Enfin !

Les médias sur le point de communiquer sérieusement sur les questions climatiques ?
ObsAnt

Ces derniers mois, on a vu différents « prestataires de contenus » s’engager à œuvrer pour une information scientifique destinée au grand public sur les questions climatiques.

Changement des pratiques des météorologues (*), présence médiatique et discours intensifiés des scientifiques, débats dans diverses rédactions tant du côté de la presse « écrite » que des médias télévisuels et web. Les choses semblent enfin bouger.

L’exemple de Radio France est significatif d’une démarche qu’il serait intéressant d’élargir au plus vite à l’ensemble des intervenants médias sur les questions climatiques.


EN TANT QUE MÉDIA :

  1. Nous nous tenons résolument du côté de la science, en sortant du champ du débat la crise climatique, son existence comme son origine humaine. Elle est un fait scientifique établi, pas une opinion parmi d’autres
  2. Nous fournirons une information de confiance sur les effets de la crise climatique en France et dans le monde, en nous fondant sur des données vérifiées et en utilisant un vocabulaire qui reflète la réalité de cette crise, sans la minorer.
  3. Nous éclairerons la transition écologique. Nous ferons vivre sur nos antennes un espace public contradictoire et civilisé sur les choix auxquels nous sommes confrontés. Nous contribuerons à faire connaître les innovations et les solutions, des comportements individuels les plus quotidiens aux changements économiques les plus structurants, veillant ainsi à ne pas nourrir un découragement climatique mais à donner à chacun les clés pour comprendre, débattre et agir. POUR CELA : 
  4. Les antennes de Radio France font de la crise climatique un axe éditorial majeur. Il se déclinera dans nos programmes et nos tranches d’information, au quotidien et dans des spéciales. Nous maintiendrons également un volume conséquent d’émissions et de chroniques dédiées. Un accès thématique facile à ces programmes sera disponible en permanence sur le site et l’application Radio France.
  5. Radio France lance le plus grand plan de formation de son histoire à destination de ses journalistes, ses producteurs et équipes de production, et ses animateurs, sur les questions climatiques et scientifiques. Nous changeons de philosophie : l’environnement et la science ne seront pas l’affaire des seuls journalistes spécialisés, ils constitueront le socle de connaissances indispensables mobilisables par toutes nos équipes éditoriales.
  6. Nous accélérons notre transition vers une publicité plus responsable en visant l’exclusion progressive des produits et services les plus polluants. Nous augmenterons de 15 % par an le volume de publicités consacrées aux produits, services et entreprises responsables, mesuré par un organisme extérieur. Nous élargissons notamment le nombre d’espaces publicitaires offerts aux organisations engagées dans la transition (+ 20 % d’espaces « transition en commun »).
  7. Nous faisons de notre sobriété numérique une priorité. La radio est un média par construction sobre, nous avons néanmoins conscience du défi que présentent les usages numériques. Une équipe dédiée à la sobriété énergétique optimise le code de nos produits et leurs utilisations. Nous nouerons un dialogue avec les acteurs du numérique pour réduire le bilan carbone lié au stockage et à la diffusion de nos contenus.


    EN TANT QU’ENTREPRISE :
  8. Nous adoptons un plan de sobriété énergétique immédiat (notamment : limitation des températures de chauffage et de climatisation suivant les recommandations officielles, extinction des éclairages non indispensables, etc.).
  9. Nous nous engageons à baisser de 40 % notre bilan carbone d’ici 2030.
  10. Nous serons transparents sur nos progrès en rendant régulièrement compte de l’avancement de nos objectifs.

https://www.radiofrance.com/presse/radio-france-engage-un-tournant-environnemental


Il est plus qu’urgent d’informer correctement et complètement. Il est plus qu’urgent que les décideuses et décideurs se forment aux questions climatiques. Message encore martelé récemment par Jean-Marc Jancovici dans « C à vous ».

https://www.youtube.com/watch?v=3UAOmMgl17s



Climat, fin de partie ?

Cédric Chevalier

Reprise de l’article « Dire la vérité aux gens sur les risques existentiels qui pèsent sur l’humanité » paru sur le blog de Paul Jorion.

Nous voudrions vous relayer cet article paru dans PNAS, une prestigieuse revue scientifique américaine, ce 1er août 2022 : https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2108146119

Sa liste de coauteurs ne laissera pas indifférents ceux qui suivent l’actualité climatique :
Luke Kemp, Joanna Depledge, Kristie L. Ebi, Goodwin Gibbins, Timothy A. Kohler, Johan Rockström, Marten Scheffer, Hans Joachim Schellnhuber, Will Steffen, Timothy M. Lenton.

