Climat : impacts catastrophiques sur la population humaine

Steve Genco

Traduction ObsAnt – article original sur Medium

Projections climatiques et projections démographiques

Au cœur de la science du climat, il existe une déconnexion déconcertante entre les projections climatiques et les projections démographiques. En effet, si l’on compare les deux, on pourrait penser que les spécialistes de la population et les spécialistes du climat vivent dans deux mondes complètement différents.

D’une part, les climatologues annoncent un monde de catastrophes sans précédent pour les décennies et les siècles à venir : chaleur mortelle, inondations, sécheresses, méga-tempêtes, côtes dévastées, raréfaction de l’eau douce, pénuries alimentaires, etc. D’un autre côté, les spécialistes des questions démographiques de l’ONU prévoient que la population mondiale continuera d’augmenter, principalement en raison des taux de natalité élevés dans les pays les plus pauvres (les plus vulnérables aux effets du changement climatique). Dans un rapport publié en 2019, les scientifiques des Nations Unies prévoient que la population mondiale passera de 7,9 milliards aujourd’hui à 9,7 milliards d’ici 2050, avant de se stabiliser à près de 11 milliards vers 2100 (source).

Le décalage entre ces deux visions de l’avenir de l’humanité est vertigineux. Pour prendre un exemple, les Nations Unies estiment que la population de l’Afrique subsaharienne doublera d’ici 2050. Pourtant, les dernières alertes climatiques du GIEC nous indiquent qu’un monde plus chaud de 2 °C d’ici 2050 est à la fois probable et susceptible de faire des ravages en Afrique subsaharienne, en provoquant des sécheresses, des inondations, des pénuries alimentaires et un réchauffement régional si néfaste qu’il pourrait devenir impossible de travailler à l’extérieur pendant une bonne partie de l’année dans une grande partie de la région (source). Comment peut-on s’attendre à ce que la population double dans de telles circonstances ?

La réponse tient à la manière dont les modèles climatiques du GIEC sont construits.

Les modèles climatiques utilisés dans les rapports du GIEC n’incluent la population que comme variable d’entrée, et non comme variable de sortie. Ils prévoient les changements climatiques en partie sur la base d’un niveau donné de population (généralement tiré des projections des Nations Unies), mais ils ne prévoient pas les changements de population sur la base d’un niveau donné de réchauffement climatique. En d’autres termes, les modèles démographiques et climatiques ne sont pas couplés de manière bidirectionnelle (source).

La raison pour laquelle les modèles climatiques ne montrent pas de baisse de la population face à un réchauffement planétaire sans précédent est donc qu’ils n’incluent pas la population comme variable de sortie dans leurs modèles. S’ils le faisaient, ils constateraient probablement que les projections démographiques mondiales et régionales des Nations Unies sont beaucoup trop optimistes pour le monde plus chaud dans lequel nous entrons.

Les projections démographiques des Nations unies sont des projections « toutes choses égales par ailleurs » pour un monde où toutes les choses sont loin d’être égales par ailleurs (source).

Lorsque nous examinons tous les éléments interdépendants qui définissent la situation difficile à laquelle l’humanité est confrontée aujourd’hui, quel est le maillon faible de la chaîne des causes et des effets du changement climatique ? C’est le corps humain. L’homme est une espèce résistante. Mais notre corps a des limites biologiques au-delà desquelles nous ne pouvons pas survivre.

Nous ne pouvons pas survivre à des températures supérieures à 35 °C pendant plus de quelques heures (source).

Nous ne pouvons pas survivre sans eau pendant plus de trois jours (source).

Nous ne pouvons pas survivre sans nourriture pendant plus d’un à deux mois (source).

Compte tenu de ces limites à la capacité de survie de l’homme, que devons-nous penser des avertissements tels que ceux figurant dans le sixième rapport d’évaluation du GIEC de 2022 (source) ?

Environ 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des zones très vulnérables au changement climatique (soit près de la moitié des êtres humains vivant aujourd’hui). Les

points chauds mondiaux de grande vulnérabilité humaine se trouvent en particulier en Afrique de l’Ouest, en Afrique centrale, en Afrique de l’Est, en Asie du Sud, en Amérique centrale, en Amérique du Sud, dans les petits États insulaires en développement et dans l’Arctique.

La vulnérabilité humaine future sera concentrée là où les capacités des gouvernements locaux, municipaux et nationaux, des collectivités et du secteur privé sont les moins à même de fournir des infrastructures et des services de base.

Les risques sont les plus élevés là où les espèces et les personnes vivent près de leurs limites thermiques supérieures (c’est-à-dire dans des climats déjà chauds), le long des côtes, ou en étroite relation avec la glace (qui fondra) ou les rivières saisonnières (qui s’assécheront et/ou inonderont).

Si le réchauffement climatique est d’environ 2°C, l’eau de fonte des neiges disponible pour l’irrigation devrait diminuer dans certaines régions jusqu’à 20 %, et la fonte des glaciers devrait réduire la disponibilité de l’eau pour l’agriculture, l’hydroélectricité et les zones d’habitation à moyen et long terme, ces effets devant doubler avec un réchauffement climatique de 4°C.

Le changement climatique exercera une pression croissante sur la production alimentaire et l’accès à la nourriture, en particulier dans les régions vulnérables, compromettant ainsi la sécurité alimentaire et l’alimentation.

Le réchauffement climatique affaiblira progressivement la santé des sols et les services écosystémiques tels que la pollinisation, augmentera la pression exercée par les ravageurs et les maladies, et réduira la biomasse des animaux marins, sapant ainsi la productivité alimentaire dans de nombreuses régions sur terre et dans les océans.

À long terme, si le réchauffement climatique est égal ou supérieur à 3 °C, les zones exposées aux risques liés au climat s’étendront considérablement par rapport à un réchauffement climatique égal ou inférieur à 2 °C, ce qui aggravera les disparités régionales en matière de risques pour la sécurité alimentaire.

Ce que dit le GIEC, dans un langage poli mais sans ambiguïté, c’est que les effets du changement climatique sur les corps humains seront ressentis en premier lieu et le plus sévèrement par les plus vulnérables d’entre nous. C’est là que la chaleur mortelle se fera sentir en premier, que les famines apparaîtront en premier et que les sécheresses, les inondations et les effondrements d’écosystèmes seront les plus dévastateurs.

Il semble tout simplement invraisemblable que des populations régionales déjà en difficulté augmentent, comme le prévoient les Nations unies, sous l’effet d’une hausse de 2 à 4 °C des températures moyennes de la planète.

En raison du décalage entre les modèles climatiques et les projections démographiques, nous ne savons pas exactement à quel point les différents niveaux de réchauffement climatique seront dévastateurs pour les populations humaines. Il s’agit peut-être d’une stratégie intentionnelle de la part des climatologues pour ne pas « effrayer » leur public, mais elle a laissé un grand vide dans notre compréhension de la conséquence la plus importante du changement climatique, à savoir son effet sur la mortalité humaine. En l’absence de données et de modèles plausibles pour nous guider, cette carence est compensée par des spéculations et des conjectures, et par beaucoup plus de bruit que de clarté.

Science du climat et capacité de charge : qu’est-ce qu’une population mondiale « durable» ?

Les avis des climatologues sur la population se répartissent en deux camps. Le premier est celui que j’appellerais le camp du « je ne ne m’occupe pas de ça ». Ces personnes semblent tout à fait satisfaites de ne pas tenir compte de l’impact de la population dans leurs modèles climatiques. Leur travail, pourraient-ils dire, consiste à fournir des données et des modèles pour aider l’humanité à éviter les pires conséquences démographiques du changement climatique, et non à documenter l’ampleur de la dévastation à laquelle nous pouvons nous attendre si nous échouons dans cette mission. D’accord… Mais alors que les gouvernements continuent de ne pas respecter leurs engagements en matière de climat et que les niveaux de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, certains scientifiques ont commencé à reconnaître qu’un réchauffement planétaire de 2 °C est désormais inévitable, que 3 °C est probable et que 4 °C est tout à fait envisageable (source). Compte tenu de ces dernières projections, il n’est peut-être plus possible d’ignorer les effets potentiels de la hausse des températures mondiales sur la population (source).

Le deuxième camp de scientifiques du climat pourrait être appelé le camp de la « capacité de charge ». Le concept de capacité de charge est un élément essentiel des études écologiques depuis des décennies. Il s’agit de la taille maximale de la population qu’une espèce biologique peut supporter dans un environnement, compte tenu de la nourriture, de l’habitat, de l’eau et des autres ressources disponibles dans cet environnement. Son application aux populations humaines est controversée (source). Les critiques soulignent que l’homme, contrairement à d’autres espèces, peut modifier son environnement, augmentant ainsi sa capacité de charge locale, régionale ou mondiale (source). La révolution industrielle et la révolution verte sont souvent citées comme preuve que la capacité de charge de l’homme sur la planète Terre peut être considérablement augmentée grâce à l’innovation et à l’exploitation de sources d’énergie inexploitées (source). L’homme se distingue également des autres espèces par sa capacité à capturer et à stocker les ressources en vue de leur utilisation ultérieure à l’échelle industrielle, ce qui permet de retarder efficacement l’impact du dépassement de la capacité de charge en puisant dans les ressources stockées (jusqu’à ce qu’elles soient épuisées).

Les tenants du concept de capacité de charge reconnaissent que l’homme a réussi à augmenter à plusieurs reprises la capacité de charge de la planète, mais avertissent que cela ne signifie pas que la capacité de charge est infiniment extensible ou que les sources d’énergie sont infiniment renouvelables (source). Ils affirment plutôt que, quelles que soient les sources d’énergie ou les innovations technologiques dont une population humaine peut bénéficier, l’environnement de cette population impose une capacité de charge finie : le nombre d’individus dont la vie peut être assurée sur la base des ressources actuelles, soit à un niveau de subsistance minimum, soit, de préférence, à un niveau plus élevé de bien-être, de santé et de satisfaction personnelle.

Le problème de la capacité de charge est que tant que la population reste bien en deçà de la capacité d’un environnement à la supporter, le concept n’a que peu d’intérêt ou de valeur. Toutefois, étant donné que nous nous trouvons maintenant dans la partie « crosse de hockey » de la courbe de la population mondiale, l’idée de réexaminer la capacité de charge gagne du terrain parmi les climatologues (source). En effet, dans un monde où la population globale a doublé, passant de 4 milliards à 8 milliards en 50 ans, la question de savoir si et combien de temps l’environnement naturel de la planète peut répondre aux conditions de subsistance d’une telle explosion démographique ne peut plus être éludée.

La population humaine croît de manière exponentielle, mais les ressources augmentent au mieux de manière linéaire, et au pire, pas du tout.

Le cadre des limites planétaires proposé par Rockström (2009) et actualisé par Steffen (2015) est une approche qui a fait évoluer le concept de capacité de charge dans des directions prometteuses. Cette approche réinterprète la capacité de charge comme une fonction de neuf limites biophysiques absolues qui « protègent et régissent le système terrestre à l’ère de l’Anthropocène » (source, p. 1). Ces neuf limites incluent les effets du changement climatique, mais identifient également d’autres menaces potentielles pour la survie de l’humanité, telles que l’acidification des océans, les émissions d’azote et de phosphore, la disponibilité de l’eau et des terres au niveau mondial, et l’érosion de la biodiversité.

Pour en savoir plus sur le cadre des limites planétaires, je recommande l’une des références mentionnées dans le paragraphe précédent. Je le mentionne ici parce que les scientifiques qui travaillent dans ce domaine ont commencé à élaborer des modèles qui prennent en compte la pièce manquante mentionnée ci-dessus : les effets du changement climatique et de l’épuisement des ressources sur la population humaine aux niveaux mondial, régional et local. Leurs analyses nous donnent enfin des indications sur la manière dont la population mondiale est susceptible de réagir à notre trajectoire environnementale actuelle :

« Les besoins physiques (c’est-à-dire l’alimentation, l’hygiène , l’accès à l’énergie et l’élimination de la pauvreté en dessous du seuil de 1,90 USD) pourraient probablement être satisfaits pour 7 milliards de personnes à un niveau d’utilisation des ressources qui ne transgresse pas de manière significative les limites planétaires. Cependant, si les seuils des objectifs plus qualitatifs (satisfaction de la vie, espérance de vie en bonne santé, éducation secondaire, qualité démocratique, soutien social et égalité) doivent être universellement atteints, les systèmes d’approvisionnement – qui assurent la médiation entre l’utilisation des ressources et les résultats sociaux – doivent devenir de deux à six fois plus efficaces ». (source, p. 92)

J’interprète cela comme un avertissement exprimé de manière plutôt oblique : sept milliards de personnes pourraient être en mesure de mener une vie misérable et de subsistance à l’intérieur des limites planétaires qui nous protégeront d’un monde plus chaud de 2 à 4°C, mais pour qu’autant de personnes puissent vivre une bonne vie, notre consommation effrénée des ressources mondiales (y compris, mais sans s’y limiter, les combustibles fossiles) devrait être radicalement réduite, soit en obtenant deux à six fois plus d’utilisation (c.-à-d…, soit en multipliant par deux à six l’utilisation (c’est-à-dire l’efficacité) de chaque unité de ressource consommée, soit, à défaut, en faisant en sorte que seulement la moitié ou le sixième de la population consomme équitablement les ressources actuellement consommées – de manière très inégale – par 8 milliards de personnes.

