Xavier Fettweis (*)
Pour la première fois depuis l’ère préindustrielle (1850-1900), le fameux seuil de +1.5°C a été atteint ou presque (+1.48°C signalé par Copernicus (*) à l’échelle globale pulvérisant le précédent record (2017) de +0.17°C. Depuis juillet 2023, c’est en fait tous les jours ou presque que la température bat les précédents records journaliers avec des anomalies à l’échelle globale atteignant parfois les +2°C ces derniers mois. Enfin, la hausse du niveau des mers a fait un « bond » en 2023 en augmentant de presque un facteur deux par rapport aux précédentes années. Si une telle accélération de la hausse du niveau marin a été observée, ce n’est pas à cause d’une fonte subite des calottes polaires mais, à cause de l’expansion thermique des océans qui se sont « subitement » réchauffés en 2023. En Atlantique Nord par exemple, la température de surface a augmenté de +0.4°C par rapport à 2022 alors qu’elle n’avait quasiment plus évolué sur la période 2020-2022. Mais pourquoi un tel emballement des températures des océans, en particulier de l’Atlantique et Pacifique Nord ?
Tout d’abord, il est évident que ces anomalies climatiques sont une conséquence directe du réchauffement global en cours (attribué sans équivoque aux activités humaines par le GIEC). Alors qu’on suivait la médiane des modèles du climat du GIEC depuis quelques années, 2023 sort du lot en atteignant maintenant le percentile 20 % des 30 modèles globaux considérés ici. Selon la médiane des modèles pour le scénario SSP370 (trajectoire +3°C), une anomalie de +1.5°C n’était pas prévue avant 2030 ce qui suggère que d’autres facteurs que le réchauffement climatique ont impactés la hausse des températures en 2023.
Parmi ces autres facteurs, citons d‘abord l’événement El Niño en cours depuis le printemps 2023 empêchant les eaux froides de remonter en surface dans le Pacifique Sud mais expliquant à priori uniquement l’anomalie positive à l’ouest de l’Amérique du Sud.
Comme autre facteur naturel qui pourrait avoir impacté la température, il y a l’éruption du Volcan Tonga (toujours dans le Pacifique Sud) en Janvier 2022 qui a propulsé dans l’atmosphère une importante quantité d’eau qui, rappelons-le, est le gaz a effet de serre le plus puissant. Toutefois, les volcans ont aussi un rôle refroidissant en émettant des aérosols qui vont réfléchir les rayonnements du soleil et favoriser la formation de nuages réfléchissant eux aussi les rayons du soleil. Dans le cas du volcan Tonga, l’effet réchauffant de la vapeur d’eau serait plus fort que celui des aérosols mais tout le monde ne semble pas d’accord sur ce sujet. Sachant que le temps de résidence de la vapeur d’eau et des aérosols émis dans l’atmosphère est à priori inférieur à 1 an, on peut donc supposer qu’il aurait jouer un rôle mineur dans les anomalies de température observées en 2023.
Pour expliquer le réchauffement de l’Atlantique Nord qui n’a jamais été aussi chaud à l’échelle journalière depuis mars 2023, une nouvelle législation dans le transport maritime en 2020 qui a réduit drastiquement la teneur en soufre des carburants des bateaux est souvent pointée du doigt. Ces aérosols de soufre (nocifs pour la santé), comme ceux des volcans, atténuaient le réchauffement des océans jusqu’à maintenant. Même si cela ne fait aucun doute qu’avec moins d’aérosols au-dessus des océans, plus de soleil arrive maintenant à la surface des océans qui se réchauffent donc d’avantage, la diminution de ces aérosols aurait toutefois un impact global d’au plus +0.05°C (*) et ne pourrait donc pas expliquer à elle seule le réchauffement de l’Atlantique Nord et du Pacifique Nord. Notons toutefois que le rôle des aérosols sur la formation de nuages bas est très difficile à évaluer par les modèles du climat car cela fait intervenir des processus sous-maille très dépendants des paramétrisations utilisées dans les modèles, qui pourraient donc sous-estimer leur rôle refroidissant.
Enfin, sachant que le ralentissement observé (*) de la circulation thermohaline (MOOC en anglais) devrait plutôt atténuer le réchauffement de l’Atlantique Nord que l’accélérer, il est aussi possible qu’une rétroaction positive mal prise en compte dans les modèles emballe le réchauffement de l’Atlantique Nord ou alors, que cette accélération du réchauffement n’est que le résultat de la variabilité naturelle du climat liée à l’Oscillation Atlantique Multi-décennale par exemple. L’année 2024 sera donc particulièrement intéressante à surveiller pour vérifier i) si ce réchauffement des océans s’accélère ce qui suggérerait que les modèles sous-estimeraient le réchauffement global ou, ii) au contraire, si on revient dans des conditions plus normales sachant qu’on sera cette année en mode « La Niña » (anomalie froide dans le Pacifique Sud). Dans tous les cas, même s’il y a encore beaucoup d’incertitudes, tout ceci montre que les projections futures ne sont certainement pas trop pessimistes comme beaucoup le pensent mais au contraire, elles sont la fourchette basse de ce qui nous pourrait nous attendre si on ne stoppe pas nos émissions de gaz à effet de serre.
Documentation : mers et océans