Présentation de l’article :

Une gestion prudente des risques exige la prise en compte de scénarios allant du moins bon au pire. Or, dans le cas du changement climatique, ces futurs potentiels sont mal connus. Le changement climatique anthropique pourrait-il entraîner l’effondrement de la société mondiale, voire l’extinction de l’humanité ? À l’heure actuelle, il s’agit d’un sujet dangereusement sous-exploré.

Pourtant, il existe de nombreuses raisons de penser que le changement climatique pourrait entraîner une catastrophe mondiale. L’analyse des mécanismes à l’origine de ces conséquences extrêmes pourrait contribuer à galvaniser l’action, à améliorer la résilience et à informer les politiques, y compris les réponses d’urgence.

Nous exposons les connaissances actuelles sur la probabilité d’un changement climatique extrême, expliquons pourquoi il est vital de comprendre les cas les plus défavorables, exposons les raisons de s’inquiéter des résultats catastrophiques, définissons les termes clés et proposons un programme de recherche.

Le programme proposé couvre quatre questions principales :

1) Quel est le potentiel du changement climatique à provoquer des événements d’extinction massive ?
2) Quels sont les mécanismes qui pourraient entraîner une mortalité et une morbidité massives chez l’homme ?
3) Quelles sont les vulnérabilités des sociétés humaines aux cascades de risques déclenchées par le climat, comme les conflits, l’instabilité politique et les risques financiers systémiques ?
4) Comment ces multiples éléments de preuve – ainsi que d’autres dangers mondiaux – peuvent-ils être utilement synthétisés dans une « évaluation intégrée des catastrophes » ?

Il est temps pour la communauté scientifique de relever le défi d’une meilleure compréhension du changement climatique catastrophique.

Commentaires Cédric Chevalier

Il semble impératif de prendre conscience de la situation d’urgence écologique absolue, de la reconnaître publiquement et surtout de gouverner la société en conséquence. Cela nécessite d’inclure les risques existentiels parmi les scénarios pris en compte. Nous le martelons depuis notre carte blanche collective du 6 septembre 2018 et la pétition de 40.000 signatures qui a suivi, remise à la Chambre de la Belgique. Les scénarios « catastrophes » ne sont pas des « excentricités douteuses » auxquelles les décideurs et scientifiques sérieux ne devraient pas attacher d’importance mais, au contraire, le point de départ, la pierre de touche, à partir duquel on peut seulement paramétrer ses efforts politiques et scientifiques. Dans l’histoire de la Terre, il y a déjà eu des changements d’ampleur « catastrophique », et il peut encore s’en produire, au détriment de certaines espèces, dont la nôtre. Et il ne peut y avoir de politique que lorsque l’existence de la communauté humaine est préservée.

L’éventuelle faible probabilité (sous-estimée peut-être à tort) de certains de ces scénarios (probabilité qui augmente à mesure que dure l’inertie, étant donnée l’existence des effets de seuil), n’est jamais une excuse pour ne pas les traiter. A partir du moment où ces scénarios impliquent la perte d’un grand nombre de vies et d’autres éléments d’importance existentielle, même pour une probabilité infime, ils doivent être pris en compte. Quand le risque sur l’espèce humaine toute entière ne peut être écarté, on fait face à la catégorie la plus élevée des risques existentiels.

Cet article invite donc à se demander si une partie de la communauté scientifique, avec sa culture de prudence et de modération adoptée par crainte de perdre sa crédibilité, n’a pas produit une pensée, un langage, des travaux et une priorisation de la recherche qui nous ont rendu collectivement aveugles sur la réalité effective des risques existentiels.

« Pourquoi se concentrer sur un réchauffement inférieur et des analyses de risque simples ? L’une des raisons est le point de référence des objectifs internationaux : l’objectif de l’accord de Paris de limiter le réchauffement bien en dessous de 2 °C, avec une aspiration à 1,5 °C. Une autre raison est la culture de la science climatique qui consiste à « pécher par excès de prudence », à ne pas être alarmiste, ce qui peut être aggravé par les processus de consensus du GIEC. Les évaluations complexes des risques, bien que plus réalistes, sont également plus difficiles à réaliser.
Cette prudence est compréhensible, mais elle n’est pas adaptée aux risques et aux dommages potentiels posés par le changement climatique. Nous savons que l’augmentation de la température a des « queues de distribution de probabilités épaisses » : des résultats extrêmes à faible probabilité et à fort impact. Les dommages causés par le changement climatique seront probablement non linéaires et entraîneront une queue de distribution de probabilité encore plus épaisse. Les enjeux sont trop importants pour s’abstenir d’examiner des scénarios à fort impact et à faible probabilité. »

Préférant se situer, par ethos scientifique, en deçà du risque probable, alors que l’éthique intellectuelle préconisait de se situer au-delà du risque probable, au niveau du risque maximal. La modération est au cœur de l’ethos scientifique, mais l’éthique des risques existentiels exige une forme d’exagération vertueuse, comme méthode de gouvernement. Le scientifique doit rester modéré, mais l’intellectuel qui sommeille en lui doit sans aucun doute hurler l’urgence, sans attendre d’en avoir toutes les preuves. Et surtout, le politique doit gouverner en ayant le scénario du pire à l’esprit, en permanence.