Selon cette approche, la Terre ne contient que suffisamment de ressources finies pour assurer une « bonne vie » à 1,3 à 4 milliards de personnes.

D’autres estimations de la capacité de charge de la Terre aboutissent à des chiffres tout aussi bas. William Rees, écologiste canadien spécialiste des populations et fondateur du projet Global Footprint, qui mesure la consommation des ressources pays par pays, a récemment fait remarquer que « la capacité de charge à long terme de la Terre pour l’homme n’est pas encore atteinte :

« La capacité de charge humaine à long terme de la Terre – une fois que les écosystèmes se seront remis du fléau actuel [ »phase de fléau« est un terme utilisé par les écologistes pour décrire le pic d’un cycle d’explosion démographique] – est probablement de un à trois milliards d’individus, en fonction de la technologie et du niveau de vie matériel ». (source)

Paul Ehrlich, célèbre pour sa bombe démographique, aborde la question dans un article de 1994 intitulé « Optimum Human Population Size » (taille optimale de la population humaine). Ehrlich et ses coauteurs concluent que la population optimale peut varier de manière significative en fonction de valeurs et de politiques différentes, mais que, dans l’ensemble, elle devrait se situer quelque part entre 1,5 milliard et 2 milliards de personnes (source).

Johan Rockström, l’un des initiateurs de l’approche des limites planétaires et directeur de L’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact du climat, a déclaré dans une interview en 2019 que dans un monde plus chaud de 4°C :

« Il est difficile de voir comment nous pourrions accueillir huit milliards de personnes ou peut-être même la moitié de cela. Il y aura une riche minorité de personnes qui survivront avec des modes de vie modernes, sans aucun doute, mais ce sera un monde turbulent et conflictuel. » (source)

M. Rockström se faisait essentiellement l’écho de son collègue Hans Joachim Schellnhuber, fondateur de l’Institut de Potsdam, éminent climatologue et conseiller du gouvernement allemand, qui a été mis en cause dans un article du New York Times de 2009 pour avoir déclaré lors d’une conférence sur le climat :

« D’une manière très cynique, c’est un triomphe pour la science car nous avons enfin stabilisé quelque chose, à savoir les estimations de la capacité de charge de la planète, c’est-à-dire en dessous d’un milliard d’habitants. »

Cette déclaration, qui n’est en fait qu’une plaisanterie qui a mal tourné, a suscité de vives réactions. L’article du Times fait référence à la « position agressive de Schellnhuber sur le changement climatique » et qualifie son commentaire de « prédiction apocalyptique ». D’autres l’ont accusé de prôner le génocide et de soutenir des politiques visant à réduire délibérément la population mondiale à un milliard. Lors d’une conférence ultérieure sur le climat à Melbourne en 2011, un membre du public a brandi un nœud coulant pendant que Schellnhuber s’exprimait (source). En 2015, M. Schellnhuber était encore interrogé sur son commentaire. Dans une interview, il a expliqué :

« Ce que j’ai dit, c’est que si le réchauffement climatique n’est en aucune manière atténué, et que nous entrons dans un monde plus chaud de six ou huit degrés [Fahrenheit], alors notre planète ne pourra probablement pas supporter plus d’un milliard de personnes ».

La réticence des climatologues à parler directement de l’impact du changement climatique sur la population est peut-être en partie une réaction au traitement que Schellnhuber a reçu pour un seul commentaire, relativement décontracté, sur l’impact potentiel du changement climatique sur la mortalité humaine. La leçon pour les autres scientifiques du climat était difficile à ignorer : les gens, y compris certains dans leur propre domaine, ne voulaient pas entendre parler des effets directs du réchauffement climatique sur la mortalité humaine. Le sujet était tout simplement trop horrible pour que la plupart des gens l’envisagent.

Même les chercheurs de Planetary Boundaries ne décrivent pas directement le coût du changement climatique pour la population. Ils se réfèrent au nombre de personnes qu’un scénario environnemental particulier « peut supporter ». Ils laissent l’étape suivante, je suppose, comme un exercice pour le lecteur. Soustrayez la population viable de la population actuelle, le reste est la population non viable. Que leur arrive-t-il ? Il semble qu’il n’y ait qu’une seule réponse : Ils ne survivront pas parce que leurs besoins biologiques fondamentaux – nourriture, eau et abri contre les températures humides – ne seront pas satisfaits.

C’est ce que signifie « ne pas être soutenu par son environnement » : vous n’avez pas assez de nourriture, d’eau et d’abri pour vous maintenir en vie.

Il est évident qu’un déclin de la population par le biais d’une baisse des taux de natalité serait de loin préférable à un déclin de la population par le biais d’une augmentation des taux de mortalité. Comme le soulignent rapidement les spécialistes de la démographie, les taux de natalité sont en baisse dans de nombreux pays riches, et dans certains cas à des niveaux suffisamment bas pour entraîner un déclin de la population au cours des prochaines décennies (source). Mais, du moins aujourd’hui, ces baisses sont plus que compensées à l’échelle mondiale par des taux de natalité élevés dans de nombreux pays du Sud moins développés, parmi les plus vulnérables sur le plan climatique et les plus fragiles sur le plan économique.

Une « transition démographique » dans les pays vulnérables du Sud peut-elle stabiliser la population mondiale aux niveaux de consommation actuels ?

Les propositions visant à stabiliser la croissance démographique dans les pays en développement tendent à tourner autour d’une idée séduisante appelée « transition démographique ». Selon ce concept, la meilleure façon de maîtriser la population des pays en développement est de les rapprocher des pays développés. Si ces pays et régions peuvent être amenés au niveau de vie (et de consommation) des pays développés, on s’attend à ce qu’ils s’installent naturellement dans des taux de natalité plus bas à mesure qu’ils adoptent les politiques et récoltent les bénéfices de leur intégration dans le monde développé.

Son intérêt politique est évident. Il offre aux pauvres une voie vers la richesse. Il offre aux riches un moyen commode de faire valoir leurs qualités morales sans risquer de voir leur propre niveau de vie (et de consommation) baisser. Elle offre aux hommes politiques un moyen de paraître équitables et respectables. Malheureusement, la logique de la transition démographique présente une faille majeure. Même si nous ne connaissons pas exactement la capacité de charge de la Terre à l’heure actuelle, nous pouvons facilement calculer qu’elle est bien inférieure à ce qui serait nécessaire pour faire vivre 8 milliards de personnes au même niveau de consommation de ressources que celui dont jouissent aujourd’hui les nations les plus riches (source).

Le problème est que nous consommons actuellement les ressources renouvelables de la planète (bois, eau et air purs, sols sains, poissons sauvages pêchés pour l’alimentation, etc. ) à des niveaux non durables (source). En d’autres termes, nous les utilisons plus rapidement qu’elles ne peuvent se reconstituer, naturellement ou par une gestion active. Selon le Global Footprint Network, pour que le monde entier atteigne le niveau de vie des États-Unis ou de l’Europe, il faudrait disposer des ressources de deux à cinq Terres (source). Étant donné que nous n’avons qu’une seule Terre, l’objectif de la transition démographique – aussi séduisant soit-il sur le plan politique – n’est pas réalisable sans une réduction significative des niveaux de consommation de ressources des nations les plus riches.

La seule façon de partager plus équitablement le gâteau des ressources mondiales entre toutes les nations est de donner aux nations les plus riches des parts plus petites que celles qu’elles consomment aujourd’hui.

L’une des études les plus récentes de Planetary Boundaries, publiée au début de cette année, révèle que les pays à revenu élevé sont responsables de 74 % de l’utilisation excédentaire de matériaux au niveau mondial, principalement sous la pression des États-Unis (27 %) et de l’Union européenne (25 %). La Chine est responsable de 15 % de l’utilisation excédentaire de matériaux dans le monde, et le reste du Sud n’est responsable que de 8 %. Leur conclusion concernant l’utilisation des ressources par les pays riches :

« Nos résultats montrent que les pays à revenu élevé doivent de toute urgence ramener leur utilisation globale des ressources à des niveaux durables. En moyenne, l’utilisation des ressources doit diminuer d’au moins 70 % pour atteindre le niveau durable ». (source, p. e347)

Il semble très improbable que les nations riches du monde réduisent volontairement de 70 % leur consommation des ressources mondiales, qu’elles soient renouvelables ou non. Il est certain qu’aucun dirigeant politique de ces pays n’oserait préconiser un tel changement, car cela équivaudrait à un suicide professionnel. Et si nous cherchons des pistes dans l’histoire récente, l’incapacité de millions d’Américains à accepter l’inconvénient mineur de porter un masque pour éviter de propager le COVID-19 est révélatrice. Plutôt que de se soumettre à une mesure de santé publique simple et indolore, les Américains ont choisi d’accepter qu’un million de leurs concitoyens meurent du COVID. Quelle est la probabilité qu’ils soient prêts à sacrifier 70 % de leur mode de vie pour « sauver » le reste du monde de l’effondrement démographique provoqué par le réchauffement climatique ? Je pense que cette probabilité est infiniment faible.

Une catastrophe démographique en préparation

L’humanité semble avoir manqué l’opportunité d’apporter une réponse volontaire au problème du changement climatique et de l’épuisement des ressources auquel elle est aujourd’hui confrontée. Elle aurait pu écouter les données scientifiques. Elle aurait pu accepter la nécessité d’un changement significatif de la consommation dans les pays les plus riches. Elle aurait pu élaborer un plan mondial et réaliser les investissements (massifs) nécessaires pour assurer une transition ordonnée des combustibles fossiles vers une infrastructure énergétique moderne, mondiale et renouvelable. Elle aurait pu s’attaquer aux inégalités massives qui existent à la fois au sein des pays et entre eux. L’humanité a les moyens de faire tout cela depuis au moins un demi-siècle. Mais nous n’avons rien fait pour des raisons qui ne nous sont que trop familières : la cupidité, l’égoïsme, la myopie, l’obstruction politique et la bonne vieille inertie.

Le risque d’une perte catastrophique de vies humaines due au changement climatique est en effet un problème majeur. Pourtant, on continue de l’ignorer, de le nier ou de le minimiser. Les climatologues ont fermement établi qu’un plus grand nombre de personnes consomment plus de ressources, brûlent plus de combustibles fossiles, produisent plus de gaz à effet de serre, augmentent les températures mondiales et accroissent le risque de points de basculement climatiques irréversibles. Mais ils ont été plus réticents à documenter et à rendre publique la gravité du réchauffement climatique qui pourrait à son tour décimer les populations du monde entier, en commençant par les régions qui subiront d’abord de plein fouet les effets d’un monde plus chaud de 2 à 4 °C, mais en se propageant rapidement au reste du monde également.

Les effets du changement climatique sur les nations et les régions vulnérables ne resteront pas locaux.

Étant donné que notre économie mondiale moderne dépend de la spécialisation régionale et du commerce international, ces ruptures et catastrophes climatiques initialement concentrées au niveau régional produiront rapidement des effets d’entraînement au niveau mondial, réduisant les approvisionnements en énergie, matériaux, produits et denrées alimentaires importés dont dépendent bon nombre des nations les plus riches.

C’est alors que commencera réellement la transition, forcée, des pays riches du Nord vers un monde sans pétrole.


Mots-clés : Climat (plusde2), chaleurs mortelles, Démographie, Énergies fossiles, Intempéries, Ressources minières, Santé & Climat, Sécheresses,



2025, comment tout s’effondre ?

Collectif

Il y aura dix ans au printemps qu’est paru « Comment tout peut d’effondrer »1 de Pablo Servigne2 et Raphaël Stevens3. Dix ans qu’est apparu le néologisme « collapsologie ».

Depuis, l’idée qu’une « polycrise »4 puisse mettre à mal notre société a fait son chemin. En décembre 2020, par exemple, un panel d’universitaires publie une lettre publique dont l’intitulé est on ne peut plus clair : « Seule une discussion sur l’effondrement permettra de s’y préparer »5.

Non seulement les risques systémiques annoncés par le rapport Meadows6 en 1972 s’avèrent effectifs, mais l’évolution exponentielle de la pression anthropique sur le climat et la nature fait ressentir ses effets de plus en plus concrètement et de façon irréversible7.

Pollution exponentielle de nos environnements (sols, eau, …) et perte tout aussi exponentielle de biodiversité s’accompagnent d’un chaos géopolitique qui annonce la complexité d’appréhension des décennies à venir.

