’ils se produisaient le plus souvent dans des études de terrain insistant sur l’application d’insecticides plus que d’autres types de pesticides. Ainsi un effet positif indique un avantage pour un organisme du sol qui se fait au détriment d’autres taxons du sol ou du fonctionnement de l’écosystème du sol. Par exemple, l’abondance de certains taxons du sol pourrait augmenter si un pesticide réduit les concurrents ou prédateurs, soit par mortalité, soit par émigration du secteur.

En conséquence, si certains effets ont été désignés comme « positifs » pour une espèce ou un taxon dans cette analyse, cela n’indique pas, ni n’est probable, que les pesticides ont eu un effet positif sur l’écosystème dans son ensemble.

Nos critères de recherche n’ont permis d’identifier que trois études qui ont testé la sensibilité des invertébrés du sol aux fumigants du sol couramment utilisés, notamment le 1,3-D, le dazomet, la chloropicrine et le métam-sodium. La plupart des études que nous avons trouvées sur les fumigants étudiaient la sensibilité d’organismes microbiens/fongiques ou d’organismes nuisibles cibles tels que les nématodes parasites des plantes et n’entraient pas dans le cadre de cet examen. Sur les neuf paramètres testés impliquant des fumigants, sept ont entraîné des effets négatifs sur les invertébrés du sol non ciblés. Le manque d’études disponibles sur les effets néfastes des fumigants appliqués au sol sur les invertébrés non ciblés indique qu’il s’agit d’un domaine qui nécessite davantage de recherches.

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Mélanges ou ingrédients actifs individuels

Peu d’études mesurent les effets des mélanges de pesticides par rapport aux ingrédients actifs individuels, bien que la recherche montre que les mélanges de résidus de pesticides dans le sol sont la règle plutôt que l’exception (Silva et al., 2019).

Quasi tout le maïs cultivé aux États-Unis est traité avec plusieurs pesticides (Douglas et Tooker, 2015 ; Lamichhane et al., 2019) et les mélanges de pesticides ont le potentiel d’augmenter la toxicité en raison d’interactions chimiques (Sgolastra et al., 2016).

Nous avons inclus des études sur les mélanges de pesticides dans notre analyse, qui, étonnamment, présentaient moins d’effets négatifs globaux que des pesticides uniques. Cela s’explique probablement par le fait que les études sur les mélanges ont été réalisées en grande majorité sur le terrain ou en milieu semi-naturel plutôt qu’en laboratoire. Cependant, parmi les études réalisées uniquement sur le terrain/semi-naturel, les mélanges de pesticides avaient dans nombre de cas un pourcentage d’effets négatifs plus élevé que toutes les classes de pesticides, à l’exception des insecticides (figure 1).

D’autres variables pourraient également contribuer au pourcentage d’effets négatifs globalement plus faible des mélanges. Par exemple, les études de mélanges sont souvent réalisées avec des concentrations de composants individuels dont on sait qu’ils ne produisent pas d’effet individuellement, afin de maximiser la capacité à identifier les effets interactifs (Kortenkamp, 2007). En outre, les résultats des expériences de mélange varient considérablement en fonction du type de pesticide analysé (voir la section Résultats).

Par conséquent, nous mettons en garde contre la comparaison du pourcentage d’effets négatifs pour les études de mélange avec ceux des types de pesticides individuels dans cette analyse.

En fin de compte, si l’on considère que l’exposition environnementale à des combinaisons de pesticides est la règle et non l’exception, le déficit de recherches sur les combinaisons de pesticides est une lacune importante dans la littérature scientifique qui, nous l’espérons, recevra une attention particulière à l’avenir.

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Études en laboratoire et sur le terrain

Dans l’ensemble, nous avons trouvé moins d’impacts négatifs des pesticides dans les études sur le terrain que dans les études en laboratoire.

L’une des raisons probables de ce résultat est que les concentrations de pesticides utilisées dans les études en laboratoire étaient généralement plus élevées, alors que les études sur le terrain appliquaient souvent des concentrations égales ou inférieures au taux d’utilisation recommandé.

Les concentrations plus élevées de pesticides sont plus souvent associées à des effets négatifs sur les organismes du sol (Puglisi, 2012). Par exemple, une étude sur les effets du pyriméthanil sur les Enchytraeids menée à travers deux laboratoires au Portugal et en Allemagne a trouvé des résultats contrastés en fonction de la concentration de pesticide testée (Bandow et al., 2016). En raison de la portée de cette revue, nous n’avons pas identifié les concentrations censées être rencontrées dans l’environnement pour chaque pesticide utilisé dans chaque étude.

Étant donné que les taux d’utilisation des pesticides et les méthodes d’application approuvées peuvent différer d’un pays à l’autre et d’une région à l’autre dans un même pays, une concentration de pesticide « pertinente sur le terrain » dans une région peut être sur- ou sous-représentative de celle attendue dans une autre région. Par conséquent, cette étude tient compte de la grande variété de concentrations d’exposition trouvées dans la littérature et se concentre sur l’identification des dangers, pas nécessairement des risques.

En outre, les variables environnementales non contrôlées et confondantes pourraient fournir une certaine capacité tampon pour les effets des pesticides dans les études sur le terrain et en condition semi-naturelle. Les conditions climatiques et les diverses variations saisonnières ou annuelles du milieu agricole en dehors de l’application des pesticides, comme les changements de système de culture ou l’irrigation, rendent difficile une évaluation exhaustive des effets des pesticides dans le cadre d’essais à court terme (Ewald et al., 2015 ; Pelosi et al., 2015).

Par exemple, l’imidaclopride appliqué sur du gazon en plaques sans irrigation a eu un impact significatif sur l’effet du pesticide sur les bourdons en quête de nourriture, alors que l’imidaclopride appliqué avec irrigation n’a pas eu d’impact (Gels et al., 2002).

Des différences significatives dans la structure de la communauté microbienne du sol ont été observées lorsque le pyriméthanil a été appliqué lors de fortes pluies par rapport à des conditions de sécheresse (Ng et al., 2014), et l’humidité a augmenté la sensibilité des collemboles à la lambda-cyhalothrine (Bandow et al., 2014).

Des substrats différents peuvent également déterminer la variation de la réponse des organismes au traitement pesticide (Velki et Ečimović, 2015), illustrée par les effets du phenmedipham sur la reproduction des Enchytraeid qui variaient fortement entre 18 sols différents testés (Amorim et al., 2005a). Alors que les études en laboratoire utilisent souvent un sol artificiel ou « naturel standardisé », les environnements de sols agricoles varient considérablement en termes de facteurs tels que la matière organique, la capacité de rétention d’eau et le pH (Amorim et al., 2005b)

En outre, les tests d’écotoxicologie en laboratoire peuvent utiliser du papier filtre de contact au lieu de sols, dans les quels les organismes du sol montrent généralement une sensibilité beaucoup plus élevée aux pesticides. Par exemple, la CL50 des vers de terre traités à la cyperméthrine dans du sol artificiels était de 9,83 mg/kg alors qu’elle était de 0,30 mg/kg sur du papier filtre de contact, qui n’est utilisé que pour les tests en laboratoire (Saxena et al., 2014).

Malgré l’avantage majeur des études sur le terrain qui sont menées dans des conditions plus réalistes que les études en laboratoire, il existe certains inconvénients à s’y fier exclusivement.

Comme la logistique complexe et la nature coûteuse des expériences sur le terrain peuvent conduire à des tailles d’échantillon plus faibles et à des situations moins aisément reproductibles, elles conduisent souvent à ne pas faire preuve d’une puissance statistique élevée. Cela peut conduire à des résultats statistiques très variables d’une étude à l’autre, même lorsque les effets globaux sont plus ou moins cohérents, ce qui amène les chercheurs à opter pour des interprétations mesurées (« conservatrices ») des résultats non significatifs dans les études de terrain à faible échelle (Douglas et Tooker, 2016).

Certains paramètres – comme la reproduction ou la croissance individuelle – ou des organismes plus petits ou moins abondants peuvent être difficiles à étudier sur le terrain. De plus, étant donné que les pesticides sont généralement approuvés pour une utilisation dans différentes régions dont les pratiques agricoles, la géographie, les précipitations, la température, la qualité de l’air, la contamination de fond du sol, la teneur en minéraux du sol, le pH et la matière organique sont très variables, les études de terrain réalisées dans une région peuvent ne pas être représentatives des effets dans une autre région.

Or la majorité des études de terrain que nous avons trouvées ont eu lieu en Europe et aux États-Unis, tandis que très peu d’études de terrain ont été menées dans d’autres pays et continents.

Les données provenant de ces régions tempérées pourraient surestimer ou au contraire sous-estimer le risque des pesticides pour les organismes du sol dans d’autres régions du monde, voire dans des sous-régions des pays étudiés.