C’était le message, malheureusement mal compris, du philosophe Hans Jonas dans son ouvrage majeur, « Le Principe Responsabilité », de considérer que la femme ou l’homme d’État devait gouverner selon une « heuristique de la peur », en considérant les plus grands risques existentiels. Avec pour maxime « d’agir de telle façon que nos actions soient compatibles avec la permanence d’une vie authentique sur la Terre ». Le philosophe Jean-Pierre Dupuy a complété cette réflexion par le « catastrophisme éclairé », nous invitant à considérer que « le pire est certain », à un iota près, ce qui justement permet d’agir collectivement pour l’éviter.

Ce Principe Responsabilité, contrairement aux critiques, n’a jamais été un principe irréaliste et paralysant, mais au contraire, un principe raisonnable et d’action. On peut même penser qu’il est le fondement de la relation de responsabilité qui existe entre un parent et un enfant, et entre un politicien et les citoyens.

On comprend que s’il avait été mis effectivement en œuvre, jamais l’humanité n’aurait libéré dans la biosphère autant de substances polluantes, en ce compris les gaz à effet de serre, à partir du moment où l’impact catastrophique potentiel fut jugé plausible. C’était il y a environ 50 ans déjà selon certaines archives déclassifiées de la présidence américaine de Jimmy Carter, notamment, où les mots « the Possibility of Catastrophic Climate Change » figurent.

C’est en partie ce qui autorise le philosophe Stephen Gardiner de parler d’une « perfect moral storm », et de corruption morale, lorsqu’on ne tire pas les conséquences de ce que l’on sait, car on ne veut pas le croire, en s’abritant derrière la « complexité du problème » :

« En conclusion, la présence du problème de la corruption morale révèle un autre sens dans lequel le changement climatique peut être une tempête morale parfaite. C’est que sa complexité peut s’avérer parfaitement commode pour nous, la génération actuelle, et en fait pour chaque génération qui nous succède. D’une part, elle fournit à chaque génération la justification qui lui permet de donner l’impression de prendre le problème au sérieux – en négociant des accords mondiaux timides et sans substance, par exemple, puis en les présentant comme de grandes réalisations – alors qu’en réalité, elle ne fait qu’exploiter sa position temporelle. Par ailleurs, tout cela peut se produire sans que la génération qui exploite n’ait à reconnaître que c’est elle qui le fait. En évitant un comportement trop ouvertement égoïste, une génération antérieure peut profiter de l’avenir en évitant de devoir l’admettre – que ce soit aux autres ou, ce qui est peut-être plus important, à elle-même. »

La critique adressée aux scientifiques du climat s’étend donc à l’entièreté des forces qui œuvrent pour défendre l’habitabilité de notre biosphère pour tous les êtres vivants. La modération et le refus d’évoquer publiquement les scénarios du pire dans le chef des activistes, des associations, des syndicats, des entreprises, des pouvoirs publics, des partis et des mandataires politiques est contraire au respect du Principe Responsabilité. A force de ne pas vouloir évoquer le pire, de ne pas vouloir « faire peur », il est impossible pour la population de comprendre l’enjeu existentiel, et on ne peut pas s’étonner ensuite que l’inertie demeure.

N’y a-t-il pas une forme de faillite morale, pour certains, à refuser de parler ouvertement, publiquement, de manière concrète, de la possibilité de ces scénarios catastrophiques ?

L’article fait cette analogie historique :

« Connaître les pires cas peut inciter à l’action, comme l’idée de « l’hiver nucléaire » en 1983 a galvanisé l’inquiétude du public et les efforts de désarmement nucléaire. L’exploration des risques graves et des scénarios de températures plus élevées pourrait cimenter un réengagement en faveur de la barrière de sécurité de 1,5 °C à 2 °C comme l’option « la moins rébarbative » ».


Cette vague de chaleur anéantit l’idée que de petits changements permettent de lutter contre les phénomènes météorologiques extrêmes.