Alors que « post-vérité » et désinformation assombrissent l’évaluation du futur proche, nous pensons que face à l’urgence et l’ampleur des polycrises qui nous arrivent, il est indispensable de relancer des débats collectifs sur des bases factuelles et scientifiques. De réfléchir aux possibles en s’écartant des complotismes, simplismes et pensées propagées à grande échelle à dessein pour favoriser des intérêts particuliers.

Comprendre, s’informer, penser de nouvelles formes d’adaptations au réel font partie des objectifs que se donne le groupe de réflexion « Ecologie21 »8.

Nous inaugurons notre tribune 2025 dans le cadre du blog de l’Observatoire de l’Anthropocène et reviendrons régulièrement vers vous pour contribuer à une pensée écologique mieux adaptée aux constats.

A bientôt.


1 https://obsant.eu/veille/?iti=137,152

2 https://obsant.eu/pablo-servigne/

3 https://obsant.eu/raphael-stevens/

4 https://obsant.eu/blog/2024/12/21/la-polycrise/

5 https://obsant.eu/blog/2020/12/08/seule-une-discussion-sur-leffondrement-permettra-de-sy-preparer/

6 https://obsant.eu/le-rapport-meadows/?iti=9,%208920,%20329

7 https://obsant.eu/blog/liste/?rch=%20blogoa%20focuscollaps%20irreversible

8 https://obsant.eu/ecologie21/



La pièce manquante du puzzle de l’AMOC

Pourquoi l’effondrement pourrait être beaucoup plus proche que prévu : que se passe-t-il lorsque le cœur de l’océan Atlantique s’arrête de battre ?

Ricky Lanusse

Deepl traduction – article original paru dans Medium

Le café du professeur Stefan Rahmstorf est froid. Assis dans son bureau à l’Institut de recherche sur l’impact du climat de Potsdam, il fixait l’écran, relisant l’article qui venait d’arriver dans sa boîte de réception.

M. Rahmstorf a consacré sa vie à l’étude de la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique (AMOC), disséquant ce vaste système sous-marin qui agit discrètement comme un moteur climatique clandestin.

Depuis des milliers d’années, l’AMOC assure discrètement la stabilité du climat de la planète. Son système de courants marins distribue les eaux chaudes et froides entre les pôles par le biais de courants profonds et proches de la surface. Au cours de son voyage vers le nord, il transporte les eaux de surface chaudes et salées des tropiques à travers la mer des Caraïbes et le golfe du Mexique (où les eaux peuvent atteindre des températures caniculaires), puis le long de la côte est des États-Unis avant de traverser l’Atlantique en direction du Groenland et de l’Islande. Là, les eaux chaudes rencontrent l’air glacial de l’Arctique, libérant leur chaleur dans l’atmosphère comme un radiateur planétaire. Refroidie et densifiée, l’eau plonge dans les abysses et rampe le long des fonds marins jusqu’à l’Antarctique, perpétuant un cycle connu sous le nom de « tapis roulant » qui déplace plus d’énergie qu’un million de centrales nucléaires. En plus de réchauffer l’Europe comme une énorme pompe à chaleur, il régule les niveaux de CO2 de notre planète, l’approvisionnement en oxygène et le régime des pluies tropicales.

Pourtant, des preuves de plus en plus nombreuses ont montré que l’AMOC est actuellement à son point le plus faible depuis un millénaire. M. Rahmstorf a lui-même mis en garde à plusieurs reprises au sujet de ce déclin .

Mais cette nouvelle étude revêt un caractère différent.

Alors que Rahmstorf parcourait les résultats, ses mains se sont resserrées autour de sa tasse de café, qu’il buvait distraitement, déjà vide. Son travail a toujours consisté à relier les points, et cette recherche pourrait être la pièce manquante du puzzle climatique de l’AMOC – une pièce qui pourrait expliquer pourquoi les modèles ont eu du mal à reproduire les changements observés jusqu’à présent.

Son esprit s’est emballé : et si l’effondrement de ce « domino climatique » ne se produisait pas au bout de plusieurs siècles, comme certains l’espèrent, mais seulement au terme de quelques décennies, voire de quelques années ?

Et si c’était le cas, que se passerait-il ensuite ?

Le rythme cardiaque de l’océan s’essouffle

Imaginez l’AMOC comme le système circulatoire de la Terre. Comme votre pouls au repos, il a un rythme naturel – il se déplace d’environ 17 Sverdrups (ou 17 millions de mètres cubes par seconde). Et comme un rythme cardiaque sain, ce flux fluctue naturellement mais revient toujours à un flux régulier qui régule la température et le climat de la planète. Du moins, c’était le cas auparavant.

Le pouls de l’océan Atlantique est devenu de plus en plus erratique, montrant des signes arythmiques d’un système proche de l’effondrement. Depuis les années 1950, ce rythme autrefois fiable a commencé à manquer de régularité. Les dernières recherches menées par Pontes et al. révèlent que l’AMOC ralentit de 0,46 Sverdrups par décennie. Si cette tendance se poursuit – et même dans le cadre des scénarios les plus optimistes d’aujourd’hui, où nous limitons le réchauffement climatique à 2 °C -, elle laisse présager un ralentissement de 33 % d’ici à 2040.

Oui, dans 15 ans, et 20 ans plus tôt que les estimations précédentes.

Quelle est la pièce manquante de ce puzzle climatique ?

Ce n’est pas le réchauffement déjà pleinement constaté des océans. Il s’agit de l’afflux incessant d’eau douce provenant de la fonte de la calotte glaciaire du Groenland et du dégel des glaciers du Canada, considéré comme l’un des principaux moteurs des changements historiques les plus brutaux de l’AMOC.

Cette eau de fonte fraîche qui s’écoule dans l’océan subarctique est plus légère que l’eau de mer salée. Lorsque l’eau est moins salée, elle est moins dense, ce qui la rend plus difficile à couler. Donc moins d’eau descend dans les profondeurs de l’océan. C’est important car le processus de descente est le moteur de l’AMOC. Plus l’eau est fraîche, plus elle est lente. Cela réduit le flux d’eaux profondes et froides de l’Atlantique vers le sud. Il affaiblit également le Gulf Stream, qui est la principale voie de retour des eaux chaudes à la surface vers le nord.

Lorsque Pontes et ses collègues ont intégré cet afflux d’eau douce dans des modèles avancés, la pièce manquante du déclin de l’AMOC s’est mise en place. Les résultats n’ont pas seulement confirmé des décennies de spéculations, ils ont également raccourci de façon spectaculaire le calendrier.

Pourquoi cela se produit-il ?

2024 est sur le point de devenir l’année la plus chaude jamais enregistrée, marquant la première fois que l’humanité franchit le seuil de 1,5 °C au-dessus des températures préindustrielles.
Le réchauffement n’est nulle part aussi aigu que dans l’Arctique, où les températures ont augmenté près de quatre fois plus vite que la moyenne mondiale, transformant les glaciers et les nappes glaciaires en crèmes glacées fondant sous l’effet du soleil. Depuis 2002, le Groenland a perdu à lui seul 5 900 milliards de tonnes de glace, soit 1,3 milliard de piscines olympiques.

L’un des signes flagrants des perturbations causées par cette fonte est la masse froide au large de la côte sud-ouest de l’Islande, dans la mer d’Irminger, où la salinité de l’océan est actuellement à son niveau le plus bas depuis 120 ans. Il se passe ici quelque chose de particulier. Alors que les températures mondiales n’ont cessé d’augmenter – davantage près des pôles, moins sous les tropiques – cette partie de l’océan s’est à peine réchauffée. En fait, elle s’est parfois refroidie – un trou de réchauffement dans la couverture enfiévrée de la Terre. Il s’agit d’une conséquence directe de l’atonie de l’AMOC.

Lorsque la circulation océanique est forte, il y a un transfert important de chaleur vers l’Atlantique Nord. Cependant, avec une circulation océanique affaiblie, l’océan au sud du Groenland s’est en surface réchauffée beaucoup moins que le reste, devenant une anomalie – et le marqueur glaçant d’un système climatique en train de s’effondrer.

Mais le problème est plus profond.

https://www.nature.com/articles/s41561-024-01568-1

L’affaiblissement de l’AMOC déclenche une boucle de rétroaction à effet multiplicateur. À mesure que la chaleur et le sel diminuent dans l’Atlantique Nord, l’Atlantique Sud se réchauffe et se salinise, ce qui accentue le déséquilibre et aggrave l’affaiblissement de l’AMOC. Les simulations montrent que les changements dans l’extrême nord de l’Atlantique auront un impact sur l’océan Atlantique sud en moins de deux décennies, entraînant une réaction en chaîne jusqu’à la mort de l’AMOC, même si nous cessons de renforcer le phénomène avec de nouvelles émissions.

Cet effondrement imminent pose une question cruciale : qu’adviendra-t-il du monde lorsque son rythme cardiaque s’arrêtera réellement ?

Les conséquences d’une crise cardiaque de l’AMOC

L’état actuel du réchauffement climatique dû aux combustibles fossiles nous pousse à une « profonde réorganisation à l’échelle mondiale » de notre climat, les courants océaniques se rapprochant d’un point de basculement.

Prenons l’exemple du Gulf Stream, la ligne de vie cachée de l’Europe. C’est grâce à lui que des villes comme Bergen, en Norvège, restent étonnamment douces en hiver, avec des températures avoisinant les 2°C (36°F) en janvier. En revanche, à une latitude similaire, à Fairbanks, en Alaska, les températures hivernales chutent brutalement à -24°C (-11°F). Si l’AMOC continue de s’affaiblir, l’Europe pourrait être confrontée à un refroidissement radical de 5 à 15 °C et à des saisons plus extrêmes. Cela se traduirait par des chutes de neige plus abondantes, une diminution des précipitations et des étés plus chauds et plus secs. Un changement aussi radical dévasterait les systèmes alimentaires, faisant grimper les prix en flèche et plongeant des millions de personnes dans l’insécurité alimentaire.

Mais les conséquences s’étendent bien au-delà de l’Europe.

Si les masses d’eau qui alimentent la mousson se déplacent vers le sud – ce que le ralentissement de l’AMOC pourrait provoquer – les deux tiers de la population mondiale en Inde, en Asie de l’Est et en Afrique de l’Ouest pourraient perdre l’accès aux pluies qui leur permettent de survivre. Quelle en serait la conséquence ? Une crise humanitaire sans précédent, où des dizaines de millions de personnes seraient contraintes d’abandonner leur foyer pour tenter de survivre.

L’Amazonie pourrait subir les effets les plus désastreux. La partie nord de la forêt, autrefois vivante et luxuriante, pourrait se transformer en une prairie sèche, tandis que la partie sud serait noyée sous un déluge de précipitations sans précédent. Non seulement l’équilibre écologique délicat de la région serait perturbé, mais le carbone piégé dans le sol de l’Amazonie pourrait être libéré, ce qui intensifierait le réchauffement de la planète et pourrait pousser l’ensemble de la forêt tropicale humide au-delà de son point de basculement.

L’effondrement de l’AMOC entraînerait également une hausse du niveau des mers dans l’Atlantique Nord d’un demi-mètre ou plus, qui viendrait s’ajouter à l’élévation déjà constatée du niveau des mers à l’échelle mondiale. Plus inquiétant encore, la capacité de l’océan à absorber et à retenir le CO2 – une fonction essentielle qui contribue à atténuer le changement climatique – diminuerait, ce qui accélérerait encore le changement climatique.

Si le point de basculement est atteint, cette dégradation se poursuivra, même si nous arrêtons les émissions aujourd’hui.

Où se situe le point de non-retour ?

Les points de basculement ne sont pas seulement une menace imminente – ils sont déjà là. Nous avons déjà franchi la ligne de démarcation pour de nombreux systèmes vitaux de la Terre. Les récifs coralliens sont en train de mourir à l’échelle mondiale. La forêt amazonienne est au bord de l’effondrement après les pires sécheresses et incendies jamais enregistrés.

Et puis, il y a les nappes glaciaires. Au cours des siècles, le Groenland et l’Antarctique provoqueront une élévation du niveau de la mer dans des proportions catastrophiques, suffisamment pour submerger toutes les grandes villes côtières. Les calottes glaciaires peuvent paraître plus lentes à se déplacer que le blanchiment des coraux ou la sécheresse en Amazonie, mais les signes avant-coureurs sont tout aussi terribles.

Chacun de ces points de basculement nous rappelle ce qui se passe lorsque nous ignorons les avertissements. Ce qui nous amène à la question la plus urgente : Combien de temps nous reste-t-il avant le point de basculement de l’AMOC ?

En réalité, personne ne peut l’affirmer avec certitude. Il ne s’agit pas d’un interrupteur que l’on peut regarder basculer ; c’est un processus complexe, non linéaire, influencé par de délicates variations de la salinité, des précipitations et de la fonte des glaces. Ce dont nous sommes sûrs, c’est qu’il s’agit d’une horloge qui tourne à l’échelle des décennies, et non des siècles.