Il peut être utile de contrôler en laboratoire un grand nombre de variables fluctuantes que l’on trouve dans les essais sur le terrain, et les deux types d’études doivent être considérés comme utiles pour identifier les dommages potentiels qui pourraient résulter de l’utilisation de pesticides dans ou près du sol.

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Critères d’évaluation

La catégorie des paramètres les plus sujets à effets sont les changements structurels, suivie de près par les biomarqueurs biochimiques, puis la reproduction, la mortalité, le comportement, la croissance, la richesse et la diversité, l’abondance et, enfin, la biomasse (tableau 2).

Tous les effets observables dans les micro-organismes sont précédés d’événements subcellulaires qui peuvent être mesurés par des tests de biomarqueurs biochimiques, mais tous les événements subcellulaires ne conduiront pas nécessairement à ces conséquences plus importantes. Par conséquent, on s’attendait à ce que le pourcentage d’effets négatifs des paramètres testés diminue progressivement, passant des effets biochimiques aux effets sublétaux, puis aux effets létaux et enfin aux changements plus importants (comme la perte de richesse et de diversité).

Ainsi, si la mortalité est largement étudiée, elle est souvent le paramètre le moins directement significatif ; par exemple, les tests de mortalité aiguë n’ont pas fourni les estimations de risque les plus sensibles pour les vers de terre dans 95% des cas (Frampton et al., 2006).

Au contraire, lorsqu’un organisme est engagé dans un processus de détoxification des polluants afin d’assurer sa survie, les fonctions normales telles que la reproduction, la croissance et les comportements d’alimentation ou de fouissement sont susceptibles de souffrir (Pelosi et al., 2014).

Par exemple, des vers de terre exposés à des fongicides à base de cuivre sont entrés en quiescence – une période pendant laquelle le développement est suspendu – afin de résister à la contamination, ce qui a entraîné une réduction significative de la biomasse (Bart et al., 2017).

La plupart des paramètres étudiés pour les organismes du sol ont fourni une indication claire de la nocivité, tandis que d’autres, comme le comportement d’évitement, nous informent de la réponse d’un organisme qui pourrait indiquer d’autres effets négatifs soit pour l’organisme, soit pour l’écosystème (Niemeyer et al., 2018).

Comportement clé dans les tests, les stratégies d’évitement des micro-organismes ont prouvé une forte réactivité et un seuil de sensibilité plus faible que les autres paramètres et ont été suggéré pour détecter la contamination du sol (Loureiro et al., 2005 ; Natal-da-Luz et al., 2008 ; Novais et al., 2010).

L’évitement représente 35% des paramètres de réaction dans notre analyse, et l’exposition aux pesticides a conduit à une augmentation des stratégies d’évitement dans 77% des 135 paramètres testés.

L’observation de l’évitement peut expliquer une réduction de l’abondance ou de la richesse des espèces dans un secteur donné.

En revanche, pour les taxons qui ne peuvent éviter les sols traités aux pesticides, les réductions d’abondance peuvent résulter d’une mortalité plus élevée.

Il peut également y avoir des faux négatifs dans les tests d’évitement ; par exemple, le diméthoate n’a pas provoqué de comportement d’évitement chez Folsomia candida, mais a provoqué un stress et/ou une paralysie qui a empêché tout mouvement (Pereira et al., 2013).

Par ailleurs, certains taxons comme les annélides et les isopodes possèdent des récepteurs chimiques qui leur permettent de détecter les pesticides et donc d’y répondre plus facilement que d’autres taxons (Loureiro et al., 2005 ; Amorim et al., 2008 ; Marques et al., 2009).

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Effets indirects

La recherche en toxicologie du sol a tendance à se concentrer sur les impacts de l’exposition directe et ignore largement les effets indirects sur les écosystèmes lorsque les organismes du sol sont touchés. Ainsi, notre étude n’a pu prendre en compte que les dommages directs et mesurés aux organismes du sol et ne tient pas compte des dommages supplémentaires causés aux écosystèmes par les effets indirects.

Par exemple, les herbicides ont eu un effet négatif plus important sur la dynamique des populations de petits arthropodes en modifiant la complexité structurelle, la composition et la nutrition de la litière de surface qu’en raison d’une toxicité directe (House et al., 1987).

En outre, les effets directs des pesticides sur les organismes du sol peuvent avoir des conséquences indirectes sur le fonctionnement de l’écosystème à plus grande échelle, notamment en contaminant ou en réduisant les sources de nourriture pour les vertébrés terrestres tels que les oiseaux (Hallmann et al., 2014 ; Gibbons et al., 2015), et en diminuant le rendement des cultures en perturbant les services de pollinisation (Reilly et al., 2020) et le contrôle biologique des ravageurs cibles (Douglas et al., 2015).

À titre d’exemple, la prédation des limaces par le coléoptère Chlaenius tricolor (Dejean) a été réduite de 33% après une exposition au thiaméthoxam, entraînant une augmentation de 67% de l’activité et de la densité des limaces, ce qui a entraîné une diminution de 19% et 5% de la densité et du rendement des cultures de soja, respectivement (Douglas et al., 2015).

L’importance de ces effets indirects des pesticides est sous-estimée et, lorsqu’ils ne sont pas pris en compte, peuvent entraîner une sous-estimation du risque posé par l’utilisation des pesticides.

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Persistance, utilisation récurrente et récupération

La persistance des pesticides dans le sol varie considérablement selon les conditions environnementales, comme le type de sol ou la température, et entre les différents pesticides, certaines classes particulières comme les néonicotinoïdes (Gibbons et al., 2015) et les triazines (Jablonowski et al., 2011) ayant des demi-vies dans le sol constamment longues.

Les taxons terriers du sol et ceux qui se développent dans le sol sont susceptibles d’être plus vulnérables aux effets des pesticides persistants dans le sol et aux conditions qui contribuent à leur persistance.

Certaines études de notre analyse ont montré que les invertébrés du sol se remettaient des effets négatifs après avoir été retirés du sol contaminé ou après une seule application de pesticide. Nous avons choisi de ne pas tenir compte de la récupération dans nos données car cela aurait considérablement augmenté la complexité de notre analyse, et sa pertinence dans le cadre de pratiques agricoles typiques est discutable compte tenu de la pratique répandue de traitements récurrents.

Par exemple, les champs agricoles de Grande-Bretagne ont reçu en moyenne 17,4 applications de pesticides par an en 2015 (Goulson et al., 2018). Le ministère de l’Agriculture des États-Unis estime que les pommes de Washington sont traitées avec une moyenne de 51 pesticides différents pour un total de 6 à 17 applications par an (USDA, 2016). Les pommes de la côte Est sont également traitées de 15 à 25 fois avec des pesticides tout au long d’une année (USDA, 2016).

Comme certains pesticides persistent dans le sol pendant des mois ou des années et que la perspective d’applications récurrentes de pesticides pendant la saison de croissance dans de nombreux champs est bien réelle, les organismes du sol ont une forte probabilité de ne pas se rétablir complètement comme ils pourraient le faire en laboratoire ou après une seule application dans un champ.

L’évolution des méthodes d’application des pesticides entraîne également une augmentation du risque de contamination du sol.

En raison des méfaits généralisés associés aux pesticides, des mesures d’atténuation sont de plus en plus adoptées aux États-Unis pour réduire la diffusion atmosphérique des pesticides. Il s’agit notamment de mesures susceptibles d’augmenter les dépôts effectifs sur les sols dans un secteur précis, comme l’augmentation de la taille des gouttelettes de pulvérisation, l’ajout d’adjuvants antidérive aux formulations et l’abaissement de la hauteur des rampes (U.S. EPA, 2016a).

En conjonction avec d’autres méthodes d’application de pesticides qui ont considérablement augmenté, comme le traitement des semences avec des pesticides (Hitaj et al., 2020), les sols agricoles sont de plus en plus exposés aux pesticides à des niveaux plus élevés. La tendance à délaisser les applications foliaires de pesticides au profit d’applications de pesticides dans les sols/les semences augmentera également l’exposition du sol tout au long de la saison de croissance.

Il a été établi que le rétablissement de la communauté des invertébrés du sol est lent et peut prendre plus de 15 ans (Menta, 2012). Par conséquent, si la récupération de certains de ces effets négatifs sublétaux est possible, elle dépend nécessairement de l’élimination rapide des pesticide dans les sols, suivie d’une période suffisante pour que la récupération puisse avoir lieu avant une autre application. Cela variera probablement considérablement d’un champ à l’autre.

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Représentation des organismes du sol

En observant les effets des pesticides sur les organismes du sol, les scientifiques et les organismes de réglementation ont eu tendance à se concentrer sur une poignée d’espèces de substitution qui sont propices à l’étude en laboratoire ou sur le terrain (Frampton et al., 2006 ; Banks et al., 2014).