George Monbiot

Article original : This heatwave has eviscerated the idea that small changes can tackle extreme weather

Traduction : JM avec deepl

Les chaleurs excessives vont devenir la norme, même au Royaume-Uni. Les systèmes doivent changer de toute urgence – et le silence doit être brisé.

Peut-on en parler maintenant ? Je veux dire le sujet que la plupart des médias et la majorité de la classe politique évitent depuis si longtemps. Vous savez, le seul sujet qui compte en définitive – la survie de la vie sur Terre. Tout le monde sait, même s’ils évitent soigneusement le sujet, qu’à côté de lui, tous les sujets qui remplissent les premières pages et obsèdent les experts sont des broutilles. Même les rédacteurs du Times qui publient encore des articles niant la science du climat le savent. Même les candidats à la direction du parti Tory, qui ignorent ou minimisent le problème, le savent. Jamais un silence n’a été aussi fort ou aussi assourdissant.

Ce n’est pas un silence passif. Face à une crise existentielle, c’est un silence actif, un engagement farouche vers la distraction et l’insignifiant. C’est un silence régulièrement alimenté par des futilités et des divertissements, des ragots et du spectacle. Parlez de tout, mais pas de ça. Mais tandis que ceux qui dominent les moyens de communication évitent frénétiquement le sujet, la planète parle, dans un rugissement qu’il devient impossible d’ignorer. Ces jours de colère atmosphérique, ces chocs thermiques et ces feux de forêt ignorent les cris de colère et font brutalement irruption dans nos bulles de silence.

Et nous n’avons encore rien vu. La chaleur dangereuse que l’Angleterre subit en ce moment est déjà en train de devenir normale dans le sud de l’Europe, et serait à comptabiliser parmi les jours les plus frais pendant les périodes de chaleur de certaines régions du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Asie du Sud, là où la chaleur devient une menace régulière pour la vie. Il ne faudra pas attendre longtemps, à moins que des mesures immédiates et complètes ne soient prises, pour que ces jours de chaleur deviennent la norme, même dans notre zone climatique autrefois tempérée.

La même chose vaut pour tous les méfaits que les humains s’infligent les uns aux autres : ce qui ne peut être discuté ne peut pas être affronté. Notre incapacité à empêcher un réchauffement planétaire catastrophique résulte avant tout de la conspiration du silence qui domine la vie publique, la même conspiration du silence qui, à un moment ou à un autre, a accompagné toutes sortes de violences et d’exploitations.

Nous ne méritons pas cela. La presse milliardaire et les politiciens qu’elle soutient se méritent peut-être l’un l’autre, mais aucun de nous ne mérite l’un ou l’autre groupe. Ils construisent entre eux un monde dans lequel nous n’avons pas choisi de vivre, dans lequel nous ne pourrons peut-être pas vivre. Sur cette question, comme sur tant d’autres, le peuple a tendance à avoir une longueur d’avance sur ceux qui prétendent le représenter. Mais ces politiciens et ces barons des médias déploient tous les stratagèmes et toutes les ruses imaginables pour empêcher les prises de mesures décisives.

Ils le font au nom de l’industrie des combustibles fossiles, de l’élevage, de la finance, des entreprises de construction, des constructeurs automobiles et des compagnies aériennes, mais aussi au nom de quelque chose de plus grand que tous ces intérêts : le maintien du pouvoir. Ceux qui détiennent le pouvoir aujourd’hui le font en étouffant les contestations, quelle que soit la forme qu’elles prennent. La demande de décarbonation de nos économies n’est pas seulement une menace pour les industries à forte intensité de carbone ; c’est une menace pour l’ordre mondial qui permet aux hommes puissants de nous dominer. Céder du terrain aux défenseurs du climat, c’est céder du pouvoir.

Au cours des dernières années, j’ai commencé à réaliser que les mouvements environnementaux traditionnels ont fait une terrible erreur. La stratégie de changement poursuivie par la plupart des groupes verts bien établis est totalement inadéquate. Bien qu’elle soit rarement exprimée ouvertement, elle régit leur action. Cela donne quelque chose comme ceci: il y a trop peu de temps et la tâche est trop vaste pour essayer de changer le système, les gens ne sont pas prêts à le faire, nous ne voulons pas effrayer nos membres ou provoquer un conflit avec le gouvernement… La seule approche réaliste est donc l’incrémentalisme, les petits pas. Nous ferons campagne, question par question, secteur par secteur, pour des améliorations progressives. Après des années de persévérance, les petites demandes s’ajouteront les unes aux autres pour donner naissance au monde que nous souhaitons.