Les modèles tels que la prédiction des frères Ditlevsen nous donnent une année à prendre en compte : 2057. Une date suffisamment proche pour nous sembler réelle. Suffisamment proche pour se poser la question : Quel âge aurai-je lorsque le monde tel que je le connais pourrait changer à jamais ?

Soyons clairs : l’humanité en tant qu’espèce pourrait survivre à un tel bouleversement. Mais survivre n’est pas synonyme de prospérer. Pour des pays comme la Norvège et l’Écosse, un effondrement de l’AMOC pourrait soulever des questions existentielles. Les gens pourraient-ils continuer à y vivre ? Ou n’auraient-ils d’autre choix que de laisser derrière eux des siècles d’héritage et de chercher la sécurité ailleurs ?

Et une fois qu’il se sera effondré, combien de temps faudra-t-il à l’AMOC pour se rétablir ? Le dernier effondrement a duré environ 1 000 ans. Mais aujourd’hui, l’équation se complique : Les niveaux de CO2. Ils sont plus élevés qu’ils ne l’ont jamais été au cours des 15 derniers millions d’années, ce qui amplifie tous les autres facteurs de risque et rend le rétablissement beaucoup plus incertain.

Les moteurs de cette catastrophe potentielle sont on ne peut plus clairs : les émissions de combustibles fossiles et la déforestation. Pour mettre un terme à ces menaces, il n’est pas nécessaire de conclure un autre accord vague lors d’une COP, mais bien de prendre des mesures immédiates et transformatrices.

Il s’agit de menaces conjuguées d’un effondrement qui n’est pas seulement possible – il est peut être inévitable.




Le Point de Non-Retour

À quel point le Monde est-il proche d’un changement climatique irréversible ?

Les points de basculement critiques du système climatique sont les ombres au tableau lorsqu’il s’agit de prédire avec précision l’évolution de notre planète

Bill McGuire (*)

deepltraduction Josette – original paru le 16/02/2024

« Il est très difficile de prédire, surtout en ce qui concerne l’avenir ». Cette citation est particulièrement pertinente pour l’avenir du climat de notre planète, que le réchauffement climatique anthropique est en train de transformer peut-être plus rapidement – en dépit de cataclysmes transitoires tels que les impacts d’astéroïdes – qu’à n’importe quel moment des 4,6 milliards d’années de l’histoire de notre planète. Personne ne sait encore ce que sera la fin de la partie, et malgré tous les efforts des climatologues, il y a tellement d’impondérables que nous n’avons vraiment aucune idée de l’endroit où notre monde finira.

Les projections de ce que sera notre monde en proie au défi thermique dans les décennies et les siècles à venir reposent en grande partie sur la modélisation informatique. Les climatologues sont toujours très attentifs à ce qu’ils introduisent dans un modèle, afin que les résultats soient aussi fiables et précis que possible. Cependant, même avec la meilleure volonté du monde, le système climatique – et les multiples réactions de la société et de l’économie au réchauffement planétaire – sont si complexes et si imbriqués qu’il est loin d’être simple d’obtenir des données de modélisation correctes. Les véritables ombres au tableau, cependant, sont les « points de basculement » (réf obsant), qui peuvent entraîner des éléments dangereux de notre climat changeant dans des trajectoires impossibles à inverser, du moins à l’échelle de la durée de vie humaine, et qui sont notoirement difficiles à modéliser.

Il existe de nombreuses définitions du terme « point de basculement », mais la plus appropriée – dans le contexte de la dégradation du climat – est celle fournie par l’American Heritage Dictionary of the English Language, qui le décrit comme « le point auquel un changement lent et réversible devient irréversible, souvent avec des conséquences dramatiques ». Cette définition est tout à fait pertinente et décrit exactement ce qui se passera si nous ne réduisons pas immédiatement les émissions de gaz à effet de serre, même si cela risque de ne plus suffire. En termes généraux, les « points de basculement climatiques » (climate tipping points ou CTP) marquent des seuils au-delà desquels les effets de rétroaction (réf obsant) négatifs, qui agissent pour maintenir la stabilité, sont dépassés par les rétroactions positives, qui entraînent et renforcent un changement qui se perpétue de lui-même. Les conséquences du franchissement d’un point de basculement peuvent être évidentes en l’espace de quelques décennies, voire de quelques années, mais il peut aussi s’écouler des siècles avant que toutes les ramifications n’apparaissent.

Notre compréhension des points de basculement climatiques a considérablement évolué au cours des deux dernières décennies. Il y a vingt ans, ils n’étaient considérés comme des menaces sérieuses que si et quand un réchauffement global non atténué augmentait la température moyenne de la planète (par rapport à l’ère préindustrielle) de 4°C ou plus. Aujourd’hui, nous savons que des éléments essentiels du système climatique pourraient basculer à la suite d’une augmentation de la température mondiale d’un peu plus de 1°C [1]. Étant donné que cette année est (en novembre) plus chaude de 1,43 °C que la moyenne de 1850-1900[2], et que la hausse des températures a même dépassé la barre des 2 °C pendant quelques jours en novembre[3], il y a de quoi s’inquiéter.

Alors que l’augmentation de la température moyenne mondiale se rapproche du franchissement permanent de la barre des 1,5°C – largement décrite comme le « garde-fou dangereux du changement climatique » – le risque de franchir un certain nombre de points de basculement, qui aura des conséquences désastreuses pour notre monde et notre civilisation, devient de plus en plus sérieux d’année en année[4].

Les éléments du système climatique global capables de basculer ont été identifiés grâce à l’analyse des épisodes passés de changement climatique et sont connus sous le nom d' »éléments de basculement climatique » (climate tipping elements ou CTEs). Le choix est vaste : neuf éléments de basculement climatique mondiaux (réf obsant) et sept éléments de basculement climatique régionaux ont été identifiés comme étant essentiels pour l’avenir de notre monde[4].

Les éléments de basculement climatique (CTEs)[1] peuvent être regroupés en fonction des parties du système climatique auxquelles ils se rapportent. Les « éléments de basculement de la cryosphère » (réf obsant), par exemple, impliquent des changements à grande échelle dans la cryosphère, qui est le terme générique pour désigner l’eau gelée de la planète, y compris les nappes glaciaires, les calottes glaciaires et les glaciers. Les deux éléments les plus préoccupants sont l’effondrement des nappes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique occidental qui, ensemble, feraient monter le niveau de la mer de 10 à 12 m. Un troisième élément concerne le dégel brutal et généralisé du pergélisol en Alaska, dans le nord du Canada et en Sibérie. Dans ce cas, des quantités colossales de méthane (réf obsant) – un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le dioxyde de carbone, à des échelles de temps plus courtes – seraient libérées dans l’atmosphère, ce qui accélérerait le réchauffement de la planète.

Les points de basculement qui affectent la biosphère comprennent la disparition de la forêt amazonienne et des forêts boréales (conifères) des hautes latitudes. Les courants océaniques peuvent également avoir des points de basculement, et une attention particulière est accordée au Gulf Stream et aux courants associés de l’Atlantique Nord qui constituent ce que l’on appelle la circulation de retournement de l’Atlantique (AMOC (réf obsant)), ainsi qu’à son arrêt potentiel à l’avenir.

De nombreux pays se rallient à l’objectif de parvenir à des émissions nettes zéro d’ici 2050[5], non pas pour des raisons scientifiques solides, mais parce qu’il s’agit d’un beau chiffre rond et suffisamment éloigné pour justifier l’inaction à court terme. Selon les prévisions, l’augmentation de la température moyenne mondiale dépassera définitivement 1,5 °C entre 2026 et 2042, avec une estimation centrale de 2032, tandis que si rien n’est fait, la barre des 2 °C sera franchie d’ici 2050 ou très peu de temps après[6]. Cela signifie que d’ici le milieu du siècle, un certain nombre de points de basculement pourraient déjà avoir basculé[4], garantissant une transformation majeure de notre monde, sans retour possible. Ni la réduction rapide des émissions ni l’élimination directe du carbone de l’atmosphère ne permettront de revenir en arrière.

Parmi les points de basculement qui pourraient avoir été franchis d’ici le milieu du siècle, citons l’effondrement du système de courants rotatifs qui constituent ce que l’on appelle le gyre subpolaire dans l’Atlantique le plus septentrional. Ce phénomène pourrait être déclenché par une augmentation de la température moyenne mondiale de seulement 1,1 °C et, une fois amorcé, l’effondrement pourrait se produire dans un délai aussi court que cinq ans. Les conséquences seraient graves, notamment une baisse des températures pouvant atteindre 3°C dans la région de l’Atlantique Nord, des niveaux élevés de conditions météorologiques extrêmes en Europe et de graves effets d’entraînement dans le monde entier. Il est également possible que l’AMOC lui-même s’arrête à tout moment à partir d’une augmentation de la température moyenne mondiale de 1,4°C. En effet, une étude récente[7] avance que l’effondrement de l’AMOC pourrait se produire à tout moment entre 2025 et 2090, avec une estimation centrale de 2050. Il en résulterait un refroidissement régional de l’ordre de 4°C à 10°C.

Le sort des nappes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique occidental pourrait également être scellé bien avant 2050. La température seuil estimée pour l’effondrement irréversible de ces grandes masses de glace est de 1,5 °C, mais elle pourrait être de 1 °C ou même moins, ce qui suggère qu’il pourrait déjà être trop tard pour empêcher une fonte totale et – comme mentionné précédemment – une élévation finale du niveau de la mer de 10 à 12 mètres.
Les éléments climatiques ayant des conséquences régionales plutôt que mondiales, qui pourraient basculer à 1,5 °C ou moins, comprennent le dégel brutal du pergélisol dans les hautes latitudes de l’hémisphère nord, la désintégration des glaciers de montagne et la perte soudaine de la glace d’hiver de la mer de Barents.

Une hausse de la température moyenne mondiale de 2°C, facilement envisageable d’ici 2050, pourrait entraîner le dépérissement irréversible de la forêt amazonienne, avec pour conséquence l’ajout de quantités colossales de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. La fonte irréversible de certaines parties du prodigieux inlandsis Est-Antarctique pourrait également être déclenchée à partir d’un seuil de 2 °C, ce qui augmenterait l’élévation du niveau de la mer due à l’effondrement des inlandsis groenlandais et Ouest-Antarctique.

Comme si tout cela ne suffisait pas, une autre préoccupation majeure est que les éléments climatiques pourraient bien basculer par groupes plutôt que de manière isolée. En effet, les effets d’entraînement d’un élément basculé peuvent conduire à des conditions qui avancent la date d’un autre élément, et ainsi de suite, ce qui entraîne une cascade ou un effet domino qui pourrait avoir des conséquences dévastatrices pour la société et l’économie. Par exemple, le basculement de la calotte glaciaire du Groenland augmente considérablement la probabilité d’un arrêt de l’AMOC, ce qui aurait des ramifications mondiales sur le temps et le climat. Cela pourrait à son tour conduire à une intensification du phénomène El Niño – Oscillation australe (ENSO) dans le Pacifique, entraînant d’autres changements indésirables des conditions météorologiques mondiales. Une discussion détaillée des impacts des éléments de basculement en cascade, y compris la manière dont ils diffèrent en fonction de l’ordre de basculement des éléments, dépasse le cadre de cet article, et les lecteurs qui souhaitent en savoir plus sont invités à consulter l’article de 2016 de Cai et al.[8] dans la revue Nature, ainsi que le rapport complet sur les points de basculement mondiaux de 2023 de Lenton et al[9].

Le fait qu’il n’y ait pas de relation linéaire entre le niveau de réchauffement de la planète et les réactions géophysiques telles que la fonte des calottes glaciaires, le dégel du pergélisol et l’arrêt des courants océaniques, signifie que le calendrier de l’effondrement du climat est difficile à fixer, ce qui le rend plus périlleux. Par conséquent, tout dépassement du seuil de 1,5 °C est extrêmement risqué. Ramener ultérieurement les températures en dessous de ce seuil, en aspirant le carbone de l’air, ne fera rien pour inverser les éléments de basculement qui ont déjà basculé. Le corollaire est qu’un objectif de zéro net en 2050 est beaucoup trop tardif. Plus nous tardons à prendre des mesures pour réduire les émissions comme l’exige la science, plus nous risquons de faire basculer un ou plusieurs éléments climatiques au-delà du point de non-retour, ce qui entraînera des changements dans notre monde susceptibles de menacer l’existence même de notre civilisation.