La sélection des organismes du sol pour les études écotoxicologiques repose généralement sur l’aptitude d’un organisme à être étudié en laboratoire et sur sa valeur en tant que bioindicateur (Cortet et al., 1999). Un examen de Jänsch et al. (2006) a révélé que les études sur les pesticides concernant les invertébrés du sol sont fortement orientées vers les essais en laboratoire et que les organismes du sol sont choisis en fonction de leur facilité d’adaptation aux environnements d’essai plutôt que de leur pertinence écologique (Jänsch et al., 2006). Les vers de terre sont les organismes du sol les plus étudiés en écotoxicologie, en partie en raison de leur omniprésence dans les sols, de leur rôle central en tant qu’ingénieurs de l’écosystème et de la facilité avec laquelle ils sont étudiés (Luo et al., 1999 ; Jänsch et al., 2006 ; Bart et al., 2018).

Les Eisenia spp. sont particulièrement fréquentes dans les études ; cependant, elles ne sont pas naturellement présentes dans les agroécosystèmes et sont souvent moins sensibles aux pesticides que d’autres vers de terre, comme les Apporectodea spp. (Pelosi et al., 2013 ; Bart et al., 2018). Et les vers de terre sont moins sensibles aux pesticides que d’autres invertébrés du sol en général (Frampton et al., 2006 ; Jänsch et al., 2006 ; Daam et al., 2011), de sorte que des méthodes d’essai normalisées ont été développées pour différents taxons se prêtant également à des études en laboratoire : Folsomia candida (collembole), Enchytraeus albidus (ver de terre : Enchytraeidae), et Hypoaspis aculeifer (acarien : Acari) (Kula et Larink, 1997 ; Frampton et al., 2006 ; Jänsch et al., 2006).

Les études de terrain s’intéressent généralement à diverses communautés du sol, en se concentrant souvent sur les prédateurs bénéfiques comme les carabes (Carabidae) et les staphylins (Staphylinidae), des taxons plus grands qui sont plus faciles à capturer et à identifier. Néanmoins, la sensibilité des coléoptères varie fortement, souvent en fonction de leur taille et des variations saisonnières de leur cycle de vie. Par exemple, le diméthoate appliqué à des doses plus faibles a nui à des espèces plus petites comme les Carabidés, Agonum dorsale (Pontoppidan) et Bembidion sp, et le staphylinidé Tachyporus hypnorum F., tout en n’affectant pas les plus grands carabes comme Pterostichus melanarius (Illiger) et Calathus erratus (Sahlberg), et en ayant généralement des effets plus nocifs sur les coléoptères en automne qu’en été (Gyldenkñrne et al., 2000).

En général, les Protura, Diplura, Pseudoscorpionida, Symphyla et Pauropoda, plus petits et plus cryptiques, sont les taxons du sol les moins étudiés (Menta et Remelli, 2020).

Dans notre analyse, Protura, Pauropoda et Tardigrada n’ont été analysés chacun que dans une seule étude (Peck, 2009 ; Carrascosa et al., 2014 ; Vaj et al., 2014), et Symphyla et Diplura n’ont été analysés que dans le contexte de groupes d’organismes mixtes (Al-Haifi et al., 2006 ; Atwood et al., 2018). En outre, il y avait moins de 20 paramètres testés pour les guêpes parasites, les termites et les Myriapodes, y compris les mille-pattes et les centipèdes.

Les bourdons étaient couramment représentés dans les études de notre analyse, et pourtant comparativement moins négativement impactés par les insecticides que les autres taxons du sol. Cela peut s’expliquer par le fait qu’il y avait un plus grand nombre d’études de terrain sur les bourdons que sur les autres taxons du sol et, comme nous l’avons vu plus haut, les études de terrain ont tendance à révéler moins d’effets négatifs. Les pesticides, dominés par les insecticides et, en particulier, les néonicotinoïdes, ont eu un effet négatif sur environ 50 à 60% des paramètres testés chez les bourdons, notamment la survie, la reproduction, la fonction neurale et le comportement. Les bourdons sont l’un des rares taxons de notre analyse à passer une grande partie de leur vie au-dessus du sol, à nicher parfois au-dessus du sol et à être eusociaux.

Ainsi, le potentiel d’exposition dans les études sur les bourdons peut différer de celui des autres organismes du sol (Gradish et al., 2019). Les abeilles non-bombus nichant au sol, bien que moins étudiées, ont subi un impact négatif des néonicotinoïdes et d’autres insecticides à un taux plus typique des autres taxons dans notre analyse (c’est-à-dire 75-90%), ce qui suggère que les bourdons ne sont pas de bons substituts aux abeilles nichant au sol et les organismes du sol en général.

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La substitution dans la réglementation des pesticides

L’abeille européenne (Apis mellifera) est le seul invertébré terrestre pour lequel l’EPA (2018) exige des tests de toxicité des pesticides, et uniquement sur la base d’une exposition aiguë par contact (Legal Information Institute, 2020).

C’est le cas même pour les pesticides qui sont appliqués directement sur le sol. Lorsque des dommages aux pollinisateurs sont attendus, l’agence exigera souvent des études supplémentaires sur la toxicité chronique pour les abeilles domestiques et/ou des études sur les abeilles domestiques adultes et larvaires (U.S. EPA, 2016b). Des tests sur d’autres espèces d’abeilles (souvent Bombus terrestris L.) ou des études sur le terrain ou semi-terrain sont parfois, mais rarement, demandés (U.S. EPA, 2019b). Les abeilles domestiques ont des histoires de vie et des comportements uniques qui entraînent un risque d’exposition aux pesticides très différent de celui de la plupart des invertébrés, même si on les compare aux bourdons, membres de la même famille taxonomique qui partagent le trait très rare d’être eusociaux. Alors que les colonies de bourdons sont souvent constituées de < 500 individus nichant sous terre, les colonies d’abeilles domestiques de > 10.000 individus sont généralement maintenues dans des boîtes artificielles tel un animal agricole domestiqué (Gradish et al., 2019).

Par conséquent, le risque lié aux pesticides pour tous les invertébrés du sol aux États-Unis est essentiellement estimé par les dommages causés à une espèce qui n’entre généralement pas en contact avec le sol et ne partage aucune des mêmes voies d’exposition. Par exemple, la plupart des enrobages de graines de néonicotinoïdes finissent dans le sol, et les concentrations de néonicotinoïdes peuvent être radicalement plus élevées dans le sol que dans le pollen (Goulson, 2015 ; Willis Chan et al., 2019 ; Dubey et al., 2020 ; Main et al., 2020).

Non seulement A. mellifera est une espèce hautement spécialisée dont la sensibilité aux facteurs de stress chimiques n’est généralement pas représentative d’autres invertébrés terrestres (Hardstone et Scott, 2010), mais d’autres arthropodes diffèrent des abeilles mellifères dans leur calendrier saisonnier d’émergence, leur durée de vie, leur degré de socialité, leur comportement de nidification et de recherche de nourriture, et sont donc soumis à des voies et des niveaux d’exposition aux pesticides différents de ceux des abeilles mellifères – comme par le contact avec la cuticule ou la consommation de proies couvertes de sol. Par exemple, les bourdons dans les nids souterrains subissent une exposition par contact via les résidus sur les sols, y compris pour les larves en développement et les reines en hibernation (Gradish et al., 2019). Plus de 80% des abeilles, dont la grande majorité sont solitaires, nichent au sol (Anderson et Harmon-Threatt, 2019) et sont très exposées aux pesticides, car les femelles adultes passent la majeure partie de leur cycle de vie à construire des nids dans le sol (Willis Chan et al., 2019).

Ainsi, même pour les invertébrés du sol de la même superfamille que les abeilles domestiques, l’exposition aux résidus de pesticides dans le sol et l’eau des cellules du sol, et les dommages qu’ils causent, ne sont pas estimés de manière adéquate dans les évaluations actuelles des risques écologiques des pesticides de l’EPA.

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Implications pour la réglementation

Il ressort de ces données que, en tant qu’ensemble de poisons chimiques, les pesticides présentent un danger évident pour les invertébrés du sol. Une étude précédente a identifié des dangers similaires pour les microorganismes du sol (Puglisi, 2012).

Chaque pesticide individuel présente un profil de risque unique pour chaque espèce vivant dans le sol qui est exposée, en fonction de son potentiel d’exposition et de sa sensibilité. Cette étude confirme la nécessité d’utiliser des paramètres de santé du sol dans l’évaluation des risques réglementaires des pesticides afin d’évaluer la probabilité que l’utilisation des pesticides ait un impact négatif sur ces écosystèmes.