Mais pendant qu’ils jouaient à la patience, le pouvoir jouait au poker. La vague de droite radicale a tout balayé devant elle, écrasant les structures administratives de l’état, détruisant les protections publiques, s’emparant des tribunaux, du système électoral et de l’infrastructure de gouvernement, supprimant le droit de protester et le droit de vivre. Alors que nous nous persuadions que nous n’avions pas le temps pour changer de système, ils nous ont prouvé exactement le contraire en changeant tout.

Le problème n’a jamais été que le changement de système est une exigence trop forte ou prend trop de temps. Le problème est que l’incrémentalisme est une demande trop faible. Pas seulement trop limitée pour conduire la transformation, pas seulement trop limitée pour arrêter le déferlement de changements radicaux venant de l’autre camp, mais aussi trop limitée pour briser la conspiration du silence. Seule une exigence de changement de système, confrontant directement le pouvoir qui nous conduit à la destruction planétaire, a le potentiel de répondre à l’ampleur du problème et d’inspirer et de mobiliser les millions de personnes nécessaires pour déclencher une action efficace.

Pendant tout ce temps, les écologistes ont raconté aux gens que nous étions confrontés à une crise existentielle sans précédent, tout en leur demandant de recycler leurs capsules de bouteilles et de changer leurs pailles. Les groupes verts ont traité leurs membres comme des idiots et je soupçonne que, quelque part au fond d’eux-mêmes, les membres le savent. Leur timidité, leur réticence à dire ce qu’ils veulent vraiment, leur conviction erronée que les gens ne sont pas prêts à entendre quelque chose de plus stimulant que ces conneries micro-consuméristes portent une part importante dans la responsabilité de l’échec global.

Il n’y a jamais eu de temps pour l’incrémentalisme. Loin d’être un raccourci vers le changement auquel nous aspirons, c’est un marais dans lequel s’enfoncent les ambitions. Le changement de système, comme l’a prouvé la droite, est, et a toujours été, le seul moyen rapide et efficace de transformation.

Certains d’entre nous savent ce qu’ils veulent : une sobriété privée, un domaine public amélioré, une économie du doughnut, une démocratie participative et une civilisation écologique. Aucune de ces demandes n’est plus importante que celles que la presse milliardaire a poursuivies et largement concrétisées : la révolution néolibérale qui a balayé la gouvernance efficace, la taxation efficace des riches, les restrictions efficaces du pouvoir des entreprises et des oligarques et, de plus en plus, la véritable démocratie .

Alors brisons notre propre silence. Cessons de nous mentir à nous-mêmes et aux autres en prétendant que les petites mesures apportent un changement majeur. Abandonnons frilosité et gestes symboliques. Cessons d’apporter des seaux d’eau quand seuls les camions de pompiers font l’affaire. Construisons notre campagne pour un changement systémique vers le seuil critique de 25% d’acceptation publique, au-delà duquel, selon une série d’études scientifiques, se produit le basculement social .

Je me sens plus lucide que jamais sur ce à quoi ressemble une action politique efficace. Mais une question majeure demeure. Puisque nous avons attendu si longtemps, pouvons-nous atteindre le point de basculement social avant d’atteindre le point de basculement environnemental ?

George Monbiot est chroniqueur au Guardian.

Pour d’autres références voir : https://obsant.eu/listing/?aut=George%20Monbiot


Activistes climatiques : les citoyens ne doivent pas nous aimer !

Miser davantage sur le sabotage


Traduction (corp de l’article) – « deepl » + Josette – de « Klimaaktivist: Bürger müssen uns nicht mögen » paru le 16 juin 2022 dans ZDFheute.


Le mouvement climatique est frustré. L’activiste Tadzio Müller réfléchit à des actions radicales et au sabotage. Il s’agira moins de se faire aimer de la société.

Le mouvement climatique veut reprendre de l’élan cet été. Deviendra-t-il plus radical ?

Après deux ans de pandémie de COVID-19, le mouvement climatique en Allemagne a perdu de son élan. Outre les grèves scolaires de Fridays for Future, il existe également des groupes plus radicaux comme « Ende Gelände » (en français : jusqu’ici et pas plus loin) et « Aufstand der letzten Generation » (en français : la révolte de la dernière génération). Ces derniers sont connus pour leurs blocages d’autoroutes. En tant que cofondateur d’Ende Gelände, Tadzio Müller est un représentant de ce courant plus radical.


ZDFheute : La protection du climat n’avance que lentement, même sous le nouveau gouvernement fédéral. A quel point est-ce frustrant pour le mouvement climatique ?


