Rencontre avec Nadège Carlier

Déléguée ONU du Forum des jeunes pour la Belgique francophone à la COP 26 de Glasgow

Propos recueillis par Michel Torrekens


Bruxelloise de 25 ans, Nadège Carlier est doctorante en sciences politiques à l’UCLouvain. Elle a également été désignée comme déléguée ONU francophone du Forum des jeunes, organe officiel de représentation de la jeunesse en Fédération Wallonie-Bruxelles, à la COP 26 qui s’est tenue à Glasgow. Nous l’avons rencontrée pour qu’elle nous fasse part de son expérience.


En quoi consiste ce mandat de déléguée ONU francophone du Forum des jeunes ?

Nadège Carlier : « Ce mandat a commencé en mars 2020, alors que débutait la pandémie, et dure deux ans, une première année en tant que junior et une deuxième en tant que senior pour apprendre progressivement les rouages du mandat et pour que l’on soit bien préparée au final pour une représentation à l’international, car la COP est très compliquée, même après avoir discuté pendant un an avec des acteurs et actrices de la société civile. Dans ce cadre, je représentais la jeunesse francophone sur les questions climatiques. Mais la COP 26 a été la pointe la plus visible d’un iceberg, d’un engagement pour le climat qui s’est concrétisé principalement en Belgique depuis deux ans. Initialement, je devais participer à la COP en 2020, mais celle-ci a été reportée d’un an à cause de la pandémie. »

Êtes-vous nombreux à exercer ce mandat ?

Nadège Carlier : « J’ai une collègue flamande désignée par le Vlaams Jeugd Raad, l’équivalent flamand du Forum des jeunes. Nous étions donc deux à représenter les jeunes dans la délégation officielle. Nous étions les seules avec cette casquette officielle, à avoir des impératifs de mandats, mais il est évident qu’il y avait aussi des représentants et des représentantes de Youth for climate et d’autres organisations avec un rôle plus activiste, tout à fait nécessaire à mon humble avis. Il s’agit de porter notre cause sur plusieurs fronts, tant de façon institutionnelle que de façon militante. En outre, il y a plusieurs jeunesses et il n’y a pas nécessairement unanimité sur tous les sujets. La diversité des voix est importante, et ce sont parfois des équilibres délicats pour que chacun trouve sa place. »

En quoi consiste le Forum des jeunes ?

Nadège Carlier : « Le Forum des jeunes est l’organe d’avis officiel des jeunes en Fédération Wallonie-Bruxelles, anciennement nommé Conseil de la jeunesse. Celui-ci a été refondé complètement et est moins politisé qu’avant. Sa mission est d’informer, former et éduquer les jeunes sur une série de sujets, mais pas dans une dynamique top/down. Il s’agit en effet de projets pour les jeunes et par les jeunes, de créer une dynamique où les jeunes s’engagent, prennent position et s’organisent par eux-mêmes. Ils sont invités à amener leurs propres sujets et le Forum s’engage alors dans une mission de soutien. Le Forum est actif sur toute une série de sujets. Moi, je me suis engagée pour le climat, mais on y aborde aussi des thèmes comme le développement durable, l’environnement, le droit de vote, l’éducation, le confinement, l’égalité de genres, etc. Précisons que le public du Forum, ce sont les jeunes de 16 à 30 ans. »

Deviez-vous avoir une expertise particulière en climatologie, par exemple une formation de biologiste en sciences environnementales, pour être mandatée par le Forum des jeunes à la COP 26 ?

Nadège Carlier : « Je suis entrée au Forum des jeunes en postulant à ce mandat de déléguée ONU pour le climat. Je suis doctorante en sciences politiques et je considère que nous pouvons tous et toutes nous intéresser aux questions climatiques sans être ingénieur en biologie ou doctorante en sciences. Il y a assez d’informations dans des rapports comme ceux du GIEC pour se former et s’informer. Pour le climat, il y a même un enjeu capital à ne pas laisser seulement les ‘experts’ scientifiques en parler. Ce doit être un débat public sur nos modes de vie, de production et de consommation qui nous concerne tous et toutes. Il faut que ces matières soient traduites par et pour les citoyens, de façon critique, pour nourrir le débat politique. Je pense que les crises environnementales doivent être politisées. J’apprécie aussi d’avoir différentes facettes dans ma vie. Ma thèse ne porte pas sur les négociations climatiques à la COP ; elle concerne les projets transversaux et collaboratifs mis en place au niveau local. Et j’aime beaucoup voyager à différents niveaux politiques, celui de l’ONU comme celui de la commune. Typiquement avec les politiques environnementales et climatiques, il y a nécessité d’une approche plus transversale pour prendre des décisions en s’éloignant de logiques plus hiérarchiques ou par silos. J’étudie différentes communes en Europe, l’idée étant de voir ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, ce que ça change pour les fonctionnaires et si cela change les politiques… Quant à mon mémoire, il portait sur la gouvernance climatique belge, ce qui m’a bien servi dans mon mandat. Je m’étais intéressée au burden sharing de 2012 qui avait mis huit ans à être avalisé. »

Qu’entendez-vous par burden sharing ?