En raison du nombre considérable d’espèces et de paramètres qui peuvent être affectés par l’utilisation de pesticides et de la capacité limitée des chercheurs à tester toutes les situations, l’évaluation des risques liés aux pesticides dépend fortement des espèces de substitution qui sont utilisées pour évaluer de manière généralisable la toxicité à travers les taxons et, dans le cas du sol, à travers des écosystèmes entiers. […]

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Conclusion

Cet article constitue une revue complète des impacts des pesticides agricoles sur les invertébrés du sol. Nous avons constaté que l’exposition aux pesticides avait un impact négatif sur les invertébrés du sol pour 70,5% des 2.842 paramètres testés dans 394 études examinées.

Nous avons également identifié plusieurs grandes tendances et orientations pour les recherches futures.

Les insecticides ont été le type de pesticide le plus étudié et ont généralement eu des impacts négatifs plus importants sur les invertébrés du sol que les herbicides, les fongicides et les autres types de pesticides.

Les herbicides et les fongicides présentaient encore une forte proportion de résultats négatifs, mais les effets négatifs variaient beaucoup plus entre les différentes classes de pesticides et les taxons étudiés que pour les insecticides.

Moins d’études ont évalué les effets des mélanges de pesticides. Étant donné que les mélanges de pesticides sont plus souvent présents dans les sols agricoles que les ingrédients actifs individuels, il s’agit d’une lacune dans la littérature qui devrait être comblée.

Les études évaluant les impacts des pesticides utilisent souvent une gamme étroite d’espèces de substitution faciles à élever, à identifier ou à étudier, alors que les organismes plus petits et plus cryptiques sont rarement analysés. Dans certains cas, les organismes qui sont les plus étudiés sont connus pour être moins sensibles aux pesticides que d’autres organismes, ce qui suggère que nous avons une connaissance limitée de l’étendue des dommages causés par les pesticides.

La prévalence des effets négatifs dans nos résultats souligne la nécessité de représenter les organismes du sol dans toute analyse des risques d’un pesticide susceptible de contaminer le sol, et d’atténuer tout risque significatif de manière à réduire spécifiquement les dommages causés aux organismes du sol qui assurent d’importants services écosystémiques. L’Agence américaine de protection de l’environnement ne dispose pas d’exigences suffisantes en matière de tests ni d’outils pour quantifier le risque pour les organismes vivant dans le sol.

L’abeille européenne est le seul invertébré terrestre inclus dans les tests écotoxicologiques obligatoires des pesticides. La pratique consistant à utiliser l’abeille comme substitut sous-estime les dommages causés à de nombreux taxons et aboutit souvent à des efforts limités pour atténuer les effets des pesticides uniquement sur les abeilles et autres pollinisateurs, et non sur les organismes du sol.

Cette étude présente de nombreuses preuves que les pesticides constituent une menace sérieuse pour les invertébrés du sol et les services écosystémiques essentiels qu’ils fournissent.

Compte tenu de l’adoption généralisée et croissante des pesticides appliqués sur les semences et le sol, qui constituent une menace particulière pour les organismes du sol, nous soutenons fermement l’inclusion d’une analyse de la santé du sol dans le processus d’évaluation des risques des pesticides aux États-Unis.

Traduction : Jmp (base DeepL)

L’heure de vérité

OA - Liste
Plaidoyer en faveur d’une décroissance immédiate des émissions des gaz à effet de serre
Collectif

L’humanité est au bord de l’enfer. L’Anthropocène devient « pyrocène » sous nos yeux. Il n’est plus temps d’alimenter en gaz les feux de la croissance.

Ralentir, c’était hier. Nous ne l’avons pas fait. L’espérance, c’était avant-hier. On n’a pas ralenti.

Ce texte est une véritable exhortation. Pas à l’attention des politiques actuels. A l’évidence, elles/ils ne s’engagent pas dans la bonne direction.

Mais à l’attention des citoyens conscients et inquiets. Organisés ou pas. Des « Youth for climate », « Rise for climate », « climate justice », … A l’attention des enseignés et enseignants qui manifestent depuis des années. Des « Grands-parents », des familles, …

Ne laissons pas notre futur s’envoler en fumée.

Notre société se fracture et vouloir négocier des objectifs ‘acceptables pour tou.te.s n’est plus de mise. L’urgence est aujourd’hui de créer une rupture claire d’avec celles et ceux qui, par climato-scepticisme ou opportunisme, refusent d’envisager d’arrêter à court terme de brûler des combustibles fossiles.

Certes, décroître notre dépendance énergétique est un défi colossal. Quid de notre consensus social? Quid des nombreux avantages de l’accumulation de richesses ?

Mais ces défis, aussi gigantesques soient-ils, ne sont rien comparés au défi de survivre si notre climat devenait totalement erratique.

De l’ONU au GIEC (voir les références en fin de texte), des scientifiques du climat aux spécialistes de la santé humaine, le constat est sans appel. Pour survivre en tant qu’espèce, nous devons respecter un budget carbone de plus en plus restreint.

A compter de ce jour, chaque euro privé ou public qui sera investi dans l’infrastructure fossile, pétrolière, gazière ou charbonnière – routes, aéroports, centrales au gaz, 5G, agriculture intensive, élevage intensif de viande, industrie pétrochimique, étalement urbain… – fait payer par le citoyen et les consommateurs l’accélération de la destruction de leur propre maison la Terre. Il faut dire STOP au fossile ! Maintenant.

STOP aux nouvelles centrales au charbon, au pétrole ou au gaz.

Réduction drastique, chaque année, des importations des produits qui en sont dépendants dans leurs fabrications ou usages.

Moins de km parcourus en avions, tankers, voitures individuelles. Moins de mazout pour le chauffage des institutions collectives et des logements individuels. Et cela de façon constante, sur base annuelle.

Moins d’échanges commerciaux sur de longues distances, moins de commercialisation de produits non-utiles.

Ces constats sont sans appel. Et l’urgence, c’était hier !

Nous voulons plus de chants d’oiseaux, plus d’air pur, plus de calme, de sécurité et de nature en ville et sur les routes, plus de Voie lactée dans le ciel nocturne, plus de temps de loisir, de partage et d’engagement dans la société, plus de zones de baignades naturelles, plus de pistes cyclables, de trains et de trams, plus de nourriture saine et soutenable, plus d’économie et d’emplois durables, plus d’énergie renouvelable, plus d’écoquartiers zéro énergie, plus de services publics de qualité, plus de tourisme apaisé, plus de finance durable, plus de convivialité et de joie de vivre.

Nous appelons la société belge à un sursaut salvateur. Stop aux fossiles, maintenant.

Tous les politiques, quelles que soient leurs couleurs, devraient placer l’urgence climatique et la sortie des énergies fossiles au centre de leur action.

Lors de manifestations ou de pétitions : que les slogans soient précis.

Cessons tout soutien aux gouvernements pro-fossiles. Changeons de cap. Il n’est plus acceptable de remettre à plus tard les actions que la situation actuelle appelle.


filtre:
Libération

2021


L’écologie politique est-elle soluble dans le gaz ?

Paul Blume

Coup de gueule

Curieuse rentrée politique que nous nous apprêtons à vivre.

On pourrait croire qu’après les alertes accrues des scientifiques quand à l’agenda climatique, cette thématique occuperait une place centrale, sinon pour l’ensemble des forces politiques, au moins pour celle qui donne si souvent des leçons aux autres quand on parle d’environnement.

Surtout que cet été a été parsemé d’exemples concrets de ce que peut signifier la réalité d’un dérèglement climatique. Sécheresses, incendies, inondations, …

Et bien non. Que du contraire. Le climat n’est même pas dans le top des préoccupations des verts. Des autres partis politiques non-plus d’ailleurs.

Que dit la science ? Qu’à force d’attendre, de tergiverser, de reporter les échéances, notre budget carbone – cette quantité que l’humanité peut encore brûler avant que tout ne devienne incontrôlable – se réduit comme peau de chagrin.

Autrement dit, là où les efforts étaient qualifiés d’énormes en 2015 – année des accords de Paris – ils deviennent gigantesques.

Et le soutien de l’Europe à la filière « gaz » ne convainc absolument pas.

L’idée semble séduisante, surtout aux financiers en mal de reconversion. On atténuerait l’augmentation des émissions de GES (Gaz à effet de serre) en utilisant un fossile réputé en émettre un peu moins. Avec pour objectif de faire « mieux qu’avant ».

Sauf que nous ne sommes pas dans une course au meilleur score, mais face à une course d’obstacles incontournables. Pour éviter les pires scénarios, « faire mieux » est totalement insuffisant. Le budget carbone est tout sauf élastique.

Si l’adaptation de nos vies aux contraintes environnementales est un débat éminemment politique, la problématique climatique elle-même n’est que physique, chimie, science… Des murs, non négociables.