Références

[1] Lenton (2021). Tipping points in the climate system. Royal Meteorological Society. https://rmets.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/wea.4058

[2] Copernicus (2023). October 2023 – exceptional temperature anomalies; 2023 virtually certain to be warmest year on record. https://climate.copernicus.eu/copernicus-october-2023-exceptional-temperature-anomalies-2023-virtually-certain-be-warmest-year

[3] Copernicus (2023). Global temperature exceeds 2°C above pre-industrial average on 17 November. https://climate.copernicus.eu/global-temperature-exceeds-2degc-above-pre-industrial-average-17-november

[4] McKay et al. (2022). Exceeding 1.5°C global warming could trigger multiple climate tipping points. Science, 377 (6611). https://www.science.org/doi/10.1126/science.abn7950

[5] Climate Action Tracker (2023). CAT net zero target evaluations. https://climateactiontracker.org/global/cat-net-zero-target-evaluations/

[6] Carbon Brief (2020). Analysis: When might the world exceed 1.5C and 2C of global warming? https://www.carbonbrief.org/analysis-when-might-the-world-exceed-1-5c-and-2c-of-global-warming/

[7] Ditlevsen & Ditlevsen (2023). Warning of a forthcoming collapse of the Atlantic meridional overturning circulation. Nature Communications, 14 (4254). https://www.nature.com/articles/s41467-023-39810-w

[8] Cai et al. (2016). Risk of multiple interacting tipping points should encourage rapid CO2 emission reduction. Nature Climate Change, 6 (5). https://www.researchgate.net/publication/298914472_Risk_of_multiple_interacting_tipping_points_should_encourage_rapid_CO2_emission_reduction

[9] Lenton et al (2023). Global Tipping Points Report. University of Exeter et al.


Ça Bascule…

Claire Nouvian

Nous reprenons ici un texte de Claire Nouvian paru dans la lettre d’info de l’ONG BLOOM

Ça y est, la bascule est en cours.

Nous sommes entrés dans une phase grave, inimaginable et irréversible de notre présence humaine sur la planète.

Pendant des décennies, les scientifiques ont prédit le changement climatique et les effets de la destruction à grande échelle des habitats et des espèces vivantes par les activités humaines. Pendant des décennies, les scientifiques ont annoncé la catastrophe à venir.

Tout ce que nous avions à faire, c’était de croire en la science. De croire en notre capacité quantitative à prédire l’avenir en extrapolant les tendances.

Mais nous n’avons pas cru. Nous n’avons pas écouté. Nous n’avons pas agi, ou à la marge.

Des philosophes comme Jean-Pierre Dupuy nous ont enjoint de croire avant qu’il ne soit trop tard, avant que les ravages ne deviennent visibles car alors, maintenir le monde naturel tel qu’il existait serait impossible.

En septembre 2023, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres disait que notre addiction aux énergies fossiles avait « ouvert les portes de l’enfer ».

Nous y voilà.

Désormais, la catastrophe est visible.

Le cycle de destruction de la nature, du climat et des humains est enclenché. Quatre millions de morts sont déjà imputables au changement climatique. 2023 a été l’année de franchissement de tous les records : température globale, température de l’océan, perte d’étendue des glaces… Alors qu’une 7ème limite planétaire, l’acidification des océans, est en cours d’être dépassée (1) et que 2023 a vu l’effondrement des puits de carbone terrestres (2), les chercheurs qui alertent depuis plusieurs décennies viennent de publier un état des lieux du changement climatique intitulé « Des Temps périlleux pour la planète Terre » (3). C’est l’article dont nous avions besoin, celui qui fait le bilan à date de l’impact des bouleversements climatique et biologique sur la planète et les humains.

Lorsqu’en mai dernier, nous avons attaqué TotalEnergies et ses actionnaires devant la justice pénale pour mise en danger de la vie d’autrui (entre autres motifs d’accusation), nous avons insisté sur le fait qu’il n’était désormais plus possible de parler de « catastrophes naturelles » pour désigner les ouragans, les inondations, les canicules, les sècheresses et autres évènements extrêmes. Il fallait parler de « catastrophes climatiques ».

On compte dorénavant plus d’un désastre climatique par jour. Les chercheurs ont dressé la liste, non exhaustive, des principaux cataclysmes attribués par la science au changement climatique entre fin 2023 et août 2024 seulement ; vous la trouverez en bas de ce message. Il faudrait déjà compléter cette liste tant il y en eut depuis. Et pourtant, vous avez sans doute, comme nous, remarqué que les médias traditionnels ne parlaient presque plus des évènements extrêmes, à moins qu’ils ne se déroulent en France… C’est à peine si les inondations en Europe de l’Est ou les tempêtes extratropicales qui ont englouti le Sahara au Yémen (4) ou au Maroc (5), pour la première fois en plus de 50 ans, ont été évoquées par les médias.

Le cycle de l’eau est altéré partout sur Terre. Il est devenu plus irrégulier et imprévisible, générant des problèmes croissants d’excès ou de manque d’eau. Ces alternances de sècheresses et de déluges augmentent la proportion de zones inhabitables. Le niveau des mers croît plus rapidement que prévu, submergeant progressivement une grande partie du littoral mondial et menaçant d’entraîner le déplacement de centaines de millions de personnes avant même la fin du siècle. Les espèces vivantes, quant à elles, disparaissent comme peau de chagrin. En seulement 50 ans (1970-2020), la taille moyenne des populations d’espèces sauvages a connu un déclin catastrophique de 73% (6). En mer du Nord, les grands poissons ont décliné de plus de 99% en un peu plus d’un siècle (7).

Le monde, tel que nous l’avons connu, est en train de disparaître.

Jamais l’humanité n’a été confrontée à un choc de si grande ampleur. Aucune expérience passée ne peut éclairer le chemin à suivre. La comète du changement climatique et de la destruction de la biosphère nous fonce dessus, mais nous continuons à regarder ailleurs et pire, à appuyer sur l’accélérateur du désastre.

Deuil et courage

Comment ne pas désespérer des logiques à l’œuvre ? Comment ne pas baisser les bras face à la puissance de destruction de l’humanité ?

En acceptant de devoir passer par le deuil.

Il a fallu accepter l’idée que notre mission avait changé. A l’origine, il y a près de 20 ans, nous nous battions pour préserver le monde vivant tel qu’il existait. Au fond, ce qui nous tenait, c’était l’idée que nous pouvions éviter les pertes, que nous pouvions protéger les espèces et les habitats de la disparition. L’accélération du changement climatique et la destruction méthodique de notre environnement nous obligent à faire le deuil du monde tel que nous l’avons connu. A reconnaître que non seulement, nous ne réussirions pas, seuls, à avoir raison d’un système capitaliste financiarisé qui tire profit de la destruction de la nature et de l’asservissement des humains, mais que nous ne pourrions pas empêcher les ravages sidérants qui nous échoyaient en partage et que les dirigeants politiques irresponsables n’ont pas eu le courage d’anticiper.

Cela a été douloureux et continue à l’être. Cela s’est accompagné d’éclats de tristesse profonde. Mais c’est notre destinée commune. Nous avons été forcés de l’accepter et de faire bouger notre cible. Puisque nous ne pourrons pas éviter toutes les pertes, nous devons désormais agir pour en éviter certaines et pour éviter le pire.

Le monde à +3,5°C de réchauffement climatique n’aura rien de comparable avec un monde à +2°C. Chaque bout de terre ou de mer protégé de nos activités destructrices offrira non seulement un puits de carbone essentiel pour limiter les dégâts climatiques, mais aussi un refuge à la biodiversité pour se régénérer et résister à l’effondrement du vivant.

L’urgence sans précédent à laquelle nous sommes confrontés en tant qu’espèce nous intime l’ordre de redoubler de courage et de volonté pour ne pas abandonner les humains et non-humains au rouleau compresseur et autodestructeur des logiques financières dominantes.

La situation est sidérante et peut chez certain·es provoquer une colère immense, mais rappelez-vous cette découverte faite par une étude norvégienne et qui corrobore ce que nous constatons chez BLOOM : la colère est sept fois plus génératrice d’actions pour lutter contre le changement climatique que l’espoir (8).

Et pour préparer l’après.

La colère est d’autant plus grande chez les jeunes que leur avenir est condamné par notre inaction collective. Les enfants nés en 2020 devront faire face à jusqu’à sept fois plus d’évènements extrêmes, en particulier les vagues de chaleur, par rapport aux personnes nées en 1960 (9). C’est cela, l’injustice intergénérationnelle. Et c’est pour cette jeunesse que nous décuplerons d’énergie et de combattivité, c’est sur cette jeunesse et sa créativité que nous nous appuyons désormais pour augmenter et renouveler notre lutte.

Tolérance zéro pour les destructeurs

Le seul risque auquel nous sommes confrontés en tant que corps social et en tant qu’association surmotivée à continuer à gagner ses combats, c’est de ne pas tout tenter pour limiter les pertes et déboucher l’avenir. Notre rôle, c’est d’être iconoclastes, d’oser projeter une organisation différente de la société, de proposer des feuilles de route cassant avec le scénario « business as usual » condamné et condamnant.

Nous osons dire haut et fort qu’il n’y a pas de place dans l’avenir pour les pêches industrielles.

Nous osons dire haut et fort que les pêches climaticides comme le chalutage, qui racle les fonds marins, les espèces et les finances publiques par les subventions qu’il touche, devront disparaître et disparaîtront.

Nous réaffirmons que cette disparition doit être programmée et accompagnée pour que les pêcheurs ne fassent pas seuls les frais des choix d’une société qui a misé sur des activités extractives écocidaires et boostées aux énergies fossiles.

Nous croyons en la régénération des écosystèmes et en la capacité de résilience extraordinaire de la nature.

Nous misons sur la plus grande des créativités humaines : l’innovation sociale.

Nous savons que nous sommes entré·es dans un tunnel et que l’horizon est sombre, mais nous savons aussi que la jeunesse, comme nous, ne compte pas « marcher comme des somnambules vers l’extinction » (10).

En réalité, la lutte ne fait que commencer. Nous devons plus que jamais massifier notre mouvement, resserrer nos liens, faire entendre nos voix et aider la jeunesse à tenir les combats dans la durée.

Nous avons besoin de vos dons pour soutenir les jeunes activistes et leur permettre de rallier la lutte pour empêcher la destruction du principal régulateur climatique mondial : l’océan.

Nous sommes plus déterminés que jamais.

Soyez le plus généreux possible par vos dons et par le partage ample de cette newsletter.

Hauts les cœurs.


Notes :

1 https://www.theguardian.com/environment/2024/sep/23/earth-breach-planetary-boundaries-health-check-oceans

2 https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/07/30/les-puits-de-carbone-terrestres-se-sont-effondres-en-2023_6261489_3244.html

3 https://academic.oup.com/bioscience/advance-article/doi/10.1093/biosci/biae087/7808595?login=false

4 https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/palms-sands-how-climate-change-destroying-green-yemen

5 https://www.theguardian.com/environment/2024/oct/11/dramatic-images-show-the-first-floods-in-the-sahara-in-half-a-century

6 https://www.worldwildlife.org/press-releases/catastrophic-73-decline-in-the-average-size-of-global-wildlife-populations-in-just-50-years-reveals-a-system-in-peril

7 https://besjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.0021-8790.2004.00839.x

8 https://www.theguardian.com/environment/2023/aug/21/anger-is-most-powerful-emotion-by-far-for-spurring-climate-action-study-finds et https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959378023001048

9 https://texmex.mit.edu/pub/emanuel/PAPERS/Thiery_etal_2021_Science.pdf

10 Expression de l’avocate et activiste Melinda Janki.



Signes vitaux

Les « signes vitaux » de la Terre montrent que l’avenir de l’humanité est en jeu, selon des experts du climat

deepltraduction Josette – original paru sur The Guardian

Des émissions, des températures et une population record signifient que de plus en plus de scientifiques envisagent la possibilité d’un effondrement de la société, selon un rapport

Damian Carrington

De nombreux « signes vitaux » de la Terre ont atteint des extrêmes records, indiquant que « l’avenir de l’humanité est en jeu« . C’est ce qu’ a déclaré un groupe d’experts du climat parmi les plus éminents au monde.

De plus en plus de scientifiques envisagent désormais la possibilité d’un effondrement de la société, indique le rapport, qui a évalué 35 signes vitaux en 2023 et a constaté que 25 d’entre eux, dont les niveaux de dioxyde de carbone et la population humaine, sont plus détériorés que jamais. Cela indique une « nouvelle phase critique et imprévisible de la crise climatique », selon le rapport.

La température de la surface de la Terre et des océans a atteint un niveau record, sous l’effet d’une combustion record de combustibles fossiles, selon le rapport. La population humaine augmente d’environ 200 000 personnes par jour et le nombre de bovins et d’ovins de 170 000 par jour, ce qui contribue à des émissions record de gaz à effet de serre.

Les scientifiques ont identifié 28 boucles de rétroaction, dont l’augmentation des émissions dues à la fonte du pergélisol, qui pourraient contribuer à déclencher de multiples points de basculement, tels que l’effondrement de l’immense calotte glaciaire du Groenland.

Le réchauffement climatique est à l’origine de phénomènes météorologiques extrêmes de plus en plus meurtriers dans le monde entier, notamment des ouragans aux États-Unis et des vagues de chaleur de 50 °C en Inde, des milliards de personnes étant désormais exposées à des chaleurs extrêmes.