Nadège Carlier : « En gros, c’est le partage de l’effort ou de la charge en matière climatique et environnementale. Au niveau européen, il y a des objectifs climatiques qui ont été fixés, comme 55% en moins d’émissions de gaz à effets de serre d’ici 2030. Ensuite, comme il y a des pays qui ont plus de moyens que d’autres ou qui sont plus loin que d’autres dans leurs politiques de transition, il y a des discussions pour se répartir les efforts. La Belgique a reçu un objectif de diminuer de 47% les émissions de gaz à effets de serre d’ici 2030. Comme la Belgique est un état fédéral, cet objectif doit ensuite être réparti entre les différentes régions. En plus de cela, il y a le système ETS, le système d’échanges quotas carbone au niveau européen, à savoir que la Belgique reçoit de l’argent dans ce cadre et que celui-ci doit à nouveau être réparti. Ce sont des questions qui coincent. Cela a été le point de départ d’un mélodrame à la COP26 car la Flandre refuse de s’engager à aller plus loin que moins 40%, ce qui oblige les autres régions à faire plus pour atteindre l’objectif fixé à la Belgique. Mon mémoire portait sur ces questions lors de la COP précédente et on voit que ces problèmes se sont à nouveau posés. »

Comment avez-vous été sélectionnée pour représenter le Forum de la jeunesse ?

Nadège Carlier : « La sélection est organisée par le Forum des jeunes et se fait en plusieurs étapes. D’abord, l’envoi d’un CV, d’une lettre de motivation et les réponses à une série de questions. Ensuite, un test écrit sur des connaissances factuelles, mais aussi la rédaction d’un discours par exemple ainsi que d’autres mises en situation. Et enfin, un entretien oral avec ma prédécesseure, une représentante de la société civile climatique et la permanente du Forum des jeunes qui s’occupe de ces mandats. Il faut savoir qu’il y a aussi une sélection pour des délégués biodiversité et développement durable qui se rendent à d’autres sommets organisés par l’ONU. »

Où se situe le Forum des jeunes parmi les diverses associations de jeunes qui se mobilisent pour le climat ?

Nadège Carlier : « Le Forum des jeunes fait partie de la délégation officielle en tant que Party overflow. Cela signifie que nous avions accès à presque toutes les salles de négociations, la réunion quotidienne de la délégation, etc. Ceci dit, ‘overflow’ signifie que nous sommes ‘excédents’ et que nous cédons la priorité aux badges ‘Party’ tout court. Par exemple, nous n’avions pas accès à la réunion de coordination de l’Union européenne ni à des négociations en plus petits comités. Des militantes comme Anuna De Wever ou Adelaïde Charlier avaient aussi un badge de Party overflow, et donc accès à pas mal de réunions. Il faut savoir que les relations entre société civile et délégation belge évoluent d’un sommet à l’autre, notamment en fonction des représentants politiques, certains étant plus ouverts à la société civile que d’autres. Lors de cette COP26, on peut dire que les ministres et la délégation faisaient preuve d’une belle ouverture envers la société civile. »

En quoi consiste le job d’une représentante ONU du Forum des jeunes à une COP ?

Nadège Carlier : « Il y a un double volet : d’une part, faire du plaidoyer politique auprès de la délégation belge – et de la délégation européenne dans une moindre mesure. On a ainsi pu rencontrer Franz Timmermans, le premier ministre Alexander De Croo, les ministres Zakia Khattabi, Alain Maron et Philippe Henry, ainsi que certains présidents de parti. Nous étions avec la Coalition Climat qui chapeaute diverses associations en Belgique, tant francophones que flamandes, pour organiser, par exemple, les marches comme celle du 10 octobre 2021. Cette coalition regroupe des syndicats, des ONG nord-sud, des associations environnementales, de développement et de coopération. D’autre part, il s’agissait d’expliquer aux jeunes en Belgique ce qui se passait à la COP via les réseaux sociaux en décryptant et en vulgarisant les informations. »

Par rapport à la raison d’être de la COP, quels sont les éléments positifs que vous auriez envie de mettre en avant ?