Tadzio Müller : C’est extrêmement frustrant. Si l’on regarde les 30 dernières années de politique climatique, on ne peut qu’être frustré. Tous les gouvernements ne veulent que faire avancer la croissance économique. Nous occultons le fait que notre quotidien sape les fondements de la vie de tous les êtres humains. C’est un gâchis éthique.

« Nos actions au sein de Ende Gelände n’ont pas contribué à ce qu’il y ait une sortie du charbon avant 2038. Même les grandes manifestations de Fridays for Future n’ont pas encore conduit à une plus grande protection du climat. »

– Tadzio Müller, militant pour le climat


ZDFheute : Et comme on n’a pu secouer personne, le mouvement climatique réfléchit-il maintenant à de nouvelles formes d’action ?

Müller : Ende Gelände a élargi le consensus d’action pour cette année. Cette année, des formes d’action sont également possibles dans lesquelles les infrastructures des énergies fossiles sont mises hors service à l’issue de l’action. En même temps, les rumeurs au sein de Fridays for Future sont nombreuses en faveur du recours à des formes d’action plus radicales.

Le Dr. Tadzio Müller est politologue et activiste depuis des décennies. Il est cofondateur de l’organisation anti-charbon Ende Gelände, dont le groupe berlinois est classé à l’extrême gauche par l’Office régional de protection de la Constitution. Jusqu’en 2021, il a travaillé comme conseiller climatique à la fondation Rosa Luxemburg. Dans la newsletter « Friedliche Sabotage » (sabotage pacifique), il élabore des stratégies pour le mouvement climatique. Dans une interview très remarquée avec le « Spiegel », il a mis en garde en 2021 contre l’émergence d’une « RAF verte » (Ndt: Rote Armee Fraktion / Fraction Armée Rouge verte).

ZDFheute : Cela signifie qu’à la base, il y a une envie de devenir plus radical. Faut-il de la violence et des actes de sabotage pour réveiller la société ? 

Müller : J’ai trébuché sur la notion de violence. Il ne peut pas y avoir de violence contre les choses. Le groupe « Letzte Generation » est déjà un groupe de ce genre, qui choisit bien sûr l’escalade, mais pas une escalade violente. Il y a un certain fétichisme dans le débat qui fait que lorsqu’on entend escalade et radicalisation, on pense toujours immédiatement à la violence. La mise hors service de pelleteuses à charbon ou d’engins de construction pour un gazoduc n’est pas de la violence, mais de la légitime défense dans le cadre d’une urgence climatique justifiable.

« Se focaliser sur la question de savoir s’il est violent de dévisser une vis sur une pelleteuse est un acte naïf de refoulement. »
Tadzio Müller, militant pour le climat


ZDFheute : Et où fixez-vous alors la limite ? 


Müller : La mise en danger de vies humaines doit être absolument exclue.


ZDFheute : On dirait que Fridays for Future a perdu de son influence dans le mouvement face à des groupes plus radicaux comme Letzte Generation.


Müller : Fridays for Future est l’hégémon du mouvement. Mais un mouvement social ne se compose pas d’un seul acteur, il a plusieurs ailes. Il y avait Martin Luther King, il y avait bien sûr aussi Malcolm X et les Black Panthers.


ZDFheute : Mais ils se battent tout de même pour le même groupe de supporters ?  

Müller : Le groupe Letzte Generation a la plus grande résonance médiatique. Il est petit, capable d’agir et a fait quelque chose de nouveau. La nouveauté est toujours excitante. Le problème de Fridays for Future est que l’impact des manifestations et des grèves scolaires individuelles est désormais faible. L’organisation a connu une croissance incroyable depuis 2019. Il est tout à fait compréhensible que l’on ait besoin de se recentrer quelque peu pour développer de nouvelles idées.

Le mouvement climatique a été démobilisé pendant deux ans par le COVID-19. Le mouvement social a besoin de la rue, de la masse, de l’opinion publique. C’est ce qui nous fait vivre, c’est notre base de pouvoir. Chez Fridays for Future et Ende Gelände, des discussions sont en cours sur des actions plus efficaces. C’est pourquoi je pense que l’été sera chaud.

ZDFheute : Et que va dire la société en général de ces actions plus radicales ?

« Il n’y a pas qu’en Allemagne que de plus en plus d’actions du mouvement climatique ne visent pas à être appréciées de la société. Jusqu’à présent, cela ne nous a pas valu des fleurs. »
Tadzio Müller, militant pour le climat


Müller : Nous verrons des actions qui ont moins pour objectif de convaincre de l’importance de la protection du climat. Mais plutôt des actions qui augmentent les coûts de la normalité destructrice du climat. Il y aura des actions qui iront au-delà du répertoire existant. Je ne peux pas encore dire à quoi elles ressembleront, car elles doivent toujours être planifiées de manière cachée en raison de l’aspect transgression de la loi.