Les scientifiques ont déclaré que leur objectif était de « fournir des informations claires, fondées sur des preuves, qui inspirent des réponses informées et audacieuses de la part des citoyens aux chercheurs et dirigeants mondiaux. Selon eux, il est impératif d’agir rapidement et de manière décisive pour limiter les souffrances humaines, notamment en réduisant la combustion des combustibles fossiles et les émissions de méthane, en diminuant la surconsommation et le gaspillage par les riches et en encourageant le passage à une alimentation végétale. »

« Nous sommes déjà au cœur d’un bouleversement climatique brutal qui met en péril la vie sur Terre comme l’homme ne l’a jamais vu », a déclaré le professeur William Ripple, de l’université d’État de l’Oregon (OSU), qui a codirigé le groupe. « Le dépassement écologique – le fait de prendre plus que ce que la Terre peut donner en toute sécurité – a poussé la planète dans des conditions climatiques plus menaçantes que tout ce qu’ont connu nos parents préhistoriques. « 

« Le changement climatique a déjà provoqué le déplacement de millions de personnes et pourrait en déplacer des centaines de millions, voire des milliards. Cela conduirait probablement à une plus grande instabilité géopolitique, voire à un effondrement partiel de la société ».

L’évaluation, publiée dans la revue Bioscience, indique que les concentrations de CO2 et de méthane dans l’atmosphère atteignent des niveaux record. Le méthane est un puissant gaz à effet de serre, 80 fois plus puissant que le CO2 sur 20 ans, et il est émis par les exploitations de combustibles fossiles, les décharges, le bétail et les rizières.

« Le taux de croissance des émissions de méthane s’est accéléré, ce qui est extrêmement inquiétant », a déclaré le Dr Christopher Wolf, anciennement de l’OSU, qui a codirigé l’équipe.

Selon les chercheurs, l’énergie éolienne et solaire a augmenté de 15 % en 2023, mais le charbon, le pétrole et le gaz dominent toujours. Ils affirment qu’il existe « une forte résistance de la part de ceux qui bénéficient financièrement du système actuel basé sur les combustibles fossiles ».

Le rapport reprend les résultats d’une enquête menée en mai par le Guardian auprès de centaines d’experts climatiques de haut niveau, selon laquelle seuls 6 % d’entre eux pensaient que la limite de 1,5 °C de réchauffement convenue au niveau international serait respectée. « Le fait est qu’il est extrêmement important d’éviter chaque dixième de degré de réchauffement », ont déclaré les chercheurs. « Chaque dixième expose 100 millions de personnes supplémentaires à des températures moyennes chaudes sans précédent. « 

Selon les chercheurs, le réchauffement de la planète fait partie d’une crise plus large qui comprend la pollution, la destruction de la nature et l’augmentation des inégalités économiques. « Le changement climatique est un symptôme flagrant d’un problème systémique plus profond : le dépassement écologique, [qui] est un état intrinsèquement instable qui ne peut persister indéfiniment. Alors que le risque de voir le système climatique de la Terre basculer dans un état catastrophique augmente, de plus en plus de scientifiques ont commencé à étudier la possibilité d’un effondrement de la société. Même en l’absence d’un effondrement global, le changement climatique pourrait causer plusieurs millions de morts supplémentaires d’ici à 2050. Nous avons besoin d’un changement audacieux et transformateur ».

Parmi les politiques que les scientifiques recommandent d’adopter rapidement, citons la réduction progressive de la population humaine par le renforcement de l’éducation et des droits des filles et des femmes, la protection, la restauration ou le ré-ensauvagement des écosystèmes et l’intégration de l’éducation au changement climatique dans les programmes d’enseignement mondiaux afin de stimuler la prise de conscience et l’action.

L’évaluation conclut : « Seule une action décisive nous permettra de préserver le monde naturel, d’éviter de profondes souffrances humaines et de faire en sorte que les générations futures héritent du monde vivable qu’elles méritent. L’avenir de l’humanité est en jeu ».

Les nations du monde se réuniront lors du sommet sur le climat de la Cop29 de l’ONU en Azerbaïdjan en novembre. Ripple a déclaré : « Il est impératif que d’énormes progrès soient réalisés. »



Forte diminution du puits de carbone terrestre en 2023

Adrien Couzinier

https://www.facebook.com/adrien.couzinier

Reprise d’un post FaceBook du 30/07/2024

Le puits carbone végétal en 2023, y compris les émissions liées au changement d’affectation des terres, a diminué pour atteindre une valeur faible de 0,44 ±0,21 GtC en 2023, contre une moyenne de 2,04 GtC/an au cours de la période 2010-2022.

Ce résultat est alarmant car les températures continueront à être très élevées en 2024.

Il est trop tôt pour conclure à un effondrement durable du puits terrestre après 2023. (ça fait froid dans le dos, ce genre de phrase)

Cependant, les forêts brulées au Canada ne reconstitueront pas complètement leurs stocks de carbone au cours des prochaines décennies, étant donné qu’il faut environ 100 ans aux arbres boréaux pour reconstituer leur biomasse initiale. Les forêts des zones tropicales humides se sont avérées vulnérables aux sècheresses extrêmes précédentes, mais elles se sont également rétablies rapidement, par exemple en l’espace de quelques années dans la plupart des régions après le violent El Niño de 2015-16[32].

La résilience des forêts a diminué au fil du temps en Amazonie. On ne sait pas si un nouveau régime de sécheresses plus chaudes dans les tropiques induira un changement dans la mortalité des arbres qui pourrait transformer ces systèmes critiques riches en carbone en sources de carbone à long terme. En ce qui concerne les forêts nordiques, il semble que les conditions chaudes récurrentes aient déjà commencé à affaiblir leur absorption de carbone au moins depuis 2021. La résilience de ces forêts aux sècheresses et aux impacts liés aux sècheresses (attaques d’insectes), combinée aux futures pratiques de gestion telles que les taux de récolte, déterminera la stabilité à court terme du puits nordique.

L’observation selon laquelle 2023 a eu un puits terrestre exceptionnellement faible malgré un El Niño modéré constitue un banc d’essai pour les modèles du système terrestre qui n’intègrent pas dans leurs projections les processus provoquant des pertes rapides de carbone, tels que les incendies extrêmes et la mortalité des arbres induite par le climat, et qui peuvent donc être trop optimistes pour estimer les budgets de carbone restants[34].

Si les taux de réchauffement très élevés se poursuivent au cours de la prochaine décennie et ont un impact négatif sur les puits terrestres comme en 2023, il est urgent d’agir pour renforcer le piégeage du carbone et réduire les émissions de gaz à effet de serre à zéro net avant d’atteindre un niveau de réchauffement dangereux auquel les puits naturels de CO2 pourraient ne plus fournir à l’humanité le service d’atténuation qu’ils ont offert jusqu’à présent en absorbant la moitié des émissions de CO2 induites par l’homme.

Documentation:
  • Low latency carbon budget analysis reveals a large decline of the land carbon sink in 2023 – clic
  • Les puits de carbone – clic
  • El Nino – clic


La nouvelle blouse de l’Empereur

Prof Jem Bendell

deepltraduction Josette – original paru sur jembendell.com

Les grands médias ignorent un scientifique qui dénonce la profession climatique

Au cours des cinq années qui se sont écoulées depuis que de nouveaux types d’activisme ont mis la question du climat à la une des journaux comme jamais auparavant, le sujet est devenu plus clairement l’un de ceux où les gens réagissent en fonction de leur vision du monde préexistante. Il n’y a pas que des croyants et des sceptiques, mais il y a ceux qui pensent que la technologie peut nous sauver, ceux qui pensent qu’il est trop tard ; ceux qui pensent que la science est claire, d’autres qui pensent qu’elle est ouverte ; ceux qui pensent que l’homme s’en sortira et ceux qui prédisent l’extinction de l’humanité. Parmi les climatologues on distingue d’ailleurs ceux qui soulignent que « nous pouvons le faire » et ceux qui expriment leur chagrin et leur indignation en se collant à des bâtiments. Pendant ce temps, des récits trompeurs sont amplifiés par divers intérêts, notamment les combustibles fossiles, le nucléaire et les technologies propres. Le climatologue Wolfgang Knorr est une voix inhabituelle dans cette cacophonie, car il a dénoncé la science climatique elle-même et la manière dont elle est communiquée. Son point de vue n’a pas trouvé d’adeptes fortunés ni de plateformes grand public, et sa voix n’a donc pas été beaucoup entendue, c’est pourquoi je tiens à la porter à votre attention ici.

Le Dr. Knorr possède des références irréprochables, avec plus de 30 ans d’expérience en tant que climatologue, y compris dans des postes de direction au sein d’institutions de recherche de premier plan. Il estime que les dangers du changement climatique sont sous-estimés et que les scientifiques ont fait preuve d’une fausse confiance. Contrairement à de nombreux chercheurs confinés dans leur domaine étroit, ses idées sont également imprégnées de sagesse politique. J’ai rencontré Wolfgang pour la première fois en 2019, lors d’une visite fortuite de la péninsule du Pélion où il vit. J’ai rencontré un homme qui souffrait de la situation climatique et de la fausse confiance de son domaine particulier – la modélisation climatique – qui limitait notre compréhension de cette situation. J’ai publié notre conversation cette année-là et je l’ai présenté au groupe de campagne XR. Heureusement, depuis lors, Wolfgang a choisi de fournir beaucoup plus de détails sur les échecs de la climatologie institutionnelle et d’attirer notre attention sur les implications sociales et politiques. C’est ce qu’il a fait au cours de l’année écoulée en publiant une série d’articles auxquels je ferai référence et que je relierai afin de vous faire part de ses idées et des raisons pour lesquelles elles ne devraient pas être ignorées par les personnes impliquées dans la lutte contre le changement climatique.

Commençons par le GIEC, acronyme d’une organisation internationale bien connue des adeptes du changement climatique. La façon de répondre, de respecter et d’utiliser le GIEC, ou non, a été une question clé pour les activistes du climat, et la profession environnementale plus généralement. La majorité a toujours considéré le GIEC comme l’autorité en la matière. Mais au fil des ans, de plus en plus d’experts ont averti qu’il était dangereusement trompeur. Wolfgang Knorr va plus loin que la plupart des experts en expliquant comment l’ensemble du projet a permis de protéger le pouvoir des entreprises et l’establishment en nous détournant de l’ampleur du problème. Il écrit que « les débats autour de la crise climatique et écologique qui ont dominé le GIEC, les médias et le monde universitaire ont tous une caractéristique commune, que je décrirais comme un attachement au fantasme de la connaissance, de la prévisibilité et du contrôle ». Alors que certains écologistes continuent de me réprimander pour être allés au-delà de l’interprétation du GIEC, il est réconfortant de voir que davantage de scientifiques considèrent la déférence envers le GIEC comme une allégeance idéologique qui fausse notre compréhension et notre potentiel d’action.

Si le GIEC peut se comporter de la sorte, c’est parce que la plupart des climatologues de carrière ont été limités par leurs compétences et ne se sont pas concentrés sur l’identification et la communication des vérités essentielles. Le Dr. Knorr explique que la science du climat n’est pas une « science dure », mais qu’elle implique des choix subjectifs qui perpétuent les préjugés des élites. C’est en partie pour cette raison que la profession se concentre sur le bruit et non sur le signal, sur ce qui est secondaire et non sur ce qui est important. Knorr écrit que « Hans Joachim Schellnhuber, directeur fondateur de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur les impacts climatiques, a mis en garde contre les dangers de l’aveuglement professionnel en soulignant que la plupart des scientifiques du climat se concentrent sur les détails et évitent les conclusions évidentes mais douloureuses ». Il poursuit en notant que le fait que les implications d’une telle critique aient été systématiquement ignorées par les professionnels du climat au cours des sept années qui ont suivi sa publication, démontre la profondeur du problème. En gardant cela à l’esprit, on peut comprendre l’acharnement de certains climatologues connus du grand public, lorsqu’ils s’en tiennent à leur thèse selon laquelle nous pouvons éviter une déstabilisation météorologique catastrophique grâce à la technologie et à la volonté politique adéquates. Leur dédain pour les analystes de recherche comme moi peut également être considéré comme faisant partie d’un processus de fermeture professionnelle, par lequel ils cherchent à conserver le statut de leur profession alors que ses faiblesses deviennent de plus en plus évidentes.

Le Dr. Knorr aborde également un sujet que j’ai abordé depuis 2019, à savoir que les climatologues semblent avoir mal compris la psychologie et les changements sociaux, car ils pensent qu’il est important de préserver le calme, la positivité et l’espoir. Il note que l’ancien président du GIEC, Bob Watson, a admis que la règle d’or selon laquelle les mauvaises nouvelles doivent être emballées dans un optimisme joyeux a maintenant été complètement réfutée une fois pour toutes. Par conséquent, Wolfgang critique également les « rabatteurs d’humeur » qui prétendent que nous devrions garder espoir. Il note l’hypothèse de la science naturelle, où un chercheur semblable à une machine est imaginé comme étant le meilleur uniquement en niant l’influence de sa culture, de ses valeurs et de ses émotions. Il explique que le mythe a dissocié les scientifiques des changements qui se produisent autour d’eux (et de nous), d’une manière qui profite à l’establishment et à leur propre carrière.