Peut-être est-ce pour cela que l’on préfère chez les verts passer du temps à débattre « communautarisme », « droit des femmes à manifester sans les hommes », « port du foulard », … plutôt que d’aborder sur le fond les contraintes … environnementales !

Ce constat pourrait paraître anecdotique, tant l’ensemble des forces politiques belges évitent le cœur du sujet.

Mais, il est dramatique. Nous sommes sur une trajectoire mortifère et l’ensemble du personnel politique refuse de freiner. Pire, des ministres vertes – climat et énergie – poussent sur champignon. Mettent les gaz…

Ecolo publie en cette rentrée politique des photos de militantes souriantes, de militants satisfaits. Toutes et tous semblent accepter que leurs fins de vie et l’avenir de leurs enfants soient consumés du fait de la politique soutenue par leur organisation.

Seules 2 députés européens se seront opposés au plan climat européen. Merci à vous.

Honte à celles et ceux qui abandonnent l’ONU, le GIEC, les jeunes pour le climat, les grands-parents pour le climat et autres organisations conscientes de l’urgence.

Vous souhaitez faire quelque chose de positif ? Arrêtez de programmer des centrales au gaz. Maintenant.

Si vous n’êtes pas en capacité de comprendre l’importance de ce geste, ne venez pas vous mélanger aux manifestations prévues cet automne. Vous n’y avez plus votre place.



Samhain

Boris Libois

Le GIEC le décrit : notre système s’autodétruit. C’est l’effondrement. La décroissance sans le capitalisme est guidée, à toutes les échelles, par les valeurs d’hospitalité, convivialité, frugalité et solidarité.

Dans sa croissance illimitée et incontrôlée, il mène la guerre au vivant. Dépourvu d’extériorité, il persiste à devenir son passé. Il n’y a pas d’alternative à l’obsolescence programmée du système : nous ne pouvons ni accélérer l’autodestruction, ni nous y opposer sans l’alimenter. 

Devant la nécropolitique (ce privilège exorbitant de quelques démiurges et leurs intelligences artificielles réunies au G7 de décider qui peut vivre et qui doit mourir), l’action directe non-violente figure le nouveau futur. A nous de propager la joie, ce désir d’ensemble tout changer, et nous préparer à habiter les ruines du système.
Né·es de la terre, nous sommes le vivant, nous sommes amour et rage.

Le cataclysme climatique est la manifestation physique de notre responsabilité humaine. Apocalyptique, l’Anthropocène est dévoilement ici-bas de notre futur déjà réalisé par notre puissance d’agir en commun. Que nos institutions politiques s’alignent sur l’inconscient cosmique.

Banksy 2021 (Nicholas Everitt Park, Oulton Broad, Suffolk)

Climat : Scoop

Pablo Servigne

16 08 2021 – post FaceBook

Le résumé aux décideurs du troisième volet du rapport du GIEC (groupe III) a fuité cette semaine ! (Vous savez que le premier volet est paru il y a une semaine, l’info a été massive)

Le troisième volet ( = les moyens de réduire l’influence humaine sur le climat) était en relecture et de devait pas sortir avant mars 2022, mais certains scientifiques/rédacteurs l’ont fait fuiter car ils craignaient que le rapport soit édulcoré au fil des mois par les gouvernements. Comme ça, on saura exactement ce qu’ils retoucheront…

C’est un journal espagnol, CTXT, qui a relayé l’info.

https://ctxt.es/es/20210801/Politica/36900/IPCC-cambio-climatico-colapso-medioambiental-decrecimiento.htm

Puis le Guardian :

https://www.theguardian.com/environment/2021/aug/12/greenhouse-gas-emissions-must-peak-within-4-years-says-leaked-un-report

Avant d’aller plus loin, plusieurs points intéressants sur cette fuite :

  • Cela explique comment fonctionne le GIEC, qu’il existe plusieurs groupes, etc.
  • Cela montre que la communauté scientifique est nerveuse et veut crier plus fort. Et qu’ils ne veulent pas que les gouvernements retouchent le rapport.
  • Cela chauffe l’ambiance pré-COP-26 à Glasgow et les actions possibles des mouvements…

L’info est parue dans plusieurs pays : Japon, GB, Chine, Brésil, Turquie, Allemagne, Algérie, Algérie… Elle devrait bientôt se répandre en France. En attendant, voici la traduction de l’article de CTXT, suivi de celle du Guardian :


CTXT

Le GIEC considère la décroissance comme la clé de l’atténuation du changement climatique

Une autre partie du rapport le plus important du monde a été divulguée.

Le 23 juin, quelque chose de très inhabituel s’est produit. L’AFP (Agence France Presse) a divulgué une partie du contenu du résumé du Groupe II du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) à l’intention des responsables politiques – l’organe chargé d’analyser les impacts du changement climatique. La nouvelle a fait le tour du monde, et le titre le plus répété – tiré du rapport lui-même – était le suivant : « La vie sur Terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en développant de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes. L’humanité ne le peut pas. L’anomalie s’est répétée avant le cap des deux mois. Une autre brèche dans le GIEC, autrefois hermétique, une autre fuite.

CTXT a eu accès au contenu d’une autre partie du sixième rapport du GIEC, l’organe dans lequel des scientifiques du monde entier, issus de différents domaines de connaissance, collaborent volontairement et pour le prestige, dans l’un des efforts de coopération internationale les plus porteurs d’espoir qui soient. Au GIEC, ils cherchent à élaborer une série de rapports qui, en fin de compte tous les 5 ou 6 ans, mettent à jour les connaissances sur le défi le plus important auquel nous sommes confrontés, à la fois bilatéral et imbriqué : s’adapter au chaos climatique que nous avons déjà généré, et comment évoluer vers une économie et un modèle énergétique qui peuvent durer dans le temps. Ses efforts sont répartis en trois groupes pour produire des rapports interdépendants : Science (groupe I), Impacts (groupe II) et Atténuation (groupe III). Des rapports d’avancement spécifiques sont également publiés au cours de cette période.

Le contenu des résumés est filtré pour les politiciens, afin d’éviter que le rapport ne soit fortement édulcoré au cours du processus.

L’explication de ces fuites est claire : de nombreuses personnes au sein même du GIEC sont très préoccupées par la situation d’urgence actuelle, par la tiédeur de certaines des conclusions des rapports successifs, et aussi par la difficulté évidente de traduire les mesures proposées en politique. Le GIEC fonctionne depuis 1990, et depuis cette date jusqu’à aujourd’hui, il n’y a rien eu d’autre qu’une augmentation très nette des émissions et des effets secondaires négatifs, même si cela est la responsabilité de l’inertie économique, sociale et politique. C’est pourquoi le contenu des résumés est communiqué aux responsables politiques, afin d’éviter que le rapport ne soit trop édulcoré au cours du processus et d’attirer l’attention sur lui dans une décennie où tout est en jeu.

Quelle est la situation actuelle ? En bref : des records de température extraordinaires sont enregistrés un peu partout, comme au Canada il y a un mois, où le précédent record a été battu trois jours de suite pour atteindre cinq degrés Celsius supplémentaires d’un coup, tout près de 50 degrés Celsius. Nous assistons également à des inondations incroyables, comme celles qui ont frappé l’Allemagne, la Belgique ou la Chine, avec des centaines de disparus et de morts, et bien sûr d’énormes dégâts économiques, ainsi qu’à des incendies gigantesques dans une grande partie du monde. Ces derniers jours, la Grèce et la Turquie ont été les perdants de la loterie climatique. Une loterie dans laquelle tous les pays ont plusieurs numéros et il n’y aura pas de gagnant.

Les présentations étant faites, passons au rapport. Dans le cas présent, la fuite concerne la première version du résumé du groupe III destiné aux décideurs politiques, ceux qui sont chargés d’analyser la manière de réduire les émissions, d’atténuer et de limiter les impacts. Voici quelques-unes des principales conclusions du projet de rapport, dont le contenu définitif sera publié en mars 2022 :

– « Les émissions de CO2 devraient atteindre un pic avant 2025 et un niveau net nul entre 2050 et 2075 ». Cela implique une plus grande ambition à court et moyen terme, et une accélération de l’action et de la mise en œuvre effective, qui se heurte à des obstacles politiques, économiques et sociaux. Ce qui peut être plus efficace économiquement peut être politiquement irréalisable ou éthiquement inacceptable. Et c’est là un point essentiel, les changements doivent tenir compte des inégalités pour être acceptés (voir le cas des gilets jaunes).

– « Aucune nouvelle centrale au charbon ou au gaz ne devrait être construite, et les centrales existantes devraient réduire leur durée de vie », qui est généralement de plus de 30 ans, à environ 10 ans.