Nadège Carlier : « D’une manière générale, la COP, c’est bien, mais pas assez. Tout est toujours en demi-teinte. D’un point de vue positif, on a mentionné pour la première fois la diminution des énergies fossiles dans l’accord final. Ce qui m’a choquée, c’est que ce point fasse encore débat. Le point négatif, c’est que l’on mentionne une diminution sans inscrire une vraie sortie des énergies fossiles. Le deuxième élément positif que je retiens, c’est précisément la participation des jeunes en tant que génération la plus affectée, porteuse de changements et en général plus sensibilisée à ces questions que les autres générations. Pour la première fois, cela a été clairement mentionné dans les accords finaux. Un autre constat positif que je tire de la COP, c’est sa dimension médiatique, ce momentum médiatique et politique qui permet à toute une série de voix de se faire entendre, ce qui n’est pas forcément le cas d’habitude. Je pense aux représentants de peuples indigènes, des îles Pacifique comme les îles Salomon, qui ont pu témoigner et défendre leurs positions. Par contre, j’ai été impressionnée de constater comme petits et grands pays n’ont pas les mêmes moyens, les mêmes leviers d’actions. L’ONU finance un minimum pour chaque délégation, genre un ou deux délégués, et le reste est financé par chaque pays. C’est ainsi que la Belgique avait une grosse délégation, d’autant que Glasgow n’est pas trop loin. D’autres pays comme les États-Unis ont des dizaines de négociateurs et négociatrices. Par contre, des pays du sud ont trois, quatre représentants. Il y a aussi toute la partie avec les pavillons comme celui du Bénélux ou de diverses associations où sont organisées des conférences notamment. Mais tous les pavillons n’ont pas la même taille : il y a un côté un peu exposition universelle, les plus voyants étant ceux du Qatar et de la Russie. On y voit de manière très concrète les inégalités d’accès. C’est vrai aussi pour la société civile. Des jeunes Belges, il y en avait beaucoup par rapport à l’Équateur par exemple. Paradoxalement, les pays qui sont les plus affectés par la crise climatique ont moins accès au sommet qui lui est consacré. »

Autre constat qui vous ait marquée ?

Nadège Carlier : « Je me suis rendu compte que la COP n’est pas une structure qui permettra de prendre des décisions radicales. On crée beaucoup trop d’attentes autour des COP. On entend souvent dire que c’est la COP de la dernière chance, mais une COP, c’est avant tout itératif et graduel dans le changement. Elle rassemble des états souverains qui ne vont pas s’imposer des contraintes excessives. Comme, en plus, les décisions se prennent par consensus, il ne faut pas s’attendre à des changements radicaux ou une révolution du système. Je crois par contre que ce serait pire si les COP n’existaient pas. Par contre, je ne crois pas que la crise climatique se résoudra par la technologie. Les innovations technologiques contribueront à des améliorations et j’encourage la recherche, mais le premier levier à mes yeux tient au changement de nos comportements de production et de consommation. J’ai été étonnée de constater à la COP combien le narratif autour de la technologie était encore très présent. Dès qu’on entrait dans le grand hall, on était accueilli par une voiture de course électrique ainsi qu’un avion électrique. Pour moi, on essaie de nous enfumer en nous suggérant que le secteur privé et la recherche vont nous apporter des sources d’énergie inépuisables. Pour moi, à long terme, cela ne suffira pas. »

Quelle solution voyez-vous dès lors ?

Nadège Carlier : « Je pense qu’il ne suffira pas d’un seul niveau de décision ou d’actions. Des changements radicaux peuvent avoir lieu au niveau local mais, à moins que ceux-ci ne se généralisent, se multiplient, des décisions doivent aussi être prises et activées à d’autres niveaux. Tous les moyens doivent être activés à tous les niveaux. Cela m’a frappée comme les choses bougent en Belgique parce qu’il y a la pression de la rue avec les marches pour le climat mais aussi celle de la COP, notamment à un niveau médiatique. La pression doit venir du bas et du haut. »

Et depuis votre retour de Glasgow, que s’est-il passé pour vous ?

Nadège Carlier : « On a créé un événement avec le Forum des jeunes pour décrypter cette COP et nous avons partagé sur les réseaux sociaux. Je poursuis le suivi des dossiers que j’avais entamés l’an dernier, notamment sur l’alimentation durable au niveau belge et européen, en particulier la PAC en Wallonie. L’alimentation durable est un levier de changement important car elle est au carrefour de tellement de réalités du quotidien des gens en termes de biodiversité, de climat, de santé publique, de justice sociale, d’économie… Aborder l’alimentation, c’est aborder des enjeux globaux. Sinon, j’arrive à la fin de mon mandat et ma successeuse va reprendre le flambeau. »


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