ZDFheute : Attendez-vous beaucoup de compréhension de la part d’un gouvernement fédéral auquel participent les Verts ?

Müller : En Allemagne, la lutte pour le climat est d’abord une lutte contre l’industrie automobile. Tout gouvernement est d’abord un gouvernement automobile, quels que soient les partis qui le composent. Bien sûr, il est plus facile de faire pression sur les Verts en tant que mouvement climatique que sur ce bloc fossile qu’est le SPD.

ZDFheute : Revenons aux manifestations de 1987 contre la piste ouest de l’aéroport de Francfort. Elles sont allées si loin que deux policiers ont été abattus.


Müller : Venir maintenant avec cette histoire de piste de décollage ouest est absurde. Regardez à quel point le mouvement climatique est incroyablement pacifique face à la méga-crise mondiale. Il n’y a même pas eu de jets de pierres lors de grandes manifestations. Qu’il puisse y avoir des tirs sur des policiers dans quelques mois est absurde.


ZDFheute : Et qu’est-ce que cela signifie pour vous qu’Ende Gelände est surveillé par l’Office fédéral de protection de la Constitution à Berlin ?

Müller : L’Office fédéral de protection de la Constitution est une institution bien plus douteuse qu’Ende Gelände. Ne la considérons pas comme une source objective.

« On veut délégitimer le mouvement climatique en l’accusant d’être extrémiste. Est extrémiste la politique qui construit des centrales à gaz en situation d’urgence climatique. »
Tadzio Müller, militant pour le climat


ZDFheute : Que devrait-il se passer pour que vous puissiez dire à l’automne que l’été a été un succès pour le mouvement de protection du climat ?


Müller : Le mouvement doit montrer qu’il est capable d’agir. Il doit y avoir une légitimation des formes d’action radicales. Nous devons être perçus comme un facteur de pouvoir contre lequel certaines politiques ne peuvent pas être imposées.


Les questions ont été posées par Nils Metzger.


Bilan de santé

Pol Troshô

été 2022

Chère consœur,

Cher confrère,

Comme convenu, voici le bilan de santé de :

L’Humanité

Age : évalué à quelque 2,5 millions d’années (*).

Taille : en progression constante, la taille culmine actuellement à près de 8 milliards (*).

Poids : 287 millions de tonnes (*) – Excédent de poids : 18,5 millions de tonnes (*).

Historique des pathologies : guerres militaires et économiques (*), pandémies, épidémies & troubles sanitaires (*), Fièvres (*), Intempéries (*), Famines (*), Pauvreté (*), …

Pathologies majeures : perte de biodiversité (*), risques de Collaps (*), pollutions (*), perte de qualité de l’Eau (*), perte de Fertilité des sols (*), pression climatique exponentielle (*), dépérissement des Mers et Océans (*), état des Forêts (*), état de l’Amazonie (*), …

Dépendances pathogènes : dépendance aux énergies fossiles (*), aux plastiques (*), au pesticides (*), à la croissance (*), …

Thérapies fortement conseillées : décroissance (*), sobriété (*), un socle de subsistance (*), utiliser les Low-Tech (*), l’Agriculture biologique et la permaculture (*), …

Thérapies déconseillées (n’ont pas démontré leur efficacité – risques de perte de temps) : éco-socialisme (*), éco-féminisme (*), anti-capitalisme (*), écologie décoloniale (*), croissance verte (*), …

Expertises conseillées : ONU (*), GIEC (*), … Ressources complémentaires (*)

Recevez, chère consœur, cher confrère, l’expression de mes sentiments distingués.

Les (*) sont proposés par l’Observatoire


« Votre voyage est-il vraiment nécessaire ? »

OA - Liste
par Philippe DEFEYT, économiste

« Is your journey really necessary ? ».

Cette incitation à la responsabilité personnelle a figuré sur diverses versions d’une affichette collée dans les stations du métro londonien et les gares ferroviaires britanniques lors de la seconde guerre mondiale.


Quatre traits essentiels caractérisent une économie de guerre :

  1. Une part (beaucoup plus) importante des ressources nationales consacrée aux dépenses militaires.
  2. Une planification autoritaire de nombreuses activités.
  3. Un rationnement de certains produits.
  4. La recherche de l’autonomie là où c’est possible et d’un soutien extérieur là où c’est nécessaire.

L’expérience du Royaume-Uni en 1940-45 a montré toute l’importance du soutien populaire pour transformer en profondeur l’économie ; celle-ci a connu une croissance exceptionnelle (+21% entre 1938 et 1941!).