– Il est reconnu qu’un certain degré de capture et de séquestration du carbone et d’élimination du carbone (CDR-CCS-BECCS) est nécessaire pour atteindre des émissions nettes nulles. Ces technologies sont loin d’être au point et représentent un nouveau coup de pouce dans la croyance que l’évolution technologique viendra toujours à la rescousse. Cela contredit complètement l’un des principes de base de la science : le principe de précaution. En outre, certaines recherches mettent en doute la capacité du sol à stocker autant de carbone. Encore plus sur une planète qui se réchauffe.

– Le changement technologique mis en œuvre jusqu’à présent au niveau mondial n’est pas suffisant pour atteindre les objectifs en matière de climat et de développement. Depuis 2010, le coût des technologies renouvelables a baissé au-delà des attentes (notamment le solaire -87%, et les batteries -85%), mais au total, le solaire et l’éolien représentent 7% de la fourniture d’électricité. » Les progrès escomptés dans d’autres technologies, telles que le captage et la séquestration du carbone, l’énergie nucléaire et l’élimination du dioxyde de carbone, ont été beaucoup moins encourageants.

-La croissance de la consommation d’énergie et de matériaux est la principale cause de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES). Le léger découplage observé entre la croissance et la consommation d’énergie [et largement dû à la délocalisation de la production] n’a pas permis de compenser l’effet de la croissance économique et démographique ». Cela montre que les développements technologiques qui permettent d’améliorer l’efficacité et de passer à des sources d’énergie à faibles émissions ne sont pas suffisants. Par conséquent, une transition très massive de la consommation de matériaux à l’échelle mondiale pourrait même, temporairement, entraîner un pic des émissions.

On espère pouvoir passer des véhicules légers à combustion aux véhicules électriques, tandis que pour les machines lourdes, il est admis que la technologie appropriée n’existe pas encore (d’où l’engagement discutable en faveur de l’hydrogène) et que des recherches supplémentaires sont nécessaires. Le risque d’épuisement des matériaux critiques des batteries est explicitement mentionné, mais tout repose sur le recyclage des matériaux.

La température moyenne de la Terre est d’environ 15 degrés Celsius. L’augmenter de deux degrés seulement reviendrait à augmenter un corps humain de près de cinq degrés.

Le réchauffement planétaire associé aux différents scénarios d’émissions publiés va de moins de 1,5°C à plus de 5°C d’ici 2100 par rapport aux niveaux préindustriels. Les scénarios de référence sans nouvelles politiques climatiques conduisent à un réchauffement moyen de la planète compris entre 3,3 et 5,4ºC. La température moyenne de la Terre est d’environ 15 degrés Celsius. L’augmenter de deux degrés seulement reviendrait à augmenter un corps humain de près de cinq degrés. Cette comparaison permet peut-être de comprendre pourquoi les fameux deux degrés suscitent tant d’inquiétude. La stabilité du climat serait impossible et le risque pour la vie serait énorme. Le problème est que la trajectoire actuelle va non seulement dépasser ces deux degrés, mais aussi déclencher encore davantage les redoutables mécanismes de rétroaction qui, si les freins d’urgence du système ne sont pas actionnés sans délai, nous conduiront à un changement climatique déjà absolument hors de contrôle. Malgré cela, nous ne devons pas être paralysés, il existe des possibilités d’éviter les pires scénarios, mais nous devons agir de manière coordonnée. Déjà.

-Il n’est pas incompatible de lutter contre la pauvreté énergétique et le changement climatique. En effet, les plus gros émetteurs sont les plus riches : les 10% les plus riches émettent dix fois plus que les 10% les plus pauvres. Ainsi, l’augmentation de la consommation des plus pauvres à des niveaux de subsistance de base n’augmenterait pas beaucoup les émissions ».

Il souligne également l’expansion de certaines activités économiques à forte intensité d’émissions, par exemple « l’aviation qui augmente de 28,5 % entre 2010 et 2020 ». Malgré cela, à ce stade, le gouvernement espagnol est heureux de donner des millions pour l’agrandissement des aéroports de Barajas et d’El Prat. Si l’on suit les rapports successifs qui seront publiés par le GIEC dans les prochains mois, ces projets devraient être considérés comme l’absurdité absolue qu’ils sont, sauf pour ceux qui en profitent. Éviter ces extensions serait un bon tournant positif, qui pourrait signifier un changement de dynamique.

-Reconnaissance du fait qu’il existe un problème non résolu avec les plastiques.

-L’acceptation implicite que les scénarios d’atténuation impliquent des pertes de PIB. Fondamentalement, elle accepte ce que l’Agence européenne pour l’environnement a elle-même déclaré : la préservation de l’environnement n’est pas compatible avec la croissance économique. En fait, le rapport note : « Dans les scénarios où la demande d’énergie est réduite, les défis de l’atténuation sont considérablement réduits, avec une moindre dépendance à l’égard de l’élimination du CO2 (CDR), une moindre pression sur les terres et des prix du carbone plus bas. Ces scénarios n’impliquent pas une diminution du bien-être, mais la fourniture de meilleurs services. » Il s’agit littéralement d’un scénario d’adaptation à la décroissance.

En ce qui concerne les mesures et les étapes à franchir, le rapport souligne qu’il n’existe pas de mécanisme politique ou de système de gouvernance unique qui puisse à lui seul accélérer la transition nécessaire. Une combinaison de ces éléments sera nécessaire, qui sera différente dans chaque contexte.

Parmi les exemples de mécanismes, citons la législation, qui peut inciter à l’atténuation en fournissant des signaux clairs aux différents acteurs, par la fixation d’objectifs, ou la création d’institutions et de mécanismes de marché, comme la fixation d’un prix pour le carbone, pour autant que la justice sociale soit prise en compte. D’autres facteurs qui peuvent aider seraient les mouvements sociaux climatiques – le GIEC reconnaît le travail des grèves climatiques – qui contribuent à la montée d’un autre facteur clé : un pourcentage élevé de personnes engagées. Il est également souligné que les mesures permettant d’obtenir des réductions doivent être des changements de comportement social : moins de transports, délocalisation du travail, régimes alimentaires plus végétariens, etc.

Et voici l’une des clés, il n’y a aucune mention claire du changement radical indispensable d’un système économique dont le fonctionnement pervers d’accumulation et de reproduction du capital à perpétuité nous a amenés au point critique actuel. Un point où il est déjà difficile de cacher l’évidence qu’un autre point, le point de non-retour, est, pour le moins, très proche. Comme cela s’est déjà produit pour l’Amazonie, qui émet plus de carbone qu’elle n’en absorbe, ou pour le Groenland, qui a battu des records de température et de déversement d’eau fraîche et froide dans l’océan, augmentant ainsi le risque de ralentissement et d’effondrement du courant thermohalin, la courroie de transmission essentielle à la stabilité de notre système climatique. Son effondrement aurait des conséquences incalculables.

Si les freins d’urgence du système n’étaient pas actionnés sans délai, nous nous dirigerions vers un changement climatique qui s’est déjà emballé.

C’est là que l’on peut entrevoir le petit/grand défaut de l’organisme, qui par définition semble difficile à résoudre et qui fera que ces fuites continueront à se produire : le GIEC fonctionne en recherchant un large consensus, ce qui rend difficile la prise en compte des positions les plus audacieuses dans le rapport final, et nous ne parlons pas de scientifiques radicaux isolés : outre l’Agence européenne pour l’environnement, Nature, l’une des revues académiques les plus prestigieuses au monde, a déjà publié des études montrant que la seule « solution », tant pour la transition énergétique que pour l’urgence climatique, est de partir du principe que continuer à croître sans causer plus de dommages est évidemment impossible, et qu’il faut donc prévoir une stabilisation et/ou une diminution dans la sphère matérielle. Partager pour bien vivre, mais dans certaines limites.

Récemment, le baromètre français de la consommation responsable a montré que l’opinion publique est plus ouverte que ce que beaucoup voudraient nous faire croire. 52% des Français estiment que le modèle fondé sur le mythe de la croissance infinie doit être totalement abandonné. Ainsi, l’espoir de travailler dans le sens d’une acceptation du problème et en même temps d’un travail pour y remédier globalement de la manière la plus équitable possible s’accroît, alors que nos chances de continuer à croître sans s’écraser dans la tentative diminuent.

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*Nous tenons à remercier les membres du collectif Scientist Rebellion pour leur collaboration dans l’envoi de la fuite. Au scientifique du CSIC, Antonio Turiel, pour ses conseils sur la préparation de cet article. Et à certaines femmes scientifiques qui ne souhaitent pas être nommées – afin de ne pas courir de risques professionnels – qui ont également apporté leur aide. Ils savent qui ils sont.

*La conférence de presse pour présenter le rapport final du groupe I aura lieu le lundi 9 août.

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Juan Bordera est scénariste, journaliste et militant d’Extinction Rebellion et de València en Transició.