Le Dr. Knorr ne limite pas sa critique à la science et à sa communication. Fait inhabituel pour un climatologue, il est capable d’explorer les implications politiques avec une certaine sophistication. Il décrit comment l’agenda politique a été limité à tout ce qui pouvait compléter les structures de pouvoir existantes, même si elles sont à l’origine de la situation écologique difficile et de l’absence de réponse significative. Il affirme que nous ne devrions pas prendre au pied de la lettre les appels lancés par les climatologues classiques en faveur d’un changement radical pour sauver la planète, car ils ne tiennent pas compte des systèmes de pouvoir dont ils bénéficient. Il conclut que la cause du changement climatique est devenue une carrière et un passe-temps pour les riches pour qu’ils se sentent bien, tandis que ceux qui ne peuvent pas supporter les coûts supplémentaires du changement sont encore plus marginalisés et moralement humiliés. Il reconnait qu’il s’agit d’une injustice si absurde qu’elle ne peut être qualifiée que de morale du conquérant. Selon lui, le message de l’élite climatique est clair : « Préoccupez-vous de la crise climatique, mais ne vous inquiétez pas trop car nous avons des solutions si vous nous laissez faire le travail ». Dans ce contexte, il explique que le fait de tirer la sonnette d’alarme ne fait que multiplier les appels à une action dirigée par les entreprises et financée par l’État.

Knorr replace ces dimensions du mouvement climatique et de la profession climatique dans le contexte de tendances sociétales plus larges, afin de lancer un avertissement sévère et d’inviter à accorder plus d’attention à la philosophie et à la stratégie politiques. Tout d’abord, il conclut que le mouvement et la profession climatiques ont donné du pouvoir aux personnes et aux institutions les moins susceptibles de prendre de bonnes décisions alors que les sociétés subissent de plus en plus de perturbations dues au changement environnemental. Deuxièmement, en raison de leur cloisonnement, de leur appartenance à la classe moyenne et de leur caractère technocratique, le mouvement climatique et la profession ne sont pas en phase avec les autres grandes préoccupations et tendances sociales de l’humanité. Ils risquent donc de devenir un agent de l’autoritarisme. Il cite des exemples où le mouvement et la profession attaquent les voix les plus radicales au moment même où ces personnes sont réprimées par les gouvernements et calomniées par les médias d’entreprise.

À quel point le mouvement climatique et la profession peuvent-ils devenir régressifs et contre-productifs ? Le Dr. Knorr donne des exemples précis d’attitudes éco-autoritaires qui se répandent dans le monde politique. Ainsi, le ministre de l’économie du parti vert allemand a été vivement critiqué pour sa position autoritaire à l’égard de l’île de Ruegen, menacée par sa décision hâtive de construire plusieurs terminaux de gaz naturel liquéfié pour compenser la perte des importations de gaz russe. Lorsque la crise climatique sera devenue une véritable urgence, les politiques seront caractérisées par le même type d’autosatisfaction et d’autoritarisme que dans le cas présent.

Ayant échappé aux préoccupations des climatologues de carrière, Wolfgang Knorr est en mesure de partager une analyse plus lucide des phases de l’agenda climatique. S’écartant brutalement des contes de fées des climatologues et des activistes, il affirme que nous avons déjà atteint le pic des intentions climatiques, car l’attention du public est accaparée par des menaces plus immédiates et tout aussi effrayantes. Il tue donc une vache sacrée des activistes climatiques, à savoir l’hypothèse selon laquelle le changement climatique ne pourra plus être ignoré et deviendra donc décisif sur le plan politique. Cette hypothèse signifie que les activistes pensent à tort que ce qu’ils doivent faire, c’est sensibiliser le public à la question du climat.

L’avertissement de Wolfgang ne pourrait être plus clair : au nom de l’urgence climatique, nous nous dirigeons vers un monde de demi-mesures technologiques qui ne feront pas grand-chose pour arrêter l’augmentation des niveaux de gaz à effet de serre, tout en accélérant la destruction des écosystèmes et les inégalités entre les riches et les pauvres. Les climatologues et les militants ont contribué à cette évolution en s’associant à la croyance erronée qu’une plus grande prise de conscience politique et publique de la menace climatique entrainerait un changement. Au contraire, les systèmes de pouvoir bien établis et les préoccupations quotidiennes des personnes exploitées font que la sensibilisation n’a rien fait pour freiner ou réduire les émissions. Au fur et à mesure que le chaos climatique s’installe, l’attention portée à une action efficace en faveur du climat risque de diminuer, et non d’augmenter. Il considère que la seule issue est le renforcement de la démocratie réelle et appelle les militants climatiques à s’aligner sur les mouvements sociaux qui luttent contre l’exploitation du pouvoir, tels que les luttes des travailleurs et des pauvres (à l’échelle nationale et mondiale).

Les lecteurs qui ont lu mon livre « Breaking Together : a freedom-loving response to collapse » (Rompre ensemble : une réponse libre à l’effondrement) remarqueront qu’il y a d’importantes similitudes avec ma propre analyse. Mais le Dr. Knorr est un climatologue. Ses récents écrits constituent un ensemble de travaux qui dénoncent la climatologie elle-même et, par voie de conséquence, une grande partie de la profession et du mouvement climatique au sens large. Il est ignoré par les grands médias qui couvrent le changement climatique, comme le Guardian, et par les médias alternatifs, comme les YouTubers populaires. Au lieu de cela, les grands médias continuent de citer l’élite climatique, qui ne remet pas en cause le statu quo du capitalisme mondial, bien qu’elle soit présentée comme radicale et faisant autorité. La planète est trompée sur la crise climatique par des lâches qui ont la main sur le micro. Le retour de bâton des podcasteurs à contre-courant ne sera pas contrecarré par la même chose de la part des médias grand public et des professionnels de l’élite. Au contraire, si les scientifiques, les activistes, les journalistes et les professionnels du climat en ont quelque chose à faire, au lieu de vouloir se sentir supérieurs au grand public, ils doivent entrainer leurs collègues et leurs institutions vers des agendas plus informés des vérités dont parle le Dr. Knorr. Car une fois que l’on a vu que l’empereur n’a pas de blouse, on ne peut plus se défaire de l’affreux ventre des privilèges et de l’oppression.


Références de l’auteur sur l’Observatoire


C’est tout ce que nous avons

De jeunes militantes pour le climat parlent de l’état de la politique dans le monde

Cette année, les élections concernent la moitié de la population mondiale. Des militants s’expriment sur les chances d’un réel changement.

Damian Carrington & Damien Gayle

Traduction deepl Josette – article original du 2 juin 2024 sur The Guardian

Cette année, des élections ont lieu dans le monde entier, couvrant près de la moitié de la population mondiale. Il est également probable que cette année soit, une fois de plus, la plus chaude jamais enregistrée, alors que la crise climatique s’intensifie.
Le Guardian a demandé à de jeunes militantes pour le climat du monde entier ce qu’ils attendaient des élections et si la politique est efficace dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Adélaïde Charlier, 23 ans, Belgique
Dates des élections : 3 juin au 9 juin

« Nous avons peur, parce que nous avons travaillé très dur ces cinq dernières années en tant que mouvement pour [attirer l’attention sur] l’urgence climatique », déclare Adélaïde Charlier. Lors des élections européennes, on s’attend à ce que le Parlement penche fortement vers les partis de droite qui s’opposent à l’action climatique.

Selon elle, les politiques vertes de l’UE, dont certaines ont déjà été bloquées ou affaiblies, sont un bouc émissaire pour le changement social plus large qu’elle considère comme nécessaire pour vaincre la crise climatique, mais auquel s’opposent les groupes conservateurs. « Nous remettons en question la norme et je pense donc qu’il s’agit d’une réaction à notre vision, plutôt qu’à ce que [les politiques] signifient réellement dans notre vie quotidienne. »

L’UE est souvent citée comme un leader mondial en matière d’action climatique. « Je crois vraiment qu’il y a des politiciens [de l’UE] qui veulent se battre pour être ambitieux. Mais la réalité est que nous n’atteignons pas notre objectif d’émissions pour 2030 et que nous avons toujours des entreprises, telles que TotalEnergies, qui créent d’énormes projets de combustibles fossiles à travers le monde. »

L’inertie politique est considérée comme le principal obstacle à l’action climatique et doit être surmontée, affirme Adélaïde Charlier, diplômée en sciences politiques et sociales, qui travaille actuellement au Collège d’Europe à Bruges. « Tout au long de mes activités militantes, j’ai constaté que la politique ne permettait pas de faire face à l’urgence climatique. Mais la définition de la politique est de s’organiser en tant que société et je continue à croire que le renforcement de la démocratie est le meilleur moyen pour nous de résoudre ce problème ensemble ».

Selon elle, l’arrêt du réchauffement de la planète n’est pas un défi technologique. « Le changement climatique doit être résolu par un changement systémique – nous devons tout changer. Pouvons-nous le faire au niveau politique ? Il le faut, tout simplement.

« Nous essayons de jouer le rôle de citoyens engagés et, en ce moment, nous essayons vraiment de mobiliser les jeunes pour qu’ils aillent voter, tout en sachant que ce n’est pas suffisant. Nous irons voter et nous espérons que tout ira pour le mieux. Mais pour le reste, nous nous battrons. Le mouvement pour le climat a commencé avec le droit de protester et nous continuerons à l’utiliser, parce que c’est dans notre ADN.»

Adriana Calderón, 21 ans, Mexique
Date des élections : 2 juin

Lors des élections mexicaines, le matériel de campagne des candidats est à lui seul un indicateur du sérieux avec lequel ils considèrent l’environnement, explique Adriana Calderón, une jeune militante pour le climat âgée de 21 ans.

Le pays en est jonché, accroché aux lampadaires, aux ponts et aux fils téléphoniques. Une ONG estime qu’à la fin du cycle électoral, 25 000 tonnes de « déchets électoraux » auront été jetés dans la seule ville de Mexico. Tous ces déchets sont en plastique. « Nous pouvons savoir à partir de là comment les choses vont se passer », a déclaré Adriana Calderón au Guardian.

Les quelque 100 millions d’électeurs mexicains se rendront aux urnes le 2 juin, à l’occasion d’élections de masse mettant en jeu des milliers de sièges. Les sièges des gouvernements locaux, régionaux et de l’Etat, ainsi que le congrès national, sont tous à pourvoir, de même que la présidence elle-même.

Claudia Sheinbaum, successeur désigné d’Andrés Manuel López Obrador, est en tête de liste pour remplacer ce dernier. Une grande partie de sa popularité s’est construite sur des projets sociaux financés par l’exploitation du pétrole et du gaz. Les écologistes s’attendent à ce que Mme Sheinbaum, ironiquement une ancienne scientifique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), fasse de même.

« Elle va essayer de rester sur la même voie que son parti actuel, c’est-à-dire continuer à s’appuyer sur Pemex [la compagnie pétrolière publique mexicaine] », explique Adriana Calderón. « Ils veulent également explorer avec elle l’expansion du lithium par le biais de Pemex, car le lithium a été nationalisé au Mexique l’année dernière.

Au moment où le Guardian s’entretient avec Adriana Calderón, depuis sa maison de Morelos, juste au sud de Mexico, elle étouffe dans la troisième vague de chaleur de l’année dans la région. Une grande partie du pays est en proie à des pénuries d’eau. L’année dernière, la côte ouest, destination de vacances très prisée, a été frappée par l’ouragan Otis, la première tempête de catégorie 5 à frapper le pays.

D’autres candidats, tels que Xóchitl Gálvez, arrivé en deuxième position, ont parlé plus longuement de l’environnement, évoquant l’augmentation des investissements privés dans la transition énergétique et le renversement de l’exploitation du pétrole et du gaz par l’État.

Un troisième candidat, Jorge Álvarez Máynez, a fait davantage de promesses en matière d’environnement, mais il semble peu probable qu’il l’emporte.