Tous les leviers possibles ont été activés pour porter ce gigantesque effort de guerre : du transfert massif de main-d’œuvre et équipements vers la production hautement stratégique de chasseurs de combat jusqu’à la promotion de potagers de quartier (les fameux Victory gardens), de la fin d’activités comme la production de jouets à l’augmentation de 50% des surfaces cultivées, du recyclage massif jusqu’à des rationnements là où c’était incontournable (matières grasses, thé, lard, œufs…), des changements massifs des consommations alimentaires (beaucoup moins de viande et beaucoup plus de pommes de terre) aux petites économies quotidiennes…

Au total, selon l’historienne Lizzie Collingham, « la Grande-Bretagne termina la guerre avec une population mieux nourrie et en meilleure santé que dans les années 1930 et avec des inégalités nutritionnelles réduites. »

Il semble que « le système de rationnement resta populaire jusqu’à la fin de la guerre, 77 % des Britanniques s’en déclarant satisfaits en 1944 » ; Jean-Baptiste Fressoz considère que c’est « parce qu’il était perçu comme juste (même si les riches avaient accès aux restaurants de luxe qui échappaient au rationnement). »

Le secteur des transports n’a pas échappé aux contraintes d’une économie de guerre. Les orientations prises montrent l’étendue de la palette de mesures possibles : augmentation du volume du fret transporté, suppression de certains trajets (par exemple les traditionnels trains de vacances vers les côtes), priorité aux transports de ressources essentielles, rationnement puis arrêt des livraisons de carburants pour les voitures individuelles (un ménage sur dix était motorisé), unité de management des compagnies ferroviaires, retrait de voitures-restaurant pour décourager certains déplacements mais aussi le maintien de services de transport de personnes, certes bondés mais sans rationnement (sauf au tout début de la guerre) ; c’est ici que l’appel à la responsabilité évoqué en début de chronique prend tout son sens.

Nous sommes en guerre aussi, mais notre société n’est pas prête à l’assumer et donc à faire les efforts nécessaires. Cette guerre c’est celle de la transition écologique et et du défi climatique en particulier ; elle est, en outre, pour un temps, compliquée par la guerre militaire en Ukraine et ses conséquences.

La comparaison avec l’expérience de la seconde guerre mondiale est riche d’enseignements, même s’il faut éviter des lectures par trop orientées.

Trois conditions apparaissent comme essentielles pour réussir « un effort de guerre » :
• le sens de l’urgence et de la nécessité d’agir est la base de la dynamique sociétale ;
• des leaders inspirés sont indispensables, qui doivent travailler ensemble (sans nier pour autant des divergences de vues) ;
• on ne peut en sortir sans une bonne dose de planification et d’orientations et priorités fortes, claires, évidentes.

Une fois ces conditions rencontrées, tous les moyens sont bons à mobiliser, petites ou grandes mesures, coercitives et incitatives. On notera encore, dernier enseignement, que cette période sombre a été traversée grâce à des mesures équitables, vécues comme telles ; elle a de ce fait pavé le chemin vers un état-providence renouvelé.

A la lecture de ces enseignement on peut dire, à l’instar de François Gemenne, que « c’est mort » . Certainement, mais qu’elle soit offensive (économies d’énergies carbonées) ou défensive (lutte contre les retombées du réchauffement), cette guerre doit de toute manière être menée et gagnée.

Est-ce vraiment si difficile de planifier les programmes publics pour donner la priorité aux investissements énergétiques (offensifs comme défensifs) ; tous les investissements publics (ronds-points, maisons communales, nouvelles maisons de repos…) sont-ils indispensables à court-moyen terme, surtout quand il y a pénuries de capacités de production ? Est-ce vraiment si difficile d’orienter les productions agricoles ? Est-ce vraiment si difficile de recentrer les budgets sociaux sur une allocation logement-énergie ? Est-ce vraiment si difficile d’activer des mesures quick-win comme la limitation des vitesses sur routes et autoroutes ? Est-ce vraiment si difficile de mobiliser de manière forte toutes les ressources organiques possibles pour faire du bio-gaz ? Est-ce vraiment si difficile d’engager les wallons à économiser l’eau dès à présent ? Est-ce vraiment si difficile de limiter les déchets ? Est-ce vraiment si difficile de simplifier radicalement procédures, démarches… pour permettre à chacun de se concentrer sur l’essentiel ? Est-ce vraiment si difficile de consommer moins de viande ou de renoncer à certains déplacements accessoires ?

Il semble que oui, malheureusement.


Cet article est paru précédemment dans l’Echo