Fernando Prieto est titulaire d’un doctorat en écologie, de l’Observatoire de la durabilité.


THE GUARDIAN

Les émissions de gaz à effet de serre doivent atteindre leur maximum d’ici quatre ans, selon un rapport des Nations unies qui a fait l’objet d’une fuite.

Un groupe de scientifiques publie le projet de rapport du GIEC, craignant qu’il ne soit édulcoré par les gouvernements.

Fiona Harvey et Giles Tremlett

Les émissions globales de gaz à effet de serre doivent atteindre un pic dans les quatre prochaines années, les centrales électriques au charbon et au gaz doivent fermer au cours de la prochaine décennie et des changements de mode de vie et de comportement seront nécessaires pour éviter un effondrement du climat, selon le projet de rapport qui a fait l’objet d’une fuite et qui émane de la principale autorité mondiale en matière de climatologie.

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Les riches de tous les pays sont, dans leur grande majorité, plus responsables du réchauffement de la planète que les pauvres, les SUV et la consommation de viande étant pointés du doigt. La future croissance économique intensive en carbone est également remise en question.

La fuite provient de la troisième partie du rapport historique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, dont la première partie a été publiée lundi et qui met en garde contre des changements climatiques sans précédent, dont certains sont irréversibles. Le document, appelé sixième rapport d’évaluation, est divisé en trois parties : la science physique du changement climatique, les impacts et les moyens de réduire l’influence humaine sur le climat.

La troisième partie ne devrait pas être publiée avant mars prochain, mais un petit groupe de scientifiques a décidé de faire fuiter le projet via la branche espagnole de Scientist Rebellion, une émanation du mouvement Extinction Rebellion. Elle a été publiée pour la première fois par le journaliste Juan Bordera dans le magazine en ligne espagnol CTXT.

Bordera a déclaré au Guardian que la fuite reflétait l’inquiétude de certaines personnes ayant participé à la rédaction du document, qui craignaient que leurs conclusions ne soient édulcorées avant leur publication en 2022. Les gouvernements ont le droit d’apporter des modifications au « résumé pour les décideurs ».

Les 10 % des émetteurs mondiaux les plus riches contribuent entre 36 et 45 % des émissions, soit 10 fois plus que les 10 % les plus pauvres, qui ne sont responsables que de 3 à 5 % environ, selon le rapport. « Les modes de consommation des consommateurs aux revenus les plus élevés sont associés à des empreintes carbone importantes. Les principaux émetteurs dominent les émissions dans des secteurs clés, par exemple les 1 % les plus riches sont responsables de 50 % des émissions de l’aviation », indique le résumé.

Le rapport souligne les changements de mode de vie qui seront nécessaires, notamment dans les pays riches et parmi les personnes aisées au niveau mondial. S’abstenir de surchauffer ou de surrefroidir les habitations, marcher et faire du vélo, réduire les voyages en avion et utiliser moins d’appareils énergivores sont autant de mesures qui peuvent contribuer de manière significative aux réductions d’émissions nécessaires, selon le rapport.

Les habitudes alimentaires dans de nombreuses régions du monde riche devront également changer. « Un passage à des régimes alimentaires comportant une part plus importante de protéines végétales dans les régions où la consommation de calories et d’aliments d’origine animale est excessive peut entraîner des réductions substantielles des émissions, tout en offrant des avantages pour la santé… Les régimes à base de plantes peuvent réduire les émissions jusqu’à 50 % par rapport au régime alimentaire occidental moyen à forte intensité d’émissions », indique le rapport.

Fournir de l’énergie moderne à tous ceux qui en sont actuellement privés (800 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité) aurait un effet « négligeable » sur l’augmentation des émissions, indique le rapport.

La réduction des émissions au cours de la prochaine décennie sera cruciale pour tout espoir de maintenir le réchauffement de la planète à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, au-delà desquels les effets du dérèglement climatique provoqueront une dévastation généralisée. « Une action plus faible à court terme mettrait hors de portée la limitation du réchauffement à ces niveaux, car elle impliquerait des hypothèses sur l’accélération ultérieure de l’élaboration des politiques et du développement et du déploiement des technologies, incompatibles avec les preuves et les projections de la littérature évaluée », avertit le rapport.

Le rapport réaffirme la nécessité de réduire de moitié les émissions au cours de la prochaine décennie pour ne pas dépasser 1,5 °C et atteindre des émissions nettes nulles d’ici à 2050.

Les investissements nécessaires pour faire passer l’économie mondiale sur une base à faible émission de carbone font également défaut. Selon le rapport, les investissements actuels sont inférieurs à ce qui est nécessaire « par un facteur de cinq », même pour maintenir le réchauffement à la limite supérieure de 2°C. Environ 546 milliards de dollars ont été consacrés à la réduction des gaz à effet de serre et au renforcement de la résilience aux impacts de la crise climatique en 2018.

« Les infrastructures et les investissements existants et planifiés, l’inertie institutionnelle et un parti pris social en faveur du statu quo entraînent un risque de verrouillage des émissions futures qui peuvent être coûteuses ou difficiles à réduire », indiquent les scientifiques.

Les actifs échoués seront un problème croissant, car les centrales électriques au charbon et au gaz, dont la durée de vie se mesure généralement en décennies, devront être mises hors service dans les neuf à douze ans suivant leur construction, selon le rapport. Les scientifiques se font l’écho de l’avis récent de l’Agence internationale de l’énergie selon lequel aucune nouvelle exploitation de combustibles fossiles ne peut avoir lieu si l’on veut que le monde ne dépasse pas 1,5°C de réchauffement.

« Les impacts économiques combinés des ressources et des capitaux de combustibles fossiles bloqués pourraient s’élever à des milliers de milliards de dollars », indique le rapport. Ce risque pourrait être réduit en orientant les investissements vers des biens et services à faible teneur en carbone.

Les technologies permettant de capter et de stocker le dioxyde de carbone n’ont pas encore progressé assez rapidement pour jouer un rôle majeur, selon le rapport, mais des technologies permettant d’éliminer le dioxyde de carbone de l’atmosphère seraient presque certainement nécessaires pour limiter le réchauffement à 1,5°C.

Le rapport note qu’il existe des raisons d’être optimiste. Les énergies solaire et éolienne et la technologie des batteries sont désormais bien moins chères, grâce aux politiques qui ont encouragé leur utilisation. La réduction des émissions de méthane contribuerait également à freiner la hausse des températures.

Prendre davantage soin des forêts et des terres, qui constituent d’importants puits de carbone, contribuerait également à limiter l’augmentation de la température, mais il ne faut pas trop y compter. Ces mesures sont relativement peu coûteuses, mais elles ne peuvent compenser la lenteur de la réduction des émissions dans d’autres secteurs, selon le rapport.

CTXT, la publication espagnole qui a divulgué le projet de rapport, a déclaré qu’il montrait que l’économie mondiale devait s’écarter rapidement de la croissance conventionnelle du PIB, mais que le rapport sous-estime cet aspect. « Le changement radical indispensable d’un système économique dont le fonctionnement pervers d’accumulation et de reproduction du capital à perpétuité nous a amenés au point critique actuel n’est pas clairement mentionné », écrit CTXT.

Le GIEC a déclaré qu’il ne commentait pas les fuites et que l’objectif du processus de rédaction était de donner aux scientifiques le temps et la tranquillité nécessaires pour élaborer leur évaluation sans commentaire extérieur. Jonathan Lynn, responsable de la communication du GIEC, a déclaré : « Une grande partie du texte cité ici – apparemment tiré de la première version du résumé à l’intention des décideurs dans le projet de deuxième ordre du Groupe de travail III diffusé aux gouvernements et aux experts examinateurs en janvier – a déjà changé dans la dernière version interne du résumé à l’intention des décideurs actuellement examinée par les auteurs. »


Climat : panser nos plaies, penser la catastrophe et repenser nos sociétés

Nicolas van Nuffel
Président de la Coalition climat

Après un mois de juillet émaillé par les catastrophes en Belgique et ailleurs dans le monde, le premier chapitre du sixième rapport du GIEC est venu ajouter ce lundi des éléments d’explication scientifique au drame que nous avons vécu. Côté politique, si les lignes ont bougé depuis quelques années, l’heure n’est certainement pas à l’autosatisfaction : il va nous falloir agir plus vite, plus fort et plus solidairement pour traverser le siècle qui vient en garantissant une vie digne à chacune et chacun. L’heure est venue de sonner la mobilisation générale. La Coalition Climat a déposé une centaine de propositions sur la table du monde politique, qui n’attendent que d’être mises en débat, pour passer, enfin, à l’action.