Les électeurs écologistes mexicains se trouvent donc coincés entre le marteau et l’enclume. Adriana Calderón déclare : « Je suis toujours en train de débattre avec mes amis à ce sujet et avec mes collègues de la sphère climatique, parce que, vous savez, c’est soit retourner à l’ancien parti qui a de très mauvaises intentions pour le pays, soit rester avec le gouvernement actuel qui n’aide pas du tout le climat. »

Lauren MacDonald, 23 ans, Royaume-Uni
Date des élections : 4 juillet

« Nous avons désespérément besoin d’un changement de gouvernement qui soit réellement prêt à prendre des mesures urgentes pour lutter contre la crise climatique », déclare Lauren MacDonald, militante au sein de l’organisation Uplift. « Actuellement, nous avons un gouvernement [conservateur] qui s’acharne à développer la production de pétrole et de gaz en mer du Nord, malgré les effets absolument catastrophiques que la combustion de ce pétrole aurait sur notre planète. »

Selon elle, les ministres n’ont pas suffisamment encouragé l’isolation des maisons et les énergies renouvelables qui permettraient de réduire à la fois les factures d’énergie et les émissions de carbone : « Au lieu de cela, ils aggravent la situation en accordant des milliards de livres sterling d’allègements fiscaux aux compagnies pétrolières. »

Selon Lauren MacDonald, il est essentiel de veiller à ce que les travailleurs qui travaillent actuellement dans l’industrie des combustibles fossiles puissent passer à des emplois dans le secteur des énergies propres, ce que l’on appelle une transition juste, comme on l’observe en Allemagne et en Espagne. Elle est originaire d’Écosse, le centre de l’industrie pétrolière et gazière du Royaume-Uni.

« Ces travailleurs et ces syndicats ont raison de poser les grandes questions », dit-elle. « Je pense que les gens sont prêts pour une transition qui place les travailleurs et les communautés avant les géants de l’énergie motivés par le profit. »

Le parti d’opposition, le parti travailliste, dispose d’une avance considérable dans les sondages d’opinion à l’approche des élections générales et s’est engagé à mettre un terme aux nouvelles explorations pétrolières et gazières. « Le parti travailliste tient un beau discours, mais nous serons très attentifs à la manière dont il le mettra en œuvre », déclare Lauren MacDonald. « Le mouvement pour le climat aura encore un rôle énorme à jouer. »

Pour elle, il n’y a pas d’autre solution que l’action politique pour enrayer le réchauffement climatique. « Le système politique britannique n’est pas vraiment une source d’inspiration, mais les gouvernements doivent s’attaquer à la crise climatique, car nous ne pouvons pas faire confiance aux compagnies pétrolières et gazières. Qui d’autre s’en chargera ? »

Mais, ajoute-t-elle, « quoi qu’il arrive lors des élections, le problème du climat ne sera pas résolu du jour au lendemain. Il faudra que toutes les facettes de la société fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre en œuvre le changement ».

Alexia Leclercq, 24 ans, États-Unis
Date de l’élection : 5 novembre

« Pour être tout à fait honnête, je ne sais pas quoi faire pendant les élections », déclare Alexia Leclercq, une militante écologiste.

« D’une part, nous savons que l’administration Biden a eu des politiques environnementales nettement meilleures, avec des conséquences concrètes sur nos communautés », dit-elle. « Par exemple, sous l’administration Trump, les reculs politiques ont eu un impact énorme sur les communautés de première ligne qui tentent de lutter contre les industries pétrochimiques qui causent de nombreux problèmes de santé graves, en particulier dans le Sud.

« Mais je pense que d’un autre côté, avec le génocide en cours en Palestine, beaucoup de gens qui font partie du mouvement pour le climat ne se sentent pas moralement d’accord pour voter pour Biden. C’est un véritable défi. »

Alexia Leclercq affirme qu’aucun activiste climatique ne souhaite un autre mandat pour Trump, qui a retiré les États-Unis de l’accord mondial de l’ONU sur le climat, mais elle affirme que le mandat de M. Biden a eu des défauts : « Biden a fait campagne sur la fin de la location de terres fédérales pour le forage pétrolier, mais son bilan est d’avoir accordé plus de permis que Trump. »

Selon elle, l’élection présidentielle est vraiment importante pour son État d’origine, le Texas, qui est à la fois le cœur de l’industrie pétrolière et gazière américaine, gravement touché par l’aggravation des vagues de chaleur et des inondations, mais aussi un État majeur en matière d’énergies renouvelables.

« Les impacts environnementaux sont graves, en particulier pour les communautés de couleur, mais le gouvernement de l’État ne sera pas progressiste dans un avenir prévisible – l’industrie pétrochimique a une telle emprise sur notre État », explique-t-elle. « Les politiques fédérales en matière d’environnement sont donc extrêmement importantes – c’est pratiquement la seule chose dont nous disposons. »

Selon Alexia Leclercq, le lobbying et les dons des entreprises dominent le système politique américain : « Nous avons une soi-disant démocratie, mais la plus grande influence sur notre gouvernement est l’industrie. Des gens gagnent des milliards de dollars grâce au statu quo et ont l’intention de continuer à le faire.

« Nous faisons de notre mieux pour renforcer le pouvoir des gens et faire pression, et je pense que c’est tout ce que nous pouvons faire pour l’instant », dit-elle. Mais elle perçoit quelques signes d’espoir : « Partout où je vais, je constate que les gens se préoccupent de plus en plus du climat, y compris les propriétaires d’exploitations agricoles qui votent pour les Républicains, des gens dont on ne pense pas a priori qu’ils se préoccupent du climat. Ils constatent l’impact de la crise climatique sur leurs moyens de subsistance dans leur ranch. »

Disha Ravi, 25 ans, Inde
Dates des élections : 19 avril au 1er juin

Avec 970 millions d’électeurs et une saison électorale qui s’étend sur plusieurs mois, l’Inde aime à présenter ses élections comme le plus grand exercice de démocratie au monde. Mais cette année, un autre facteur est venu compliquer la donne. La chaleur étouffante.

Des hommes politiques se sont effondrés sur scène. Des présentateurs de journaux télévisés se sont évanouis en direct. Face à la baisse du taux de participation dans tout le pays, les responsables politiques ont demandé aux autorités d’ouvrir les bureaux de vote à 6 heures du matin afin que les électeurs puissent éviter les températures qui atteignent, dans certaines régions, 47°C.

« Malgré tout cela, je ne pense pas que le changement climatique soit un sujet sur lequel les partis politiques en lice se soient mobilisés », déclare Disha Ravi, une militante de 25 ans de l’association Fridays For Future, originaire de Bangalore.

Cette année, les manifestes de la plupart des partis mentionnent au moins le changement climatique. « Il s’agit donc d’un changement considérable », déclare Disha Ravi. « Mais on n’en parle pas. Ce n’est pas encore un sujet de vote ».

Le parti au pouvoir, le BJP, du premier ministre Narendra Modi, était le favori et semble, selon les sondages de sortie des urnes, avoir remporté une majorité écrasante. Il a « fait beaucoup de promesses », explique Disha Ravi, notamment celle de parvenir à des émissions nettes zéro d’ici 2070 et d’un programme renforcé de purification de l’air.

Mais leur bilan est moins positif. De nouvelles mines de charbon, des projets de déforestation et des plans d’infrastructure destructeurs pour l’environnement ont alimenté le boom que l’Inde a connu sous leur règne et dont les bénéfices ont profité en grande majorité aux plus riches. Et malgré les grands discours sur l’environnement, leur manifeste ne contient que peu de mesures concrètes.

« Il n’y a aucune mention du charbon dans l’ensemble du texte », déclare Disha Ravi. Selon l’AIE, l’Inde dépend du charbon pour 45 % de son électricité.

D’autres partis, dont le Congrès, anciennement parti au pouvoir en Inde, ont pris des engagements plus audacieux. « Ils ont également, et c’est le plus important, abordé le problème des glissements de terrain et de la fonte des glaces dans l’Himalaya », explique Disha Ravi. « Le Congrès et le CPI ont tous deux mentionné que les normes environnementales dérégulées, en particulier les droits forestiers qui ont été dérégulés par le BJP, allaient être annulés. Mais avec une chance infime de victoire, de tels engagements ne valent rien.

La grande idée du BJP, quant à elle, est l’initiative LiFe. L-I-F-E, qui signifie « Lifestyle for environment » (style de vie pour l’environnement), est un plan qui vise à mettre en avant la responsabilité personnelle des Indiens en matière de climat, explique Disha Ravi. « Je pense qu’il s’agit de faire porter le fardeau aux personnes dont les émissions par habitant sont si importantes, si incroyablement marginales. »

Si les sondages de sortie des urnes sont corrects, Modi aura gagné avec une large marge, ce qui désespère Disha Ravi.

« Je ne pense pas que nous puissions supporter une autre année de vie comme celle-ci. »



C’est l’écocide qui est punitif. Pas l’écologie.

Paul Blume

Avec la campagne électorale pour le scrutin de ce 9 juin, revient le mantra « Non à l’écologie punitive ».

Cela colle au ressenti de groupes sociaux divers, c’est repris en chœur, en mode bashing des politiques dites vertes.

Or, s’il est une critique à adresser aux participations des écologistes à la législature qui se termine, c’est bien l’inverse.

Ce n’est pas d’avoir proposé des mesures encore très insuffisantes au regard de la réalité des niveaux de préhension et de pollution qui est critiquable, mais d’avoir édulcoré les exigences environnementales et climatiques.

La faute ne réside pas dans le fait d’avoir promu des législations jugées inconfortables pour la croissance économique et les écarts sociaux, mais d’avoir promu la possibilité d’une croissance vertueuse adaptable aux contraintes liées à la dégradation de plus en plus rapide des conditions de la vie sur terre.

Continuer, dans le chef des partis écologistes, de prétendre à la possibilité d’une croissance verte est non seulement contre-productif politiquement, mensongé sur le plan scientifique, mais aussi extrêmement nuisible pour l’humanité.

L’enjeu est la prise de conscience de la dystopie que nous sommes en train de vivre.

Pour mesurer l’énormité des efforts à réaliser pour permettre aux générations futures de tout simplement vivre, on peut s’appuyer – par exemple – sur les calculs des efforts proposés pour empêcher le réchauffement climatique de dépasser une limite « acceptable ».

A la sortie des accords de Paris de 2015, on évaluait l’effort de la décroissance nécessaire du recours aux énergies fossiles à minimum 2 % sur base annuelle.

Ce qui signifiait déjà d’imposer une trajectoire exponentielle négative à l’ensemble des activités économiques plus ou moins corrélées aux émissions de gaz à effet de serre.

Pour en faire une description simpliste, cela impliquait une réduction immédiate de l’usage des charbon, gaz et pétrole quels qu’en soient les usages. De l’extraction de matières premières aux transports en passant par les régulations calorifiques, l’agriculture ou le refroidissement de centres de données numériques.

En reprenant ces objectifs climatiques, on comprend vite le lien qu’il y a entre le fonctionnement de notre système économique, les quantités d’énergies et de ressources requises, les taux des pollutions diverses d’un côté, et l’évolution de la croissance (PIB) de l’autre.

Dans les milieux favorables à la priorisation de la croissance économique, on évoque, propose, affirme qu’il est possible de sortir de cette équation mortifère entre activités humaines et les taux de pollutions, l’effondrement de la biodiversité, l’explosion des risques climatiques, etc.

Mais, le réel n’a que faire de ces illusions.

Aujourd’hui, pour rester dans l’objectif d’un taux net zéro d’émissions des gaz à effet de serre en 2050, et compte tenu de la faiblesse des efforts réalisés depuis 2015, ceux-ci sont actuellement évalués à bien plus de 5 % (pour simplifier l’exemple).

Soit, pour reprendre la description simpliste précédente, une exigence de diminuer de minimum 1 unité sur 20 chaque année l’usage des charbon, gaz ou pétrole.

Soit, une diminution d’autant du recours aux énergies fossiles pour toute activité liée à leurs usages. Travail, loisir, santé, déplacements, tous les aspects de nos vies sont concernés.

Que cette exigence ne soit pas compatible avec nos souhaits d’équité sociale, d’investissement dans la santé ou nos envies de vacances n’y change strictement rien.

Hurler contre un mur parce qu’il est un mur est inutile.

L’adaptation aux limites planétaires, aux limites constatées scientifiquement à l’expansion des activités humaines n’a rien d’un choix. C’est un impératif incontournable. Qui nous sera de toute façon imposé.

Ce qui devrait occuper les politiques et les opinions publiques, c’est comment amortir les chocs en cours. Comment assurer une répartition équitable des efforts de sobriété.

Préservons ce qui peut l’être en vue d’une stabilisation des conditions de vie au moins bas possible.

Arrêtons de sacrifier des ressources à des usages non-essentiels. Ressources qui pourraient bien s’avérer vitales dans un avenir proche pour des usages existentiels.

Un exemple ? L’eau.

Celle qui, quand elle est potable, nous est indispensable. Mais aussi plus généralement le cycle de l’eau. Les quelques mois qui viennent de passer montrent comment et combien les perturbations du cycle de l’eau pourraient peser sur l’alimentation mondiale.

Les écolos ne sont pas critiquables d’avoir voulu être punitifs.

Mais bien coupables d’avoir voulu, en conscience, privilégié l’optimisme, le positivisme, la croissance plutôt que la promotion de politiques adaptées aux urgences documentées par la science.


https://obsant.eu/blog/2024/05/14/terrifies-mais-determines/