41 personnes ayant perdu la vie en Belgique, près de 200 ailleurs en Europe. Des milliers d’autres ayant tout perdu ou presque : maison, lieu de travail, investissements de toute une vie, souvenirs personnels. Des régions entières sinistrées, pour longtemps. C’est le bilan tout provisoire d’un été 2021 qui restera dans l’histoire comme celui où le dérèglement climatique a, pour la première fois, frappé notre pays de façon aussi spectaculaire.

Et ce cas est loin d’être isolé : partout dans le monde, les indices se multiplient, plus spectaculaires les uns que les autres. Au début de l’été, ce sont 700 personnes qui sont décédées au Canada des suites du dôme de chaleur qui a poussé les températures à près de 50°C ; au Groenland, des températures records entraînent actuellement une fonte record de la calotte glaciaire ; en Méditerranée, les incendies se multiplient, et ont déjà fait près de 100 victimes rien qu’en Grèce ; à Madagascar, 400 000 personnes souffrent actuellement d’une famine liée à une sécheresse exceptionnellement prononcée. De plus, derrière les chiffres des catastrophes visibles, ce sont des centaines de millions de personnes vivant dans les zones semi-désertiques, les deltas des grands fleuves ou, tout simplement, les paysannes et paysans du monde entier, dont les conditions de subsistance sont, lentement mais sûrement, mise en danger par le réchauffement climatique. Des zones entières s’apprêtent à devenir tout simplement inhabitables, et l’on ne parle pas uniquement du cas emblématiques des petits Etats insulaires : la ville de Lagos, deuxième du continent africain, pourrait être submergée d’ici 2100. Avec pour conséquence la multiplication des personnes déplacées ou réfugiées.

Bien entendu, comme on le répète à chaque événement extrême, il n’est pas possible d’établir un lien de causalité absolu entre le réchauffement climatique et une inondation, une canicule, un typhon en particulier. Pas plus que l’on ne peut que difficilement établir de lien individuel entre la consommation de tabac ou de pesticides et l’apparition d’un cancer. Mais les rapports nous en avertissent depuis trois décennies : le réchauffement de notre atmosphère s’accompagne d’une exacerbation des phénomènes météorologiques extrêmes, avec comme conséquence une multiplication des catastrophes. A ce titre, le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) vient renforcer les conclusions portées depuis trente ans : selon ce rapport, l’influence de l’activité humaine sur le réchauffement de l’atmosphère des océans et des terres est désormais « sans équivoque ». Quant aux conséquences de ce réchauffement, le degré de certitude quant à leur attribution est variable, mais en augmentation constante.

Est-il trop tard pour agir ?

L’été que nous vivons le démontre, il est trop tard pour éviter des conséquences graves pour les sociétés humaines ; cependant, il est encore temps pour éviter que celles-ci deviennent irréversibles. Et, à ce titre, chaque dixième de degré comptera. Le rapport publié par le GIEC en 2018 nous permet de garder une lueur d’espoir, et celui dont la parution a démarré ce 9 août le confirme : il est encore possible de maintenir le réchauffement aux alentours de la barre des 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle, mais à la stricte condition d’opérer des changements sociétaux d’une ampleur inconnue depuis ladite Révolution industrielle. Sans quoi, dans le pire des scénarios, le réchauffement pourrait s’élever, au XXIIe siècle, à 4,4°C (voire 5,7°C, selon l’estimation la plus pessimiste). C’est donc bien à un chantier totalement inédit que nous devons nous atteler et ce, d’autant plus que la crise climatique vient s’ajouter à une crise tout aussi menaçante liée à l’effondrement de notre biodiversité.

Alors que faire ?

A court terme, il nous faut bien sûr panser les plaies. La solidarité incroyable à laquelle on a assisté dans les jours qui ont suivi la catastrophe de juillet doit se poursuivre dans la durée. Au-delà des initiatives individuelles, c’est en tant que société que nous devons trouver des solutions durables pour toutes les personnes sinistrées : logements salubres, vêtements, meubles, nourriture font partie des besoins de première nécessité, ainsi que l’appui aux entreprises sinistrées et aux travailleurs et travailleuses dont les emplois sont en danger. A plus long terme, il nous faudra reconstruire autrement et pour ce faire, nous avons besoin de donner à l’Etat, notre principal outil d’action collective, les moyens de faire face et de garantir la justice sociale. Les inondations du mois de juillet l’ont montré en touchant avant tout les quartiers populaires : justices sociale et climatique sont désormais profondément intriquées, les deux dimensions devant être abordées comme les deux faces d’une même pièce.

Mais panser ne suffit pas, il nous faudra aussi prendre le temps de penser la catastrophe et de repenser notre société.

Premièrement, en prenant les mesures nécessaires pour accompagner les indispensables changements de comportements, ainsi qu’en accélérant les investissements visant à mettre fin à l’économie du carbone bien avant 2050, pour cesser d’alimenter la principale source du dérèglement climatique. A la suite des impressionnantes mobilisations des années 2018 et 2019, on a assisté à une première évolution de la part du monde politique : du Green Deal européen au plan belge de reconstruction post-Covid-19 en passant par les accords de gouvernement aux différents niveaux de pouvoir, la promesse d’une plus grande ambition est enfin au rendez-vous. Mais les promesses ne suffisent plus : il va falloir faire plus vite, plus fort et plus solidaire si nous voulons respecter l’Accord de Paris. Des moyens plus importants doivent être libérés, de manière à réaliser dès aujourd’hui les investissements massifs permettant de rendre la transition écologique et sociale irréversible dans les dix ans qui viennent.

Deuxièmement, il nous faut prendre acte du fait qu’atténuer le réchauffement ne suffit pas : les dernières semaines nous montrent que nous entrons désormais dans le temps de l’adaptation. Quels que soient nos efforts pour en limiter l’impact, nous devons désormais vivre avec ce dérèglement, en cherchant à en diminuer au maximum les conséquences sociales. Cela demande, entre autres, de repenser notre urbanisme en profondeur, de manière à prévenir les catastrophes : mettre en place une gestion intégrée du cycle de l’eau, limiter la bétonisation, mais aussi isoler massivement nos logements, en commençant par ceux des personnes les plus vulnérables, de manière non seulement à diminuer la consommation énergétique, mais à limiter les effets des vagues de chaleur qui se multiplieront dans les décennies à venir.

Troisièmement, la solidarité ne peut s’arrêter à nos frontières. Par respect pour les droits humains mais aussi pour permettre à nos enfants de traverser le siècle qui vient dans un monde plus sûr, il nous faut absolument éviter que le dérèglement ne prenne des proportions irréparables dans les pays les plus affectés, qui sont aussi les plus pauvres. La solidarité internationale n’est ni un luxe, ni un acte de charité, elle est aujourd’hui une condition indispensable pour faire face à la crie que nous affrontons. La Belgique doit donc, enfin, se montrer à la hauteur de ses engagements internationaux, en dégageant les moyens nécessaires à l’aide publique au développement et au financement climatique prévus dans l’Accord de Paris. Ceci d’autant plus qu’aux dimensions de limitation des émissions et d’adaptation vient s’en ajouter une autre : celle de l’indemnisation des pertes et préjudices des victimes de catastrophes, qui fera l’objet de débats lors de la COP de Glasgow en novembre prochain.

Enfin, ces différentes dimensions n’ont de sens que dans une approche systémique, qui cesse de traiter la question climatique comme un silo parmi d’autres, mais fasse de celle-ci l’opportunité pour repenser nos sociétés en profondeur afin de réconcilier les dimensions économique, sociale et environnementale, toutes indispensables à la construction de sociétés durables. Il nous faut accepter de mettre en route un changement majeur de nos modes de production et de consommation, et donc par définition de nos modes de vie. Ceci impliquera sans doute des inconforts à court terme, mais est aussi l’occasion d’améliorer notre qualité de vie. La Coalition Climat appelle depuis des mois à la mise en chantier d’un Green New Deal au niveau belge et international et a déposé une centaine de propositions en ce sens, dont le sérieux a été salué par tous les bords politiques.

Qu’attend-on ?

Les rapports scientifiques montrent à la fois l’urgence d’agir, la possibilité de trouver des solutions et les opportunités que celles-ci représentent pour nous permettre de réinventer notre prospérité. L’heure est venue de sonner la mobilisation générale face à ce qui représente le chantier du siècle. En tant que citoyennes et citoyens, nous serons au rendez-vous. Le 10 octobre, nous descendrons dans la rue, en amont du prochain sommet mondial pour le climat, pour rendre hommage aux victimes de l’été et appeler à l’action. Nous espérons y être en nombre, mais nous espérons aussi et surtout, dès aujourd’hui, que notre message soit enfin entendu. Pour que l’été de deuil que nous sommes en train de vivre marque le début du basculement vers un monde plus juste et plus durable.

Article republié avec l’accord de l’auteur – original